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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 12 - Témoignages du 14 mars 2012


OTTAWA, le mercredi 14 mars 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 14, afin d'étudier la cohésion et l'inclusion sociales au Canada.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, il y a quorum et je déclare donc la séance ouverte.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, sénateur de Nouvelle-Écosse, président du comité. Je demanderai à mes collègues de se présenter en commençant à ma gauche par le vice-président.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto, vice-président du comité.

Le sénateur Merchant : Pana Merchant, sénateur de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Demers : Jacques Demers, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Seth : Asha Seth, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Merci beaucoup, chers collègues. Avant de céder la parole à nos témoins, j'aimerais indiquer à mes collègues du comité qu'étant donné que le Sénat siège, les pages ne seront pas disponibles pendant cette séance. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, veuillez sortir de la salle pour vous en occuper vous-mêmes.

Cela étant dit, nous poursuivons notre étude sur la cohésion et l'inclusion sociales au Canada. Ceci est notre onzième séance consacrée à ce sujet et notre réunion d'aujourd'hui traitera de la prévention de la criminalité dans les villes canadiennes.

Nous avons avec nous aujourd'hui quatre témoins. Je vais vous les présenter en les appelant tour à tour. Comme convenu, je vais commencer par ma droite, avec Karin Leibovici, première vice-présidente de la Fédération canadienne des municipalités.

Madame Leibovici, je vous invite à nous présenter votre témoignage.

Karen Leibovici, première vice-présidente, Fédération canadienne des municipalités : Merci, c'est un plaisir d'être ici et de représenter la Fédération canadienne des municipalités pour vous parler de sécurité urbaine, de prévention de la criminalité, du développement communautaire, et pour vous faire part de l'opinion des municipalités.

[Français]

Bonjour à tous. Il me fait plaisir d'être ici.

[Traduction]

Je suis une membre élue du conseil municipal de la ville d'Edmonton et j'ai eu deux mandats au sein de la Commission de police d'Edmonton, ce qui me donne une certaine expérience dans le domaine, et je suis maintenant la première vice-présidente de la Fédération canadienne des municipalités.

Pour ceux qui ne connaissent pas très bien la FCM, nous sommes le porte-parole national des municipalités de l'ensemble du pays. Nous représentons pratiquement 2 000 collectivités membres qui rassemblent plus de 90 p. 100 de la population canadienne, et nos membres comprennent des collectivités de grande taille, de petite taille, rurales, urbaines, nordiques et éloignées, d'un océan à l'autre.

Le comité sénatorial a déjà entendu la FCM comme témoin par le passé concernant le travail des municipalités visant à assurer la cohésion et l'inclusion sociales au moyen de stratégies comme les logements à prix abordable et l'installation des immigrants. Je pense que nous savons tous et que nous sommes tous d'accord sur le fait que des collectivités sécuritaires et saines sont essentielles pour bâtir une économie forte et assurer la prospérité nationale. Les approches communautaires holistiques de lutte contre la criminalité et la victimisation sont plus efficaces lorsqu'elles sont élaborées au moyen de partenariats intergouvernementaux et communautaires, qui peuvent être réalisés au moyen du développement social, notamment en investissant dans tous les aspects de l'infrastructure communautaire comme les foyers d'accueil, les bibliothèques, les centres de loisirs, tout en s'attaquant aux causes complexes et profondes de la criminalité.

Les services de police, qui représentent un volet essentiel de cette approche, constituent une responsabilité centrale de tous les ordres de gouvernement et jouent un rôle considérable dans la prévention de la criminalité, pour ce qui est de l'impression de sécurité dans la collectivité et du point de vue de l'application des lois. Cependant, notre système comporte un certain nombre de failles et il faut donc nous doter d'une nouvelle approche.

Les municipalités se heurtent à des contraintes budgétaires et doivent composer avec des ressources financières inadaptées et une gamme croissante de responsabilités, dont un grand nombre ont, par le passé, été déléguées par d'autres ordres de gouvernement. Les services de police et la sécurité publique sont les deux postes budgétaires de nos budgets d'exploitation municipaux qui connaissent la croissance la plus rapide, au rythme actuel d'environ 20 p. 100. Davantage d'argent étant consacré aux services de police, les ressources disponibles pour assurer d'autres services qui contribuent à la sécurité et à la santé des collectivités s'amenuisent.

En quelques chiffres, les dépenses totales combinées des services de police du Canada ont presque doublé au cours de la dernière décennie, passant de 6,4 milliards en 1999 à 12,3 milliards de dollars en 2009, les municipalités ayant assumé 60 p. 100 de cette augmentation.

Les municipalités sont signataires de 1 200 contrats avec la Gendarmerie royale du Canada et paient actuellement les salaires de deux policiers sur trois dans l'ensemble du pays, alors que nous ne recevons que 8 cents de chaque dollar payé par chaque contribuable canadien.

Bien que nous comprenions les réalités économiques actuelles et les contraintes qu'elles imposent à tous les ordres de gouvernement, nous savons aussi que lorsque les gouvernements fédéral et provinciaux ne s'acquittent pas de leurs responsabilités en matière de services de police et de sécurité publique, ce sont les municipalités qui doivent combler ces lacunes, ce qui sollicite davantage notre budget déjà limité. Cette situation n'est viable ni pour les municipalités ni pour les contribuables qui acquittent leurs impôts fonciers.

Le gouvernement actuel a fait de la sécurité publique sa priorité numéro un, mais pour le moment, le débat n'a lieu que sur la Colline parlementaire et ne cible qu'un éventail limité de questions juridiques. Cependant, pendant que les partis fédéraux débattent de nouveaux projets de loi, on ne s'intéresse que très peu à la manière dont on peut les mettre en application ou dont on peut bâtir des communautés plus fortes et plus résistantes à la criminalité en premier lieu. Cela doit changer et les travaux effectués à Ottawa doivent refléter ce qui se passe sur le terrain dans les collectivités.

Un peu plus tôt ce mois-ci, le comité a entendu des témoins concernant des systèmes novateurs et les changements qui s'opèrent sur le terrain — les services de police intelligents, comme le chef Dale McFee les appelle — qui visent à décloisonner le système administratif pour avoir des répercussions réelles dans les collectivités. Les trois ordres de gouvernement doivent participer à un type de débat similaire concernant la manière dont on peut collaborer et travailler de manière plus intelligente afin de s'assurer que notre GRC ainsi que les forces policières provinciales et municipales ont les ressources et les outils nécessaires pour assurer la sécurité de nos rues.

En février, la FCM a lancé une tournée de consultations des services de police qui s'est entamée en Colombie- Britannique et en Alberta et qui se déplace partout au pays. Dans le cadre de cette tournée, nous discutons avec divers intervenants comme le Conseil sectoriel de la police, l'Association canadienne des chefs de police, les commissions policières, et cetera. Le débat s'articule autour des défis en matière de sécurité publique auxquels se heurtent les collectivités et de l'examen des relations entre les services de police des différents paliers : fédéral, municipal et provincial, en vue de distinguer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. D'après nos consultations, nous assistons à une confirmation, voire une dégradation, des faits constatés par la FCM et indiqués dans notre rapport de 2008 intitulé Services policiers : l'équité, gage d'efficacité. Nous pouvons vous fournir une copie de ce rapport.

Grâce à la GRC, le gouvernement fédéral est responsable d'assurer les services de police à nos frontières et dans nos ports, d'éradiquer les organisations criminelles dont les activités s'étendent au-delà des frontières municipales et provinciales, et d'empêcher des armes et la drogue d'entrer au pays. Au fil des années, les responsabilités croissantes de la GRC sur le plan national et international n'ont pas été appuyées par un apport de ressources adéquates, et c'est la raison pour laquelle la GRC a de la difficulté à s'acquitter de ses responsabilités fédérales en matière de services de police.

Les contribuables qui paient de l'impôt foncier subventionnent les coûts des services de police fédéraux à hauteur de plus de 500 millions de dollars par année, et les contributions locales aux services de police fédéraux ne cessent de croître. De plus en plus, des crimes qui relevaient habituellement de la compétence fédérale, comme la cybercriminalité, le trafic d'armes, les crimes commerciaux et le trafic de drogue, exigent la participation des municipalités.

Cependant, les administrations locales sont très débrouillardes, et j'aimerais vous en donner un exemple. En août 2011, la Ville d'Edmonton a mis en œuvre son plan d'action de réduction de la violence afin de limiter la fréquence et la gravité de la violence dans notre ville. Un volet efficace de notre stratégie de prévention de la criminalité est la campagne REACH Edmonton, un organisme communautaire qui est né d'une recommandation d'un groupe de travail du conseil municipal. REACH Edmonton joue un rôle de premier plan pour ce qui est de coordonner les services de sécurité publique et constitue un centre d'excellence en innovation, mais quel que soit notre niveau de débrouillardise, les municipalités, qui doivent faire face à l'élargissement de leur rôle en matière de services de police et à l'augmentation des coûts de la lutte à la criminalité, tout comme d'autres ordres de gouvernement, ont moins de dollars à investir dans des programmes efficaces comme REACH qui permettent de prévenir la criminalité en premier lieu.

Pour les gouvernements locaux, même si tous les ordres de gouvernement sont responsables de la criminalité, la réalité est telle que lorsqu'un crime se produit, qu'il soit lié à la drogue, à des armes, à de la fraude ou qu'il s'agisse d'un vol d'automobile, les Canadiens font appel aux forces policières locales pour prendre des mesures.

Des voisinages prospères sont la clé de la viabilité économique, sociale et culturelle des collectivités canadiennes. Les citoyens comptent sur tous les ordres de gouvernement pour assurer la sécurité de leurs municipalités, mais on ne peut combattre la criminalité seuls sur le plan national ou international ou influer sur les facteurs sociaux et économiques qui ont des répercussions sur le taux de criminalité.

Les Canadiens veulent que les différents ordres de gouvernement collaborent, travaillent ensemble de façon plus intelligente et repensent leurs méthodes en réinvestissant dans des politiques et des programmes destinés à assurer la sécurité des collectivités et à enrayer la criminalité en premier lieu.

Merci beaucoup, je serai ravie de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

Je vais maintenant donner la parole à M. Ross Hastings du Département de criminologie de l'Université d'Ottawa.

Ross Hastings, professeur, Département de criminologie, Université d'Ottawa à titre personnel : Merci, je suis heureux d'avoir la possibilité de comparaître devant vous aujourd'hui.

Lorsque les criminologues examinent la cohésion et l'inclusion sociales, ils tendent à distinguer deux types de facteurs. Lorsqu'ils examinent l'inclusion sociale, ils se fient à des types d'indicateurs objectifs comme les taux de pauvreté, les taux de mobilité ascendante et les niveaux de revenu. Lorsqu'ils examinent la cohésion sociale, ils tendent à penser davantage du point de vue — un terme plus précis faisant défaut — de l'impression de faire partie d'un groupe et, ce qui est encore plus important, d'avoir un sens de la responsabilité réciproque et mutuelle : On ne veut causer de mal à personne et on ne veut pas que quiconque nous cause du tort. Cette notion contractuelle est le fondement de l'ordre public. De toute évidence, ces éléments sont liés.

Je pense que vous avez tous reçu une copie de mes notes d'allocution, je vais donc vous en parler. En fait, lorsqu'ils examinent la question de la cohésion et de l'inclusion sociales, les criminologues tentent d'imaginer ce qui pourrait mal tourner. Sur la première diapositive, je vous ai indiqué quatre indicateurs de ce type de problèmes. L'un de ces indicateurs, évidemment, est le taux de criminalité, mais le fait est que la criminalité n'est pas distribuée de façon aléatoire. Un petit nombre de gens sont responsables d'un nombre considérable de crimes : au-dessus des deux tiers. Il s'agit de ceux que nous devons cibler.

Deuxièmement, il y a les taux de victimisation. Ce dont peu de gens sont conscients, c'est qu'une faible proportion de victimes constitue la majorité des cas de victimisation. Là aussi, cela n'est pas distribué de façon aléatoire.

Troisièmement, il y a la notion de peur et d'insécurité. Encore une fois, cela n'est pas distribué au hasard. Certaines personnes ont ce que nous appelons une crainte irrationnelle de la criminalité. Le risque d'être victime d'un crime n'est pas très élevé, mais il y a d'importants segments de notre société pour qui la crainte de la criminalité est une dimension très rationnelle de leur vie quotidienne, ce qui nuit à leur impression de bien-être et à leur impression que leur collectivité est utile.

Enfin, il y a une notion plus générale que l'on appelle l'efficacité communautaire. Ce à quoi font référence les criminologues est essentiellement la capacité d'une collectivité de répondre à ses besoins et d'assurer l'ordre public : les parents qui surveillent leurs enfants, les gens qui se surveillent mutuellement, l'entraide.

Ce sur quoi il convient véritablement de nous interroger, c'est à partir de quel moment et où les choses tournent mal. Il semble que les choses ont tendance à mal tourner dans des cas très précis et systématiques, ce qui est une tendance croissante. C'est ce que montre le diagramme sur la diapositive no 3. Comme je suis un universitaire, je pourrais vous en parler pendant quatre ou cinq heures, mais je vais vous épargner cela.

L'idée qu'explique ce schéma est bien simple : si vous regardez la flèche, il s'agit d'une flèche d'inclusion et d'exclusion. Au sommet se trouvent les riches, les nantis, ceux que l'on considère comme en sécurité : la vie est belle et je peux lui faire confiance. Tout en bas, se trouvent les pauvres, les démunis et les exclus : ceux pour qui la vie est extrêmement précaire. Dans leur cas, la vie est une lutte et ils ne sont pas certains d'y participer.

La ligne qui va de la gauche vers la droite illustre en quelque sorte un sentiment de perception : « Où se trouve ma place? », « Ai-je une chance de progresser? »

Ce que l'on constate de plus en plus, et mes collègues pourront aussi vous en parler, c'est qu'il existe des groupes systématiques de personnes qui se sentent désormais exclues de la société et estiment ne plus pouvoir progresser. C'est ce qu'on voit au bas, dans le coin gauche.

C'est aussi dans ce secteur, dans ce quadrant, qu'on retrouve les problèmes graves de criminalité et de victimisation dans les villes canadiennes. C'est de ces groupes que viennent les gangs et le crime organisé.

Soit dit en passant, la meilleure définition que j'aie vue du crime organisé est qu'il s'agit d'une nouvelle forme de gouvernement qui s'instaure lorsque les formes légitimes de gouvernement sont incapables de faire leur travail ou refusent de le faire. Je reviendrai à cette idée dans un instant.

J'ai trois hypothèses de base à vous proposer sur ce sujet. Premièrement, il vaut mieux adopter le postulat que le crime est un comportement visant à résoudre un problème; ce n'est ni un trouble ni une maladie. Les personnes qui participent à des activités criminelles possèdent des caractéristiques systématiques, mais dans la plupart des cas, ces personnes tentent de résoudre des problèmes. Si IBM allait faire du recrutement dans des ghettos, elle embaucherait les chefs de gang, parce qu'ils sont jeunes, ambitieux et intelligents. Ils sont capables d'organiser. Ils savent comment gérer les personnes et les conflits. Ils possèdent de vraies compétences. Par contre, si on retire ces gens des gangs, on ne fait souvent rien de plus que de donner l'occasion à leurs subalternes de se livrer concurrence. C'est un peu comme la concurrence que se livrent les gens qui veulent faire partie d'une équipe de hockey ou d'un conseil d'administration. Nous devrions réfléchir aux répercussions négatives que les activités policières peuvent avoir pour la société.

L'idée de base, c'est qu'on ne peut pas simplement sévir pour régler le vrai problème, qui est que des gens tentent de résoudre leur problème en fonction de leur perception de ce problème et des ressources à leur disposition, des outils qu'ils ont en main.

Alors que faire? En fin de compte, il y a deux façons de voir les choses. S'il s'agit d'un comportement visant à résoudre un problème, on peut se concentrer sur l'élimination des solutions criminelles qui sont si coûteuses pour le reste de la société. Cela veut dire qu'il faudrait investir dans de meilleurs services policiers, de meilleurs tribunaux et de meilleurs systèmes correctionnels, mais là encore, il faudrait viser l'intégration plutôt que la ségrégation, amener les gens à rejoindre les rangs de la société plutôt que de les étiqueter et de les exclure.

Deuxièmement, on pourrait faire bien davantage dans le domaine de la prévention des conditions qui mènent au crime, ce qui correspond à essayer de rendre le crime plus difficile, moins attrayant et plus coûteux. Si on suppose qu'on ne peut pas changer les motivations des gens, ce sont des mesures qui peuvent au moins changer leurs options.

Enfin, il semble que nous nous entêtions à cibler les délinquants. Si nous faisions la même chose dans le domaine de la santé, nous consacrerions tout notre temps à cibler ceux qui contaminent d'autres gens et il ne nous resterait plus de temps pour nous occuper des personnes malades; c'est une philosophie un peu bizarre. Nous avons donc deux systèmes radicalement différents. Nous pourrions appliquer cette logique aux victimes et faire davantage pour réduire leur vulnérabilité. Dans ce cas, il importerait peu qu'il y ait des délinquants, parce que les victimes pourraient s'occuper d'elles-mêmes.

Enfin, si on ne souhaite pas se concentrer sur les options ou les solutions, on peut tenter peut-être d'éliminer certains des problèmes. En gros, il s'agit pour cela de favoriser un sentiment d'inclusion, d'engagement et d'attachement. Sous l'écorce d'à peu près tous les jeunes membres de gang, tous les jeunes toxicomanes et tous les jeunes victimes d'un acte criminel, on retrouve une jeune personne qui n'a aucun espoir et ne voit pas que sa vie peut s'améliorer. On peut se demander quel monde nous avons créé pour que ces jeunes soient systématiquement privés d'espoir sans qu'on leur fournisse de solutions de rechange. Nous n'avons pas le droit de nous étonner qu'ils tournent si mal.

David Hulchanski, professeur et directeur associé, Centres-villes, Université de Toronto, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à vous faire part des recherches que mon équipe et moi avons menées. M. Hastings et moi venons de nous rencontrer, mais il serait très utile que vous alliez à la page 2 de sa présentation, là où il y a une flèche verte. Nous avons examiné les caractéristiques géographiques de la criminalité sur une période sept ans à Toronto, Montréal et Vancouver, et nous en ferons autant bientôt dans d'autres villes. Dans le coin supérieur droit de ce tableau, vous avez les zones où l'emploi est stable, où il existe une cohésion sociale et une réglementation collective. Vous voyez l'opposé dans le coin inférieur gauche.

Nous vivons tous quelque part, si nous avons la chance de ne pas être sans-abri. Et à moins que ce soit dans une région rurale, nous habitons dans un regroupement d'habitations que nous appelons un quartier. Les gens vivent dans des quartiers. Depuis 15 ou 20 ans, les urbanistes, les sociologues et d'autres disent qu'il y a un problème dans les villes. Les villes ont toujours été divisées. Il y a toujours eu des zones à revenus plus élevés, des zones à revenus moins élevés et des enclaves ethniques. Ce sont les faits. Toutefois, ces divisions sont maintenant plus prononcées. Les zones à faible revenu sont plus nombreuses et la pauvreté y est plus grande que par le passé. La richesse est encore plus grande dans les zones bien nanties.

Je signale à votre attention un rapport récent, qui n'est pas de moi, mais j'ai siégé au comité. On en trouve la version complète sur le site Web de la Fondation Metcalfe, et ce rapport est intitulé The ``Working Poor'' in the Toronto Region. Quand on essaie de voir comment définir les travailleurs à faible revenu, on se rend compte qu'il existe plusieurs définitions. Un très bon analyste des politiques sociales, John Stapleton, et deux employés de Statistique Canada ont fait une étude approfondie de la façon de définir les travailleurs à faible revenu, puis ils ont mesuré le phénomène. Si vous allez à la page 15, la page centrale, vous trouverez un tableau simple montrant qu'environ 6,3 p. 100 des travailleurs au Canada sont des travailleurs à faible revenu. Cela ne tient pas compte des chômeurs et des personnes qui reçoivent de l'aide sociale, qui ont leurs propres problèmes. Les travailleurs à faible revenu travaillent fort, à peu près à plein temps, mais ils n'ont néanmoins pas suffisamment d'argent pour vivre. C'est un phénomène nouveau des 20 à 30 dernières années. Vous constaterez que le pourcentage a augmenté. Les données remontent à 2005. Outre ceux dont nous avons parlé, un nombre important de personnes sont encore malheureusement pauvres même si elles travaillent.

Nous avons constaté trois choses. Ce phénomène était prévu dans les études, et nous l'avons constaté à Toronto, Vancouver et Montréal. Les rapports pour les villes de Vancouver et de Montréal seront prêts très bientôt. Il existe au sein de la population canadienne une division en classe plus rigide en fonction du statut socioéconomique. Cette division a toujours existé, entre les riches et les pauvres, mais elle est maintenant plus rigide et plus radicale. Deuxièmement, cette division s'applique aussi au logement, selon qu'on est propriétaire ou locataire. Dans les années 1960, les locataires avaient un revenu correspondant à environ 80 p. 100 de celui des propriétaires. Aujourd'hui, et ce, depuis maintenant 20 à 30 ans, l'écart est de 100 p. 100. Les propriétaires ont un revenu du double des locataires, partout au Canada.

Le troisième facteur est l'origine ethno-culturelle et la ségrégation en fonction de la couleur de la peau. À Toronto, 8,3 p. 100 de la population s'est identifiée comme étant de race noire au dernier recensement. Ce groupe est fortement concentré dans environ 9 p. 100 de la ville. Deux pour cent des personnes de race noire seulement vivent dans les quartiers riches de la ville.

Nous publierons bientôt un rapport semblable pour les villes de Montréal et Vancouver. Dans ce rapport, nous avons dressé une carte analytique des zones riches et des zones pauvres de Toronto, ainsi que des tendances. Nous avons constaté que 40 p. 100 des quartiers de Toronto, et un nombre semblable à Vancouver et Montréal, connaissent un recul constant dans leur statut socioéconomique; c'est-à-dire qu'ils s'orientent vers le coin inférieur gauche du diagramme de M. Hastings sur l'exclusion et la cohésion. Ces quartiers deviennent de plus en plus pauvres. À Toronto, cela représente un million de personnes, soit la quasi-totalité de la population de Calgary. Il existe des tendances semblables dans d'autres villes.

Nous entendons beaucoup parler du déclin de la classe moyenne. Le terme « classe moyenne » est plutôt vague; je préfère employer des quartiers à revenu moyen. Le revenu moyen se définit de façon assez simple. Le tableau 1 à la page 8 est un graphique qui vous montre le groupe à revenu moyen. Selon les données du recensement de la ville de Toronto, deux tiers de la population avaient un revenu moyen dans les années 1970 alors que, à l'heure actuelle, c'est un tiers. À gauche, on voit que le groupe à revenu très élevé a doublé pendant cette période et que la plupart des gens se sont retrouvés dans les groupes à revenu faible.

Ce changement qui est très mauvais, c'est la polarisation du revenu, à ne pas confondre avec l'écart de revenu. Il y a toujours eu un écart dans les revenus, écart qui est en croissance, mais il s'agit ici de polarisation. En regardant le diagramme de M. Hastings, on voit que de plus en plus de Canadiens se situent en bas, à gauche. Même s'ils travaillent, certains d'entre eux ne gagnent pas assez d'argent pour joindre les deux bouts. En outre, il y a moins de gens à revenu moyen. De plus en plus de gens se situent aux deux pôles de ce diagramme et aux deux pôles de mon diagramme.

C'est plutôt étonnant. Quand nous avons vu ces résultats, nous avons été étonnés. Nous continuons à mener divers essais et études.

Quelle est la solution? Nous avons trouvé des solutions pour la ville de Toronto, mais nous avons vite constaté que ce que peut faire une ville est limité, car elle n'a pas suffisamment de ressources. La principale source de solutions, c'est le marché du travail. Parmi ceux qui travaillent, bon nombre ont un emploi précaire et mal rémunéré. L'autre source de solutions, c'est le logement. La principale dépense, c'est le logement abordable, ce qui nous ramène à ce que j'ai dit plus tôt sur les propriétaires et les locataires.

Il y a aussi des solutions au chapitre des stratégies efficaces contre la discrimination. On n'en parle peu au Canada, même si notre population a changé.

Enfin, il faudrait des stratégies d'appui au revenu : il faut améliorer les prestations d'aide sociale et le filet de sécurité sociale. Toutefois, cela ne vise qu'une minorité de Canadiens en comparaison avec ceux qui sont sur le marché du travail, et qui sont en majorité Canadiens. De plus en plus, les Canadiens qui travaillent ont un emploi ne comportant pas suffisamment des caractéristiques qui, aux dires de mes collègues criminologues, mènent à une meilleure inclusion et cohésion sociales.

C'était un très court résumé. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Je note que les professeurs de l'Université d'Ottawa sont deux et ont donc pu disposer d'un plus long temps de parole, ce qui est conforme à la tendance évoquée par M. Hastings.

Irvin Waller, professeur titulaire, Département de criminologie, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je suis aussi président de l'Organisation internationale pour l'aide aux victimes, et j'ai préparé certaines des premières cartes géographiques du crime à Toronto à la fin des années 1960 et dans les années 1970, ce qui ne me rajeunit pas. J'ai aussi été directeur général à l'époque du gouvernement libéral, dans les années 1970, et j'ai quitté le gouvernement parce que j'estimais qu'il ne se concentrait pas suffisamment sur les besoins des victimes et sur le rendement des investissements.

J'ai eu le privilège de consacrer les 30 dernières années à ces enjeux; j'ai notamment amené l'Assemblée générale des Nations Unies à adopter une résolution sur les victimes de crime, et j'ai été le directeur-fondateur du Centre international pour la prévention de la criminalité associé à l'ONU, situé à Montréal.

Essentiellement, ce que je veux vous dire, c'est que nous pouvons lutter contre le crime dans les quartiers socialement défavorisés, mais certainement pas en construisant davantage de prisons. On pourrait prévoir davantage de policiers, mais on pourrait surtout utiliser la police de façon plus intelligente.

Ce que je propose, c'est que votre comité envisage d'inclure dans ses recommandations la création d'un centre fédéral du leadership en réduction de la criminalité. Il travaillerait en partenariat avec le centre de leadership qui existe déjà en Alberta, dont on s'inspire dans le monde entier, qui a été recommandé pour la Saskatchewan et dont on discute en Ontario.

Ce centre assumerait le leadership pour les initiatives fédérales, mais il serait aussi un partenaire des provinces. Il aiderait les municipalités à élaborer les stratégies évoquées par la première vice-présidente de la Fédération canadienne des municipalités et contribuerait considérablement à réduire les méfaits que subissent les victimes de crime.

Je suis d'accord avec le ministre de la Justice. Il ne cesse de nous répéter qu'il y a 440 000 crimes violents et 1,3 million d'infractions contre les biens qui sont signalés au pays chaque année. Je suis d'accord avec lui. Il évoque aussi les 83 milliards de dollars que coûtent les torts causés aux victimes, et cela, en effet, justifie qu'on agisse. Toutefois, je n'approuve pas nécessairement toutes les mesures qu'il a prises. Je crois toutefois, comme lui, qu'il est préoccupant que seulement 31 p. 100 des victimes de crime signalent l'infraction à la police.

J'ai été déçu par Statistique Canada, que j'ai critiqué pour avoir entretenu le mythe voulant que la victimisation soit à la baisse au Canada. Statistique Canada ne vous a pas donné les résultats des enquêtes sur la victimisation qui montrent que, depuis 15 ou 20 ans, le taux de criminalité est relativement stable. C'est le nombre de crimes signalés qui a baissé. D'ailleurs, les quartiers ou régions où il y aurait baisse de la criminalité comptent parmi ceux dont ont parlé les deux professeurs ce soir.

J'ai aussi été déçu de constater qu'il a fallu que le Centre national de prévention du crime vous signale que Statistique Canada a constaté un lien entre ces indicateurs de désavantage social et les taux de criminalité. Quand je faisais ces analyses à la fin des années 1960 et dans les années 1970, une corrélation de 0,3 était jugée étonnante. Or, les corrélations actuelles à Winnipeg, Thunder Bay et Halifax sont beaucoup plus élevées. On le constate dans les quartiers où il y a des indicateurs de désavantage social, de rupture des familles, où il y a de nombreux jeunes hommes célibataires et des situations transitoires. Évidemment, les Autochtones sont présents de façon disproportionnée dans ces groupes, tout comme les malades mentaux. Les problèmes sont connus; il faut maintenant les régler.

Je suis convaincu qu'il y a de l'espoir parce que nous avons des exemples de réussite au Canada. En dépit de ces indicateurs, Winnipeg a réduit le taux de vols d'automobile de plus de 83 p. 100 avec un investissement de 50 millions de dollars. Voilà le secret. Si vous voulez réduire le crime, vous devez investir de façon intelligente. En l'occurrence, on a fait un usage judicieux de la surveillance policière et sociale adaptée à la situation, comme l'a mentionné M. Hastings. Il n'y a pas eu augmentation de la répression ou de l'emprisonnement. Si c'est possible à Winnipeg, c'est possible n'importe où ailleurs au pays, car c'est sans aucun doute dans les grandes villes que les problèmes sociaux sont les plus graves.

Je suis optimiste aussi parce qu'on a tendance à croire que les crimes se résument aux crimes violents signalés à la police. Or, aussi graves que soient les crimes signalés à la police, ceux qui ne sont pas signalés sont ceux dont sont victimes les femmes. Si vous examinez la ventilation des 83 milliards de dollars du ministre de la Justice — on ne peut faire cette ventilation pour le Canada, mais je l'ai faite pour les États-Unis — on constate que la violence faite aux femmes entraîne un préjudice beaucoup plus grand pour les victimes que la criminalité de rue de façon générale. Cela ne signifie pas qu'on peut laisser les gangs de rue faire la pluie et le beau temps. Cela signifie que nous devons en faire autant pour lutter contre la violence faite aux femmes que contre la criminalité de rue.

En Ontario, il y a le fameux programme Quatrième R, le seul reconnu par l'OMS pour son efficacité à réduire la violence contre les femmes. C'est le genre de programme dont vous voudriez recommander l'adoption dans toutes les régions du pays. Je suis très fier de cette ville, car elle a adopté une stratégie de prévention du crime comme le programme REACH à Edmonton; le programme Quatrième R est déjà en place dans diverses écoles. Comme il a été traduit, on pourra l'implanter dans les écoles de langue française.

Outre les programmes REACH d'Edmonton et d'Ottawa, 14 villes ont établi un réseau pour trouver des façons de prévenir le crime. Elles n'ont rien reçu du gouvernement fédéral, pas même 1 million de dollars pour trois ans. C'est insensé. Ces villes pourraient lancer des initiatives qui pourraient éliminer 60 p. 100 des 12 milliards de dollars qu'on consacre à la police, elles pourraient trouver des solutions. En passant, si vous utilisez les données de 2010, c'est plus du double dans les 10 dernières années. Je tenais à le souligner.

M. Hasting et moi avons réuni des représentants de ces 14 villes à l'intention desquelles nous avons régi une série de courts documents. Malheureusement, ils ont été si populaires qu'il n'y en a plus d'exemplaires papier. On peut toutefois l'obtenir sous forme électronique en anglais et en français. Ces documents comprennent un guide utilisé par REACH, par le groupe de travail du maire d'Edmonton et à Thunder Bay. On s'en sert aussi dans d'autres villes, notamment la région de Waterloo, les villes d'Ottawa, de Regina, d'Halifax, et cetera.

Il est important de souligner que même si le gouvernement fédéral a été extrêmement lent à investir dans la prévention — et je ne parle pas que du gouvernement conservateur, cela aussi a été le cas du gouvernement fédéral- libéral —, l'Alberta a agi. Dans cette province, on a mis sur pied un groupe de travail chargé d'examiner les données probantes et pratiques exemplaires d'un peu partout dans le monde. Ce groupe a aussi examiné la situation avec les intervenants et a formulé des recommandations au sujet de l'investissement de un demi-milliard de dollars sur trois ans.

Oui, c'est vrai, en Alberta, il y a des pétrodollars, mais qui a pris cette initiative? Nulle autre que la première ministre de l'Alberta quand elle était ministre de la Justice. L'Alberta est maintenant un modèle. Je travaille un peu partout dans le monde et je sais que le Mexique vient d'adopter une loi inspirée en partie par l'Alberta. Cela doit se faire ailleurs. La Saskatchewan se fait l'élève de la province voisine et, en Ontario, on y songe.

Dale McFee vous l'a dit, il y a des modèles ailleurs que nous pourrions adopter. Je suis certain qu'il a fait mention de Glasgow qui a un programme remarquable. Dans les Prairies, le taux d'homicide dans les villes étant supérieur à la moyenne canadienne, nul doute qu'on pourrait en tirer des leçons. Nous pourrions tous en tirer des leçons. Ce programme ne prévoit pas la construction de prisons ou des policiers supplémentaires. C'est un programme axé sur un usage intelligent des services de police et des mesures judicieuses de prévention du crime adapté aux situations.

Dans les années 1990, il y a eu deux comités parlementaires. J'espère que vous pourrez examiner de nouveau leurs recommandations. L'un de ces comités était présidé par un conservateur, un défenseur de la peine de mort, Bob Horner. Il aurait déclaré que si l'incarcération des criminels contribuait à réduire la violence, les États-Unis seraient le pays le plus sûr au monde. Bien sûr, ce n'est pas le cas, même si une personne sur quatre de tous les prisonniers du monde y est emprisonnée. Les États-Unis font fausse route.

Quoi qu'il en soit, son comité a recommandé que le gouvernement fédéral consacre 5 p. 100 — l'équivalent de 5 p. 100 — de ce qu'il consacre à la police et aux services correctionnels à la prévention du crime. Il a fait cette recommandation parce que c'est ainsi qu'on réduit la criminalité. C'est aussi ce que je recommande, car cela contribuait à faire baisser les coûts croissants des services de police et des services correctionnels.

Le Centre national de la prévention du crime vous a dit que son budget est loin de représenter 5 p. 100 du budget de la police des Services correctionnels, et que leurs programmes sont bons, mais peu nombreux. Ils aident à adapter les programmes dont l'efficacité est reconnue. Nous vivons de nos jours dans un monde merveilleux où, avec un clic de la souris, on a accès à quatre grands sites de données, y compris celui de Sécurité publique Canada que personne ne semble connaître. Il y a aussi le site de l'Agence de la santé publique, là où on s'y attend, le site du ministère américain de la Justice et qui s'appelle Crime Solutions, pour employer les mots de Ross et, bien sûr, le site de l'Organisation mondiale de la santé, vers lequel je me tourne pour ce genre de choses.

Le défi est de savoir comment, à partir de ces exemples, ces connaissances et cet élan, trouver la bonne voie vers l'innovation dont nous avons besoin.

Monsieur McFee a dit qu'on ne peut éliminer la violence à coup d'arrestations. Soit dit en passant, il a cité les propos de William Bratton, le renommé policier de New York grâce à qui le taux de criminalité dans cette ville aurait baissé. C'est aussi la devise du chef des détectives de Glasgow. Toutefois, il ajoute qu'il ne cessera pas de faire des arrestations, et il a raison, mais il faut recourir à la police de façon plus intelligente. J'aime bien ce qu'a dit la FCM; c'est une phrase importante. Nous devons innover et examiner ces enjeux d'un autre point de vue.

Si nous pouvons adopter le genre de stratégie qu'un pays comme le Canada, qui croit fermement à la loi, l'ordre et à la sécurité publique, et que ses contribuables méritent, nous pourrons non seulement faire baisser la criminalité, surtout dans les quartiers défavorisés, mais aussi le coût des services de police. Les villes deviendront alors un endroit meilleur et plus sûr pour ceux qui y vivent.

Le président : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à mes collègues pour la période de questions.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup. Vous nous avez présenté quatre excellents exposés, très instructifs sur la question de l'inclusion et de la cohésion sociale, surtout en ce qui a trait à la criminalité et à la sécurité publique et leurs liens avec la cohésion et l'inclusion dans les grands centres urbains. J'ai une question pour vous tous, mais je n'aurai probablement pas assez de temps.

Monsieur Hulchanski, voilà déjà un moment que je parle de votre étude des trois villes à Toronto et vous avez indiqué aujourd'hui être sur le point de présenter vos rapports sur Vancouver et Montréal. Avez-vous constaté les mêmes tendances à Montréal et à Vancouver?

M. Hulchanski : Oui. Soyez toutefois prudent quand vous employez le mot « tendance ». Chaque ville présente ses propres caractéristiques géographiques : des rivières, des lacs, des montagnes, une organisation, et cetera. Toronto s'est fractionnée en ce qu'on appelle trois villes — trois grappes — en raison de son histoire. Toutefois, les tendances sont les mêmes, avec de petites différences selon l'histoire de la ville.

Le sénateur Eggleton : Croyez-vous qu'il en serait de même dans d'autres villes au Canada?

M. Hulchanski : Oui. C'est plus remarquable dans les villes dont l'évolution et la croissance sont rapides. Ce l'est un peu moins dans celles dont la croissance est plus lente, mais la situation est essentiellement la même parce que les tendances économiques, le marché du travail et d'autres facteurs touchent tout le pays.

Le sénateur Eggleton : À la page 6 de votre rapport que vous avez distribué, il y a des données que je cite souvent et qui sont tout à fait renversantes. En 1970, et quand j'ai commencé à siéger au conseil municipal de Toronto, 66 p 100 de la population étaient dans la classe moyenne. En 2005, c'était 29 p. 100. Le nombre de quartiers à faible revenu est passé de 19 p. 100 à 53 p. 100 pendant la même période. C'est renversant.

Où est allée la classe moyenne? On pourrait penser qu'une partie s'est retrouvée dans la classe plus riche et l'autre dans la classe plus pauvre, mais je me doute que la plupart sont allés dans le 905 — dans les banlieues de la ville.

M. Hulchanski : Oui. Si vous regardez la couverture arrière du livret. Au sujet de ce qu'a dit le sénateur Eggleton, le jaune indique les zones à revenu moyen. Je suis également arrivé à Toronto en 1972 pour étudier la planification urbaine et j'ai connu la ville que l'on voit ici en 1970. Le rouge indique les zones à faible et très faible revenu. Voilà le changement draconien qu'a subi la ville. Cela coupe le souffle.

Lorsque nous avons préparé cela, nous l'avons en premier présenté à l'ancien maire de Toronto, David Miller, en lui montrant 1970 et, délibérément, montré très brièvement 2005. Tout ce qu'il a pu dire, et je pense que c'est une bonne chose à dire, c'est « Il est mieux de savoir cela que de ne pas le savoir ».

Il y a eu un déclin du groupe à revenu moyen. L'une des principales leçons que je tire de tout cela c'est que l'on se dit toujours une société de classe moyenne, et que le Canada est un pays de classe moyenne. Alors que nous ne le sommes pas. Ce terme est arrivé après la Seconde Guerre mondiale, lorsque nous avons bâti une société à revenu moyen — de plus en plus de gens avaient ce revenu moyen. Un seul revenu permettait d'acheter une maison et une auto. Presque tous les emplois comportaient des avantages et tout le reste.

Tout cela a changé. Il y a une vaste majorité de gens dans les segments de la basse moyenne, nous avons doublé le niveau élevé, et le milieu a disparu. Depuis 20 ans, vous avez tous entendu parler de la soi-disant disparition de la classe moyenne. Elle a diminué, comme le tableau auquel j'ai fait référence, le tableau 1 à la page 8, le démontre.

En tant que chercheurs, lorsque nous avons vu cela pour la première fois, nous nous sommes dit ce que le sénateur Eggleton vient de soulever. Il a dit que peut-être la classe moyenne ou le groupe à revenu moyen est parti dans les banlieues — on l'appelle le 905 à Toronto. C'est la région autour de la ville de Toronto. Regardez maintenant le tableau 2 à la page 9, qui montre la tendance dans le 905. C'est la même : il y a plus de gens à revenu moyen en 1970 dans ces quartiers, mais le nombre diminue. Cette catégorie n'a pas autant diminué que dans la ville, mais elle diminue. Les banlieues éloignées ne comportaient pas de districts de recensement à faible revenu il y a 30 ans, et maintenant une personne sur cinq, 20 p. 100 des districts de recensement du 905 — sont à faible revenu, et cette région perd son groupe à revenu moyen aussi au profit du groupe à plus faible revenu.

Il reste un groupe à revenu moyen plus important dans le 905 que dans la ville, mais il diminue.

Le sénateur Eggleton : Je vais mentionner deux autres rapports. Centraide a publié deux rapports, l'un qui décrit la pauvreté par code postal, et qui a recensé 13 quartiers à faible revenu — il y en a même plus maintenant — lorsque l'organisation a fait son étude sur Toronto il y a 10 ans. Récemment, Centraide a également publié un rapport sur les tours d'habitation qui sont devenues un endroit pour les gens à très faible revenu.

Dans les années 1970 et 1980, lorsque j'étais maire de Toronto, on parlait d'enclaves dans la ville, mais est-ce que ces enclaves sont en train de devenir des ghettos?

M. Hulchanski : Le mot « ghetto » pose problème de toutes sortes de façons. Nous préférons parler de deux types d'enclaves. Il n'y a rien de mal avec les enclaves ethniques, les enclaves choisies. Les Portugais à Toronto, par exemple, veulent être prêts de l'église et de l'école portugaise, alors ils se rassemblent dans ce quartier. Cependant, cela ne comprend pas les autres personnes de ces quartiers. C'est une enclave positive. Il y en a partout dans les villes au Canada.

Une enclave négative — c'est vraiment pour éviter le mot « ghetto » —, c'est un endroit où les gens se retrouvent avec d'autres personnes qui leur ressemblent de différentes façons, mais où ils préféreraient ne pas vivre. Voilà ce qui se passe. C'est pourquoi j'ai parlé de la couleur de la peau. Nous sommes un pays qui comprend tant de nationalités et d'origines ethniques, et il y a des enclaves ethniques qui célèbrent cette réalité. Cependant, il y a quelque chose dans la culture occidentale, bien sûr, au sujet de la peau noire. Les Noirs viennent de nombreux pays et de nombreuses cultures, mais ils sont regroupés dans Toronto. Je n'ai pas apporté ma carte indiquant où vivent les Noirs à Toronto, mais ils ne vivent pas dans le 20 p. 100 de ville qui est bleu dans la carte ici. Deux pour cent des Noirs vivent dans cette région. Ils sont rassemblés dans les quartiers les plus pauvres, et ils sont très rassemblés dans les tours d'habitation les plus pauvres et en moins bon état.

Si vous me le permettez, j'aimerais dire une dernière chose. Partout au pays, des années 1950 aux années 1980, nous avons construit ces tours d'habitation rectangulaires. Toronto en a le plus. Les grandes villes en ont plus et les petites villes n'en ont que quelques-unes. Elles ont maintenant 40 ou 50 ans. À Toronto, nous en avons 1 200 qui ont 40 ou 50 ans. La moitié des locataires de Toronto vivent dans ces immeubles. Certains sont en bon état et ont été entretenus, mais ce n'est pas le cas pour nombre d'entre eux. Voilà où l'on retrouve les plus pauvres des pauvres, et les gens victimes de discrimination se retrouvent dans ces grappes de gratte-ciel partout au pays.

[Français]

Le sénateur Verner : Merci beaucoup d'être ici cet après-midi. Ma question s'adresse à M. Waller, et elle découle de la criminalité et de la protection des victimes. Dans la ville où j'habite, soit la grande région de Québec, deux cas, entre autres, ont été publicisés récemment. Deux victimes se voient aujourd'hui confrontées à leur agresseur. Dans un cas, la victime est une policière. Un type aurait tenté de la tuer parce qu'il a une fixation, un rapport psychiatrique sur les femmes en uniforme. Un autre jeune homme a été sauvagement agressé et battu pendant toute son enfance par son père. Dans les deux cas, les criminels ont purgé leur peine et iront dans une maison de transition qui se trouve à quelques minutes à peine, à pied, du lieu de résidence des victimes.

J'ai posé la question à une dame qui, la semaine dernière, avait comparu devant le comité et qui représentait l'Institut canadien pour les victimes. Après avoir consacré beaucoup d'énergie à venir en aide aux victimes, n'a-t-on pas l'impression de retourner à la case départ lorsque celles-ci se voient confrontées à leur agresseur?

[Traduction]

M. Waller : Je ne pense pas que nous ayons porté beaucoup attention aux victimes. Vous avez raison de dire que le Québec en a fait plus que toute autre province. Je dis toujours à mes étudiantes : si vous devez être victimes de violence, veuillez traverser le pont, parce que vous obtiendrez une plus grande indemnisation, vous avez plus de chance que votre dossier soit géré par une policière, et vous avez aussi beaucoup plus de chance qu'un professionnel des victimes s'occupe de vous.

Par exemple, je sais que vous avez suivi le rôle du Canada sur le plan international. À la Cour pénale internationale, que le Canada a appuyée, les victimes profitent de meilleures protections, de plus de droits, et cetera. Il est clair que nous avons besoin de ces choses ici. Le droit le plus important pour les victimes, c'est le droit pour les gouvernements d'investir dans des programmes efficaces de prévention de la victimisation, de réduction du crime, de prévention du crime, quelle que soit l'expression que vous voulez utiliser. Je préfère « prévention de la victimisation ».

Lorsque M. Horner a recommandé 5 p. 100, on pourrait parler un peu de prévention situationnelle du crime et peut- être de la maternelle Perry. Aujourd'hui, nous avons beaucoup de connaissances sur ce qui fonctionne. Oui, il y aura des exceptions. Les deux cas que vous avez cités ne me réjouissent pas, mais j'espère que votre comité se dira qu'il a les faits pour réduire la violence et les crimes contre les biens dans les quartiers où la criminalité est élevée. Cinq pour cent des familles produisent environ 50 p. 100 des délinquants, et environ 4 p. 100 des adresses représentent 40 p. 100 de la victimisation. Ce que l'on voit de Glasgow ou du département américain de la Justice — et c'est également sur le site Web de Sécurité publique Canada, si vous avez le temps de le trouver parce que c'est un peu plus difficile, mais quand même là — nous savons que nous pouvons réduire la violence et les crimes contre les biens par plus de 50 p. 100 en trois à cinq ans. Winnipeg a réduit les vols d'auto de plus de 85 p. 100 en trois ans. En fait, cela a pris plus de temps, parce qu'ils ont essayé de le faire avec seulement les services de police, et non pas un service policier intelligent, et cela n'a pas fonctionné.

En tant que défenseur des victimes de longue date, je crois qu'il est grand temps d'investir dans ces choses. Quant au rendement de l'investissement, vous pouvez regarder, par exemple, le gouvernement de l'État de Washington. Il a un indicateur du rendement de l'investissement pour différentes choses qui fonctionnent. Il vous démontre comment réduire la population carcérale. Il ne s'est pas vraiment penché sur les services policiers autant que je le voudrais, mais RAND l'a fait.

Nous avons les renseignements au Canada pour réduire de façon importante la violence, et nous ne le faisons pas. Cela me dérange, c'est le moins que l'on puisse dire. On ne pourra pas éliminer chaque cas dont vous avez parlé, mais si on les réduit de moitié, cela en aura valu la peine.

[Français]

Le sénateur Verner : J'ai cité ces deux cas parce qu'on en parle encore dans les médias de la région de Québec. Toutefois, il en existe plusieurs autres. N'a-t-on pas l'impression que le criminel a le libre choix de choisir le lieu de sa maison de transition alors que la victime n'a plus aucun choix?

[Traduction]

M. Waller : J'ai apporté ce livre pour une raison. Il s'intitule Rights for Victims of Crime : Rebalancing Justice. Il examine les normes internationales que le Canada a appuyées et tous les domaines, des services policiers jusqu'au rôle à la cour. Je pense qu'il est clair que nous devons nous pencher sérieusement sur ce qui est fait au Canada pour les victimes, que cela soit du côté de ce que peuvent faire les policiers jusqu'aux enjeux immédiats des affaires très médiatisées en cour ou des audiences de libération conditionnelle.

À la Cour pénale internationale, les victimes sont représentées par des avocats. En passant, la majorité de ces avocats viennent du Barreau du Québec, pour une raison étrange. Nous ne faisons pas cela ici. Je pense qu'il faut être prudent sur la façon de procéder, mais c'est quelque chose que l'on doit examiner. Il faut prendre au sérieux les préoccupations des victimes et ne pas utiliser un petit groupe de victimes très graves pour ne demander que plus de prisons.

Que pouvions-nous faire pour les cas dont vous avez parlé? Je ne sais pas, mais je suis certainement d'accord avec vous pour dire que ces gens ne devraient pas être libérés et vivre près de leurs victimes. Cela revient à dire que la prévention de la victimisation est une priorité, qu'il faut utiliser la science — ce que vous avez appelé la réflexion intelligente — et qu'il ne faut plus que réagir à ces choses. En 1973, je faisais partie du comité qui a recommandé que les victimes et les chefs de police siègent à la Commission des libérations conditionnelles. Je suis tout à fait d'accord avec cette orientation, mais nous avons besoin de faire plus aujourd'hui. Si nous pouvons réduire la violence de 50 p. 100, on devrait le faire. N'oubliez pas que, dans une majeure partie de ces quartiers où se concentrent les défavorisés, les victimes et les délinquants vivent ensemble, d'une façon différente de la situation que vous décrivez. Nous devons rendre ces endroits plus sécuritaires pour les femmes, pour les jeunes hommes, et bien sûr, pour les hommes âgés, non pas que nous sommes vraiment en danger.

Le sénateur Demers : Comme le sénateur Eggleton l'a mentionné, c'était un excellent exposé.

Monsieur Hastings, quand vous dites que les gens se sentent exclus, vous parlez de l'espoir. Lorsque vous dites qu'ils se sentent exclus, est-ce le moment de l'abandon? Ils n'ont tout simplement plus d'espoir? On a parlé de l'espoir à quelques reprises. Monsieur Waller a parlé de 84 milliards et de ce qui s'est fait à Winnipeg. Est-ce seulement une question d'argent pour faire plus d'éducation, avoir plus de travailleurs sociaux et plus de policiers? J'aimerais entendre votre réponse.

M. Hastings : Au risque de trop simplifier, cela fait partie de l'espoir. Si vous regardez les données de M. Hulchanski, elles nous indiquent que ce désespoir représente probablement une évaluation assez rationnelle et précise de leur situation dans l'ordre hiérarchique. Si vous regardez les statistiques sur la mobilité sociale pour les gens du quart inférieur, personne ne s'élève, à moins d'avoir la chance d'être une vedette de l'athlétisme ou de la musique. Dans ce sens, ils sont ce qu'ils sont et ce qu'ils seront.

J'hésite un peu plus à parler du travail social et policier parce que je pense que cela ne fait que demander à ces gens de vivre dans cette situation merdique et de s'y habituer, alors que ce que nous devons faire, c'est de réfléchir à une façon de changer la distribution de la situation. Nous en savons de plus en plus — et M Waller en parlait — sur le genre de situations, le genre de familles et le genre d'expériences scolaires qui mènent les jeunes à être isolés et exclus. Je ne comprends pas pourquoi l'on attend que ces gens aient 20 ans pour ensuite investir dans les services policiers pour s'en occuper, parce qu'on aurait pu prévoir les problèmes. Nous n'avons aucune raison d'être surpris; nous préparons un monde qui produira un petit nombre de délinquants dangereux, et voilà le monde dans lequel nous aurons à vivre.

Oui, nous avons besoin de travailleurs sociaux, mais il ne s'agit pas seulement de corriger des personnes. Cela serait blâmer la victime.

M. Waller : Si vous examinez la stratégie de l'Alberta, vous verrez ce qu'on appelle le tressage. Ils ont rassemblé cinq ministères — le ministère des Services policiers, de la Justice, où était Allison Redford, de l'Éducation, de la Santé et des Services sociaux — et ils ont maintenant ajouté les municipalités, les Autochtones, l'esprit communautaire, et un autre que j'ai oublié. Ah oui, le logement, mon point principal.

Il s'agit d'essayer d'améliorer le bien-être général, comme M. Hastings l'a mentionné. Le logement est clairement très important pour la stratégie de l'Alberta, et je pense que cela devrait être important pour toute stratégie au Canada. Cependant, on s'attaque également aux situations à risque. Winnipeg investissait 50 millions de dollars qui provenaient de l'assurance publique provinciale pour régler ce problème. Il y avait Rick Linden, le président de la Commission des services policiers, un universitaire très connu — quelqu'un que M. Hastings et moi connaissons très bien — les policiers, l'assurance publique et le travail social. Ils étaient tous présents; ils ont examiné le problème et ont proposé une solution combinée qui a fonctionné. Voilà ce que cela signifie d'être intelligent. Il faut investir de l'argent et il faut être intelligent.

Si, comme moi, vous voulez voir une réduction de 50 p. 100 de la violence dans les rues, dans les familles et à l'école — la violence domestique signifiant vraiment la violence contre les femmes et les enfants — alors vous devez investir de l'argent. Je pense que le 5 p. 100 recommandé par les comités Horner et Shaughnessy Cohen était bon. J'avais conclu que cela devrait être 10 p. 100, mais je serai patient avec vous. Si vous pouvez obtenir 5 p. 100, c'est un très bon départ, mais il faut aussi examiner comment on l'utilisera. L'Alberta amènera chaque municipalité à travailler dans un partenariat semblable au processus REACH d'Edmonton et au processus de la région de Waterloo. Voilà ce que nous devons faire. Nous devons investir dans la formation. Il y a des gens qui ont ces compétences. Ce ne sont pas les mêmes compétences dont on a besoin pour arrêter quelqu'un ou défendre une personne. Je pense qu'il faut songer à la façon de rendre les gens plus intelligents, mais c'est surtout une question de direction politique. Vous devez dire qu'il est important d'aller dans cette direction. Le maire d'Edmonton a décidé qu'il était important d'aller dans cette direction. Le président de la région de Peel a dit qu'il était important d'aller dans cette direction. Toutes ces choses sont importantes. J'ai probablement mentionné le plus important. Je pense qu'il est utile que les policiers soient à bord, et les superpoliciers d'aujourd'hui sont à bord.

Mme Leibovici : J'aimerais donner quelques exemples. M. Waller a mentionné Edmonton et la province d'Alberta plusieurs fois. Quels types de travail effectuerons-nous? Il y a les Équipes d'autonomisation des quartiers, qui œuvrent de concert. Les services de police d'Edmonton, le Centre de la famille et Centraide fournissent certains des services sociaux que vous évoquez, sénateur. Ces organismes vont dans des quartiers où ils existent des problèmes de capacité et où le taux de criminalité est élevé; là, pendant une période de deux ou trois ans, ils font du développement de capacité, avec le quartier. Quand ils ont établi des ressources au sein du quartier, ils passent à un autre quartier. Ils amènent les particuliers dans ces quartiers à comprendre où résident leurs forces, à remédier à leurs faiblesses et à construire en vue de l'avenir.

Nous avons l'Équipe d'action communautaire et des interventions par déploiement. Qui dit services de police intelligents dit, en effet, collaboration de la police et de ses partenaires sociaux. On amène les quartiers où sévit la violence à participer. Certains d'entre vous savent peut-être que nous nous sommes distingués l'an dernier comme étant la ville comptant le plus fort taux de meurtres au pays — distinction dont nous nous passerions fort bien et que nous faisons notre possible pour ne plus mériter. C'est en partie pour cela qu'existe la cible de cinq sur cinq par cinq. Il existe, pour une réduction ciblée de la violence de 5 p. 100, toute une gamme de stratégies impliquant bien plus que la police.

Nous avons des initiatives 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Dans mes remarques liminaires, j'ai mentionné le fait que la police assumait des responsabilités qui n'étaient peut-être pas les plus appropriées. Les agents de police passent beaucoup de temps avec des individus souffrant de maladie mentale, au détriment d'autres activités de police. Avec l'initiative 24 heures sur 24, sept jours sur sept, nous voyons quels types de services devraient être disponibles 24 heures sur 24 et sept jours sur sept pour aider les individus vulnérables à se loger, à trouver les services dont ils ont besoin pour ne plus être à la rue, ce qui donnerait aux agents de police le temps de s'occuper du crime, plutôt que d'aider ces individus ayant d'autres types de problèmes sans avoir l'expertise nécessaire pour s'en accuper.

Il y a de nombreux domaines où nous travaillons en coopération avec d'autres services, afin d'assurer la sécurité communautaire dans la ville d'Edmonton.

Le sénateur Dyck : Merci beaucoup de vos exposés ce soir, qui étaient intéressants et constituaient une source d'inspiration.

Je viens de Saskatoon, en Saskatchewan, où j'ai entendu parler des programmes de prévention de la criminalité d'Edmonton. En Saskatchewan, nous avons dans la population un fort pourcentage d'Autochtones et de jeunes; nous avons une population très jeune. Nous savons que les femmes autochtones sont la cible de violences. Existe-t-il, parmi les programmes albertains que vous avez mentionnés, des stratégies s'adressant particulièrement aux groupes autochtones? Pourriez-vous donner des exemples de ces stratégies et de leur résultat?

Mme Leibovici : J'en serais heureuse. Nous avons un programme appelé l'Envol de l'aigle, qui sert les enfants et les jeunes Autochtones. Axé sur le leadership, les loisirs et les services communautaires, il est désormais implanté dans toute la ville tout au long de l'année.

Il existe un autre programme, que je vais sans doute prononcer de travers : Nîkânihew, un programme de leadership pour les jeunes autochtones. Cette formation au leadership basée sur les activités aquatiques incorpore le patrimoine et les enseignements autochtones.

Nous distribuons également des cartes d'accès au centre de loisirs aux familles à faible revenu. Cela n'est pas exclusivement réservé aux jeunes autochtones; cela profite à toute une série de jeunes qui n'auraient pas sinon la possibilité de fréquenter des installations de loisirs.

Nous avons aussi une stratégie d'interaction entre les services de police et la jeunesse. Ils travaillent avec les jeunes à risque et tissent des liens de confiance avec eux.

Je l'ai déjà dit, notre service 24 heures sur 24, sept jours sur sept va être précieux pour régler certains des problèmes existants. Nous travaillons également en étroite collaboration avec certaines communautés immigrantes et de réfugiés. Cela ne répond pas tout à fait à la question sur les Autochtones, que vous avez posée.

Nous avons l'Initiative Injera, visant elle aussi à améliorer les liens entre la police et les jeunes.

Si vous souhaitez avoir plus de détails sur les programmes existants dans la ville d'Edmonton, je demanderais à notre personnel de vous les fournir.

Le président : Merci.

M. Waller : J'aimerais brièvement ajouter que nous avons une étudiante de doctorat métisse qui vient d'achever une étude sur les manières de réduire la criminalité touchant les Autochtones en milieu urbain. Son examen des publications est particulièrement intéressant. Elle a effectué un essai, une mise en pratique, pour ainsi dire, à Winnipeg. Cela revient à la question posée par le sénateur

Que constate-t-on? Que les prestataires de services aux jeunes Autochtones sont d'accord avec toutes les conclusions de ces recherches pointues quant à ce qu'il convient de faire. D'autres éléments ont été mentionnés; si cela vous intéresse, je vous donnerai les coordonnées du site Web.

Le sénateur Dyck : Merci.

Le sénateur Merchant : Je voudrais à mon tour vous remercier du travail que vous effectuez et du temps que vous voulez bien nous consacrer aujourd'hui.

Vous avez abordé certaines de mes questions, si bien que je vais peut-être passer à la suggestion de responsabilité mutuelle que l'un d'entre vous a mentionnée. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long sur cette responsabilité? Quand il s'agit d'augmenter notre sentiment de sécurité et de s'en prendre au crime, j'ai l'impression qu'on s'en remet trop à la police. Vous avez mentionné certains programmes. Peut-on aller plus loin dans les actions au sein du tissu multiethnique? Je suis une immigrante d'il y a longtemps, mais je sais que certaines communautés se méfient parfois de la police et des gens du dehors. Y a-t-il une façon de faire participer les citoyens canadiens en tout genre? Vous dites que, plus cela va, moins il y a de rapports sur les crimes.

J'ai entendu hier à la radio une émission sur la résolution d'un meurtre 20 ans après le fait. L'homme qui avait commis le crime à l'encontre d'une femme l'avait admis à plusieurs personnes, mais aucune n'en avait fait rapport. Il s'était même confessé sur son lit de mort, sans que l'infirmière fasse de rapport non plus, parce que les gens hésitent à se mêler de ces choses.

On ne peut pas s'en remettre uniquement à la police; il faut amener les gens à participer : les éducateurs et les travailleurs sociaux, d'accord, mais aussi les gens ordinaires. Comment y parvenir? Y aurait-il en fait un danger à ce que des gens n'étant pas vraiment qualifiés se mêlent de lutter contre le crime et de le signaler?

M. Hastings : Je vais répondre aux deux éléments de votre question. Prenons d'abord le taux de signalement du crime et sa possible diminution.

Selon moi, il est important que les gens comprennent que signaler un crime, c'est également une approche de solution de problème. En fait, la raison pour laquelle nous signalons un crime, généralement parlant, n'est pas un sentiment d'offense à la moralité, mais plutôt une mesure pratique aux vues des exigences de nos polices d'assurances ou d'autres contraintes. Dans ce contexte, la vérité est qu'une bonne part des gens ne voient pas comment la police résoudrait leurs problèmes. S'y ajoutent les jeunes Autochtones, les jeunes Noirs ou les jeunes Asiatiques de certains quartiers, qui ont peu de raisons de croire qu'il faut s'adresser à la police pour avoir une solution; ils se débrouillent tout seuls. C'est un premier élément.

En ce qui concerne la responsabilité mutuelle, l'un des enseignements de la criminologie est que le meilleur prédicteur de la cessation du crime est l'âge. Plus on vieillit, soit parce qu'on se déglingue ou, plus probablement, parce qu'on s'intéresse plus à la société, plus on a de choses à perdre, tout bonnement : réputation, emploi ou argent. Si on commet des crimes, on n'est pas aimé; les gens vous évitent.

Si tel est le cas, c'est la notion autour de laquelle il convient d'articuler une stratégie de prévention du crime. La question est alors de savoir comment on peut amener les gens à mûrir plus rapidement, à s'impliquer dans leur travail et à s'attacher à des personnes prosociales. Ça nous ramène à la question du sénateur Demers. C'est là qu'intervient un recours combiné au travail social et à une éducation qui dote les gens les gens d'habilités, appuyé par des partenaires qu'on ne mentionne jamais, le gouvernement et le secteur privé, qui créent les emplois dans ces habilités utiles. Il est trop fréquent d'induire les gens en erreur, les jeunes notamment, en les amenant à suivre une formation, en suscitant des espoirs, pour les laisser tomber sans tarder : pas d'emploi, désolé. Et après, on s'étonne que les gens soient cyniques. À qui la faute? On a beau avoir les meilleures intentions du monde, si ces activités entraînent des résultats aussi stupides, il faut revoir l'approche.

M. Waller : Au bout du compte, je suis un scientifique empirique qui se fait passer pour un spécialiste des sciences sociales. Comme j'ai commencé par les mathématiques, la physique et l'économie, je cherche toujours des données. Il est important de constater que l'on trouverait des exemples de ce dont parle M. Hastings, que l'on aille sur le site web du ministre de la Justice des États-Unis ou sur celui du ministère de la Sécurité publique du Canada.

On pratique souvent des essais contrôlés aléatoires, dans le cadre desquels on donne à un groupe de jeunes une raison d'espérer, tandis qu'un autre groupe continue comme d'habitude. Le résultat? Des réductions des crimes de l'ordre de 50 ou 60 p. 100. Si on reconsidère les choses sous l'angle des économies réalisées en matière de services de police, comme le Washington State Institute, elles sont énormes. Sous l'angle de la réduction des méfaits pour les victimes, c'est méga-énorme.

La stratégie de Boston, dont on parlait dans les années 1990, se résumait à peu près à une formation professionnelle et à la création d'emplois pour des gens attirés par les gangs; elle a éliminé le meurtre de personnes de moins de 18 ans et réduit le taux d'homicide de 70 p. 100 chez les adultes. La stratégie de Glasgow, encore plus impressionnante, parce qu'elle est permanente et parce qu'elle dispose d'un centre de leadership permanent — autres points importants — adopte à peu près la même approche.

Bref, il existe des données et nous devons les utiliser, les utiliser comme preuve, parce que c'est ainsi que nous respecterons le droit le plus fondamental des victimes de crime : la prévention de la victimisation, grâce à l'adoption par le gouvernement de stratégies équilibrées et efficaces.

Le sénateur Callbeck : Merci à tous d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui et merci de vos exposés, particulièrement instructifs.

On a évoqué le signalement des crimes par les victimes. M. Waller, sauf erreur de ma part, vous avez indiqué que seuls 31 p. 100 des victimes signalaient le crime. Autrement dit, 69 p. 100 des victimes ne le font pas. D'où sortez-vous ce chiffre? Je l'ai entendu mentionner à d'autres occasions et je me suis souvent demandé d'où il sortait.

M. Waller : J'imagine que vous avez reçu, avec mon mémoire, l'annexe?

Le sénateur Callbeck : Non, pas moi.

M. Waller : Je crois qu'elle est disponible en anglais comme en français. Prenez le premier tableau; vous verrez les données de Statistique Canada dans son enquête générale de 1999, 2004 et 2009. Vous constaterez que le taux de signalement des crimes est passé de 37 p. 100 à 34 p. 100 puis à 31 p. 100, de cinq ans en cinq ans. À titre de comparaison, je vous signale que le taux de signalement aux États-Unis ou au Royaume-Uni est supérieur à 40 p. 100, ce qui était le cas ici aussi autrefois. Il se passe quelque chose.

Il est important aussi de revenir sur ce que disait M. Hastings, en matière d'approche de résolution de problèmes et d'obligations pour déclarer un sinistre à un assureur. C'est précisément ce que montre la recherche. C'est pour cette raison que les gens signalent les crimes contre les biens. Par contre, les gens signalent les crimes violents, dans l'espoir que l'État y remédie.

Prenez les agressions sexuelles. Plus de 90 p. 100 des femmes victimes d'agressions sexuelles au Canada ne font pas de rapport à la police. Notons que la notion d'agressions sexuelles est assez large. Pour ce qui est du viol avec contrainte, pour reprendre une catégorie américaine, il y a absence de rapport à la police dans plus de 80 p. 100 des cas. À mon sens, les mesures à prendre sont très claires. La police de Montréal, pour reprendre mon analogie avec le Québec, compte 30 p. 100 de femmes dans ses rangs. Et nous savons que la proportion des sexes au sein des services de police a une influence sur la décision des femmes de faire rapport ou pas. Si vous comptez beaucoup d'agentes de police, vous avez plus de chance d'avoir des rapports.

Nous ne manquons pas non plus d'information sur les façons dont on peut encourager le signalement des crimes. Là, on ne s'appuie pas sur le sondage de Statistique Canada, qui est sous-financé. Le représentant de Statistique Canada n'y fait même pas allusion dans les données qu'il vous a fournies. Dans d'autres pays, comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, c'est l'une des façons principales de mesurer la criminalité, un des angles essentiels sous lequel envisager les données.

Il faut faire preuve d'innovation pour exploiter des connaissances que nous avons, mais il faut aussi investir pour obtenir nous-mêmes plus de connaissances, précisément comme le fait l'Alberta. Par contre, le gouvernement fédéral s'en abstient. Sauf erreur de ma part, aucune autre province à part l'Alberta ne procède ainsi. Ou, si oui, certainement pas au niveau voulu.

Le sénateur Callbeck : Vous avez dit qu'à Winnipeg, ils avaient réduit le vol d'autos de 80 p. 100 en l'espace de trois ans. Est-ce un programme qu'on a essayé de mettre en œuvre ailleurs?

M. Waller : D'abord, le programme s'inspirait d'un programme de Regina avec des effets moins retentissants. La réponse à votre question a deux volets. Premièrement, Winnipeg avait le plus fort taux de vols d'autos en Amérique du Nord, taux qu'ils ont ramenés au niveau moyen. Je vois mal comment on défendrait un investissement de 50 millions de dollars pour réduire le vol d'autos à Ottawa, par exemple.

Deuxièmement, l'approche adoptée par Winnipeg est la même que celle évoquée par Dale McFee pour Prince Albert, la même que la stratégie albertaine, la même que celle adoptée par REACH Edmonton et par la Ville d'Edmonton, dans toute une série d'exemples dont vous avez entendu parler. Les ingrédients? Un leadership, c'est-à- dire la décision de diminuer la criminalité, au lieu de se contenter d'y réagir; et puis une consultation de la police, des agences d'aide sociale, des écoles et des services de logement, pour voir ce qui devrait être fait; et puis l'utilisation de données; et puis un investissement. Une longue liste, semblerait-il, mais ça n'a pas empêché Winnipeg de s'y mettre, ni l'Alberta, ni la région de Waterloo, ni Thunder Bay. À Regina, c'est plus difficile, faute de moyens, par le passé; mais peut-être les choses ont-elles changé, vu qu'il existe un mouvement, un mouvement local, ce qui est idéal. La région de Peel est sur le point de s'y mettre. C'est une approche qu'il faut adopter d'un bout du pays à l'autre. Mais laissez-moi insister encore sur l'importance d'orchestrer l'initiative avec des éléments comme Priorité au logement et d'autres programmes généraux susceptibles de réduire le fossé entre les personnes désavantagées et les autres.

Le sénateur Callbeck : Vous avez dit que ce programme, la violence faite aux femmes, est reconnu par l'OMS. Où met-on en œuvre ce programme au Canada?

M. Waller : Le Quatrième R vu le jour grâce à une équipe de la ville de London en Ontario. C'est le centre de réflexion et d'action afin de réduire la violence faite aux femmes. Un jour ils se sont dit : « On ne réussit pas qu'en réagissant même si nous sommes parmi les meilleurs au monde, il faut donc investir dans la prévention. » Ils ont mis à l'essai 22 écoles dans la région de Thames Valley, 11 où on l'a fait et 11 où on ne l'a pas fait. C'est ainsi qu'ils savent que ça a fonctionné. C'est pourquoi l'OMS l'a reconnu, car c'est un essai contrôlé exceptionnel. À Ottawa, un groupe tel que REACH Edmonton a initié la mise en œuvre du Quatrième R dans les écoles de la région et, comme je l'ai mentionné, l'a traduit en français. Je sais que le gouvernement de l'Alberta envisage de l'offrir partout dans la province. Je ne suis pas à jour quant aux endroits où c'est utilisé exactement. Je travaille beaucoup dans d'autres pays. Au Mexique, par exemple, ils souhaitent élaborer une version en espagnol adaptée à ce qu'ils font.

L'OMS a fait un examen en profondeur de tout ce qui se fait dans le domaine de la violence en 2009. C'est d'accès facile et de lecture facile soit dit en passant. Il n'est pas nécessaire de détenir un doctorat pour le lire. C'est facile d'accès. En 2010, ils ont fait une étude encore plus en profondeur sur la violence faite aux femmes et sur le Quatrième R, celui auquel vous avez fait allusion — la lecture, l'écriture et l'arithmétique, ainsi que le Quatrième R soit, les relations — c'était un des deux dont on avait prouvé l'efficacité. C'est peu coûteux à mettre en œuvre, mais ça fonctionne.

Le sénateur Seidman : Je crois que vous êtes en train de répondre à ma question, mais je vais m'en assurer. Je suis frappée par le fait que vous êtes tous ici à nous dire et à vous entendre sur le fait que ça fonctionne dans la prévention du crime. J'ai vraiment appris quelque chose. Vous dites très précisément qu'il y a des preuves empiriques. J'aimerais bien vérifier auprès de vous pour savoir dans quelle mesure nous avons un ensemble concluant de faits, plus précisément des faits scientifiques, et si c'est empirique.

Dans quelle mesure est-ce concluant? J'estime que vous avez déjà commencé à nous dire où ces faits existent, mais j'aimerais vérifier auprès de vous et savoir dans quelle mesure c'est concluant.

M. Hastings : M. Waller pourra intervenir, mais essentiellement la source de la preuve est de deux types. Tout d'abord, ce sont des évaluations axées sur les objectifs. Vous tentez quelque chose pour voir si ça fonctionne, puis vous élaborez un ensemble de travaux comparatifs.

Un exemple classique est les expériences faites à Kansas City il y a quelques années portant sur les patrouilles de police. Tout le monde croyait que si on avait deux fois ou trois fois le nombre de patrouilles de police, il y aurait plus d'arrestations et plus de sécurité. Ils ont divisé la ville en sections. Certaines sections ont eu une patrouille régulière, d'autres deux patrouilles et certaines, rien du tout. Un an plus tard, ils n'ont vu aucune différence. Ils ont finalement compris. La statistique mythique est la suivante : un policier moyen pendant sa carrière arrivera une ou deux fois sur les lieux lorsqu'un crime est perpétré, car la plupart des délinquants sont assez intelligents pour attendre que le policier soit passé. Ce n'est pas sorcier; ce sont des personnes habiles à résoudre des problèmes.

L'autre ensemble de preuves est plus convaincant. M. Waller a mentionné la maternelle Perry, où on mène des essais aléatoires contrôlés. Le groupe est divisé en deux ou plus et certaines personnes subissent l'intervention, d'autres non et toutes les autres conditions restent les mêmes. C'est ainsi que la médecine met les médicaments à l'essai avec les effets placebo et tout le reste. C'est ainsi que la plupart des secteurs fonctionnent pour les expériences. Il y a un corpus de savoir énorme et en expansion dans le domaine de la prévention du crime, à savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. M. Waller a mentionné certaines des sources. Il y en a beaucoup d'autres, et j'hésite à faire un mauvais jeu de mots, mais c'est quasiment criminel qu'on ait si peu recours à ces preuves dans ce secteur lorsque dans la plupart des autres secteurs on ne tolérerait pas ce genre de négligence.

M. Waller : En annexe à mon mémoire, vous trouverez aux deux dernières pages une liste de ces sources. Il s'agit de prévention de la victimisation qui a fait ses preuves; des facteurs liés à la délinquance, ce qui est très important; de violence faite aux femmes; des approches équilibrées qui allient les méthodes policières intelligentes, la réinsertion et la prévention. Bref, il s'agit de la stratégie de l'Alberta ou de la stratégie écossaise de Glasgow. Il s'agit de la façon dont les gouvernements ont en fait changé et sur la façon dont nous comprenons les coûts.

Il y a 20 ans, en 1992 — M. Hastings est venu plus tard dans les années 1990 comme chef du Conseil national de prévention du crime — pendant cette période, nous n'avions que quelques exemples individuels, la maternelle Perry étant la plus connue. Aujourd'hui, nous avons tout un corpus de documentation. Il y a 10 ans à peine, l'Organisation mondiale de la santé a créé un répertoire scientifique semblable à tout autre rapport de l'OMS. En 2009, elle a produit un rapport axé sur la preuve, ce qui permet plus facilement de voir ce qui se passe. Prenez le Crime Solutions du ministère américain de la Justice, les critères qui s'y trouvent sont définitivement fondés sur des preuves scientifiques solides. À l'Agence de santé publique du Canada, ce sont des critères fondés sur des preuves scientifiques solides. À la Sécurité publique, ils ont choisi certains éléments. Je ne suis pas contre, mais ce n'est pas aussi complet. Il y a tout de même un corpus solide.

Pendant de courtes périodes de temps, M. Hastings produisait un journal qui rassemblait ces éléments, et je crois que c'est important, mais là où je crois que c'est plus important pour vous, ce serait que les agences gouvernementales principales disent que ça fonctionne comme le ministère américain de la Justice. Les responsables ne présentent rien qui ne soit pas de leur institut de recherche, appuyé par tous jusqu'à leur procureur général. À l'Agence de santé publique du Canada c'est pareil et à l'Organisation mondiale de la santé, je ne crois pas que vous puissiez trouver mieux.

De plus, les gens parlent des répercussions des liens sociaux. Doit-on vraiment payer pour ce genre de choses en innovant? Je ne crois pas. Je ne crois pas qu'il faille revoir ce que fait le Centre national de la prévention du crime. Je crois que nous sommes au courant. D'accord, vous pouvez continuer à le faire puisque j'aime les éléments de preuve, mais on a plus de preuves qu'il nous en faut et si vous regardez les interventions traditionnelles, M. Hastings a donné l'exemple des patrouilles de police, nous savons que celles-ci ne fonctionnent pas. La plupart des résultats de recherche démontrent que d'ajouter des policiers n'aide en rien. Nous savons avec certitude que d'ajouter des places en prison n'a qu'une incidence très limitée sur le crime et je pourrais vous donner d'autres exemples.

Le sénateur Seidman : Merci.

Le sénateur Seth : Je vous remercie infiniment de vos excellents exposés et de nous faire profiter de vos connaissances.

Je vis à Toronto, monsieur Hulchanski, et vous avez dit que l'un des points importants dans cette ville est la polarisation croissante des quartiers riches et des quartiers défavorisés, et nous avons discuté lors de réunions antérieures du rétrécissement de la classe moyenne. Quelles pourraient être les répercussions de ce phénomène en matière de sécurité publique? Une richesse et une diversité plus grandes dans les quartiers de Toronto contribueraient-elles à une ville plus sécuritaire? Si oui, comment pourrait-on arriver à une telle diversité?

M. Hulchanski : J'ai deux minutes, n'est-ce pas?

Le président : Je vous en accorde trois.

M. Hulchanski : Encore une fois, je reviens au diagramme de M. Hastings. En bref, trop de quartiers se déplacent vers le coin inférieur gauche du diagramme. Il faudrait plutôt un déplacement vers le coin supérieur droit, et ce n'est pas ce qu'on fait en ce moment. C'est en raison des conditions macrosocioéconomiques. C'est en raison des politiques publiques ainsi que de la main-d'œuvre et du secteur public-privé.

C'est presque aussi simple que cela. On peut en parler sur différents plans. Oui, il faut cibler des secteurs où il y a beaucoup de crimes, mais vous devez également cibler des façons de ne pas avoir autant de secteurs où il pourrait y avoir du crime. C'est une mesure préventive de nature sociale.

J'espère que vous connaissez, et c'est quelque chose que j'utilise comme béquille parce que je ne suis pas criminologue, le rapport commandé il y a cinq ans par le gouvernement de l'Ontario et qui, malheureusement, a été relégué aux oubliettes, un excellent rapport, donc, intitulé Examen des causes de la violence chez les jeunes. En avez- vous entendu parler ici? Il fait cinq volumes. Vous pouvez consulter Google et des collègues de ces criminologues y ont contribué. C'est un excellent rapport.

On indique que la pauvreté ne cause pas directement la violence. Oui, nous avons des secteurs pauvres, et encore plus de secteurs pauvres, mais les gens pauvres ne sont pas nécessairement plus criminels que les autres. Cependant, si la situation ne s'améliore pas, les secteurs pauvres et les secteurs à faible revenu et tout le reste sont des conditions qui peuvent tout de même jouer un rôle central dans le sentiment de marginalisation, de manque d'espoir ou de débouchés, de faible estime de soi, de l'impression de ne pas avoir d'avenir, ainsi que d'autres facteurs de risque. Il faut aborder toutes ces questions, mais nous n'avons pas su le faire. Comme solution, il faut aborder les questions qui figurent sur cette liste, en plus de comprendre le crime là où il surgit.

Le sénateur Seth : Merci.

Le sénateur Cordy : Je réitère les commentaires de mes collègues qui ont dit que c'est un groupe de témoins extraordinaire. Je vous remercie beaucoup de nous avoir apporté ces renseignements aujourd'hui. J'ai deux questions.

Premièrement, j'ai déjà été enseignante au primaire et je sais qu'on peut repérer les jeunes à risque dès le très jeune âge. Un certain nombre d'entre vous l'a mentionné.

J'aimerais savoir comment fonctionne le programme 24/7 et qui appelle à l'aide, car lorsque le comité a étudié la santé mentale et la maladie mentale, nous avons appris que les policiers sont les gens de première ligne dans bien des cas qui doivent composer avec ces situations. Les policiers nous ont dit qu'ils doivent souvent rester à la salle d'urgence pendant cinq, huit ou dix heures, ce qui est une perte de temps pour le policier. Cela augmente certainement la stigmatisation pour la personne souffrant de maladie mentale d'être assise dans la salle d'attente avec un policier derrière pendant une période prolongée. Pourriez-vous m'expliquer comment ça fonctionne?

Deuxièmement, vous avez parlé de Glasgow, Winnipeg et Edmonton, de la diminution du crime et des difficultés de rompre les cloisons qui existent dans les différents ordres de gouvernement — municipal, provincial et fédéral. Il s'agit du système de service de police, du système de justice, du système de santé, des services sociaux, des loisirs et tout ce genre de choses. Comment s'imbrique le tout? Aussi, a-t-on davantage confiance dans le système de service de police d'Edmonton et de Winnipeg — je sais que vous avez fait allusion à Glasgow — et du travail qu'on y réalise grâce à cette démarche holistique dans la lutte contre le crime et dans l'aide aux victimes? Les gens ont-ils plus tendance à déclarer des crimes dans les villes qui mettent en œuvre ces nouvelles procédures?

Le président : Je vais commencer avec Mme Leibovici pour cette première question. Pour la deuxième question, je me demande si le M. Hastings peut nous donner un exemple. La question du sénateur Cordy est complexe, vous pourriez peut-être prendre un exemple et le détailler. Pour la troisième question, j'aimerais que vous donniez un exemple pour illustrer les aspects qu'elle a soulignés. M. Waller pourrait peut-être répondre à cette question.

Mme Leibovici : Il y a bien des années, j'étais travailleuse sociale en milieu scolaire à Montréal. À ce titre, je travaillais de près avec les enseignants qui pouvaient déceler les signes avant-coureurs d'un enfant qui allait avoir des problèmes. Ils arrivaient à identifier les enfants qui avaient déménagé pendant l'année scolaire trois ou quatre fois ils pouvaient voir les comportements qui en résultaient. Je comprends tout à fait et c'est un travail difficile pour l'enseignant.

En ce qui a trait à l'Initiative 24/7, elle ne fait que démarrer; elle n'est pas tout à fait mise en œuvre. Nous attendons du financement des autres ordres de gouvernement afin de la mettre en œuvre. C'est une nouvelle stratégie qui tente de rassembler les différentes ressources nécessaires lorsqu'il y a un appel à deux heures du matin. C'est généralement la police ou le service ambulancier qui reçoit ce type d'appel. Dans notre cas, à titre de premier intervenant, nous avons également les pompiers. Vous pouvez avoir une personne qui est en détresse ou qui participe à une sorte d'activité. Le policier et/ou le pompier et/ou l'ambulancier interviennent, ce qui encourt de grosses dépenses pour un service qui n'est pas celui voulu.

Pour revenir à cette question de preuve empirique, nous envisageons d'établir un système d'information en temps réel. Si une personne qui est dans la rue et qui pourrait ou non être en train de commettre un crime; si la personne commet un crime ce serait autre chose qui se passerait. Si la personne n'est pas en train de commettre un crime, mais pouvait possiblement commettre un crime, on pourrait téléphoner pour une intervention. Admettons que ce soit le policier qui fait d'abord l'appel. Si c'est un travailleur social, c'est cette personne qui viendrait. Pendant ce temps, nous pourrions grâce au système d'information en temps réel, trouver l'endroit où amener cette personne. Les places sont limitées pour les personnes en état d'ébriété, où peuvent-elles aller? Que fait-on par la suite afin de s'assurer que cette personne ne se perde pas dans le système et que la même situation ne se reproduise pas le lendemain soir? Encore une fois, c'est coûteux pour tout le monde. Si on envisage d'assurer le maintien de l'ordre plus intelligemment, ce serait une façon d'utiliser plus efficacement nos ressources policières et nos autres services.

C'est une initiative qui démarre. Au fur et à mesure que nous recevons du financement, car j'ai bon espoir que nous en recevrons, nous espérons que les autres municipalités au pays envisageront cette mesure et la mettront en œuvre.

Une grande partie du travail de REACH est fondée sur la preuve empirique. Des objectifs sont établis et nous tentons de les atteindre. Merci pour la question.

Le président : Il a fallu sept minutes avec les questions et la réponse — pas seulement votre réponse, mais pour les questions et la réponse. M. Hastings, je vais vous demander de nous donner un résumé de la question.

Je voudrais m'accorder quelques secondes pour vous demander de nous faire parvenir plus tard des renseignements supplémentaires. Je ne vais plus interrompre et je résumerai par la suite.

Je vous demanderais de mettre l'accent sur un exemple soit relativement à Winnipeg ou à Glasgow en ce qui a trait à la deuxième question, essayez d'y répondre clairement et vous pourrez assurer un suivi plus tard. Monsieur Waller, je vais vous demander de bien vous concentrer sur le début, et aussi de faire un suivi plus tard relativement à la troisième question posée par le sénateur Cordy.

M. Hastings : Si j'ai bien compris, on a demandé ce qu'il fallait faire pour que les gens collaborent. Je pense qu'il y a essentiellement trois options, l'une desquelles ne fonctionne pas. La première option consiste à simplement demander aux gens de travailler ensemble afin de former une grande équipe heureuse. Le fait est que lorsqu'on essaie de rassembler des agences, elles protègent leur territoire, leur base de clients et visent à exercer leur veto. Il faut offrir une sorte d'incitatif. Prenons par exemple la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui vise délibérément à réduire le nombre de jeunes personnes incarcérées. Le ministère de la Justice de l'époque a pris une décision particulière de ne pas offrir des fonds de façon générale, mais de plus tôt cibler son financement par rapport aux nouvelles activités qu'ils voulaient voir réaliser. C'était la carotte. Si vous agissez ainsi, cela fonctionnera.

Il y a aussi l'exemple inverse, qui représente davantage le bâton ou un mécanisme de reddition de comptes, et cela ressemble quelquefois au Bureau du vérificateur général. Vous avez dit que vous alliez faire telle chose. L'avez-vous faite? Vous avez dit que vous alliez la faire avec d'autres personnes pour d'autres personnes ou à l'intention de certaines personnes. Est-ce que c'est ce que vous avez fait? Vous avez dit que cela allait se produire. Est-ce que cela a fonctionné? Si vous affectez vos fonds en inculquant ce genre de discipline, alors vous aurez d'immenses répercussions.

M. Waller : Je vais répondre à la question concernant Glasgow. Essentiellement, tant le ministre de la Santé que le ministre de la Justice ont décidé que c'était une mesure importante. Ils ont établi un centre de haut niveau de leadership de l'unité qui a examiné les causes et les mesures ayant fonctionné, et ils ont fait en sorte que les gens s'engagent à réduire la violence au moyen de diverses mesures — allant des problèmes liés à l'alcool jusqu'à ceux portant sur la petite enfance en passant par les écoles primaires et ainsi de suite.

Pour ce qui est du suivi, le site web en Alberta est doté d'une fonction de conférence complète avec des vidéos qui permettent aux gens de communiquer — non pas de Glasgow, mais d'un bout à l'autre du Canada — des gens qui sont des chefs de file pour la mise en œuvre de cette approche multisectorielle.

Le président : Merci. C'était très utile et nous assurons un suivi à cet égard.

Maintenant, j'ai trois sénateurs qui veulent intervenir pendant la deuxième série de questions. Il se peut que vous n'ayez pas le temps de répondre à toutes les questions, dans ce cas je vous demanderais de poser les questions et les témoins pourront répondre ultérieurement.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Waller, vous avez déposé un mémoire dans lequel vous demandez l'établissement d'une commission de réduction du crime au Canada. Vous avez également mentionné 5 p. 100, même si ce n'est pas très clair — 5 p. 100 de quoi? Je me demande également quel est le lien avec le Centre national de prévention du crime. Nous avons reçu des représentants du centre l'autre jour, et ils nous ont expliqué ce qu'ils font. J'ai cru vous entendre dire que tout ce qu'ils financent c'est du travail qui a déjà été fait, ou ce que nous pourrions appeler des pratiques prometteuses, dans d'autres collectivités. Je crois comprendre que vous estimez qu'il faut agir davantage et plutôt dans le sens de ce que vous suggérez, c'est-à-dire d'une commission.

Pourquoi le gouvernement fédéral ne devrait-il pas tout simplement conserver la structure actuelle et peut-être l'améliorer quelque peu, plutôt que d'adopter le type de structure que vous proposez?

M. Waller : Pour ce qui est des 5 p. 100, il existe des données empiriques illimitées qui laissent croire que si nous investissions l'équivalent de 5 p. 100 de ce qui est actuellement investi dans des systèmes essentiellement réactifs — la police, les tribunaux et les Services correctionnels — au niveau fédéral, et je dirais que cela vaut pour tous les ordres de gouvernement, nous pourrions obtenir d'importantes réductions. J'ai écrit un livre à ce sujet et dans lequel il est question d'un investissement de 10 p. 100. Mais il s'agit du même argument.

Comment est-ce qu'une commission de réduction du crime différerait du CNPC? Le CNPC remet essentiellement à l'essai des mesures qui ont été prouvées de façon empirique comme étant fructueuses au Canada ou ailleurs. Il a été mis sur pied en 1998. Citons par exemple le conseil de justice pour la jeunesse établi sous le gouvernement Blair en 1998; ce conseil a pris l'une des initiatives que le CNPC met à l'essai ici et la mise en place dans 72 collectivités prioritaires dans les trois ans après l'avoir évaluée. Lorsqu'ils ont constaté que cela fonctionnait, ils l'ont déployée dans 72 autres collectivités. Tous ces secteurs sont ceux qui sont les plus préoccupants, qui doivent recevoir la plus haute priorité. Cela montre bien que nous avons besoin de beaucoup plus qu'un centre de recherche et de mise à l'essai. Il faut également que cela se passe à un niveau beaucoup plus élevé. Les comités recommandaient un haut fonctionnaire. La personne responsable dans ce cas-ci est un DG, c'est ce que j'étais il y a 35 ans. Il faut plutôt un sous-ministre adjoint ou un sous-ministre, et cette personne doit avoir des qualités de chef pour réunir les différents ministères. Elle doit être en mesure d'agir avec les gens comme ce qui se fait en Alberta, et comme ce qui fait l'objet de discussions pour l'Ontario.

C'est seulement en agissant ainsi que l'on commencera en fait à obtenir des investissements provinciaux, et c'est uniquement de cette façon qu'il sera possible de contrôler et de réduire quelque peu les coûts faramineux des services de police. Essentiellement, les réponses aux appels au service d'urgence comptent pour deux tiers des coûts liés au maintien de l'ordre. Ce n'est pas de la prévention.

Le sénateur Eggleton : Je m'adresse maintenant à la conseillère municipale Leibovici. Vous avez parlé d'Edmonton et de l'Alberta en général. Pourriez-vous nous parler, au nom de la FCM, de la façon dont ces mesures et d'autres sont diffusées d'un bout à l'autre du pays? Quelqu'un avait évoqué un réseau constitué de 14 villes. Je ne suis pas très au courant de ce réseau. Si vous l'êtes, pourriez-vous nous en parler et nous dire ce qu'il réussit à faire.

Notre rapport sera adressé au gouvernement fédéral. Que pouvons-nous recommander au gouvernement fédéral afin qu'il puisse vous aider dans ce que vous essayez de faire d'un bout à l'autre du pays?

Mme Leibovici : Ce que nous voulons, c'est une distribution plus équitable des fonds aux services de police afin de faire en sorte que le gouvernement fédéral joue le rôle qu'il doit jouer en matière de maintien de l'ordre. Actuellement, les services policiers municipaux assument une partie des responsabilités qui normalement devraient relever du gouvernement fédéral. Cela épuise nos ressources limitées — 20 p. 100 de nos budgets de fonctionnement sont affectés au maintien de l'ordre, plutôt qu'au type d'activité préventive dont nous avons parlé aujourd'hui, parce que nous devons assurer des services de police qui en fait ne relèvent pas de notre champ de compétence. Si nous avions une distribution plus juste et plus équitable des services de police et des responsabilités connexes, cela serait extrêmement utile.

En outre, il faut reconnaître le fait que les municipalités peuvent offrir des services dans d'autres secteurs qui leur permettraient d'agir de façon proactive en matière de prévention de la criminalité. Cela fait partie de ce que nous demandons au gouvernement fédéral.

Le sénateur Eggleton : Que voulez-vous dire par le maintien de l'ordre relevant du gouvernement fédéral et des activités ne relevant pas de votre champ de compétence? S'agit-il d'éléments découlant du Code criminel pour lequel vous devez assurer les services de police et qui découlent des lois fédérales. Je ne sais pas trop ce que vous voulez dire.

Mme Leibovici : Par exemple, chaque collectivité frontalière en Ontario dépense près de 1,5 million de dollars par année, tirés de leur budget des services de police, pour assurer le maintien de l'ordre et offrir un appui aux postes frontaliers internationaux. Cela ne relève pas du champ de compétence municipal. J'ai parlé des brèches dans le système, et nous finissons par colmater ces brèches lorsque cela ne relève pas réellement de notre responsabilité. Quelqu'un doit toutefois faire ce travail.

Le président : Sur ce point, madame Leibovici, les municipalités n'ont-elles pas le droit de demander au gouvernement fédéral de les rembourser pour certaines des activités que vous avez mentionnées?

Mme Leibovici : Je suppose que nous avons toujours le droit d'interjeter appel, mais nous n'avons jamais reçu de financement pour ces activités.

Le président : Le sénateur Eggleton a d'autres questions à poser, et j'ai deux autres sénateurs qui ont des questions complémentaires. Je leur demande de poser leurs questions de façon concise. Je ne veux pas que vous répondiez maintenant. Je voudrais que toutes les questions soient posées et que vous répondiez ultérieurement.

Le sénateur Callbeck : J'aimerais savoir quel est le taux de réussite de nos efforts visant à réintégrer les délinquants dans la société. Monsieur Waller, vous avez dit que les programmes et les centres ont un effet très limité. Leur travail a- t-il moins de portée qu'autrefois? Par exemple, si je comprends bien, il fut un temps où si vous étiez dans un établissement correctionnel vous pouviez apprendre un métier, comme celui de charpentier ou de barbier notamment. Existe-t-il une étude ou une analyse démontrant qu'il y a davantage ou moins de programmes? Voilà ce qui m'intéresse de savoir.

Le président : Avez-vous d'autres questions sénateur Callbeck?

Le sénateur Callbeck : Non, c'est tout.

Le sénateur Merchant : Nous nous sommes penchés sur le type de crime que nous comprenons tous, mais personne ne parle des autres types de crimes, et les personnes qui les commettent ne seraient pas visées par ces programmes. Qu'en est-il de la criminalité en col blanc? Je pense que bien souvent les victimes sont des aînés. Ils doivent se sentir très vulnérables. Ce n'est pas un crime physique dans la plupart des cas, mais une forme de mauvais traitement mental. Par ailleurs, étant donné les différents modes de communication, les gens peuvent maintenant commettre toutes sortes de crimes liés à Internet. Quelles sont les réflexions à ce sujet et quel type d'études faites-vous pour nous permettre de comprendre ce que pensent ces délinquants et font-ils l'objet de rapports? Je songe aux personnes qui ne correspondent pas à la catégorie de criminels peu nombreux auxquels nous nous attardons le plus souvent.

Le président : Je voudrais poursuivre dans la même veine de la question du sénateur Merchant et vous demander de vous pencher sur des groupes dont on n'a pas parlé aujourd'hui — les aînés et la violence familiale chez les aînés. Peut-être existe-t-il dans certains des documents que vous nous avez transmis aujourd'hui des statistiques à cet égard, mais il se peut également que ce type d'activité figure plutôt dans les crimes non rapportés en raison de la nature de l'activité et parce que les aînés ont moins la possibilité d'en parler et ils ont peut-être moins confiance en eux, ou bien souvent ils sont dépendants surtout lorsqu'ils sont en situation familiale.

Je veux en profiter pour me faire l'écho de ce que mes collègues ont déjà dit, à savoir que les exposés d'aujourd'hui ont été très utiles, et ce, de la part de nos quatre témoins. J'ai été quelque peu encouragée de voir M. Waller se poser des questions sur les statistiques. C'est un peu ce que j'ai fait lors de notre dernière réunion avec les témoins de Statistique Canada, parce que cela ne semblait pas cadrer avec notre perception, du moins de ce qui se passe dans la réalité et, en fait, par rapport aux chiffres qui font l'objet de rapports annuels relativement à une ville que je connais bien. C'était bien d'entendre quelqu'un présenter un autre son de cloche à cet égard.

Je vais répéter ce que j'ai mentionné il y a quelques minutes, c'est-à-dire que je vous demanderais d'examiner les enjeux que vous nous avez présentés et qui ont fait l'objet des questions des membres du comité afin que vous tentiez de recenser des pratiques exemplaires précises. Vous nous en avez présentées ici aujourd'hui, de sorte que je ne dis pas que nous n'avons pas entendu vos exemples, mais s'il y a d'autres pratiques exemplaires que vous pouvez cerner nous aimerions recevoir non pas de nombreux volumes, mais disons un document d'une page tout au plus. Nous pourrions ainsi faire un suivi en examinant ces exemples précis.

Ce qui nous aide le plus pour répondre aux demandes sur lesquelles vous avez insisté un certain nombre de fois, c'est de présenter des recommandations en utilisant de vrais exemples. Vous nous en avez donné quelques-uns; mais vous semblez dire qu'il y en a d'autres. Vous pouvez y réfléchir et nous transmettre ce qui serait la meilleure pratique exemplaire pour une question bien précise dont nous avons parlé et nous faire parvenir cet exemple.

La greffière fera un suivi auprès de vous. Vous aurez accès aux transcriptions de cette réunion très rapidement au terme de la réunion. C'est très important pour nous et nous vous serions reconnaissants d'obtenir cette information supplémentaire.

Cela étant dit, il ne fait aucun doute que le comité apprécie tout à fait ce que vous nous avez présenté aujourd'hui en personne et par l'entremise des documents que vous nous avez fournis. Non seulement vous nous avez présenté des enjeux, mais vous les avez également mis en contexte par rapport aux différents milieux dont vous avez parlé. Cela nous a été très utile.

Finalement, je vous remercie au nom de mes collègues. Et je remercie mes collègues encore une fois pour les questions réfléchies qu'ils vous ont posées.

(La séance est levée.)


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