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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 15 - Témoignages du 2 mai 2012


OTTAWA, le mercredi 2 mai 2012

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour poursuivre son étude sur la cohésion et l'inclusion sociales au Canada.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Mon nom est Kelvin Ogilvie. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et le président de ce comité. Je demanderais à mes collègues de se présenter eux-mêmes, en commençant par le vice-président, à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Je suis Art Eggleton, un sénateur de Toronto.

Le sénateur Merchant : Je suis Pana Merchant, de Regina, en Saskatchewan.

Le sénateur Cordy : Je suis Jane Cordy, un sénateur de la Nouvelle-Écosse. Bonjour.

[Français]

Le sénateur Verner : Josée Verner, du Québec.

Le sénateur Demers : Jacques Demers, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Seth : Je suis Asha Seth, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Martin : Bonjour. Je suis Yonah Martin, de Vancouver, en Colombie-Britannique.

Le sénateur Seidman : Je suis Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Merci, chers collègues.

Nous poursuivons notre étude sur la cohésion et l'inclusion sociales au Canada. Nous accueillons deux témoins aujourd'hui. Nous entendrons d'abord Miles Corak, professeur d'économie à l'Université d'Ottawa.

Monsieur Corak, si vous voulez bien commencer.

[Français]

Miles Corak professeur d'économie, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa, à titre personnel : Je suis très heureux d'avoir l'occasion de vous parler aujourd'hui d'un sujet très important : les inégalités.

[Traduction]

J'aimerais consacrer le temps que vous m'accordez à parler de trois choses. Premièrement, en ce qui concerne l'inégalité sur le marché du travail au Canada, deux ou trois facteurs entrent en jeu. Par conséquent, pour élaborer une politique gouvernementale visant à réduire l'inégalité, nous devons comprendre qu'elle doit régler plusieurs problèmes.

Deuxièmement, dans une société et sur le marché du travail, un certain degré d'inégalité est une bonne chose, mais un certain degré seulement. Au-delà de ce degré, l'inégalité commence à saper les possibilités.

En troisième lieu, j'aimerais présenter certaines réflexions sur les répercussions possibles de la récente récession sur les débouchés économiques.

Tout d'abord, l'inégalité a augmenté parce que ceux qui se trouvent au bas de l'échelle de distribution des revenus, ceux dont le niveau d'éducation est peu élevé, dont les compétences sont peut-être inappropriées et dont l'expérience de travail n'est pas forcément poussée n'ont pas vu leurs revenus augmenter et, peut-être même, dans bien des cas, les ont vus diminuer. Il y a quelque chose qui se produit dans la région inférieure de la répartition. Cela s'explique partiellement par les changements technologiques et le commerce international, alors que nous passons d'une économie de biens à une économie de services.

Deuxièmement, on constate qu'un certain nombre de personnes dans la tranche supérieure, les 25 ou 20 p. 100 supérieurs, ont vu leurs revenus augmenter de façon appréciable. Il s'agit de personnes plus instruites qui ont beaucoup d'ancienneté et qui sont donc un peu plus âgées. Le rendement de l'investissement dans ces compétences et ce capital humain a pour ainsi dire augmenté.

Enfin, la troisième cause d'augmentation de l'inégalité sur le marché du travail se rapporte à ce qui s'est produit au sommet, pour le 1 p. 100 dont on parle tant. De fait, même le tout aussi célèbre dixième du 1 p. 100 a connu une augmentation considérable de son bien-être économique, qu'il s'agisse de salaires ou d'autres sources de revenus, et ceci a changé considérablement au cours des 20 ou 30 dernières années.

Vous pouvez imaginer combien il serait difficile d'élaborer une politique gouvernementale; la solution miracle qui réglerait tous ces problèmes n'existe pas.

Vous avez peut-être remarqué que j'ai doucement amené une chose que nous devons aborder. Comme le pensent de nombreux observateurs raisonnables, je suis d'avis qu'il faut un certain degré d'inégalité dans la société. Il représente un incitatif, le citoyen y voit la possibilité d'augmenter son bien-être économique, et il s'accompagne de retombées positives sur les plans de la croissance et de la productivité économiques dans notre société.

Cependant, à partir d'un certain point, l'inégalité commence à saper les possibilités, et c'est à ce moment-là qu'elle devient un problème.

Je vous ai remis une figure, ou plutôt je l'ai remise à la greffière, et j'aimerais que nous nous y reportions. C'est la figure 1, où l'on peut voir la « courbe de Gatsby le Magnifique ». C'est un diagramme que j'ai repris du rapport qu'a publié le Council of Economic Advisors du président Obama en février dernier. On peut voir dans cette figure, de gauche à droite, l'augmentation de l'inégalité; le tracé horizontal montre que l'inégalité des sociétés s'accentue.

Le tracé de bas en haut indique que les sociétés démontrent de moins en moins de mobilité économique. De bas en haut, on peut voir que ce sont vos connaissances qui comptent, et non qui vous êtes. En particulier, cet indice que je présente ici montre à quel point le revenu d'une personne est relié au revenu de son père; il indique dans quelle mesure on peut prévoir le revenu d'une personne si on connaît le revenu de son père. Quand on remonte, il y a moins de mobilité — plus vos antécédents familiaux déterminent le cours de votre vie, moins, par conséquent, vos talents, vos efforts et votre motivation sont récompensés.

Le diagramme de dispersion montre que les sociétés qui ont plus d'inégalité à un moment donné sont susceptibles de présenter moins de mobilité entre les générations au fil du temps. Je peux vous donner plus de détails à ce sujet, mais vous pouvez considérer le mouvement de bas en haut comme une mesure de l'égalité des chances, celle-ci diminuant au fur et à mesure que l'on monte.

La mesure de l'inégalité remonte à 1985. D'après cette figure, le Canada réussit relativement bien : niveaux d'inégalité modérés, mais beaucoup de mobilité au fil du temps. Le cours de la vie d'un enfant n'est pas déterminé par ses antécédents familiaux. Les personnes pauvres peuvent échapper à la pauvreté, et rien de garantit que les enfants des personnes riches seront riches à leur tour. C'est une indication que le marché du travail récompense les talents et les efforts.

À l'aube d'une période de plus grande inégalité, nous devons relever le défi que constitue la difficulté de ne pas perdre cette promesse de possibilités, et les facteurs qui déterminent cette perspective sont le fonctionnement des familles, le fonctionnement des marchés du travail, l'assise qu'ont les familles dans les marchés du travail et, surtout, la mesure dans laquelle la politique gouvernementale est progressiste et la mesure dans laquelle cette politique gouvernementale est relativement plus à l'avantage des démunis. Je vous donnerai avec plaisir beaucoup plus de détails à ce sujet si vous voulez.

Le troisième point dont je voudrais vous parler se résume à quelques brèves réflexions sur les répercussions de la récente récession et sur l'érosion de l'égalité des chances qu'elle pourrait causer.

Il est important de ne pas perdre de vue le moyen terme et le long terme. Au Canada, je ne pense pas que la récession par laquelle nous sommes passés sapera les chances des enfants, et c'est en faisant la comparaison avec les États-Unis qu'on peut mieux le voir. Si une famille subit une mise à pied permanente, elle subit une diminution permanente de son bien-être économique. Il est difficile de se remettre de la perte d'un emploi syndiqué dans un solide secteur manufacturier, et les revenus de cette famille s'en trouveront diminués pour toujours. Ce genre de chose ne s'est pas produit autant au Canada qu'aux États-Unis.

L'autre chose qui s'est produite aux États-Unis, c'est l'érosion d'une grande part de la richesse, notamment dans le marché immobilier. Cela ne s'est pas produit dans la même mesure au Canada. De pair avec le marché immobilier allait la condition des enfants. De nombreuses personnes ont dû déménager. La vie des enfants a été perturbée. Ils ont dû vivre ailleurs, changer d'école, et cela peut avoir eu sur eux des effets négatifs. Là encore, cela ne s'est pas produit de façon aussi marquée au Canada.

Le type d'investissement consacré aux enfants, surtout sur le plan du système d'éducation, n'a pas été réduit aussi radicalement qu'il l'a été dans certains États américains . J'ai eu l'occasion l'an dernier de vivre au New Jersey, et il y avait là-bas un très grand débat au sujet du financement des services publics et du fait que l'érosion affligerait les personnes au bas de l'échelle de répartition des revenus plus que d'autres. Cela ne s'est pas produit autant au Canada.

Je ne pense pas que la récession aura nécessairement de grandes répercussions, mais l'égalité des chances sera déterminée par les facteurs à plus long terme associés à la façon dont les familles fonctionnent, à l'assise qu'ont les familles sur un marché du travail plus polarisé, et à la façon dont la politique du gouvernement évolue, toutes des choses qui sont plus difficiles en période de plus grande inégalité.

Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

Le président : Merci. Je corrige tout de suite le compte rendu. M. Corak est professeur d'économie à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

Je vais maintenant présenter correctement M. Beach, qui est professeur d'économie au Département des sciences économiques de l'Université Queen's.

Charles Beach, professeur d'économie, Département des sciences économiques, Université Queen's, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invité à cette séance du comité sénatorial. Mon exposé oral se composera des faits saillants des principaux points de mon mémoire, que vous avez déjà en main. J'attire votre attention sur la section 1 de mon mémoire, qui porte sur la façon habituelle de mesurer l'inégalité des revenus, puis je passe directement aux sections 2 et 3.

La section 2 porte sur l'évolution de l'inégalité, c'est-à-dire les particularités ou façons dont l'inégalité a augmenté au cours des dernières décennies.

Tout d'abord, depuis la fin des années 1970, il y a eu effectivement une hausse substantielle de l'inégalité des revenus au Canada.

Deuxièmement, cette hausse de l'inégalité est largement attribuable à une augmentation substantielle de l'inégalité entre les gains des travailleurs sur le marché du travail. C'est le principal moteur de cette hausse.

Troisièmement, elle est également associée à une polarisation croissante des gains et au déclin des emplois de la classe moyenne, à une montée spectaculaire du groupe de revenus supérieurs et à des différences de plus en plus grandes entre les gains des travailleurs hautement spécialisés et ceux des travailleurs moins qualifiés.

Quatrièmement, ces différences sont stimulées en grande partie par l'activité des employeurs sur le marché du travail.

La section 3 de mon mémoire porte sur les facteurs qui expliquent principalement l'accroissement de l'inégalité des revenus. Ces facteurs sont liés à la demande, ou la partie patronale, du marché du travail.

En passant, de nombreuses théories ont été avancées. Compte tenu du temps alloué, je me concentrerai sur les deux qui prévalent actuellement dans les recherches publiées.

Il y a tout d'abord ce que j'appelle « l'explication liée à la mondialisation et au commerce international ». En raison de la croissance de la concurrence internationale, en particulier pour la production de biens, et de la mondialisation accrue de la production, les emplois manufacturiers sont envoyés à l'étranger, où les salaires sont moins élevés. La plupart des emplois dans le secteur manufacturier sont relativement peu spécialisés, alors la demande de travailleurs peu qualifiés a chuté, et il y a donc eu déclin des professions à rémunération moyenne et de l'emploi de ces travailleurs. Cependant, on oublie souvent que la mondialisation accrue élargit aussi le marché des travailleurs hautement spécialisés. La demande de tels travailleurs augmente donc aussi, entraînant des salaires plus élevés et davantage d'emplois pour ceux-ci au Canada. Cela a donné lieu, dans l'ensemble, à l'accentuation des différences attribuables aux compétences et à l'inégalité grandissante des revenus sur le marché du travail, ainsi qu'au recul du nombre d'emplois à rémunération moyenne, en particulier chez les hommes.

Pour ce qui est de la deuxième explication importante de l'évolution de l'inégalité qui est avancée dans les documents de recherche, je dirais qu'elle est liée à l'évolution de la technologie. Les progrès technologiques concernant les puces et le traitement de l'information ont transformé la nature du travail et l'organisation des lieux de travail. On dit de ces progrès qu'ils sont influencés par les compétences, car ils favorisent les travailleurs hautement spécialisés et ayant de grandes aptitudes. Parallèlement, les travailleurs peu spécialisés, qui ont moins d'aptitudes ou qui accomplissent principalement des tâches répétitives s'en trouvent supplantés. Il ne s'agit pas uniquement des emplois du secteur manufacturier, mais aussi de ceux du secteur des services. La complémentarité entre les technologies et les compétences a stimulé la demande de main-d'œuvre qualifiée, diminué la demande d'anciens emplois relativement payants et nécessitant peu d'aptitudes, creusé les différences salariales attribuables aux compétences, accentué l'inégalité des revenus, et causé la polarisation de la rémunération chez les hommes au sein de l'économie.

Les explications ayant trait au commerce international et aux technologies de l'information, dont il est question dans le titre de mon mémoire, justifient conjointement l'accentuation des inégalités.

Le président : Merci messieurs. Nous allons maintenant passer aux questions, à commencer par le sénateur Eggleton.

Le sénateur Eggleton : Merci, messieurs, de votre présence aujourd'hui. Je note que M. Beach est sur le point de prendre sa retraite, mais qu'il prend quand même le temps de venir nous parler; c'est formidable. Il a par ailleurs des antécédents fort remarquables pour ce qui est de traiter de ce genre de questions. M. Corak est déjà venu nous parler quand nous faisions notre étude sur la pauvreté, le logement et l'itinérance . Il a témoigné à ce moment-là.

Je vais vous adresser une question à tous les deux, mais je vais d'abord faire un commentaire sur ce que M. Corak a dit dans son exposé. Vous avez dit qu'un certain degré d'inégalité n'est pas mauvais. Nous devons être vigilants et surveiller jusqu'où ira l'inégalité. Vous nous avez comparés aux États-Unis, disant que les choses sont bien plus graves chez eux. Cependant, je crois comprendre aussi que le rythme s'est accéléré au Canada au cours des 20 dernières années environ. Peut-être que le rythme dépasse celui qu'on a connu aux États-Unis.

Selon l'OCDE, nous sommes au-dessus de la moyenne en ce qui a trait à l'inégalité des revenus dans ses pays membres. Le Conference Board a récemment mené une étude qui portait sur 17 pays de l'OCDE et a déclaré que nous étions au douzième rang. On ne dirait pas que nous sommes sur la bonne voie. Il semble que nous ayons ici la pire inégalité de revenus qui soit. L'OCDE a aussi dit que le revenu moyen des Canadiens qui se situent dans la fourchette des 10 p. 100 supérieurs est 10 fois plus élevé que le revenu de ceux qui sont dans les 10 p. 100 inférieurs.

Si c'est la tendance, et vous pourriez peut-être commenter cela, quelles sont les conséquences? Notre comité se penche sur l'inclusion sociale et la cohésion sociale. Pourquoi devrions-nous nous préoccuper de cette question? Quelles sont certaines des solutions que nous pourrions envisager au fédéral? Je vous adresse cette question à tous deux, mais je commencerais par M. Corak.

M. Corak : Merci beaucoup. Je ne veux certainement pas minimiser le genre de changements que nous vivons, et il ne faut pas croire, par mes remarques, que je cherche à les minimiser. Comme l'a mentionné le sénateur, l'OCDE a publié l'an dernier un rapport très complet selon lequel l'inégalité a augmenté de façon très nette au Canada et dans les autres pays anglophones. Dans une certaine mesure, le 1 p. 100 supérieur en est aussi un facteur contributif. Une part croissante des revenus va au 1 p. 100 supérieur — dans tous les pays anglophones —, et le Canada et le Royaume-Uni suivent de près les États-Unis, qui sont en tête.

Comme votre question le laisse entendre, je me préoccupe de savoir pourquoi cela doit nous inquiéter et quelles en sont les conséquences. On fait souvent une distinction entre inégalité des résultats et inégalité des chances. Il est de plus en plus reconnu que l'inégalité des résultats contribue à l'inégalité des chances et, de ce fait, elles réduisent les occasions. C'est sur ce plan que je cherche à faire une mise en garde.

C'est quelque chose qui a beaucoup attiré l'attention aux États-Unis, car cela tranche avec la métaphore qui définit ce pays, celle du « rêve américain » selon lequel n'importe qui peut réussir dans la vie, quelle que soit la situation. En fait, ce n'est plus tellement le cas aux États-Unis. Si nous nous engageons sur cette voie, ce ne sera alors probablement pas une bonne chose à long terme.

Pourquoi cela arrive-t-il et pourquoi l'inégalité nuit-elle à l'égalité des chances? Voilà comment j'interpréterais votre question.

Tout d'abord, quand le marché du travail est plus polarisé et qu'il est plus avantageux d'avoir des compétences, comme l'a mentionné M. Beach, les parents aisés sont plus motivés à se concentrer sur leurs enfants, et ils ont davantage les moyens de le faire. Certains groupes de la société peuvent alors prendre de l'avance, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose.

Cependant, à l'autre extrême, un marché du travail plus polarisé est source de stress accru pour les familles. Pour gagner un revenu raisonnable, les deux parents doivent travailler. De plus grandes contraintes de temps s'exercent sur les familles. On a moins de temps à consacrer aux enfants. Ce genre de contraintes finit parfois par faire éclater des familles. Les enfants, là encore, se trouvent dans des situations plus précaires. Une inégalité accrue dans les marchés du travail se traduit par une plus grande difficulté à prendre pied.

Une inégalité accrue a aussi pour résultat de changer notre propos politique et la nature de nos débats en matière de politique gouvernementale. Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, il est important que la politique gouvernementale soit relativement plus bénéfique pour ceux qui sont relativement plus défavorisés. Au fur et à mesure que l'inégalité s'installe dans notre société, certaines personnes en viennent à prendre plus de place que d'autres sur la scène politique, et la façon dont nous parlons de politique gouvernementale change. Nous l'avons constaté récemment, en Ontario, où l'on a cherché à augmenter l'impôt des personnes très riches. Il était question d'un taux d'imposition marginal qui s'appliquait à un très petit segment de la population, mais cela a causé une grande controverse. Ce n'est qu'un exemple de politiques progressistes.

Que pouvez-vous faire au fédéral pour enrayer l'inégalité? Eh bien, commençons par parler de l'extrémité inférieure. M. Beach a fait allusion aux travailleurs peu qualifiés qui gagnaient raisonnablement leur vie auparavant avec un emploi syndiqué dans une mine, dans une scierie ou dans le secteur manufacturier. Nous avons besoin de créer, dans une certaine mesure, une économie de forte demande pour le niveau inférieur. Il nous faut prendre ces services et leur faire revêtir une plus grande valeur; commencer à offrir ce que l'extrémité supérieure veut réellement. Conférer aux gens un ensemble de compétences qui transforme la construction et la menuiserie en ébénisterie, et les services de garde en éducation des jeunes enfants, de sorte que les compétences liées aux services gagnent en prestige.

Vous pourriez également envisager, à l'extrémité inférieure, de rendre le travail payant. Nous avons une bonne politique gouvernementale, en principe à tout le moins : la Prestation fiscale pour le revenu de travail, annoncée il y a quelques années dans le budget. On pourrait élargir considérablement la portée de cette prestation fiscale et offrir un seuil plus bas pour les revenus que les personnes peu qualifiées pourraient gagner.

Ceci étant dit, vous pourriez aussi travailler à l'autre extrémité et augmenter l'impôt des mieux nantis, ce qui peut être fait de plusieurs façons. Il y a le système d'impôt sur le revenu, et nous pourrions avoir une longue discussion sur le sujet. D'importants gains en capital ne sont pas imposés de la même manière. J'ai toujours été surpris par les énormes exemptions qu'on peut avoir concernant les gains en capital sur la résidence principale. Nous avons un marché du logement qui est à la limite de la bulle, et je ne sais pas vraiment pourquoi les riches s'en tirent avec d'énormes gains en capital quand ils vendent leur maison. C'est une sorte d'impôt des personnes relativement bien nanties qu'il est difficile d'éviter, si vous voulez.

Vous pouvez aussi envisager de permettre aux gens de faire la moyenne de leurs revenus sur plusieurs années et d'être imposés sur leur revenu moyen. Supposons qu'une personne est relativement aisée, qu'elle occupe un emploi syndiqué dans une usine de fabrication ou de construction automobile, et qu'elle perd son emploi. Si les gens qui ont perdu leur emploi et qui subissent de ce fait une réduction permanente de revenu pouvaient faire la moyenne de leurs revenus sur plusieurs années, ils recevraient le remboursement de l'impôt qu'ils auraient, de fait, payé en trop les années antérieures. Il y a un certain nombre d'autres mesures, mais je crois qu'elles sortent du domaine du marché du travail; je m'en tiendrai donc à cela.

M. Beach : M. Corak a traité d'un certain nombre de points, et j'en ajouterais quelques autres.

En ce qui concerne la question posée, oui, il est certain que l'inégalité des revenus au Canada, quelle que soit la façon dont on la mesure, dépasse la moyenne de l'OCDE. Comme pour bien d'autres choses, nous nous situons entre l'Europe d'un côté de l'Atlantique et du système américain de l'autre; généralement, nous nous rapprochons des États- Unis aux deux tiers et de l'Europe au tiers.

Quant à savoir pourquoi, je dirais que c'est en grande partie parce que notre économie se rapproche plus de celle des États-Unis que de celle d'autres pays, et il en va de même pour le Royaume-Uni. Ces trois économies sont moins réglementées, moins régies du haut vers le bas que celles de plusieurs pays européens où l'évolution de l'inégalité a été moins marquée, ou n'existe pratiquement pas dans certains cas.

En ce qui concerne l'évolution de la technologie, oui, elle semble s'être accélérée. Cependant, l'évolution de la technologie a toujours été difficile à mesurer, ce qui est un problème. Nous savons que si on mesure le PNB par habitant ou par heures travaillées, aux États-Unis, il s'est plus ou moins maintenu pendant plusieurs décennies à environ 1,5 p. 100 par année puis, en 1995-1996, pour des raisons qu'on ne comprend toujours pas, il a doublé à 3 p. 100 par année et se maintient à ce niveau depuis.

Le PNB du Canada, lui, n'a pas augmenté, et c'est un des véritables problèmes de longue date; la productivité n'a pas augmenté au Canada aussi rapidement qu'aux États-Unis. Il est possible que la donne ait changé au cours des deux dernières années avec la hausse du dollar canadien; les biens d'équipement, dont la plus récente technologie vient généralement des États-Unis, sont moins chers qu'à l'époque où le dollar vacillait autour de 62 cents et où il était bien plus coûteux de se procurer cette nouvelle technologie avec des dollars canadiens.

Selon certaines indications préliminaires, les entreprises investissent des sommes de plus en plus considérables dans ces biens d'équipement, y compris la nouvelle technologie. Il est possible que le taux de productivité augmente au Canada au cours des cinq prochaines années. C'est ce que je prédis.

Pour ce qui est de la question de savoir pourquoi nous devrions nous en soucier, sans vous donner un cours magistral, permettez-moi d'ajouter certains points aux arguments présentés par M. Corak. Il y a assurément l'argument de l'équité, l'esprit fondamental de l'égalité des chances, et un certain égard envers ceux dont le niveau de vie baisse, les nombreuses personnes dans la société dont les possibilités d'avancer dans la vie s'amenuisent, surtout celles qui n'ont aucun choix en la matière, comme les enfants des personnes qui subissent les retombées négatives des changements sur le marché du travail et ailleurs. Il y a aussi d'importants arguments sur le plan de l'efficience qui ont été avancés dans la documentation au cours des 15 dernières années environ. La plupart d'entre eux étaient formulés dans le contexte des États-Unis, mais ils s'appliquent tout aussi bien au Canada, même si l'évolution de l'inégalité n'a pas été aussi radicale ici qu'aux États-Unis.

Je commencerais par ce que j'appelle les arguments d'efficience économique : que l'inégalité nuit à la croissance économique et à l'activité macroéconomique. Une inégalité qui va croissant et une pauvreté accrue peuvent diminuer l'investissement en capital humain et les activités des entreprises, les coûts de démarrage étant assez considérables du fait que les possibilités d'éducation et d'investissement sont moins à la portée des gens. Il en résulte une réduction de la croissance économique sur tous les plans, surtout si cet état de choses se maintient pendant des années ou des décennies.

La pauvreté accrue est associée à plusieurs choses : mauvaise alimentation, piètres conditions de logement et d'hygiène, taux de criminalité plus élevé, stress — comme cela a déjà été mentionné —, baisse de longévité et moindre croissance de la productivité, tant pour les personnes elles-mêmes que pour celles avec qui elles interagissent dans l'économie.

La documentation indique aussi un certain nombre d'éléments d'efficience politique en ce qui concerne les raisons pour lesquelles l'accroissement des inégalités devrait nous inquiéter. Il pourrait être associé à un accroissement des conflits sociaux, de la violence et du taux de criminalité, ce qui réduirait la sécurité du droit à la propriété et rendrait moins attrayantes les dépenses en investissement. Ce n'est pas que les personnes qui seraient disposées à faire un investissement s'abstiendraient de le faire; elles choisiraient plutôt de ne pas le faire en Argentine, par exemple, et le feraient ailleurs. Ce sont là des arguments qui devraient être matière à inquiétude.

Le sénateur Seth : Un des plus gros problèmes auxquels sont confrontés les nouveaux immigrants au Canada est la reconnaissance des qualifications étrangères et de l'expérience professionnelle à l'étranger. Il leur est donc difficile de trouver de bons emplois et de s'intégrer dans la société. Pouvez-vous expliquer comment cet obstacle nuit aux nouveaux immigrants? Aussi, quelles mesures pourraient améliorer la reconnaissance des qualifications?

M. Beach : Faire reconnaître leurs qualifications au Canada est certainement un véritable problème pour les nouveaux immigrants depuis un certain temps déjà, mais ce problème s'est intensifié au cours des 15 dernières années environ, depuis que nous avons un système de points d'appréciation en vigueur pour les immigrants qui entrent en vertu de la catégorie « immigration économique ». Le système de points d'appréciation est axé presque exclusivement sur les spécialités « col blanc », autrement dit beaucoup d'éducation. Notre système attire les personnes qui ont beaucoup d'éducation et peut-être de qualifications, mais une fois arrivées dans le pays, elles ont de la difficulté à les faire reconnaître. On a entendu nombre d'histoires de personnes qui étaient médecins dans leur pays et qui sont chauffeurs de taxi à Toronto.

Il y a plusieurs moyens de faire face à cela. Tout d'abord, comme vous le savez peut-être, M. Kenney, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, a fait plusieurs déclarations sur le sujet au cours des 12 derniers mois et en fera d'autres au cours des prochains mois. Il a dit, entre autres, que Citoyenneté et Immigration envisage d'apporter au système de points d'appréciation des modifications qui permettraient une meilleure reconnaissance des spécialités « col bleu » et ce, en partie pour alléger le fardeau de ceux qui devront faire face au problème des qualifications.

Il y a également eu une déclaration préliminaire selon laquelle on s'efforcera davantage d'informer les immigrants éventuels — dans leur pays d'origine, au moment où ils présentent leur demande — de l'existence de ces obstacles supplémentaires ici. Je crois que l'Australie a déjà fait quelques pas dans cette direction et que nous les suivrons peut- être. Il est question aussi d'intégrer au processus de demande une certaine évaluation des qualifications avant que les immigrants n'arrivent effectivement, de sorte que nous puissions être plus francs en disant aux gens quels problèmes ils peuvent s'attendre à devoir surmonter.

Enfin, il y a 18 mois, CIC a pris l'initiative de négocier avec les provinces et les territoires — et par leur intermédiaire, avec diverses associations professionnelles qui ont un rôle important dans la reconnaissance des qualifications — pour déterminer des moyens d'accélérer le processus de reconnaissance. Ils font tous de très gros efforts dans ce sens, mais il reste encore beaucoup à faire.

M. Corak : Je profiterai de votre question pour parler de l'incidence éventuelle des règles de sélection sur l'inégalité en général dans la société. Dans la mesure où nous continuerons à attirer dans le pays des immigrants hautement qualifiés, nous verrons des contraintes à la baisse s'exercer sur les salaires à l'extrémité supérieure. D'après certaines études, cet effet se fait légèrement sentir, ce qui est une bonne chose, en quelque sorte, dans le contexte de l'inégalité.

Inversement, si nous augmentons le nombre de personnes peu spécialisées que nous faisons entrer sur le marché du travail, nous faisons exactement le contraire de ce que nous voulons si nous nous préoccupons de l'inégalité. Notamment, cela exercerait une plus grande pression à la baisse sur les salaires de la main-d'œuvre peu spécialisée, ce qui exacerberait le problème de ce côté, et cela irait à l'encontre ce dont j'ai parlé plus tôt : une économie à fortes contraintes et à salaires plus élevés à l'extrémité inférieure.

Le sénateur Demers : Les répercussions des revenus et de l'inégalité peuvent varier. Y a-t-il des régions ou des villes qui sont plus touchées que d'autres?

M. Corak : Cela varie considérablement d'un bout du pays à l'autre. Il est important de garder à l'esprit ce qui a changé, car nous avons toujours eu une bonne mesure d'inégalité dans le pays. Manifestement, l'aspect qui importe le plus pour vous et pour d'autres, c'est le boom des ressources dans les provinces de l'Ouest. La proportion des revenus les plus élevés, par exemple, a beaucoup changé dans les provinces. Par exemple, l'Alberta mène dans la fraction des revenus totaux allant au 1 p. 100 supérieur, suivie de l'Ontario, puis de la Colombie-Britannique, les autres provinces étant relativement loin derrière.

Une bonne partie de cette variation est associée à la flambée du prix des produits de base.

M. Beach : Permettez-moi d'ajouter quelque chose. Les arguments que j'ai soulevés s'appuient tous deux sur la perte d'emplois dans le secteur manufacturier et sur une transition graduelle vers des emplois axés davantage sur les services. Autrement dit, le cœur du Canada, si vous voulez, l'Ontario et le Québec qui détenaient depuis toujours une fraction disproportionnée du secteur manufacturier, a été frappé dans une mesure également disproportionnée par cette évolution continue.

Le sénateur Cordy : Monsieur Corak, je sais que vous en avez parlé plus tôt. Au cours de mon enfance au cap Breton, pendant la Seconde Guerre mondiale et par la suite, beaucoup d'immigrants sont venus. Ils n'étaient pas spécialisés, mais ils ont trouvé de bons emplois dans les mines de charbon et les usines d'acier. Ils ont pu faire bien vivre leurs familles, mais il n'en va pas de même pour les nouveaux immigrants de nos jours.

Sommes-nous en train de perdre notre classe moyenne? Monsieur Beach, votre mémoire s'intitule Canada's Hollowing-Out Inequality Rise in an I.T. World. Aux États-Unis, on parle de l'érosion de la classe moyenne; alors est-ce que notre classe moyenne est en voie de disparition?

Dans un groupe de travail sur la pauvreté auquel j'ai participé, quelqu'un a dit que nous avons maintenant les très riches et les très pauvres. Elle a dit que si vous ne pensez pas que vous serez parmi les très riches, vous avez intérêt à vous assurer que les bonnes politiques sont mises en œuvre, parce que vous ferez partie des très pauvres. Qu'arrive-t-il à notre classe moyenne au Canada, et à quel point cela est-il important?

M. Beach : À ma connaissance, il n'y a pas eu d'études ces dernières années au Canada portant explicitement sur ce sujet, mais les études menées à la fin des années 1990 ou autour de l'an 2000 montrent un certain recul de la proportion des familles qui se situent vers le milieu de l'échelle du revenu — un recul moins marqué qu'aux États-Unis — et une augmentation correspondante vers le haut de l'échelle.

À mon avis, le soi-disant déclin de la classe moyenne est un peu un faux problème. Si vous examinez les revenus moyens des ménages vers le milieu de l'échelle du revenu, les données révèlent qu'ils perdent du terrain, ce qui constitue un changement plus important en soi. Le problème n'est pas tant que la classe moyenne disparaît, mais qu'elle perd du terrain sur le plan du revenu, contrairement à ce qui se produit au sommet de l'échelle. Les membres de la classe moyenne ont simplement moins de ressources financières que ceux de la génération précédente pour envoyer leurs enfants à l'école, payer l'hypothèque et ainsi de suite.

Le sénateur Cordy : Il y a une classe moyenne, mais pas aussi riche qu'elle l'était.

M. Beach : C'est juste.

M. Corak : J'ajouterais un mot au sujet des perceptions de l'avenir, de ce à quoi la classe moyenne peut s'attendre pour ses enfants. En un sens, c'est en partie ce que nous voyons dans le mouvement des indignés, c'est-à-dire des gens relativement scolarisés qui font face à une glissade vers le bas de l'échelle sociale.

Le sénateur Cordy : Que pensez-vous du clivage entre la ville et la campagne, en ce qui concerne l'égalité du revenu? De toute évidence, en Nouvelle-Écosse, et j'irais jusqu'à dire à la grandeur du pays, nous assistons à un exode de la campagne vers la ville. Y a-t-il un clivage en ce qui concerne la disparité du revenu? Y a-t-il une différence entre une région urbaine et une région rurale, ou le même phénomène se répète-t-il peu importe où vous vivez?

M. Beach : Je n'ai pas de réponse sur le clivage entre la campagne et la ville. Je soupçonne que les choses n'ont pas beaucoup changé depuis 40 ans. Je dirais que les grands mouvements sont plutôt de nature régionale, entre l'Ontario ou le Québec et l'Alberta par exemple, ou par rapport au secteur de l'énergie dans l'économie. Je dirais que les mouvements régionaux sont beaucoup plus évidents.

Le sénateur Cordy : Je sais que beaucoup d'habitants de l'Atlantique travaillent en Alberta ou en Saskatchewan, puis reviennent à la maison, et vous voyez alors des voitures neuves et un revenu accru, mais ce revenu a été gagné en Alberta.

M. Corak : Ce n'est pas une mauvaise chose.

Le sénateur Cordy : Ce n'est pas une mauvaise chose, c'est vrai.

M. Corak : C'est le signe d'un marché du travail bien huilé, quand les gens réagissent aux indicateurs et qu'ils peuvent supporter ces coûts et qu'ils maintiennent leurs liens.

Le sénateur Cordy : Nous étudions ici l'inclusion sociale. Monsieur Corak, je crois que vous avez fait allusion plus tôt à ce que nous qualifierions presque de déterminants sociaux de la santé, c'est-à-dire que si votre revenu est peu élevé, vous êtes défavorisé à bien des égards.

Comme nous étudions l'inclusion sociale, que diriez-vous de l'effet que l'inégalité financière ou l'inégalité des revenus peut avoir sur l'inclusion sociale? Est-ce que les gens ont un sentiment d'appartenance à la société?

M. Corak : Ma réponse sera générale. Voilà pourquoi je vous ai demandé de penser à l'égalité des chances, quand je vous ai présenté ma petite diapositive. C'est une forme de gradient, pour ainsi dire. La mesure dans laquelle vos revenus à l'âge adulte sont liés aux revenus de vos parents illustre toute une série de gradients : la qualité du départ que vos enfants auront dans leur vie ou leur état de santé est lié à leurs antécédents financiers familiaux. Toutes les transitions par lesquelles les enfants doivent passer se superposent au fil du temps et l'index que j'ai essayé de vous présenter en est le résultat net. Je pense que c'est un assez bon indicateur de l'inclusion, en un sens, parce qu'il permet de jauger notre capacité à investir dans nos enfants et à leur permettre de devenir tout ce qu'ils peuvent devenir. Si nous avons tous le sentiment que cette possibilité existe, nous pouvons alors accepter dans une certaine mesure les disparités auxquelles nous faisons face.

M. Beach : J'ajouterais simplement que le grand changement, pour ainsi dire, en ce qui concerne l'inégalité au Canada s'observe essentiellement du milieu au sommet de l'échelle. Ce n'est pas que les plus riches s'enrichissent et que les plus pauvres s'appauvrissent. La position relative des pauvres n'a pas beaucoup changé au Canada, ce qui est assez différent de la situation qui prévaut aux États-Unis, où les pauvres ont vraiment perdu beaucoup de terrain.

Comme je l'ai dit, le changement au Canada tient davantage au fait que la classe moyenne perd du terrain par rapport aux revenus au sommet de l'échelle. La perte d'inclusion sociale est l'une des raisons qui nous poussent toujours à nous préoccuper de la pauvreté. Les pauvres ne peuvent tout simplement pas participer aux activités de la société comme celle-ci estime qu'ils devraient pouvoir le faire. C'est un grave problème, mais il n'a pas beaucoup changé au cours des dernières années.

Je qualifierais la perte d'inclusion sociale, ou la crainte de l'éventualité d'une perte d'inclusion sociale, de préoccupation propre à classe moyenne, à toutes fins pratiques, parce que ses membres semblent perdre du terrain par rapport à tout ce qu'ils voient à la télévision et au cinéma, les grosses maisons et les voitures exotiques et toutes ces choses. Ils ne peuvent tout simplement pas bénéficier de ces choses comme même leurs parents auraient peut-être pu le faire il y a une génération. À mon avis, c'est là où la perte est la plus évidente.

Le sénateur Cordy : C'est la glissade vers le bas de l'échelle sociale dont vous parliez plus tôt.

M. Beach : C'est exact.

Le sénateur Cordy : C'est intéressant.

Le sénateur Seidman : Monsieur Corak, vous avez parlé de la Prestation fiscale pour le revenu de travail que le gouvernement a présentée dans le budget de 2007.

M. Corak : C'est juste.

Le sénateur Seidman : Depuis, la prestation a doublé dans la phase de stimulation du Plan d'action économique pour le Canada. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cette Prestation fiscale pour le revenu de travail encourage des gens à entrer sur le marché du travail et comment cela stimule l'économie dans son ensemble?

M. Corak : Avec plaisir. Cette mesure a été présentée dans le budget de 2007, comme vous l'avez dit. Elle ressemble en partie à un important programme en vigueur aux États-Unis, le crédit d'impôt pour le revenu de travail.

Le programme donne aux personnes à faible revenu un encouragement plus grand à entrer sur le marché du travail. Essentiellement, il équivaut presque à un salaire social, si vous voulez. Vous touchez un salaire du marché auquel s'ajoute la Prestation fiscale pour le revenu de travail. Certains paramètres s'appliquent. Vous y êtes admissible à partir d'un certain niveau de revenu, puis la prestation diminue graduellement à différents niveaux. Vous pourriez envisager de modifier ces paramètres — c'est en quelque sorte ce que j'essayais de dire — pour rendre la prestation plus généreuse. Elle semble poser problème tout au bas de l'échelle. Si on pouvait en élargir la portée et l'intégrer au régime d'assurance-emploi, cela donnerait un intéressant seuil de gains du marché du travail.

Ce n'est pas forcément mauvais de participer au marché du travail. C'est très important même pour les enfants. Nous avons constaté qu'une forme de dépendance peut se développer dans un ménage, si les parents se fient aux transferts sociaux sur une très longue période. Cependant, comme vous pouvez l'imaginer, l'inconvénient dans les familles monoparentales ou à double revenu est lié au stress des horaires qui en découle. Il est important pour les enfants de recevoir de leurs parents non seulement des ressources financières, mais aussi des ressources non financières.

J'optimiserais ce programme en étendant un peu sa portée, puis en envisageant de laisser aux parents un peu plus de latitude pour prendre des congés grâce au régime d'assurance-emploi. En principe, nous leur accordons un certain nombre de jours de congé lorsqu'ils ont un nouvel enfant, qu'ils doivent prendre soin d'un parent âgé qui tombe malade ou qu'ils sont eux-mêmes malades, mais on pourrait envisager d'accorder aux parents un peu plus de souplesse. Nous leur demandons de participer davantage au marché du travail. Comme il n'y a pas de programme national de garderie, les ménages vivent beaucoup plus de stress en conséquence. À mon avis, une plus grande latitude pour s'absenter du travail grâce au régime d'assurance-emploi constituerait un complément harmonieux à la Prestation fiscale pour le revenu de travail.

Le sénateur Seidman : Monsieur Beach, vous avez quelque chose à ajouter?

M. Beach : Non, c'est une meilleure réponse que celle que j'aurais pu donner.

Le sénateur Seidman : Si je peux me permettre de continuer de faire appel à vos connaissances, je passerais à un autre sujet. Dans le budget 2012, le gouvernement a annoncé qu'il formerait un groupe d'experts sur les possibilités d'emploi des personnes handicapées. Le groupe recensera les réussites et les pratiques exemplaires du secteur privé concernant la participation de personnes handicapées au marché du travail. Le ministre des Finances et le ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences prendront connaissance du rapport du groupe d'experts avant la fin de 2012. Pourriez-vous nous dire sur quel sujet vous aimeriez que le groupe d'experts se penche?

M. Beach : Je connais peut-être moins bien que M. Corak les différentes options fiscales, mais une chose me vient immédiatement en tête, soit la possibilité d'utiliser la taxe sur la masse salariale, que ce soit par l'intermédiaire de l'assurance-emploi ou d'une quelconque autre forme de taxe sur la masse salariale, afin de réduire les cotisations des entreprises sur la masse salariale si elles font des efforts pour embaucher des travailleurs handicapés et mieux les intégrer dans leur effectif. Je suis très favorable à l'idée d'offrir des carottes et de dire : « Eh bien, voilà une bonne chose à faire. Faisons en sorte qu'il en vaille la peine pour les employeurs de faire cet effort. »

M. Corak : Madame le sénateur, j'aimerais simplement souligner l'importance de ce projet. Je ne connais pas assez bien ce domaine pour faire de savantes observations, mais je sais que de nombreuses agences de placement de personnes handicapées craignent pour la stabilité de leur financement. Les possibilités d'emploi dans ce secteur sont nombreuses, et des agences de placement aident des personnes ayant des handicaps de toute nature à faire la transition vers le marché du travail. Le problème, c'est qu'elles doivent passer d'un programme à un autre. Il est difficile de planifier à moyen terme. Je dirais, sur un plan uniquement anecdotique et non à titre d'économiste du travail, que ce serait une préoccupation, mais je n'ai pas vraiment de connaissances spécialisées dans ce domaine.

Le sénateur Callbeck : Merci d'être ici. Monsieur Beach, je parcours votre déclaration écrite et je suis fascinée par le tableau 2 sur le revenu imposable. On peut voir au bas du tableau 5 p. 100, puis on passe de 5 à 10 et ainsi de suite jusqu'à 15 à 20. De quel ordre de grandeur parlons-nous ici en fait de salaires?

M. Beach : Pour être bref, je ne sais pas. Il faudrait que je consulte les données de Statistique Canada. De fait, ces chiffres ne proviennent pas d'enquêtes de Statistique Canada. Ils ont été calculés à partir de données de Revenu Canada basées sur les déclarations de revenus qui nous fournissent un très grand nombre d'observations à partir desquelles nous pouvons calculer ce détail. Je ne connais tout simplement pas les chiffres. Je pourrais fouiller et trouver la médiane. Pour les familles, le revenu familial médian actuel d'une famille économique, un ménage comptant au moins deux personnes, c'est quelque chose comme 70 000 $, je pense.

Le sénateur Callbeck : Les 5 p. 100 au bas du tableau, moins...

M. Beach : Ces revenus sont très faibles.

Le sénateur Callbeck : On indique moins 1. Est-ce que cela signifie qu'elles ont obtenu des remises?

M. Beach : Pensez à un dentiste qui dépend du revenu de son travail autonome et supposons qu'il soit terrassé par une crise cardiaque et qu'il ne travaille pas pendant huit mois. Il doit continuer de payer les dépenses de son cabinet et ainsi de suite, donc cette année-là, il peut avoir un chiffre négatif comme revenu net de travail autonome. Cela le placerait du côté négatif puisque nous ne parlons ici que de revenu de travail. Je pense que le travail autonome est la seule façon d'avoir un chiffre négatif. Lorsqu'il est question de salaire, ce que la plupart des gens touchent, vous ne pouvez pas avoir un salaire négatif.

Le sénateur Callbeck : C'est votre revenu imposable.

M. Beach : Oui.

Le sénateur Callbeck : Cela comprend vos gains en capital et ainsi de suite.

M. Beach : Oui.

Le sénateur Callbeck : L'impôt que les personnes à l'extrémité inférieure de l'échelle paient a augmenté de 1982 à 2004. De cinq à 10, c'était 0,1 et en 2004, c'était 0,4, donc ils paient plus d'impôt sur le revenu.

M. Beach : Vous parlez encore du tableau 2?

Le sénateur Callbeck : Oui, des parts du revenu imposable.

M. Beach : C'est exact. Il ne s'agit pas du montant d'impôt sur le revenu qu'ils paient, c'est prélevé directement sur leur revenu.

Le président : Ce n'est pas de l'impôt, c'est un pourcentage du revenu.

Le sénateur Callbeck : D'accord. C'est le pourcentage qu'ils paient.

M. Beach : Non, c'est le pourcentage de leur revenu sur lequel ils devront payer de l'impôt.

Le sénateur Callbeck : Ah, d'accord. J'avais mal lu.

M. Beach : Beaucoup des personnes qui se situent tout au bas de l'échelle ont un revenu si faible qu'elles ne paieraient probablement pas d'impôt au bout du compte, après les déductions, les exemptions, les crédits d'impôt et les autres éléments de cette nature.

Le sénateur Martin : Vous parlez de la complexité du problème, mais vous dites qu'une politique universelle ne fonctionne pas à cause de cette complexité. Quel conseil donneriez-vous aux législateurs autour de cette table sur l'élaboration des politiques nécessaires? De quels éléments devrions-nous tenir compte en élaborant une politique?

M. Corak : Lorsque vous élaborez une politique, vous devriez savoir quelle fourchette de l'échelle du revenu vous allez toucher. J'ai proposé toute une liste de politiques à l'extrémité inférieure, mais nous n'avons pas vraiment parlé de l'extrémité supérieure. Votre mandat concerne la cohésion et l'inclusion sociales et, comme M. Beach l'a dit, les relativités ont une incidence sur ce que nous pensons de nous-mêmes et de notre capacité à participer à la société. Ces facteurs sont parfois tout au sommet des priorités. Nous n'avons pas parlé jusqu'ici dans cette séance du 1 p. 100 supérieur et des raisons pour lesquelles une part grandissante des gains va à ce 1 p. 100. Je crois qu'il devrait y avoir une orientation stratégique à cet égard, parce que c'est un énorme changement culturel de voir la partie du total des gains dans notre société qui va au premier 1 p. 100 passer d'environ 7 p. 100 il y a 20 ou 30 ans à 12 ou 13 p. 100 aujourd'hui, et c'est le premier un dixième de 1 p. 100 qui y gagne. Le premier un dixième de 1 p. 100 des personnes les mieux rémunérées gagnait environ 2 p. 100 du revenu total du pays en 1980 et il gagne aujourd'hui près de 5 p. 100.

Qu'est-ce qui se passe au sommet, et quelles priorités cette situation établit-elle pour le reste d'entre nous? Les raisons de ces changements sont économiques et elles sont liées à ce dont M. Beach parlait. Le marché est plus grand et la technologie permet à des superstars d'y accéder. Le meilleur exemple qui me vient en tête, c'est celui-ci : quand j'étais jeune, le meilleur joueur de hockey était Gordie Howe. Avec tout son talent, Gordie Howe a joué dans une ligue de six équipes et vous écoutiez le hockey à la radio ou vous le voyiez dans un écran de télévision très embrouillé. Une génération et demie plus tard, Wayne Gretzky jouait avec le même talent dans un marché nord-américain à une époque où nous avions désormais la technologie nécessaire pour diffuser ses talents dans le monde entier.

Vous pouvez vous imaginer que les Wayne Gretzky et les Céline Dion de notre époque vont faire beaucoup plus d'argent que les joueurs de hockey et les chanteuses d'opéra d'il y a une ou deux générations parce que les progrès techniques ouvrent la porte à un marché beaucoup plus vaste. D'aucuns diraient que cela explique en partie que les gens qui travaillent dans les services financiers gagnent autant. Il y a une certaine part de vérité là-dedans, mais nous ne devrions pas nous laisser entraîner. En partie, nous assistons — et nous le voyons aussi aux échelons supérieurs des grandes sociétés — à un changement culturel qui permet qu'une très petite fraction de la société gagne des sommes énormes.

Si vous vous souciez vraiment de l'inclusion sociale, quelques-unes de vos recommandations devraient traiter de ce qui se passe dans le 1 p. 100 supérieur. Je n'en ai pas parlé lorsque j'ai répondu au sénateur Eggleton plus tôt. Bien sûr, nous pouvons travailler à l'extrémité inférieure de l'échelle des revenus. Nous pouvons travailler à la question de compétences pour permettre aux gens de grimper dans la chaîne de valeur ajoutée à l'extrémité inférieure. Nous pouvons limiter la migration des travailleurs moins qualifiés de manière à créer une économie à haute pression et nous pouvons rajuster le régime fiscal, mais nous devons travailler aussi à l'extrémité supérieure.

Le sénateur Martin : Vous avez évoqué le changement culturel et cela se rapporte à ma deuxième question. Le gouvernement a un rôle à jouer et il y a des limites à ce que nous pouvons faire. L'une des causes de cet écart qui se creuse et de ce qui arrive à ce premier 1 p. 100 dont vous parlez est un marché international stimulé par la demande de tels talents. Comme vous le dites, ils ont accès au monde entier.

Mais qu'en est-il dire du rôle de l'économie sociale, de l'entreprenariat social par exemple? Ce n'est pas forcément une question de politique, mais il pourrait s'agir du changement culturel dont nous avons besoin. L'économie sociale est un autre sujet, mais je conviens qu'elle doit jouer un rôle important dans la composition générale de notre société.

M. Corak : J'insisterais sur un point très important que vous évoquiez. Même si vous êtes chargés d'élaborer les politiques officielles, certains éléments échappent à votre contrôle. Vous devriez en être conscients parce que si vous essayez de les changer, vous pourriez empirer la situation. Vous devez aussi savoir quels éléments vous pouvez changer.

M. Beach : À la première question qui portait sur les orientations stratégiques, j'en vois trois. La première, que les gens oublient souvent, consiste à élaborer et à mettre en œuvre une politique macroéconomique saine. Rien de tel qu'un repli du taux de chômage et la croissance de l'économie pour faire entrer des gens dans le marché du travail et leur faire toucher un revenu pour que plus de possibilités s'offrent à eux et pour qu'ils puissent mener une vie plus prospère.

Le facteur le plus important pour régler les problèmes d'inégalité consiste à faire en sorte, grâce à des politiques monétaires et fiscales, que l'économie fonctionne bien et que les taux de chômage diminuent à long terme.

Deuxièmement, je dirais qu'il faudrait se concentrer sur des politiques portant par exemple sur l'éducation, l'aide financière aux étudiants peut-être, la formation et le perfectionnement, surtout dans des compétences non techniques. Si un travailleur d'usine à Oshawa est mis au chômage après 20 ou 30 ans, par exemple à cause d'une fermeture d'usine, il lui sera extrêmement difficile de se retourner et de s'adapter à un tout nouvel emploi, que ce soit comme préposé chez Walmart ou quelque chose du genre.

Le problème tient en partie au fait que ces personnes n'ont pas eu à composer avec le chômage depuis longtemps et qu'elles ne savent à peu près rien de choses comme la préparation d'un CV, la façon de se présenter à une entrevue de sélection, les politesses d'usage et ce genre de choses. C'est ce que j'entends par « compétences non techniques ». Nous devons faire en sorte que les ressources soient disponibles pour favoriser les transitions de cette nature.

La troisième orientation stratégique consiste à favoriser la souplesse de l'adaptation au marché du travail. Comme M. Corak l'a dit, ce ne serait pas logique d'essayer de lutter contre les changements en cours. Ils dépassent largement le Canada et il est plus sensé d'essayer de faire en sorte que nos travailleurs soient en bonne posture, qu'ils puissent progresser dans leur carrière et tirer parti des changements en cours. Nous devrions le faciliter.

Le président : Monsieur Corak, voulez-vous dire un dernier mot sur le sujet?

M. Corak : J'aimerais compléter ce que M. Beach a dit au sujet de l'expérience de la mise à pied que vivent des travailleurs ayant beaucoup d'ancienneté. Il semble que notre régime d'assurance-emploi assure le chômage et que ce dont les membres de cette tranche d'âge ont besoin, c'est d'assurance-salaire. Nous pourrions imaginer un régime d'assurance-emploi qui deviendrait beaucoup plus souple et qui changerait en fonction du cycle de vie du travailleur , parce que les besoins évoluent au fil du temps. Il faudrait donc passer d'un programme d'assurance-chômage à un programme d'assurance-salaire pour les travailleurs qui ont occupé le même emploi longtemps.

Le sénateur Merchant : Premièrement, je vais vous mettre un peu au défi parce que vous avez mentionné l'éducation et les compétences et que vous travaillez dans des établissements où vous formez des gens et vous essayez de diplômer des gens qui pourront contribuer à notre économie.

On a parfois le sentiment que les universités délivrent des attestations d'études, mais qu'il n'y a pas de demandes concernant les compétences que leurs diplômés ont acquises à l'université. Par ailleurs, ces universitaires accumulent une dette énorme parce que la fréquentation d'une université n'est pas donnée.

Que faites-vous dans vos établissements pour aider à améliorer la situation, ou pouvez-vous même faire quelque chose?

M. Corak : C'est assez intéressant de voir comment on juge les universités. Par exemple, si vous parcourez quelques- uns des rapports populaires dans la période où les étudiants prennent leurs décisions, vous constaterez qu'on juge souvent les universités en fonction de critères liés au processus : combien y a-t-il de chambres dans les résidences? Quelle est la taille des groupes? Il est toujours question du processus plutôt que des résultats.

J'ai souvent pensé qu'il serait intéressant de mener — et l'association des universités pourrait peut-être s'en charger — une enquête à long terme sur les diplômés pour analyser leurs perspectives d'emploi de façon à ce que l'information transmise aux universités et aux futurs étudiants traite de ce qui est arrivé aux diplômés au cours des deux ou trois dernières années.

Statistique Canada produit l'Enquête nationale auprès des diplômés, mais il s'agit d'une sorte de portrait global de l'économie. Nous pourrions envisager une enquête similaire, suffisamment détaillée pour que chaque université l'administre. Nous aurions ainsi une rétroaction immédiate sur les perspectives des diplômés d'après ce qui leur est arrivé. À mon avis, ce serait l'élément de rétroaction le plus précieux que les universités pourraient recevoir et qui intéresserait les futurs étudiants, plutôt que les autres renseignements de tout genre traitant de la vie sur le campus.

Cependant, à plus long terme, je crois aussi que c'est ce que le marché du travail fait. Il envoie des signaux et les gens doivent alors faire des choix responsables d'après leurs perceptions du marché du travail. À long terme, ça fonctionne, mais les gens vivent leur vie à court terme et à moyen terme. Il serait donc utile à tous de disposer de ce genre de renseignements.

M. Beach : Oui, je voudrais seulement ajouter que l'une des préoccupations, c'est que les bons étudiants, ou les étudiants potentiellement bons, ne bénéficient pas tous du système actuel parce que les coûts inhérents à un parcours universitaire sont assez évidents. Vous les avez en quelque sorte sous les yeux, tandis que les possibilités, les emplois et les avantages potentiels au bout du compte sont beaucoup moins visibles. Je crois qu'il faudrait un effort concerté pour diffuser l'information de cette nature, notamment le fait que si vous allez à l'université et que vous obtenez un emploi — les formations pourraient être ventilées selon certains domaines —, vous pouvez vous attendre à gagner tel et tel revenu; les risques d'être au chômage sont de tel et tel pourcentage. Des gens comme Ross Finnie, qui ont travaillé dans ce domaine, ont en main beaucoup de données. Il est coauteur d'une lettre d'opinion publiée dans le Globe and Mail ce matin sur un autre sujet, mais c'est de lui dont je parle.

Une somme considérable de données probantes montre que des étudiants potentiels qui pourraient être de bons candidats à l'obtention d'un grade universitaire ne connaissent tout simplement pas les possibilités et les avantages à long terme, et je crois qu'il faudrait déployer des efforts pour diffuser cette information.

Dans la lettre d'opinion publiée dans le Globe and Mail ce matin, Ross Finnie et son coauteur suggèrent entre autres que les universités envoient des membres du corps professoral ou des étudiants qui proviennent de l'école secondaire en question parler aux élèves, sur un pied d'égalité, à l'automne, lorsqu'ils doivent faire cette réflexion pour qu'ils connaissent mieux les possibilités et les avantages à long terme. À mon avis, cette mesure pourrait donner de bons résultats.

Le sénateur Merchant : Vous parliez du 1 p. 100 supérieur dont les gains ont beaucoup plus progressé que ceux des personnes au bas de l'échelle. Je ne veux pas parler de sondages, parce que nous avons vu récemment ce qu'on a fait des sondages dans les élections en Alberta, mais quand vous parlez aux gens d'imposer les riches, je crois que l'accord est presque unanime qu'il faudrait le faire davantage et que les plus riches devraient être imposés à un taux différent. Toutefois, je ne crois pas qu'on puisse trouver un quelconque gouvernement qui a envie de prendre une telle mesure, donc je ne sais pas si c'est une solution ou si quelque chose peut être fait parce qu'il semble que le gouvernement ne le fera tout simplement pas.

Le sénateur Eggleton : L'Ontario vient de le faire.

Le sénateur Merchant : C'est vrai, l'Ontario l'a fait.

M. Beach : Je crois que nous ne parlons pas tout à fait de la même chose : augmenter le taux d'imposition de 2 points de pourcentage, ce que l'Ontario a fait je crois, par opposition à quelque chose comme 5 ou 10 points. Dans ce cas-ci, il ne s'agit pas d'un pays, mais d'une partie d'un pays, une province ou un État des États-Unis qui l'a fait. Lorsque vous passez à cette échelle, cela aurait probablement des effets substantiels. Je me soucie moins du 2 p. 100.

Le président : Je veux revenir sur des questions qui vous ont été posées et des renseignements que vous nous avez fournis.

J'ai trouvé intéressantes vos remarques sur ceux qui sont tout en haut de l'échelle de revenu, le premier 1 p. 100, et les exemples de l'évolution des gains de joueurs de hockey professionnels talentueux. Lorsqu'on suit les débats dans les médias sociaux sur le soi-disant ignoble 1 p. 100 au sommet de l'échelle qui cause tous ces problèmes, nous négligeons la composition de ce 1 p. 100. De fait, l'industrie du divertissement — et j'englobe les sports professionnels dans cette catégorie — occupe une part importante de cet échelon supérieur.

L'élément fascinant, c'est que la valeur de cette industrie du divertissement est dans une très grande mesure fondée sur l'intérêt et les dépenses des 20 p. 100 les moins nantis dans l'échelle des revenus. C'est une question sociologique fascinante dont les conséquences économiques sont énormes.

Les points dont nous parlons sont complexes et loin d'être aussi simples que nous le pensons lorsque nous voyons simplement le chiffre. Lorsque la plupart des gens voient ce chiffre de 1 p. 100, — et je ne répéterai pas le langage employé —, ils font référence à un secteur particulièrement cupide d'une société et ils oublient que, de fait, il est composé des personnes que je viens de décrire. Je ne veux pas trop m'y attarder, mais avez-vous un commentaire à formuler brièvement sous ce rapport?

M. Corak : Je serais heureux de vous donner une idée des explications sous-jacentes du premier 1 p. 100 que donnent les auteurs spécialisés, et le phénomène est beaucoup plus présent aux États-Unis qu'au Canada.

Le secteur du divertissement est là, bien sûr, mais aussi les services financiers et les hauts dirigeants d'entreprise. Il y a quelques comptables et quelques avocats et, au Canada, vous ajouteriez probablement des membres de la profession médicale, en particulier, des gens du secteur des ressources.

Par conséquent, comme nous y avons fait allusion dans notre discussion, une dynamique économique entre en jeu, et le phénomène est lié à l'évolution du commerce, du contexte international et de la technologie.

Aux États-Unis, le phénomène est lié aux modifications du régime fiscal qui ont été apportées l'une après l'autre au fil des ans. Il est lié aux changements touchant la gouvernance des sociétés et aux changements touchant les normes sociales. Comme vous y avez fait allusion, monsieur le sénateur, il est important de départager ces choses.

Le président : Je vous remercie. Bien sûr, le secteur des services financiers a eu tendance à grimper avec ceux du divertissement, de la médecine ou peu importe qui gagnent ces gros salaires, parce qu'ils ont besoin d'un savoir-faire considérable pour les aider à gérer cette richesse considérable.

M. Corak : En partie, oui, mais dans une grande partie, du moins dans l'expérience des États-Unis, il y a le fait que ce secteur était trop gros au départ.

Le président : Monsieur Beach, vous avez cité d'excellents exemples des changements structurels qui ont touché notre société avec l'impact de la technologie, entre autres. Je vais faire une observation, puis j'en viendrai à ma question. J'ai passé une très grande partie de ma vie dans le secteur de l'éducation, mais j'ai été témoin dans ma vie du fait que le Canada a beaucoup dévalué, sociologiquement, la formation technique et spécialisée au profit d'une formation universitaire. Dès qu'on parle de formation postsecondaire, on pense d'abord à l'université au Canada plutôt qu'à la formation technique et spécialisée. Pourtant, quand nous examinons la demande dans nos collectivités, et l'un des domaines les plus évidents est le secteur de la construction résidentielle, dans bien des régions du Canada, et c'est certainement le cas dans l'Est du Canada, il est vraiment difficile de trouver des gens capables d'occuper les emplois disponibles dans le secteur des métiers.

C'est un domaine dans lequel la technologie a revalorisé le métier, et non seulement la technologie, mais aussi le besoin parce que la société, par le jeu de ses règles et de sa gouvernance, a exigé que le domaine de la construction respecte des normes toujours plus élevées, d'où la nécessité de posséder plus de compétences à titre d'intrant. Pourtant, nous avons un taux de chômage considérable dans ces collectivités — vous avez parlé du chômage sous différents angles au cours de notre discussion — et cela est dû dans bien des cas au fait que ces personnes n'ont pas reçu la formation technique spécialisée et qu'elles ne peuvent pas entrer sur le marché du travail. Elles ne peuvent pas se déplacer horizontalement dans l'économie pour accéder aux domaines où elles pourraient trouver du travail.

Vous nous avez présenté un très bon résumé des problèmes auxquels nous faisons face, mais par rapport aux solutions, comment pouvons-nous aborder cet aspect du problème, le fait que nous ne formons pas les gens dans les domaines dans lesquels, au minimum, il semble y avoir une demande importante qui n'est pas satisfaite? Je terminerai en disant que, si ces gens obtiennent ces emplois, ils touchent aujourd'hui un salaire qui les place dans cette classe moyenne dont vous parliez.

M. Beach : Il ne fait aucun doute que c'est une préoccupation. J'appuie tout à fait vos observations préliminaires. Non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis et en Amérique du Nord, nous semblons avoir dévalorisé les compétences des cols bleus. On dit qu'on devrait toujours viser l'université. Eh bien, de fait, ce n'est pas l'endroit où tout le monde devrait aller. Le travail dans ces autres domaines est extrêmement précieux.

Comment renverser cette situation? Premièrement, il est très difficile de recycler un travailleur âgé, surtout s'il a des attaches familiales, peut-être une hypothèque dans une petite ville, et que l'usine a fermé. Il est très difficile de replacer ces travailleurs. Les transitions ou les changements sont susceptibles de se faire beaucoup plus rapidement si des travailleurs plus jeunes et des immigrants s'en chargent.

Quant aux travailleurs plus jeunes, une fois encore, je crois qu'il serait avantageux de leur fournir plus d'information sur les possibilités d'emploi et sur ce qui peut vraiment les mener quelque part. Ils ne savent peut-être pas qu'en Alberta, les soudeurs touchent plus de 100 000 $, bien qu'ils doivent faire de très longues heures. Ce sont des compétences extrêmement précieuses. À mon avis, il faudrait mieux diffuser cette information.

Par ailleurs, le besoin de compétences de cette nature est grandement alimenté par le secteur des ressources naturelles et de l'énergie dans l'Ouest. J'ai l'impression que cette situation va durer pour un avenir indéfini, au moins 15 ans. C'est un horizon assez long pour que les jeunes en tiennent compte et envisagent cette possibilité de carrière.

Les immigrants sont une deuxième source potentielle. À court terme, c'est effectivement l'une des choses auxquelles le gouvernement travaille au moyen du programme des candidats provinciaux, entre autres, pour faire venir des travailleurs qui possèdent déjà les compétences dans ce domaine et qui pourraient combler les lacunes.

Le président : Je veux élargir un peu ma question. Vous avez tous deux mentionné un point qui m'apparaît extrêmement important quand vous avez parlé de la formation universitaire, c'est-à-dire de produire les données qui montrent le lien entre les programmes universitaires et les rendements ultérieurs. Les universités ont diffusé de façon très efficace le message selon lequel le revenu moyen au cours de la vie augmente avec la scolarité. Cette statistique est bien entendu fondée sur les données recueillies au cours des X dernières années. Des indices donnent à penser que les choses changent peut-être beaucoup, notamment, le principe selon lequel un grade universitaire est lié à un revenu supérieur au cours d'une vie. Cela dépend davantage du diplôme et de ce que les diplômés feront. La suggestion que vous avez faite à cet égard m'apparaît très importante.

Les universités ont un rôle important en ce qui concerne un autre aspect de la question, celui du certificat de fin d'études secondaires. Nous savons que les universités veulent toucher les droits de scolarité et, par conséquent, ouvrir leurs portes à tous. Cependant, bon nombre des programmes qui déboucheront sur une demande immédiate — pour parler franchement, pour acquérir les compétences et la formation qui vous rendront rapidement employables dans la société — exigent certaines bases en mathématiques et d'autres capacités qui devraient avoir été acquises à la fin du secondaire. Il peut arriver que l'université ne reconnaisse pas le certificat de fin d'études secondaires pour les programmes dont les exigences technologiques sont plus élevées. Par conséquent, les étudiants ne peuvent entrer dans ces domaines et ils ont tendance à se tourner vers d'autres programmes parce qu'ils croient qu'une formation universitaire est précieuse et ainsi de suite, et ils veulent l'obtenir.

En plus de croire que nous devons suivre beaucoup mieux les diplômés pour établir le lien entre le programme de diplôme et l'emploi comme vous l'avez clairement dit, croyez-vous qu'il y a un problème lié à l'impact socioéconomique du contenu de certificat de fin d'études secondaires, en ce qui concerne la possibilité de participer à l'économie moderne, peu importe le programme d'études postsecondaires dans lequel les élèves veulent s'inscrire?

M. Corak : J'ai bien peur de ne pas pouvoir vous parler en connaissance de cause, monsieur le sénateur. Manifestement, vous en savez vous-même beaucoup sur le sujet.

Comme économiste, pour revenir à la discussion que nous avons eue sur la politique officielle, vous devez prouver une défaillance du marché pour justifier l'intervention de l'État. Lorsque j'entends ce genre de propos, je me demande où est la défaillance du marché. Vous me dites que la demande dépasse l'offre pour ces compétences, donc pourquoi les salaires n'augmentent-ils pas? Pourquoi le marché n'envoie-t-il pas un signal?

C'est une chose de parler de pénuries, mais lorsque j'entends des employeurs dire qu'ils ont des pénuries d'un tel type de compétences, ce que je comprends, c'est que le salaire est trop bas. Si nous laissons les salaires monter et créer cette économie à haute pression, pourquoi les gens n'entendraient-ils pas ce signal? Où est l'obstacle; où est la défaillance du marché? Je ne possède peut-être pas suffisamment de connaissances sur les établissements d'enseignement pour détecter la défaillance, mais je crois que si nous laissons monter les salaires, les gens réagiront.

Le revers de la médaille — et certains dirigeants québécois ne seront peut-être pas d'accord —, c'est de laisser aussi augmenter les frais de scolarité universitaires pour que la formation universitaire ne soit pas assimilée à un bien de consommation. Cela changerait aussi les incitatifs. Je ne sais plus combien de diplômés universitaires j'ai vus entrer au collègue communautaire pour faire la transition. Ils ont passé trois ou quatre ans sur les bancs d'une université à consommer quelque chose, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, mais si vous arrivez à fixer des prix justes, ils pourront prendre leurs décisions en fonction de facteurs différents.

Pour soutenir que vous avez besoin de l'intervention de l'État, vous devez identifier ce qui cloche dans le système de fixation du prix. La défaillance du marché tient en partie au fait que nous ne parlons pas seulement d'une demande excessive, mais comme M. Beach l'a dit, d'une demande excessive dans différentes régions du pays. Déménager de l'Ontario en Alberta peut représenter un grand changement dans la vie d'une personne. Pour ces années formatrices, nous devrions peut-être penser à des types de programmes qui exposent les jeunes à différentes régions du pays. Ainsi, le prix à payer sur le plan psychologique s'en trouverait réduit, s'ils doivent déménager. Je peux y voir une forme de défaillance du marché. Cependant, pourquoi ne pas laisser monter les salaires.

Le président : Dans une de nos études récentes, nous avons constaté que les élèves du secondaire ne reçoivent pas toujours une grande partie des renseignements dont ils ont besoin sur les études postsecondaires et ainsi de suite. Votre réponse me laisse croire que la solution au problème d'orientation consiste à fournir de l'information aux gens à l'étape où ils en ont besoin pour prendre certaines de ces décisions.

Je sais que dans une université de ma province, une part importante des étudiants possèdent déjà un diplôme universitaire, mais ils s'inscrivent à cette université pour obtenir un certificat ou un diplôme qui améliorera leur employabilité après leurs études universitaires.

Quant aux salaires, cela ne dépend-il pas du domaine en question? Dans l'exemple de ce que nous avons tendance à voir comme des métiers traditionnels, soit la plomberie, la charpenterie et ainsi de suite, j'ai constaté que les salaires des personnes qui possèdent les compétences pour s'acquitter des tâches de façon à satisfaire aux exigences municipales en matière de codes du bâtiment, entre autres, sont très compétitifs. Nous entendons rarement que le problème tient au fait qu'ils ne sont pas suffisamment payés; c'est plutôt que l'employeur ne peut pas trouver de travailleurs qui possèdent ces compétences.

M. Corak : Avec le temps, le problème va se corriger de lui-même. J'hésiterais à inonder ce marché de nouveaux immigrants, par exemple.

Le président : Effectivement, mais cela ne revient-il pas à ce que vous disiez au sujet de la communication d'information dans les écoles sur les carrières qui ont besoin de monde, ou n'est-ce pas là un problème?

M. Corak : Je suis d'accord.

M. Beach : Les collèges ont un rôle important à jouer dans ce processus. Les collèges sont tellement plus sensibles que les universités aux besoins du marché du travail, en particulier aux besoins de compétences de cols bleus. S'il y a un écart entre ce dont les universités estiment avoir besoin et ce que les écoles secondaires offrent, les collèges comblent déjà cet écart. Souvent, des élèves qui ne peuvent pas se permettre d'aller à l'université ou qui ne sont pas sûrs du programme qui leur conviendrait vont suivre quelques cours collégiaux. Ils parlent à certains de leurs professeurs pour se faire une idée de ce qu'ils aimeraient faire, et par la suite, constate que l'inscription à l'université est la solution qui leur convient.

Les collèges jouent un rôle extrêmement important à cet égard, mais je crois qu'une réelle possibilité s'offre à eux de travailler en collaboration plus étroite avec les universités pour offrir des parcours mieux intégrés à partir de l'école secondaire jusqu'à une formation plus poussée avec un éventail plus large d'options pour que les étudiants puissent choisir dans une gamme plus étendue qui convient mieux à leurs compétences et à leurs intérêts.

Le sénateur Eggleton : Monsieur le président, votre observation au sujet de la composition du 1 p. 100 m'intéresse. Il y a probablement beaucoup de vedettes de l'industrie du divertissement et du sport, mais il y a aussi beaucoup de PDG au Canada. Les 100 PDG les mieux rémunérés ont touché un salaire moyen de 8,4 millions de dollars par an. C'est 189 fois plus que le salaire moyen au Canada. Ces gens sont importants pour aider à créer une économie saine, et je suis d'accord avec M. Beach que c'est important, mais nous devons aussi partager la prospérité dans ce pays, et 189 fois, c'est tout un écart.

L'opposition entre le 1 p. 100 et les 99 p. 100 a été le point de mire du mouvement des indignés, le fossé entre les riches et les pauvres, mais je vais cibler la classe moyenne dans ma question.

Les chiffres de Statistique Canada montrent qu'au cours des 25 ans qui se sont écoulés entre 1980 et 2005, le revenu des premiers 20 p. 100 au sommet de l'échelle a augmenté de 16 p. 100 et le revenu des derniers 20 p. 100 au bas de l'échelle a diminué de 21 p. 100, tandis que le revenu de la plupart des fourchettes entre les deux a à peu près stagné. Entre les deux se trouve en grande partie la classe moyenne.

Monsieur Beach, vous avez dit que bien que la classe moyenne n'a pas forcément rétrécie, son revenu a diminué un peu. Ses membres se situent maintenant à l'échelon inférieur de la classe moyenne. Corrigez-moi si je me trompe.

M. Hulchanski, de l'Université de Toronto, a témoigné ici il y a quelques semaines. Il a fait une étude à Toronto et il en fait maintenant une à Montréal, Vancouver et dans d'autres villes. Il dit que Toronto est divisé en trois villes : une pour les gens assez bien nantis, une autre pour les gens pauvres dans les quartiers centraux, et une autre pour la classe moyenne qui rétrécit. De fait, il dit que la classe moyenne est passée de 66 p. 100 dans les années 1970, à 29 p. 100 aujourd'hui. Je lui ai demandé où ces gens étaient allés, s'ils étaient allés dans les banlieues. Il a dit que non, que les banlieues avaient aussi une classe moyenne qui rétrécit. Il a dit que la proportion de quartiers pauvres à Toronto est passée de 19 p. 100 à 53 p. 100 et que les chiffres étaient similaires pour Vancouver, tandis qu'à Montréal, les chiffres sont un peu moins élevés, mais que la tendance est très similaire.

Cela m'apparaît potentiellement dangereux pour le tissu social de nos villes. Nous devons nous en préoccuper, parce que 80 p. 100 de notre population vit en milieu urbain.

Pourriez-vous nous parler de la menace pour le tissu social, pour la cohésion et l'inclusion sociales? Quand j'étais à l'hôtel de ville de Toronto et que j'étais maire de Toronto, ces conditions n'existaient pas. Les choses ont changé.

Comment pensez-vous que nous pouvons travailler avec cette équation de problèmes liés à l'inégalité de revenu?

Le président : Pourriez-vous répondre assez brièvement à la question et nous fournir plus tard une réponse plus étoffée, car je soupçonne que cette question nécessiterait une réponse assez détaillée. J'aimerais permettre à mes collègues de poser d'autres questions avant que nous levions la séance.

M. Beach : Il y a eu plusieurs études sur le sujet, particulièrement pour Toronto.

Il n'y a aucun doute que ce que vous dites est vrai, et c'est un phénomène relativement nouveau par rapport à la situation d'il y a 20 ou 30 ans. C'est assez préoccupant de voir cette forme de division en trois groupes. À mon avis, c'est particulièrement préoccupant parce que cela signifie que si des gens sont obligés de rester dans un quartier pour quelque raison que ce soit — je veux éviter de parler de ghetto —, leurs possibilités sont réduites. Ils ont moins de chances de déménager, de tirer parti des possibilités et de voir en quoi elles consistent de façon générale. Par exemple, si un immigrant s'installe dans un quartier donné, il peut avoir moins de raisons d'apprendre l'anglais ou le français, selon le cas, pour progresser dans l'échelle sociale que c'était le cas il y a 30 ou 40 ans. C'est vraiment préoccupant, c'est vrai.

Le sénateur Cordy : Pour revenir aux remarques du sénateur Eggleton sur les PDG qui font 8 millions de dollars, nous avons des enseignants à la petite enfance et des préposés aux soins à domicile qui touchent le salaire minimum. Il y a certainement un écart et une sous-valorisation de certains emplois.

Monsieur Corak, vous avez parlé des travailleurs qui ont occupé le même emploi pendant longtemps, peut-être des travailleurs syndiqués, qui perdent soudainement leur emploi et qui ne devraient pas toucher des prestations d'assurance-emploi, mais plutôt une assurance-salaire. Votre proposition se rapproche, à mon sens, de la définition d'un revenu annuel garanti. En tant qu'économiste, que diriez-vous d'un revenu annuel garanti pour réduire les inégalités?

M. Corak : Nous voyons souvent un revenu annuel garanti comme un certain plancher, peu importe que la personne travaille ou non.

Le régime d'assurance-salaire en question, conçu aux États-Unis pendant des périodes de récession au cours desquelles il y a eu des licenciements permanents importants, ne serait pas de cet ordre.

Vous pourriez imaginer, comme nous en avons parlé plus tôt, que si le gouvernement devait envisager, de concert avec les provinces, d'harmoniser parfaitement la Prestation fiscale pour le revenu de travail avec le régime de l'assurance-emploi de façon transparente, vous auriez une forme de revenu annuel garanti conditionnel à un certain emploi. Ce ne serait pas une mauvaise chose. C'est ce dont je parlais plus tôt. Nous pouvons considérer la Prestation fiscale pour le revenu de travail comme une forme de salaire social, si vous voulez, mais toujours conditionnel à une certaine participation au marché du travail. Ce serait la distinction essentielle entre ce programme et le revenu annuel garanti tel qu'on le propose généralement.

Le sénateur Cordy : Je crois qu'aux États-Unis, vous deviez avoir travaillé pendant une période assez longue, n'est-ce pas?

M. Corak : Je ne connais pas très bien les règles d'admissibilité. C'est généralement proportionnel à votre salaire annuel, mais je n'en suis pas sûr.

Le sénateur Merchant : J'ai une question sur les immigrants. Il a été question de la disparité. J'aimerais entendre parler du rôle de l'immigrant parce que je suis moi-même immigrante.

Monsieur Beach, vous avez évoqué le fait que les immigrants n'apprenaient pas l'anglais. Je ne suis pas sûre que ce soit le cas. J'aimerais voir une étude qui montre qu'il s'agit d'un problème chez les immigrants.

Quand nous sommes arrivés au Canada, c'était en juillet et je suis entrée à l'école à l'automne. J'avais 12 ans. Je venais de Grèce et mes parents ont immédiatement commencé à nous payer 5 cents ou 10 cents pour parler anglais à la maison. Ils tenaient à ce que nous conservions notre culture et notre langue grecques, ce que nous avons fait, mais ils nous ont dit que nous allions entrer à l'école à l'automne. J'avais suivi des cours d'anglais en Grèce, mais je n'avais pas retenu grand-chose parce que je n'étais pas consciente du fait que je devrais soit parler une autre langue quand je viendrais ici, soit me taire. Ils ont commencé à nous payer 5 cents et 10 cents pour parler anglais et pour sortir jouer avec les autres enfants. Je les ai blâmés plus tard parce que j'ai perdu beaucoup de ma maîtrise du grec à cause de cela.

J'aimerais savoir ce qui pose problème, mise à part l'accréditation. Je suis un peu craintive parce que je vois ce qui arrive en Europe et comment on diabolise les immigrants, et je n'aime pas ça. J'aimerais comprendre.

M. Beach : Merci pour une excellente question. Il y a des preuves indiscutables qu'un immigrant a besoin d'une connaissance fonctionnelle de l'anglais ou du français pour progresser dans l'échelle sociale, et c'est encore plus vrai aujourd'hui que pour la génération précédente. Je pense qu'il est juste de dire que le travail en usine était en quelque sorte le parcours conventionnel pour un immigrant qui ne connaissait peut-être pas beaucoup l'anglais ou le français, comme point de départ, pour obtenir un emploi. Une fois qu'il avait appris la tâche, que ce soit de poser des roues sur une voiture ou quelque chose du genre, il pouvait très bien s'en acquitter et avoir un emploi sûr, bien rémunéré sans maîtriser l'anglais ou le français.

Il y a toutefois une transition en cours au Canada et ailleurs, un mouvement au sein de la population active qui fait que le nombre d'emplois diminue dans le secteur manufacturier et augmente dans le secteur des services. Quand vous passez dans le secteur des services, on accorde beaucoup plus d'attention ou d'importance non seulement à la capacité de se débrouiller en anglais ou en français, mais à une maîtrise relativement bonne de l'une ou l'autre de ces langues.

Le rôle de la langue, que ce soit l'anglais ou le français, devient plus important au point d'être essentiel. Ce n'était pas le cas dans la génération précédente.

Le deuxième point, c'est que l'origine des immigrants qui arrivent au Canada a beaucoup changé depuis la dernière génération. Il y a 20 ans, la grande majorité des immigrants arrivaient d'Europe, des pays du Commonwealth britannique et des États-Unis. De nos jours, je me rappelle avoir vu des statistiques il y a quelques jours qui disaient que les cinq ou six premiers pays d'origine des immigrants sont la Chine, l'Inde, le Pakistan, les Philippines, un autre pays puis les États-Unis se classaient au cinquième ou au sixième rang. Ces immigrants arrivent d'un milieu beaucoup plus étranger où la langue qu'ils connaissent est très différente. Le processus d'adaptation qu'ils devront vivre sera plus difficile.

M. Corak : Sans contester les faits que M. Beach a mentionnés, je sens que je partage beaucoup votre point de vue, qu'on insiste trop sur les exigences linguistiques, surtout si la discussion porte sur la cohésion sociale.

M. Beach a parlé d'intégration économique. Le test décisif pour savoir si nous avons une société inclusive et unie est de voir ce qui arrive aux enfants. Les gens qui ont participé aux émeutes dans les banlieues de Paris ou sur les plages de Sydney étaient des citoyens de ce pays. Ils y étaient nés et le fait que ces sociétés avaient exclu les enfants d'immigrants est le signe d'un danger réel.

Le Canada a une sorte de recette qui devrait être célébrée. Les enfants d'immigrants, les jeunes immigrants comme vous et les immigrants de deuxième génération sont les éléments les plus dynamiques de notre société. Leur niveau de scolarité est bien supérieur à la moyenne et ils parlent couramment l'anglais et le français.

Si vous vous préoccupez de la cohésion sociale, à mon avis, c'est de la marge que vous devriez vous soucier. Le fait d'accorder trop d'importance à la capacité de s'exprimer des immigrants plus âgés qui viennent ici ne va pas vraiment au cœur du problème.

Le sénateur Seth : Merci pour votre réponse. Je crois que je suis d'accord, jusqu'à un certain point. Oui, l'anglais peut faire partie du problème chez les immigrants, mais quand je regarde l'effectif des écoles de médecine et des écoles professionnelles, les immigrants représentent 60 à 70 p. 100 de la population. Ils viennent soit de l'Inde ou de la Chine, malheureusement. Je peux comprendre qu'il s'agit peut-être d'immigrants, mais ils sont assez intelligents. De tradition, ils accordent beaucoup d'importance à l'éducation parce que dans la plupart des familles d'origine indienne ou chinoise, on accorde plus d'attention à l'éducation que dans n'importe quelle autre partie du monde. Je dois le reconnaître.

Quand vous examinez les effectifs des universités, de qui est-il composé? Ces gens sont là. C'est ce que je vois. Si vous voyez un groupe de médecins, qui sont-ils? Ce sont probablement des Indiens ou des Chinois.

M. Corak : Comme je l'ai dit, je crois que c'est un indicateur très positif du fonctionnement de notre système d'éducation. Dans la population d'immigrants, qu'ils aient ou non un niveau de scolarité élevé, leurs enfants vont effectivement atteindre un haut niveau de scolarité. L'élément qui distingue beaucoup de familles d'immigrants, c'est le fait que même si les parents n'ont pas un haut niveau de scolarité, les enfants vont atteindre un haut niveau de scolarité.

Le sénateur Seth : Je suis d'accord. Il se peut que les parents ne connaissent pas un mot d'anglais, mais les enfants sont très intelligents.

Le président : Je pense que ce point est clair. Nous allons poursuivre.

Le sénateur Eggleton : Je veux savoir ce que vous pensez de la mesure dans laquelle l'endettement hypothécaire et à la consommation entre en jeu dans le revenu et l'égalité. Les prix de l'immobilier ont explosé dans certaines régions du pays et beaucoup de gens diraient que le 1 p. 100 au sommet de l'échelle de revenu impose vraiment le rythme. Ils paient d'énormes sommes d'argent pour acquérir des propriétés et cela semble faire grimper les prix. Les gens essaient toujours de monter dans l'échelle sociale et ils achètent une nouvelle maison un peu plus grosse que celle qu'ils ont déjà, mais les prix ne cessent d'augmenter et il y a un grave problème lié à la capacité de payer. Nous avons vu ce qui est arrivé aux États-Unis lorsqu'ils ont dépassé la limite de leurs moyens avec les hypothèques à risque parce qu'ils ne pouvaient pas vraiment se le permettre.

L'autre élément, c'est que Mark Carney, le gouverneur de la Banque du Canada, a exprimé sa préoccupation au sujet du niveau d'endettement dans le pays et en grande partie, c'est lié à l'immobilier ou au fait que les gens achètent les choses qu'ils désirent pour essayer de monter un peu dans l'échelle sociale. Ils ne vont pas nécessairement essayer de suivre l'exemple du 1 p. 100 s'ils sont très loin au bas de l'échelle, mais il y a une sorte d'effet de cascade général. Quelqu'un a parlé d'endettement pyramidal. Vous essayez de grimper un peu plus haut dans l'échelle, et cela devient de plus en plus coûteux parce que ceux qui sont au sommet établissent vraiment un rythme effréné en ce qui concerne les prix. Que pensez-vous de ces théories?

M. Corak : Je crois que c'est l'un des aspects corrosifs de l'inégalité. En économie, nous parlons de « biens hiérarchiquement supérieurs ». C'est ce qui est arrivé aux États-Unis. Avec tous ces énormes gains financiers au sommet de l'échelle, ils ont établi une sorte de norme que les autres devaient émuler. Il s'est ensuivi une sorte de course folle, parce que tout le monde voulait maintenir les relativités. La seule façon de maintenir ce style de vie de plus en plus convoité dans la classe moyenne aux États-Unis, à une époque où le marché du travail était polarisé pour les membres de la classe moyenne, c'était de s'endetter davantage. Il est heureux que nous n'ayons pas connu cet extrême au Canada, mais c'est l'une des conséquences négatives de l'accroissement de l'inégalité.

M. Beach : Un mot pour compléter : la chose qui me préoccuperait le plus serait l'existence d'une bulle qui risquerait d'éclater. Je ne crains pas que la situation devienne aussi grave qu'elle l'a été aux États-Unis, pour tout un lot de raisons que je ne tenterai pas d'expliquer ici. Nous parlons d'ordres de grandeur assez différents. Néanmoins, si une petite bulle éclate, beaucoup de gens perdront leur emploi, et pas seulement les travailleurs de la construction, mais des gens qui offrent différents services.

Quant au point que j'ai soulevé plus tôt, l'état du marché du travail est l'un des plus grands facteurs de l'inégalité. Si cet éclatement entraîne une récession ou un ralentissement de l'économie et des taux de chômage plus élevés, les conséquences seront vraiment disproportionnées pour les gens au bas de l'échelle, les jeunes, les immigrants et ceux dont nous nous préoccupons le plus et pour qui nous voulons nous assurer qu'ils ont des possibilités de progresser.

Le président : Je vous remercie de la contribution que vous nous avez apportée aujourd'hui et de vos réponses à nos questions. Nous serions heureux de recevoir d'autres commentaires de votre part si vous avez d'autres réflexions sur les points que vous avez mentionnés, notamment ceux sur lesquels je vous ai demandé un suivi concernant les renseignements nécessaires pour aider les jeunes à prendre des décisions, ou sur tout autre sujet que nous avons abordé dans nos questions aujourd'hui. Sinon, au nom du comité, je vous remercie de votre présence aujourd'hui.

(La séance est levée.)


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