Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 20 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 18 juin 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour examiner le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, la Loi sur la sûreté du transport maritime et la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, avant d'accueillir notre premier groupe de témoins et le ministre, je désire passer en revue le programme de l'après-midi. Nous avons un après-midi assez long, et je vous rappelle que nous avons deux séances. La séance actuelle prendra fin, comme cela a été convenu, à 15 heures.
La deuxième séance commencera à 15 h 15 et se terminera à 17 h 15, elle comportera deux parties d'une heure chacune.
Les choses sont-elles claires pour tout le monde?
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie, je suis de la Nouvelle-Écosse et je préside le comité. J'invite maintenant mes collègues à se présenter.
Le sénateur Merchant : Je m'appelle Pana Merchant, de la Saskatchewan.
Le sénateur Callbeck : Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Jaffer : Mon nom est Mobina Jaffer et je viens de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Munson : Je m'appelle Jim Munson, je suis de l'Ontario, mais mon cœur demeure au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Martin : Je m'appelle Yonah Martin, de Vancouver.
Le sénateur Lang : Dan Lang, du Yukon.
[Français]
Le sénateur Verner : Je suis Josée Verner, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Seth : Je m'appelle Asha Seth et je suis de Toronto.
Le sénateur Wallace : Mon nom est John Wallace, je suis du Nouveau-Brunswick et mon cœur est également au Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal.
Le président : Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. Nous sommes très heureux de pouvoir compter sur votre présence aujourd'hui et sur celle de vos fonctionnaires. Je crois comprendre que le temps dont vous disposez est limité, que vous ferez un exposé, mais que vous devrez partir au plus tard à 14 heures. Est-ce exact?
L'honorable Jason Kenney, C.P., député, ministre de Citoyenneté et de l'Immigration : Oui, nous avons malheureusement une période de questions, mais je serais heureux de rester avec vous.
Le président : Nous poursuivrons la période des questions ici aussi longtemps que vous pourrez rester. Un de vos fonctionnaires se joindra à nous lorsque vous devrez partir. Monsieur le ministre, la parole est maintenant à vous.
[Français]
M. Kenney : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux d'être ici pour parler du projet de loi C-31, Loi visant à protéger le système d'immigration au Canada. L'immigration fait partie intégrante de notre histoire et de notre réussite en tant que nation. En se construisant une nouvelle vie au Canada, les millions d'immigrants que nous avons accueillis au fil des années ont également enrichi le tissu même du pays. Le Canada est en effet un pays pacifique, libre et diversifié qui fait envie presque partout dans le monde. C'est en partie grâce à l'immense contribution des immigrants et des réfugiés et leurs descendants.
[Traduction]
Le gouvernement du Canada prend les moyens nécessaires pour assurer la viabilité d'un système d'immigration et de protection des réfugiés ouvert et généreux qui sert nos intérêts nationaux. En témoignent d'ailleurs les niveaux d'immigration qui, au cours des dernières années, ont été maintenus à des sommets inégalés dans toute l'histoire du Canada. Nous accueillons en moyenne un quart de million de nouveaux résidents permanents chaque année.
Notre tradition de protection des réfugiés établit la norme à l'échelle nationale. Nous avons d'ailleurs annoncé notre intention d'augmenter d'environ 20 p. 100 le nombre de réfugiés qui seront réinstallés dans notre pays. Parallèlement, nous allons maintenir notre généreux système d'octroi de l'asile, de sorte que les réfugiés légitimes qui ont besoin de notre protection l'obtiendront plus rapidement.
Pour maintenir notre tradition d'ouverture et de générosité, nous devons nous montrer vigilants en adoptant des règles équitables et en les appliquant de manière uniforme. Nous devons aussi protéger le système contre ceux qui voudraient abuser de la générosité du Canada par des manœuvres de contournement, la présentation de fausses demandes d'asile, l'entrée illégale ou d'autres moyens d'enfreindre nos lois.
[Français]
C'est dans cet esprit que nous avons déposé le projet de loi C-31, lequel propose d'améliorer notre système d'immigration et de protection des réfugiés de différentes façons. Ce texte de loi s'appuie en particulier sur les modifications au système d'asile nécessaire depuis longtemps, qui ont été adoptées par le Parlement en juin 2010 dans le cadre de la Loi sur les mesures de réformes équitables concernant les réfugiés.
Depuis que ces modifications ont été entérinées, nous avons constaté une hausse marquée du nombre des demandes d'asile non fondées, surtout en provenance de l'Union européenne, par des ressortissants de pays dotés de régimes démocratique et juridique semblables aux nôtres.
[Traduction]
En fait, en 2011, le Canada a reçu un total de 5 800 demandes d'asile en provenance de pays de l'Union européenne qui sont à la fois démocratiques et respectueux des lois, ce qui représente une augmentation de 14 p. 100 depuis 2010. Voici un fait saisissant : depuis trois ans maintenant, nous recevons plus de demandes d'asile des pays démocratiques de l'Union européenne que de l'Afrique ou de l'Asie. La plupart des Canadiens s'attendraient à ce que des pays comme la Corée du Nord, l'Iran ou le Zimbabwe soient les principaux pays sources pour les demandes d'asile, alors que, dans les faits, ce sont des pays démocratiques de l'Union européenne que proviennent les demandes les plus nombreuses.
Le fait le plus révélateur est que toutes les demandes de l'UE ont été abandonnées ou retirées par les demandeurs eux-mêmes. Je soulève de nouveau ce point parce que nous avons entendu beaucoup de gens débattre de la question des demandeurs d'asile de l'UE. Il est vrai que presque toutes les demandes provenant de l'UE renvoyées à la CISR sont rejetées parce qu'elles ne sont pas fondées sur une crainte réelle de persécution. Toutefois, il faut comprendre que seulement un très petit nombre de demandeurs d'asile issus de l'UE prennent la peine de se présenter à leur audience. La grande majorité — plus de 90 p. 100 — abandonnent ou retirent leur demande de leur plein gré, affirmant qu'ils n'ont pas besoin de la protection du Canada.
En plus d'être inacceptable, cette situation entraîne des coûts beaucoup trop élevés pour les contribuables qui gagnent durement chacun de leurs dollars. En effet, ces fausses demandes de l'UE coûtent chaque année plus de 170 millions de dollars aux contribuables canadiens.
[Français]
Le projet de loi C-31 permettrait au gouvernement de réagir plus rapidement à l'augmentation du nombre des demandes d'asile provenant de pays qui, en général, ne produisent pas de réfugiés. C'est un principe bien reconnu par le haut commissaire de l'ONU, c'est-à-dire que certains pays, qui ne produisent pas de réfugiés normalement, et il est bien accepté d'avoir un système accéléré pour le traitement de telles demandes. La demande provenant d'un demandeur d'asile de ce pays serait traité en environ en 45 jours.
[Traduction]
Les demandeurs dont le pays d'origine ne fait pas partie de la liste des pays désignés verraient eux aussi leur temps d'attente raccourci. Il est proposé que, dans ces cas-là, l'audience ait lieu dans les 60 jours à partir du moment où la CISR est saisie du dossier. C'est donc une nette amélioration par rapport aux plus de 1 000 jours d'attente sous le régime actuel. En traitant les demandes plus rapidement, nous pourrons non seulement renvoyer plus rapidement ceux qui abusent de notre système, mais aussi, nous pourrons offrir plus vite notre protection à ceux qui en ont réellement besoin.
Enfin, le projet de loi permettra également aux autorités canadiennes de mieux sévir contre le passage de clandestins, une activité criminelle méprisable et dangereuse qui, chaque année, met en danger la vie d'hommes, de femmes et d'enfants transportés dans des navires ou des conteneurs non sécuritaires. Des milliers de personnes meurent dans ces conditions partout dans le monde. Une série de dispositions prévues dans le projet de loi C-31 aidera à éviter que les passeurs de clandestins minent l'intégrité du système d'immigration canadien. Les dispositions du projet de loi C-31 traitent non seulement des facteurs d'incitation mais aussi des facteurs d'attraction qui amènent des gens à choisir les services de ces dangereux réseaux.
Enfin, le projet de loi prévoit l'utilisation de la biométrie pour trier certaines demandes. La biométrie constitue peut-être la façon la plus efficace d'identifier les personnes et d'empêcher celles qui ne sont pas admissibles d'entrer au pays. Cette mesure vient renforcer l'intégrité de notre programme d'immigration en empêchant les criminels connus qui ont été condamnés et expulsés du Canada et qui demandent à revenir, les demandeurs d'asile déboutés et les personnes expulsées antérieurement d'utiliser une fausse identité pour entrer illégalement au Canada.
Les fraudeurs sont de plus en plus ingénieux, et la biométrie nous aidera à empêcher des criminels violents et des personnes qui présentent une menace d'entrer au Canada.
[Français]
Depuis le dépôt du projet de loi, en début d'année, le gouvernement a eu la possibilité d'entendre les observations de nombreux parlementaires, de témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre et d'autres partis intéressés au sujet des mesures proposées. Nous étions heureux d'entendre leur point de vue.
Nous avons écouté en toute objectivité, puis dans le but de créer un instrument plus efficace, nous avons proposé de nouveaux amendements. Grâce à ces modifications acceptées par la Chambre, le projet de loi protégera mieux notre système d'immigration et nous aidera à combattre le flot de l'immigration clandestine.
[Traduction]
Monsieur le président, un de nos changements concerne la perte de l'asile. Selon l'article 19 du projet de loi, la personne qui perd le statut de personne protégée perd automatiquement le statut de résident permanent. Nous avons entendu les préoccupations de certains qui ont lu la disposition et qui ont cru comprendre qu'un réfugié pourrait perdre son statut de résident permanent en raison d'une situation hors de son contrôle, comme un changement dans les conditions de vie de son pays d'origine, après avoir reçu le statut de résident permanent. Certains craignaient que cette disposition rende le statut de résident permanent conditionnel pour les réfugiés véritables. Permettez-moi d'être clair : cela n'a jamais été notre intention. Pour que les choses soient bien claires et établies avec certitude, nous avons présenté, à l'étape de l'étude en comité, une modification retirant de l'article 19 un motif de perte de statut automatique lorsque les choses reviennent à la normale dans le pays d'origine. Grâce à la modification proposée, lorsque la CISR — la CISR, et non pas le ministre — déterminera que le statut de personne protégée de quelqu'un devra être retiré en raison d'un changement dans la situation du pays, cette personne ne perdra pas automatiquement son statut de résident permanent.
Un autre changement apporté par notre gouvernement concerne les mesures du projet de loi C-31 relatives à la détention obligatoire des étrangers qui entrent au pays lors d'une opération d'arrivée désignée, soit une opération d'entrée illégale. Dans sa première version, le projet de loi créait une possibilité de détention obligatoire sans que la CISR examine le dossier pendant une période pouvant aller jusqu'à un an. En vertu des changements proposés, dans un cas d'arrivée irrégulière désignée, la CISR effectuera un premier examen des motifs de détention dans les 14 jours suivant l'arrivée. Si la commission estime qu'il existe des motifs de détention, elle devra ordonner le maintien en détention et ne pourra ordonner la mise en liberté à la lumière d'autres facteurs.
Après l'examen initial, des examens subséquents pourront avoir lieu lorsqu'une période de six mois se sera écoulée. Il est important d'observer que le ministre de la Sécurité publique peut, de sa propre initiative, mettre fin à la détention d'une personne si les motifs de détention n'existent plus.
Cela reflète notre attitude d’ouverture face aux suggestions qui pourraient permettre d’améliorer le projet de loi.
[Français]
En conclusion, monsieur le président, le projet de loi C-31 amendé est un texte plus solide qui protégera les réfugiés légitimes, assurera un traitement équitable aux personnes n'ayant pas besoin de la protection du Canada tout en accélérant leur renvoi du pays, garantira que l'introduction de clandestins ne compromet pas l'intégrité du système d'immigration et, dans l'ensemble, contribuera à rendre le système plus efficace.
[Traduction]
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Avant de passer aux questions, je désire souhaiter la bienvenue à vos fonctionnaires. En commençant à ma droite, nous avons Mme Jennifer Irish, directrice, Développement des programmes et politiques des droits d'asiles; Mme Marie Bourry, directrice exécutive et avocate générale principale; M. Les Linklater, sous-ministre adjoint, Politiques stratégiques et programmes, et M. Michael MacDonald, directeur général, Opérations de la sécurité nationale, à Sécurité publique Canada. Bienvenue à vous tous.
Le sénateur Jaffer : Monsieur le ministre, je vous remercie de votre exposé. Le temps nous est compté, et j'ai plusieurs questions.
Tout d'abord, je veux vous féliciter d'avoir augmenté le parrainage. J'ai toujours cru que nous devions en faire plus. Nous avons appris aujourd'hui que la situation est assez désastreuse. Je sais que vous augmenterez le nombre de personnes, pour le faire passer de 12 000 à 14 500, et je vous exhorte à examiner la possibilité d'en faire plus encore parce que les besoins sont immenses partout dans le monde. Voilà ce qu'il convient de faire, et je vous remercie des mesures que vous prenez à cet égard.
Je vous félicite également de modifier l'âge de détention obligatoire des enfants pour le faire passer de 12 ans à 16 ans, bien que la situation me pose toujours problème. Je vais donc d'abord essayer de vous poser toutes mes questions en premier.
Je vais me concentrer sur l'enfant non accompagné qui arrive par bateau ou dans un groupe dans le cadre d'une arrivée irrégulière. Cet enfant n'a pas de papiers; j'accepte cela. Si cet enfant est placé en détention obligatoire, ne contrevenons-nous pas à la Convention relative aux droits de l'enfant, qui dit qu'une personne de moins de 18 ans est un enfant?
Voici donc mes questions. Si les gens n'ont pas de papiers, n'enfreignons-nous pas la convention de 1951 qui dit qu'il ne faut pas pénaliser les gens qui n'ont pas les bons papiers? Enfin, dans le cas des résidents permanents et du parrainage, n'enfreignons-nous pas la convention de 1951 qui nous demande d'encourager l'intégration des nouveaux arrivants et la réunification des familles?
M. Kenney : Merci, madame le sénateur, de vos commentaires constructifs et de vos questions importantes.
Tout d'abord, j'ajouterais que nous augmentons de 20 p. 100 nos objectifs pour la réinstallation des réfugiés au sens de la Convention, et qu'il est important d'observer que nous accueillons et réinstallons déjà un réfugié réinstallé sur 10 au niveau du monde entier. Nous venons actuellement au deuxième rang des pays dans le monde pour le nombre de réfugiés réinstallés per capita, et avec l'augmentation prévue, nous deviendrons le premier pays au monde per capita, et ne céderons la place qu'aux États-Unis en chiffres absolus. Nous avons donc amplement matière à être fiers de notre tradition de réinstallation des réfugiés, une tradition que nous améliorons.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la détention prévues dans le projet de loi, il est important de comprendre que l'arrivée massive de migrants irréguliers crée une pression énorme sur les responsables qui doivent identifier ces gens et déterminer s'ils sont admissibles au pays et s'ils peuvent demander le statut de réfugié. Les migrants illégaux qui arrivent en grand nombre dans les opérations de passage de clandestins n'ont pas de papiers. Il est donc très difficile pour nos organismes d'application de la loi, l'ASFC, la GRC et parfois le SCRS d'identifier ces personnes, de déterminer si elles présentent un risque pour la sécurité du Canada, d'évaluer leur admissibilité, et cetera. Voilà donc pourquoi nous estimons que nous avons besoin de plus de temps pour identifier ces personnes et leur faire suivre le processus prévu dans nos lois.
Nous avons examiné la proposition originale qui prévoyait une période de 12 mois et nous nous sommes rendu compte, après avoir consulté l'ASFC, que nous pouvions faire ce travail à l'intérieur d'un laps de temps plus court. Nous estimons que des délais de 14 jours et ensuite de six mois pour l'examen et les réexamens des cas de détention par la CISR sont raisonnables.
En ce qui concerne les enfants, j'aimerais dire, madame le sénateur, que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés a toujours prévu des dispositions pour la détention des mineurs qui sont, avec leurs parents, confrontés à un renvoi, par exemple, ou à un risque de fuite. Il ne s'agit pas d'un nouveau pouvoir pour inclure les mineurs dans les centres de détention de l'immigration. C'est une procédure normale dans tous les autres systèmes d'immigration que je connais dans les pays développés. En fait, avec les changements que nous apportons, nous précisons que les mineurs de moins de 16 ans ne seront pas assujettis à la détention automatique s'ils arrivent dans le cadre d'une activité désignée irrégulière; nos dispositions seront donc beaucoup plus libérales, si vous voulez, que celles de beaucoup d'autres pays, comme l'Australie et les États-Unis.
La disposition prévoirait que si un enfant de moins de 16 ans arrive dans le cadre d'une opération d'entrée illégale, il serait remis à l'organisme d'aide à l'enfance provincial compétent qui pourrait, à son tour, le placer dans une famille d'accueil. Les parents qui le désirent pourraient placer leurs enfants dans un centre de détention des familles.
Le ministre de la Sécurité publique aurait également le pouvoir de mettre les gens en liberté s'il estime qu'il n'y a plus de raisons de les garder en détention.
En conséquence, nous estimons que nous avons toutes sortes de garanties qui permettent de protéger les enfants contre une détention qui serait contraire à leurs intérêts. Dans tous les cas, ce sont les intérêts de l'enfant qui seront au centre de la décision.
Pour ce qui est d'enfreindre la Convention relative aux droits de l'enfant, non, je ne crois pas que nous l'enfreindrions plus que nous le faisons actuellement, et à l'occasion, lorsque nous devons détenir une famille qui fait face à un ordre de renvoi ou qui présente un risque de fuite. Tous ces cas de détention sont susceptibles d'être examinés par la CISR.
Enfreignons-nous la Convention en imposant des pénalités aux demandeurs d'asile? Je ne crois pas que ce soit le cas. Je ne crois pas que la détention des immigrants constitue une pénalité. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que la détention dans un centre de l'immigration constitue une forme d'incarcération. Ça ne l'est pas. Les gens peuvent quitter le centre de détention n'importe quand, s'ils veulent quitter le Canada. Concrètement, les gens qui ont de bonnes raisons de craindre d'être persécutés dans leur pays d'origine peuvent ne pas vouloir quitter le Canada et retourner là-bas.
Toutefois, sur le plan pratique, beaucoup des demandeurs d'asile qui sont arrivés au pays dans le cadre des deux opérations plus récentes de passage de clandestins, des opérations qui ont fait l'objet de beaucoup d'attention, avaient des visas pour d'autres pays de transit ou vivaient en Inde et pouvaient se rendre dans beaucoup d'autres pays pour lesquels les Sri Lankais ne sont pas obligés d'avoir un visa. En conséquence, l'idée que les gens sont emprisonnés dans les centres d'immigration est fallacieuse. Ces gens peuvent partir s'ils choisissent d'aller ailleurs.
Enfin, en ce qui concerne la limite de cinq ans imposée pour la résidence permanente et les privilèges de parrainage des familles dans le cas des personnes protégées qui sont arrivées au pays dans une opération d'entrée irrégulière, je crois qu'il s'agit de l'élément le plus important du projet de loi parce qu'il dissuade les personnes de s'engager à payer aux passeurs de clandestins jusqu'à 50 000 ou 60 000 $ pour entrer au Canada. Nous cherchons à changer le modèle d'affaire des passeurs de clandestins qui peuvent demander un prix particulièrement élevé pour faire entrer clandestinement des gens au Canada. Le prix demandé pour faire passer clandestinement des gens du Sud-Est asiatique à l'Australie est de 8 000 ou 9 000 $; le prix demandé pour faire entrer ces gens au Canada est de l'ordre de 50 000 $. Nous devons réduire cet écart.
Nous croyons qu'en retirant ou en retardant pendant cinq ans le privilège, et non pas le droit, de parrainer des membres de la famille, on changerait la donne économique pour beaucoup de clients possibles des réseaux de passeurs. Nous espérons donc que si ces gens veulent venir au Canada, ils emprunteront les voies habituelles et s'adresseront aux responsables de l'ONU dans leur région pour demander une réinstallation dans la région ou demanderont d'immigrer au Canada par les voies normales.
Le sénateur Munson : Merci, monsieur le ministre, d'être avec nous aujourd'hui. Je voudrais poursuivre sur la question du sénateur Jaffer concernant la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous avons fait des études fouillées, et nous avons convenu à l'unanimité au Sénat, les conservateurs et les libéraux, qu'il faut mettre en place un commissariat national pour les enfants. Comme des enfants de 16 à 18 ans et même des enfants plus jeunes sont placés en détention, ne serait-il pas temps de mettre en place un commissariat semblable à celui qui existe au Royaume-Uni? Voilà ma première question.
J'aimerais savoir pourquoi vous avez laissé tomber le comité consultatif sur les pays d'origine sûrs. Il est apparu clairement pendant les témoignages que des détenus sont placés dans des prisons provinciales. Je n'ai pas suivi les témoignages d'aussi près que d'autres l'ont fait, mais j'ai su que des gens sont détenus avec des criminels. En conséquence, j'aimerais savoir pourquoi vous avez choisi d'exclure ce sujet lorsque vous avez parlé, dans votre exposé, de la détention des demandeurs d'asile et des immigrants. Je crois que vous assimilez les centres de détention à des motels. Les gens sont placés dans ces centres, mais lorsqu'il n'y a plus de place, ils finissent par être transférés dans des prisons à sécurité maximale. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas admettre la chose et de perpétuer plutôt l'idée que les centres de détention ressemblent à des hôtels?
M. Kenney : Les centres de détention gérés par l'ASFC équivalent à des hôtels clôturés. J'invite les membres du comité à visiter celui de Toronto, qui est de loin le plus grand centre de détention de l'ASFC au Canada. Je crois que c'était anciennement un hôtel économique, que le gouvernement a acheté pour servir de centre de détention.
Les chambres dans lesquelles ils vivent ont des lits doubles et des téléviseurs, comme dans un hôtel. Il y a une cafétéria et un terrain de jeu pour les enfants. C'est littéralement un ancien hôtel dont les portes sont verrouillées, entouré d'une clôture.
Il est vrai que lorsqu'il y a des problèmes de capacité, il arrive que des personnes détenues, particulièrement celles qui présentent un risque de fuite plus élevé ou des risques pour la sécurité, sont parfois placées dans des centres provinciaux de détention provisoire. Ce ne sont pas des prisons à sécurité maximale; ce sont des centres provinciaux de détention provisoire, qui sont en général des établissements de détention dont le niveau de sécurité est faible, servant à des fins pénales. Toutefois, nous avons des centres de détention de l'ASFC à Toronto, à Montréal et à Vancouver.
Pour ce qui est du comité consultatif, nous avons décidé de rationaliser le processus de désignation des pays dont les ressortissants profiteront d'un traitement accéléré de leur demande d'asile parce que, depuis l'adoption à la dernière législature du projet de loi C-11, Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, nous avons vu — comme je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire — une augmentation énorme des demandes d'asile non fondées, provenant tout particulièrement de pays démocratiques de l'Union européenne. Nous avons besoin d'outils flexibles pour réagir rapidement à ces nouvelles vagues de demandes non fondées. Nous avons examiné le processus pour le comité consultatif et nous nous sommes rendu compte qu'il faudrait beaucoup de temps pour obtenir une désignation par la voie d'un tel comité; or, nous devons parfois être capables de réagir rapidement.
Je vais vous donner un exemple. Beaucoup de sénateurs sont d'avis qu'il faudrait cesser d'exiger le visa pour les citoyens de la République tchèque. Si nous faisions cela maintenant et si nous recevions autant de demandes d'asile non fondées que nous avons reçues dans le passé, en 1995 et en 2007 lorsque nous avons décrété des exemptions de visa, nous serions aux prises avec un grave problème. Toutefois, il faudrait des mois pour qu'une désignation soit faite dans le système.
Dans ce cas, en vertu du projet de loi C-31, le ministre, en s'appuyant sur les chiffres, pourrait désigner préalablement la République tchèque pour aider à traiter rapidement une nouvelle vague de demandes d'asile.
Enfin, en ce qui concerne la création d'un commissariat national pour les enfants, je n'ai pas entendu parler de cette idée. Elle semble intéressante. Je serais heureux d'examiner la chose de plus près. Je soulignerais simplement que la détention des personnes mineures a toujours été un élément standard de nos lois d'immigration; elle n'a rien de nouveau.
Le sénateur Munson : Je ne connais pas les tarifs des hôtels économiques — des tarifs de fin de semaine, ou des tarifs spéciaux.
M. Kenney : Cela coûte cher, en fait, pour les contribuables. Il en coûte 150 $ par nuit.
Le sénateur Munson : Je comprends. Ça fait partie de vos opérations.
Le fait est qu'ils aboutissent souvent dans des prisons à sécurité maximale, des enfants vivant à côté de criminels endurcis. Est-ce la bonne chose à faire?
M. Kenney : Je réfute ce que vous dites. Je vous recommande de vous adresser à l'ASFC. Je ne connais pas de situations où des enfants ont abouti dans des prisons à sécurité maximale.
Le sénateur Merchant : Merci, monsieur le ministre. Je sais que vous travaillez très fort; j'ai eu de très bons rapports avec votre ministère et je tiens à vous complimenter pour cela.
En outre, certains ont formulé des préoccupations sur le pouvoir discrétionnaire qui vous est accordé pour désigner les pays d'origine. Quels critères les autres pays, comme ceux de l'UE ou l'Australie, suivent-ils pour désigner ces pays? Vous pouvez peut-être nous éclairer là-dessus.
M. Kenney : Nous avons étudié la question.
Premièrement, je dirai que les pays d'Europe de l'Ouest, par exemple, ont une procédure d'examen accéléré des demandes d'asile provenant de pays qui « ne sont pas connus normalement pour produire des réfugiés ». Toutefois, le processus de désignation de ces pays est différent d'un pays à l'autre. Dans certains cas, la désignation se fait par arrêté ministériel. Dans d'autres cas, c'est un comité parlementaire qui décide. Généralement toutefois, dans le contexte de l'accord de Dublin et du protocole d'Aznar, tous les demandeurs d'asile qui proviennent d'autres pays de l'UE sont inscrits d'office sur la liste d'examen accéléré. Fondamentalement, les 17 États membres traitent tous les demandeurs provenant des 26 autres États selon la procédure d'examen accéléré.
Le sénateur Merchant : On a également laissé entendre qu'il pourrait y avoir certaines coupures dans les soins de santé destinés aux réfugiés. Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet?
M. Kenney : Depuis les années 1950, le Canada a un programme appelé Programme fédéral de santé intérimaire, un programme qui servait essentiellement au départ à fournir des soins d'urgence de base aux réfugiés réinstallés à cette époque-là. Le programme a été étendu et augmenté considérablement, au point où nous dépensons maintenant plus de 80 millions de dollars par année pour fournir à des demandeurs d'asile et à des réfugiés réinstallés de meilleurs services de santé que ceux auxquels les Canadiens ont droit dans les programmes de soins de santé provinciaux. Nous modifions la portée du programme par souci d'équité de façon que la grande majorité des demandeurs d'asile et tous les réfugiés réinstallés recevront, au 30 juin, les mêmes avantages de base dans le Programme fédéral de santé intérimaire que ceux qu'ils recevront dans les programmes provinciaux une fois qu'ils auront leur résidence et qu'ils se qualifieront à ce titre. Cela signifie que nous retirons les avantages supplémentaires qui ne sont pas fournis par les provinces aux résidents permanents, comme les soins ophtalmologiques et dentaires ainsi que les médicaments.
Un autre changement important concerne les demandeurs d'asile dont la demande a été rejetée, le plus souvent par la Section d'appel des réfugiés, ou les demandeurs d'asile qui proviennent de pays désignés, des pays dits sûrs, qui ne recevraient que les soins d'urgence, une assurance-catastrophe. La raison d'être de ce changement tient à ce que ces gens proviennent, par exemple, de pays de l'Union européenne où ils profitent d'une assurance-maladie complète et au fait que nous devons diminuer les facteurs d'attraction pour ceux qui font de fausses demandes au Canada. En toute franchise, nous estimons qu'il est injustifiable de fournir des soins de santé à des gens qui viennent de pays développés, où ils ont déjà une assurance-maladie.
Le sénateur Merchant : J'ai une question au sujet des peines minimales obligatoires pour les passeurs de clandestins. Si j'ai un membre de ma parenté qui vit une situation extrêmement difficile, il se pourrait que j'essaie de l'aider à entrer au pays. J'aimerais avoir la possibilité de comparaître devant un juge pour expliquer pourquoi j'ai fait ce que j'ai fait. Disons que je me rends en voiture au Mexique et que je ramène mon frère ou ma tante. Je n'aime pas les peines minimales obligatoires, quelles qu'elles soient. J'aimerais que vous nous expliquiez les raisons pour lesquelles vous êtes passés à cette étape, s'il vous plaît.
M. Kenney : Dans le projet de loi, faciliter la venue au Canada d'un étranger en ne respectant pas nos lois pour de l'argent constitue une « entrée illégale ». Cela exclut d'office les cas où aucun argent n'est versé. Pourrais-je avoir un avis juridique supplémentaire pour cela?
Marie Bourry, directrice exécutive et avocate générale principale, Citoyenneté et Immigration Canada : Je devrai vous fournir l'information plus tard, excusez-moi.
Le sénateur Merchant : Très bien.
Le sénateur Martin : Merci beaucoup, monsieur le ministre, et merci à vos fonctionnaires d'être parmi nous aujourd'hui.
Je veux revenir à l'argument que vous avez fait valoir selon lequel le Canada est si généreux dans l'accueil qu'il réserve aux réfugiés et les soins qu'il fournit aux gens les plus vulnérables du monde. Je crois que les chiffres sont assez éloquents, tout particulièrement lorsque nous comparons les demandes d'asile présentées au Canada par des ressortissants de l'UE l'an dernier à celles qui ont été enregistrées aux États-Unis. Les Américains sont 10 fois plus nombreux que nous, mais nos chiffres sont 10 fois plus élevés que les leurs. Pouvez-vous nous parler de ces chiffres frappants et du fardeau assez élevé que nous devons supporter?
M. Kenney : Au cours des dernières années, nous avons accueilli 12 500 réfugiés réétablis en moyenne. C'étaient des gens qui vivaient à l'étranger dans des camps de réfugiés de l'ONU ou dans des bidonvilles, comme les Irakiens qui vivaient à Damas et qui avaient fui leur pays d'origine parce qu'ils avaient une crainte fondée de persécution; souvent, ces gens ont été victimes de violence, d'un conflit armé ou d'un nettoyage ethnique. Nous avons deux programmes dans cette catégorie de réinstallation. Il y a le Programme des réfugiés parrainés par le gouvernement, dans le cadre duquel nous accueillons environ 7 000 personnes qui nous sont adressées chaque année par l'ONU. En général, l'ONU nous envoie des personnes qui sont déplacées depuis longtemps. Ces gens n'ont pas de solution de rechange pour se réinstaller dans leur région. Ils sont pris dans un camp depuis 15 ou 20 ans, comme les Karens de Birmanie. Nous en avons accueilli 4 000. Ce pourrait être aussi les hindous du Bhoutan, qui vivent au Népal depuis plus de 20 ans. Nous en avons reçu 5 000.
De l'autre côté, il y a le Programme de parrainage privé des réfugiés, qui a été officialisé vers 1979, à l'arrivée massive des réfugiés de la mer vietnamiens au Canada. L'ONU nous a envoyé des gens, mais ce sont les églises et les groupes communautaires locaux qui ont aidé ces gens à se réinstaller en recueillant des fonds pour eux. Nous élargissons ce programme dans l'espoir de raviver la participation des collectivités au parrainage de réfugiés par une augmentation du nombre de signataires d'ententes de parrainage. Nous augmentons également de 20 p. 100 le programme d'aide aux réfugiés. C'est le programme d'aide au revenu et des autres services d'intégration que nous fournissons aux réfugiés parrainés par le gouvernement.
Dans l'ensemble, nous augmentons notre objectif pour le faire passer de 12 000 à 14 500 personnes. Comme je l'ai dit plus tôt, nous accueillons déjà un réfugié réinstallé sur 10 dans le monde. Il y a seulement une poignée de pays dans le monde qui s'occupent sérieusement de la réinstallation des réfugiés. Le Canada, les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont les pays les plus actifs à cet égard. Après les États-Unis, nous sommes de loin le pays qui affiche les nombres absolus les plus élevés et, après cette augmentation, nous serons le premier pays au monde pour la proportion de réfugiés per capita.
Le sénateur Martin : Pour ce qui est des demandeurs d'asile et de la disparité des chiffres, je tiens à dire que notre population représente le dixième de celle des États-Unis, mais que nos chiffres sont 10 fois plus élevés pour les demandeurs d'asile issus de l'EU. Je voulais corriger l'erreur que comportait ma question.
M. Kenney : À ce sujet, si vous regardez les chiffres des six dernières années, nous avons accueilli en moyenne environ 30 000 demandeurs d'asile par année. Il y a deux ou trois ans, ce chiffre était de 38 000; l'an dernier, il était de 25 000. Nous sommes constamment parmi les trois ou quatre pays développés qui reçoivent le plus de demandes d'asile.
La situation est différente dans les pays en développement comme l'Afrique du Sud, qui est situé très proche du Zimbabwe. Il y a là-bas des gens qui ne font que traverser la frontière. Certains de ces pays en développement qui n'ont pas de contrôle frontalier reçoivent énormément de réfugiés. Toutefois, parmi les pays développés, nous sommes au nombre des trois ou quatre qui reçoivent chaque année le plus de demandes d'asile, ce qui est singulier, étant donné notre éloignement géographique.
En ce qui concerne l'Union européenne, ce qui est étrange, c'est que plus de 95 p. 100 de demandes d'asile que nous avons reçues provenaient de citoyens hongrois répartis un peu partout dans le monde. Nous avons reçu environ 5 000 demandes d'asile de Hongrie l'an dernier et 5 000 demandes d'asile de Hongrois vivant un peu partout ailleurs dans le monde. Ils sont presque tous venus au Canada. Ils ne sont pas allés aux États-Unis ni en Australie et ils n'ont pas fait de demandes dans d'autres pays européens. Nous nous demandons donc pourquoi ils choisissent le Canada, et tout nous montre que c'est parce que nous avons un certain nombre de facteurs d'attraction. Les gens qui viennent ici obtiennent des permis de travail ouverts qui leur permettent d'avoir un numéro d'assurance sociale et de se qualifier pour des prestations fédérales, comme le crédit pour TPS en faveur des contribuables à revenu modeste, la prestation fiscale canadienne pour enfants et d'autres programmes fédéraux de soutien du revenu. Ils s'inscrivent en général presque tout de suite après leur arrivée. En Ontario, ils obtiennent des prestations d'aide sociale. Ils obtiennent des logements subventionnés et profitent du Programme fédéral de santé intérimaire, qui comprend des avantages auxquels les Canadiens n'ont généralement pas droit. Il y a une gamme d'avantages et de prestations que les gens peuvent obtenir et qui semblent constituer un facteur important de migration.
Le président : Je vous donnerai la parole au prochain tour.
Le sénateur Callbeck : Merci, monsieur le ministre, d'être ici avec nous aujourd'hui.
Pour les arrivées irrégulières, le ministre aura le pouvoir de déclarer si un groupe de gens entre ou non dans cette catégorie. Pouvez-vous nous donner une idée de la procédure qui sera mise en place à cette fin? J'imagine qu'elle figurera dans le règlement.
La mesure sera également rétroactive à mars 2009 et visera ainsi les gens du Ocean Lady et du Sun Sea. Cette rétroactivité est-elle conforme à la Charte? Comment pouvez-vous désigner des gens qui sont déjà ici?
M. Kenney : Pour votre première question, en vertu de la loi, le ministre de la Sécurité publique a le pouvoir de désigner comme une arrivée irrégulière l'arrivée de personnes en se fondant sur certains critères, s'il est, par exemple, d'avis que le contrôle des personnes faisant partie du groupe — notamment en vue de l'établissement de leur identité ou de la constatation de leur interdiction de territoire — et toute autre investigation les concernant ne pourront avoir lieu en temps opportun et s'il a des motifs raisonnables de soupçonner que, relativement à l'arrivée du groupe au Canada, il y a eu ou il y aura contravention au paragraphe 117(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés — c'est-à-dire l'entrée illégale de personnes dont le sénateur Merchant a parlé dans sa question —, au profit ou sous la direction d'une organisation criminelle ou d'un groupe terroriste ou en association avec l'un ou l'autre de ceux-ci ou en vue de tirer un profit. Les critères sont clairs, il ne s'agit pas d'un pouvoir qui sera appliqué de façon inconsidérée.
Quant à la désignation rétroactive, nous voulons faire comprendre aux passeurs de clandestins — et à leurs clients potentiels — qu'ils ne devraient pas viser le Canada pour leurs opérations. Nous estimons donc qu'il est justifié de pouvoir appliquer ces dispositions à ceux qui sont déjà arrivés d'une façon irrégulière et qui satisfont à ces critères.
Le sénateur Callbeck : La rétroactivité est-elle conforme à la Charte?
M. Kenney : Le gouvernement est d'avis que ces dispositions seront considérées comme étant conformes à la Charte.
Le sénateur Callbeck : Vous avez fait examiner la chose par vos experts juridiques, n'est-ce pas?
M. Kenney : Là encore, le gouvernement est d'avis que toutes les dispositions du projet de loi sont défendables en vertu de la Charte.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais maintenant avoir des précisions sur les centres — vous en avez parlé — où sont détenus les ressortissants des pays désignés. Vous avez parlé des centres de Toronto, de Montréal et de Vancouver, et vous avez dit également qu'il s'agissait d'hôtels économiques.
Le gouvernement possède-t-il les installations de Montréal, de Toronto et de Vancouver?
M. Kenney : Oui.
Le sénateur Callbeck : Combien de personnes ces centres peuvent-ils accueillir?
M. Kenney : Vous pourriez peut-être poser la question au représentant de l'ASFC qui prendra la parole après moi, parce que c'est l'agence qui est l'experte sur les questions de capacité et de tout ce qui s'ensuit. Dans l'ensemble, il s'agit de centaines de personnes.
Le sénateur Callbeck : L'un des objectifs des mesures prévues dans le projet de loi est de réduire la tentation de venir au Canada par des moyens illégaux. Dans un discours à la Chambre, vous avez parlé de faire de la publicité pour les nouvelles dispositions, car vous estimiez que cela aurait un effet dissuasif.
Quels sont vos plans à ce sujet?
M. Kenney : Nous ferions comme nous avons fait lorsque nous avons lancé une campagne d'information à l'étranger sur les consultants en immigration véreux. Nous avons placé et plaçons encore des annonces produites par des professionnels sur YouTube et sur des sites web que nous croyons populaires auprès des gens qui désirent migrer au Canada. Nous respecterions l'avis de spécialistes en publicité pour cela.
Évidemment, certains pays sources nous ont causé plus de problèmes d'entrée illégale que d'autres. Je crois que notre publicité serait concentrée dans ces pays, simplement pour faire comprendre aux gens que s'ils veulent venir au Canada, ils doivent emprunter les voies légales normales et attendre leur tour comme tout le monde; nous voulons également qu'ils sachent que de nouvelles dispositions ont été mises en place qu'ils doivent connaître s'ils ont l'intention de venir au Canada en faisant affaire avec des passeurs.
Le sénateur Seth : Merci, monsieur le ministre. Vous faites un travail très remarquable.
Le projet de loi C-31 prévoit des dispositions pour la collecte de données biométriques chez les immigrants. En quoi exactement ces dispositions vont-elles nous permettre de communiquer l'information à nos alliés ou de comparer l'information pour surveiller les mouvements des demandeurs d'asile?
M. Kenney : Nous recueillons déjà des données biométriques auprès des demandeurs d'asile. Lorsque les gens font une demande, nous prenons les empreintes digitales pour nous assurer qu'ils n'ont pas déjà fait une demande par le passé ou qu'ils n'ont pas été expulsés, par exemple, pour cause de criminalité. Nous avons une entente avec les États-Unis et avec les cinq autres pays qui ont participé à la conférence, dont l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, pour mettre en commun l'information sur les empreintes digitales des demandeurs d'asile.
Dans ce programme pilote, nous avons en fait constaté que des gens font ce que nous appelons du « magasinage d'asile ». Par exemple, je crois qu'il y a un demandeur qui a présenté une demande pour l'Australie et qui s'est pointé ensuite au Royaume-Uni, et c'est parce qu'on avait ses empreintes digitales qu'on a pu se rendre compte que cette personne faisait du magasinage d'asile.
Si nous voulons étendre les pouvoirs pour la collecte de données biométriques de façon à inclure les demandeurs de visa de résidence temporaire, c'est parce que cela représenterait une amélioration énorme pour nos vérifications de sécurité en immigration et que cette mesure constitue un des grands piliers du Plan d'action transfrontalier élaboré avec les États-Unis.
Nous connaissons des cas où des criminels étrangers sont revenus de nombreuses fois au Canada après en avoir été expulsés en utilisant de fausses pièces d'identité. Un individu s'y est même pris à 18 reprises. Cette personne était connue de la police sous le nom du « bandit yoyo » parce qu'il revenait constamment au Canada.
Une fois que nous aurons les empreintes digitales de ces personnes, nous pourrons les entrer dans notre base de données et faire des vérifications par la suite. Si les gens ont déjà été expulsés par le passé, nous refuserons de leur accorder un visa.
Le sénateur Seth : Je suis heureuse que vous ayez choisi d'utiliser la biométrie. C'est une très bonne chose.
Le sénateur Cordy : Merci, monsieur le ministre, de comparaître devant nous aujourd'hui.
J'aimerais parler des passeurs de clandestins. Je crois que nous convenons tous qu'il est très méprisable de tirer profit de ceux dont la vie est en danger dans leur pays, de gens qui sont prêts à tout risquer pour sortir de leur pays et à dépenser n'importe quelle somme d'argent juste pour s'enfuir. Toutefois, je ne suis pas certaine que les peines minimales obligatoires donnent de bons résultats, parce que je crois qu'aucune de ces personnes ne s'imagine qu'elle va se faire prendre.
Pouvez-vous dire si les peines minimales obligatoires pour les passeurs de clandestins ont donné de bons résultats dans d'autres pays? Pouvez-vous nous donner des exemples d'expériences vécues dans d'autres pays pour nous dire si elles fonctionnent ou si elles ne fonctionnent pas?
Je sais que l'article 117 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit des peines sévères pour les passeurs de clandestins. Les amendes possibles peuvent s'élever jusqu'à 1 million de dollars et les personnes reconnues coupables risquent même l'incarcération à perpétuité. Combien de condamnations avons-nous obtenues jusqu'à maintenant en vertu de l'article 117 de la loi? Combien d'amendes ont été payées en vertu du même article?
M. Kenney : Je n'ai pas l'information avec moi mais je pourrai vous la communiquer plus tard. Le représentant de l'ASFC qui va prendre la parole après moi connaît peut-être les chiffres exacts.
D'un point de vue plus général, nous croyons qu'il est important de faire comprendre aux passeurs qu'ils ne doivent plus cibler le Canada et traiter notre pays aussi cavalièrement.
La GRC a déposé un certain nombre d'accusations contre des passeurs qui ont facilité l'arrivée des navires à moteur Sun Sea et Ocean Lady. D'habitude, toutefois, notre capacité de poursuivre les passeurs se limite aux membres des équipages parce qu'ils aboutissent au Canada. Souvent, les organisateurs, les chefs de bande, mènent leurs opérations à partir de l'extérieur du Canada, transitant entre plusieurs pays. Cela dit, une fois de temps à autre un de ces caïds vient bel et bien au Canada.
Il importe également de noter que dans les opérations de passage de clandestins il doit y avoir des gens en sol canadien à la solde du groupe pour s'assurer que les immigrants remboursent la dette qu'ils ont contractée auprès du groupe de passeurs. Dans le cas des opérations de passage de clandestins sri-lankais, les gens versent normalement un acompte représentant 10 p. 100 de la dette de 50 000 $. Ils paient donc 5 000 $ pour monter à bord du bateau. Les clandestins arrivent au Canada et espèrent être libérés ou obtenir leur résidence permanente grâce au statut de personne protégée. Ensuite, les immigrants s'installent normalement dans la région de Toronto, où ils travailleront pour le groupe de passeurs, qui exerceront alors une pression sur eux jusqu'à ce qu'ils aient complètement remboursé leur dette. Il arrive souvent que les passeurs les poussent à commettre des crimes. L'ASFC pourrait vous en parler davantage.
Voilà comment le passage de clandestins peut se transformer en trafic. Voilà comment un immigrant clandestin se trouve aux prises avec une dette. En passant, quel est le prix s'ils ne remboursent pas leur dette? Les brutes du groupe de passeurs risquent de rendre visite à la famille que les immigrants clandestins ont laissée derrière eux dans leur pays d'origine. Il s'agit d'une forme très sérieuse de criminalité organisée. Par conséquent, nous croyons que les peines minimales obligatoires sont entièrement justifiées.
Le sénateur Cordy : Cependant, y a-t-il des pays où l'adoption de peines minimales obligatoires s'est révélée un moyen efficace?
M. Kenney : Je crois que oui, et je devrai vous revenir avec cette information. Les gens de Sécurité publique Canada devraient le savoir.
Michael MacDonald, directeur général, Direction générale des opérations de la sécurité nationale, Sécurité publique Canada : Des pays ont adopté des peines minimales obligatoires selon ce que nous avons appris en travaillant avec nos alliés internationaux. Par exemple, l'Australie et les États-Unis ont adopté de telles peines. Les pays adopteront différentes peines en fonction de leur droit criminel. Nos peines sont semblables, mais chaque pays a le droit d'adopter ses propres peines.
J'aimerais dire quelques mots au sujet d'un élément dont le ministre a parlé et qui a été mentionné à quelques reprises, soit le modèle d'entreprise des passeurs. Pour être franc, il s'agit d'un réseau criminel mondial. En investissant des ressources au Canada et à l'étranger dans la prévention et la lutte contre le passage de clandestins, nous avons appris à ce sujet. J'utilise l'analogie du ballon. Si on presse ici, il s'en va là; si on presse là, il s'en va ici.
Comme le ministre l'a dit, les passeurs ne sont rien de moins que des brutes motivées par l'argent. Les gens sont des marchandises, et les conditions de voyage — un périple de 65 jours en partance de l'Asie du Sud-Est — sont totalement inhumaines. Les passeurs sont conscients des mesures que nous prenons; nous le savons grâce à nos mesures de prévention et aux services du renseignement des forces policières. Les passeurs sont au courant du projet de loi C-31 et de notre fonctionnement. Le modèle d'entreprise est toujours la clé.
[Français]
Le sénateur Verner : Bonjour, monsieur le ministre. Je voudrais poursuivre dans la même veine que ma collègue, le sénateur Merchant, concernant le Programme fédéral de santé intérimaire.
Il y a quelques jours, on a pu lire dans La Presse — probablement que vous êtes au courant, d'ailleurs — ainsi que dans le Washington Post un article concernant une demandeuse d'asile originaire du Pakistan qui disait qu'avec les modifications qui seront apportées, ses enfants qui souffrent de maladies chroniques comme l'asthme ne seraient plus couverts par les soins de santé. Il était aussi question d'une Coréenne qui était enceinte et dont les soins ne seraient plus couverts.
Je crois comprendre des explications que vous avez données à ma collègue que dans des cas sérieux de maladie — la grossesse n'est pas une maladie, mais nécessite tout de même des soins —, ces gens continueront d'être couverts. Est-ce exact?
M. Kenney : Oui, mais cela dépend de plusieurs choses. S'il s'agit de demandeurs d'asile déboutés par la Section de la protection des réfugiés et par la Section d'appel, puisqu'ils auront utilisé tous les recours de notre système, ils seront retournés dans leur pays d'origine. Personne ne peut rester au Canada en permanence en tant que demandeur d'asile débouté. Je ne vois aucune raison pour laquelle les contribuables canadiens devraient être obligés de fournir l'assurance santé en permanence pour les étrangers qui n'ont pas le droit d'être au Canada. On n'a même pas une telle obligation pour les visiteurs.
Avons-nous une obligation de fournir une assurance santé supplémentaire pour les visiteurs au Canada? Non, on n'en a pas besoin. Évidemment, les hôpitaux et les services de santé vont fournir les services d'urgence à n'importe qui, mais concernant le programme d'assurance pour les bénéfices supplémentaires, à l'avenir, si une personne a été déboutée dans notre système juste et équitable, il faut qu'elle retourne dans son pays d'origine.
Le sénateur Verner : Qu'en est-il des personnes qui vont faire une demande après le 30 juin, par exemple? Ils ne sont pas encore déboutés, mais ils sont en attente.
M. Kenney : Une bonne majorité des demandeurs d'asile, suite aux changements qui entreront en vigueur le 30 juin, bénéficieront du même programme, des mêmes services que les contribuables canadiens via les programmes provinciaux. La seule exception, c'est les demandeurs d'asile provenant de pays désignés sûrs. Il y en a très peu. La grande majorité sont des pays bien développés qui ont leurs propres programmes d'assurance-maladie, comme les pays de l'Union européenne. Notre programme de santé fédérale intérimaire fournit l'assurance aux demandeurs d'asile des pays désignés sûrs pour les situations urgentes, mais il ne s'agit pas du même service d'assurance des Canadiens.
Nous n'avons pas l'obligation de fournir l'assurance de base aux visiteurs, pourquoi aurait-on besoin de le fournir aux ressortissants de pays développés? Pourquoi devrait-on forcer les contribuables à subventionner les fausses demandes d'asile provenant de pays démocratiques et développés? Ça n'a pas de sens quant à moi.
[Traduction]
Le président : Le temps est pratiquement écoulé, et je dois voir avec vous, monsieur le ministre, si vous avez le temps.
M. Kenney : Je peux encore rester quelques minutes, mais je dois absolument partir à 14 h 10.
Le sénateur Wallace : Monsieur le ministre, comme vous l'avez mentionné, les enjeux que le projet de loi C-31 cherche à aborder ne sont pas propres au Canada; d'autres pays occidentaux développés sont également aux prises avec les mêmes enjeux, dont le passage de clandestins, les demandeurs d'asile ou l'utilisation de renseignements biométriques.
En ce qui concerne l'approche adoptée dans le projet de loi C-31, est-elle semblable à celles adoptées par les autres pays occidentaux? Je comprends que vous pourriez nous donner de nombreux détails, mais j'essaye de voir si notre approche est très différente de celles des autres pays occidentaux ou si elles se ressemblent.
M. Kenney : C'est une très bonne question. C'est utile de replacer ces réformes dans leur contexte. Je vous répondrais que nous nous détachons du lot, parce que nous sommes honnêtement beaucoup plus généreux et que notre patience est sans borne par rapport à pratiquement tous les autres pays développés.
Ça ne me dérange pas que le Canada soit plus généreux, mais je n'aime pas qu'on nous prenne pour des gens qu'on peut facilement mener en bateau, et cela arrive trop souvent. Nous constatons qu'environ 62 p. 100 des demandeurs d'asile n'ont pas besoin de notre protection. Comme je l'ai dit, nous sommes maintenant aux prises avec une nouvelle vague de demandeurs en provenance de pays démocratiques, et pratiquement aucun demandeur ne se présente aux audiences. Par contre, pratiquement tous les demandeurs s'inscrivent, notamment, à l'aide sociale.
Vous pouvez en tirer vos propres conclusions; je sais que les Canadiens le font, et ils pensent que ce n'est pas correct. Nous sommes généreux et respectueux de nos obligations en vertu de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés et de la Charte. Peu importe leur pays d'origine ou le moyen utilisé pour entrer au pays, tous les demandeurs d'asile ont accès à la même décision de qualité prise par un décideur indépendant et très compétent dans le cadre d'une audience quasi judiciaire de la CISR. Cette audience est conforme au cours normal de la justice, à l'application régulière de la justice et à la Charte des droits et libertés.
Si les demandeurs peuvent faire la démonstration du bien-fondé de leur crainte d'être persécutés, nous les protégerons; nous ne les retournerons pas dans leur pays. Nous respecterons, sans exception, notre obligation à l'égard du principe de non-refoulement des réfugiés de bonne foi. Si une personne prétend le contraire, elle fait de la démagogie.
J'ai lu des articles qui avançaient que la période actuelle rappelle celle de la Seconde Guerre mondiale, où le Canada a même refusé de laisser des Juifs entrer sur son territoire. Ce sont des propos calomnieux à l'endroit de la générosité du Canada. Nous n'interdisons l'entrée au Canada à personne. Même si des gens entrent au Canada par le biais de passeurs et que les Canadiens aimeraient, selon les sondages, que nous fassions faire demi-tour à de tels bateaux, nous ne le ferons pas, parce que nous avons l'obligation humanitaire de protéger ceux qui en ont besoin.
D'un autre côté, nous essayons d'élaborer une approche équilibrée qui prévient les faux demandeurs que nous les retournerons relativement rapidement dans leur pays à la suite de l'examen de leur demande par notre système judiciaire.
Comment notre approche se compare-t-elle aux autres systèmes? Comparativement à l'Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, soit des démocraties libérales qui sont aussi respectueuses des droits de la personne que le Canada, notre système continuera d'être le plus généreux.
Le sénateur Wallace : Vous avez clairement dit plus tôt que le projet de loi C-31 respecterait la Charte des droits et libertés. Je crois que vous avez aussi fait allusion aux obligations du Canada en vertu des divers protocoles et des diverses conventions des Nations Unies. J'aimerais tout simplement que vous nous confirmiez que votre ministère juge que nous respectons ces protocoles et ces conventions.
M. Kenney : Le principe clé de la Convention de 1951 relative au statut de réfugiés est le principe de non-refoulement, à savoir qu'aucun État contractant ne renverra une personne dans un État où elle a une crainte fondée d'être persécutée. Nous respecterons sans équivoque le principe de non-refoulement. L'obligation clé en vertu de la Charte, comme l'a défini la Cour suprême en 1985 dans l'affaire Singh, est que les demandeurs d'asile ont droit à la tenue d'une audience devant un décideur compétent pour juger de la crédibilité de leur demande. Nous respectons tout à fait cet aspect de la Charte.
Le sénateur Lang : Selon moi, la plupart des Canadiens veulent que nous adoptions certaines règles pour rendre notre système d'immigration plus sévère, tout en étant aussi généreux que par le passé. Je crois que le Canada est sur cette voie. Ma question concerne les exigences relatives aux visas auxquelles vous avez fait référence à certaines reprises, particulièrement dans le cas de la République tchèque, et je crois que c'est la même situation qui prévaut pour le Mexique. Lorsque les dispositions du projet de loi C-31 seront en vigueur, est-il possible qu'à l'avenir des visas touristiques ne soient plus requis pour entrer au pays?
M. Kenney : Je l'espère. Nous avons clairement dit espérer arriver au point où nous pourrons dispenser du visa le Mexique et d'autres pays. Depuis qu'il est au pouvoir, notre gouvernement a dispensé du visa neuf pays, et nous préférons, en principe, que les gens puissent voyager et se déplacer sans visa. C'est bon pour les rapports commerciaux et culturels. Par contre, je ne pourrais pas dans mon âme et conscience dispenser du visa le Mexique, tant que nous ne jugerons pas que nos réformes relatives aux demandeurs d'asile fonctionnent et dissuadent un grand nombre de demandes non fondées. Avant de rendre obligatoire l'obtention d'un visa pour les Mexicains à l'été 2009, nous avions un problème; le plus grand nombre de demandes d'asile provenaient de ce pays. Pour vous donner une idée, nous recevions jusqu'à 1 500 demandes par mois, dont 90 p. 100 étaient jugées non fondées par notre système juste et généreux.
Nous espérons que ces changements nous permettent de nous assurer que notre système peut traiter de manière expéditive les demandes non fondées, ce qui enverrait un message à ceux qui organisent des vagues de fausses demandes, à savoir qu'ils ne devraient pas choisir le Canada. Lorsque ce sera le cas, avec un peu de chance dans plusieurs années, nous pourrons réévaluer la question du visa.
Le sénateur Seidman : Monsieur le ministre, vous avez dit que toutes les demandes en provenance de l'UE sont abandonnées, retirées ou rejetées.
M. Kenney : Pratiquement toutes. Le document écrit était erroné; c'est environ 95 p. 100.
Le sénateur Seidman : Je crois que vous avez quelque peu abordé cet aspect, et votre explication est plutôt différente. Nous avons entendu beaucoup de critiques au sujet des pays d'origine désignés. Utiliserons-nous des critères objectifs, quantitatifs et qualitatifs pour déterminer ces pays?
M. Kenney : J'aurais dû le mentionner. Ce n'est pas seulement laissé à la discrétion du ministre. Nous proposons dans le projet de loi que les demandes en provenance des pays dont au moins 75 p. 100 des demandes sont abandonnées, retirées ou rejetées par la CISR ou des pays dont au moins 60 p. 100 des demandes sont abandonnées ou retirées fassent l'objet d'un traitement accéléré. Dans la même veine, nous tiendrons compte de facteurs qualitatifs, comme les pays avec un système de justice indépendant qui sont démocratiques et généralement respectueux des droits de la personne et qui permettent le libre fonctionnement des ONG; voilà les facteurs qualitatifs dont nous tiendrons également compte.
Même si nous laissons tomber le comité consultatif rigide et interminable qui était originalement prévu dans le projet de loi C-11, nous n'éliminons pas pour autant la consultation. Le ministre et les représentants du ministère consulteront sans doute les autorités externes, les ONG. Nous nous réservons le droit de consulter les Nations Unies et les parlementaires au sujet du processus de désignation. Par contre, s'il faut réagir très rapidement à une nouvelle vague de demandes non fondées, nous pouvons le faire grâce au processus de désignation modifiée qui est proposé dans le projet de loi C-31.
Le président : Avez-vous un dernier commentaire, monsieur le ministre?
M. Kenney : Je vous remercie de votre patience et de vos questions pertinentes. Je suis désolé que mon temps soit limité. Je peux voir que vous avez encore beaucoup de questions. Des représentants pourront vous aider au cours de la prochaine heure. Si vous avez d'autres questions à me poser, je me ferai un plaisir de vous répondre par écrit. Monsieur le président, je suis toujours ravi de venir comparaître devant votre comité.
Le président : Au nom du comité, je vous remercie, monsieur le ministre. Je tiens à remercier les membres du comité, parce que chacun a pu poser une question. Étant donné que c'est un enjeu important et que le temps était restreint, je crois que nous devrions vraiment être très satisfaits de notre séance et de votre ouverture. Merci.
Accueillons M. Hill, qui occupera la place du ministre. Pendant ce temps, chers collègues, deux questions ont été posées au ministre, et il a dit que M. Hill pourrait y répondre. Avec votre permission, je propose que nous posions ces questions en premier. Ce sont les sénateurs Callbeck et Cordy qui les avaient posées. Si vous me le permettez, je cède la parole en premier au sénateur Callbeck.
Je souhaite la bienvenue à Peter Hill, directeur général des Programmes après le passage à la frontière de l'Agence des services frontaliers du Canada.
Sénateur Callbeck, vous aviez une question au sujet d'un détail précis à laquelle M. Hill pourrait répondre, selon le ministre.
Le sénateur Callbeck : J'essaye de la trouver.
Le président : La parole est au sénateur Cordy.
Le sénateur Cordy : Ma question concerne les peines minimales obligatoires. L'article 117 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit déjà des peines sévères : des amendes de 1 million de dollars et l'emprisonnement à perpétuité pour ceux qui font entrer illégalement 10 personnes ou plus. Combien de gens ont été condamnés et combien d'amendes ont été imposées en vertu de l'article 117 de la LIPR? Les peines minimales obligatoires ont-elles été des moyens de dissuasion efficaces dans les autres pays? Le ministre et l'un des témoins ont parlé de l'Australie. Nous entendons souvent parler du modèle australien; or, le ministre australien de l'Immigration, Chris Bowen, a dit :
Nous avons déjà le régime de détention obligatoire le plus sévère des pays occidentaux développés. Néanmoins, les gens viennent tout de même en Australie...
Je ne crois donc pas que la détention obligatoire devrait être vue comme un moyen de dissuasion.
Il semble que même si l'Australie prévoit des peines minimales obligatoires, le ministre ne croit pas que ce soit efficace.
De telles peines sont-elles efficaces? Pourriez-vous nous donner des exemples? Jusqu'à maintenant, quelles peines d'emprisonnement et quelles amendes avons-nous imposées en vertu de l'article 117 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés?
Peter Hill, directeur général, Programmes après le passage à la frontière, Agence des services frontaliers du Canada : Je vais essayer de vous donner certains renseignements. Je vais demander à mon collègue de Sécurité publique Canada de m'aider, et je vous ferai parvenir avec plaisir les renseignements que je ne peux pas vous donner aujourd'hui.
En ce qui a trait à l'Ocean Lady et au Sun Sea, la GRC a déposé des accusations de passage de clandestins contre quatre migrants de l'Ocean Lady. Dans le cas du Sun Sea, la GRC a porté des accusations contre trois migrants à bord du bateau, ainsi que trois autres personnes qui coopéraient avec eux, mais il ne s'agissait pas de migrants qui se trouvaient à bord du bateau.
Un certain nombre d'accusations ont été déposées en vertu de l'article 117 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais je n'ai malheureusement pas ces statistiques en main. Je vous les ferai parvenir avec plaisir pour vous brosser un tableau complet.
En ce qui a trait aux peines minimales obligatoires, comme mon collègue et le ministre l'ont dit plus tôt, l'objectif est de punir les auteurs de l'activité criminelle. Je ne suis pas spécialiste en ce qui a trait à la réussite de telles mesures dans les autres pays, mais l'objectif du projet de loi est clairement d'aborder ce type de criminalité organisée en appliquant rigoureusement la loi au Canada.
Je cède la parole à mon collègue de Sécurité publique Canada.
M. MacDonald : Je vais ajouter quelques éléments en tenant compte des questions précédentes. Vous avez dit une chose qui m'a marqué, et c'est que l'emprisonnement est un moyen de dissuasion. À moins que je l'aie mal compris, la détention obligatoire dans le projet de loi C-31 n'est pas un moyen de dissuasion. La détention obligatoire dans le projet de loi C-31 sert à accorder aux autorités frontalières suffisamment de temps pour déterminer l'identité et évaluer l'admissibilité. C'est l'objectif principal.
Le défi dans une arrivée massive est que c'est une arrivée massive. Lorsque 500, 700 ou 800 personnes se présentent en même temps à la frontière, cela représente des défis énormes pour les agents frontaliers qui doivent s'acquitter de leurs mandats, soit de déterminer l'identité et d'évaluer l'admissibilité. Il est difficile de mener une enquête dans le cas d'une arrivée massive. Nous ne savons pas qui sont les membres d'équipage ou qui sont ces gens. Nous ne savons pas si ce sont des passeurs. Tout le monde est pêle-mêle, et personne n'a de papiers.
Par exemple, dans le cas du Sun Sea, qui est arrivé en Colombie-Britannique il y a deux ans, je crois que l'ASFC et les forces de l'ordre ont recueilli l'équivalent de plus de deux camions de cinq tonnes de preuves et de documents. La quantité de preuves matérielles qui peuvent être recueillies et le nombre d'interrogatoires et d'interrogatoires croisés qui doivent être faits sont considérables.
Enfin, l'Australie est un bon exemple pour examiner la question du passage de clandestins. Par contre, l'expérience australienne est différente de celle du Canada, parce que l'Australie est aux prises avec le passage de clandestins depuis des années. L'Australie risque de connaître une croissance marquée du nombre de bateaux qui entrent sur son territoire. En raison de la proximité de l'Asie du Sud-Est, où beaucoup de réseaux de passeurs se trouvent, l'Australie est aux prises avec le passage de clandestins; un petit bateau d'un village de pêcheurs transportant 10 personnes se rend en Australie, parce que le voyage est court. Au Canada, en raison de notre position géographique, les passeurs doivent généralement opter pour de plus gros bateaux qui transportent plus de gens en vue d'essayer de rentabiliser leurs activités. En Australie, ce n'est pas nécessairement le cas.
Par conséquent, même si deux ou trois bateaux peuvent entrer par jour en Australie — ou huit bateaux par semaine —, ce n'est pas le cas ici. Notre situation est différente du modèle australien, et certains commentaires des autorités australiennes à propos de l'efficacité des mesures ne concernent que leurs mesures de prévention axées sur les opérations propres à leur situation.
Le sénateur Cordy : Un témoin a dit plus tôt que les centres de détention sont situés à Montréal, Toronto et Vancouver. Qu'arrive-t-il aux immigrants qui entrent au Canada par Halifax, qui est une ville portuaire pratiquement ceinturée d'eau? Où vont-ils?
M. Hill : L'ASFC a établi des plans de mesures d'urgence dans le cas d'une arrivée massive tant sur la côte est que sur la côte ouest. Nous avons appris des leçons tirées du Sun Sea et de l'Ocean Lady. Nous faisons appel aux partenariats nécessaires pour assurer la détention obligatoire en fonction de la nature de l'arrivée.
Dans le cas de la Colombie-Britannique, nous avons coopéré avec les services correctionnels et les services du ministère de la Santé de la province pour élaborer les plans de mesures d'urgence. Comme vous l'avez mentionné, l'ASFC possède trois centres de détention de l'immigration. Environ 500 personnes sont détenues chaque jour dans ces trois centres et dans les établissements de nos partenaires provinciaux.
Le sénateur Cordy : Où les gens vont-ils s'ils arrivent à Halifax? Dans les prisons?
M. Hill : Nous utilisons l'établissement situé à Laval, au Québec, où nous avons 150 places. Le centre de Toronto est le plus gros; il y a 220 places.
Le président : Si vous avez des renseignements supplémentaires à nous faire parvenir concernant les questions des sénateurs, cela devra être fait avant mercredi midi.
M. Hill : Oui.
Le sénateur Callbeck : Je tiens à remercier les témoins de leur présence. Ma question était en fait la dernière que le sénateur Cordy a posée au sujet des étrangers désignés et des établissements à leur sujet. Vous avez dit qu'il y a trois centres au Canada, soit à Montréal, Toronto et Vancouver, et que 500 personnes se trouvent actuellement dans ces centres et ailleurs, notamment des hôtels économiques. Est-ce exact?
M. Hill : Permettez-moi de préciser et de mettre le tout en contexte. L'ASFC administre trois centres de détention de l'immigration situés à Montréal, Toronto et Vancouver. De plus, nous avons des ententes avec les provinces pour accueillir des immigrants en détention. Je dois préciser que les établissements provinciaux accueillent généralement des gens qui purgent des peines de moins de deux ans; il ne s'agit donc pas d'établissements à sécurité maximale.
Comme je l'ai dit, il y a environ 500 détenus chaque jour. En se fiant aux chiffres des dernières années, ce sont généralement les deux tiers ou les trois quarts de ces 500 personnes qui sont détenus dans les centres de détention de l'immigration de l'ASFC. Les autres cas sont liés à des activités criminelles ou il s'agit de cas à risque élevé pour lesquels nos établissements ne sont pas conçus.
Nous hébergeons un faible nombre de cette population en collaboration avec nos partenaires provinciaux. Nous sommes conscients de nos obligations sur la scène nationale et internationale de nous assurer que les immigrants détenus le sont conformément aux procédures en matière d'immigration et non aux procédures en matière de justice pénale. Nous prenons des mesures en collaboration avec les provinces en vue de prévenir ou, du moins, de minimiser la confusion à cet égard.
De plus, en vue de nous assurer de respecter les normes en matière d'immigration, nous avons un partenariat avec la Croix-Rouge canadienne et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Les deux organismes font des visites et interrogent les détenus pour s'assurer qu'ils sont traités adéquatement et conformément aux lois et aux normes internationales.
J'espère que cela vous aide à mettre en perspective le programme de détention de l'immigration. Je vous ferai parvenir de plus amples renseignements avec plaisir.
Le sénateur Callbeck : Vous avez parlé des plans de mesures d'urgence. Avec ces plans, combien d'immigrants le Canada peut-il accueillir?
M. Hill : Nous avons élaboré nos plans de mesures d'urgence en ayant recours à une vaste gamme de scénarios. Nous avions des plans concernant un scénario semblable à celui du Sun Sea en vue d'accueillir 500 personnes, et nous avons aussi des plans de mesures d'urgence en vue d'en accueillir le double, voir le triple. Voilà comment nous nous assurons d'avoir envisagé tous les scénarios possibles en vue d'être bien préparés à réaliser les évaluations et les enquêtes nécessaires.
Le président : Merci. Je vais maintenant revenir à la liste pour la série de questions.
Le sénateur Jaffer : Toujours dans la même veine que la question du sénateur Callbeck, je m'inquiète du sort des mineurs non accompagnés. Que faites-vous avec eux?
M. Hill : Pour vous donner une idée du nombre de mineurs non accompagnés que nous avons généralement, ce groupe représente 0,4 p. 100. Les mineurs non accompagnés sont assujettis à notre position de départ, à savoir que la détention est une mesure de dernier recours. Les exigences en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant, comme vous le savez peut-être, sont inscrites à l'article 60 de la LIPR. Cet article prévoit les principes selon lesquels nous prenons soin des mineurs non accompagnés. Ce sont les services provinciaux qui ont tendance à prendre en charge les mineurs non accompagnés, au lieu qu'ils soient détenus dans un centre de détention de l'immigration. Bien entendu, des exceptions sont possibles dans le cas d'adolescents mineurs plus vieux qui ont été impliqués dans la criminalité organisée ou d'autres activités qui présentent une menace à la sécurité du Canada. Il s'agit de cas très exceptionnels; le nombre est très faible.
Le sénateur Jaffer : Le ministre a parlé de s'inspirer de ce que les autres pays occidentaux font en ce qui a trait à ce qui est obligatoire. Savez-vous comment les Français s'occupent des mineurs non accompagnés? Ils ont le programme Mineurs isolés, et ce programme permet une détention maximale de 12 jours; il y a une étude sénatoriale à cet égard que je peux vous faire parvenir. La France ne les place pas en détention, mais bien en famille d'accueil. En moins de 12 jours, un laboratoire détermine leur identité et les envoie à l'école
Si des mineurs non accompagnés se trouvent dans un centre de détention, avez-vous des programmes pour eux?
M. Hill : Oui. En fonction de la durée de la détention, il y a des programmes en matière d'éducation. Il y a aussi des programmes en matière de santé. Des programmes de base sont donc disponibles.
Au cours des deux ou trois dernières années, la détention moyenne dans l'ensemble de la population a été de 25 jours. De 30 à 40 p. 100 de nos détenus sont en fait libérés en moins de 48 heures, mais je précise que ce ne sont pas des statistiques concernant précisément les mineurs non accompagnés.
J'aimerais en savoir plus au sujet du programme Mineurs isolés.
Le sénateur Jaffer : Je vous enverrai l'information.
Je voulais poser une question au ministre. Il y a deux désignations : les pays sûrs et les étrangers. Comment tenons-nous compte des lignes directrices sur le sexe des immigrants? Vous assurez-vous que ces lignes directrices sont encore respectées?
Je vais vous donner un exemple en utilisant un pays facile. Une immigrante entre au pays en provenance du Royaume-Uni, soit un pays considéré immédiatement comme sûr — voilà pourquoi le ministre veut ce pouvoir immédiat —, mais elle est victime de crime d'honneur dans son pays. Elle vient au Canada pour se réfugier, et son dossier fait évidemment l'objet d'un traitement accéléré. Par contre, encouragez-vous les membres de la commission à respecter les lignes directrices sur le sexe des demandeurs?
Les Linklater, sous-ministre adjoint, Politiques stratégiques et de programmes, Citoyenneté et Immigration Canada : Comme le ministre l'a mentionné, la CISR est un organisme décisionnel indépendant et quasi judiciaire. Les membres peuvent appuyer leurs décisions sur une vaste gamme de preuves et de documents en fonction du pays d'origine et du type de demande.
Jennifer Irish, directrice, Développement des programmes et politiques des droits d'asiles, Citoyenneté et Immigration Canada : La commission tient compte des lignes directrices sur le sexe dans le cadre de l'évaluation des demandes. Même si nous diminuons le temps d'attente des demandeurs, la qualité de l'audience demeurera inchangée. Nous ne réduisons pas du tout la qualité de l'audience; nous ne diminuons que le temps d'attente.
Le sénateur Jaffer : En ce qui concerne le parrainage et la réinstallation, que se passe-t-il avec le programme Femmes en péril?
M. Linklater : Nous collaborons avec l'UNHCR en vue de déterminer les groupes qui pourraient être particulièrement vulnérables. La hausse du nombre de réfugiés parrainés dans l'optique d'une réinstallation par le gouvernement ou des organismes du secteur privé nous donne l'occasion de recenser plus spécifiquement en collaboration avec l'UNHCR des groupes, notamment les femmes vulnérables ou les gens dans une situation prolongée de réfugiés, qui ne se trouvent peut-être pas dans des camps, mais qui sont néanmoins des réfugiés en milieu urbain. Nous pourrons ainsi déterminer des endroits où nous pourrions avoir un effet durable à long terme. Si nous sommes en mesure de signaler rapidement à l'UNHCR les groupes qui pourraient faire l'objet de parrainage par le secteur privé, ce sont ces groupes que nous devrions cibler.
Le sénateur Merchant : J'ai de la difficulté à comprendre comment nous traitons nos réfugiés. Premièrement, j'aimerais savoir pourquoi les arriérés semblent s'accroître; je crois que nous avons au moins constaté une hausse. Comment prévoyez-vous aborder cette question?
M. Linklater : En fait, le retard à la CISR a diminué au cours des 20 derniers mois d'environ 20 000 demandeurs, parce que la CISR a trouvé des moyens d'accroître son efficacité. De plus, par l'entremise de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, des décideurs supplémentaires ont été temporairement nommés à la CISR, ce qui a permis à l'organisme de réduire d'un tiers son retard au cours des 20 derniers mois. Avec cette nouvelle façon d'aborder le nouveau système, nous espérons pouvoir, comme le ministre l'a dit, expédier la tenue des audiences pour les demandes en provenance de pays d'origine désignés et continuer de réduire les arriérés à mesure que la situation progresse dans le nouveau régime.
Le sénateur Merchant : Deuxièmement, je suis inquiète que nous punissions souvent les réfugiés. Vous n'êtes pas en mesure de mettre la main au collet des auteurs dans les autres pays. Lorsque les gens entrent au pays, je les vois sous un autre jour, parce qu'il s'agit de gens qui essayent désespérément de se sortir d'une vie très misérable. Ce sont des gens qui ont travaillé longuement et qui ont économisé de l'argent pour payer des passeurs et sortir du pays. Ce n'est pas donné. Je ne les vois pas comme des gens qui viennent abuser de nos programmes d'assistance sociale. Je crois qu'il s'agit de travailleurs acharnés qui sont venus ici dans le but d'améliorer leur sort.
Je suis moi-même immigrante. Je ne suis pas réfugiée, mais des situations forcent des familles à poursuivre leur vie ailleurs, et c'est une décision très difficile à prendre. Des gens doivent laisser derrière eux leur famille, leur langue, leurs amis et faire venir les membres de leur famille ici.
La situation des réfugiés est beaucoup plus grave. Pour ce qui est des pays d'origine désignés, il s'agit majoritairement de pays sûrs pour les groupes majoritaires, mais nous devrions toujours regarder du côté des minorités. Les groupes minoritaires sont aux prises avec des problèmes dans bien des endroits. Nous n'avons qu'à penser aux Baha'is en Iran et aux Roms en Hongrie. Est-ce que les Hongrois dont nous avons parlé plus tôt sont les Roms dont nous parlons actuellement? J'aimerais avoir des précisions à cet égard.
M. Linklater : Vous avez dit que la capacité d'offrir plus rapidement de l'aide était l'un des objectifs du projet de loi. Nous visons des délais stricts pour nous assurer que les gens qui ont manifestement besoin de protection n'attendent pas 19 ou 21 mois pour une audience de premier palier devant la CISR en vue d'obtenir le statut de personne protégée. L'objectif du traitement accéléré est de nous assurer que ceux qui ont besoin de notre protection n'attendent pas deux ans et que tout est plutôt réglé en quelques mois.
Pour ce qui est des étrangers de pays d'origine désignés, comme le ministre l'a dit, nous avons été très clairs tout au long du processus. Chaque étranger aura droit à une audience devant la CISR indépendante. Il aura l'occasion d'expliquer pourquoi il devrait obtenir le statut de personne protégée en racontant sa propre histoire et comment il est venu au Canada. Tous ces renseignements seront mis à la disposition du décideur, mais cela se fera beaucoup plus rapidement pour les gens qui ont besoin de notre protection.
Dans le cas de ceux qui n'ont pas besoin de notre protection, les statistiques de la CISR au sujet des demandeurs européens démontrent que des demandes fondées sont approuvées. Par contre, la vaste majorité des demandeurs en provenance de l'Union européenne ne se présentent pas à leur audience. Dans le cas de ceux qui se présentent, la CISR a pris certaines décisions positives, ce qui démontre, selon moi, la force du système, à savoir qu'un étranger peut faire valoir le bien-fondé de sa demande devant un décideur indépendant et obtenir le statut lorsque c'est approprié.
Le sénateur Merchant : Pourriez-vous nous donner des chiffres, alors? Combien y a-t-il de gens de l'Union européenne qui arrivent ici et disparaissent?
M. Linklater : Nous pourrions les transmettre à la greffière du comité. Je veux m'assurer que vous obtenez les chiffres exacts.
Le président : Mercredi midi, au plus tard.
M. Linklater : C'est noté.
Le sénateur Martin : Ma première question consiste à savoir si, à votre connaissance, depuis les cas de l'Ocean Lady et du Sun Sea, il y a eu d'autres cas ou situations d'arrivées irrégulières, si l'on prévoit une augmentation potentielle de ces cas dans l'avenir et s'il est nécessaire d'apporter ces modifications au projet de loi pour régler ces situations lorsqu'elles se présentent.
Pourriez-vous nous parler un peu du développement dans le monde et du travail que vous accomplissez avec vos partenaires internationaux à ce chapitre?
M. MacDonald : C'est une bonne question. Encore une fois, cela concerne le modèle de fonctionnement dont nous avons parlé à quelques reprises.
Le gouvernement du Canada s'est employé activement à élaborer une plateforme afin de s'assurer qu'il n'y aura pas d'autres arrivées. Cette plateforme est axée sur trois éléments. L'un deux consiste à empêcher les bateaux de partir de l'étranger, puis d'arriver ici au Canada, ainsi que de travailler avec nos partenaires internationaux, d'aider au renforcement des capacités et à l'investissement dans les sources connues et principalement dans les lieux de transit étrangers où ces activités tendent à se matérialiser.
La difficulté, pour nous, c'est que les passeurs mettent sur pied une opération, achètent un bateau et embarquent le plus de gens possible parce que c'est rentable. Ils promettent d'aller au Canada, mais ils changeront peut-être d'idée le lendemain du départ, en fonction des conditions météorologiques et du nombre de personnes à bord. Le modèle de fonctionnement change constamment. Il est difficile de dire précisément combien de bateaux se dirigeaient vers le Canada, car bien franchement, ils peuvent en tout temps changer de cap et aller n'importe où ailleurs.
Ce que nous savons, grâce à nos efforts de prévention à l'étranger et à la collaboration avec nos principaux alliés, c'est qu'à l'origine, il n'y avait qu'un réseau de l'Asie du Sud-Est, mais le réseau se retrouve maintenant dans d'autres régions du monde, des pays de transit. Les passeurs unissent également leurs efforts à certaines occasions pour déplacer des gens, mais ils cessent ensuite de travailler ensemble et collaborent avec d'autres personnes.
Nous croyons que de nombreux bateaux devaient se rendre au Canada, mais pour diverses raisons, ils sont peut-être allés ailleurs. Il existe un potentiel important. Le réseau est très actif.
Le sénateur Martin : Cela dit, vous avez aussi parlé tout à l'heure du processus de gestion des arrivées massives et de sa complexité. Je me rappelle avoir lu quelque chose au sujet de tout le protocole juridique et des lois internationales qui le régissent, les risques opérationnels, et ainsi de suite.
En voyant ce qu'on nous présente à la télévision, nous nous disons : « Ne pouvons-nous pas tout simplement les laisser entrer, vérifier leur identité et ensuite accélérer le processus? » C'est très complexe. J'aimerais en entendre davantage au sujet de ces aspects à examiner qui peuvent rendre tout le processus d'identification et de sécurité le plus clair possible. Je connais un nombre considérable de facteurs qui interviennent dans l'ensemble de ce processus. Voilà pourquoi le facteur temps est important.
M. Hill : Le gouvernement du Canada a adopté, depuis quelque temps — deux ou trois ans — une approche pangouvernementale afin de résoudre le problème du passage de clandestins, sous la direction d'un sous-ministre agissant comme conseiller spécial du premier ministre en matière de passage de clandestins. Le leadership qu'exerce ce sous-ministre dans le cadre des activités de l'ASFC et de nos collègues de la GRC, ainsi qu'au sein du portefeuille de la sécurité publique, est essentiel et efficace pour empêcher d'autres événements comme celui du Sun Sea et de l'Ocean Lady de se produire au Canada.
Il y a eu un certain nombre de communiqués de presse ministériels ou déclarations qui parlaient en détail de l'étendue de cette réussite, qui a été attribuée, du moins en partie, à la collaboration au sein du portefeuille de la sécurité publique, ainsi qu'avec les organismes d'application de la loi de l'Asie du Sud-Est et d'autres régions.
Je dirais que la collaboration internationale entre nos collègues de la conférence des cinq nations, comme l'a souligné le ministre, est essentielle à nos efforts pour maintenir une longueur d'avance sur les passeurs de clandestins, qui représentent un problème persistant.
M. MacDonald : Vous soulevez là un bon point, comme l'a fait le ministre au sujet de l'interdiction d'un navire en haute mer. On nous demande souvent, en particulier en ce qui concerne l'expérience que nous avons eue avec le Sun Sea, pourquoi nous n'avons pas obligé le navire à faire demi-tour. L'interdiction en haute mer est principalement régie par le droit international, et les États ne peuvent simplement arraisonner un navire; ce serait de la piraterie. Il y a certaines conditions en vertu desquelles on peut arraisonner un navire battant pavillon et immatriculé, notamment.
Lorsqu'on arraisonne un navire sans pavillon, on devient propriétaire de ce navire et de tout ce qui se trouve à bord. C'est inquiétant. Ce qui est encore plus inquiétant, nous l'avons appris de l'expérience australienne, c'est lorsque les passeurs désertent, coulent ou brûlent le navire.
Le ministre a parlé de recevoir un navire de façon sécuritaire et d'accorder du temps à l'ASFC pour traiter les cas; c'est sans aucun doute un facteur dont nous devons tenir compte lorsqu'un navire se dirige vers nous. Cela constitue en soi une entreprise très risquée; on doit mobiliser divers organismes et ministères pour recevoir un navire de façon sécuritaire dans nos eaux territoriales.
Le sénateur Lang : Merci. J'aimerais poursuivre dans cette veine. Dans la déclaration du ministre concernant le passage de clandestins, il dit que plusieurs dispositions ont été prévues dans le projet de loi C-31 pour garantir que les actions des passeurs ne mineront pas l'intégrité du système d'immigration du Canada. Les dispositions du projet de loi C-31 traitent non seulement des facteurs d'incitation, mais aussi des facteurs d'attirance, qui font en sorte qu'une personne choisit d'utiliser les services de ces dangereux criminels.
Le sénateur Merchant a parlé avec beaucoup de compassion de ces personnes un peu plus tôt. Je crois que nous partageons tous ce sentiment. En même temps, ces gens paient 50 000 $, à ce qu'il paraît, pour embarquer sur un rafiot au péril de leur vie. De toute évidence, ils font partie de la classe moyenne de la société qu'ils ont décidé de quitter. Ils pourraient entreprendre des procédures d'immigration normales et attendre d'être acceptés, comme tout le monde; ils ont sans aucun doute des compétences.
Si le Sun Sea devait atteindre nos côtes demain, après l'adoption de cette mesure législative, qu'est-ce qui serait différent? Avec quelle rapidité les cas seraient-ils traités?
M. Hill : Je crois que ce qui serait différent, c'est la manière dont l'ASFC et ses partenaires effectueraient les enquêtes nécessaires pour confirmer l'identité des personnes dont l'arrivée est irrégulière ainsi que leur admissibilité.
Les modifications au régime de détention sont telles que l'ASFC aurait le temps nécessaire pour mener les enquêtes requises en vertu de la loi afin de déterminer l'identité et l'admissibilité d'une personne avant qu'elle ne soit remise en liberté dans la société canadienne.
En vertu du nouveau régime de détention proposé, l'agence procédera à un contrôle des motifs de détention dans les 14 jours, puis à des contrôles ultérieurs tous les six mois. Cette période permettra à l'ASFC d'entreprendre des enquêtes méthodiques, approfondies et nécessaires afin de minimiser les risques associés à cette arrivée. Bien souvent, les personnes qui arrivent au pays dans le cadre d'une opération de passage de clandestins tentent de cacher leur identité et leur implication passée dans des activités qui, selon les lois canadiennes, entraineraient une interdiction de territoire. Les enquêtes sont complexes et très longues, comme l'a souligné la Cour fédérale dans ses récentes décisions.
Ce qui serait différent, c'est que nous aurions le cadre législatif nécessaire pour assumer nos responsabilités, pour admettre les personnes qui devraient être admises et pour empêcher celles qui sont interdites de territoire d'entrer au Canada.
M. MacDonald : Il y a trois autres éléments qui seraient différents. Premièrement, le ministre de la Sécurité publique aurait un nouveau pouvoir de désignation d'une arrivée irrégulière. C'est une chose importante dont nous parlons. Deuxièmement, il y aura des modifications apportées au droit pénal qui faciliteront, espérons-le, les poursuites contre les passeurs de clandestins et l'application des peines minimales obligatoires qui s'ensuivront. Troisièmement, il y aura des modifications à la Loi sur la sûreté du transport maritime, qui tient les propriétaires et les exploitants de navire responsables de l'utilisation de leurs navires, s'il advenait un jour que l'on pouvait identifier les propriétaires et exploitants. C'est la dernière partie qui serait différente.
Le sénateur Lang : Je voudrais poursuivre dans cette veine. D'abord, nous avons identifié les passeurs et nous avons 450 autres personnes qui pourraient être désignées comme des réfugiés. À cette étape, les demandes de ces réfugiés seront-elles traitées et pourront-ils demander la citoyenneté, ou leur demande sera-t-elle traitée en fonction du fait qu'ils sont arrivés dans ce pays illégalement et, s'ils ne répondent pas aux critères, ils retourneront dans leur pays d'origine?
M. Linklater : Si le ministre désigne cela comme une arrivée massive, les personnes réputées recevables auront accès à la CISR. S'il n'y a pas de problème de sécurité ni de criminalité, ils obtiendront une audience à la CISR. Si l'on conclut, comme l'a dit le ministre, qu'ils ont besoin de la protection du Canada, on leur accordera le statut de personne protégée, mais pour une période pouvant aller jusqu'à cinq ans. Durant cette période, ils ne seront pas autorisés à parrainer les membres de leur famille pour qu'ils viennent les rejoindre au Canada, mais ils auront accès, notamment, au marché du travail et aux soins de santé.
Pour les personnes dont la demande ne peut pas être déférée à la CISR, le ministre a tout à fait raison. Nous n'expulserions pas une personne ayant une crainte fondée de persécution dans son pays. Ces personnes seraient dirigées vers Citoyenneté et Immigration pour un examen des risques avant renvoi. Si l'on concluait qu'elles courent un risque si elles sont renvoyées, elles auraient au Canada un statut temporaire en vertu d'une mesure de renvoi qui n'a pu être exécutée. Toutefois, si les conditions changent dans le pays, nous pourrions invoquer la mesure de renvoi afin que ces personnes soient renvoyées.
Le sénateur Munson : En parlant du ministre de la Sécurité publique, a-t-il été invité à comparaître? Le ministre Kenney est venu et nous a bien expliqué le projet de loi. Les fonctionnaires nous donnent...
Le président : Avez-vous des questions à poser aux fonctionnaires?
Le sénateur Munson : Je sais que les fonctionnaires sont ici, mais où est le ministre?
Le président : Le ministre n'est pas présent; si vous avez des questions à poser aux fonctionnaires, veuillez le faire.
Le sénateur Munson : Habituellement, au Sénat, c'était : pas de ministre, pas de projet de loi. Mais nous avons entendu un ministre, qui a fait un bon travail.
En ce qui concerne les délais pour les réfugiés, je crois que c'est 15 jours après la transmission du formulaire de demande. Il y a une avocate spécialisée en immigration du nom de Chantal Desloges, en plus de gens du côté du gouvernement, qui a dit dans son témoignage que les délais de 15, 30 ou 60 jours sont tout simplement irréalistes.
Elle a déclaré au comité de la Chambre :
En tant qu'experte ayant évolué longtemps dans le système, je peux affirmer que cette idée est vouée à l'échec. Il est impossible de respecter des délais semblables. Et le problème ne touchera pas seulement le demandeur d'asile et l'avocat; je n'arrive même pas à imaginer le cauchemar dans lequel sera plongée la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui devra rendre des décisions sous ce genre de contraintes. J'ignore qui au ministère a cru que cela fonctionnerait, mais je peux vous assurer qu'on frappera un mur. C'est décidément une bonne idée de raccourcir les délais, mais il est exagéré de le faire à ce point-là. Ça ne peut pas fonctionner.
Vous avez été clair aujourd'hui au sujet de la façon dont cela peut fonctionner, et je m'interroge au sujet des ressources. Par exemple, les personnes ont-elles tout de suite accès à un avocat? Des ressources seraient-elles offertes aux demandeurs d'asile durant cette période?
M. Linklater : Ce sont d'excellentes questions. En fait, les demandeurs d'asile auront accès à un avocat et à l'aide juridique le cas échéant. Mme Irish pourra vous en parler, mais 15 jours après la présentation des documents relatifs au fondement de la demande, une vérification des faits sera effectuée à la CISR pour que le document soit complet. Cela permettra de déterminer quand et comment la demande sera déférée à la CISR pour l'audition de première instance par un fonctionnaire décideur. Nous estimons que cela donne à la CISR et au demandeur d'asile la possibilité de s'assurer que toutes les informations requises pour que la demande suive son cours soient présentées suffisamment tôt dans le processus pour que la personne puisse donner tous les faits, mais en même temps suffisamment tard pour qu'elle puisse avoir accès à un soutien juridique.
Cela s'applique aux demandeurs d'asile qui ont présenté une demande au point d'entrée. Pour ceux qui présentent une demande à l'un de nos bureaux intérieurs, le délai est un peu plus court, mais essentiellement, les personnes choisissent elles-mêmes quand elles présentent leur demande. Selon nous, lorsqu'elles rassemblent les documents relatifs au fondement de leur demande, elles ont probablement accès au sein de leur communauté à une représentation juridique ou à d'autres ressources afin d'être en mesure de présenter tous les documents relatifs au fondement de la demande. Mme Irish souhaite peut-être ajouter quelque chose.
Mme Irish : La seule chose que j'aimerais préciser, c'est que l'audience n'a pas lieu après 15 jours; c'est plutôt à ce moment que le fondement de la demande doit être présenté. L'audience pour un demandeur d'asile ayant présenté sa demande au point d'entrée a lieu dans les 45 jours. Comme l'a précisé M. Linklater, pour une personne présentant sa demande dans un bureau intérieur, l'audience sera tenue dans les 30 jours. Ce sont les délais pour les pays d'origine désignés, ce sont les demandeurs d'asile dont les cas sont traités de façon accélérée.
Le sénateur Munson : Brièvement, y aurait-il une augmentation des fonds pour l'assistance juridique? On n'y consacre pas beaucoup d'argent.
Mme Irish : Non, il n'y aurait pas de diminution pour le programme d'assistance juridique.
Le sénateur Munson : Augmentation?
Mme Irish : Non, il n'y aura pas d'augmentation. Il faut se rappeler qu'il y aura moins de pression à la suite de l'appel; tous les demandeurs d'asile n'auront pas accès à la Section d'appel des réfugiés, et dès le début, nous avons abrégé l'ancien formulaire de renseignements personnels pour simplifier le système de fondement de la demande.
Nous gérerons le système avec la même assistance juridique qu'actuellement. Il y aura une évaluation du système après trois ans; s'il y a des pressions à ce chapitre, nous évaluerons la situation et proposerons des mesures correctives, au besoin.
[Français]
Le sénateur Verner : Je voudrais revenir au sujet du Programme fédéral de santé intérimaire. Le ministre, un peu plus tôt, a donné des explications sur qui est inclus dans le projet de loi C-31. Je voulais avoir ses commentaires ou les vôtres — histoire de boucler la boucle. Comment se compare notre système, ce programme, par rapport à d'autres pays?
M. Linklater : À mon avis, le Canada offre aux revendicateurs des soins de santé supérieurs à d'autres pays, mais pour une comparaison plus précise, on pourrait retourner au comité avec une analyse des situations dans d'autres pays.
Le sénateur Verner : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck : Je voudrais revenir sur cet arriéré. Vous dites que cela concerne des milliers de cas. Combien, précisément?
M. Linklater : Je crois qu'à la fin mars, l'arriéré de la CISR était d'environ 41 000 cas.
Le sénateur Callbeck : Il y avait 41 000 cas. Ce projet de loi est rétroactif à mars 2009. Combien cela fera-t-il de cas?
M. Linklater : Non, le projet de loi ne sera pas rétroactif. Les dispositions concernant l'organisation de l'entrée illégale de personnes et la désignation des arrivées massives le seront, mais pas en ce qui concerne la détermination du statut de réfugié pour les nouvelles demandes dans le système.
Le sénateur Callbeck : J'avais mal compris, alors.
Pour ce qui est de l'étranger désigné, si une revendication du statut de réfugié est acceptée, la personne ne peut présenter de demande de résidence permanente avant cinq ans, n'est-ce pas?
M. Linklater : Non. Si quelqu'un entre au Canada, est considéré comme un ressortissant d'un pays d'origine désigné et ne fait pas partie d'une arrivée massive, il aura une audience de la CISR, et si l'on juge que sa demande justifie une protection, il pourrait alors demander immédiatement le statut de résident permanent et servir de répondant pour les membres de sa famille.
Lorsqu'une personne arrive au Canada dans le cadre d'une arrivée massive et qu'elle a besoin de la protection du Canada, on lui accordera le statut de personne protégée, mais elle ne pourra présenter de demande de résidence permanente avant cinq ans, et durant cette période, elle ne pourra servir de répondant pour les membres de sa famille.
Le sénateur Callbeck : Vous avez répondu à ma question. Merci.
Le sénateur Jaffer : Comme toujours, j'ai trop de questions. Je vais commencer par le titre de voyage. Je ne comprends pas pourquoi — et j'ai entendu dire que le ministre veut notamment décourager cela —, mais le fait d'accepter quelqu'un en tant que réfugié au sens de la Convention, puis de ne pas lui donner de titres de voyage avant cinq ans et ne pas lui permettre de servir de répondant pour les membres de sa famille avant cinq ans, c'est une pénalité que nous ne pouvons pas imposer en vertu de la convention de 1951. Expliquez-moi pourquoi vous ne considérez pas cela comme une pénalité.
M. Linklater : Comme l'a clairement indiqué le ministre, l'obligation du Canada en vertu de la convention est de ne pas refouler les personnes dans des pays de persécution.
Le sénateur Jaffer : Ce n'est pas tout ce que dit la loi. Ce n'est pas la seule obligation. L'article 31 de la convention indique clairement que l'on ne doit pas pénaliser les réfugiés; et une autre partie de l'article dit que l'on ne doit pas les priver de documents parce que l'on veut qu'ils demeurent dans le pays. Le refoulement n'est qu'un des éléments de la loi.
M. Linklater : Quoi qu'il en soit, les gens auront accès à la résidence permanente après cinq ans.
Le sénateur Jaffer : Cinq ans.
M. Linklater : C'est un privilège en vertu du système d'immigration du Canada. Nous estimons qu'il s'agit d'une mesure appropriée pour s'assurer que les personnes y penseront à deux fois avant d'utiliser les services de passeurs, comme l'a dit M. MacDonald, afin de vraiment s'attaquer au modèle de fonctionnement. Il y a d'autres moyens de venir légalement au Canada; les personnes devraient les envisager avant de risquer leur vie en utilisant les services d'un passeur.
Le sénateur Jaffer : Vous vous y connaissez beaucoup sur cette question. Cela fait 40 ans que j'ai demandé le statut de réfugié. Il y a environ 40 ans, je suis arrivée dans ce grand pays en tant que réfugiée. J'ai beaucoup de chance d'être ici. Je me lève chaque matin en me disant que je veux que ce système soit intègre, mais quand vous dites qu'il y a d'autres moyens — je vais me laisser emporter — pour un réfugié de venir au Canada, sachez que nous voyageons tous par avion. Nous savons à quel point il est difficile de venir au Canada par avion sans visa. De quelle autre façon un réfugié peut-il venir au Canada, si ce n'est par bateau?
M. Linklater : Nous réinstallons des personnes de nombreux camps parrainés par les Nations Unies à l'étranger.
Le sénateur Jaffer : Ne parlons pas de cela. Il y en a 14 500. Nous avons dit que c'est excellent; je l'ai dit moi-même. Toutefois, il y a 4,5 millions de réfugiés aujourd'hui, comme l'a indiqué l'ONU. De ce nombre, nous en prenons 14 500. Je ne parle pas de ceux-là. Ceux qui n'entrent pas dans ce système et qui veulent venir au Canada, de quelle autre façon vont-ils le faire? Notre pays est entouré d'eau. Nous ne laissons pas les gens qui n'ont pas de visa venir par avion de ces pays. Comment viendront-ils?
M. Linklater : En ce qui concerne l'intégrité du système d'immigration, nous voulons être en mesure de gérer le flux de personnes qui arrivent dans ce pays. Nous recevons encore un nombre considérable de revendications du statut de réfugié de la part de personnes qui arrivent par avion; elles sont munies de faux documents ou de documents de voyages légitimes, qu'elles détruisent ensuite en chemin, ou alors elles entrent au pays et, après quelques semaines ou quelques mois ici, elles se présentent à un bureau de CIC et affirment avoir besoin de protection. Il y a beaucoup de personnes dans le monde qui se trouvent dans des situations malheureuses, et le Canada contribue grandement à la réinstallation des réfugiés reconnus par les Nations Unies. Je crois que notre système de détermination du statut de réfugié au Canada, pour ceux qui réussissent à entrer par divers moyens, témoigne de notre générosité.
Le sénateur Jaffer : Puis-je poser une dernière question?
Le président : Il y a encore une personne qui souhaite poser une question et ce sera tout, je pense.
Le sénateur Martin : Je voulais parler des Canadiens qui paient si généreusement des impôts et de l'ouverture dont nous faisons preuve sur le monde.
Pour les Canadiens qui sont ici, quelles améliorations ce projet de loi permettra-t-il d'apporter à la sécurité et à quels égards notre système sera-t-il meilleur? Je mets l'accent sur les Canadiens qui nous regardent et qui porteront la responsabilité de nos actions.
M. Linklater : En effet. Je vais répondre par deux remarques d'ordre général. Premièrement, les changements proposés ici permettront d'améliorer la sécurité des Canadiens en donnant aux autorités frontalières le temps nécessaire pour s'assurer qu'elles examinent adéquatement les cas des personnes qui arrivent au pays de façon irrégulière, qu'elles vérifient leur identité et qu'elles mesurent les risques; les personnes qui représentent un risque pour les collectivités canadiennes ne pourront circuler librement au pays.
Ma deuxième remarque concerne les personnes qui ont réellement besoin de la protection du Canada. Les modifications au projet de loi C-31 visent à garantir que les personnes qui ont vraiment besoin de la protection du Canada puissent l'obtenir beaucoup plus tôt qu'en vertu du système actuel. Celles qui n'ont pas besoin de notre protection verront leur demande être traitée beaucoup plus rapidement également, et nous pourrons les renvoyer dans leur pays d'origine beaucoup plus rapidement que nous pouvons le faire actuellement.
Le président : Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier tous d'avoir répondu à nos questions. Je remercie les membres du comité d'avoir participé et permis à leurs collègues de poser leurs questions. Encore une fois, j'espère que nos témoins pourront transmettre à la greffière d'ici à mercredi midi les informations additionnelles que nous avons demandées. Si nous ne les recevons pas d'ici là, nous présumerons qu'elles ne sont pas disponibles.
Pour ce prochain groupe de témoins, nous accueillons des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Nous avons M. De Angelis, le représentant au Canada, qui nous présentera l'exposé, je crois. Il est accompagné de Michael Casasola, administrateur chargé de la réinstallation, et de Nadia Williamson, conseillère juridique associée.
Soyez tous les bienvenus. Monsieur De Angelis, vous avez la parole.
[Français]
Furio De Angelis, représentant au Canada, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : Monsieur le président, honorables sénateurs, je tiens d'abord à exprimer la gratitude du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés d'avoir été invité à comparaître devant le comité du Sénat pour offrir nos commentaires sur le projet de loi C-31, visant à protéger le système d'immigration du Canada.
Les commentaires du HCR, sous la législation nationale, dérivent du mandat qui lui a été conféré par l'Assemblée générale des Nations Unies de fournir une protection internationale aux réfugiés et aux personnes relevant de sa compétence et d'aider les gouvernements dans la recherche de solutions permanentes aux problèmes des réfugiés.
Tel qu'annoncé dans son statut, le HCR remplit son mandat de protection internationale par, entre autres, la poursuite des conclusions et de la ratification des conventions internationales pour la protection des réfugiés, en surveillant leur application et en proposant des modifications. Le rôle de supervision du HCR est à nouveau réitéré dans l'article 35 de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, et dans l'article 2 du Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés.
[Traduction]
Le HCR reconnaît la grande valeur de l'engagement du Canada à l'égard de la protection des réfugiés dans le monde, les défis qu'il doit relever pour assurer la viabilité de son système d'octroi de l'asile, ainsi que les normes élevées qu'il applique dans le but de protéger les personnes déplacées qui cherchent asile et solutions sur son territoire. De plus, le haut commissariat se réjouit du dialogue instauré avec le gouvernement du Canada.
Aujourd'hui, mon exposé repose sur les amendements présentés par le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes lors de ses récentes séances. On a présenté d'importants amendements au libellé du projet de loi, notamment en ce qui concerne le régime de détention. Ces amendements ont apaisé l'une des principales craintes du HCR.
Il y a un autre amendement au texte qui fait en sorte que le système d'octroi de l'asile au Canada repose sur des éléments de certitude : la non-révocation de la résidence permanente des réfugiés par rapport à un changement de circonstances dans le pays d'origine. Il est important que l'on reconnaisse que les réfugiés méritent de trouver une solution durable à leur malheureuse situation sans craindre de se voir arracher leur protection juridique.
En ce qui concerne les autres dispositions du projet de loi, j'aimerais attirer votre attention sur les observations détaillées présentées par le HCR à une séance du comité permanent de la Chambre de mai 2012. En me reportant à ces commentaires, dans cette brève intervention, j'aimerais formuler les observations suivantes :
En ce qui a trait à la désignation de groupes d'étrangers dans la catégorie des arrivées irrégulières, les demandeurs d'asile doivent souvent avoir recours à des passeurs pour atteindre un endroit sûr. La désignation proposée d'arrivées irrégulières pourrait mener à une pénalisation des personnes ayant besoin de la protection internationale. Concernant les motifs pour la désignation d'une arrivée irrégulière, le projet de loi C-31 pourrait créer deux catégories de demandeurs d'asile et de réfugiés au Canada, en raison des dispositions sur la désignation. La désignation pour des raisons opérationnelles est particulièrement inquiétante. Les conséquences de la désignation comprennent un régime plus restrictif, le fait qu'il n'y a pas de droit d'appel, des restrictions relativement à l'obtention de documents de voyage établis aux termes de la convention, l'obligation de se rapporter aux autorités malgré l'obtention du statut de réfugié au sens de la convention, ainsi que l'impossibilité de régulariser son statut pendant cinq ans et les répercussions sur l'unité familiale.
Dans ce contexte, le comité exécutif du HCR a souligné la nécessité de protéger l'unité familiale. D'un point de vue non discriminatoire, le HCR souligne régulièrement les problèmes associés au traitement différent des demandeurs d'asile et des réfugiés, selon le mode d'arrivée, ainsi que l'importance de l'existence de recours efficaces grâce à un processus d'appel offrant un examen de fond, en faits et en droit.
En ce qui a trait aux pays d'origine désignés, le HCR ne s'oppose pas à la création d'une liste de pays désignés ou de pays d'origine sûrs, tant qu'elle reste un outil procédural permettant d'établir l'ordre de priorité des demandes ou d'en accélérer le traitement dans certaines situations. La désignation d'un pays comme pays d'origine sûr ne peut toutefois créer la présomption d'une garantie absolue de sécurité pour tous les ressortissants de ce pays. Il est possible que malgré des conditions générales de sécurité dans le pays d'origine, le pays demeure peu sûr pour certaines personnes. Le mémoire du HCR présente une série de suggestions visant à vérifier le bien-fondé de ces désignations.
En ce qui a trait à l'irrecevabilité en raison de motifs de criminalité, les demandeurs d'asile ne doivent pas être considérés comme irrecevables à moins que la personne concernée ait déjà trouvé une protection efficace ou ait eu accès à un processus juste et efficace de demande d'asile dans un autre pays.
En ce qui a trait aux délais réduits en vertu des nouvelles procédures d'asile, les efforts déployés par les autorités gouvernementales pour rendre des décisions sur les demandes d'asile dans des délais raisonnables sont accueillis avec satisfaction. Des délais excessivement restrictifs ou très courts dans le contexte d'un processus d'asile complexe peuvent toutefois, selon l'expérience du HCR, mener à un taux accru de désistement des demandes et à un accroissement du nombre de demandeurs non représentés. Généralement, les demandeurs d'asile ne possèdent pas les connaissances leur permettant de naviguer dans le système juridique.
Même lorsqu'un demandeur retient les services d'un conseil, il faut lui donner assez de temps pour lui permettre de faire une demande d'aide juridique et de trouver un conseil. Les conséquences du désistement sont une décision finale négative, puisqu'il n'y a pas de droit d'appel ni d'accès à un examen des risques avant renvoi pour une période d'un an après la décision négative.
En ce qui a trait à la Section d'appel des réfugiés, le droit d'appel est une exigence importante de toute procédure d'asile équitable et efficace. Le principe du non-refoulement est au coeur du principe de la convention de 1951. Selon ce principe, les personnes ayant besoin d'une protection internationale ne peuvent pas être renvoyées à un endroit où elles pourraient être exposées à un risque de persécution. Le but d'une deuxième révision par le truchement d'un mécanisme d'appel est de faire en sorte que les erreurs de fait ou de droit commises par le décideur de première instance puissent être corrigées, afin de garantir le respect du principe de non-refoulement.
En ce qui a trait à l'accès limité à l'examen des risques avant renvoi et aux demandes fondées sur des considérations d'ordre humanitaire, les ERAR et les demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont d'importants outils de protection pour empêcher l'expulsion de personnes qui ne sont pas reconnues comme des réfugiés au sens de la loi, mais qui ont tout de même besoin d'une protection internationale. Plus précisément, étant donné les nombreuses catégories de demandeurs d'asile qui n'auront pas accès à un appel devant la Section d'appel des réfugiés, la disponibilité de tels mécanismes constitue une importante protection procédurale.
Le sénateur Jaffer : Merci. Comme vous le savez, le nombre de réfugiés réinstallés au Canada s'est accru; il est maintenant de 14 500. Je crois qu'aux États-Unis, il est de 50 000, n'est-ce pas?
M. De Angelis : Oui, environ.
Le sénateur Jaffer : Le nombre est en fait de 80 000 réfugiés réinstallés pour cette année. Les États-Unis en ont 50 000 et nous, 14 500.
M. De Angelis : Oui, c'est le chiffre approximatif.
Le sénateur Jaffer : J'aimerais aborder la question de la pénalisation, mais je veux faire très attention. Je comprends que votre rôle est neutre; donc, si je pose une question qui n'est pas appropriée, vous pouvez tout simplement me le dire.
Nous avons examiné la convention de 1951, dans laquelle, comme vous l'avez mentionné, on parle du refoulement. Il est aussi question de la réunification de la famille, des sanctions et de la délivrance de pièces d'identité dans un délai raisonnable afin que la personne puisse s'intégrer à la collectivité.
En vertu de la catégorie d'étranger désigné, nous détiendrons les personnes, même les enfants, à partir de 16 ans. Nous ne leur donnerons pas de papier d'identité ni les laisserons réunir leur famille pour une période de cinq ans. Est-ce que nous violons la convention?
M. De Angelis : D'abord, d'importants amendements ont été apportés au projet de loi, et c'est très important, surtout en ce qui a trait au régime de détention. Ces amendements ont vraiment apaisé l'une des principales craintes du HCR, qui portait sur la détention prolongée sans contrôle. À cet égard, il s'agissait d'un amendement très important.
Le sénateur Jaffer : Comme d'autres personnes pourraient être à l'écoute, dites-nous ce que vous entendez par là. Auparavant c'était un an, et maintenant, c'est 14 jours et six mois, n'est-ce pas?
M. De Angelis : Précédemment, le délai était d'un an sans examen. Les modifications adoptées prévoient un examen dans un délai de 14 jours, et un deuxième examen après six mois. Cette mesure s'applique aux ressortissants étrangers désignés. Il s'agit d'une modification importante, dont nous avons pris acte et que nous apprécions.
Comme je l'ai dit, d'autres éléments du projet de loi ne sont toujours pas entièrement conformes aux avis et aux normes proposés par les comités de direction, s'agissant de la réunion des familles et de la délivrance de titres de voyage.
Il s'agit d'un projet de loi très important. La clé de sa mise en œuvre réside dans la réglementation correspondante et son mode d'application. Le HCR surveillera de près la situation et sera prêt à fournir des conseils sur la réglementation. Nous collaborons avec le gouvernement pour faire en sorte que l'application du projet de loi se conforme le plus possible aux normes internationales.
Le sénateur Jaffer : Merci.
Le sénateur Merchant : Merci d'être venu témoigner.
Y a-t-il d'autres pays dont nous pourrions nous inspirer? Premièrement, êtes-vous d'accord avec notre mode de désignation des pays sûrs? Maintenant que nous savons que cette tâche est confiée au ministre — et je ne remets pas en question son pouvoir — je me demande si cela est suffisant. La transparence est un facteur très important; il importe que d'autres gens constatent le caractère équitable du système dans le mode de désignation des pays sûrs. Dans de nombreux pays, on tient compte de considérations politiques ou commerciales. J'aimerais donc que vous me disiez comment, à votre avis, le Canada est-il considéré à cet égard sur la scène internationale.
M. De Angelis : Comme je l'ai dit dans mon exposé, le HCR ne s'oppose pas au concept ou à la notion de pays d'origine désigné, tant qu'il s'agit d'une procédure permettant d'accélérer et de faciliter le traitement des demandes d'asile. Nous avons proposé certains mécanismes visant à renforcer ce processus de désignation, notamment grâce à un groupe d'experts. C'était d'ailleurs l'une de nos recommandations. Toutefois, et de façon générale, le concept est valide et doit permettre aux gouvernements de traiter au mieux les demandes d'asile, en simplifiant et en facilitant le processus au besoin.
Le sénateur Merchant : Est-ce dans cette direction que s'orientent d'autres pays, les pays avec lesquels nous aimons nous comparer tels que la Grande-Bretagne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et d'autres pays d'Europe — le sénateur Jaffer citait l'exemple de la France par rapport aux jeunes. Y a-t-il d'autres éléments dont nous devrions tenir compte?
M. De Angelis : À titre de représentant au Canada, il m'est difficile de commenter la législation d'autres pays. De toute façon, de la documentation a été colligée et compilée à ce sujet.
Le HCR a fait — et fait toujours — des commentaires sur le régime d'asile européen commun, qui est une compilation des diverses règles qui s'appliquent dans l'Union européenne; les mêmes normes s'appliquent donc à cette réglementation. Comme vous le savez, les États membres de l'Union européenne font partie du même système de réglementation et cherchent à harmoniser la politique et les systèmes d'octroi d'asile. Les commentaires et remarques du HCR portent donc sur l'ensemble de cette réglementation. Je peux certainement les communiquer au comité et vous fournir des détails particuliers au besoin, mais pas pour l'instant. Il faudrait que la demande vienne du siège et des représentants des pays concernés.
Le sénateur Merchant : Avez-vous une opinion sur les peines minimales obligatoires que prévoit le projet de loi pour les passeurs?
M. De Angelis : Je n'entrerai pas dans les détails des sanctions infligées aux passeurs. En principe, nous appuyons certainement les efforts que déploie un pays pour lutter contre la migration clandestine. Au HCR, nous disons toujours que la migration clandestine est un problème mondial que l'on doit affronter au moyen des mécanismes internationaux qui ont été mis en place, par exemple, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, le protocole de Palerme de 2002, auquel le Canada est partie. Les mécanismes internationaux sont là.
Nous disons que la raison pour laquelle la migration clandestine perdure et est encouragée au niveau mondial est que, quelquefois, les demandeurs d'asile n'ont pas d'autre choix. Dans certaines situations, l'activité criminelle que représente la migration clandestine devient un moyen de se retrouver en sûreté. Il importe de faire la distinction entre la lutte contre la criminalité et la lutte contre les demandeurs d'asile qui sont quelquefois obligés d'y recourir pour se trouver en sûreté. Il est possible de faire cette distinction. Voilà ce que nous avons à dire.
Le sénateur Merchant : Merci beaucoup.
Le sénateur Lang : Pour faire suite à la question du sénateur Merchant concernant les dispositions qui s'appliquent aux passeurs et qui prévoient des peines minimales, dois-je comprendre que pour vous, ceux qui prennent volontairement la décision de recourir à la migration clandestine et s'y impliquent devraient être sévèrement punis?
M. De Angelis : Non, je ne crois pas avoir dit cela. Je veux être clair : les gens qui quittent un pays pour être en sûreté à titre de demandeurs d'asile et qui sont obligés d'avoir recours à des réseaux de passeurs pour se trouver en sûreté devraient être considérés d'emblée comme des demandeurs d'asile.
Le sénateur Lang : Je parle des passeurs eux-mêmes, de ceux qui organisent ces passages, profitent des gens et les mettent dans des situations très périlleuses et, évidemment, très inhumaines.
M. De Angelis : Absolument, nous considérons qu'il s'agit d'une activité criminelle. Comme je l'ai dit, le phénomène revêt une dimension internationale et l'on a mis en place des mécanismes internationaux pour lutter contre cette activité. Je veux parler des protocoles de Palerme.
Le sénateur Lang : Je devrais peut-être poser la question sous un angle différent et par rapport aux Nations Unies, que vous représentez. Il est évident que le Canada joue le rôle qui est le sien face aux demandeurs d'asile. Nous essayons d'être le plus généreux possible, et de travailler dans le cadre prévu et selon nos possibilités.
À titre d'organisation internationale, que font les Nations Unies pour essayer d'anéantir les migrations clandestines, en commençant dans les ports?
M. De Angelis : Les Nations Unies sont un large réseau qui comprend, comme vous le savez, de nombreuses composantes. L'organisme que je représente est le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, agence humanitaire créée par l'Assemblée générale pour s'occuper des questions de réfugiés et de protection internationale.
Bien d'autres activités menées dans le monde sont réglementées par d'autres processus. Comme je l'ai dit, il y a une convention internationale sur le crime transnational, qui est l'outil que la communauté internationale a trouvé pour réagir à la criminalité. Dans le cadre de ce processus, qui relève de l'ONU, on a créé plusieurs protocoles, dont trois à ce jour; l'un pour combattre les activités de contrebande, le second pour combattre le trafic et le troisième, les armes. Ce sont là des éléments que les Nations Unies ont mis en place en tant que système. Il ne faut jamais oublier que les Nations Unies sont une organisation intergouvernementale; autrement dit un outil mis à la disposition des gouvernements. Les gouvernements sont présents dans tous les réseaux et les mécanismes des Nations Unies afin de les guider et de les orienter. Le HCR lui-même est régi par le comité exécutif, organe composé de quelque 80 pays, où le Canada joue un rôle de premier plan et a la responsabilité, non seulement d'approuver le budget, mais aussi d'offrir des avis au besoin.
L'Organisation des Nations Unies fonctionne aussi bien que le lui permettent les pays qui la composent.
Le sénateur Martin : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur De Angelis. Vous avez parlé du rôle du Canada et du travail que nous accomplissons pour faire notre part et, à certains égards, plus que notre part.
Pour protéger l'intégrité du système, nous avons promulgué cette nouvelle loi. Auparavant, certains responsables parlaient du rôle de votre bureau à l'égard de certaines activités de surveillance menées en partenariat. Pourriez-vous nous parler un peu du rôle que vous seriez amenés à jouer pour assurer le respect de ces protocoles, conventions et obligations internationales en cas, par exemple, de détention de personnes arrivées irrégulièrement.
M. De Angelis : Si j'ai bien compris, le HCR a un rôle à jouer dans tous les pays, rôle qui découle de son mandat. Il consiste à surveiller l'application de la convention de 1951. On nous appelle d'ailleurs le gardien de la convention. Ce rôle est accepté parce qu'il fait partie de la convention elle-même, aux termes de l'article 35. Les pays acceptent que le HCR ait ce rôle.
De par ma présence ici et mon dialogue avec vous, j'assume ce rôle. J'essaie de vous faire part de mon expérience de 60 ans dans cette organisation. Et cette expérience me vient d'un travail quotidien sur le terrain. Nous sommes toujours heureux, bien sûr, de collaborer le plus étroitement possible avec les organismes d'application de la loi des gouvernements, qui sont concernées au premier chef puisque ce sont eux qui rédigent et appliquent la réglementation qui découle de la loi. Évidemment, nous sommes toujours heureux d'être étroitement associés au gouvernement — et nous le sommes aujourd'hui — dans cette tâche.
Comme vous le savez, la LIPR, la Loi canadienne sur les réfugiés, nous permet de surveiller les procédures de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Nous sommes en contact permanent avec elle dans l'exécution de son mandat et nous apprécions beaucoup cette étroite collaboration.
Le sénateur Martin : Cela me rassure beaucoup, ainsi que tous mes collègues ici présents, de constater qu'en exerçant votre rôle de surveillance au Canada pour le compte du HCR vous faites ressortir en pleine lumière la responsabilité et la transparence du système dans son ensemble.
Vous avez dit vous réjouir à la perspective de dialoguer de façon permanente avec le gouvernement et les diverses agences compétentes concernant la mise en œuvre de toutes les mesures prévues. Ma question concerne le rôle visible que vous allez assumer et la collaboration permanente et étroite que vous aurez avec toutes ces agences.
M. De Angelis : Merci.
Le sénateur Cordy : Nous savons qu'il y a des réfugiés qui cherchent à venir au Canada, qui est un pays sûr, pour fuir des situations désespérées.
Le projet de loi prévoit des réductions du Programme fédéral de santé intérimaire. Cela veut dire que des réfugiés qui fuient des situations aussi désespérées n'auront plus accès à ces services de santé essentiels.
Le Canada est signataire de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Il est également signataire du protocole de New York de 1967. À ce titre, il nous incombe d'offrir le même traitement aux réfugiés et aux demandeurs d'asile. Et ce traitement porte sur l'accès aux services sociaux et de santé. Est-ce que nous ne trahissons pas une promesse en n'offrant pas de services de santé aux réfugiés qui viennent chez nous?
M. De Angelis : Les changements proposés au Programme fédéral de santé intérimaire ne font pas réellement partie du projet de loi C-31. Je ne suis donc pas certain de pouvoir m'aventurer sur ce terrain, puisque je comparais dans le cadre de l'examen du projet de loi C-31. Je sais aussi qu'il y a une période de transition et que le gouvernement n'a pas encore terminé son travail sur la mise en œuvre de ces changements. Je pense donc qu'il serait prématuré pour nous de faire des commentaires.
Le président : Une petite précision, madame; avez-vous dit que le Canada retirera tous les services de santé?
Le sénateur Cordy : Pas tous.
M. De Angelis : À ce que nous sachions, cela s'inscrit dans le cadre des compressions budgétaires du gouvernement.
Le sénateur Cordy : Oui.
M. De Angelis : Ce n'est pas une mesure législative.
Le sénateur Cordy : Vous avez raison, cela fait partie du budget.
Le sénateur Lang : Monsieur le président, je crois qu'il est important de bien préciser ce dont il s'agit. D'après ce que j'ai compris du témoignage qui a été donné plus tôt, ces réfugiés bénéficieront des mêmes programmes de santé que n'importe quel autre Canadien. C'est ce que j'ai compris.
Le président : Vous pourrez vérifier le compte rendu demain, mais pour placer la question dans son contexte, le ministre a indiqué, je crois, qu'il y a deux ou trois niveaux de soins de santé. Les soins de base seront ramenés au niveau dont bénéficie n'importe quel citoyen de la province.
Le sénateur Lang : Oui.
Le président : Je pense qu'il est ensuite question des avantages supplémentaires. Ce sera très facile de le vérifier dans la transcription qui sera remise à tous les membres demain.
Le sénateur Lang : Je pense qu'il est important de le souligner.
Le président : Monsieur De Angelis, pourriez-vous répondre à certaines questions d'ordre général? Je comprends très bien que vous ne vouliez pas entrer dans le détail des comparaisons entre pays, j'essaierai donc de vous poser une question simple.
D'autres pays ont une politique sur les pays d'origine désignés, n'est-ce pas? Mon but n'est pas de comparer les désignations, mais simplement d'établir s'il y a de tels pays.
M. De Angelis : Oui.
Le président : Pouvez-vous nous en donner un exemple?
M. De Angelis : Les États membres de l'Union européenne ont ce mécanisme. C'est ce que j'ai dit : le HCR fournit des commentaires à l'Union européenne. La compilation des lois de l'ONU sur l'asile permet d'aboutir aux mêmes commentaires, fondés sur les mêmes normes à partir desquelles nous faisons nos commentaires au Canada.
En général, nous essayons aussi de ne pas faire de comparaison qui favorise un pays par rapport à un autre. C'est un exercice difficile parce que nous avons des normes sur lesquelles nous essayons d'attirer l'attention des pays en évitant surtout d'encourager la réduction des normes au plus bas dénominateur commun. En effet, la baisse des normes par un pays peut avoir comme effet immédiat d'être suivie par tous les autres. C'est ce cercle vicieux que nous voulons éviter en comparant les pays les uns par rapport aux autres.
Le président : Non, je comprends très bien. C'est pourquoi je n'ai pas voulu vous amener à faire de comparaison, mais simplement à répondre à la question de savoir si, d'après l'exposé que vous avez fait, une telle désignation existe dans d'autres pays.
Le sénateur Martin : Puisque vous étiez en Ukraine avant de venir au Canada, j'aimerais vous parler de la question des Roms qui a été mentionnée et du pourcentage élevé de demandeurs d'asile en provenance de cette région. La démocratie y est en place, ainsi que divers programmes sociaux. Je sais par ailleurs que l'Europe a élaboré un plan de 10 ans pour l'intégration des Roms. Puisque vous avez été en Europe, êtes-vous au courant de ce plan et des mesures que prennent les pays membres pour assumer leurs responsabilités dans ce dossier? Le fait qu'un énorme pourcentage de Roms fait des demandes d'asile au Canada plutôt qu'ailleurs impose un lourd fardeau à notre système.
M. De Angelis : Sans entrer dans les détails du plan qui évolue rapidement, surtout depuis un an que j'ai quitté la région, les observations que j'ai faites sur les pays d'origine sûrs sont d'autant plus pertinentes qu'un pays de l'Union européenne peut-être désigné comme tel même s'il ne l'est pas pour la totalité de ses citoyens. Malheureusement, nous avons récemment constaté en Hongrie des actes d'intolérance, de xénophobie et de racisme qui sont très inquiétants. Nous savons que le Canada reconnaît les demandes d'asile, même s'il ne les accepte pas toutes. Il reconnaît ainsi qu'il y a même dans des pays sûrs, des demandeurs authentiques et sincères qui ont besoin d'une protection internationale.
Le sénateur Martin : Oui, j'ajouterais que, si même au sein de l'Union européenne et de ses États membres il y a un tel plan reconnaissant la discrimination et les difficultés auxquelles font face certains citoyens, moi-même, en tant que canadienne, je défends le droit que nous avons d'adopter une approche équilibrée, ouverte et généreuse. Nous devons examiner les chiffres et reconnaître qu'il y a d'énormes écarts, sur lesquels les membres de l'Union européenne se penchent déjà eux-mêmes, et qu'il faut trouver un meilleur équilibre.
M. De Angelis : Voilà pourquoi la désignation du pays d'origine est un outil de procédure qui doit être appliqué comme tel.
Le sénateur Martin : Oui.
Le sénateur Jaffer : Puis-je poser une question complémentaire?
Le président : Certainement.
Le sénateur Jaffer : Merci, monsieur le président, je vous sais gré de votre générosité.
Nous avons beaucoup entendu parler des Roms et des difficultés auxquelles ils font face, non seulement en Hongrie, mais aussi dans toute l'Europe. Pourriez-vous nous en parler?
M. De Angelis : C'est une question très tendancieuse.
Le sénateur Jaffer : Dites-nous ce que vous pouvez.
M. De Angelis : Vous avez raison, j'ai la citoyenneté européenne et je connais la situation depuis que je suis enfant. Mais je ne peux malheureusement pas entrer dans le détail de toutes les difficultés auxquelles ils font face.
Le sénateur Jaffer : Diriez-vous que certains d'entre eux sont réellement persécutés?
M. De Angelis : Le fait que certains demandeurs d'asile soient reconnus comme réfugiés implique qu'ils font l'objet de discrimination qui peut aller, dans certains cas, jusqu'à de la persécution. Nous pouvons le dire, puisqu'un certain nombre de ces demandeurs d'asile sont reconnus comme des réfugiés. Comme je l'ai dit précédemment, la société européenne a en général besoin de plus de tolérance et d'ouverture. Je pense qu'il s'agit là d'un commentaire d'ordre général que l'on peut faire sans hésiter.
Le sénateur Jaffer : Sans vous faire dire ce que vous ne voulez pas, serait-il exact de dire que certains Hongrois identifiés comme Roms sont acceptés dans notre pays parce qu'ils sont persécutés et qu'on leur donne asile?
M. De Angelis : Oui, il y en a. Je ne vous donnerai pas de pourcentage exact parce que je ne le connais pas; mais, effectivement, un certain nombre d'entre eux sont reconnus comme des réfugiés au Canada.
Le président : Je vous remercie, monsieur De Angelis ainsi que vos collègues, d'être venus témoigner, et je remercie mes collègues de leurs questions.
Nous avons maintenant deux témoins qui doivent présenter un exposé. Comme nous n'avons pas pris de décision sur l'ordre des interventions, je commencerai par M. Kurland, avocat et analyste des politiques, dont l'intervention sera suivie par celle de M. Showler, professeur au Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne, de l'Université d'Ottawa. Est-ce exact?
Peter Showler, professeur, Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne, Université d'Ottawa, À titre personnel : C'est exact, je dirige le Forum sur les personnes réfugiées.
Richard Kurland, avocat et analyste des politiques, à titre personnel : Oui, monsieur le président.
Le président : Vous témoignez tous les deux à titre personnel. Maintenant que les présentations sont faites, je donne la parole à M. Kurland.
M. Kurland : Merci de m'avoir invité. Étant donné le traitement expéditif du sujet et les questions de fond que les sénateurs ont posées jusqu'à maintenant, je sauterai l'introduction et le résumé traditionnels. Au fil des ans, j'ai comparu à maintes reprises devant des comités du Sénat. Cela me fait donc chaud au cœur de constater que le processus parlementaire va droit au but en obtenant des témoins — et je l'ai aussi constaté à titre d'observateur — une information qui surprend les experts dans le domaine.
Cela dit, je me résumerai en disant simplement qu'aucun parlement n'a produit récemment de législation parfaite dans ce domaine. Mais comme il s'agit d'un des aspects les plus controversés du droit canadien, on ne peut pas s'attendre à la perfection. Il est cependant difficile de trouver l'équilibre approprié lorsque presque tous les éléments du projet de loi proposé sont imparfaits. La route est cahoteuse. Voilà pourquoi nous avons d'autres institutions de contrôle, dont le système judiciaire et le cinquième pouvoir.
Dans l'ensemble, j'appuie de tout cœur les éléments clés, notamment la liste controversée des pays — particulièrement des nations démocratiques occidentales d'Europe — qui ont fourni au Canada un nombre extravagant de réfugiés, si l'on s'en tient aux témoignages du ministre Jason Kenney, qui a cité le chiffre de 5 000 par année; 5 000, en provenance d'un seul pays, la Hongrie? Voilà mon raisonnement.
Je vous le dis d'emblée et je joue cartes sur table, j'estime la détention problématique. Que ce soit dans ce que d'aucuns décrivent comme un hôtel et d'autres comme un pénitencier à sécurité maximale, ce sont six mois de privation des droits et libertés individuels. Une détention décrétée par qui, dans quelles circonstances et avec quelles conditions de libération? Je trouve cela troublant.
Ce qui arrive — et je terminerai là-dessus — est qu'avec ce projet de loi, nous arrivons à des mesures qui ressemblent à celles qu'impliquait la Loi sur les mesures de guerre. En l'absence d'insurrection réelle ou appréhendée, nous renforçons le potentiel de détention des étrangers arrivant sur notre sol et, historiquement, cela est étranger aux valeurs canadiennes. Je mesure mes mots. Le gouvernement aura les outils nécessaires pour affronter les problèmes du jour, et je lui fais confiance jusqu'à ce que la détention de masse devienne pratique courante dans notre pays.
M. Showler : Malheureusement, je dois prendre une position contraire à celle de mon collègue. Nous nous connaissons depuis des années et je l'estime beaucoup. J'admire beaucoup l'avis de M. Kurland dans bien des domaines des lois sur l'immigration et les réfugiés. Mais aujourd'hui, nos opinions divergent.
Tout d'abord, je vous remercie beaucoup de m'avoir invité. À propos du projet de loi C-31, je vous ai communiqué deux documents; l'un provenant de l'Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, qui regroupe des universitaires de premier plan et la plupart des avocats œuvrant dans le domaine; le second provient du Forum sur les personnes réfugiées, que je dirige. Le Forum mène essentiellement des études et des recherches sur les régimes d'octroi d'asile afin de faire des recommandations stratégiques en la matière.
Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais vous parler de mon expérience. Pendant des années, j'ai été avocat en droit des réfugiés, mais j'ai été aussi membre, puis président, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Ces 10 dernières années enfin, j'ai enseigné le droit des réfugiés à l'université et fait des recherches dans ce domaine. Bref, cela fait 25 ans que je réfléchis aux décisions — utiles ou non — que l'on prend au sujet des réfugiés.
Je ne suis pas venu ici pour prêcher ni en faveur, ni contre les réfugiés. Ma loyauté va à un système canadien de protection des réfugiés qui prend des décisions avec exactitude, équité, rapidité et efficacité.
À mon avis toutefois, le projet de loi C-31 est loin d'atteindre cet objectif. Je vous en donnerai très brièvement les raisons. Pour les détails, je devrais me fier à vos questions et à l'examen que vous avez fait des présentations écrites.
Je passerai rapidement en revue la brièveté des délais accordés au processus de demande d'asile, la liste des pays d'origine désignés et la désignation de certains groupes à l'arrivée.
Pour le délai, le demandeur d'asile ordinaire aura désormais 15 jours pour déposer la demande écrite expliquant sa situation, 60 jours pour se préparer à l'audience sur la demande d'asile, puis 15 jours ouvrables pour faire appel. Voilà en gros comment fonctionne le système. Je dois vous dire que pour bien des demandeurs d'asile, ce délai n'est tout simplement pas suffisant pour respecter la norme.
À mon avis, cela créera un plus grand nombre de demandeurs non représentés, favorisera les erreurs et les omissions dans le récit écrit, et débouchera sur un plus grand nombre de mauvaises décisions concernant les réfugiés. En conséquence, il y aura moins d'appels, plus d'appels mal préparés et tout cela, par manque de temps.
Un délai légèrement plus long pour chaque étape aurait fait une immense différence. Ainsi, on demande 15 jours pour présenter le formulaire de base. Un délai de 30 jours — soit seulement 15 jours de plus — aurait été suffisant. Pourquoi risquer de partir du mauvais pied avec le processus de demande d'asile pour quelques malheureux 15 jours?
Le processus dans son ensemble est trop précipité. Et l'on est en droit de se demander pour quelle raison. Qu'est-ce qui presse tant? Il est vrai que l'actuel système de traitement des demandes d'asile est beaucoup trop lent. Il faut compter de quatre à six ans pour qu'une demande d'asile passe à travers tout le processus, jusqu'à son rejet. Mais ce n'est pas une raison pour se précipiter dans l'autre extrême. En accordant aux demandeurs un petit peu plus de temps pour se préparer à chacune des étapes, ce qui ferait passer le délai de sept à neuf mois, le processus resterait équitable.
Le gouvernement justifie sa décision de raccourcir le processus en affirmant que c'est pour décourager les revendications frauduleuses. Je comprends très bien, mais je ne vois pas ce qui peut faire la différence entre sept et neuf mois. La majorité des demandeurs d'asile, qu'ils présentent une revendication frauduleuse ou non, mettent en jeu pratiquement tout ce qu'ils possèdent pour l'obtenir. Ils vendent leur maison, ils dépensent toutes leurs économies, ils s'endettent. S'ils retournent dans leur pays d'origine en l'espace d'un an, sans argent, sans domicile, sans emploi, je peux vous assurer que la deuxième vague de revendications frauduleuses ne se présentera pas. Seuls les demandeurs légitimes qui sont vraiment désespérés continueront de venir malgré les obstacles. Voilà ce que j'ai à dire sur le processus lui-même.
En ce qui concerne la liste des pays d'origine désignés, les demandeurs d'asile provenant de tels pays auront beaucoup moins de chance de prouver le bien-fondé de leur demande. Je veux parler des pays soi-disant « sécuritaires ». Ce n'est pas parce qu'un pays est sécuritaire pour la majorité de sa population qu'il n'est pas dangereux pour une minorité.
Le deuxième facteur à considérer est que le fardeau de la preuve qu'une demande d'asile est justifiée est au moins aussi onéreux que pour les demandeurs d'asile ordinaire. Il n'y a pas de différence. Or, aux termes du processus, ces personnes n'auront plus que 30 jours, au lieu de 60, pour présenter leur demande. Deuxièmement, elles n'auront pas de droit d'appel. Troisièmement enfin, elles ne bénéficieront d'aucune suspension automatique de l'ordonnance de renvoi pour contrôle judiciaire devant un tribunal fédéral. Cela pourrait entraîner un renvoi dans les 46 jours suivant la présentation de la demande. On risquera donc davantage de renvoyer des réfugiés véritables à l'endroit où ils sont persécutés.
Passons rapidement au troisième groupe, qui est désigné à titre d'arrivée irrégulière. Mon ami y a fait allusion. Les gens qui composent ce groupe sont tous des demandeurs d'asile. Premièrement, ils font tous l'objet d'une détention obligatoire d'au moins deux semaines qui, pour la plupart, durera en pratique six mois. C'est la première chose qui arrive à tous, sauf aux enfants de moins de 16 ans.
Dans la plupart des cas, la décision relative à la demande d'asile est prise pendant la détention. Je puis vous assurer qu'il n'est pas facile de faire valoir le bien-fondé d'une demande lorsque l'on se trouve détenu au milieu de criminels dans une prison à sécurité moyenne, surtout si l'on a déjà fait l'objet de tortures ou de persécution.
Deuxièmement, il n'y a pas possibilité de faire appel. Comme vous le savez probablement, même si la demande est acceptée, deux conditions sont imposées; premièrement, on ne peut pas faire de demande de résidence permanente ni obtenir de titres de voyage pendant cinq ans. L'intention du gouvernement est claire : il s'agit de décourager les arrivées par bateau ou au sein d'un groupe. Cette mesure a pour conséquence que l'on est séparé de sa famille pendant six à huit ans, et si l'on est en mesure de fuir dans un pays tiers où l'on reste vulnérable parce qu'on ne peut pas obtenir de titre de voyage, il n'y a aucun moyen de porter assistance à sa famille.
Cela causera d'immenses souffrances aux plus vulnérables des gens. Pire encore, cette mesure n'est pas dissuasive. En effet, l'analyse sociologique et les données statistiques dont fait état la présentation du Forum sur les personnes réfugiées montre que le seul pays à avoir mis sur pied un programme de détention obligatoire destiné à décourager les demandeurs d'asile a été l'Australie. Ce programme a été un échec complet, ce que reconnaissent aujourd'hui les principaux responsables. Et c'est de cette façon que nous nous justifions de causer autant de souffrances à des gens.
Comme je me rends compte qu'il me reste peu de temps, monsieur le président, je dirai en conclusion que le comité permanent de la Chambre des communes a entendu plus de 40 témoins qui s'opposaient au projet de loi en totalité ou en partie, et offraient des critiques réfléchies et des modifications raisonnables. Finalement, seules deux modifications de fond ont été proposées par le comité. L'une découlait du fait que l'on s'était rendu compte d'une erreur que l'on avait commise par rapport à la perte de la résidence permanente et par méconnaissance de la loi.
Ce projet de loi va détruire la vie des demandeurs d'asile. Il mérite d'être soigneusement et entièrement examiné par le Sénat. Je vous demande de prendre le temps de déterminer les lacunes qu'il contient, d'élaborer des amendements raisonnables et de renvoyer un bien meilleur projet de loi à la Chambre des communes.
Si vous adoptez le projet de loi sous sa forme actuelle — et je suis désolé d'avoir à dire cela — vous serez complice des souffrances immenses et inutiles dont seront victimes des gens qui ont besoin de la protection du Canada. Si vous faites cela après seulement trois jours d'examen d'un projet de loi extrêmement complexe, vous manquerez à votre devoir constitutionnel. Mes propos sont durs, mais j'ai personnellement constaté les conséquences de mauvaises décisions prises à l'égard des réfugiés et de l'envoi de gens vulnérables en prison. Je pense qu'il est de mon devoir d'intervenir et de vous signaler que vous avez un rôle important et puissant à jouer dans l'adoption de cette mesure législative. Si vous adoptez ce projet de loi sous sa forme actuelle, il en résultera d'immenses souffrances humaines dans lesquelles vous aurez eu un rôle à jouer. Je suis désolé d'avoir à vous dire cela.
Le président : Je vous remercie tous les deux.
Le sénateur Jaffer : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Il est très difficile de vous suivre, monsieur Showler.
M. Showler : N'avez-vous pas compris ce que j'ai dit? J'espère que ce n'est pas le cas.
Le sénateur Jaffer : Nous étudierons ce projet de loi pendant deux jours, et non trois. En tant qu'avocat et ancien président de la CISR, vous connaissez bien ce projet de loi. M. Kurland et moi avons déjà travaillé ensemble. Vous êtes tous les deux des experts en la matière. Je vais commencer par la question qui vous dérange tous les deux et qui me tient éveillée la nuit, à savoir les mineurs non accompagnés. Oublions l'Europe et parlons de l'enfant somalien qui débarque sur nos côtes. Le ministre et toutes les autres personnes ici présentes n'ont pas parlé du navire. Nous savons que si une personne arrive par avion sans être munie de pièces d'identité adéquates, son arrivée en groupe peut aussi être considérée comme irrégulière. La personne peut être détenue pendant 14 jours ou jusqu'à six mois. La Convention relative aux droits de l'enfant indique que cela doit être dans l'intérêt de l'enfant. La détention d'un enfant contrevient-elle à la Convention relative aux droits de l'enfant?
M. Showler : Selon moi, oui. La détention devrait toujours être utilisée en dernier ressort et, pourtant, c'est souvent la première mesure prise. Vous avez fait allusion à plusieurs questions. En ce qui concerne la désignation du groupe, nous savons que les responsables ont pratiquement carte blanche. Nous ignorons le nombre et les motifs qui seront évoqués. Toutefois, si les réfugiés sont suffisamment nombreux ou si une organisation criminelle est impliquée d'une manière ou d'une autre, les responsables ne pourront pas traiter rapidement leur demande. Eh bien, pardonnez-moi, mais pratiquement tous les gens qui ne peuvent pas obtenir un visa ont recours à une organisation quelconque qui fournit de faux documents. Il leur sera facile de le faire. Ce qui est préoccupant, c'est la détention obligatoire, qui comporte deux aspects. Premièrement, il y a la détention de deux semaines que nous connaissons déjà. À moins qu'ils aient une preuve d'identité véritable dans leur poche arrière ou que leur oncle les attende avec une telle preuve, ils seront détenus pendant six mois.
Deuxièmement, même s'ils sont accompagnés de leurs parents, ils seront tout de même détenus s'ils sont âgés de 16 ans ou plus. Seuls les enfants de moins de 16 ans ne le sont pas. Toutefois, même dans ces cas-là, la détention est implicite parce que, comme nous l'avons observé sur la côte Ouest, l'enfant peut soit rester avec sa mère au centre de détention de Burnaby, soit aller habiter avec un étranger qui parle une langue qu'il n'a jamais entendue. N'oubliez pas que nous parlons de demandeurs d'asile et que nous ignorons dans quelle mesure ils ont déjà été traumatisés. Oui, cela viole la convention à bien des égards.
M. Kurland : Je ne pense pas que la situation soit aussi tranchée. Il y a une différence entre la détention et la protection de la jeunesse. Un enfant âgé de sept ans, 12 ans ou 15 ans ne sera pas autorisé à intégrer la population canadienne sans la protection et la supervision d'un tuteur. La loi proposée permet aux autorités provinciales et fédérales de faire équipe pour protéger la vie de l'enfant et assurer sa sécurité pendant toute la durée de la période de détention, laquelle ne dure pas obligatoirement six mois. Encore une fois, le processus est conçu pour être souple. Durant son témoignage de ce matin, le ministre a indiqué que, si les conditions changeaient ou que de nouveaux renseignements nous étaient communiqués, la personne pouvait être libérée.
Je ne suis pas en train de minimiser l'importance fondamentale de l'inquiétude que me cause ce genre de détention. Toutefois, j'aimerais citer quelques chiffres à ce sujet, puis je conclurai mon intervention.
Nous parlons d'un système conçu pour gérer les arrivées massives de réfugiés qui, dans le passé, a eu des répercussions sur 1 000 personnes au cours d'une période où nous avons accueilli 300 000 réfugiés. Ces 1 000 personnes représentent trois navires sur une période de 20 ans. Je ne m'attends pas à ce que ce soit un problème constant. Ce sont plutôt des incidents sporadiques qui coïncident magiquement avec la nomination d'un nouveau ministre fédéral de l'immigration. Je conviens que cette façon tendue de traiter les gens vulnérables et les étrangers est contraire aux valeurs canadiennes; mais je ne crois pas que le système soit aussi dur qu'on l'a dépeint.
Le sénateur Jaffer : J'ai interrogé le ministre au sujet de la convention relative aux réfugiés, du fait qu'on ne leur remet pas de documents de voyage, de la détention et du fait que les ressortissants étrangers ne sont pas autorisés à parrainer leur famille, même après avoir été reconnus comme réfugiés au sens de la convention. Contrevenons-nous à la convention?
M. Showler : Quelle convention?
Le sénateur Jaffer : La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
M. Showler : C'est une question plus compliquée à laquelle il est difficile de répondre. Oui, je connais la convention. Je ne tiens pas à débattre de la question avec M. Kurland, mais une détention non contrôlée de six mois signifie que les réfugiés ne peuvent pas la faire contrôler. Lorsque le plus gros navire est arrivé il y a deux ans avec 492 réfugiés à son bord, cela représentait 2 p. 100 de toutes les demandes d'asile reçues cette année-là. Il est ironique de penser que cette mesure législative incroyablement draconienne était censée représenter une énorme menace pour le système canadien de protection des réfugiés. Avec tout le respect que je dois à M. Kurland, il souligne à quel point ce nombre de réfugiés est minuscule. Il a raison, mais on se demande à quoi sert la mesure législative. En ce qui concerne la convention de 1951 et votre question, l'un des principes énoncés dans les lignes directrices du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui ne sont ni des lois ni des éléments de la convention, mais que le Canada a signées en tant que membre du comité exécutif, est la réunification des familles. Il s'agit là d'une valeur fondamentale reconnue.
Ce que nous faisons en ce moment est exactement l'inverse de la réunification des familles. J'ai des enfants. Je présume que bon nombre de gens assis à cette table en ont aussi. Les membres de ces familles se trouvent à deux endroits; ce n'est pas simplement une question de réunification. Prenons l'exemple du Sri Lanka. Ce pays est toujours un enfer où des violations des droits de la personne sont commises pratiquement chaque jour. Imaginez que votre famille se trouve là-bas et que vous ignoriez les risques qu'elle coure; vous ne pouvez rien faire, et vous n'êtes pas en mesure de retourner là-bas parce que vous n'avez pas de documents de voyage de toute manière. C'est une horrible situation. Je sais que le mot « horrible » n'est pas un terme juridique, mais c'est horrible quand même.
M. Kurland : Si je me fie à l'expérience que j'ai eue avec le segment de la société de la région du Grand Toronto provenant des Caraïbes, le délai de réunification des familles des aides familiales a eu des effets négatifs perceptibles sur ces groupes familiaux. Il existe une nette corrélation entre le délai de réunification des familles et les coûts assumés par les contribuables. Une multitude de problèmes sociaux surgissent avec le temps. Encore une fois, je vois cette mesure législative comme une attaque contre le modèle opérationnel des arrivées massives et du passage de clandestins.
Ce message est approprié sur le plan politique, et je pense que c'est un côté du Canada qu'il est bon de montrer, jusqu'à ce que les tribunaux puissent examiner les avantages et les désavantages de la mesure législative. Entre-temps, une mesure dissuasive est en place.
Le sénateur Lang : J'aimerais revenir sur la question de la détention. D'emblée, je tiens à dire qu'il est très important qu'une mesure législative de ce genre y ait recours, parce qu'un nombre de plus en plus important de Canadiens perdaient confiance dans le système d'immigration. Nous avons entendu maintes et maintes histoires concernant des personnes qui arrivaient au Canada et mettaient 10 années à franchir toutes les étapes du système, un système qui ne fonctionnait pas. Parallèlement, notre système doit avoir un effet dissuasif afin que les demandeurs d'asile légitimes comprennent qu'à l'autre bout, il y aura quelques responsabilités à assumer et afin qu'ils ne puissent pas débarquer ici, passer un appel et organiser le déménagement de leur famille au Canada.
Personne autour de cette table ne tient à manquer de générosité. Nous sommes tous de bons Canadiens, et nous arrivons tous de quelque part, même s'il ne s'agit pas nécessairement de notre génération — cela pourrait s'être produit cinq générations plus tôt. Quoi qu'il en soit, nous sommes tous venus d'ailleurs.
Il est important que, dès le début, nous prenions conscience du fait qu'il existe effectivement une liste de gens qui ont présenté des demandes pour venir au Canada de manière légitime. Ils attendent en file; ils ont respecté les règles, et ils suivent les étapes du processus. En revanche, on nous dit que des gens payent jusqu'à 50 000 $ pour monter à bord d'un rafiot dangereux et qu'ils risquent leur vie pour venir au Canada parce que, selon les anciens règlements, ils croient s'ils se pointent à la porte, ils seront autorisés à entrer dans la maison.
Je dirais qu'à mon sens, cette mesure s'est fait attendre beaucoup trop longtemps. On peut soutenir, probablement avec raison, que sept jours sont préférables à 10 ou 30 jours.
Je tiens à aborder la question de la détention que vous avez soulevée tous les deux. Je ne comprends pas comment on pourrait procéder différemment si un énorme groupe de gens arrivait au Canada. Que pourrions-nous faire d'autre que de les détenir dans un endroit rapproché afin que nous puissions nous occuper d'eux adéquatement? Autrement, je dirais que nous ferions aussi bien de ne pas avoir de système, d'ouvrir simplement la porte et de déclarer que nous les reverrons dans 10 ans.
M. Kurland : D'après ce que j'ai observé, la principale motivation était de contrer l'impression que le public avait que notre souveraineté était atteinte et saignait abondamment; nous avons perdu le contrôle. Nous ne pouvons gérer le système ainsi. Nous jouons avec l'intégrité de notre programme d'immigration. Parce que le public n'avait pas une très bonne opinion de notre système de détermination du statut de réfugié, nous avons mis en péril l'appui historique dont il bénéficiait.
Oui, quelque chose doit être fait afin de communiquer nos politiques. Trouvez une solution de rechange. Moi, je n'y suis pas parvenu.
M. Showler : Je peux trouver de nombreuses solutions de rechange. Je suis d'accord avec vous, sénateur. Premièrement, c'est la raison pour laquelle j'ai indiqué que la meilleure façon de dissuader les gens d'arriver clandestinement au Canada était de renvoyer les gens dans leur collectivité. J'ai mentionné que les mesures de dissuasion ne fonctionnaient pas; nous avons constaté la raison statistique pour laquelle la détention obligatoire ne donnait pas de bons résultats.
Cependant, le mémoire y fait allusion : il y a un document rédigé par Roslyn Richardson, une sociologue australienne qui a interrogé les gens qui étaient tout de même arrivés clandestinement et qui le regrettaient amèrement aujourd'hui. Ils parlaient des raisons qui les avaient poussés à venir en Australie. Devinez quelles étaient leurs principales sources de renseignements. C'était les passeurs de clandestins. Ceux-ci ne consulteront pas les directives de CIC afin de leur citer les conséquences possibles.
Deuxièmement, même les gens qui avaient entendu parler de la détention obligatoire, n'avaient pas accordé foi à ces rumeurs, parce qu'ils croyaient que l'Australie était un « gentil » pays respectueux des droits de la personne. Ils penseront exactement la même chose du Canada.
C'est pourquoi je préconise une communication efficace. Vous pouvez vous permettre d'attendre six, sept ou neuf mois, mais si les gens reviennent, au lieu d'attendre en moyenne quatre à six ans avant de le faire, je conviens totalement que cela nuira à l'intégrité du système. Toutefois, si, dans un délai d'un an, un nombre important de gens retournent directement dans leur collectivité et déclarent qu'ils sont fauchés, qu'ils n'ont trouvé aucun travail et qu'ils ont été renvoyés, je peux vous garantir que ces sources de clandestins se tariront. Toutefois, cela ne découragera pas les gens qui sont désespérés. Cela représente le deuxième défi à relever.
Je suis tout à fait d'accord au sujet des arrivées massives — disons, un navire transportant 400 personnes. J'étais président de la CISR lorsque ces quatre navires provenant de la Chine sont arrivés sur la côte Ouest. Notre Section de l'immigration a eu beaucoup de mal à gérer la situation sur le plan logistique. La section est chargée de contrôler les motifs de détention. J'espère que vous savez tous que, selon la procédure actuelle, les détentions doivent faire l'objet d'un contrôle dans les 48 heures qui suivent, puis dans les sept jours suivants ainsi qu'une fois tous les 30 jours par la suite. Je pense que cela fait trop de contrôles pour un groupe important. J'appuierais totalement un délai de deux à trois semaines pour le premier contrôle et un échéancier plus raisonnable par la suite.
Toutefois, ce n'est pas ce que la mesure législative prévoit. N'oubliez pas que, pendant longtemps, le projet de loi prescrivait une détention obligatoire d'une année. De nombreuses discussions ont été nécessaires pour convaincre les conservateurs de la réduire à six mois. Je crois qu'elle est toujours inutilement longue.
Deuxièmement, dans nos mémoires, nous mentionnons un important rapport sur la détention et les systèmes carcéraux du Canada rédigé par un professeur. Si le groupe est important, les centres de détention fédéraux peuvent seulement héberger 299 personnes au total. Alors voilà ce qui se produit dans ces cas-là en Colombie-Britannique, par exemple. Les responsables consultent le propriétaire, en l'occurrence le gouvernement provincial, car c'est lui qui exerce un contrôle sur cette population.
Bien que je convienne avec M. Kurland que les enfants seront logés dans le centre de détention de Burnaby, les autres détenus, en particulier ceux qui font l'objet d'une détention de six mois, seront transférés dans des prisons à sécurité moyenne. Premièrement, ces prisons sont surpeuplées. Deuxièmement, leur personnel est formé pour s'occuper de prisonniers. Troisièmement, les détenus se trouvent mêlés à des gens ayant commis des crimes de diverses gravités. Enfin, ce qui se produit fréquemment — toutefois, pas avec les groupes —, c'est que le détenu ne parle ni le français, ni l'anglais, en plus d'avoir la peau de la « mauvaise couleur », ce qui le rend vulnérable. Dans bon nombre de cas, le détenu est placé en isolement cellulaire, vraisemblablement pour sa propre protection. Toutefois, la façon dont les réfugiés sont traités dans des prisons à sécurité moyenne peut être vraiment horrible. Dans le mémoire, nous faisons allusion à quelques documents qui portent sur ce sujet.
Ce n'est pas un endroit où il fait bon être détenu. Ce n'est pas ce qui se produit. Monsieur Kurland, je vous demanderai de m'appuyer à cet égard.
M. Kurland : Ce n'est pas un agréable petit centre de détention. Nous avons omis de parler de la carte du renseignement; la plupart des justifications énoncées sont liées au renseignement. Pensez au nombre de milliards de dollars qui ont été dépensés depuis les événements du 11 septembre, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale, pour développer des réseaux de sécurité et de renseignement, et pour conclure des protocoles d'entente avec d'autres pays et d'autres partenaires de service. Quelqu'un soutient-il qu'il nous est impossible d'identifier un être humain en moins d'une année? J'en doute.
Le sénateur Cordy : Monsieur Kurland, vous avez dit que nous ne pouvions pas nous attendre à ce qu'un projet de loi soit parfait, et je partage votre avis à ce sujet. Au fil du temps, nous remarquons souvent des éléments qui doivent être modifiés, qui ne fonctionnent pas aussi bien que nous le pensions ou qui, au contraire, fonctionnent mieux. Toutefois, je crois qu'en tant que membres de la Chambre de second examen objectif, nous sommes chargés d'étudier des mesures législatives et, si nous avons le sentiment que des amendements devraient leur être apportés, nous sommes tenus de présenter ceux-ci.
Je pense que toutes les personnes assises à la table s'entendent pour dire que le système actuel est trop lent. Cependant, M. Showler a parlé des nouveaux délais prescrits par le projet de loi. J'ai reçu de nombreux courriels et de nombreuses lettres de la part de personnes qui parlaient des nouveaux délais. Plus précisément, ils parlaient du délai de 15 jours pour faire appel. Si vous envisagez de faire appel, vous devez examiner tous les éléments de preuve qui ont été présentés à la CISR. En passant, la commission a annoncé récemment qu'elle ne fournirait plus de transcriptions des audiences. Par conséquent, il faudra écouter la bande magnétique. Vous ne pourrez plus obtenir la transcription de ce qui a été dit. Ce travail nécessitera beaucoup de temps.
Il faut examiner les autres pièces qui ont été soumises, les documents de référence, et préparer les documents juridiques. Le travail de préparation d'un appel se compare à une révision judiciaire à la Cour fédérale. C'est ce que j'ai su des personnes qui ont communiqué avec moi; j'ai entendu cette comparaison à maintes reprises.
Pourtant, 45 jours sont accordés pour ces appels. D'après les courriels que j'ai reçus, certaines personnes croient que le délai de 15 jours a pour but de limiter l'accès à la procédure d'appel. Chantal Desloges, avocate en droit de l'immigration qui a témoigné devant un comité de la Chambre, a dit ceci à propos du délai de 15 jours consenti pour la procédure d'appel : « C'est décidément une bonne idée de raccourcir les délais, mais il est exagéré de le faire à ce point-là. Ça ne peut pas fonctionner. »
Vous avez abordé brièvement le sujet dans votre présentation. Pourriez-vous nous expliquer un peu mieux pourquoi il est nécessaire de présenter un amendement à cet égard, afin de modifier les nouveaux délais proposés par le projet de loi?
M. Showler : Dans les documents écrits que je vous ai soumis, vous verrez que je recommande un délai de 45 jours, qui est exactement le même que celui de la Cour fédérale. Il est question de 15 jours ouvrables, alors cela correspond à environ 21 jours.
Vous avez omis la chose la plus importante, c'est-à-dire qu'il faut trouver un avocat. N'allez pas croire que vous devez réengager l'avocat qui vous a représenté la première fois, car bien des audiences tournent mal. Beaucoup de mauvaises décisions sont rendues, et il ne faut pas nécessairement pointer du doigt la commission; les avocats ne font pas toujours bien leur travail.
Premièrement, il faut trouver un avocat, et on sait déjà que ce projet de loi augure bien mal pour les régimes d'aide juridique au Canada. Très souvent, ils ne seront pas en mesure de fournir l'aide nécessaire. Et si oui, il faudra suivre tout un processus pour l'obtenir.
Deuxièmement, 21 jours, c'est ce qu'il faut pour parfaire un dossier d'appel. Il ne suffit pas de le préparer, mais bien de le peaufiner. Vu la quantité de travail que cela implique, à peu près n'importe quel avocat en droit des réfugiés le moindrement juste, raisonnable et travaillant vous dira que c'est bien d'avoir un délai de 45 jours, mais que c'est tout juste suffisant pour faire une révision judiciaire. C'est la même chose.
Vous avez parlé de l'autre formalité. Quand la proposition a été présentée la première fois, tout le monde était tellement horrifié par ce délai de 15 jours ouvrables que la commission a accepté de soumettre une copie écrite de la transcription et de la décision. À ce moment-là, ma réaction d'ancien président a été de me dire : « Mon Dieu, et les coûts dans tout cela? C'est ridicule. » Ça coûtera très cher au gouvernement. Que fait-il? Il achète 30 jours supplémentaires. C'est un exemple typique de ce dont je parlais, ce sont des économies de bouts de chandelle. Donc, je le répète, il y aura moins d'appels, et ceux qui auront lieu seront souvent mal préparés. Nous sommes en train de miner notre propre système d'appel.
Rappelons-nous qu'à partir du projet de loi C-11, le projet de loi initial, nous pouvons emprunter cette voie si on parle d'équilibre et de perfection. Cependant, c'était surtout la justification derrière le processus d'appel accéléré qui était inquiétante. À noter que le processus accéléré se retrouve à la fin du système : pas d'examen des risques avant renvoi pendant un an, pas de demande pour des raisons d'ordre humanitaire.
Avant le dépôt du projet de loi C-11, j'ai produit un rapport que le gouvernement a accepté et dans lequel je parlais d'un processus rapide, juste et final. Une première décision fondée, un appel bien préparé, puis un renvoi sans délai. Toutefois, je suis désolé, mais personne dans ce pays qui comprend le système de détermination du statut de réfugié ne vous dira qu'il est possible de préparer un bon dossier d'appel en 15 jours ouvrables. Cela signifie une première décision mal appuyée et un renvoi rapide. C'est pour cette raison que je dis qu'en fonctionnant ainsi nous allons renvoyer des réfugiés dans un milieu de persécution.
M. Kurland : On s'attend à conduire une Ferrari pour le prix d'une mobylette. L'histoire aurait dû nous apprendre quelque chose. En 1989, il y a eu le système d'audience sur le minimum de fondement de l'honorable ministre Flora MacDonald, qui était confrontée aux mêmes défis qu'aujourd'hui et qui a décidé d'instaurer un système accéléré ayant fonctionné pour une seule et unique raison : le gouvernement fédéral payait directement les avocats qui traitaient les dossiers des réfugiés à l'intérieur d'un certain délai. Vous savez quoi? Les normes ont été atteintes. Après un an ou deux, le budget fédéral a commencé à diminuer, et au fil du temps les fonds se sont faits plus rares et les délais de traitement ont grimpé en flèche, si bien qu'on a perdu le contrôle de la situation. Si vous voulez rouler en Ferrari, vous devez vous attendre à en payer le prix.
Le sénateur Cordy : Qu'en est-il de ceux qui ont l'impression que c'est là un moyen de limiter l'accès à la Section d'appel des réfugiés? On laisse si peu de temps pour préparer le dossier d'appel que les gens vont se décourager et laisser tomber, pendant que le gouvernement se défile en disant que cela va permettre de réduire le nombre d'appels.
M. Showler : C'est aussi ce que je crois. C'est ce qui va arriver; il y aura moins d'appels. Premièrement, bien des gens n'auront pas les moyens d'engager un avocat, et deuxièmement, les avocats vont refuser de prendre les dossiers en raison des délais. Les gens arrivent et ont cinq jours pour se préparer, alors ils se disent qu'ils n'y parviendront pas. Il y aura effectivement moins d'appels.
Je ne suis toutefois pas certain que la Ferrari soit un bon exemple. L'analogie de la Ferrari et de la mobylette me paraît un peu extrême.
Voici ce qu'il faut retenir : le gouvernement a souvent fait référence au système du gouvernement australien et à certains systèmes européens. Par exemple, l'Australie avait une politique de détention obligatoire, mais ce qu'on ne dit pas, c'est que le gouvernement fournissait aussi les services d'avocats. Aux Pays-Bas et dans la majorité des pays d'Europe, il y a aussi une liste de pays d'origine désignés. Mais la plupart de ces gouvernements offrent eux aussi les services d'avocats.
Là où M. Kurland et moi sommes entièrement d'accord, et je supplie le gouvernement depuis des années de le faire, et cela peut paraître comme une dépense à prime abord, mais si vous avez des avocats fiables — et je ne parle pas d'avocats en pratique privée... Je serais satisfait de voir des cliniques, et il existe différents modèles. Cela permettrait d'avoir un système plus rapide et plus efficace, et de se débarrasser de tous ces consultants. En toute honnêteté, et je parle de mes propres consoeurs et confrères, si on pouvait se défaire de tous les avocats incompétents, le système serait beaucoup plus efficace et rapide. C'est aussi mon avis.
Avec les conditions actuelles, très peu de gens vont pouvoir interjeter appel.
Le sénateur Cordy : Merci.
Le sénateur Martin : Je pense que nous sommes tous d'accord pour veiller à l'intégrité de l'ensemble du système et faire ce qu'il y a de mieux pour le système canadien.
Je ne suis pas avocat, et j'apprécie votre expertise et votre point de vue. Quand j'ai examiné la loi, je l'ai fait avec l'œil d'un contribuable canadien qui pense aux arrivées irrégulières. C'est vrai, toutefois, qu'il n'y en a pas eu beaucoup au cours des 20 dernières années. Mais quand cet incident s'est produit en 2010 et que nous avons vu tout cela se dérouler à la télévision, c'était difficile de comprendre, même pour les téléspectateurs, qu'est-ce qui était en train de se passer. De la même façon, nous ne comprenons pas le travail que vous devez faire pour offrir une bonne défense à vos clients.
Je pense aux représentants qui étaient ici et à toutes les obligations légales et responsabilités qui leur incombent, et à quel point le système serait complexe s'il fallait confirmer l'identité et l'admissibilité, entre autres choses.
Quand on examine ce projet de loi, on se rend compte qu'il y a des lacunes dans le système, et nous voyons que c'est une possibilité. Il est donc important d'établir un mécanisme et un certain régime. Je félicite le gouvernement pour cela.
Mais pour ce qui est des inquiétudes concernant la politique de détention, nous avons aussi entendu les représentants nous dire que les enfants ne seraient mis en détention qu'en dernier recours. On agirait dans le meilleur intérêt des enfants. Si on jette un coup d'œil aux statistiques qu'ils nous ont données, les mineurs non accompagnés ne représentent que 0,5 p. 100 de toutes les arrivées que nous avons eues jusqu'à présent. On parle de 25 jours de détention en moyenne, et entre 35 et 40 p. 100 de tous les détenus ont été relâchés en moins de 48 heures. En ce qui concerne les scénarios dont vous parlez, je pense que nous devons faire ces choses pour veiller à ce que chacun soit tenu responsable de ses actes.
Ma question porte précisément sur votre expertise en tant qu'avocats. Je sais que le document Fondement de la demande, qu'on dit plus simple, viendra remplacer l'entrevue de collecte de renseignements, mécanisme plus lourd prévu par la LMRER. Pourriez-vous me dire de quelle façon cela simplifie les choses, ou quelle est la différence entre les deux?
M. Showler : Bien sûr. D'abord, je précise que je ne parle pas seulement en ma qualité d'avocat. Vous vous souviendrez que j'étais président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. J'étais en charge de ce genre de décisions. C'est important pour moi, car je pense aussi à cet aspect.
Il est question ici de collecte de renseignements. Pour le réfugié moyen, il faut avoir l'information, car il est nécessaire de voir ce qui pourrait poser problème. Habituellement, on envoie les questions et on cerne ce qui pourrait accrocher avant l'audience, car on ne dispose que de trois heures en salle d'audience. Il faut que ce soit terminé au bout de trois heures, car on perd énormément de temps s'il y a un ajournement. Il faut vraiment avoir tous les renseignements pertinents. Si on ne peut pas obtenir les renseignements voulus ou si on n'en obtient que la moitié parce que l'entrevue du système précédent a été éliminée, je peux vous garantir que cela finira par coûter très cher.
Le sénateur Martin : Ce n'est pas ce qui se passe. Est-ce bien cela?
M. Showler : C'est exact. Voici ce qui pose problème : si vous n'obtenez pas l'information pertinente dès le départ, vous ne pourrez pas vous faire une idée juste de la revendication.
De plus, et cela m'est déjà arrivé lors d'audiences, on court dans tous les sens pour obtenir les renseignements pertinents. Si la raison pour laquelle l'information n'a pas été obtenue est que le délai est passé de 30 à 15 jours, je m'interroge à propos du bien-fondé de ce changement. Il faut du temps pour obtenir des renseignements précis. Il faut entre cinq et 10 jours pour avoir les services d'un avocat de l'aide juridique et d'un interprète.
J'ai d'ailleurs écrit un livre là-dessus. Une fois sur deux, les plaignants vulnérables, même ceux qui le font sous de fausses prétentions, ne savent pas ce qui se passe. Ce n'est pas suffisant 15 jours pour trouver quelqu'un qui va les aider à présenter les renseignements pertinents et corrects en vue d'entamer le processus judiciaire.
Le sénateur Martin : Je crois comprendre que la nouvelle loi permettra à la CISR d'apporter des correctifs au besoin, et que tout n'est pas noir ou blanc.
M. Showler : C'est essentiellement noir ou blanc, mais il est possible de soumettre une demande écrite pour prolonger le délai de 15 jours. Je peux vous assurer qu'il est assez difficile comme cela de trouver un avocat pour préparer la revendication, alors qu'est-ce que ce sera pour les demandes de prolongation. Des avocats ont dit qu'ils allaient le faire systématiquement. Quand on en arrivera là, c'est tout le système qui va s'écrouler.
Encore une fois, je me demande qu'est-ce que ces 15 jours supplémentaires ont de magique. J'associe tout cela au principe de la dissuasion. Qu'est-ce qu'on a gagné selon ces représentants? Je connais tous les représentants dont vous parlez, et aucun d'eux n'a jamais eu à décider du sort des réfugiés. Étant donné que les membres de la commission sont nommés par processus judiciaire, ils n'ont pas eu l'occasion de se prononcer sur l'utilité des nouvelles mesures.
M. Kurland : Je suis persuadé que cette prolongation contribuera à la préparation du dossier. Il faut outiller adéquatement les avocats pour qu'ils aient le temps de prendre connaissance de la situation de leurs clients, ou encore ajouter des jours au processus.
Le sénateur Seth : Merci d'être ici, messieurs Kurland et Showler.
Ayant pratiqué la médecine pendant de nombreuses années à Toronto, j'ai pu constater de quelle façon certains réfugiés abusent du système de santé et du régime d'aide sociale du Canada, des abus qui coûtent des millions de dollars par année aux contribuables.
Quelles conditions ou quels engagements prévoit le projet de loi C-31 pour les immigrants et leurs répondants?
M. Showler : Vous ne parlez pas des réfugiés, mais bien des immigrants? Je suis désolé, mais je ne comprends pas la question.
Le sénateur Seth : Est-ce qu'un réfugié peut-être parrainé par des membres de sa famille? Si oui, comment? Quelles seront leurs responsabilités?
M. Showler : C'est impossible. La catégorie des réfugiés est une catégorie précise d'immigrants. Pour être admis au pays, il faut que son statut de réfugié soit reconnu avant de se réinstaller au Canada, grâce au programme de réinstallation. Sinon, on se présente au Canada et on doit prouver qu'on est bel et bien un réfugié. Il n'est pas question d'être parrainé par des proches.
Le sénateur Seth : Ce n'est pas du tout possible pour les réfugiés?
M. Showler : Non, cela ne concerne pas les réfugiés. Le projet de loi C-31 renferme beaucoup de références à d'autres éléments, et c'en est une. C'est une disposition qui se trouve déjà dans la loi, et le projet de loi ne fait que la préciser. Cela concerne la catégorie du regroupement familial. Il n'est pas seulement question de proches, mais de proches qui appartiennent à la catégorie du regroupement familial et qui parrainent un membre de leur famille. Il peut s'agir d'un enfant de moins de 22 ans, ou encore de parents.
Souvent, ils doivent s'engager à soutenir financièrement leurs répondants pour éviter qu'ils réclament de l'aide sociale. C'est une façon de tenir les parrains responsables. C'est un léger détail technique concernant le parrainage des immigrants qui a été inclus au projet de loi.
Le sénateur Seth : Que se passe-t-il si une personne qui revendique le statut de réfugié a de la famille au Canada?
M. Kurland : Une personne qui peut se prévaloir d'une autre option offerte par le système d'immigration canadien n'a pas à jouer la carte du statut de réfugié. Elle pourrait être parrainée par un parent, des grands-parents ou une personne à charge.
Le sénateur Seth : Dans ma pratique, j'ai souvent vu des gens revendiquer le statut de réfugié même s'ils avaient de la famille au pays. Ils veulent être parrainés. Que se passe-t-il dans une telle situation?
M. Kurland : Dans ces cas-là, la ligne de démarcation est rose ou bleue, selon l'issue du processus. Cette personne obtient le statut de réfugié, puis celui de résident permanent, et c'est tout. Il y a toutefois là matière à réflexion pour les politiques futures.
M. Showler : Il arrive que ces personnes aient de la famille ici, mais elles ne sont pas nécessairement parrainées. Je répète que seuls les membres de la famille rapprochée peuvent agir comme répondants.
Le sénateur Seth : Je parle des frères et soeurs.
Le président : Nous nous éloignons des points importants et j'aimerais qu'on revienne au sujet qui nous occupe.
Le sénateur Wallace : Monsieur Kurland, comme vous l'avez dit dans votre déclaration préliminaire, aucun système n'est parfait. Cela ne signifie pas que nous, les législateurs, ne devons pas chercher à atteindre la perfection. C'est probablement un objectif impossible à atteindre, mais nous devons tout mettre en œuvre pour établir le meilleur système qui soit.
Si j'ai bien compris, vous êtes d'avis que le projet de loi C-31 assure un équilibre adéquat entre les droits et les obligations des personnes qui cherchent refuge au pays, selon les vœux et les désirs de la population canadienne et du gouvernement du Canada.
Vous avez abordé différents points dans votre présentation. Comme cela semble être un bon équilibre selon vous, pouvez-vous nous donner quelques exemples de problèmes importants pour lesquels le projet de loi C-31 permettra de trouver l'équilibre?
M. Kurland : Premièrement, le projet de loi C-31 s'attaque au problème du nombre de demandes reçues. Je suis en désaccord avec bon nombre de mes collègues à l'échelle du pays à ce sujet, en ce sens que je ne pense pas qu'il faille examiner le projet de loi dans le but de garantir sa conformité à la loi en place. Notre travail est d'amener la loi là où elle devrait l'être. Pour ce qui est des demandes reçues, c'est difficile pour moi de comprendre pourquoi des demandes du statut de réfugié proviennent d'un pays occidental démocratique du centre de l'Europe, comme la Hongrie. Le ministre a indiqué aujourd'hui qu'il y avait 5 000 demandes. Ce sont des personnes qui ont le droit — pas le privilège, mais le droit — d'aller travailler et s'installer dans un pays voisin. Je ne comprends pas pourquoi notre système de détermination du statut de réfugié attire autant de gens, alors que d'autres pays en attirent aussi peu.
Il y a une distinction à faire entre discrimination et persécution. Oui, il y a de la discrimination. Oui, le Canada et d'autres pays travaillent à changer cela. À moins qu'on ne modifie le processus de demande du statut de réfugié, les demandeurs hongrois seront de plus en plus nombreux et finiront par déloger les demandeurs vulnérables des autres pays qui méritent d'avoir la protection du Canada. Nos ressources et nos quotas sont limités. Il ne faudrait pas les employer pour les demandeurs qui ont d'autres options pratiques à leur disposition. Si la solution est de mettre en place un mécanisme qui fait en sorte d'accélérer le traitement des demandes en provenance de pays comme la Hongrie, ou d'autres mesures qu'on a entendues aujourd'hui ou à un autre moment donné, c'est la chose à faire. C'est probablement la principale raison pour laquelle on voyait, autrefois, des véhicules au coffre un peu trop lourd et au kilométrage douteux, même si nous avons un système de détermination du statut de réfugié fort enviable. On est plus futé aujourd'hui. C'est probablement la raison numéro un selon moi.
Le sénateur Wallace : Merci pour cette réponse.
Le sénateur Jaffer : Plusieurs choses sont restées sous silence. Je vais vous poser la question, mais si vous ne pensez pas pouvoir y répondre, je comprendrai. Je veux entre autres parler de la biométrie. Je suis tout à fait pour l'utilisation de la biométrie, en ce sens que c'est inévitable. Cependant, en 2002, alors que je suivais la question de très près, on a décidé de mettre le projet sur la glace pour des raisons de confidentialité. Je ne sais pas s'il y a un cadre de travail en place ou une infrastructure permettant de protéger les renseignements personnels des réfugiés. Nous savons ce qui est arrivé à RHDCC, notamment avec le Guichet emplois, où il y a eu des fuites de renseignements. Y a-t-il une infrastructure permettant de protéger les données biométriques?
M. Showler : À ce que je sache, il n'y en a pas. Ce n'est pas un problème très complexe. Les gens voient la biométrie comme une solution magique. Je souligne que la biométrie, c'est aussi les empreintes digitales, les photographies et bien d'autres choses. Ce que j'ai recommandé au comité de la Chambre des communes, c'est de prendre les mêmes précautions que pour assurer la sécurité de l'information. La grande crainte demeure la transmission fortuite de renseignements à des partenaires internationaux qui ont des visées bien différentes des nôtres et, fort probablement, des antécédents bien différents aussi en ce qui concerne les droits de la personne.
Je ne connais aucune infrastructure de ce genre. C'est certainement une chose à laquelle il faudra voir.
M. Kurland : Il existe une telle infrastructure en ce moment, et elle est efficace : on confie au secteur privé...
Le sénateur Jaffer : Mais nous ne...
M. Kurland : ...la mise en application des droits de la protection des renseignements personnels. Le Québec l'a fait. Le gouvernement du Québec prévoit dans sa charte des dommages-intérêts punitifs pour la violation des droits à la vie privée. Les avocats vont organiser un recours collectif contre l'ASFC en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Il existe un mécanisme : c'est la privatisation.
Le sénateur Jaffer : Mais ce n'est pas un mécanisme qui est en place?
M. Kurland : Pas au niveau fédéral.
Le sénateur Jaffer : Quand je pratiquais le droit et qu'on me soumettait un dossier de statut de réfugié et que les choses auguraient mal, on pouvait se rabattre sur la révision pour des motifs d'ordre humanitaire (RMOH) et l'examen des risques avant renvoi (ERAR). Aujourd'hui, ces deux mécanismes ne peuvent être entrepris qu'un an après le refus de la demande du statut de réfugié, ce qui signifie que les demandeurs peuvent être expulsés, et c'est ensuite qu'on peut procéder à la RMOH et à l'ERAR, vu le délai d'un an. Si je comprends bien, il faut maintenant choisir entre la demande du statut de réfugié, la RMOH, et l'examen préalable. On ne peut pas faire les deux. Que se passera-t-il?
M. Showler : De deux choses l'une : si la détermination du statut de réfugié est valable et qu'il y a eu un appel fiable en vue d'attraper les erreurs, il y aura expulsion. Certaines personnes ne peuvent pas être renvoyées du Canada pour diverses raisons. Nous connaissons ces raisons. Il arrive qu'un pays soit en train de s'écrouler; accablé par le désordre civil. Ce sont ces personnes qu'on ne peut renvoyer qui, après un an, pourraient faire une demande pour l'ERAR ou la RMOH selon les circonstances.
Il y a quelques exceptions aux limites des motifs d'ordre humanitaire, encore là quand cela concerne des enfants ou un problème de santé exceptionnel assujetti à l'article 97.
Si je peux me le permettre, monsieur le président, j'aimerais ajouter quelque chose. Pour répondre à votre question sur l'équilibre, sénateur, c'est un exemple parfait. Je suis tout à fait pour un système de pays d'origine désignés. M. Kurland a beaucoup parlé des Roms et de leur protection. À part cela, mon idée d'équilibre serait d'avoir un système accéléré qui permettrait encore de faire la détermination du statut de réfugié en 60 jours, de prendre 60 jours supplémentaires pour interjeter appel et accélérer ces dossiers pour les traiter en premier. Je peux vous assurer que si les demandeurs frauduleux — ils ne le sont pas tous, mais beaucoup le sont — sont renvoyés dans les ghettos roms en Hongrie six ou sept mois plus tard, je vous garantis que ce sera la façon la plus efficace de faire passer le message et de stopper cette marée de 5 000 demandes. C'est la solution, à mon avis.
Le sénateur Jaffer : Puis-je poser une petite question?
Le président : Rapidement.
Le sénateur Jaffer : Avez-vous constaté dans votre pratique si pour l'option du renvoi dans un tiers pays sûr, on applique les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?
M. Showler : Pour le pays d'origine désigné, en général, elles ne sont pas appliquées, et je crois que c'est justifié. Un des problèmes que pose le principe des pays sûrs — et j'ai indiqué que les pays sûrs ne le sont pas toujours —, c'est que souvent ce n'est pas l'État qui est le persécuteur. Souvent, mais ce n'est pas systématique, la persécution est effectivement fondée sur le sexe. Quand je dis qu'il peut être difficile de prouver une demande relative au pays d'origine désigné, ce sont ces demandeurs qui ne sont pas particulièrement doués pour présenter de telles demandes. Ils ont certainement besoin d'autant de temps que les autres.
M. Kurland : On prévoit des protections pour la persécution fondée sur le genre parce que c'est compris dans ce facteur qualificatif, et le ministre en a parlé plus tôt aujourd'hui. C'est là.
Le président : Merci beaucoup. Merci à mes collègues pour leurs questions et l'enthousiasme qu'ils ont démontré face à la discussion d'aujourd'hui.
Au nom du comité, chers témoins, je vous remercie tous les deux.
(La séance est levée.)