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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 19 - Témoignages du 6 juin 2012


OTTAWA, le mercredi 6 juin 2012

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 13, pour étudier la teneur des éléments de la Section 54 de la Partie 4 du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte.

[Français]

Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, sénateur représentant la Nouvelle-Écosse et président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter eux-mêmes, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur représentant Toronto et vice-président du comité.

Le sénateur Callbeck : Catherine Callbeck, de lÎle-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Dyck : Lillian Dyck, de la Saskatchewan.

Le sénateur Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

Le sénateur Verner : Josée Verner, du Québec

Le sénateur Rivard : Michel Rivard, des Laurentides, Québec.

[Traduction]

Le sénateur Seth : Asha Seth, de Toronto, en Ontario.

Le sénateur Martin : Yonah Martin, de Vancouver, en Colombie-Britannique.

Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Je voudrais souhaiter la bienvenue à nos distingués témoins, que je présenterai quand nous les inviterons à prendre la parole.

Je voudrais maintenant rappeler à tous que nous sommes ici parce que, le 2 mai 2012, le Sénat a autorisé le comité à examiner l'objet de la section 54, partie 4 du projet de loi C-38, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 29 mars 2012 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Aujourd'hui, nous examinerons plus particulièrement les modifications apportées par le projet de loi C-38 à la catégorie de l'immigration économique.

Cela dit, comme nous en avons convenu, nous inviterons nos témoins à prendre la parole en commençant, à ma gauche, par Martin Collacott, qui est le porte-parole du Centre pour une réforme des politiques d'immigration.

Martin Collacott, porte-parole, Centre pour une réforme des politiques d'immigration : Je vous remercie. Je parlerai brièvement de quelques-unes des mesures prises par le gouvernement pour améliorer le système d'immigration, puis j'aborderai ce qu'il reste à faire pour que le système fonctionne dans l'intérêt des Canadiens.

Ces dernières décennies, les nouveaux venus ont en moyenne gagné moins et connu des niveaux de pauvreté plus importants que ceux qui sont arrivés chez nous avant 1980.

À part la frustration et la déception qu'ont ressenties de nombreux immigrants, cette situation a été extrêmement coûteuse pour les Canadiens. D'après une étude réalisée par l'Institut Fraser, les immigrants récents pourraient coûter quelque 20 milliards de dollars par an. Le gouvernement a donc pris des mesures pour s'assurer que les nouveaux venus sont choisis en fonction de normes qui leur donnent de meilleures chances de trouver un emploi correspondant à leurs compétences. Ces normes comprennent une connaissance suffisante de l'anglais ou du français pour fonctionner efficacement dans leur domaine de spécialisation et des titres de compétence susceptibles d'être acceptés au Canada.

En mettant en place ces nouvelles normes plus efficaces, le gouvernement a également dû affronter le fait qu'il y a des centaines de milliers de demandeurs qualifiés aux termes des anciennes règles. Il y en avait plus de 600 000 lorsque le présent gouvernement est arrivé au pouvoir. Aujourd'hui, leur nombre dépasse le million.

Compte tenu de la taille de cet arriéré et du fait que ceux qui s'étaient qualifiés aux termes des anciennes règles étaient peu susceptibles de bien se tirer d'affaire dans la population active, le gouvernement a pris la bonne décision en annulant les demandes présentées avant l'entrée en vigueur des nouvelles normes et en remboursant les frais acquittés.

Il est évident que cette décision n'a pas été bien accueillie par les candidats déboutés, leurs avocats et leurs consultants, mais elle est tout à fait justifiée si l'objectif est de servir au mieux les intérêts des Canadiens.

Les nouvelles mesures présentées par le gouvernement lui donnent en outre les moyens de limiter le nombre de demandes acceptées dans les différentes catégories, ce qui lui permettra à l'avenir d'éviter l'accumulation d'énormes arriérés. C'est une chose que le Canada aurait dû faire depuis des années.

Le gouvernement a pris une autre mesure importante en décidant de réviser les dispositions régissant le parrainage de parents et de grands-parents. Le problème, dans ce cas, c'est que ce programme coûte des milliards et des milliards de dollars aux Canadiens, notamment en soins de santé. Je peux présenter des détails à ce sujet si le comité le souhaite.

De plus, le gouvernement a proposé ou mis en œuvre d'importantes améliorations touchant de nombreuses politiques liées à l'immigration, comme le programme des investisseurs et le système de détermination du statut de réfugié.

Dans l'ensemble, le présent gouvernement et, en particulier, le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, on fait bien plus que n'importe lequel de leurs prédécesseurs des dernières décennies pour améliorer le système et remédier à beaucoup de ses lacunes.

Cela étant dit, je dois noter qu'il y a un domaine essentiel dans lequel les politiques actuelles d'immigration ont connu un échec lamentable pour ce qui est de servir les intérêts des Canadiens. J'ai bien dit qu'elles ont connu un échec lamentable.

Dans le passé, la politique et les niveaux d'immigration correspondaient à la situation de l'économie et à nos besoins de main-d'œuvre. En fait, pendant 30 ans, le nom du ministère qui s'occupait de l'immigration était soit Main-d'œuvre et Immigration soit Emploi et Immigration. Le dernier gouvernement qui ait reconnu ce lien essentiel et qui ait agi en conséquence était celui de Pierre Trudeau dans le milieu des années 1980. À l'époque, comme le Canada était en récession, le nombre d'immigrants admis était tombé à moins de 100 000 par an.

Depuis, la politique d'immigration a été influencée dans une grande mesure par des groupes d'intérêt et par des mythes presque complètement dénués de tout fondement selon lesquels l'immigration à grande échelle est avantageuse pour le Canada. Les groupes d'intérêt en cause comprennent les employeurs, qui veulent disposer d'un important bassin de main-d'œuvre pour être en mesure de payer les salaires les plus bas possible, les organismes d'aide à l'établissement des immigrants, qui font en général du bon travail, mais qui ont intérêt à voir se multiplier le nombre des arrivées, ainsi que les avocats et les consultants de l'immigration, qui souhaitent avoir le plus de clients possible.

De nombreux mythes entourent l'immigration. On dit par exemple que les Canadiens profitent quand la population et la main-d'œuvre augmentent. L'immigration augmente effectivement la taille de la population et de l'économie, mais cela n'a pas d'avantage net pour le Canadien moyen. L'accroissement de la prospérité dépend de saines politiques économiques et d'augmentations de la productivité, qui sont négativement touchées par une hausse de l'offre de main- d'œuvre. On dit aussi qu'avec le vieillissement de la population, nous avons besoin de plus de travailleurs étrangers pour compenser la baisse du pourcentage des Canadiens qui travaillent. Nous avons effectivement une population vieillissante qui impose des dépenses croissantes, mais il a été démontré de façon concluante que l'immigration n'a aucune influence sur ce problème. On affirme en outre que le Canada a d'importantes pénuries de main-d'œuvre auxquelles on ne peut remédier qu'en faisant venir un grand nombre de travailleurs de l'étranger. Nous avons effectivement des pénuries et nous en aurons encore à l'occasion dans différents secteurs de l'économie, mais il est prouvé que ces pénuries se résorbent sous l'effet des forces normales du marché au Canada. Il n'y a vraiment aucune raison d'avoir un niveau d'immigration qui compte parmi les plus élevés du monde et, en sus, de faire venir un nombre presque égal de travailleurs étrangers.

Cet afflux a d'autres incidences sur la société canadienne. Nos grandes villes, comme Toronto et Vancouver, sont moins vivables par suite de la hausse du prix des logements et de l'augmentation du temps qu'il faut pour aller travailler. L'afflux intensifie les pressions qui s'exercent sur nos établissements de santé et d'éducation. L'impact environnemental est important parce que de bonnes terres agricoles sont de plus en plus souvent utilisées pour construire des logements. Il y a aussi des incidences mondiales parce qu'au Canada, l'empreinte écologique des nouveaux venus est de plusieurs fois plus importante que celle qu'ils avaient dans leur pays d'origine. Il faut également penser à la cohésion de la société canadienne. Le Canada a travaillé fort pour intégrer les nouveaux venus et a obtenu à cet égard de meilleurs résultats que la plupart des autres pays. Toutefois, il serait peu sage de supposer que nous continuerons à avoir le même succès à l'avenir avec des communautés d'immigrants de plus en plus importantes, qui sont aujourd'hui mieux en mesure de conserver le milieu culturel de leur pays d'origine et de maintenir avec lui des liens très étroits grâce à Internet et à des déplacements faciles.

Nous avons besoin d'une stratégie globale pour nous permettre de faire une utilisation optimale de notre population active. Nous aurons toujours besoin d'un certain nombre d'immigrants, mais certainement pas au niveau actuel. Nous devons chercher à venir à bout des obstacles qui empêchent aujourd'hui les Canadiens de faire pleinement partie de la population active, ce que le gouvernement fait actuellement du côté de l'assurance-emploi. Nous devons essayer de savoir pourquoi tant de jeunes sont formés au Canada pour occuper des emplois dont nous n'avons pas besoin, négligeant les métiers dans lesquels nous pourrions les employer. Nous devons déterminer si nous avons les programmes voulus pour les former dans des domaines où nous avons des besoins. Nous devons concentrer nos efforts sur les besoins de main-d'œuvre à long terme et sur l'intégration des Canadiens dans la population active au lieu de recourir à des solutions faciles consistant à faire venir des travailleurs temporaires ou de grands nombres de résidents permanents.

Le président : Merci, monsieur Collacott.

Nous allons maintenant entendre Mme Debbie Douglas, directrice exécutive du Conseil ontarien des agences servant les immigrants.

Debbie Douglas, directrice exécutive, Conseil ontarien des agences servant les immigrants : Je vous remercie, monsieur le président de m'avoir donné l'occasion de parler au comité des effets des modifications apportées à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés dans le projet de loi C-38.

Je vais commencer par vous donner un bref aperçu des activités du COASI. Notre organisation regroupe les agences qui travaillent pour les immigrants et les réfugiés en Ontario. Elle a été créée en 1978 pour être le porte-parole du secteur des services aux immigrants et aux réfugiés de la province et pour coordonner les réactions aux préoccupations et aux besoins communs. Le conseil compte plus de 200 agences membres autonomes en Ontario, dont une soixantaine se trouvent à Toronto, ce qui n'est pas surprenant compte tenu de la répartition des arrivées.

Nos agences membres dispensent un vaste éventail de services aux immigrants et aux réfugiés : services d'établissement, services d'emploi, formation linguistique, conseils aux femmes victimes d'abus, aide pour trouver un logement, services juridiques, services de santé, refuges, services aux jeunes et aux aînés et création de capacités communautaires. La plupart de nos agences membres ont un caractère communautaire et un conseil d'administration formé de bénévoles. Comme dans l'ensemble du secteur canadien sans but lucratif, le travail est souvent fait par des bénévoles très engagés ainsi que par un personnel professionnel.

La première partie de mon exposé portera principalement sur l'annulation des demandes présentées au Programme fédéral des travailleurs qualifiés. En 2011, le nombre de demandes en attente d'une décision, qui était de 487 000 en 2005, a atteint 508 000. Au cours de cette période, l'arriéré total des demandes de résidence permanente dans toutes les catégories avait augmenté de 173 000.

À ce moment, les demandeurs du Programme fédéral des travailleurs qualifiés attendaient pendant plus de cinq ans le traitement de leur demande. Toutefois, ce délai variait beaucoup selon le bureau des visas en cause. Les demandes présentées à Damas, en Syrie, avaient la plus longue attente, huit ans. À Accra, au Ghana, et à New Delhi, en Inde, le délai de traitement était d'un peu moins de huit ans. En général, les bureaux des visas d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Asie et de la région du Pacifique avaient des délais plus importants que ceux des bureaux de l'Europe et des Amériques.

Quoi qu'il en soit, l'arriéré était intolérable et injuste pour les demandeurs. Certains d'entre eux ont renoncé au Canada en faveur d'autres pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. L'arriéré nous faisait perdre des compétences dont nous avions grand besoin, ce qui a eu des incidences dans certains secteurs du marché du travail.

Toutefois, même si l'arriéré était injuste pour les demandeurs, la solution que le gouvernement propose dans le projet de loi C-38 en annulant les demandes d'avant 2008 est encore beaucoup plus injuste. Elle signifie essentiellement que les demandeurs qui se sont conformés aux règles et qui ont attendu leur tour sont punis pour l'avoir fait. L'intention du gouvernement de rembourser la totalité des frais acquittés ne compense qu'une partie du préjudice subi. Elle ne change rien à la trahison que représente une promesse non tenue, elle n'efface pas l'attente imposée aux demandeurs et ne les indemnise pas des frais supplémentaires qu'ils ont dû engager pour les examens médicaux, les visites aux ambassades et aux bureaux des visas et les honoraires versés pour obtenir des conseils. Comme l'annulation des demandes ne constitue pas une décision, les demandeurs n'ont aucun droit d'appel.

Le gouvernement propose de permettre à ces gens de présenter une nouvelle demande aux termes des nouvelles règles d'après 2008. Il est parfaitement injuste d'imposer à des gens qui ont fait la queue pendant plusieurs années de se mettre encore une fois en ligne pour attendre. Le COASI n'est pas du tout d'accord que la seule solution pour remédier à l'arriéré est d'annuler les demandes d'avant 2008.

Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait accorder aux services ministériels compétents des ressources suffisantes pour traiter les demandes reçues et rationaliser le processus de traitement afin de le rendre plus efficace et de réduire les délais et les ressources nécessaires. Le Canada a modifié à plusieurs reprises dans le passé le processus de sélection dans la catégorie de l'immigration économique. Toutefois, à défaut de ressources suffisantes pour traiter les demandes, l'arriéré ne cessera pas de croître. Nous ne pouvons pas résoudre le problème en annulant périodiquement les demandes de milliers de personnes qui ont posé leur candidature en toute bonne foi, chaque fois que l'arriéré devient trop grand. En fait, en révisant la priorité d'affectation des ressources prévues pour accélérer l'admission des travailleurs étrangers temporaires, le gouvernement peut traiter rapidement les demandes au lieu de les annuler.

Nous savons également que le processus de sélection du Programme fédéral des travailleurs qualifiés est presque complètement commandé par le marché du travail. Ces dernières années, la sélection des travailleurs qualifiés a privilégié certaines industries par rapport à d'autres, principalement pour répondre à leurs besoins actuels de main- d'œuvre. Toutefois, la sélection devrait également tenir compte des besoins futurs qu'il faudra satisfaire pour maintenir la compétitivité du Canada dans les secteurs en croissance, comme celui des technologies environnementales. Le Canada aurait intérêt à choisir les immigrants sur la base non seulement de leur capacité de répondre aux besoins à court terme du marché du travail, mais aussi de leur valeur dans une optique plus vaste de capital humain pouvant servir nos intérêts à plus longue échéance.

Il est également troublant de noter — comme l'a fait mon collègue assis à ma droite — que nous dépendons de plus en plus de travailleurs temporaires. Nous en avons la preuve dans la croissance effrénée du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Notre programme d'immigration devrait être axé sur l'objectif à long terme de l'édification de la nation. Aujourd'hui, il est détourné de cet objectif afin de satisfaire aux besoins immédiats du marché du travail.

Je vais maintenant vous présenter quelques recommandations précises liées aux dispositions du projet de loi C-38 relatives aux demandes présentées au Programme fédéral des travailleurs qualifiés avant 2008.

Nous croyons que le gouvernement devrait rationaliser le processus de traitement des demandes pour qu'il prenne moins de temps et de ressources et créer une base de données électronique permettant aux provinces, aux territoires et aux employeurs d'examiner les compétences disponibles dans le bassin des demandeurs. Le gouvernement fédéral permet depuis un certain temps aux provinces et aux territoires d'examiner les demandes en attente pour accélérer le traitement de celles qui répondent aux besoins de leur marché du travail dans des professions convenues. Cette initiative se distingue du Programme des candidats des provinces qui peut, dans certains cas, lui être subordonné. Je dois dire qu'à ma connaissance, aucune province n'a choisi dans le cadre de cette initiative pilote un plus grand nombre de demandeurs que dans le PCP, mais c'est quand même un programme parallèle.

Le président : Vous avez déjà parlé pendant sept minutes. Je vous prie donc de conclure.

Mme Douglas : Nous recommandons que le projet pilote soit reconduit.

La recommandation la plus importante pour nous est que Citoyenneté et Immigration Canada devrait établir un processus accéléré pour traiter l'arriéré de demandes, dont les délais seraient alignés sur celui du processus s'appliquant aux demandeurs d'après 2008, c'est-à-dire environ trois ans. Les fonds destinés à rembourser les frais des demandes annulées ainsi que les sommes prévues pour administrer le processus d'annulation devraient plutôt servir à engager du personnel supplémentaire chargé d'éliminer l'arriéré. Il y a des précédents dans ce domaine. Le gouvernement a récemment engagé 60 employés à l'Agence des services frontaliers du Canada pour renvoyer un peu plus de 4 200 personnes du pays sur une période de trois ans. Un investissement semblable puisé dans les ressources existantes serait certainement aussi avantageux pour les travailleurs qualifiés faisant partie de l'arriéré que pour le Canada.

Je sais qu'il ne me reste que deux minutes.

Le président : Vous avez en fait dépassé de plusieurs minutes le temps de parole de cinq minutes qui vous était attribué. Je vous prie de conclure.

Mme Douglas : Nous vous exhortons fortement à examiner avec soin les recommandations que nous vous avons présentées.

Dans mes 30 dernières secondes, je voudrais également exprimer ma préoccupation au sujet de la proposition visant à supprimer les obligations relatives à l'équité en emploi dans le Programme de contrats fédéraux. Je crois que cela affaiblirait considérablement notre Loi sur l'équité en matière d'emploi. À notre avis, cette loi a eu beaucoup de succès. Nous pouvons en voir les effets positifs dans notre secteur des services bancaires et financiers. Nous assistons actuellement à un virage culturel au Canada, dans lequel notre force collective se base davantage sur la diversité que sur la tolérance.

Le président : Je vais maintenant donner la parole à Mario Bellissimo, avocat faisant partie du Bellissimo Law Group. M. Bellissimo comparaît devant le comité à titre personnel.

Mario Bellissimo, avocat, Bellissimo Law Group, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président, sénateurs et copanélistes. Je vous remercie de votre invitation. C'est un honneur et un privilège de comparaître devant vous aujourd'hui pour parler de cette importante mesure législative. Je crois que vous avez devant vous mes notes d'allocution ainsi qu'un mémoire de l'Association du Barreau canadien. Je me présente devant vous aujourd'hui à trois titres plus ou moins interdépendants : comme citoyen canadien, comme avocat spécialiste de l'immigration et comme trésorier de la Section nationale du droit de l'immigration de l'Association du Barreau canadien.

Je voudrais dire, avant d'entrer dans le vif du sujet, que nous sommes redevables à l'honorable Jason Kenney, ministre de la Citoyenneté, de l'Immigration et du Multiculturalisme, et à ses collaborateurs de beaucoup d'initiatives novatrices et d'excellents efforts. Comme je l'ai dit ailleurs, le changement a pris un rythme effréné. C'est difficile d'intégrer un tel changement à la délicate tapisserie que constitue le système canadien d'immigration. Certaines modifications ont été positives, d'autres pas. Malheureusement, le projet de loi C-38 est à mon avis un important pas pris dans la mauvaise direction.

Je concentrerai mes observations aujourd'hui sur la portée et les incidences de cette mesure législative. Il est vraiment regrettable que nous ayons à l'étudier dans le contexte d'un projet de loi omnibus. La portée et les répercussions étendues des changements ainsi que le délai fixé pour leur adoption interdisent un débat sérieux, mais je ferai de mon mieux pour exprimer ce qui ne sera inévitablement qu'un point de vue exalté.

Comme le comité vient de l'entendre, les demandes présentées au Programme fédéral des travailleurs qualifiés sont renvoyées à leurs auteurs, de même que des frais de traitement estimés à 130 millions de dollars, qui seront restitués sans intérêt, sans préavis suffisant du changement de politique, sans droit légal de recours, sans indemnisation et indépendamment de la valeur des demandes.

Le projet de loi confère en outre au ministre des pouvoirs sans précédent sur le traitement des demandes de résidence temporaire et permanente. Le ministre serait habilité non seulement à définir les conditions par catégorie, ce qui n'est pas nouveau, mais aussi à modifier les conditions après la présentation des demandes.

Nous reconnaissons qu'il est important pour le système canadien d'immigration de réagir aux besoins changeants de main-d'œuvre. Toutefois, le projet de loi C-38 va bien au-delà de son objectif déclaré, comme l'a noté ma collègue, Mme Douglas.

Je voudrais mettre en évidence la recommandation du mémoire de l'ABC — et m'y associer — qui demande que la section 54 de la partie 4 soit retirée ou, pour le moins, qu'elle soit séparée du projet de loi et renvoyée au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration en vue d'un examen adéquat.

Avant de passer aux incidences, je voudrais aborder quelques-unes des hypothèses sous-jacentes qui ont présidé à l'élaboration de ces mesures législatives. On s'entend en général pour dire qu'en novembre 2008, il y avait un arriéré d'environ 800 000 personnes. À l'heure actuelle, nous en sommes à environ 280 000. En trois ans et demi, l'arriéré a été réduit de près de 65 p. 100.

J'ai lu avec un grand intérêt les réponses données par Sandra Harder, directrice générale des Politiques stratégiques et de la Planification à Citoyenneté et Immigration Canada, aux questions des sénateurs Callbeck, Martin et Cordy, lors de sa comparution devant le comité le 31 mai. Il y a quatre points que je voudrais souligner. Premièrement, elle a confirmé que le plus vieux dossier de l'arriéré remonte à 2003, ce qui signifie que certains demandeurs attendent depuis neuf ans. Deuxièmement, elle a dit que des efforts ont été déployés pour communiquer avec les demandeurs faisant partie de l'arriéré afin de leur demander de retirer leur demande actuelle et d'en présenter une nouvelle, mais que seuls 6 p. 100 ont accepté cette offre. Troisièmement, elle a précisé que l'arriéré ne serait éliminé qu'en 2017 ou 2018. Quatrièmement, pour admettre les demandeurs, il nous faudrait relever nos niveaux d'immigration, qui sont actuellement de 240 000 à 265 000, pour les faire passer à 500 000 à 600 000 immigrants pendant deux ans.

Je dois dire, avec beaucoup de respect, que ces propos sont difficiles à concilier avec la réalité. Premièrement, dans la mesure où on a pris contact avec les demandeurs, on ne leur a offert ni un remboursement ni la fermeture de leur dossier; ils ne pouvaient que présenter une nouvelle demande. D'après les instructions du ministre publiées le 28 novembre 2008, seules 38 professions étaient admissibles. On peut donc supposer... Je crois qu'elle a déclaré devant le comité que le ministère dispose du nombre de demandeurs qui seraient encore admissibles dans ces professions, mais ce n'était pas très clair.

Le président : Nous aimerions beaucoup connaître votre propre point de vue. Vous en êtes maintenant à cinq minutes. Je devrai vous interrompre dans deux minutes.

M. Bellissimo : Je vais donc en venir très rapidement à mon point de vue. Pourquoi le gouvernement prend-il maintenant ces mesures radicales, après avoir réussi à réduire considérablement l'arriéré? Compte tenu du rythme de réduction, pourquoi le ministère a-t-il besoin de cinq ou six autres années pour éliminer l'arriéré? En supposant qu'un certain pourcentage de demandeurs serait approuvé, je ne comprends pas pourquoi nous aurions à relever les niveaux d'immigration à 500 000 ou 600 000.

Il y a aussi le fait que le ministre Kenney a dit qu'il fallait veiller à ce que notre gouvernement transmette clairement le message que nos portes sont ouvertes à ceux qui se conforment aux règles. Permettez-moi de dire avec respect que les portes seraient fermées et que nous ne serions pas en mesure de tenir cette promesse. Le ministre a également dit que le système doit être équitable et bien géré et qu'on ne saurait tolérer les resquilleurs. Je ne sais pas comment on pourra expliquer cette déclaration à un demandeur faisant partie de l'arriéré qui attend depuis 2005 et qui voit un demandeur de la même profession recevoir son visa en 2010.

Je sais que je vais manquer de temps. Je voudrais quand même demander ce qui suit : quels efforts spéciaux ont été déployés pour traiter ces demandes? Leur a-t-on accordé la priorité? Est-ce qu'une partie quelconque des intérêts accumulés durant toutes ces années a servi à réduire l'arriéré? Il y aura des contestations devant la Cour fédérale, qui est déjà surchargée. Où est l'avantage financier?

Je suis bien d'accord que le ministre doit pouvoir gérer le système et l'assouplir, mais nous sommes en train de passer de la souplesse à l'incapacité de gérer un programme d'immigration transparent, prévisible et accueillant. Pourquoi faut-il changer les règles en cours de route? Certains peuvent considérer que c'est de la souplesse, mais le gouvernement déploie de grands efforts pour sévir contre les représentants peu scrupuleux. Cela transformerait le programme d'immigration en cible mouvante, qu'il serait difficile de gérer.

Je vais conclure en me faisant l'écho des trois mémoires de l'ABC qui vous ont été présentés. Je crois que les effets préjudiciables de ces mesures législatives pèsent beaucoup plus lourd que leurs avantages. Le simple objectif d'accélération de la procédure administrative ne justifie pas d'écarter les valeurs de base et de ternir l'intégrité de notre système d'immigration. Beaucoup est en jeu ici. J'exhorte les honorables sénateurs à prendre la situation très au sérieux. Si ces mesures sont adoptées telles quelles, nous le regretterons à l'avenir.

Le président : Je vous remercie. C'est maintenant au tour de Richard Kurland, avocat et analyste des politiques, qui comparaît devant le comité à titre personnel.

Richard Kurland, avocat et analyste des politiques, à titre personnel : Merci, monsieur le président.

Qui prend le risque professionnel de présenter une demande d'immigration au Canada? Voilà la question clé.

En vertu du code de déontologie du Barreau de la Colombie-Britannique et du Barreau du Québec, il est maintenant impératif d'informer par écrit le client, c'est-à-dire le demandeur, qu'il prend un risque professionnel en présentant une demande d'immigration au Canada et que la loi peut être modifiée rétroactivement, sans préavis, à son détriment.

Que s'est-il passé? Le Canada a mis un certain temps à réglementer les consultants qui travaillent à l'étranger. Ces consultants n'étaient pas assujettis à notre réglementation. Leur activité consistait à amener des gens à demander à être admis chez nous. Même après l'adoption de la réglementation, où étaient les consultants et les avocats qui devaient avertir leurs clients du fait que les règles pouvaient changer? Les règles ont changé. Où est l'équilibre? Oui, les demandeurs en souffriront. Les gens qui étaient admissibles auparavant ne le seront plus aujourd'hui. Il y en a 284 000. Ces mesures législatives ne favorisent pas leurs intérêts.

Quel est l'intérêt du Canada? Nous sommes ici pour trouver un certain équilibre entre les intérêts du pays et ceux des gens qui ont pris le risque professionnel de présenter une demande.

Que montrent les données? Situation économique des gens admis en vertu des anciennes règles : pas bonne. Situation économique des gens admis en vertu des nouvelles règles : exceptionnelle. Voilà le contexte. Il y a de l'angoisse parce que les espoirs et les rêves de ceux qui souhaitaient venir dans le meilleur pays du monde sont anéantis.

Toutefois, contrairement à ce qui existait dans le passé, ce n'est pas la seule voie qu'il soit possible d'emprunter. Aujourd'hui, plus de 50 p. 100 des travailleurs qualifiés qui viennent au Canada sont choisis par les provinces. L'Ontario tarde à assumer sa responsabilité constitutionnelle : en vertu de l'article 95 de la Loi constitutionnelle, il est l'égal du gouvernement fédéral en matière d'agriculture et d'immigration. Toutes les autres provinces ont réussi à sélectionner leurs immigrants. Par conséquent, les demandeurs faisant partie de l'arriéré peuvent toujours s'adresser aux provinces.

Ces demandeurs ont la possibilité d'emprunter toutes les autres voies de l'immigration. Ils ne sont pas limités aux nouvelles règles fédérales de sélection. Ils peuvent se prévaloir du Programme des travailleurs étrangers temporaires : ils peuvent venir, occuper un emploi, payer des impôts et passer de la catégorie des travailleurs étrangers temporaires à celle des immigrants sans coûter un sou en frais d'intégration et d'établissement.

Non, les portes ne sont pas fermées.

Je crois que cela suffit pour cinq minutes.

Le président : En fait, vous n'avez pas encore atteint cinq minutes. Nous allons maintenant passer à la période des questions.

Le sénateur Eggleton : Je voudrais d'abord poser une question concernant les conditions auxquelles devaient satisfaire les travailleurs qualifiés faisant partie de l'arriéré d'avant 2008.

Monsieur Collacott, vous avez parlé des vieilles règles. Je suppose qu'il s'agit des règles qui sont actuellement en vigueur. Les gens qualifiés en vertu de ces règles sont peu susceptibles de se tirer d'affaire dans la population active. Vous avez donc appuyé la décision ou la demande du ministre Kenney à cet égard.

J'ai également entendu quelqu'un dire — je crois que c'était M. Bellissimo — que Citoyenneté et Immigration Canada sait qui, dans l'arriéré, serait admissible en vertu des nouvelles règles. J'ai posé la question ici même aux représentants du ministère. Je n'ai pas obtenu de réponse. Je l'attends encore. Est-ce que l'un d'entre vous sait à quelles conditions ces gens doivent satisfaire? Ils font partie des 38 professions désignées, mais je crois qu'il est actuellement question de ramener ce nombre à 21 ou quelque chose de cet ordre. Comment savoir combien d'entre eux satisfont aux conditions?

M. Collacott : Je peux vous dire par exemple — même si je ne suis pas sûr que vous parliez de la langue — que les exigences linguistiques sont supérieures. Je croyais que les 38 professions étaient prévues dans les instructions ministérielles. Je me trompe peut-être. Vous voulez parler des demandeurs faisant partie de l'arriéré qu'on laisse tomber, n'est-ce pas?

Le sénateur Eggleton : Oui. On leur dit qu'ils peuvent présenter une nouvelle demande. Combien d'entre eux, dans cet arriéré, sont susceptibles de présenter une nouvelle demande et d'être admissibles en vertu des nouvelles règles?

M. Collacott : C'est difficile à dire. Il y en a peut-être certains qui ont attendu si longtemps qu'ils ne souhaitent plus venir. Je crois savoir que les provinces et d'autres administrations peuvent examiner les dossiers de l'arriéré pour déterminer s'ils correspondent à leurs besoins. À ma connaissance, il n'y a pas d'évaluation des dossiers individuels pour savoir qui, parmi les demandeurs faisant partie de l'arriéré, pourrait être admissible. Cela dépend d'eux. Je n'en suis pas sûr, mais je crois que c'est le cas.

M. Bellissimo : Je ne sais pas non plus quel est le nombre. Je crois cependant qu'il est important de préciser qu'en vertu de la loi actuelle, un agent d'immigration peut rejeter un demandeur, même s'il a le nombre de points requis, s'il l'estime peu susceptible d'avoir une situation économique acceptable au Canada. Cette disposition se trouve dans la loi actuelle.

Le sénateur Eggleton : Je voudrais aborder les autres dispositions parce que vous avez tous parlé de l'arriéré. Il y en a deux qui sont très importantes. La première confère davantage de pouvoirs discrétionnaires au ministre, particulièrement en ce qui concerne la possibilité d'inclure 2 750 personnes dans une catégorie professionnelle. Les représentants du ministère ont dit au comité qu'ils n'avaient qu'une seule catégorie à l'esprit pour le moment. Je n'ai donc pas l'impression que les nombres sont élevés.

Quoi qu'il en soit, à quel genre de surveillance croyez-vous qu'il faudrait assujettir ces pouvoirs discrétionnaires du ministre?

Mme Douglas : C'est l'une des questions que nous soulevons dans notre mémoire, à savoir que le ministre dispose actuellement de vastes pouvoirs discrétionnaires. Nous ne savons pas pourquoi on juge nécessaire d'étendre davantage ces pouvoirs. Nous avons été surpris d'apprendre que la ministre de RHDCC pourra également donner des instructions. Le problème, à notre avis, c'est que le gouvernement continue à affaiblir la surveillance parlementaire, de même que les discussions et les consultations publiques, concernant les changements pouvant être apportés à notre programme d'immigration.

Le pouvoir de créer de nouvelles catégories dans le volet économique pendant une période de cinq ans est un autre exemple, bien qu'un nombre limité de personnes puissent venir dans le cadre de ce programme. Si nous voulons créer une catégorie différente, pourquoi ne pas publier un exposé de principe à ce sujet? Pourquoi ne pas expliquer les raisons pour lesquelles on juge bon de créer une nouvelle catégorie d'immigration et permettre un débat public sur les changements que cela entraînerait?

Nous sommes inquiets de ces changements introduits sans débat par voie réglementaire, qui peuvent aboutir à un programme d'immigration encore plus fragmenté et incohérent qu'il ne l'est actuellement.

M. Kurland : La langue constitue le principal élément. Les gens faisant partie de l'arriéré ne peuvent pas satisfaire aux exigences linguistiques. C'est la langue qui constitue l'élément essentiel, pas la profession. Les études montrent clairement que la connaissance de l'une de nos deux langues officielles permet de réussir au Canada. Par ailleurs, ceux qui ne connaissent ni l'anglais ni le français ont de bonnes chances de se retrouver dans une classe socioéconomique ghettoïsée dont les perspectives ne sont pas particulièrement brillantes.

Pour ce qui est de la surveillance, je citerai ce que Reagan disait à Gorbatchev : « Faire confiance, mais vérifier. »

Nous avons besoin d'un mécanisme autre que les commentateurs des médias électroniques pour surveiller les choix politiques faits par le ministre de l'Immigration. C'est une grande question, mais je ne connais pas la réponse.

M. Bellissimo : J'ai dit dans mon exposé préliminaire qu'il est vraiment important qu'il y ait certitude et prévisibilité dans notre système d'immigration. Nous avons besoin de souplesse, mais elle existe déjà. Des rapports sont déposés au Parlement à ce sujet. Si le système d'immigration comporte des cibles mouvantes, des individus peu scrupuleux ont la possibilité de vous prendre votre argent et d'exploiter vos rêves parce que quelque chose peut changer. Telle règle a changé hier et peut changer encore dans quelques mois. On a besoin d'une certaine prévisibilité. Cela est essentiel. À défaut, nous reculerons par rapport aux améliorations apportées par le présent gouvernement.

Le sénateur Eggleton : Pouvez-vous nous parler des changements touchant le Programme des travailleurs étrangers temporaires? C'est l'autre disposition très importante qui m'intéressait. Deux d'entre vous se sont demandé si c'est une bonne ou une mauvaise idée et ont formulé des observations de fond. J'aimerais cependant connaître votre avis sur les changements apportés dans le projet de loi C-38 aux procédures d'annonce et de recrutement ainsi que sur la décision parallèle prise par le ministre, de concert avec sa collègue de RHDCC, de permettre aux employeurs de payer un salaire de 15 p. 100 inférieur à la moyenne. Que pensez-vous de ces dispositions?

M. Collacott : Je crois que la baisse de 15 p. 100 fait partie d'une formule complexe. Le ministre Kenney en a parlé en précisant que cela représente le salaire moyen.

De toute façon, j'ai des réserves au sujet du Programme des travailleurs étrangers temporaires parce qu'il permet aux employeurs de faire venir des gens très rapidement. Il y a une très nette transition vers les travailleurs qualifiés aux compétences moindres, et des pressions sont exercées sur les autorités pour que ces travailleurs soient autorisés à faire venir leur famille. Pour reprendre une boutade d'un groupe de réflexion américain, je dirai que nous importerons de la pauvreté quand ces mesures seront mises en œuvre.

Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers, qui a été le prédécesseur du Programme des travailleurs étrangers temporaires, avait très bien marché parce que les travailleurs restaient dans le pays pour une période limitée et n'étaient pas accompagnés de leur famille. Nous aurons d'énormes problèmes si nous commençons à faire venir de grands nombres de travailleurs plus ou moins qualifiés avec leur famille. Les employeurs seront enchantés, mais le soutien des familles coûtera une fortune aux collectivités.

M. Kurland : Mon cher monsieur Collacott, la nouvelle approche canadienne de l'immigration constitue essentiellement un grand tableau qui montre comment améliorer la vie de ceux qui viennent tout en protégeant et notre portefeuille et nos valeurs. Dans ce contexte, nous avons créé un système qui permet une intégration parfaite des travailleurs étrangers. On ne laisse personne obtenir un permis de travail. On met les gens à l'épreuve. Employeurs et employés sont examinés et jugés admissibles avant de venir.

Une fois les travailleurs arrivés chez nous, certains d'entre eux, pas tous, auront la possibilité d'accéder à la résidence permanente : catégorie de l'expérience canadienne, candidats provinciaux, travailleurs qualifiés. En fin de compte, les travailleurs étrangers parviendront à la résidence permanente sans rien coûter aux contribuables parce qu'il n'y aura aucune dépense d'établissement ou d'intégration. Ils auront déjà un travail au Canada et connaîtront bien le fonctionnement de la société. C'est certainement l'orientation à prendre.

Le sénateur Callbeck : Monsieur Collacott, je voudrais revenir sur une question que le sénateur Eggleton a déjà abordée. À la première page de votre exposé, vous avez dit que ceux qui s'étaient qualifiés aux termes des anciennes règles étaient peu susceptibles de bien se tirer d'affaire dans la population active.

Est-ce une opinion personnelle? Vous n'avez rien pour l'appuyer?

M. Collacott : Non, mais il y a beaucoup de données établissant que les gains, même dans le cas des travailleurs qualifiés, sont très sensiblement inférieurs à ceux des immigrants arrivés plus tôt.

Le sénateur Callbeck : Je me souviens de vous avoir entendu dire cela. La question, c'est pourquoi?

M. Collacott : Pourquoi ils ne s'en tirent pas bien? Cela fait l'objet de nombreuses analyses. Il y a plusieurs raisons. D'abord, le manque de connaissance de nos langues officielles. Si on ne parle bien ni l'anglais ni le français, on peut quand même obtenir beaucoup de points en prouvant par exemple qu'on a trois doctorats. Comme l'a signalé M. Kurland, on ne peut pas bien se tirer d'affaire dans la population active sans bien connaître la langue.

Il y a différents facteurs. Les employeurs accordent moins de poids à l'expérience acquise à l'étranger qu'ils ne le faisaient dans le passé. C'est peut-être attribuable au changement des pays d'origine. De plus, les titres de compétence obtenus à l'étranger ne sont souvent pas reconnus. Bref, il y a vraiment aucun doute qu'après 1980, les immigrants récents se sont beaucoup moins bien tirés d'affaire dans la population active qu'ils ne le faisaient auparavant, même dans le cas des travailleurs qualifiés. Je pourrais vous en parler longuement, mais je sais que je dois être concis.

Le sénateur Callbeck : Avec les changements proposés dans ce projet de loi, croyez-vous qu'ils se débrouilleront mieux?

M. Collacott : Un peu mieux. Je n'irai pas aussi loin que M. Kurland, qui a dit que les changements donneront des résultats exceptionnels. Nous verrons bien si les améliorations sont importantes. Pour moi, le problème réside dans le fait que nous acceptons beaucoup trop d'immigrants qui doivent faire la concurrence aux gens qui sont déjà ici. Toutefois, c'est un autre problème. Bref, ils se débrouilleront un peu mieux.

Quelques-unes des premières analyses montrent que les immigrants admis dans le cadre du Programme des candidats provinciaux se tirent très bien d'affaire. On se demande actuellement si ce programme sera maintenu. D'après un document qui vient de paraître, ce ne sera probablement pas le cas. Les provinces choisissent des personnes qui répondent à certaines exigences très particulières, ce qui suscite beaucoup de questions. Je crois que le gouvernement s'est orienté dans la bonne direction.

Mme Douglas : Nous ne pouvons pas faire abstraction du fait que beaucoup d'immigrants ne se tirent pas bien d'affaire depuis les années 1990 parce que les titres de compétence étrangers ne sont pas reconnus. Nous devons faire mieux dans ce domaine, au niveau tant fédéral que provincial. Le gouvernement fédéral s'est engagé à examiner les propositions faites aux organismes d'accréditation en vue de l'élimination de certains des obstacles qui existent. Nous devons également faire des efforts auprès des employeurs pour qu'ils acceptent de se fier au jugement des organismes d'accréditation ou d'évaluation des titres de compétence, s'ils déclarent qu'un diplôme est équivalent aux titres canadiens correspondants et que le titulaire peut exercer les fonctions en cause. La question a donc deux volets : la reconnaissance des titres de compétence et la sensibilisation des employeurs afin qu'ils reconnaissent l'expérience acquise à l'étranger et les études faites dans d'autres pays.

Je voudrais ajouter que notre système de points d'appréciation accorde des points pour la connaissance de la langue. Ce n'est peut-être pas autant que dans les nouvelles propositions, mais la langue constituait certainement un critère clé d'admissibilité dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés. Pour ceux qui ne connaissent pas suffisamment la langue des affaires dans le contexte canadien, la formation linguistique ne constituerait qu'un très petit investissement que nos entreprises doivent faire pour permettre aux travailleurs qui ont les compétences recherchées de bien s'intégrer dans leur secteur.

Le sénateur Callbeck : Vous parlez de la reconnaissance des diplômes universitaires. Nous en avons tous entendu parler, notamment parce que nous bavardons avec les chauffeurs de taxi. Trouvez-vous qu'il y a des progrès dans ce domaine?

Mme Douglas : Je crois que nous continuerons à voir des progrès maintenant que nous avons dans les différentes provinces des commissaires et des commissariats à l'équité qui ont finalement commencé à se parler entre eux. Certains secteurs sont plus avancés que d'autres. En Ontario, par exemple, il y a une vraie concertation entre les grandes industries, qui commencent à mettre en place des processus pour minimiser les obstacles que doivent affronter les professionnels formés à l'étranger. Il faudra que les provinces continuent à exercer des pressions sur les organismes de réglementation pour les amener à agir un peu plus vite.

Nous devons également commencer à élaborer des normes nationales à cet égard. À l'heure actuelle, on peut être accepté en Colombie-Britannique, mais ne pas être en mesure de travailler en Ontario. C'est le genre de choses que nous devrions examiner. S'il y a des pratiques exemplaires au Québec, essayons de les faire adopter en Ontario et faisons en sorte que, dans chaque province, on reconnaisse les diplômes reconnus dans une autre province.

M. Kurland : Le gouvernement a déjà pris des mesures dans ce domaine ces deux dernières années. Par exemple, on projette de faire reconnaître les titres de compétence d'avance, avant l'arrivée au Canada. Les Australiens le font. Le Canada compte emprunter cette voie. Cela viendra, qu'on le veuille ou non.

Pour ce qui est des travailleurs étrangers, on peut recourir à eux pour qu'en fin d'année, on ait le même nombre de travailleurs qualifiés. Il suffit de les choisir au Canada même, ce qui n'occasionne aucune difficulté parce qu'ils sont déjà dans le pays et travaillent dans leur domaine.

Vous parlez de réduire le risque pour ceux qui présentent une demande à l'étranger. On réduirait le coût global du système en prenant moins de travailleurs à l'étranger et davantage de gens qui travaillent déjà chez nous. Ainsi, nous n'aurions pas à placer du personnel coûteux dans nos ambassades.

Le sénateur Callbeck : Au sujet des travailleurs étrangers, nous avons entendu l'autre jour des représentants de la Fédération du travail de l'Alberta. Pour eux, le Programme des travailleurs étrangers temporaires n'est qu'une solution facile à un problème à long terme. Ils croient que si nous poursuivons dans la même voie, nous ne réglerons pas le problème de la pénurie de travailleurs qualifiés dans le pays. Êtes-vous du même avis?

M. Kurland : Je suis tout à fait d'accord. Comment y remédier? C'est difficile. Cela dépend de la profession et de la région du Canada, mais tout revient à une question d'argent. Offrirons-nous de plus hauts salaires sur place? Offrirons- nous la formation et le développement des compétences nécessaires? Qui paiera la note? Les associations d'employeurs, les provinces, le gouvernement fédéral? Ce sont les bonnes questions, et les réponses sont déplaisantes. À court terme, il est moins coûteux de faire venir des travailleurs étrangers et de reporter à plus tard les vraies solutions qu'évoque le sénateur.

Le sénateur Cordy : Monsieur Bellissimo, si vous avez lu ma note, vous savez que vos propos ne m'ont pas beaucoup surprise. Je suis d'accord que l'immigration ne devrait pas figurer dans un projet de loi omnibus. Elle ne devrait pas faire partie d'un projet de loi d'exécution du budget de 450 pages. Elle devrait faire l'objet d'une mesure législative à part, qui permettrait d'en discuter abondamment au comité et ailleurs au Sénat, sans que chacun ait à se presser pour essayer d'étudier une petite partie du projet de loi.

J'aimerais revenir à l'arriéré et au fait que 300 000 demandeurs ont été rayés de la liste. Madame Douglas, vous avez dit, je crois, que l'arriéré est injuste, mais que la suppression des demandeurs d'avant 2008 l'est encore plus. Je pense que c'est tout à fait vrai.

La loi est modifiée à titre rétroactif, de sorte que 300 000 demandeurs ne figurent plus sur la liste. Toutefois, comme l'a dit le fonctionnaire du ministère qui a comparu la semaine dernière, ils ont la possibilité de présenter une nouvelle demande. Je ne sais pas si beaucoup d'entre eux verront là une occasion à saisir.

Madame Douglas, vous avez parlé dans votre exposé de nos bureaux qui tardent énormément à traiter les demandes dans certaines régions du monde. Vous avez mentionné l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Asie et la région du Pacifique. N'aurait-il pas été plus efficace pour le ministère de déterminer les régions où le traitement est extrêmement lent, de trouver les motifs de cette lenteur, d'ajouter les effectifs voulus ou de prendre d'autres mesures pour accélérer le traitement plutôt que de rayer 300 000 demandeurs de la liste?

Mme Douglas : Absolument. C'est l'une des propositions que nous avons faites au gouvernement il y a des années, à savoir que nous avons besoin de plus de ressources, particulièrement en Asie. L'Asie continue d'être le continent où se trouvent la plupart des demandeurs et d'où viennent la plupart de nos immigrants. Nous avons également besoin de plus de ressources en Afrique et dans la région du Pacifique.

Si quelqu'un voulait bien faire une analyse démographique de l'arriéré, je suis sûre que nous découvririons qu'un grand nombre de demandes viennent de l'Asie. Nous devons chercher les raisons pour lesquelles le gouvernement n'a pas fourni les ressources nécessaires. L'une de nos principales recommandations propose d'utiliser les quelque 130 millions de dollars de frais acquittés ainsi que les fonds prévus pour l'administration afin d'éliminer l'arriéré et de mettre en place un processus provisoire si nécessaire. C'est la solution préférée : établissons un processus de trois ans et attribuons toutes les ressources nécessaires pour éliminer l'essentiel de l'arriéré. En même temps, nous pouvons poursuivre les projets pilotes en permettant aux provinces de trouver parmi les demandeurs de l'arriéré les compétences dont elles ont besoin pour pourvoir les professions et les secteurs qui ont des pénuries de main-d'œuvre. Mettons à l'œuvre toutes ces ressources en même temps. Ce serait plus équitable pour les demandeurs et pour le Canada, et cela répondrait à nos besoins économiques.

M. Kurland : Je suis surpris par la fausse modestie, si je peux m'exprimer ainsi. Pour la première fois dans l'histoire de l'immigration canadienne, la discrimination n'est plus en cause quand il s'agit de la sélection des travailleurs qualifiés. Auparavant, on demandait au candidat : Êtes-vous admissible, et de quels pays êtes-vous? Les niveaux d'immigration étaient répartis par pays. De ce fait, si le candidat venait d'une région à forte demande, les délais de traitement étaient plus longs parce que chaque pays avait son quota. Un programmeur IBM de Paris obtenait son visa plus rapidement qu'un programmeur IBM de Beijing. Ce n'est plus le cas. En vertu du nouveau système de sélection des travailleurs qualifiés, le premier arrivé est le premier servi, indépendamment du pays d'origine, parce que le traitement de la demande se fait au Canada, dans l'ordre d'arrivée dans le courrier. Je ne crois pas un instant que nous ayons aujourd'hui des problèmes de traitement basés sur le pays d'origine. C'est faux.

M. Collacott : Le problème de l'arriéré ne tient pas seulement aux ressources. Le nombre de demandes reçues dépasse de loin et nos besoins et nos capacités de traitement. Voilà la racine du problème. Pendant des années, les Américains ont fixé des plafonds annuels. Les gens présentent des demandes, mais s'ils ne s'inscrivent pas dans le quota, ils savent qu'ils auront très longtemps à attendre. Pour notre part, nous avons simplement dit que n'importe qui peut présenter une demande, que les demandes seraient traitées et que les candidats seraient admis dans un délai qu'on espère raisonnable. Heureusement, nous n'avons pas pris d'engagement au sujet des délais, mais le problème va plus loin qu'une simple question de ressources. Nous n'avons pas besoin de tous ces candidats, et nous n'avons pas les moyens de traiter toutes les demandes. Nous ne pourrons tout simplement pas admettre la plupart de ces gens.

Le sénateur Cordy : Deux d'entre vous ont parlé de l'accroissement des pouvoirs du ministre. Mme Douglas a donné dans son mémoire quelques exemples concernant le remaniement du programme des entrepreneurs. En réponse à une question, quelqu'un a dit que les pouvoirs supplémentaires conférés au ministre réduiraient ou supprimeraient la surveillance parlementaire. À titre de parlementaires, nous devrions suivre les changements apportés aux lois ou à la façon de faire les choses dans le pays.

Je crois comprendre que le projet de loi donnera sensiblement plus de pouvoirs au ministre. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Bellissimo : Oui, le ministre aura plus de pouvoirs. Nous sommes témoins aujourd'hui des difficultés que cela peut occasionner. Nous avons entendu certains exprimer des points de vue, certains autres mentionner des études et des questions très complexes. Nous devons engager une sérieuse discussion et exercer une surveillance. Dans le cadre de cette surveillance, il faut nécessairement consulter le public, ce qu'il est impossible de faire au rythme qui est imposé pour étudier ce projet de loi omnibus, que nous examinons par petits morceaux.

Nous avons brièvement abordé la question des travailleurs étrangers temporaires. Quelques dispositions du projet de loi renforcent sensiblement les pouvoirs d'inspection et de visite, ce qui touchera les employeurs canadiens quand des gens viendront chez eux pour examiner ce qu'ils font. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais qui fera les inspections et comment se dérouleront-elles? Il est impossible de répondre à ces questions parce que nous n'avons pas le temps de nous en occuper.

Le sénateur Dyck : J'espère pouvoir exprimer clairement ma question parce que je suis moi-même un peu confus.

Monsieur Collacott, vous avez dit dans votre exposé, et je cite : « Ces dernières décennies, les nouveaux venus ont en moyenne gagné moins et connu des niveaux de pauvreté plus importants que ceux qui sont arrivés chez nous avant 1980. » Vous avez dit ensuite que ces nouveaux venus ont coûté davantage au Canada sur le plan des avantages sociaux et vous avez expliqué les raisons pour lesquelles vous le croyez.

L'impression que j'en tire, c'est que nous en sommes presque à reprocher cela aux immigrants. Je ne crois pas que ce soit nécessairement de leur faute. C'est peut-être attribuable à une chose dont Mme Douglas a parlé, c'est-à-dire le manque de reconnaissance des titres de compétence et le versement de salaires probablement moindres que ce qu'ils devraient être. Les nouveaux venus ne sont probablement pas rémunérés d'une façon équitable. De plus, nous avons eu une récession dans les années 1990. Statistique Canada nous a dit, je crois, que les immigrants ont souffert davantage de cette récession que le reste de la population.

Toutes ces choses ont réduit la capacité des nouveaux venus de payer des impôts. Tout cela me dérange. Pouvez- vous me dire ce que vous en pensez?

M. Collacott : Tout d'abord, je ne crois pas que quiconque essaie de blâmer les nouveaux venus. Nous n'avons que nous-mêmes à blâmer de les avoir fait venir... je ne dirais pas en leur racontant des mensonges, mais en ne leur disant pas que leurs perspectives étaient loin d'être aussi bonnes qu'ils le pensaient eux-mêmes.

Vous nous avez vous-même donné un exemple en parlant des gens qu'on a fait venir au cours d'une récession. Nous savons maintenant qu'ils sont marqués pour la vie, en ce qui a trait à leurs perspectives économiques, parce qu'ils ne peuvent pas trouver du travail pendant qu'ils possèdent encore toutes leurs compétences. Nous le savons depuis le début des années 1990, et cela est en train de se reproduire. Il nous incombe de trouver des moyens d'aider les immigrants à réussir.

D'un côté, je suis sympathique à ce que mes collègues ont dit au sujet de lignes directrices claires et de discussions plus vastes. De l'autre, le système actuel est dans un tel chaos que je laisserai au gouvernement une certaine marge de manœuvre pour essayer de nouvelles formules. Bien sûr, il aura à en rendre compte au Parlement au moment voulu. Si on commence à tenir une très longue discussion, elle peut se prolonger à l'infini sans qu'aucun changement ne soit fait.

Le sénateur Dyck : Y en a-t-il d'autres qui veulent ajouter quelque chose?

Mme Douglas : Je crois que vous avez parfaitement raison. Nous avons tendance à reprocher aux nouveaux venus les difficultés qu'ils rencontrent. Ils viennent chez nous de bonne foi parce qu'on leur a dit que le Canada a besoin de leurs compétences. On leur a dit que leurs diplômes et leur niveau de connaissance de la langue sont suffisants parce que nous avons mis en place un système objectif de points d'appréciation. Je conviens avec M. Kurland que notre système de points a été conçu pour être objectif, mais nous ne pouvons pas prétendre qu'il y a des obstacles particuliers pour certains groupes particuliers.

Il y a une question que nous avons évitée jusqu'ici : le problème de la reconnaissance des titres de compétence et d'autres problèmes du même genre sont partiellement attribuables à l'évolution démographique qui s'est produite. À mon avis, si nous avions reçu beaucoup d'immigrants venant d'Europe occidentale, la reconnaissance des titres ne poserait pas de problème. L'évolution démographique qui s'est produite fait que nos nouveaux venus viennent surtout du Sud, et particulièrement de l'Asie. Voilà le genre de questions que nous devons régler au Canada.

Je ne crois pas que la solution consiste à... je ne veux pas dire fermer la porte parce qu'il y a d'autres moyens d'entrer au Canada. Je pense que c'est trop fragmentaire, mais nous devons reconnaître, comme pays, qu'il y a des efforts à faire, une fois les immigrants arrivés chez nous, pour les aider à participer selon leurs attentes et selon ce que nous leur avons promis.

Je voudrais revenir sur un point. Je ne pense pas que notre système de points d'appréciation soit délibérément conçu ainsi — son rôle étant de faire un tri préliminaire —, mais nous devons admettre que nous avons plus de bureaux des visas en Europe qu'en Asie, malgré la taille et la population de ce continent. C'est simplement un fait.

Le sénateur Dyck : L'autre point que je voulais aborder, c'est qu'en vertu du projet de loi, les travailleurs étrangers temporaires seront payés 15 p. 100 de moins que la moyenne régionale. Je m'interroge sur les effets de cette mesure. Nous parlons de nouveaux venus qui ne paient pas suffisamment d'impôts et qui coûtent davantage au Canada, mais si nous commençons à les payer moins, comment cela peut-il améliorer la situation? Une analyse coûts-avantages montrerait que cela ne peut qu'aggraver la situation.

N'est-ce pas votre avis, monsieur Collacott, madame Douglas et les autres?

Mme Douglas : Nous entendons dire qu'il ne faut pas seulement craindre les effets d'une rémunération moindre sur les immigrants. Comme nous ancrons des injustices dans la politique publique, nous devons craindre les répercussions sur l'ensemble des salaires, y compris ceux des Canadiens. Dans certains secteurs, nous autorisons les employeurs à décider de payer une rémunération moindre en fonction de l'identité de l'employé. À long terme, cela créera une tendance réelle à la baisse dans le domaine des salaires et de la protection des travailleurs.

M. Kurland : Lorsque j'ai vu ce chiffre de 15 p. 100, j'ai pensé que c'était une erreur. Tout d'abord, il faut dire que nous avons eu des explications. Cette disposition ne signifie pas que les travailleurs étrangers recevront 15 p. 100 de moins. Ce n'est pas le cas. Il s'agit simplement d'une marge de manœuvre qui permet de fixer le salaire à un maximum de 15 p. 100 au-dessous de la médiane en fonction de la région et de la profession.

Le président : Au-dessous de la moyenne?

M. Kurland : Oui, au-dessous de la moyenne médiane. Même s'il y a eu beaucoup d'échanges à ce sujet, c'est encore un peu vague.

Il s'agit de la rémunération directe. Je crains que cette disposition n'ait un effet contraire. J'ai pensé que c'était une erreur parce que j'avais présenté un témoignage ce sujet. Que penseriez-vous de ma solution? Dans le cas d'un travailleur étranger, il faudrait peut-être ajouter 15 p. 100 à la rémunération pour imposer une dépense supplémentaire aux employeurs. Ainsi, comme l'a signalé le sénateur, on les encouragerait à chercher les vraies raisons du recours à des travailleurs étrangers. Je crois que c'est un point de vue raisonnable.

Le président : Monsieur Collacott, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Collacott : J'aimerais, si possible, revenir sur un autre point.

Le président : Est-il lié aux questions du sénateur Dyck?

M. Collacott : Non.

Le président : Il vaudrait mieux attendre à plus tard. Je vais maintenant donner la parole au sénateur Rivard.

[Français]

Le sénateur Rivard : Merci, monsieur le président, on a la chance aujourd'hui d'avoir quatre témoins qui sont des spécialistes des lois de l'immigration. On sait que le Québec s'occupe de sa propre immigration. Je m'interroge sur les critères d'admissibilité canadiens versus ceux du Québec.

On sait qu'au Canada, le premier critère est économique tandis qu'au Québec, on exige 11 années de scolarité ou l'équivalence et la connaissance suffisante du français.

Voici la raison pour laquelle je pose la question : j'ai vu passer un cas, il y a quelques mois, d'un candidat immigrant portugais qui a la connaissance suffisante du français, qui, malheureusement, n'a pas 11 années de scolarité. Donc il a commencé par demander une application pour être immigrant québécois et vu qu'il ne pouvait pas rencontrer une des conditions, il s'est essayé au Canada. Il a donc appliqué pour être paysagiste, il a de l'expérience, pour être immigrant au Canada. Au Canada, on le refuse en raison du critère économique, vu que c'est un emploi saisonnier et qu'il y a un surplus de travailleurs, on le bloque.

Comment trouvez-vous que dans le même territoire, il y ait des conditions si différentes qui pourraient empêcher un immigrant potentiel à cause de conditions différentes, au Québec par la scolarité et au Canada par le critère économique. Est-ce que vous avez une opinion sur cela?

M. Kurland : Effectivement, c'est un choix parce qu'au palier fédéral, ils sont en train de créer un système qui va gérer la rentrée d'un quart de million de personnes avec un but national. Puis c'est la région qui est responsable pour la sélection des immigrants. Le Québec a pris une décision éclairée. La province ne veut pas d'un immigrant avec ce profil. Est-ce bon ou non? C'est une question québécoise.

[Traduction]

M. Collacott : Je trouve personnellement que, d'une façon générale, les programmes provinciaux ont un sérieux inconvénient : on peut être jugé admissible comme immigrant dans une province, puis la quitter rapidement pour aller s'établir dans une autre où on n'aurait peut-être pas été admis. Récemment, le ministre a dit qu'en grande majorité, les immigrants acceptés à titre d'investisseurs dans le cadre du programme québécois sont allés s'établir dans une autre province, qui a dû assumer les frais de la famille. Nous devons donc examiner soigneusement les effets des programmes provinciaux, qu'il s'agisse du Programme des candidats des provinces ou du programme québécois.

Bien sûr, le programme du Québec est en vigueur depuis un certain temps tandis que les programmes provinciaux de candidats sont relativement récents. Celui du Manitoba existe depuis quelque temps et s'est considérablement développé. Je n'ai pas l'impression que nous sachions vraiment où cela nous mènera. Il y a là quelques problèmes très réels, notamment le fait qu'on peut aller dans une province en satisfaisant à ses conditions, puis déménager immédiatement dans une autre dont on ne respecte pas les critères. C'est une situation qui mérite d'être examinée.

[Français]

Le sénateur Rivard : Monsieur Collacott, vous êtes président du conseil consultatif et porte parole du Centre pour une réforme des politiques d'immigration. Êtes-vous parfois consulté par le Québec? Sinon, sans être consulté, vous permettez-vous de leur donner des conseils?

[Traduction]

M. Collacott : Sénateur, je n'ai pas encore été consulté, mais je serais enchanté de donner mon avis. Notre conseil d'administration comprend quelques personnes venant du Québec. Nous sommes heureux de donner un avis à quiconque s'intéresse à ces questions.

M. Bellissimo : Je voudrais noter que l'Association du Barreau canadien ainsi que les barreaux régionaux s'entretiennent régulièrement avec des responsables pour leur donner des avis.

Le sénateur Seth : Dans le cas des travailleurs étrangers temporaires, la plupart des mesures de protection se situent au niveau provincial, notamment en ce qui concerne le travail, la santé et la sécurité et même les droits de la personne. De quelle façon le nouveau pouvoir réglementaire permettant d'imposer des exigences aux employeurs sera-t-il coordonné avec les responsabilités provinciales? Comment cela se fera-t-il?

M. Collacott : C'est compliqué. Vous avez soulevé une bonne question parce que trois ministères et organismes différents approuvent les règlements : Citoyenneté et Immigration Canada, Ressources humaines et Développement des compétences Canada et l'Agence des services frontaliers du Canada. En toute franchise, je ne suis pas sûr. La question de la coordination fédérale-provinciale a fait l'objet d'un excellent article de l'Institut de recherche en politiques publiques en 2010.

Tout ce que je peux dire, c'est que, comme vous l'avez noté, l'essentiel de la protection des travailleurs étrangers temporaires relève de la compétence provinciale, alors que le recrutement des travailleurs relève surtout du gouvernement fédéral. C'est une bonne question. Je n'ai pas de réponse rapide à vous donner. Différents facteurs sont en jeu.

M. Bellissimo : Je crois aussi que c'est une excellente question. De concert avec RHDCC, Citoyenneté et Immigration Canada s'oriente vers un modèle d'attestation dans lequel plus de renseignements seront confirmés au départ, l'évaluation du risque se faisant dans un deuxième temps. Cela est envisagé à un moment où de sérieuses compressions sont faites dans le ministère responsable. Cela fait partie du problème quand on parle du remboursement de 130 millions de dollars de frais acquittés, qui ont accumulé des intérêts ici. Il est nécessaire de recourir à une approche holistique, car, en cas de problème, tout se passe comme vous l'avez mentionné, sénateur. Il y a des difficultés quand chaque partenaire ne sait pas ce que les autres font.

M. Kurland : Il y a des programmes pour les travailleurs agricoles saisonniers. Ils permettent à beaucoup de gens d'aller travailler dans de nombreuses provinces. Pour être admissible, l'employeur doit signer un contrat uniforme protégeant l'employé. Le contrat est le résultat de négociations fédérales-provinciales, auxquelles participent même des gouvernements étrangers, comme celui du Mexique. En cas d'arbitrage, on a donc non seulement nos mesures de protection canadiennes, mais aussi les dispositions du droit privé des contrats.

Le sénateur Seth : Si des travailleurs étrangers vont en Ontario, la loi et les mesures de protection ontariennes ne s'appliquent-elles pas? Pourquoi la loi fédérale s'appliquerait-elle? La loi ontarienne n'est-elle pas suffisante?

M. Kurland : C'est la raison pour laquelle j'aime bien l'approche créative adoptée dans le cas du contrat des travailleurs agricoles saisonniers. Cette approche peut s'appliquer à d'autres catégories de travailleurs. C'est une bonne idée.

Mme Douglas : Le problème réside cependant dans l'absence d'une surveillance cohérente. Comme vous l'avez signalé, le gouvernement fédéral dit qu'il y a des contrats, mais s'il n'y a aucun contrôle pour s'assurer que les employeurs honorent leurs engagements contractuels, l'exploitation des travailleurs continue. Comme le système est fondé sur les plaintes — en Ontario, par exemple, c'est la province qui est responsable de l'application de la législation du travail —, le contrôle est en pratique inexistant. Tout d'abord, il est vraiment difficile d'amener un travailleur agricole à déposer une plainte ou même à y penser parce qu'il risque d'être exclu du programme et, partant, de perdre le gagne-pain de sa famille. Certaines personnes participent au programme depuis 10 ou 12 ans. Il serait certainement risqué pour eux de se plaindre des conditions d'emploi chez un employeur particulier. Je crois que le gouvernement fédéral devrait prévoir suffisamment de ressources pour faire un contrôle et que, du côté provincial, les autorités devraient s'occuper de l'application de la loi lorsque des plaintes sont déposées, que ce soit par les intéressés eux-mêmes ou par des tiers.

Le président : Monsieur Collacott, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Collacott : Oui. Je crois que le Programme des travailleurs agricoles saisonniers a une certaine valeur, mais qu'il s'agit d'un genre complètement différent de programme. Ce sont des travailleurs qui viennent pour quelques mois. Une partie de leur salaire est retenue et leur est versée à leur retour au Mexique ou dans les Caraïbes. Le programme n'a jamais été conçu pour du travail permanent ou à long terme. Nous nous occupons ici d'un cas complètement différent. Nous faisons venir des gens pour un, deux, trois ou quatre ans, et même pour plus longtemps, ce qui crée une toute nouvelle situation. D'après certains groupes de réflexion, tout programme de travailleurs temporaires est voué à l'échec parce qu'il a plus d'inconvénients que d'avantages. C'est excellent pour des employeurs qui veulent remédier rapidement à des pénuries de main-d'œuvre, mais c'est préjudiciable pour les travailleurs locaux et, à long terme, pour le pays hôte.

Le sénateur Martin : Je suis d'accord sur ce que plusieurs d'entre vous ont dit quant à la nécessité de mettre de l'ordre dans le système. Comme vous l'avez dit dans votre exposé, madame Douglas, pour établir un système d'immigration plus transparent et plus prévisible, le gouvernement doit rationaliser le processus de traitement des demandes, le rendre plus efficace, plus rapide et moins coûteux. Je crois que c'est exactement l'objectif des modifications proposées dans le projet de loi : rationaliser le système et en augmenter l'efficacité.

J'aimerais avoir des précisions sur une autre chose que vous avez dite. Vous avez mentionné que, dans le cadre de la réduction de l'arriéré — qui est vraiment regrettable pour les demandeurs, je ne saurais le dire assez —, vous vous inquiétez du fait qu'ils ont présenté leur demande de bonne foi. Toutefois, si l'arriéré devient trop grand, nous pouvons faire certains changements. Je crois que les fonctionnaires ont dit, en réponse à nos questions, qu'une fois l'arriéré éliminé dans le système rationalisé, il ne réapparaîtra pas dans cette forme parce qu'ils cherchent des moyens de régler le problème d'une manière plus prévisible.

Je voudrais savoir si l'un d'entre vous a des observations à formuler à ce sujet. C'est une chose de réduire l'arriéré, mais qu'adviendra-t-il des arriérés futurs? C'est la question que j'ai posée aux fonctionnaires.

Mme Douglas : Nous continuons à recevoir des demandes, et pas seulement dans le programme des travailleurs qualifiés. Il y a d'autres moyens d'entrer au Canada. Nous avons un arriéré dans la catégorie des parents et des grands- parents. À moins de prévoir les ressources nécessaires pour traiter ces cas, allons-nous atteindre un point où nous déciderons simplement de supprimer l'arriéré? C'est certainement une idée à laquelle on peut penser. Je l'ai moi-même notée comme conséquence de l'accroissement des pouvoirs discrétionnaires du ministre.

Ce que nous voulons essentiellement dire, c'est que si nous voulons un programme d'immigration qui marche, il doit disposer de ressources suffisantes et être efficace. Nous avons actuellement 15 catégories différentes, c'est-à-dire 15 moyens différents d'entrer dans le pays. En même temps, nous consacrons des ressources au Programme des travailleurs étrangers temporaires parce que nous avons décidé de désigner 39 professions, mais avons plafonné chacune pour les faire correspondre à un nombre global. Tout cela est inutilement compliqué.

C'est une façon inefficace de répondre aux besoins sociaux, culturels et démographique de notre marché du travail, compte tenu du vieillissement de notre population. Nous devons prendre du recul et décider que, oui, le Canada est un pays d'immigration et que nous comptons sur les immigrants pour répondre aux besoins du marché du travail. Toutefois, nous savons aussi que l'immigration est vraiment un moyen d'édification de la nation. Pour assurer un équilibre réel entre les besoins à long et à court terme, nous devons choisir le genre de programmes à mettre en place.

Nous devons définir des critères et cesser d'avoir des cibles mobiles. Nous ne pouvons pas adopter une catégorie de l'expérience canadienne un jour — je pense d'ailleurs que c'est un cadre intéressant, mais seulement pour un groupe particulier de personnes — tout en continuant à faire venir des milliers de travailleurs plus ou moins qualifiés sans leur permettre de rester dans le pays. Nous n'avons cependant pas les ressources nécessaires pour nous assurer qu'ils quittent le pays après quatre ans, par exemple.

Définissons clairement les besoins de l'immigration. Établissons des critères d'admission et prenons les mesures voulues pour maximiser la possibilité pour les immigrants de participer pleinement. Affectons désormais au programme des ressources représentant une part importante de notre budget.

M. Kurland : J'ai réussi à trouver les nombres relatifs à l'arriéré : 98 000 à New Delhi, qui est suivie par Londres, avec 55 000. Après cela, on tombe à 22 000 et 15 000 au Moyen-Orient. Nous avons entendu parler de l'Asie plus tôt, mais cela n'est pas confirmé par les statistiques.

Ce n'est pas du tout une question de ressources. La situation dépend plutôt du nombre d'immigrants admis, qui est limité, et de sa répartition entre les différents pays. La seule raison pour laquelle on parle de ressources tient à la longueur des délais de traitement. On ne peut pas agir sur les délais de traitement en ajoutant des ressources ou en multipliant les bureaux des visas. Les agents que nous avons sur le terrain sont compétents et disposent des ressources nécessaires pour atteindre leurs objectifs.

Le problème est que nous acceptons chaque année plus de dossiers que nous ne pouvons en traiter. Inévitablement, cela entraîne des arriérés et des délais de traitement inacceptables dans les régions à forte demande. Le problème était donc attribuable aux erreurs commises dans le passé. Maintenant, le gouvernement a plafonné le nombre de demandes acceptées. Nous n'acceptons plus de prendre plus de dossiers dans une année que nous ne pouvons en traiter. Le résultat? Les délais de traitement sont d'un an ou moins. Il n'y a rien de magique là-dedans, et le pays d'origine n'aura pas d'importance.

Le président : Cette question a beaucoup duré. En avez-vous d'autres?

Le sénateur Martin : Parmi les gens dont la demande a été annulée, qui recevront un remboursement, puis présenteront une nouvelle demande aux termes du nouveau système, certains seront en fait approuvés plus rapidement que si l'arriéré avait été maintenu. Est-ce exact?

M. Kurland : C'est l'ironie de la chose. Tout dépend de l'avocat affecté au dossier. S'il est compétent, ce sera bien le cas. La section d'immigration du barreau y veillera. Si nous estimons qu'un de nos clients peut être jugé admissible par tout autre moyen qu'en restant dans l'arriéré, vous pouvez être sûre que nous aurions déjà choisi cet autre moyen.

Le sénateur Seidman : Je voudrais poser une question très simple au sujet de l'intention des modifications proposées à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Si j'ai bien compris, l'intention est de créer le cadre législatif nécessaire pour établir un programme d'immigration économique axé sur la demande afin de répondre aux besoins du marché du travail au Canada.

Je crois, monsieur Kurland, que vous avez abordé ce point. Pouvez-vous nous en dire davantage au sujet de cette intention?

M. Kurland : Très franchement, je dirais que l'intention reflète du courage politique. Tout le long de notre histoire, nous avons rarement eu une double majorité, quel que soit le parti. C'est le bon moment pour prendre des décisions difficiles, politiquement impopulaires. Je voudrais quand même signaler que les décisions clés relatives au plafonnement des admissions — soit l'équivalent d'une politique du « troisième rail » dans les régions 416, 905 et 604 — ont été prises par un gouvernement minoritaire. Le plafonnement des admissions, décidé à un moment où cela comportait un grand risque pour le gouvernement, a été fait dans des conditions difficiles, pas du tout aussi faciles qu'elles le sont aujourd'hui.

À mon avis, l'intention actuelle est un prolongement des mesures politiques adoptées dans un passé récent, l'objectif étant d'emprunter la bonne voie. J'estime que, d'ici 18 mois, les travailleurs qualifiés candidats à l'immigration sauront parfaitement à quoi s'en tenir : il y aura des délais transparents et prévisibles d'un an ou moins. Il en est de même pour les autres catégories. Les investisseurs, s'ils ne dépassent pas le plafond, pourront venir en un an ou moins, pas en sept ans comme les 15 000 qui se morfondent dans l'arriéré. Imaginez des travailleurs qualifiés devant attendre huit ans ou plus! Dans l'ancien système, les parents et les grands-parents seraient enterrés avant d'obtenir leur visa. Je pense que nous avons fait du rattrapage et que nous sommes maintenant sur la bonne voie. Voilà l'intention de ces mesures législatives.

M. Bellissimo : C'est peut-être l'intention, mais il y a des conséquences, et c'est là que réside le problème. Quand la suppression de l'arriéré est décidée presque comme mesure de premier recours, il y a quelque chose qui ne va pas. Pourquoi n'a-t-on pas simplement écrit à tous les demandeurs pour leur demander s'ils souhaitaient encore venir au Canada? Il aurait été possible ainsi d'en éliminer des centaines de milliers.

Je crains fort qu'à l'avenir — M. Kurland a parlé d'intention et de certitude — l'incertitude ne règne puisque les instructions ministérielles peuvent changer en cours de route. Il se peut bien qu'on se dise en 2014 que l'arriéré accumulé depuis 2012 a atteint 150 000 et qu'il est nécessaire de l'éliminer parce que les besoins ont évolué depuis 2012. Souplesse, je veux bien, mais il est essentiel d'avoir une bonne gestion, une procédure établie et des décisions équitables. Nous vivons dans une société démocratique, pas une société arbitraire. Or, c'est la voie de l'arbitraire que nous sommes en train d'emprunter.

Le sénateur Seidman : Les médias nous disent sans cesse que la situation est grave à cause des pénuries de travailleurs qualifiés dans certains domaines. Par ailleurs, nous avons entendu aujourd'hui des témoignages concernant les difficultés que les immigrants connaissent à leur arrivée au Canada avec le chômage, le sous-emploi et la pauvreté.

Il me semble que l'intention de ces mesures législatives est d'établir un système d'immigration économique axé sur la demande et sur les besoins du pays. Encore une fois, M. Kurland a abordé ce point en soulignant que le système d'immigration est conçu pour le Canada et les Canadiens et vise à renforcer l'assise économique du pays.

Nous avons parlé d'arriéré et de sérieux problèmes de chômage et de sous-emploi. Je vous dirais, monsieur Bellissimo, que les gens qui ont attendu 10 ans pourraient, s'ils étaient admis au Canada, être très malheureux de voir ce qui les attend, comme l'a noté Mme Douglas.

M. Bellissimo : C'est bien possible. Toutefois, je répète encore qu'il aurait mieux valu les associer aux décisions prises en leur demandant simplement s'ils souhaitent encore venir chez nous avant d'adopter une politique aussi importante, qui aura sûrement un certain retentissement international. Je suis bien d'accord sur l'intention, mais je pense qu'il y a des moyens d'agir qui ne nous font pas de tort.

M. Collacott : Je dois me ranger à l'avis du sénateur. L'injustice a commencé il y a des années lorsque nous avons laissé s'accumuler un énorme arriéré de demandes dont nous n'avions pas besoin et qu'il nous était impossible de traiter. Pour un candidat, il n'est pas très agréable d'apprendre qu'après une attente de sept ou huit ans, la demande présentée n'est plus valide. Toutefois, nous devons faire face à la réalité et prendre les décisions nécessaires. Je crois que le gouvernement a raison d'agir ainsi. Ce ne serait dans l'intérêt de personne, et certainement pas dans l'intérêt des Canadiens, d'admettre des centaines de milliers de personnes quand nous savons qu'elles ne se tireront pas bien d'affaire.

Le sénateur Wallace : J'ai écouté la réponse que chacun d'entre vous a donnée. Je dirais que vous avez tous une grande expérience et une connaissance très détaillée du sujet. Pour notre part, chacun d'entre nous fait, dans une certaine mesure, du rattrapage dans ce domaine. Les renseignements que vous nous présentez nous sont donc très utiles.

Ayant bien écouté, j'ai examiné l'intention globale de ce qu'à ma connaissance, le gouvernement essaie de réaliser tout en gardant à l'esprit la situation financière dans le monde et en Europe. Il y a des choses effrayantes qui se passent là-bas, des choses contre lesquelles nous voulons protéger notre pays. Je sais, grâce à l'expérience que j'ai acquise dans le secteur privé, qu'il y a des moments où on a besoin de souplesse et où il faut agir d'une façon ferme et décisive. Il y a un temps pour parler et un temps pour passer à l'action. Si on n'est pas prêt à agir, les entreprises s'effondrent et les pays du monde connaissent le même dilemme. Il suffit d'observer ce qui se passe dans certains pays. Nous avons pu constater, aussi récemment qu'hier, que nous vivons une période vraiment effrayante.

Après avoir écouté chacun d'entre vous, j'ai pensé à l'exposé que nous a présenté le ministre Kenney. Si j'ai bien compris, le gouvernement croit que nous devons être agiles et souples, tout en restant équitables dans tout ce que nous faisons. Bien sûr, tout cela peut être très subjectif, mais nous devons être en mesure d'agir rapidement. Dans le cas de notre économie, il est essentiel qu'elle se porte aussi bien que possible. Les décisions prises dans le pays ne sont pas toutes de nature économique parce qu'il y a aussi des enjeux humains. Je le comprends bien.

Pour faire correspondre les besoins de notre économie à ceux de notre main-d'œuvre, aussi bien chez nous qu'à l'étranger, nous avons besoin de souplesse et devons pouvoir réagir rapidement à l'évolution de la situation. Je vous parle en pensant à ce que nous a dit le ministre dans son exposé. L'objet de l'élimination de l'arriéré de la façon qu'il a décrite et de l'accroissement des pouvoirs discrétionnaires grâce au recours aux instructions ministérielles et aux nouveaux règlements que peut prendre la ministre de RHDCC n'est pas d'enlever des droits. Si j'ai bien compris, l'objet est d'avoir une souplesse suffisante pour pouvoir, presque au jour le jour, faire correspondre les besoins du pays aux réalités de l'heure.

Pour beaucoup, cela est préoccupant. Si on accorde des pouvoirs discrétionnaires et de la souplesse, les choses se font beaucoup plus vite. Pour certains, il faut laisser suffisamment de temps pour qu'une surveillance puisse s'exercer. Il arrive cependant que des processus bureaucratiques trop encombrants aillent à l'encontre des intérêts du pays.

Je sais qu'il n'y a probablement pas grand-chose que vous ne connaissiez pas déjà, mais j'en reviens à cela quand je pense aux détails, qu'il est extrêmement important de souligner. Je ne peux pas perdre de vue que c'est la réalité à laquelle notre pays est confronté. Nous devons agir d'une manière ciblée et flexible, ce qui nécessite une certaine confiance. Nous devons croire que ceux que nous avons élus pour diriger le pays useront sagement de ces pouvoirs discrétionnaires. Nous pouvons fort bien ne pas être d'accord sur tout ce qu'ils font, mais, dans l'ensemble, nous pouvons croire qu'ils font de leur mieux, au lieu de s'en tenir à un système rigide, beaucoup trop lent et inflexible pour répondre à des besoins changeants.

Convenez-vous que c'est la situation dans laquelle notre pays devrait se trouver? Je ne vous demande pas d'appuyer chacune des modifications proposées dans le projet de loi, mais n'est-ce pas là ce que nous devons nous efforcer de faire? Ce projet de loi n'est-il pas une tentative raisonnable de parvenir à ce résultat?

Le président : Vous n'avez pas autant de temps pour répondre que le sénateur en a pris pour poser la question.

Le sénateur Wallace : J'ai terminé.

M. Kurland : Aujourd'hui, l'extrême mobilité du capital et de la main-d'œuvre nous impose d'avoir une politique souple. Toutefois, nos processus réglementaires sont aussi lourds que longs. La question se ramène à la différence philosophique entre le libéralisme et le conservatisme. On peut dire d'une part : Nous sommes le gouvernement; nous savons ce que nous faisons; faites-nous confiance. On peut aussi dire d'autre part : Vous êtes le gouvernement; vous ne savez pas ce que vous faites; nous n'avons pas confiance en vous. Il y a donc des approches divergentes. Dans la société d'aujourd'hui, compte tenu des avantages que cela comporte pour le Canada, je préfère que nous soyons agiles.

M. Bellissimo : Je suis bien d'accord que nous avons besoin d'un système agile et souple. Tout d'abord, ce n'est pas nécessairement un manque de confiance dans nos représentants élus. C'est là une chose subjective, et des tensions s'exercent des deux côtés. Toutefois, qu'arrive-t-il dans les tranchées si la fondation est trop instable, peut-être pas en réalité, mais dans la perception de ceux qui doivent naviguer dans le système? On laisse le champ libre aux individus peu scrupuleux pour exploiter ces gens. C'est le principal élément.

Deuxièmement, nous ne rejetons pas du tout l'objectif final. C'est simplement que je n'aime pas la façon que nous avons choisie pour l'atteindre. Je crois que nous voulons tous arriver au même point. Troisièmement, la loi comporte non seulement des intérêts économiques, mais aussi des enjeux sociaux et culturels. Si notre orientation est presque exclusivement économique, si nous faisons abstraction des éléments sociaux et culturels, nous oublierons le fait que nous devons tous vivre ensemble et former une société, une fois arrivés au Canada. Cela doit faire partie de l'équation. Si nous éliminons ou réduisons très sensiblement la catégorie du regroupement familial, vers qui ces gens vont-ils se tourner s'ils tombent malades, ont des enfants ou ont besoin d'aide? On espère qu'ils font partie d'une unité sociale et familiale cohérente et qu'ils n'ont pas à compter sur l'État. Tout cela s'inscrit dans une équation complexe. C'est la raison pour laquelle je me joins au sénateur Cordy pour dire que nous devons faire une étude beaucoup plus approfondie de la question.

Le président : J'aimerais obtenir quelques précisions sur certaines choses que j'ai entendues dans les témoignages présentés jusqu'ici.

Monsieur Bellissimo et monsieur Kurland, vous avez dit que les personnes faisant partie de l'arriéré se verront restituer leur dépôt. Vous avez ajouté que si vous représentiez des clients figurant sur cette liste, vous seriez au courant des dispositions de ces mesures législatives et que si vous appreniez que ces mesures devaient se concrétiser, vous donneriez certains conseils à vos clients. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Kurland : Je l'aurais fait avant le dépôt de ce projet de loi. Il est hors de question de laisser un dossier traîner dans un classeur pendant sept ans.

Le président : Je n'essaie pas de vous tirer les vers du nez. Je voulais simplement que vous précisiez ce point.

M. Bellissimo : Je dirais la même chose que M. Kurland, mais il y a un revers à la médaille. Nous avons un système qui dissuade les gens de recourir à des avocats et à des consultants et qui leur dit qu'il leur est possible de faire les démarches nécessaires sans notre aide. En faisant cela, vous avez pénalisé ceux qui n'ont pas eu recours à nos services.

Le président : Quoi qu'il en soit, vous auriez donc donné des conseils à l'avance à vos clients.

M. Bellissimo : Absolument.

Le président : Merci beaucoup. Il y a un autre aspect que je voudrais éclaircir. Plusieurs d'entre vous ont consacré beaucoup de temps à la question des travailleurs étrangers temporaires. Pouvez-vous me dire où ces travailleurs sont mentionnés dans le projet de loi?

M. Kurland : Le projet de loi dit ceci :

L'article 32 de la même loi est modifié par adjonction, après l'alinéa d), de ce qui suit :

d.1) à l'égard de l'autorisation d'un étranger de travailler au Canada...

Le président : Est-ce à la section 54?

M. Bellissimo : C'est l'article 705.

Mme Douglas : Sous le titre « Instructions du ministre ».

M. Kurland : À la section 54.

Le président : C'est sous les instructions du ministre. J'avais besoin de cette précision.

J'ai aussi quelques observations. Je crois comprendre qu'en vertu des dispositions du règlement actuel concernant les points d'appréciation, les années de scolarité comptent indépendamment de la région. Je ne veux pas me servir d'exemples, mais cela revient à dire qu'un doctorat obtenu en A vaut autant de points qu'un doctorat obtenu en B.

M. Bellissimo : Au niveau du doctorat, oui. C'est un peu plus compliqué dans le cas d'une maîtrise.

Le président : J'ai cru comprendre qu'indépendamment du niveau, la qualification, le diplôme, le certificat sont équivalents. Un titre obtenu à un niveau donné est équivalent, peu importe la discipline ou le sujet.

M. Kurland : Oui.

Le président : Je voudrais maintenant aborder la question des exigences linguistiques. J'ai passé la plus grande partie de ma carrière dans des universités qui avaient, elles aussi, des exigences linguistiques. Cela ne fait pas très longtemps que j'ai quitté ce domaine. On s'attend en général à ce que les universités fassent un aussi bon travail que n'importe quelle autre organisation lorsqu'elles évaluent les capacités linguistiques. Comme les universités pour lesquelles j'ai travaillé comptaient sur des organisations hautement professionnelles de pays étrangers pour faire cette évaluation, j'ai pu me rendre compte, de même que mes collègues que, dans la plupart des cas, les personnes que ces organisations jugeaient satisfaisantes avaient d'énormes difficultés de communication à leur arrivée au Canada. Vous nous avez parlé de la façon dont les choses se faisaient dans le passé et du projet de déterminer d'avance aussi bien les compétences que les connaissances linguistiques. Je crois que cela pourrait causer de grands problèmes : s'il est tellement difficile de mesurer quelque chose d'aussi simple que la connaissance de la langue, quel sera le résultat d'une détermination préalable de la compétence? Croyez-vous que mon observation s'applique en général dans ce cas, et pas seulement à l'université?

M. Bellissimo : Je le crois.

M. Kurland : Oui.

Le sénateur Callbeck : Madame Douglas, vous avez mentionné dans votre mémoire la suppression de l'obligation relative à l'équité en emploi dans le Programme de contrats fédéraux. Cela touchera les femmes, les personnes handicapées, les minorités visibles et les Autochtones. J'aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. À votre avis, quel sera l'effet réel de cette mesure?

Mme Douglas : Je crois que nous pouvons tous convenir que la Loi sur l'équité en matière d'emploi a eu des effets réels dans les secteurs sous réglementation fédérale. Malgré toutes les bonnes intentions, nous avons souvent besoin de politiques ou de lois contraignantes pour amener les gens à agir d'une manière équitable. Nous parlons beaucoup de mérite, mais, comme je le dis dans mon rapport, nous ne pouvons pas en arriver à un système fondé sur le mérite à moins d'avoir des règles du jeu équitables. Je tenais à dire cela d'une façon très directe parce qu'on soutient souvent, en s'opposant à l'équité en emploi, qu'elle trahit en quelque sorte le principe du mérite, en le remplaçant par des quotas et des faveurs spéciales et en engageant des gens qui n'ont pas les compétences voulues. En réalité, c'est le contraire. Toutes choses étant égales, nous reconnaissons les torts commis dans le passé, nous prenons conscience de ce qui se passe et des obstacles qui subsistent et nous intervenons pour supprimer ces obstacles et veiller à ce que les groupes mentionnés par le sénateur — Autochtones, personnes handicapées, membres des communautés marginalisées et femmes qui n'avaient pas de chances équitables — aient désormais la possibilité de participer.

J'ai bien peur que ce soit le commencement de la fin de l'équité en emploi au Canada. Nous avons fait d'énormes progrès. Les femmes en particulier ont profité le plus au cours des deux dernières décennies, non seulement au chapitre du recrutement, mais aussi en ce qui a trait aux promotions et au leadership. Nous savons que le plafond de verre est encore là et qu'il reste encore beaucoup de chemin à faire dans le cas des personnes handicapées et des Autochtones, aussi bien dans le secteur privé qu'au gouvernement fédéral. En commençant à rogner sur les obligations et à en exempter les sociétés et les industries qui travaillaient pour le gouvernement fédéral et sont assujetties à sa réglementation, en rendant l'équité en emploi facultative, nous risquons de perdre le fruit de 25 ans de progrès.

Le sénateur Callbeck : Je suis d'accord avec vous. J'étais vraiment très surprise de voir cette disposition dans le projet de loi.

Mme Douglas : Moi aussi.

Le sénateur Callbeck : Je crois que c'est un grand recul.

Le sénateur Eggleton : Revenons un peu à l'arriéré. Nous avons entendu beaucoup de commentaires sur la nécessité d'avoir un système souple, comme l'a dit M. Kurland. Nous devons être en mesure de nous adapter aux réalités de l'heure et à la conjoncture économique. Je ne crois pas que quiconque s'y oppose. Le désaccord concerne ce que nous faisons de l'arriéré actuel. J'aimerais savoir ce que vous pensez de deux aspects de la question : l'équité et notre réputation.

Nous sommes fiers d'appartenir à un pays qui traite les gens d'une manière équitable et nous agissons dans le respect de la primauté du droit. Certains qui ont présenté leur demande il y a plusieurs années ont en quelque sorte suspendu leurs activités habituelles en attendant leur visa. Ils ont peut-être remis leur mariage, ont décidé de ne pas avoir d'enfants ou n'ont pas pris un autre emploi. Ils n'avaient aucune garantie d'être acceptés, mais ils avaient de bonnes raisons de croire que le Canada traitait leur demande. Maintenant, nous allons leur dire : « C'est très regrettable, mais nous avons changé les règles. Vous pouvez présenter une nouvelle demande en vertu des nouvelles règles, mais vous devez tout reprendre à zéro. Nous ne traiterons pas votre demande. » Il est difficile de concilier cela avec la notion d'équité. Il est même possible que cela soit contraire à la loi. Je ne le sais pas. Les avocats pourront probablement se prononcer.

Il y a un autre aspect qui me préoccupe. Cette décision mécontentera beaucoup de gens. Ils diront aux autres : « Le Canada ne nous traite pas d'une façon équitable. J'ai mis ma vie en suspens en attendant mon visa, mais on m'a dit tout à coup que ma demande est annulée. » Je crois que cela nuira à notre réputation. Malgré ce qu'a dit M. Collacott, nous aurons encore besoin de gens talentueux. En fait, nous aurons à affronter une vive concurrence si nous voulons attirer les éléments les plus brillants dont nous avons besoin, que nous allions les chercher à leur université ou ailleurs. À l'avenir, nous aurons peut-être affaire à un marché plus difficile quand nous irons à la recherche de compétences. Si le Canada a mauvaise réputation, cela ne nous aidera pas. Qu'en pensez-vous?

M. Kurland : Je mesure la perte de réputation sur la base des preuves disponibles. J'ai cherché des indices d'une réduction du nombre de demandes d'immigration reçues, mais je n'en ai pas trouvé. Le Canada demeure le premier choix des gens parce que c'est le meilleur pays du monde. Si notre réputation avait souffert, les gens ne demanderaient pas à venir. Ce que je constate cependant, c'est qu'il y a plus de gens qui veulent venir que nous n'avons de places disponibles.

Le sénateur Eggleton : Ils n'ont pas encore reçu leur lettre.

M. Kurland : Je compatis aux difficultés des gens qui font partie de l'arriéré. J'étais l'un des avocats qui ont intenté, en 2003-2004, le tout premier recours collectif concernant ce sujet particulier devant la Cour fédérale. Aujourd'hui, cependant, la situation est différente compte tenu des données, des preuves, de la divulgation, de la transparence et de la légalité des mesures prises.

Pour revenir à mon tout premier point, le risque professionnel dans le cas de ce groupe n'est pas le même que celui qui existait alors. Nous avons modifié la loi et nos politiques de telle sorte que le risque professionnel lié à la présentation d'une demande de visa d'immigration est entièrement assumé par le candidat. S'il a reçu de mauvais conseils, comment pourrait-on blâmer le Canada?

M. Bellissimo : Selon le vieil adage, c'est bon d'être important, mais c'est plus important d'être bon. J'entends souvent l'argument avancé par M. Kurland : nous sommes tellement populaires que nous ne serons jamais à court de candidats. Je dirais avec respect que ce n'est pas la bonne façon de juger.

L'intégrité est un élément de la réputation. Or l'intégrité du système est mise en cause. Voilà pourquoi : en 2008, il aurait été possible d'avoir une discussion plus franche avec les demandeurs. Nous aurions pu leur dire qu'à moins d'éliminer l'arriéré, nous serions obligés de recourir à des mesures draconiennes, puis leur demander s'ils étaient toujours intéressés et souhaitaient maintenir leur demande. Nous aurions pu les associer à la décision.

Le gouvernement a décidé, presque sans préavis, de priver les gens de leurs droits et d'ordonner à nos agents dans le monde de suspendre le traitement des demandes avant d'avoir le droit légal de le faire. Je suis d'accord avec vous, sénateur, que les lettres n'ont pas encore été envoyées. Il sera difficile de juger. Encore une fois, la décision est d'autant plus difficile à accepter qu'elle n'est pas nécessaire. Si nous prenons d'autres mesures, nous atteindrons le même but. J'exhorte le gouvernement à ne pas poursuivre dans cette voie avant d'avoir la preuve qu'elle sera efficace.

M. Collacott : Les gens qui font partie de l'arriéré seront très déçus, mais ils attendaient déjà depuis des années et des années. Il aurait dû être évident pour eux que quelque chose ne marche pas dans le système. Cela pourrait nuire à notre réputation, mais il y a tant de gens qui veulent venir chez nous que je ne pense pas que cela puisse avoir des effets sensibles sur le nombre de demandes reçues. Il y a eu une situation à peu près semblable. Lorsque les Australiens ont modifié leurs lignes directrices concernant le parrainage des membres de la famille dans les années 1990, les gens ont dit que, si on ne leur permettait pas de faire venir leurs parents, ils ne viendraient pas eux-mêmes. En réalité, la décision n'a eu absolument aucun effet sur le nombre de demandes d'immigration en Australie. Si nous imposons des règles plus strictes dans la catégorie du regroupement familial, il n'y aura aucun effet sur le nombre de demandes d'immigration.

Ce n'est pas très gentil d'annuler ces demandes. Je ne dirai pas le contraire, mais je ne pense pas qu'il y aura des répercussions sensibles sur les gens qui veulent venir au Canada.

[Français]

Le sénateur Verner : J'ai une question complémentaire à celle de mon collègue. Il a soulevé le point de la réputation internationale du pays d'accueil reconnu qu'est le Canada. Ne croyez-vous pas que, pour un postulant immigrant, qualifié, devoir attendre pendant, sept, huit, neuf ou parfois dix ans, est peut-être ce qui est le plus dommageable, alors qu'on a par ailleurs des pays comme l'Australie où, à ce qu'on me dit, en 12 à 18 mois un travailleur qualifié peut obtenir l'ensemble de ses papiers pour immigrer et exercer sa carrière?

C'est vrai, je suis d'accord avec vous, ce n'est pas agréable de devoir dire à des gens : le système ne fonctionne pas, on doit adopter d'autres mesures. En même temps, pour ce qui est de dire que cela aurait un impact sur le nombre de demandeurs dans le futur, je pense que, déjà en ce moment, on perd probablement des éléments extraordinaires pour la capacité économique du Canada, parce que notre système ne marche pas, qu'il est beaucoup plus long à traiter les demandes et que, ailleurs, c'est plus rapide.

M. Kurland : C'est très intéressant comme observation. Effectivement, si on attend un autobus pendant 15 minutes, 30 minutes, deux heures, puis trois heures, à un certain point il faut agir en conséquence et explorer d'autres options.

[Traduction]

Le sénateur Cordy : Monsieur Bellissimo, je voudrais simplement vous demander de confirmer une chose que vous avez dite. Avez-vous affirmé que les bureaux des visas ont reçu l'instruction de suspendre le traitement des demandes avant même que ce projet de loi ne soit adopté?

M. Bellissimo : C'est exact.

Le sénateur Cordy : Je suppose que cela fait partie de l'accroissement des pouvoirs du ministre, n'est-ce pas?

M. Bellissimo : Oui.

Le sénateur Cordy : Madame Douglas, je voudrais revenir à la question du sénateur Callbeck concernant l'équité en emploi et le fait que ce projet de loi supprimerait les obligations prévues à cet égard dans le Programme de contrats fédéraux. À votre avis, quel sera l'effet à long terme d'une telle mesure sur les immigrantes et les membres des minorités visibles?

Mme Douglas : Cette mesure s'applique non seulement aux immigrants, mais à l'ensemble des Canadiens. Comme je l'ai dit, la Loi sur l'équité en matière d'emploi a été adoptée pour reconnaître les torts commis dans le passé, pour y remédier et pour prévoir des interventions destinées à éliminer les obstacles qui subsistent. Comme vous pouvez le voir, les immigrants ne font pas partie des groupes désignés, mais ils s'inscrivent bien sûr dans chacun des quatre groupes.

À titre de Canadiens, nous devrions nous inquiéter de mesures qui affaiblissent une loi adoptée pour affirmer notre engagement envers l'équité et l'égalité des chances.

C'est tellement imprévu. Il n'y a eu aucun débat public sur le changement d'une politique aussi fondamentale que l'équité en emploi. Nous espérons qu'à titre de sénateurs, vous mettrez ce fait en évidence et recommanderez que cette disposition soit retirée du projet de loi d'exécution du budget.

Si nous devons repenser la politique canadienne de l'équité en emploi, il faudrait un débat public complet sur ce que cela signifie et sur l'orientation que prend notre pays. Quels seront les effets sur notre engagement envers l'égalité des chances? Quels seront les effets sur les personnes handicapées qui ont besoin de ce genre d'intervention pour participer à leur plein potentiel? Quels seront les effets sur les communautés « racialisées » et les Autochtones dont les conditions sociales, économiques et culturelles ne sont pas ce qu'elles devraient être?

Comme je l'ai dit, un changement aussi fondamental de l'orientation de notre pays doit faire l'objet d'un débat complet au lieu d'être enterré dans un projet de loi budgétaire.

Le président : Au nom de mes collègues, je voudrais vous remercier tous de votre franchise, de la clarté de vos réponses et de votre présence au comité aujourd'hui. Je remercie également mes collègues de leurs questions.

(La séance est levée.)


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