Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 25 - Témoignages du 8 novembre 2012
OTTAWA, le jeudi 8 novembre 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 29 pour faire une étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : Surveillance après approbation).
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je présenterai chacun des témoins lorsque nous les inviterons à faire leur exposé, mais les membres du comité ont sûrement déjà remarqué qu'un d'entre eux se joint à nous par vidéoconférence. Je vous invite tous à parler directement dans les micros lorsque vous poserez des questions afin que la communication soit claire pour notre invité qui comparaît par vidéoconférence.
Je m'appelle Kelvin Ogilvie et je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et le président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter.
Le sénateur Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le sénateur Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique. Soyez les bienvenus.
Le sénateur Verner : Josée Verner, du Québec.
Le sénateur Demers : Jacques Demers, du Québec.
Le sénateur Eaton : Nicole Eaton, de Toronto.
Le sénateur Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Dyck : Lillian Dyck, de Saskatoon.
Le sénateur McInnis : Tom McInnis, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, vice-président du comité. Je suis de Toronto.
Le président : Merci, chers collègues. Je vais accueillir les témoins dans l'ordre qu'ils figurent sur la liste. Monsieur Lemmens, vous avez l'honneur de commencer les exposés aujourd'hui.
Sénateurs, monsieur Lemmens témoigne aujourd'hui à partir d'Oxford.
Trudo Lemmens, chaire Scholl en droit et politique de la santé, faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup.
[Français]
Je voudrais d'abord m'excuser auprès des membres francophones du comité de ne pas avoir fait traduire mon mémoire.
[Traduction]
Je l'ai présenté trop tard pour permettre qu'il soit traduit, mais je crois comprendre qu'il le sera dans les prochains jours. C'est un document que j'ai rédigé avec mon associée de recherche, Shannon Gibson.
En guise d'introduction, je vais vous parler du contexte historique dans lequel s'inscrit la discussion d'aujourd'hui. Initialement, la réglementation sur les médicaments a été adoptée pour retirer les produits médicinaux toxiques du marché. Même si une exigence de base en matière d'efficacité a été ajoutée dans les années 1970, cela n'a pas entraîné la mise en place d'un examen détaillé des avantages des nouveaux médicaments. En fait, l'augmentation graduelle des exigences en matière de communication des données sur la sécurité et l'efficacité provenant de quelques essais cliniques de base a progressivement mené à la création d'une industrie des essais cliniques qui — et c'est ce que les gens doivent comprendre — se concentre principalement sur la satisfaction d'une exigence d'ordre administratif. Il n'y a aucune exigence relativement à une analyse qui vise à déterminer si la communication des données préautorisation nous fournit des renseignements significatifs et suffisants. Ce n'est pas ce qu'on demande à l'industrie et ce n'est pas ce qui l'intéresse vraiment.
Malheureusement, beaucoup de gens — dont les médecins — ignorent les limites des données préalables à la mise en marché qui sont produites par ceux qui ont tout intérêt à ce que les médicaments soient rapidement mis en marché et qui n'ont pas nécessairement intérêt à déceler les problèmes. À certains égards, le système a un effet pervers. Il crée un faux sentiment de sécurité et d'efficacité qui, dans le contexte actuel, a parfois été utilisé comme un outil de marketing sans qu'il y ait des mesures de contrôle claires sur la façon dont les médicaments sont utilisés dans le monde réel.
J'aimerais brièvement discuter des problèmes suivants en ce qui a trait à la surveillance après la mise en marché. Premièrement, le manque de données probantes; deuxièmement, le manque de données comparatives sur les avantages que présentent divers médicaments pour les patients. Troisièmement, il y a le phénomène de la prescription de médicaments pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, dont le comité a déjà parlé, d'après ce que j'ai compris, mais qui doit être associé à la surveillance après la mise en marché. Quatrièmement, la nécessité d'améliorer la déclaration des effets indésirables des médicaments et, cinquièmement, l'adoption d'exigences après la mise en marché. J'aborderai succinctement toutes ces questions.
Dans les essais cliniques, d'importantes réactions qui se produisent peu fréquemment ou à long terme ont tendance à passer inaperçues. Les essais sont menés dans des conditions qui ne correspondent pas aux conditions d'utilisation des médicaments dans le monde réel. Les patients sont exposés à d'autres médicaments et ont des maladies sous-jacentes; habituellement, ils sont plus âgés, ont tendance à être plus malades et font l'objet d'une moins grande supervision que les participants des essais cliniques. Cela engendre des problèmes plus graves dans le contexte du modèle du médicament vedette qui est de plus en plus utilisé pour traiter les maladies chroniques et aussi à des fins de médecine préventive. Lorsqu'un médicament est prescrit en grandes quantités, même un risque mineur non détecté peut entraîner des milliers d'effets secondaires indésirables et de décès, comme cela s'est produit dans certains cas controversés.
Un autre problème et la mainmise de l'industrie sur les essais cliniques des médicaments avant la mise en marché, que l'on considère souvent comme manquant d'objectivité en raison d'une conception de recherche parfois subjective, de choix faits en fonction d'une analyse statistique, de problèmes liés aux rapports, et cetera. Or, Santé Canada se fie beaucoup aux données fournies dans ce contexte et n'a aucun contrôle sur la façon dont les données sont présentées dans la littérature médicale, qui est ce sur quoi les médecins fondent leurs décisions de prescription, mais nous savons qu'il y a de graves problèmes en ce qui a trait à la fiabilité des données présentées dans la littérature médicale.
Le problème s'accentue dans le contexte de ce qu'on appelle la médecine personnalisée. Les médicaments pour le traitement de maladies rares ou destinés à des marchés créneaux, comme les produits pharmacogénomiques, font souvent l'objet d'une relation accélérée lors du processus d'approbation des médicaments ou sont soumis à des exigences moins sévères en ce qui concerne les données réalistes. Le fondement scientifique limité de l'approbation rend encore plus difficile, après l'approbation, l'évaluation des avantages et des risques de ces médicaments dans le cadre des essais postcommercialisation. Si de tels essais n'ont pas lieu ou ne sont pas menés de façon adéquate, des médicaments inefficaces et dangereux pourraient rester sur le marché pendant très longtemps.
Pour ce qui est du deuxième problème, le manque de données comparatives sur l'efficacité, il faut qu'il soit clairement établi que les données comparatives qui existent — et qui se limitent aux produits pharmaceutiques — présentent souvent le même problème de manque d'objectivité dont j'ai déjà parlé. Au Canada, malheureusement, des médicaments de qualité inférieure peuvent faire leur entrée sur le marché et y demeurer à moins que l'on détermine qu'un produit est dangereux. Or, la promotion subtile de médicaments de qualité inférieure, qui est permise, peut manifestement causer du tort aux patients.
Le troisième point dont je tiens à parler brièvement porte sur les questions entourant la prescription d'un médicament pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette. Comme vous le savez, il s'agit d'une pratique légale que l'on peut comprendre dans une certaine mesure, mais beaucoup de médecins ne savent pas qu'ils prescrivent un médicament pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette. On peut défendre une telle pratique à un certain point, mais les exceptions devraient faire l'objet d'un contrôle rigoureux.
Malheureusement, on n'encourage pas toujours les entreprises à obtenir des données fiables sur l'innocuité et l'efficacité de l'utilisation non indiquée sur l'étiquette. Les essais cliniques sont coûteux, et si l'on découvre un manque d'efficacité, cela peut éliminer un important segment de marché pour ce médicament. Par conséquent, en cas de doute, l'entreprise peut jouer la carte de la prudence et simplement permettre à cette pratique de se poursuivre.
J'invite le comité à se pencher sur un progrès récent survenu en France où l'on a mis en oeuvre des recommandations relatives à un nouveau système et qui prévoit — du moins dans une certaine mesure — une façon intéressante d'exercer une surveillance sur la prescription d'un médicament pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette.
Le quatrième point porte sur la déclaration des effets secondaires. Au Canada, le modèle le plus courant de surveillance des effets secondaires des médicaments est la déclaration volontaire par les professionnels de la santé et les consommateurs. Le signalement obligatoire des effets secondaires des médicaments par des médecins pourrait renforcer la surveillance postcommercialisation, mais cela requiert beaucoup de temps et de ressources. Rémunérer les médecins pour le signalement des effets secondaires des médicaments pourrait être un bon incitatif qui permettrait d'augmenter considérablement la quantité et la qualité des rapports.
J'exhorte aussi le comité à étudier le système de réception, d'archivage et d'analyse des données relatives aux EIM que l'on utilise actuellement à Santé Canada. Ce système, MedEffet, est décrit comme mal conçu et contenant des informations qui sont très difficiles à interpréter. Il est essentiel d'accroître la transparence dont fait preuve Santé Canada sur la façon dont on utilise les rapports d'EIM dans le cadre du processus de surveillance postcommercialisation.
En terminant, j'aimerais dire quelque chose sur la question de l'homologation progressive. Depuis 2005 — depuis sept ans, en somme —, au Canada, on travaille à la mise en place d'un régime d'homologation progressive dans lequel on prévoit des pouvoirs réglementaires permettant d'exiger l'évaluation continue des médicaments. Malheureusement, dans le régime proposé, les essais postcommercialisation relèvent toujours principalement des sociétés pharmaceutiques.
À mon avis, d'après les controverses qui ont éclaté dans le passé, on peut raisonnablement douter de la fiabilité de ses études. La solution idéale serait de retirer à l'industrie tout contrôle des essais cliniques et d'améliorer la surveillance par le gouvernement. Pour ce faire, il s'agirait simplement de rompre le lien direct qui existe entre l'industrie des essais cliniques et l'industrie pharmaceutique, par exemple. Une réforme draconienne de ce genre n'est peut-être pas pour demain. Il est donc important de mentionner une initiative positive dans ce domaine qui pourrait et qui devrait être renforcée : le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments.
Le RIEM se fie aux essais postcommercialisation menés par un réseau virtuel de centres d'excellence canadiens, mais, compte non tenu de ses aspects intéressants, il y a deux mises en garde très importantes à faire au sujet du RIEM.
Premièrement, son budget fait piètre figure comparativement aux budgets de marketing et d'essais cliniques des grandes sociétés pharmaceutiques. Deuxièmement, l'indépendance du RIEM est affaiblie par le fait qu'il est actuellement chapeauté par les Instituts de recherche en santé du Canada, un organisme qui prône maintenant une collaboration plus étroite avec l'industrie, particulièrement en ce qui concerne la planification et la tenue des essais cliniques. Il importe aussi de souligner que les IRSC ont récemment nommé deux directeurs de l'industrie pharmaceutique aux conseils d'administration de l'organisme et on s'interroge sur la façon dont cela mine son indépendance.
En conclusion, je dirais que les initiatives de réforme doivent être axées sur la mise en place d'une meilleure évaluation des médicaments fondée sur des résultats cliniques ainsi que sur des exigences claires et rigoureuses en matière d'essais cliniques après la mise en marché, de façon à obtenir des données fiables sur les effets des médicaments dans les situations réelles.
Le gouvernement devrait d'abord promouvoir ou même exiger la tenue d'études comparatives de l'efficacité. Deuxièmement, il devrait améliorer la déclaration des effets secondaires après la mise en marché. Troisièmement, il devrait donner à Santé Canada l'autorité réglementaire d'exiger la mise en place d'évaluation continue après la mise en marché. Enfin, il devrait favoriser la production de données indépendantes sur les essais cliniques en modifiant la structure des relations entre l'industrie et ceux qui mènent les essais cliniques.
Le président : Merci, monsieur Lemmens.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Françoise Baylis, qui est professeure et chaire de recherche du Canada de la Faculté de médecine à l'Université Dalhousie. Soyez la bienvenue.
Françoise Baylis, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada, faculté de médecine, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée à témoigner de nouveau au comité aujourd'hui.
[Français]
C'est toujours un plaisir d'avoir l'occasion d'être ici à Ottawa. Aussi, il me fera plaisir de répondre à vos questions en français. Je crois que vous avez des textes dans les deux langues, mais je vais faire ma présentation en anglais.
[Traduction]
Mon exposé portera sur les essais postcommercialisation chez les femmes en général, les femmes enceintes et les femmes allaitantes, mais d'abord, je tiens à faire une importante mise en garde. Comme beaucoup de gens — dont M. Thomas Moore, de l'Institut pour l'utilisation sécuritaire des médicaments des États-Unis —, je considère que « l'accès accéléré à de nouveaux médicaments évalués de façon moins rigoureuse est, au mieux, un avantage à double tranchant ». En d'autres termes, j'ai de sérieuses réserves sur l'accélération de la mise en marché des médicaments au détriment d'informations complètes et solides sur l'innocuité et l'efficacité.
Je vous recommande de lire une recherche menée en octobre dernier par Joel Lexchin, qui a montré que plus du tiers, 34,2 p. 100, des médicaments ayant fait l'objet d'un examen prioritaire visant à accélérer leur homologation par Santé Canada entre 1995 et 2010 ont dû porter une mise en garde ou être retirés du marché en raison de problèmes d'innocuité. Ce n'est pas un pourcentage négligeable.
Maintenant que j'ai fait cette mise en garde, je suis ici aujourd'hui pour argumenter en faveur de mesures importantes pour protéger la santé des femmes en général, ainsi que des femmes enceintes et des femmes allaitantes. Je vais terminer par une série de recommandations précises.
Je vais sauter les définitions que j'ai fournies pour les essais cliniques de la phase I à la phase IV. Vous pourrez les lire plus tard. Cependant, en principe, il est important de souligner que les essais cliniques postcommercialisation de phase IV ont pour but de faire ressortir les lacunes en matière de données probantes sur l'efficacité comparative et sur l'innocuité des médicaments ainsi que sur leur utilité réelle. Quelle en est l'utilité? C'est lié aux avantages sociaux. Cependant, en pratique, ces essais semblent souvent servir des intérêts privés.
Les principales critiques au sujet des pratiques courantes dans les essais postcommercialisation concernent l'utilisation abusive du système de recherche pour trouver des utilisations non indiquées sur l'étiquette des nouveaux médicaments, dispositifs et produits biologiques; la production de données probantes biaisées, ce qui est attribuable à une puissance statistique insuffisante, à l'absence de groupes de comparaison, à la dissimulation d'effets secondaires et à la modification des paramètres primaires et, enfin, le biais de publication.
Je vais brièvement aborder certaines de ces questions, mais ce sera, encore une fois, en lien avec les populations que j'étudie; je m'appuierai donc sur la biologie fondée sur le sexe, qui est l'étude des différences biologiques et physiologiques entre l'homme et la femme. À mon avis, la recherche postcommercialisation doit prendre en compte les différences liées au sexe sur le plan de l'innocuité et de l'efficacité des médicaments, des dispositifs et des produits biologiques — y compris des vaccins — et, plus précisément, elle doit permettre le suivi et l'analyse des résultats chez les femmes en général, ainsi que chez les femmes enceintes, les femmes allaitantes et leurs enfants.
Le point de départ de mon exposé est l'ébauche d'un document d'orientation de Santé Canada, intitulé Considérations relatives à l'inclusion des femmes dans les essais cliniques et à l'analyse de données selon le sexe, qui a été publié à des fins de commentaires en janvier dernier. Je ne sais pas exactement à quelle étape se situe le document ou ce qu'il en adviendra, mais il importe de dire que mes commentaires s'inscrivent dans la position adoptée par Santé Canada.
Le document d'orientation de Santé Canada « encourage la production et la considération de nouvelles connaissances scientifiques à propos des différences liées au sexe et concernant les produits thérapeutiques utilisés pendant la grossesse et l'allaitement. Il reconnaît également l'importance d'élargir les données probantes durant tout le cycle de vie d'un produit, ce qui comprend les essais postcommercialisation. Je vais parler brièvement de chacune des populations simplement pour vous donner un aperçu de mes préoccupations.
Parlons d'abord des produits thérapeutiques utilisés chez les femmes. La déclaration des effets secondaires et la réalisation d'essais cliniques bien conçus portant sur l'innocuité postcommercialisation sont des éléments essentiels de l'approche réglementaire axée sur le cycle de vie des produits. Aujourd'hui, j'espère vous convaincre de la nécessité d'aborder la surveillance postcommercialisation et les essais sur l'innocuité postcommercialisation d'une manière qui permettra aux chercheurs et aux responsables de la réglementation de détecter les différences potentielles liées au sexe. Cette approche n'est pas actuellement pratique courante, mais elle devrait l'être.
Nous savons qu'il existe, entre les hommes et les femmes, les garçons et les filles, des différences biologiques importantes sur le plan médical qui influent sur la pharmacocinétique et sur la pharmacodynamique des médicaments. Autrement dit, un médicament peut avoir des effets différents selon que la personne qui le reçoit est une femme, un homme, une fille ou un garçon.
À titre d'exemple, prenons les deux documents qui ont été publiés en octobre dernier — datés du 3 et du 9 octobre 2012 : Renseignements importants en matière d'innocuité approuvés par Santé Canada concernant ZOFRAN. ZOFRAN est un médicament d'ordonnance employé pour la prévention des nausées et des vomissements associés à la chimiothérapie et à la radiothérapie anticancéreuses, et des nausées et des vomissements postopératoires. D'après les renseignements sur l'innocuité publiés par GSK et Santé Canada, employé à de fortes doses, ZOFRAN peut avoir une incidence sur l'intervalle QT, c'est-à-dire le temps que prend le coeur pour se recharger entre deux battements.
Depuis 1990, nous savons qu'après la puberté, l'intervalle QT est légèrement plus long chez la femme que chez l'homme et que cette différence rend les femmes plus sensibles aux médicaments qui allongent l'intervalle QT. Les renseignements sur l'innocuité publiés par GSK et Santé Canada contiennent plusieurs directives posologiques modifiées, et notamment la mention : « Évitez d'employer ZOFRAN1 si vous présentez un syndrome du QT long congénital », mais celles-ci ne font aucune mention du fait que les femmes courent un risque plus élevé que les hommes. Les oncologues prescrivent couramment ZOFRAN1 à des doses élevées aux femmes en cours de chimiothérapie pour un cancer du sein.
Ainsi, l'une des premières recommandations sur laquelle je reviendrai est que tous les avis de renseignements sur l'innocuité devraient comprendre une remarque sur les différences liées au sexe, soit en confirmant qu'il n'y en a pas et pour quelles raisons, soit en expliquant celles qui existent. D'une façon ou d'une autre, c'est un renseignement que l'on doit avoir.
Mon deuxième exemple concerne les produits thérapeutiques utilisés pendant la grossesse. La plupart d'entre eux ne sont pas mis à l'essai chez les femmes enceintes; par conséquent, ils ne sont pas indiqués pendant la grossesse. C'est pourquoi la quasi-totalité des médicaments et des vaccins utilisés chez les femmes enceintes le sont pour des indications ne figurant pas sur l'étiquette. Cela arrive lorsqu'un médecin prescrit un médicament soit pour une indication non approuvée, soit pour une indication approuvée, mais à un patient faisant partie d'une population non approuvée — les femmes enceintes par exemple —, soit à une dose non approuvée ou par une voie d'administration non approuvée. Comme on l'a mentionné ce matin, les médecins ont le droit de prescrire des médicaments pour des indications ne figurant pas sur l'étiquette. Par contre, les fabricants n'ont pas le droit de faire la promotion d'indications ne figurant pas sur l'étiquette.
D'aucuns font valoir l'obligation que l'on a de porter attention à ce segment de la population. Je ne répéterai pas leurs arguments, mais j'ai indiqué un renvoi à leurs œuvres.
Malgré cette obligation morale, l'utilisation de médicaments pendant la grossesse est une question complexe en raison des méfaits potentiels pour les fœtus en développement et les nouveau-nés. Des études sur l'innocuité à long terme et des registres de patients, tant pour les mères que pour les enfants, sont nécessaires pour évaluer l'innocuité postcommercialisation dans ces populations de patients. Les effets secondaires indésirables des produits thérapeutiques peuvent mettre des années à se manifester. Je pense au DES (diéthylstilbestrol). Si vous croyez que tout cela est du passé, laissez-moi vous parler de l'utilisation potentiellement risquée que représentent les suppléments de progestérone actuellement administrés au début de la grossesse.
En Amérique du Nord, on administre couramment de fortes doses de progestérone dans le cadre des traitements de fécondation in vitro, généralement durant les 12 premières semaines de la grossesse, dans le but de prévenir les pertes fœtales précoces. Sur quelles preuves repose cette pratique? Sur un essai contrôlé randomisé unique, publié en 1992, qui portait sur 120 femmes. Depuis ce temps, certaines données portent à croire que la progestérone pose un risque pour les jeunes garçons si elle n'est pas micronisée. Comme la progestérone est une hormone sexuelle, il y a lieu de croire que les organes de la reproduction pourraient être affectés. Des garçons naissent avec des anomalies du pénis, mais qu'en est-il des effets potentiels à long terme?
Ma deuxième recommandation est donc que toute recherche postcommercialisation responsable menée sur des femmes enceintes doit comprendre un suivi à long terme obligatoire, particulièrement auprès des enfants.
Mon dernier point concerne l'utilisation de produits thérapeutiques pendant l'allaitement. Je prendrai à ce sujet l'exemple des « Renseignements importants en matière d'innocuité approuvés par Santé Canada concernant le maléate de dompéridone » publiés les 2 et 7 mars 2012. Ce médicament d'ordonnance, qui est destiné au traitement de troubles gastro-intestinaux comme les gastrites, est aussi utilisé de façon non conforme à l'étiquette pour stimuler la production de lait maternel chez les femmes ayant une lactation insuffisante. À la lumière d'une méta-analyse des essais pertinents, cette indication non conforme à l'étiquetage a été confirmée cette année par le programme Motherrisk de l'hôpital pour enfants.
Les renseignements sur l'innocuité publiés par Santé Canada et par les fabricants de produits à base de dompéridone décrivent un lien entre l'utilisation du médicament et le risque d'anomalies graves du rythme cardiaque ou de mort subite à la suite d'arrêt cardiaque chez les patients prenant des doses supérieures à 30 mg par jour ou âgés de plus de 60 ans. À la suite de cette mise en garde, les conseillers en allaitement hésitent désormais à recommander ce médicament aux femmes allaitantes, bien qu'elles en prennent moins de 30 mg par jour et qu'elles soient âgées de moins de 60 ans
Cette situation peut poser problème, compte tenu des nombreux avantages de l'allaitement, surtout pour les femmes qui ont des prématurés et qui doivent attendre plusieurs semaines avant de pouvoir allaiter l'enfant. L'avis de renseignements sur l'innocuité aurait dû traiter de cette question et contenir des directives sur les indications et contre-indications du médicament.
Pour conclure, j'aimerais très brièvement souligner certains points. Lorsque Santé Canada et les fabricants émettent un avis de contre-indications graves, on devrait mentionner explicitement les groupes visés en indiquant ceux qui sont à risque et ceux qui ne le sont pas. Dans le cas des essais menés après la commercialisation, il faut prendre au sérieux le suivi à long terme, tant pour les femmes enceintes que pour leurs enfants. Si l'on tient des registres de traitement, les responsables de la réglementation auront la difficile tâche de déterminer la durée du suivi obligatoire. Idéalement, les enfants nés de femmes ayant utilisé de nouveaux médicaments devraient être suivis jusqu'à l'âge adulte moyen. Mais comme ce ne sera vraisemblablement pas faisable, il faut en déterminer avec soin la durée. En outre, tous les avis de renseignements sur l'innocuité devraient comprendre des renvois aux sources originales, sur lesquelles est fondée la recommandation.
Je terminerai enfin par une recommandation de Thomas Moore :
Pendant les trois premières années suivant leur homologation, les nouveaux médicaments devraient porter une mise en garde spéciale, semblable au triangle noir utilisé au Royaume-Uni. Elle devrait être bien en vue et indiquer à tous les médecins qu'il s'agit d'un nouveau médicament et que la prudence est donc de mise.
Le président : Merci.
Je donne maintenant la parole à Mary Wiktorowicz, présidente et professeure agrégée, École des politiques et de gestion de la santé, faculté de la santé, Université York.
Mary Wiktorowicz, présidente et professeure agrégée, École des politiques et de gestion de la santé, faculté de la santé, Université York, à titre personnel : Merci de m'avoir invitée. J'aborderai dans mon exposé trois points essentiels.
Premièrement, le public a perdu confiance en Santé Canada à cause d'un manque de transparence et de représentation du public dans le processus d'examen des médicaments. Je pense qu'une nouvelle stratégie de pharmacovigilance s'impose. Je ferai à ce sujet des propositions qui découlent de la recherche que nous avons menée sur des modèles internationaux de gouvernance et dont nous pourrions nous inspirer pour adopter une approche plus systématique. Cette surveillance devrait être indépendante des compagnies pharmaceutiques, dont les résultats de la recherche sont fréquemment biaisés.
Je commencerai par signaler que les réactions aux médicaments sont l'une des 10 premières causes de décès. Cette donnée provient de l'Office of Inspector General des États-Unis, à partir d'études menées dans des hôpitaux.
On est de plus en plus exposé au danger des médicaments. Par exemple, les marchés des médicaments vedettes sont si importants que même les risques qui surviennent rarement peuvent entraîner des milliers de blessures, et notamment des décès et des arrêts cardiaques comme cela a été le cas avec Vioxx et Bextra. En fait, je dirais qu'il ne s'agit pas d'une crise de confiance passagère, mais d'une crise profonde, puisque chaque année apporte son lot de nouveaux produits qui posent problème et de nouvelles poursuites à hauteur de dizaines de millions de dollars. On semble assister à un retour du pendule. Les sanctions ne viennent plus des responsables de la réglementation, mais du système judiciaire. Cette évolution devrait nous interpeller tous.
De nombreuses études montrent que le processus d'examen avant la mise en marché d'un médicament est incomplet. On reconnaît généralement que les brefs essais randomisés contrôlés ne permettent pas de détecter les dangers de l'utilisation à long terme. Cela a été le cas dernièrement de l'antipsychotique blanzapine dont les essais ont duré peut-être six mois, alors que les patients le consomment à vie. On a ainsi constaté que la prise de ce médicament à long terme entraînait de l'obésité et du diabète, ce qui a motivé des poursuites judiciaires faramineuses contre le fabricant.
Il n'y a pas suffisamment de sujets soumis aux essais cliniques pour établir les effets secondaires rares. Pour ce faire, il faut environ 1 500 sujets.
Comme l'ont fait remarquer d'autres intervenants, en raison des prescriptions à des fins autres que l'usage approuvé, le marché peut comprendre des groupes de patients qui n'ont jamais été testés et qui sont donc particulièrement exposés comme les jeunes enfants, les adolescents, les aînés et les femmes.
Les essais contrôlés randomisés nécessaires pour établir l'efficacité d'un médicament et pour obtenir l'approbation de commercialisation comportent des seuils assez bas. Cela revient à une amélioration à court terme d'un marqueur de substitution par rapport au placébo et ne permet pas de répondre aux questions que se posent les médecins et leurs patients sur l'efficacité à long terme du médicament et les risques de mortalité.
Le revers de la médaille est qu'une fois que le produit est commercialisé, les déclarations spontanées d'effets indésirables sont passives, lentes, coûteuses et incomplètes. Permettez-moi de vous en donner un exemple.
Dans les années 1990, la FDA a reçu 82 rapports d'effets indésirables du médicament digoxin. Cela ne semblait pas être un grave problème. On a quand même procédé à un examen systématique des dossiers Medicare pendant la même période — du début au milieu des années 1990 — et constaté que les effets indésirables de ce médicament avaient entraîné 202 000 hospitalisations.
Ce que je veux dire c'est que si l'on attend de recevoir des déclarations spontanées sur les effets indésirables, on en obtient moins de 10 p. 100, alors que si l'on consultait les bases de données électroniques, on pourrait les obtenir et renforcer les avis de signalisation beaucoup plus rapidement.
Parallèlement, les processus suivis par Santé Canada ne sont pas transparents. L'élément fondamental d'un organisme réglementaire est la transparence, qui consiste à rassurer le public qu'il dessert sur l'efficacité des processus qu'il applique pour remplir son rôle. De par leur mandat, les organismes de réglementation tels que le CRTC assurent une représentation du public, alors que Santé Canada soustrait son processus réglementaire à l'examen du public et empêche ce dernier de donner son point de vue sur les décisions qu'il prend. Le vérificateur général a d'ailleurs constaté que Santé Canada n'assumait pas de façon convenable ses responsabilités, et dans un article très récent, le Toronto Star attestait de la perte de confiance du public dans l'organisme.
S'agissant par exemple des dangers associés aux médicaments prescrits contre les troubles d'hyperactivité avec déficit de l'attention, 9 p. 100 des enfants qui les prennent manifestent des symptômes psychotiques. On n'en informe ni les enfants ni leurs parents, et les médecins ne le font pas non plus.
J'en arrive à ma conclusion; mais j'aimerais auparavant parler du cadre de surveillance des produits de santé d'après lequel Santé Canada se servira de plans de gestion des risques comme stratégie de vigilance. Or, ces plans présentent de graves problèmes. En analysant 18 plans de gestion des risques de l'Union européenne, Mme Giezen a constaté 169 risques. Selon elle, ces plans servent à rassurer le public au moment de l'entrée sur le marché de médicaments non évalués correctement.
Essentiellement, ces plans de gestion des risques sont élaborés par le commanditaire du produit, par le fabricant, puis approuvés par l'agence; ils sont ensuite appliqués par le fabricant. Ils ne consistent quelquefois qu'en une simple information des médecins sur le produit; ils prévoient quelquefois des registres sur l'observation des patients, mais ces registres n'ont pas de valeur scientifique parce qu'ils ne sont assortis d'aucun groupe témoin.
Je voulais passer en revue certaines études comparatives selon lesquelles la FDA, par exemple, fait appel à diverses organisations pour appliquer son processus de surveillance postcommercialisation. Parmi les documents que je vous ai fournis, vous verrez des tableaux qui illustrent la collaboration de la FDA avec les Anciens Combattants dans l'extraction de données pour déterminer les risques associés aux médicaments. Dans le service qui s'occupe de la surveillance des médicaments en Nouvelle-Zélande, l'industrie ne s'occupe pas des études postcommercialisation. Cette tâche revient à l'organisme de réglementation, Medsafe, qui collabore avec le service de surveillance des médicaments de l'Université d'Otago pour déterminer les risques.
La FDA a une commission sur l'innocuité des médicaments qui regroupe les directeurs du centre pour les médicaments et des représentants d'autres organismes, dont l'Administration des anciens combattants et le département de la Défense qui gèrent tous deux d'importants systèmes de santé, l'agence de recherche et de la qualité des soins de santé, les instituts nationaux de santé et peut-être d'autres organismes. Tous les mois, la commission se penche sur certains enjeux liés à l'innocuité des médicaments et sur la façon dont la FDA communique les messages au public.
Je pense qu'une nouvelle stratégie de gouvernance de la pharmacovigilance s'impose au Canada. La composition d'un nouveau comité de pharmacovigilance suivrait le modèle de la commission sur l'innocuité des médicaments de la FDA. Outre ceux de Santé Canada, il y aurait des représentants du Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, des régimes d'assurance-médicaments des gouvernements provinciaux et des experts ayant accès à des bases de données capables d'appuyer une surveillance active.
Il faudrait évidemment accroître le financement du Réseau, dont les travaux sont extrêmement utiles.
J'aurais d'autres commentaires à faire sur les processus en vigueur à Santé Canada, mais comme le temps presse, je vais passer aux conclusions.
Je crois que le Canada a besoin d'une nouvelle stratégie pour surveiller les dangers des produits pharmaceutiques. Aux termes de cette nouvelle stratégie de gouvernance, Santé Canada collaborerait avec ses homologues provinciaux et le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments afin d'avoir accès à des données sur les effets des médicaments dans le monde réel et il aurait le pouvoir de régler les problèmes que présentent les médicaments. Il faudrait accroître le financement du Réseau pour qu'il puisse commander des études indépendantes à l'appui des décisions réglementaires prises par Santé Canada, à qui on donnerait le pouvoir et les ressources nécessaires pour assumer ses responsabilités. Il devrait y avoir davantage de transparence et le public devrait être associé à l'examen des produits pharmaceutiques, et pas seulement les comités consultatifs de Santé Canada. Enfin, il faudrait accorder plus d'importance à la sécurité des Canadiens qu'aux intérêts de l'industrie qui semblent actuellement être l'un des principaux obstacles à la transparence et au partage de l'information.
Le président : Merci beaucoup à tous. Nous allons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup à tous de vos exposés, qui sont très utiles, tout comme ceux que vous nous avez présentés lors de la première phase de l'étude.
Je vais tout d'abord me pencher sur le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments puisque vous accordez, je crois, une certaine valeur aux services qu'il offre, même si vous avez quelques réserves à son sujet.
Monsieur Lemmens, que feriez-vous pour le renforcer? Est-ce que vous le rendriez plus indépendant des Instituts de recherche en santé du Canada? Vous vous êtes dit inquiet que ces instituts aient aujourd'hui deux représentants de l'industrie pharmaceutique au sein de leur conseil d'administration et de la perception d'indépendance que cela donne par rapport aux travaux du Réseau. Pourriez-vous nous dire comment vous changeriez la structure actuelle du réseau?
M. Lemmens : Merci de votre question. Je pense que l'initiative que le gouvernement a prise de mettre sur pied le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments et de lui donner un important budget pendant une période de temps assez longue est tout à fait valable. Mais comme je l'ai souligné, c'est une recommandation plus facile à faire lorsqu'on ne fait pas partie du gouvernement. Je dirais donc qu'il a besoin d'un solide financement et qu'il doit certainement, non seulement promouvoir une recherche indépendante, mais aussi être vu comme un organisme indépendant de l'industrie et indépendant de Santé Canada.
Dans le cas d'un cadre réglementaire dans lequel un organisme fonde principalement l'homologation de médicaments sur des données précommercialisation, la littérature met passablement l'accent sur le fait que les gens ont peut-être tout intérêt à ne pas admettre les erreurs commises dans le cadre du processus d'homologation. De nombreuses personnes ont avancé qu'il devrait y avoir un organisme de surveillance indépendant de l'organisme qui homologue les médicaments, parce qu'il existe une différence entre la surveillance postcommercialisation et l'homologation fondée sur des données précommercialisation.
D'après moi, il faut une telle indépendance structurelle de Santé Canada et des IRSC, étant donné que les IRSC ont décidé de mettre davantage l'accent sur la collaboration directe avec l'industrie, particulièrement dans le cadre des essais cliniques. Je n'ai rien contre l'interaction. L'industrie est évidemment un joueur important dans la conception des médicaments, mais je crois qu'il y a clairement des pressions inhérentes dans le système, lorsque nous regardons du côté des problèmes qui ont été soulevés lors d'essais cliniques et qui ont été mis en évidence par divers procès et controverses aux États-Unis et diverses poursuites par la FDA. Si les IRSC se concentrent à établir une étroite collaboration avec l'industrie particulièrement en ce qui a trait à la conception de médicaments, certains intérêts se chevauchent. Je serai donc porté à dire qu'il faut une plus grande séparation. Les IRSC doivent peut-être repenser la structure de leur relation avec l'industrie et créer une indépendance structurelle par rapport à l'industrie, ou le RIEM doit être plus indépendant des IRSC.
Le sénateur Eggleton : Je vais reprendre quelque chose que vous avez déjà proposé, parce que cela se prête bien au sujet. Dans un article intitulé Regulation of Pharmaceuticals in Canada, vous proposez de créer un nouvel organisme composé de trois divisions : une chargée de l'homologation des médicaments; une autre, des études postcommercialisation; et une dernière, des renseignements sur les médicaments. Croyez-vous qu'il faudrait un organisme encore plus indépendant que le RIEM? Vous avez avancé qu'un organisme plus large pourrait s'avérer plus bénéfique.
M. Lemmens : Oui. Le RIEM est une solution intermédiaire. J'appuie les affirmations que les autres ont publiées dans la littérature. Dans l'article, je fais allusion à des auteurs qui ont également proposé dans d'importantes revues médicales américaines la création d'un organisme indépendant qui s'occuperait des essais cliniques de médicaments. Il ne faut pas nécessairement voir cela comme des essais cliniques complètement orchestrés par l'État. Il s'agit d'un système dans lequel le gouvernement agit à titre d'intermédiaire et décide des organismes indépendants qui mèneront les essais cliniques qu'il a autorisés, au lieu que ce soit l'industrie pharmaceutique qui octroie les contrats.
Le sénateur Eggleton : Madame Wiktorowicz, vous avez également dit que la confiance du public à l'égard de Santé Canada était effritée et vous avez parlé de travaux tendancieux, d'intérêts directs, et cetera. Comment les divers éléments, y compris le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments ou l'ensemble du système, peuvent-ils devenir plus indépendants?
Mme Wiktorowicz : Il faut créer une certaine distance entre l'organisme qui homologue les médicaments et celui qui s'occupe de la surveillance postcommercialisation, en raison de ce que M. Lemmens vient de mentionner, à savoir que les gens qui accordent l'homologation ne veulent pas sembler avoir mal fait leur travail. Par contre, étant donné que les renseignements sur les médicaments sont limités, je ne crois pas que nous puissions nécessairement toujours leur jeter le blâme. Ce n'est pas l'important; l'important est de séparer les rôles, parce que je crois qu'il s'agit d'un rôle différent.
Les essais cliniques sont actuellement orchestrés par l'industrie. Je ne sais pas si cela changera un jour, mais l'idée est que dans la phase postcommercialisation, un grand nombre des études observationnelles qui s'appuient sur les bases de données publiques et les bases de données relatives aux soins de santé et au codex peuvent être réalisées par des enquêteurs indépendants. Je vois le tout comme une succession d'étapes. Par exemple, un signalement provient d'une déclaration spontanée des effets indésirables des médicaments. L'autorité de réglementation ne sait pas s'il s'agit bel et bien de quelque chose de grave ou simplement de bruit. L'étape suivante consisterait à consulter les bases de données. Ces étapes que je vous explique nous ont en fait été décrites par un directeur principal de la FDA.
La prochaine étape serait de demander à l'organisme indépendant de consulter la base de données sur les médicaments pour voir si le signalement peut être renforcé. Le cas échéant, on pourrait passer à la prochaine étape, soit les essais cliniques.
Il s'agit d'un processus par étapes, et je crois qu'il importe d'avoir un organisme indépendant dans la phase qui suit l'homologation initiale.
Le sénateur Eggleton : Madame Baylis, en ce qui a trait au triangle noir utilisé au Royaume-Uni ou à l'utilisation de l'encadré noir de mise en garde aux États-Unis, j'ai l'impression que vous seriez d'accord pour que nous adoptions une telle approche. Je ne comprends pas ce qui différencie le système américain du nôtre et la façon dont l'un ou l'autre ou les deux pourraient être mis en oeuvre au Canada. Pourriez-vous nous éclairer? De plus, croyez-vous que cela devrait être obligatoire? L'étiquetage devrait-il être rendu obligatoire par l'autorité de réglementation, soit actuellement Santé Canada?
Mme Baylis : J'aimerais répondre à vos questions, puis faire quelques commentaires au sujet des autres.
Je reprendrai et diviserai ce qui a déjà été dit par mes collègues en trois thèmes. C'est l'indépendance qui prime, et c'est ce qui explique pourquoi vous entendez des commentaires au sujet des IRSC et de l'industrie. Si je peux aller plus loin, je crois qu'il est aussi question de Santé Canada. Selon moi, il faut une indépendance complète et une viabilité à long terme.
Je voudrais rappeler que j'ai fait l'objet de trois nominations du gouverneur en conseil. J'ai été nommée au Comité consultatif canadien sur la biotechnologie, à Procréation assistée Canada et aux IRSC. Le seul organisme qui a survécu est les IRSC, mais je ne crois pas que cela ait quelque chose à voir avec moi. J'essaie de faire valoir qu'il faut une structure qui n'est pas assujettie aux lubies du gouvernement, peu importe le parti au pouvoir. Il faut pratiquement que l'organisme soit protégé à l'instar du vérificateur général. Il ne faut pas que le gouvernement puisse s'en débarrasser, tout simplement parce qu'il n'aime pas ce que l'organisme fait.
Ensuite, l'organisme doit avoir un mandat proactif, au lieu d'un mandat passif. Ce n'est pas tout d'attendre de voir ce qui se passera sur le terrain et de recueillir les signalements d'effets indésirables. À l'étape de la postcommercialisation, il faudrait notamment réaliser des essais cliniques aléatoires bien élaborés en vue de trouver des renseignements que nous n'avions pas au départ. Voilà pourquoi nous avons tous fait allusion à différents moments et de différentes manières à l'utilisation de médicaments en dérogation des directives de l'étiquette. Il arrive parfois qu'une telle utilisation s'avère très efficace, mais il faut à un moment donné procéder à des essais cliniques aléatoires. Je vous ai parlé du dompéridone, et c'en est un bon exemple. L'utilisation du médicament en dérogation des directives de l'étiquette n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il faut un jour réaliser des essais cliniques à cet égard. J'aimerais donc que l'organisme ait un mandat proactif.
Troisièmement, l'organisme doit disposer des ressources adéquates. Peu importe ce que vous faites, n'oubliez pas mon plaidoyer en faveur d'un suivi à long terme, et un suivi à long terme adéquat ne se limite pas à 18 mois. Nous comprenons que ce sera bref dans le cas d'essais cliniques qui aboutissent à la commercialisation de médicaments, mais il faut avoir un plan pour ce qui est du long terme. Nous ne pouvons pas simplement dire que nous assurerons un suivi pendant 18 mois, parce que c'est tout ce que nos ressources nous permettent. Il faut comprendre les conséquences qu'un médicament donné pourrait raisonnablement avoir; cela devrait vous donner une idée de la durée du suivi nécessaire.
Pour revenir à la question sur les mises en garde, le triangle noir est différent de l'encadré noir de mise en garde dont vous entendez parler. Cet encadré est l'équivalent des lettres d'information sur la sécurité de Santé Canada. Les médecins canadiens appellent cela l'encadré de mise en garde. Il s'agit en fait littéralement d'un encadré noir sur l'étiquette que tout le monde peut lire et qui contient des renseignements additionnels, par exemple, sur la posologie, la durée et les dernières nouvelles au sujet du médicament. Aux États-Unis, on parle d'un encadré de mise en garde, et nous avons les lettres d'information sur la sécurité de Santé Canada.
Le concept du triangle noir ressemble pratiquement à certains symboles utilisés pour l'entretien ménager et la lessive. On consulte l'étiquette, et il y a des symboles qui indiquent si on peut mettre le vêtement dans la laveuse, si on peut ajouter du javellisant, et cetera. Le triangle noir sert de mise en garde très claire, au même titre que la tête de mort ou la main squelettique. J'essaie d'utiliser des images positives et négatives.
L'objectif est que ce soit utile. Il s'agit d'une manière rapide de donner des renseignements. En plus d'exiger la présence d'un tel étiquetage pour que les gens et même les consommateurs puissent voir et comprendre qu'il s'agit d'un nouveau médicament, j'ai également dit qu'il faudrait permettre aux gens d'avoir accès aux données originales des essais cliniques lorsque des mises en garde sont émises. Reprenons l'exemple du dompéridone. Une personne qui travaille en obstétrique et en gynécologie et qui comprend l'utilisation du médicament en dérogation des directives de l'étiquette relativement à la lactation pourrait consulter elle-même les données et en venir à la conclusion que cette utilisation n'a rien d'inquiétant. Il importe de revérifier, et il faut que ce soit absolument obligatoire.
Le sénateur Eaton : J'ai l'impression que vous nous dites tous que nous devrions accorder autant d'importance aux études antérieures à la mise en marché qu'aux études postérieures. Nous avons donc des études avant la commercialisation du médicament, et nous devrions en avoir tout autant après sa commercialisation. Ai-je bien compris?
Mme Wiktorowicz : Je suis d'accord.
Mme Baylis : À titre de précision, il faut non seulement que l'importance soit égale, mais aussi que les systèmes soient tout aussi solides. J'apporte cette petite précision, parce que tous les exemples que nous avons donnés ont mis l'accent sur les questions relatives à la sécurité. Nous n'avons pas vraiment mis l'accent sur l'efficacité dans le monde réel, à savoir ce dont les études postcommercialisation sont censées traiter, parce que rien ne nous incite à retourner voir la vraie différence que cela fait.
Dans le contexte d'un système de soins de santé financé par l'État, j'ajouterais que cela devrait susciter énormément d'intérêt, mais nous avons tendance à mettre l'accent sur la sécurité. Selon moi, il faut aller au-delà de la sécurité et des effets indésirables.
Le sénateur Eaton : Je comprends votre commentaire.
Professeur Lemmens, vous avez dit que Santé Canada travaille depuis 2005 à l'élaboration d'un cadre d'homologation progressive qui améliorerait, entre autres, la surveillance réglementaire de la phase postcommercialisation et permettrait au gouvernement d'exiger aux fabricants de médicaments de réaliser des études postcommercialisation et de remettre leur résultat en vue de les examiner. Santé Canada ne l'a évidemment pas encore fait, n'est-ce pas?
M. Lemmens : Ce n'est pas encore terminé, et il y a des raisons politiques évidentes pour ne pas mener un projet à terme. Nous avons connu des élections entre-temps, mais j'espère que ce sera une priorité de Santé Canada. L'organisme a toutefois précisé qu'il poursuivait son travail à cet égard, mais cela fait longtemps que ça dure. Aux États-Unis, le gouvernement a été poussé à agir, lorsque de graves controverses ont mis au jour les risques importants associés au système d'homologation qui est limité et qui ne détecte pas nécessairement les petits problèmes des médicaments qui peuvent avoir des conséquences désastreuses lorsqu'ils sont prescrits. Depuis 2007, les Américains ont adopté des exigences plus restrictives sur le plan de la postcommercialisation et ont accordé de nouveaux pouvoirs à la FDA en vue d'assurer le contrôle et de demander aux fabricants des études de surveillance postcommercialisation. Je dirais que Santé Canada y travaille, mais j'espère que le gouvernement en fera une priorité et donnera des pouvoirs forts à Santé Canada pour lui permettre de demander des renseignements additionnels après la mise en marché des médicaments.
J'aimerais également soulever un point. Les gens s'inquiètent beaucoup d'un aspect. Lorsqu'on examine l'histoire de la réglementation en matière de médicaments, il y a toujours eu un effet de balancier entre une augmentation et une diminution de la réglementation. Nous avons toujours eu tendance à modifier dans une certaine mesure les initiatives intéressantes en réponse aux pressions de l'industrie.
Nous ne devrions pas le reprocher à l'industrie, parce qu'elle a notamment intérêt à rapidement mettre sur le marché des médicaments. Les gens expriment des réserves au sujet de la nouvelle proposition pour améliorer le système d'homologation progressive, parce que l'accent qui était mis à l'étape de l'homologation sera réduit. Il ne faudrait pas que cela entraîne l'affaiblissement de l'étape de l'homologation ou des preuves exigées en vue de l'homologation des nouveaux médicaments; il nous faut un système qui accorde des pouvoirs supplémentaires à Santé Canada.
Le sénateur Eaton : Autrement dit, il faut qu'ils aient le même poids, n'est-ce pas?
M. Lemmens : Ils doivent avoir le même poids, et il faut mettre l'accent non seulement, comme les autres l'ont souligné, sur les essais cliniques, mais aussi sur l'utilisation réelle des médicaments et les manières d'améliorer la détection des effets indésirables.
Le sénateur Eaton : Madame Baylis, en ce qui a trait à l'utilisation des médicaments dans le monde réel, je trouve intéressant que vous mettiez l'accent sur les femmes, parce que nous avons tous vu les publicités il y a deux ou trois années qui affirmaient que les symptômes d'une crise cardiaque ou d'un AVC étaient différents pour les femmes et qu'elles devaient y être attentives. Je comprends pourquoi nous réagissons différemment aux médicaments.
Il s'agit d'un aspect très intéressant. Les sociétés pharmaceutiques réalisent-elles des essais cliniques pour vérifier si les femmes ont les mêmes réactions que les hommes et s'assurer que cette réaction est consignée, ou s'agit-il généralement d'une moyenne en fonction de la population à l'étude?
Mme Baylis : Il est très important de savoir, en ce qui concerne l'histoire des essais cliniques, que c'est seulement à partir des années 1990 que de fortes pressions ont été exercées afin d'inclure les femmes dans la recherche. En fait, on trouve dans la documentation des titres quelque peu sarcastiques comme « seuls les hommes célibataires de race blanche âgés de 35 à 55 ans peuvent s'inscrire ». Dans les années 1990, on a affirmé clairement que l'organisme des femmes est différent. Nous métabolisons les drogues de manière différente, nous traversons la puberté de manière différente, notre organisme réagit de façon différente à divers produits chimiques, et cetera.
Il y a eu des rectifications, honnêtement, du moins en ce qui concerne les femmes. Elles sont maintenant présentes en plus grand nombre, mais deux autres nouveaux problèmes ont surgi. Le premier est que leurs données ne sont pas analysées séparément. On satisfait à l'exigence pro forma d'inclure les femmes et dans le cadre de certains essais, elles représentent 50 p. 100 de la population, mais on ne vérifie pas ensuite s'il y a des différences importantes.
Le sénateur Eaton : Autrement dit, les données font l'objet de moyennes?
Mme Baylis : Oui, les données sont toutes présentées ensemble comme s'il s'agissait du même organisme. C'est le premier problème.
Le deuxième, dont je ne parlerai pas en détail aujourd'hui, mais sur lequel je tiens à attirer l'attention, c'est que les femmes doivent obligatoirement utiliser une méthode contraceptive. J'ai un certain nombre de sérieuses préoccupations à ce sujet.
Le président : Nous avons examiné ces questions en détail dans le cadre de notre étude précédente. Je l'ai permis, à titre d'information pour le sénateur, en ce qui concerne la surveillance postapprobation et non la partie sur les essais cliniques.
Mme Baylis : Cela complète la réponse que vous avait donnée M. Lemmens. Je sais que Santé Canada a donné des ateliers sur invitation visant particulièrement le plan qui a été élaboré au cours des sept dernières années. Les plus récents documents que j'ai en ma possession datent de 2010. Je suis heureuse de vous les remettre. Mes copies sont toutes annotées, mais il y a une partie qui traite des autorisations de mise en marché, intitulée : « Délivrance, contenu, normes et conditions spéciales ». J'attire particulièrement votre attention sur cette partie compte tenu de mes préoccupations, qui portent sur le fait que dans le cadre de l'autorisation de mise en marché, il y a une catégorie de conditions normalisées et une catégorie de conditions spéciales. Ainsi, certains médicaments seraient approuvés pour la postcommercialisation avec des conditions normalisées. Je tiens à souligner que les « conditions spéciales » comprennent notamment l'obligation d'effectuer des études de confirmation des avantages d'un produit et des études sur l'innocuité à long terme. Je ne comprends pas pourquoi ce sont des conditions spéciales. Je pense qu'il devrait s'agir de conditions normalisées. Je vous encourage à jeter un regard critique sur le travail qui a été fait.
Le sénateur Eaton : En ce qui concerne les effets indésirables des médicaments, croyez-vous que les pharmaciens devraient jouer un plus grand rôle pour tenter de les éliminer lorsqu'ils remettent un médicament? Selon vous, encourageons-nous les pharmaciens à intervenir davantage en amont afin de sensibiliser les gens à ce qu'ils ingèrent, aux effets indésirables potentiels et à ce qu'ils doivent faire, le cas échéant, soit d'en parler au pharmacien et de l'informer des autres médicaments qu'ils utilisent? En faisons-nous suffisamment à ce chapitre? Les pharmaciens jouent-ils un rôle assez important?
Mme Baylis : La fin de semaine dernière, j'ai assisté à une réunion professionnelle sur les vaccins recommandés mais non financés. Beaucoup de données probantes, y compris des données non scientifiques, ont été présentées et indiquaient que les pharmaciens font de l'excellent travail, un meilleur travail que les cliniciens, en partie parce qu'ils ont plus de temps, selon ce qui a été mentionné. Nous nous fondons sur la règle des six minutes. On a six minutes pour voir un patient. Ce n'est pas suffisant pour discuter de quoi que ce soit.
Pour ce qui est des vaccins, un certain nombre de provinces ont voulu que cette question relève des pharmaciens, car ils ont la compétence voulue. Je crois qu'il vaudrait la peine d'examiner cette question.
Mme Wiktorowicz : Je voudrais revenir sur ce qu'a dit M. Lemmens au sujet de l'homologation progressive, et Mme Baylis l'a aussi mentionné. Le principe de l'homologation progressive, c'est que certains produits ne sembleront pas tellement dangereux; donc, on n'exigera pas trois essais cliniques, mais peut-être seulement deux, puis on assurera peut-être une certaine surveillance. Je pense qu'un abaissement des normes d'innocuité avant la commercialisation amenuiserait la confiance de la population à l'égard de Santé Canada.
J'ai certaines préoccupations quant à l'homologation progressive, si c'est la voie qu'entend suivre Santé Canada. Le ministère a dit vouloir suivre cette voie, car il la considère comme une approche axée sur le cycle de vie. Toutefois, nous n'obtenons déjà pas suffisamment d'informations à l'étape de la précommercialisation, alors il serait préoccupant que nous en obtenions encore moins.
Le sénateur Dyck : Je tiens à remercier tous nos témoins de nous fournir des renseignements concis, précis et très utiles.
Nos discussions de ce matin ont été très utiles. Nous avons parlé de ce qui arrive dans un monde réel par rapport à un monde idéal. Dans un monde idéal, notre but, c'est l'objectivité scientifique, et nous l'atteignons; la sécurité des patients passe avant les intérêts des sociétés pharmaceutiques. Or, nous savons que nous vivons dans la réalité et que les sociétés pharmaceutiques ont des intérêts qui peuvent, d'une certaine façon, limiter notre objectivité scientifique dans certaines circonstances.
Ce qui a retenu mon attention, en ce qui concerne la déclaration des effets indésirables des médicaments et la surveillance postcommercialisation, c'est qu'il y a des médicaments sur le marché qui ne font peut-être pas ce qu'ils sont censés faire. Ils pourraient avoir des effets néfastes parce qu'ils ne sont pas actifs. Je pense par exemple aux médicaments psychotropes. Mme Wiktorowicz a mentionné l'olanzapine. Qu'arrive-t-il lorsqu'un médicament psychotrope utilisé comme antidépresseur est inefficace et que ses effets indésirables pourraient aggraver la dépression ou même mener au suicide? Comment pouvons-nous surveiller les médicaments non efficaces? Le faisons-nous? Si oui, de quelle façon? Que ferait un système en ce qui concerne un médicament inefficace? Cela serait-il signalé dans notre plan de surveillance?
Mme Wiktorowicz : Oui, je crois que c'est un problème. Les médicaments sont habituellement approuvés en fonction de ce que l'on appelle un marqueur de substitution. Prenons l'exemple des statines, qui sont des médicaments pour réduire le cholestérol; ils sont approuvés en fonction de leur capacité à réduire le taux de cholestérol sanguin, mais au bout du compte, ils permettraient de diminuer les risques d'événements cardiaques, d'accidents vasculaires cérébraux, et cetera. Toutefois, il n'y a pas eu d'essais cliniques qui démontrent que c'est le cas, du moins, pas à l'étape de la préapprobation.
Nous avons ces marqueurs de substitution et, dernièrement, nous avons fait de nombreux essais sur les lipides. Nous avons constaté que ces médicaments semblent être efficaces pour la prévention secondaire, c'est-à-dire qu'ils peuvent empêcher une personne ayant fait une crise cardiaque d'en faire une autre. Cependant, les médecins prescrivent souvent des statines aux personnes dont les résultats des tests sanguins indiquent un taux élevé de cholestérol. Pour la prévention primaire, les statines ne sont pas efficaces. Cela suscite une vive controverse, car elles ont des effets secondaires, comme les douleurs musculaires. La personne qui prend des statines devrait faire de l'exercice, mais si elle souffre de douleurs musculaires, il est clair qu'elle n'en fera pas; elle se trouve donc encore plus mal en point.
Tout cela pour dire que bien souvent, l'efficacité à long terme et l'efficacité réelle ne sont pas testées adéquatement, à moins que des enquêteurs soient prêts à faire ces études. Les NIH ou les IRSC les financeraient.
Le sénateur Dyck : J'aimerais revenir sur la notion des effets différents des médicaments sur des populations différentes. Nous avons parlé du genre, des différences entre les hommes et les femmes. Nous savons tous qu'il y a des différences marquées entre les races sur le plan des enzymes métabolisant les médicaments. Par exemple, si un médicament est non acétylé, y a-t-il des mises en garde sur certaines ordonnances pour indiquer que pour tel groupe de personnes à phénotype acétylateur lent, ce n'est peut-être pas le bon médicament? Trouve-t-on quelque chose de ce genre dans les situations réelles, ou devrait-on le proposer pour les populations cibles?
Mme Baylis : Il y en a eu. À la suite des recommandations visant à inclure les femmes dans les essais cliniques, des préoccupations similaires ont été soulevées au sujet de la diversité et des divers groupes raciaux et ethniques qui n'étaient pas bien représentés. Le problème demeure que même lorsque la question de la représentation est réglée, c'est celle de l'analyse des données par ces groupes différents qui ne se fait pas de façon habituelle. En général, nous en arrivons à apprendre par essais et erreurs, au fil du temps, en situation réelle, après le fait. Effectivement, c'est un problème ou une préoccupation qui persiste.
Le président : Monsieur Lemmens, avez-vous un commentaire sur l'une ou l'autre de ces questions?
M. Lemmens : Je voudrais simplement souligner encore une fois à quel point il est important qu'une agence de réglementation examine ce qui se passe dans le monde réel des médicaments d'ordonnance. Je peux mentionner ici une étude faite en 2012. J'y fais référence dans le mémoire que nous avons présenté. Cette étude a révélé qu'environ 11 p. 100 des médicaments d'ordonnance au Canada sont prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, et que 79 p. 100 de ces prescriptions ne sont pas fondées sur des données scientifiques solides. Cela signifie qu'un médicament sur dix est prescrit pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, et que 79 p. 100 de ces prescriptions ne reposent pas sur un fondement scientifique rigoureux.
Une étude réalisée aux États-Unis en 2006 révèle que 21 p. 100 des médicaments sur ordonnance ont été prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, et que 73 p. 100 de ces prescriptions étaient fondées sur des données incertaines ou inadéquates.
Vous avez mentionné certains types de médicaments. Dans l'étude canadienne, on disait qu'il y avait un nombre supérieur de cas d'utilisation non indiquée sur l'étiquette pour les médicaments du système nerveux central. Vingt-six pour cent de ces médicaments étaient prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette — pour les anticonvulsivants, 66 p. 100; les antipsychotiques, 43,8 p. 100; les antidépresseurs, 33,4 p. 100 — toutes des prescriptions pour lesquelles il n'existe pas de données scientifiques probantes.
Cela démontre que nous misons sur un système de réglementation qui est actuellement axé sur une évaluation unique, en fonction de données cliniques très limitées en matière d'innocuité et d'efficacité, et qu'ensuite, il n'y a aucune contrainte. Nous devrions insister sur le fait qu'une agence de réglementation doit se pencher sur la situation actuelle en ce qui concerne les taux d'ordonnance, et il va sans dire que la profession médicale a également une importante responsabilité à ce chapitre. Cela ne relève certainement pas uniquement de Santé Canada. Les gens pensent que le ministère en fait plus qu'il n'en fait en réalité. Il approuve un médicament, mais ensuite, les médicaments sont prescrits de diverses façons qui peuvent créer beaucoup de problèmes et être très néfastes pour les Canadiens.
Mme Baylis : J'aimerais faire un bref commentaire en réponse à la première question du sénateur Dyck. Si je reviens à ce que Santé Canada propose en ce qui a trait à ce programme d'autorisation de mise en marché, le ministère dit — et je crois qu'il le croit toujours — que lorsqu'il reçoit et examine une demande d'autorisation de mise en marché, il la délivre « s'il est d'avis que le demandeur » — et il peut s'agir du fabricant — « a démontré que les avantages liés au produit thérapeutique l'emportent sur les risques ».
En réponse à cela, je dirais que nous avons tous dirigé notre attention vers les risques, avec l'idée que si nous obtenons des preuves que le risque augmente, alors nous pensons avoir un déséquilibre dans le rapport entre les effets nuisibles et les avantages. Toutefois, logiquement, on aura le même déséquilibre si les effets nuisibles sont constants. Par conséquent, on ne s'est pas trompé au sujet des effets nuisibles, mais les affirmations concernant les avantages ne sont pas aussi solides. Au fil du temps, nous nous sommes rendu compte qu'il n'y a pas d'avantage.
C'est l'un des problèmes liés à la manière dont le système actuel est mis en place. Il nous amène à tenir compte uniquement de la partie de l'équation liée à la sécurité, et dans la réalité, on est censé tenir compte des deux parties. Je sais qu'il s'agit d'un énorme problème.
Le sénateur Dyck : Cela m'est venu à l'esprit pendant que M. Lemmens avait la parole. J'ignore si quelqu'un s'est penché sur la question du sevrage des médicaments visant le système nerveux central. Nous savons que le cerveau est plastique, qu'il y a une régulation des récepteurs et que différentes choses se passent. Quand on cesse d'utiliser des médicaments agissant sur le système nerveux central, dont certains sont censés être pris de façon temporaire, les effets indésirables sont-ils surveillés?
M. Lemmens : Je pense que cela dépend de la surveillance exercée par le médecin ayant prescrit le médicament et de ses habitudes relativement aux rapports. Je ne dis pas qu'il n'y a aucune surveillance, mais il n'y en a sûrement pas suffisamment dans bien des cas pour déterminer ce qui se passe précisément.
Le sénateur Seidman : Madame Baylis, la dernière fois que vous êtes venue témoigner au comité, vous avez parlé de l'importance de faire participer les femmes enceintes aux essais cliniques. Aujourd'hui, dans votre exposé, vous avez dit vouloir nous convaincre que la surveillance et les essais d'innocuité postcommercialisation devraient être conçus de façon à ce que les chercheurs et les organismes de réglementation puissent déterminer les différences possibles liées au sexe, ce qui n'est pas une pratique courante.
Vous avez tous parlé de la FDA, de ses plus récents changements et de ses nouveaux pouvoirs. En fait, ses représentants étaient ici il y a une ou deux semaines et en ont discuté avec nous. J'aimerais savoir si l'un d'entre vous pourrait nous donner des conseils à ce sujet et si vous pensez que cela pourrait servir de modèle à Santé Canada et lui donner la capacité d'évaluer et de demander des études postcommercialisation sur l'approbation de nouveaux médicaments ou de forcer la modification des étiquettes, par exemple.
C'est de toute évidence une question qui porte sur un modèle pour Santé Canada, mais j'aimerais aussi, dans la seconde partie de la question, revenir sur ce qu'a dit Mme Baylis, peut-être à deux reprises, à savoir que nous mettons l'accent sur l'innocuité, pas sur l'efficacité. Vous pourriez peut-être nous en dire un peu plus là-dessus. Comme vous l'avez dit, c'est un aspect important. Vous avez même fait référence, dans votre exposé, à l'absence d'incitatifs pour que les fabricants cherchent et communiquent des données supplémentaires concernant l'efficacité.
Mme Baylis : Je vais répondre à la seconde question et laisser mes collègues répondre à l'autre.
Je dois notamment tenir compte du fait que l'argent est limité et, par conséquent, les gens craignent les problèmes; et les problèmes mènent souvent aux tribunaux et à une décision, et ils font les manchettes.
Le manque d'efficacité signifie, au fond, que nous gaspillons des fonds, mais ce sont deux entités différentes. C'est nous qui gaspillons de l'argent à cause du manque d'efficacité, tous les Canadiens, les contribuables, ceux qui contribuent au système de soins de santé. D'une certaine façon, c'est au gouvernement qu'il appartient de mettre en place des incitatifs pour la recherche de données sur l'efficacité. C'est également l'un des éléments à la base des préoccupations concernant la nécessité d'un organisme indépendant, mais aussi un motif assez important pour porter attention à l'innocuité et à l'efficacité d'une intervention médicamenteuse dans la population générale.
Le seul autre point que j'aimerais ajouter, c'est que mon inquiétude est largement partagée dans le contexte d'un certain nombre de cadres réglementaires. Après tout, rien n'encourage quelqu'un qui tire des bénéfices d'un produit particulier à dire : « Au bout de cinq ans, force est de constater que notre produit est supérieur de 1 p. 100 au meilleur produit sur le marché. » Le produit pourrait bel et bien être très efficace, mais du point de vue de la personne qui paie le médicament, le gouvernement tiendrait compte de l'utilisation efficace des fonds publics et dirait : « Ce nouveau médicament, qui est supérieur de 1 p. 100, est en fait 50 p. 100 plus coûteux. Nous allons assumer les conséquences de perdre l'efficacité de 1 p. 100 afin d'économiser 50 p. 100 des coûts, que nous redistribuerons dans le système de soins de santé. »
Ce genre de décision est monnaie courante en Nouvelle-Zélande où l'on prend des décisions globales pour le pays dans son ensemble. Là encore, il y a une motivation pour vraiment comprendre l'efficacité du produit parce qu'on peut en arriver à des compromis dans un système de soins de santé financé par le gouvernement.
Mme Wiktorowicz : Je vais répondre à la question de savoir si Santé Canada devrait avoir le pouvoir d'exiger des études postapprobation. Je pense que oui, tout à fait. Cependant, il ne suffit pas d'avoir le pouvoir d'exiger de telles études; encore faut-il imposer des amendes et infliger des sanctions.
On a observé que ces pouvoirs existent aux États-Unis et en Europe, mais chaque fois que des échéances avaient été établies pour la production d'études postapprobation, la moitié d'entre elles n'avaient jamais été menées à bien. On avait peut-être donné le coup d'envoi, mais l'industrie n'avait pas respecté les délais. Voilà pourquoi, parallèlement au pouvoir d'exiger des études postapprobation, il faudrait avoir le pouvoir d'imposer des amendes.
J'aimerais ajouter une autre observation. Au Canada, lorsque des fabricants soumettent des données recueillies dans le cadre d'essais cliniques, ils présentent uniquement des données sommaires. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, par contre, les autorités de réglementation exigent les données brutes des essais cliniques afin de les analyser de nouveau.
Par exemple, c'est ainsi qu'on a découvert qu'un des effets indésirables des SSRI était l'idéation suicidaire. Le fabricant ne l'avait pas observé; c'était le comité d'experts britannique sur l'innocuité des médicaments qui a cerné cet effet indésirable; ensuite, la FDA a fait le même constat après avoir mis en commun toutes leurs données d'essais cliniques randomisés. Dans les essais cliniques menés séparément, les chiffres n'étaient pas assez élevés pour pouvoir détecter cet effet indésirable.
À l'heure actuelle, le Canada a le pouvoir d'exiger des données brutes, mais je crois comprendre que ce n'est souvent pas le cas puisqu'on accepte des données sommaires. Ces données doivent faire l'objet d'une nouvelle analyse. Comme on le dit : « Il y a de petits mensonges, de gros mensonges et des statistiques. » L'industrie peut interpréter les données selon ses propres paramètres.
Aux États-Unis, Turner et. al. ont refait l'analyse des données d'essais cliniques qui avaient été soumises à la FDA; les auteurs ont découvert que les fabricants avaient surestimé l'efficacité de leurs produits et sous-estimé les dangers. Par conséquent, on n'obtient pas un portrait réel quand on n'accepte que les données présentées par les fabricants.
M. Lemmens : J'aimerais insister brièvement sur un point soulevé par ma collègue, Françoise Baylis, et dont j'ai également parlé dans mon exposé, à savoir l'importance des essais comparatifs. De toute évidence, il y a ici une question de compétence provinciale-fédérale. Les provinces sont chargées de déterminer le financement des médicaments, leur intérêt premier étant d'établir quels médicaments sont plus efficaces que d'autres. Toutefois, on devrait certes resserrer la collaboration. Les provinces collaborent déjà entre elles, mais il faudrait améliorer la collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux; dans la mesure du possible, à cause du partage des compétences, on devrait mieux coordonner non seulement le contrôle de l'innocuité et de l'efficacité de base, mais aussi l'efficacité comparative des essais.
Mes collègues, Colleen Flood et Patrick Dyke, ont récemment publié un document, dont je recommande la lecture au comité, et dans lequel ils discutent justement de cette question. Le document, intitulé The Data Divide : Managing the Misalignment in Canada's Evidentiary Requirements for Drug Regulation and Funding, met l'accent précisément sur ce problème et souligne l'importance d'obtenir des données comparatives.
Je signale également qu'il ne s'agit pas seulement d'une question financière; la sécurité est aussi un facteur. À l'heure actuelle, on peut trouver sur le marché canadien certains médicaments de qualité inférieure qui sont prescrits pour un traitement particulier, alors qu'il y a un médicament comparativement supérieur sur le marché. En l'absence de données comparatives, la sécurité des patients est donc également en jeu.
Le sénateur Cordy : Je voudrais parler du manque de transparence dans le système de surveillance postapprobation. Devrions-nous savoir, ou savons-nous à titre de patients, c'est-à-dire de consommateurs de médicaments, quelles sont les caractéristiques démographiques des personnes qui participent aux essais cliniques initiaux et aux études postapprobation? Devrions-nous savoir, ou savons-nous, si les sociétés pharmaceutiques font partie d'une surveillance postapprobation? Nous avons entendu M. Lemmens dire tout à l'heure que les IRSC viennent de nommer deux dirigeants de l'industrie pharmaceutique au sein de leur conseil.
Comment les Canadiens peuvent-ils avoir l'assurance que la surveillance postapprobation se fait de façon indépendante et équitable et que nous obtenons tous les renseignements qui s'imposent? Je crois que la FDR ouvre certaines de ses réunions au public, mais au Canada, nous n'avons pas ce luxe.
M. Lemmens : Je dirai brièvement qu'on a déjà discuté de la question de la transparence dans le contexte des essais cliniques. De toute évidence, dans le cadre de la surveillance postcommercialisation, il faut accroître la transparence. D'ailleurs, le ministre de la Santé a récemment entrepris des initiatives en vue de mettre au point un registre des essais cliniques.
Malheureusement, selon moi, l'exigence du registre est insuffisante parce qu'elle n'est pas assortie d'un règlement musclé qui exige l'enregistrement et la publication des résultats — pour non seulement enregistrer les essais cliniques, mais aussi en publier les résultats —, chose qui devrait se faire avant et après la commercialisation. À l'heure actuelle, au Canada, il n'y a pas d'exigence réglementaire stricte concernant l'enregistrement et la publication des résultats d'essais cliniques, ce qui, à mon avis, fait clairement défaut.
Si nous tenons à instaurer un système de surveillance postcommercialisation plus transparent et digne de confiance, ce serait là une mesure importante à prendre. Cela ne réglerait pas tous les problèmes, mais chose certaine, la création d'un registre assorti d'une exigence de rendre compte des résultats et d'un pouvoir d'infliger des sanctions serait un premier pas important, que le Canada n'a pas encore pris. On a déjà adopté une telle mesure aux États-Unis et en Argentine, et des pourparlers sont en cours à cet égard en Europe.
Mme Baylis : Je vais répondre à votre première question sur le fait d'assurer l'indépendance dans ce contexte en se contentant de dire qu'il faut rendre le système indépendant. Comme nous l'avons tous mentionné, il existe actuellement des conflits d'intérêts sur le plan de la structure. Selon moi, cela ne vise pas à remettre en question qui que ce soit. Le hic, c'est qu'on a établi des institutions ayant un mandat clair, mais on leur confie ensuite d'autres tâches ou elles assument d'autres responsabilités qui ne leur appartiennent pas.
Quelle est la mission première des IRSC? Ils sont là pour financer la recherche, et non pas pour servir d'organismes de réglementation. La tâche qui consiste à protéger l'intérêt des Canadiens appartient à un autre organisme. Voilà donc ma première observation. Si on veut un système indépendant, il faut d'abord veiller à ce que la structure soit indépendante.
Relativement à votre question initiale sur les patients, c'est-à-dire leurs sources d'information, combien de lettres d'information en matière d'innocuité de Santé Canada avez-vous vues avant que je vous en présente une? Si vous examinez mon mémoire, vous verrez que, dans chaque cas, j'ai indiqué deux dates. Pourquoi? La première date est celle à laquelle le document est envoyé au fournisseur de services santé. La seconde date est celle à laquelle les renseignements sont envoyés aux patients, en l'occurrence les consommateurs. Je ne connais pas un seul patient qui saurait comment faire pour trouver cette lettre sur le site web de Santé Canada. Je ne connais pas un seul médecin qui, après avoir reçu la lettre, attend avec impatience la version destinée aux patients pour qu'il puisse la distribuer à ses patients. Je ne dis pas qu'on ne le fait pas déjà; j'ignore tout simplement s'il s'agit d'une pratique courante.
N'oublions pas que, pour les patients, la principale source d'information constitue, en général, leurs médecins, et nous devons donner davantage de pouvoir à ces derniers. À l'heure actuelle, les médecins se trouvent dans un système de soins de santé très surchargé. Nous savons entre autres que, très souvent, les médicaments que doivent prendre les patients finissent par s'accumuler, si bien qu'il faut presque changer de médecin pour que quelqu'un puisse réévaluer l'ensemble des médicaments prescrits.
Il y a donc des défis énormes liés à la question de savoir comment mettre les renseignements à la disposition des patients.
Mme Wiktorowicz : Je vais répondre à votre question sur la transparence. Le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, qui entreprend actuellement certaines des études postapprobation, est transparent. On trouve presque tous les renseignements sur son site web. Il s'agit d'un excellent réseau composé de pôles de recherche, de champs de spécialisation, et cetera. Bref, c'est très transparent.
Le problème, selon moi, c'est le manque de transparence de Santé Canada. Le ministère publie des sommaires des motifs de décision, mais on y trouve très peu de renseignements à l'intention des cliniciens, et même des régimes d'assurance-médicaments provinciaux, afin de comprendre réellement un nouveau produit qui est lancé sur le marché.
Deuxièmement, Santé Canada a fait part de son intention de poursuivre la stratégie des plans de gestion des risques. Il s'agit d'une stratégie harmonisée, basée sur la Conférence internationale sur l'harmonisation. Comme je l'ai dit, le processus est boiteux. L'industrie détermine comment elle fera le suivi d'un médicament à la phase postcommercialisation, mais c'est elle qui élabore le plan et négocie les conditions avec Santé Canada. Rien n'indique qu'il s'agit là d'une approche rigoureuse.
Il y a eu des critiques à cet égard. Nous avons interrogé des gens en France, par exemple, où cette pratique existe depuis longtemps; ils croient qu'il s'agit d'une occasion pour les entreprises de voir le médicament, de le présenter aux médecins et de permettre à ces derniers d'en prendre connaissance. Les études ne sont pas solides et elles manquent de rigueur scientifique.
Je pense que les plans de gestion des risques laissent beaucoup à désirer au chapitre de la transparence. Nous avons donc vraiment besoin d'un organisme indépendant qui peut assurer la transparence.
Le sénateur Cordy : Monsieur Lemmens, vous avez dit que la promotion subtile de médicaments de qualité inférieure peut s'avérer dangereuse. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce point?
M. Lemmens : Ce serait là un sujet pour une autre discussion, mais disons qu'une bonne part des pratiques d'ordonnance sont déterminées par la littérature médicale. Divers rapports montrent comment la littérature médicale est faussée par des intérêts financiers. Les articles médicaux qui décrivent les bienfaits des médicaments sont souvent trompeurs. D'ailleurs, aux États-Unis, il y a eu des poursuites criminelles à ce sujet, mais nous ne savons pas avec certitude ce qui s'est réellement passé parce que les parties en sont arrivées à un arrangement.
Si on met en marché un médicament et qu'on est en mesure d'orienter les habitudes d'ordonnance en lançant des publications dans la littérature médicale qui influent sur le comportement d'ordonnance, on peut amener des médecins à croire honnêtement qu'ils prescrivent le meilleur médicament alors qu'en réalité, il s'agit d'un médicament de qualité inférieure. De toute évidence, si vous êtes un patient, vous ne voulez pas être traité avec un médicament qui est moins efficace que son concurrent.
Le sénateur Cordy : Je me demande comment nous pouvons faciliter le signalement des effets indésirables d'un médicament. Hier, nous avons entendu des témoins dire que les dossiers médicaux électroniques seraient une bonne façon de s'y prendre. Le sénateur Eaton a fait valoir aujourd'hui qu'on pourrait recourir de manière plus efficace aux pharmaciens parce que ces derniers risquent d'avoir un peu plus de temps et d'expérience en ce qui concerne les effets des médicaments, et ils connaissent tous les médicaments qu'un patient pourrait prendre.
Monsieur Lemmens, vous avez parlé des médecins, mais vous avez dit, à juste titre, que cela pourrait nécessiter pas mal de temps.
À l'ère de la technologie, il y a sûrement une façon plus simple de s'assurer que les patients peuvent enregistrer les effets indésirables d'un médicament et, comme nous l'avons dit tout à l'heure, les médicaments qui ne sont tout simplement pas efficaces.
Mme Baylis : Je suis tout à fait d'accord. Nous nous fions aux patients et à leur mémoire. Quand on leur demande s'ils ont déjà eu des réactions à tel ou tel médicament, les patients répondent : « Je ne sais pas; je ne me souviens pas », à moins qu'ils aient connu une très grave expérience. Les dossiers médicaux électroniques constituent un outil important et posent vraiment un défi de taille pour le Canada à cause de la Constitution, du partage de la responsabilité et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Au fil du temps, la technologie a évolué de telle sorte que nous ne pouvons pas nécessairement fusionner les plateformes, même si la volonté était au rendez-vous.
Il s'agit d'un énorme problème.
Je ne sais pas si les IRSC investissent des fonds dans un projet pilote pour déterminer comment on pourrait s'y prendre dans les Maritimes et pour voir si ces provinces souhaitent entreprendre une étude pilote sur les dossiers électroniques, dans les limites de la Loi sur la protection des renseignements personnels; ainsi, dans le cas des Canadiens qui se déplacent dans le pays, il serait possible de vérifier leurs dossiers pour voir s'ils ont un problème de santé, peu importe où ils se trouvent.
Ce serait un excellent outil non seulement sur le plan des effets indésirables d'un médicament, mais aussi au chapitre de la santé et du bien-être.
Le sénateur McInnis : Comme je fais un remplacement au comité, j'hésite à parler directement des sujets précis dont on discute ici ce matin. Ayant assisté aux séances d'hier après-midi et de ce matin, je dois dire, monsieur le président, j'ai trouvé les discussions fort intéressantes.
Je voulais poser une question générale parce que je constate qu'on mentionne souvent Santé Canada, c'est-à-dire l'idée que le gouvernement devrait jouer un rôle plus dominant en ce qui concerne les essais cliniques des médicaments. On a parlé de la crédibilité de Santé Canada, ainsi que de son manque de transparence. Le vérificateur général souscrit à cette position. Santé Canada devrait travailler plus étroitement avec les provinces. Bien entendu, j'ai également entendu la mention de la « sécurité des Canadiens », et il va sans dire que cela devrait être une priorité absolue.
J'aimerais soulever deux points : quels efforts, s'il y a lieu, ont été déployés pour établir un certain contact ou pour créer un organisme afin de s'assurer qu'il y a un dialogue continu ou des communications ouvertes? Quel mécanisme y a-t-il? Quelqu'un en a-t-il parlé? Quel mécanisme permettrait de rassembler le gouvernement fédéral, les provinces, l'industrie pharmaceutique et le public?
Je n'ai pas lu le mandat du comité, mais quelqu'un a-t-il déjà songé à ce point? Ce qui me frappe, c'est que ce problème sera récurrent. Il y a une multitude de questions et d'entités qui entrent en jeu ici. Il me semble qu'on devrait réfléchir à un mécanisme qui nous permettrait de venir à bout de certaines de ces difficultés. En tout respect, le reproche pourrait être bien fondé. Je me demande si cette question fera partie des délibérations.
Le président : Je vais essayer de faire en sorte que cette question soit prise en compte dans le contexte de notre étude. Nous n'étudions pas l'interaction entre les gouvernements fédéral et provinciaux et tous les autres organismes. Un certain nombre d'entre vous ont soulevé aujourd'hui plusieurs aspects de cette question. Je pense que l'un des véritables enjeux est lié à l'autorité, la transparence et l'indépendance des organismes qui se penchent sur ces questions.
Je me demande si je pourrais reposer la question en revenant aux témoignages entendus ici aujourd'hui. Nous pourrions, en commençant par le professeur Lemmens, revenir peut-être au rôle du RIEM qui, selon vous, est important, mais pourrait l'être encore plus. La vraie question que vous avez, tous les trois, soulevée au sujet du RIEM, c'est sa capacité de collecte et de recensement de l'information. Cependant, la question qui se pose vraiment est de savoir ce que devient cette information et comment sont mises en œuvre les conclusions qu'on en tire.
Je vais vous poser une question précise à ce sujet.
Je suppose qu'il peut être difficile de trouver un moyen de faire cela, mais suggérez-vous de pourvoir le RIEM d'une autorité réglementaire en plus de ses activités actuelles?
M. Lemmens : Il est clair, que dans sa structure présente, le RIEM n'est pas un organisme de réglementation, et j'hésiterais donc à proposer qu'il en devienne un. Il faut réfléchir sérieusement à la façon dont nous pouvons créer un organisme indépendant capable d'assurer une surveillance postcommercialisation plus indépendante. Le RIEM peut continuer à jouer un rôle important au chapitre de la promotion et de la coordination de ce type de recherches. Toutefois, au regard des problèmes constatés sur le plan de la fiabilité et de l'intégrité de nombreux essais cliniques de médicaments, le renforcement de l'indépendance d'un système — même s'il ne s'agit que d'un organisme qui vise principalement à offrir les preuves nécessaires sur lesquelles d'autres organismes de réglementation fonderont leurs décisions — serait un élément essentiel. On pourrait aussi insister là-dessus.
Je suis sûr que Mme Wiktorowicz peut donner plus de détails sur la façon dont fonctionne le RIEM actuellement et comment il pourrait mieux promouvoir ce genre de choses.
Le président : Évitez d'entrer dans les détails relatifs à toutes ses activités et mentionnez seulement cet autre aspect, celui de déterminer s'il devrait avoir une autorité réglementaire.
Mme Wiktorowicz : Je pense qu'il devrait certainement jouer un rôle sur le plan de la réglementation. Actuellement, le RIEM signale les découvertes importantes à Santé Canada qui a le droit d'utiliser ces informations comme bon lui semble. Je crois que le RIEM devrait collaborer avec Santé Canada plutôt que de n'être qu'un organisme qui fournit des renseignements.
Je pense qu'il y a un problème structural maintenant. Par exemple, les États-Unis ont une loi, la FDA Amendments Act, qui exige que la FDA accepte que d'autres organismes publics, tels que les NIH et ceux que j'ai mentionnés plus tôt, participent aux approches et décisions en matière de réglementation. Cela ne sera possible que si l'on oblige Santé Canada à le faire.
J'estime, toutefois, que c'est essentiel, parce qu'une fois que les médicaments sont commercialisés, tous les organismes publics devront composer avec la situation. En quelque sorte, ils sont lésés puisqu'ils n'ont pas accès à toute l'information. L'intérêt propriétal de l'industrie visant à ne pas communiquer les données des essais cliniques semble inciter le Canada à ne pas diffuser l'information, à ne rien divulguer et à éviter la transparence.
C'est presque comme s'il fallait suivre une autre voie ou un autre processus.
Mme Baylis : Dans le contexte de votre question initiale et de l'ampleur que vous lui avez donnée, il est important de reconnaître que Santé Canada a essayé d'accueillir un certain nombre d'ateliers sur invitation, particulièrement dans le cadre de certains changements proposés. Toutefois, ce qui est important, comme mon collègue l'a indiqué, c'est qu'en raison du manque de confiance et de crédibilité, l'efficacité de ces réunions n'est pas toujours, à mon avis, évidente. Les participants arrivent avec un parti pris et imaginent qu'il sera pris en compte d'une certaine façon.
Il est vrai que la perception d'un manque d'indépendance de la part de Santé Canada existe, car, même si Santé Canada promet de faire quelque chose, on dirait que ce ministère ne résiste pas très bien aux pressions. Par exemple, Santé Canada avait proposé que s'il acceptait ou refusait une demande d'autorisation de mise sur le marché, il rendrait publique sa décision dans les deux cas. Le secteur de la biotechnologie a alors rétorqué qu'il ne comprenait pas pourquoi Santé Canada rendrait publique une demande qui a été refusée. Ces informations seraient donc effacées de la base de données à laquelle vous avez accès. Les Canadiens seraient donc tenus seulement au courant des demandes qui ont été approuvées, mais ils ne pourraient que présumer que d'autres demandes ne l'ont pas été.
Une organisation se renforce en faisant preuve de transparence et aussi quand les gens connaissent et le pourcentage de demandes d'autorisation de mise sur le marché approuvées et le pourcentage de demandes refusées, et qu'ils savent aussi quels médicaments étaient visés par les demandes. On peut rendre publics certains renseignements fondamentaux sans pour autant divulguer des secrets de l'industrie.
Plusieurs intérêts sont en jeu. Je rattache cela à la question principale du respect de l'indépendance. Il faut une organisation qui s'est fixé pour objectif prioritaire — si ce n'est son seul objectif — de veiller à la santé des Canadiens et de s'assurer que les produits qu'on fournit aux gens sont accompagnés d'une liste très claire des avantages et des risques qu'ils présentent, et ce, parce que même les médicaments mis sur le marché ont des effets secondaires. Nous ne demandons pas le médicament parfait qui guérit et qui n'a pas d'effets secondaires, mais nous voulons une divulgation complète et nous la voulons dans un contexte dans lequel les gens disposent de suffisamment d'informations pour peser le pour et le contre.
Le président : J'ai posé votre question, sénateur, mais en avez-vous une autre?
Le sénateur McInnis : Non, c'est bon.
Le sénateur Eggleton : Je voulais revenir sur un point. Le sénateur Cordy a posé une question concernant les rapports sur les effets indésirables des médicaments, ou rapports EIM, que vous avez qualifiés, vous et d'autres témoins, de rapports passifs, mineurs et inadéquats.
Hier, les représentants d'Inforoute Santé du Canada ont décrit un système dont ils ont entendu parler à Boston. Ce système est mis en pratique aux États-Unis. Il s'agit d'un système de suivi des patients. C'est un système plus actif que passif. Je pense que le sénateur Cordy en a aussi parlé.
J'aimerais savoir comment, selon vous, le système peut être amélioré. À ce qu'on nous a dit, les pourcentages de rapports des médecins, de la population ou de qui que ce soit d'autre sont très faibles. Quel mode d'action Santé Canada devrait-il adopter en la matière? Je suppose que Santé Canada ne fait rien et attend qu'il en accumule un certain nombre avant de les transmettre peut-être quelque part. Où envoie-t-il ces informations, de quelle façon répond-il aux auteurs des rapports et au public en général?
Avez-vous une idée de ce que nous pouvons faire — du moins pendant que nous fonctionnons dans le système actuel — pour améliorer l'efficacité au niveau de la production de rapports sur les effets indésirables?
Le président : Je vais diviser la question en deux parties. La première partie porte sur la collecte des données, la deuxième sur la façon dont ces données sont utilisées pour comprendre des situations particulières.
Étant donné que je projetais de la poser, je voudrais insister sur la présentation de la question. Ce que nous avons entendu très clairement tout au long de cette étude, c'est qu'il est très difficile de trouver un moyen vraiment efficace d'avoir accès aux effets indésirables apparents. Que faire pour que la personne, le médecin — qui que ce soit — reconnaisse un effet indésirable possible puis relaie ces données à quelqu'un qui les saisira et fera peut-être un suivi, comme le sénateur l'a suggéré? Les rapports indiquent — et vous en avez parlé — qu'il semble y avoir très peu d'effets indésirables entièrement rapportés.
Hier, nous avons entendu parler de ce que j'estime être le mécanisme le plus innovant qui permettrait de faire cela. Il s'agit d'une étude pilote menée aux États-Unis. Tous ceux et celles impliqués dans cette étude ont accepté d'y participer. C'est clairement une étude pilote dans laquelle les personnes qui reçoivent une ordonnance font l'objet d'un suivi un mois après. Le suivi consiste en des questions — une évaluation — sur les effets des médicaments sur ordonnance depuis qu'ils ont commencé à les prendre, soit durant les trente derniers jours.
Ce qui m'a frappé sur le coup, c'est que cela pourrait être une façon très conviviale de s'attaquer au problème plus grand de la collecte de données relatives aux effets indésirables et, comme Mme Baylis l'a souligné ce matin, de la nécessité de faire un tel suivi sur une plus longue période.
Pour faire une analogie, j'ai donné l'exemple de quelqu'un qui apporte sa voiture au concessionnaire et à qui on demande ensuite de remplir un petit rapport sur cette expérience. Les gens ont pris l'habitude de répondre à de telles questions sur le service à la clientèle.
Je pose des questions pour vous, sénateur. J'aimerais que vous répondiez à cette question à l'aide d'un exemple. Commencez par cet exemple, puis donnez de meilleurs exemples qui nous permettraient une plus grande efficacité en matière de collecte de données sur les effets indésirables possibles des médicaments.
Est-ce qu'un suivi automatique de ce genre, qui commencerait après qu'un médicament a été prescrit à une personne et qui continuerait pendant une bonne période de temps, et plus longtemps pour les médicaments qui doivent être pris pendant longtemps, ouvrirait la porte à d'autres avantages dans ce domaine?
Mme Wiktorowicz : Tout d'abord, dans n'importe quel pays du monde, le pourcentage le plus élevé de rapports sur les effets indésirables des médicaments se situe à 10 p. 100. La Nouvelle-Zélande possède le pourcentage le plus élevé, soit près de 10 p. 100. Les autorités travaillent sur tous les fronts. Quand un médecin signale un effet indésirable de médicament, elles contactent le patient, et ainsi de suite. Une fois qu'un rapport a été soumis, elles recevront les réactions d'autres médecins au sujet de ce rapport. En envoyant leurs rapports, les auteurs estiment qu'ils contribuent utilement et que c'est une bonne utilisation de leur temps, mais le pourcentage n'est encore que de 10 p. 100.
Il y a, au Royaume-Uni, un modèle — la surveillance d'événements liés à une prescription — qui ressemble à l'exemple que vous avez donné. Les médecins font tous les six mois un suivi à l'aide d'une carte jaune, me semble-t-il, pour relater ce qui se passe avec leurs patients, les médicaments qu'ils leur prescrivent et les résultats des traitements.
Ils ont découvert, et c'est le problème, qu'après avoir envoyé trois ou quatre cartes jaunes pour des médicaments différents à des patients différents, les gens cessent de répondre. C'est une excellente idée, mais à la longue les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances.
Le deuxième point faible de cette approche est quelque chose qui m'est venu à l'esprit après avoir discuté avec Robyn Tamblyn. Je ne sais pas si vous l'avez invitée ici, mais c'est une épidémiologiste qui étudie les produits pharmaceutiques. Son argument était que ce processus n'avait pas de groupe témoin. Les patients qui prennent un médicament sont suivis, mais comment savoir s'ils sont vraiment différents des personnes qui ne prennent pas ce médicament? Par conséquent, on est pratiquement obligés non seulement de suivre les personnes qui prennent ce médicament, mais il faut aussi tenir ce qu'au Royaume-Uni on appelle un registre des maladies dans lequel sont inscrits les patients atteints d'une maladie particulière — diabète, schizophrénie ou autre —, et un sous-groupe de patients qui prennent un médicament précis et d'autres sous-groupes qui ne prennent pas de médicaments ou qui prennent un médicament différent. Ainsi, il est possible de comparer les patients atteints des mêmes maladies.
Il existe des modèles comme celui que vous avez suggéré, mais leur efficacité reste à prouver.
Mme Baylis : J'ai quelques observations à ajouter à ce sujet. Premièrement, pour toutes sortes de raisons, un pourcentage très élevé d'ordonnances ne sont jamais remplies. Il arrive qu'elles le soient et elles ne sont jamais utilisées, pour des raisons multiples. C'est une situation que nous rapportons aux étudiants en médecine parce qu'ils en rempliront une en supposant que le patient suivra les directives, achètera les médicaments et les prendra selon les instructions, mais ce n'est pas ce qui se passe dans la réalité.
Deuxièmement, dans ce contexte il faut faire attention à l'effet placebo. « Je tiens à savoir que ça fonctionne. Je ne veux rien voir d'autre ». Je ne sais pas ce qui arrivera dans ce modèle en présence de facteurs de confusion qui ne sont pas seulement d'autres produits pharmaceutiques, mais d'autres activités qui entrent en jeu en termes d'usage de drogues et d'autres facteurs de la vie.
Honnêtement, la façon dont le système, s'il entrait en vigueur, serait falsifié me préoccuperait. Par exemple, regardons ce qui s'est passé avec les premiers médicaments utilisés dans le traitement de la maladie d'Alzheimer et de la démence. Quand on n'était pas capables de montrer qu'ils avaient de très sérieux effets dans le traitement de l'affection ou la maladie sous-jacente, l'utilité du médicament était prouvée quand les patients retournaient dans leur famille. Si vous consultez les recherches, toutes les publicités montraient une grand-mère assise au milieu de sa famille pour célébrer un anniversaire et qui semblait heureuse comparativement à ce que serait son état si elle n'avait pas pris de médicaments. Aujourd'hui, l'efficacité d'un médicament est fonction du comportement social et de l'interaction et ne se mesure pas par rapport à la raison originale de son développement.
Donc, je ne connais pas les détails du modèle, mais je dirais immédiatement que ce sont là mes préoccupations.
M. Lemmens : Les patients ont un rôle important et je pense que nous ne devrions pas seulement nous fier au rapport du médecin, ce qui est clairement inadéquat et pas suffisamment encouragé dans le cadre du système en vigueur. Les patients ont un rôle important. Cependant, comme mes collègues l'ont souligné, il y a des limites. La nouvelle technologie informatique et les nouvelles méthodes de collecte et d'exploitation des données qui sont fournies peuvent être utiles et rendre plus intéressante la promotion du signalement des effets secondaires par chaque patient; néanmoins, la façon dont ces données peuvent être évaluées est très limitée.
Quoi qu'il en soit, les patients doivent savoir que les médicaments sont toxiques et être ouverts à signaler les problèmes particuliers qu'ils éprouvent lorsqu'ils prennent un médicament.
Le sénateur Martin : J'aimerais ajouter que...
Le président : Je vous prierais de poser une question plutôt que de formuler une observation.
Le sénateur Martin : C'est pertinent à ce dont nous discutons. Puis-je continuer?
Le président : Si c'est une question.
Le sénateur Martin : Voici ma question. Une approche multidisciplinaire serait-elle un bon moyen de faire en sorte que tous les professionnels de la santé qui voient le patient aient l'occasion d'intervenir? Le médicament peut être prescrit par le médecin, mais ce pourrait être l'intervenant ou le travailleur social qui surveille les progrès du patient.
D'après votre expérience, diriez-vous que les approches multidisciplinaires sont essentielles ou est-ce une façon de veiller à recueillir des renseignements auprès de tous les professionnels de la santé qui prodiguent des soins au patient?
M. Lemmens : Je pense que Mme Wiktorowicz est probablement plus au courant de la façon dont, concrètement, le RIEM et d'autres programmes de surveillance fonctionnent. Je dirais toutefois qu'une approche interdisciplinaire qui englobe divers niveaux de soins serait appropriée. Lorsqu'on pense à un groupe de patients qui a été identifié comme étant surmédicamenté, les personnes âgées par exemple, il est clair que les travailleurs sociaux et les autres fournisseurs de soins jouent un rôle important, voient probablement les patients plus régulièrement et pourraient participer au processus de signalement des effets indésirables.
Mme Wiktorowicz : Il y a un rôle que doivent assumer les professionnels de la santé autres que les médecins, qui passent peu de temps avec le patient, comme nous en avons discuté. Nous pourrions faire en sorte que ce soit plus clair, mais il faudrait changer le modèle de prestation des soins de santé que nous avons actuellement, qui ne prévoit pas toujours un rôle pour les différents professionnels de la santé.
Le président : C'est une question qui a été soulevée dans le cadre de notre étude de l'accord sur la santé, où nous avons clairement relevé que l'approche par cloisonnement est l'un des sérieux problèmes et se rapporte directement à votre question, sénateur.
J'aimerais aborder une question qu'on n'a pas soulevée de façon explicite dans les témoignages d'aujourd'hui, mais qu'on a évoquée indirectement. Vous avez dit que l'efficacité des médicaments peut également devenir un effet indésirable si un médicament n'est pas aussi efficace que nous l'escomptions.
On sait que la composition de l'emballage influe grandement sur l'efficacité du médicament. J'essaie de choisir mes mots le plus soigneusement possible. Des rapports révèlent que les médicaments génériques, dont la composition et l'ingrédient actif sont souvent différents de ceux du médicament breveté initialement approuvé, présentent des niveaux d'efficacité différents dans l'organisme.
D'après un rapport publié la semaine dernière aux États-Unis, la Food and Drug Administration a rendu pour la première fois un jugement concernant les médicaments à libération prolongée. C'est ce que l'on voit souvent à l'heure actuelle avec différents types de médicaments — on prend un comprimé qui se libère lentement dans l'organisme pendant une période donnée. On indique que le médicament générique n'a aucun effet comparativement au médicament breveté initial où l'ingrédient actif dans une forme différente avait un effet, tel qu'établi pendant la durée de vie du brevet.
Je vais répéter ma question : une fois qu'un médicament n'est plus protégé par un brevet et devient un médicament générique, pensez-vous qu'on devrait essayer davantage de tester l'efficacité du médicament générique par rapport à celle du médicament initial?
Mme Baylis : Je peux faire deux remarques à ce sujet. Je crois comprendre que si une entreprise met au point un médicament générique qui n'est désormais plus protégé par un brevet, si elle peut prouver que la composition chimique et moléculaire est exactement la même, elle n'a pas du tout besoin de se soumettre à un processus de réglementation quelconque. Elle n'a qu'à fournir des documents attestant que la composition chimique est exactement la même et qu'elle est exemptée de toute mesure rigoureuse à laquelle la première entreprise a dû se soumettre pour obtenir une autorisation de mise en marché.
Ma deuxième remarque a trait à la composition de l'emballage. Je ne connais pas le sujet particulier, mais je peux vous dire que lorsque je travaillais dans une clinique de fécondation in vitro au début de ma carrière, les cas de grossesse ont arrêté tout d'un coup. On n'arrivait pas à expliquer comment elle était passée d'une clinique très efficace à une clinique qui n'enregistrait aucune grossesse. Au bout du compte, elle a conclu qu'elle avait acheté de nouveaux trieurs de cellules d'une entreprise différente. Elle est retournée à l'ancienne entreprise et les cas de grossesse ont recommencé. Elle n'avait aucune preuve — elle n'a pas fait d'essais aléatoires par après —, mais cela m'amène certainement à penser qu'il est fort possible que les objets autres que les médicaments actifs contiennent des produits chimiques. Il pourrait être intéressant de se pencher là-dessus.
Le président : Monsieur Lemmens, avez-vous quelque chose à dire?
M. Lemmens : Je veux faire une observation. Je ne suis pas un expert en pharmacologie, mais d'après ce que j'ai lu, on accorde trop d'importance à ces affirmations, qui sont souvent faites par l'industrie des médicaments de marque pour défendre la vente des médicaments brevetés. Les cas où il y a vraiment une différence pharmacologique sont rares. Je dirais que ces études qui peuvent évoquer ces arguments doivent être examinées avec prudence et qu'il faut en analyser la source. De telles allégations doivent évidemment être prises au sérieux et vous fournissez des exemples intéressants que j'ignorais, mais je sais qu'il est parfois trop facile de faire ces allégations dans ce contexte.
Le président : Je pense que nous pouvons affirmer avec certitude que la composition est importante, car elle fait partie du processus d'approbation du début. Vous avez très bien fait valoir vos points de vue et je vous en remercie.
J'aimerais enfin discuter d'un élément que Mme Baylis a abordé aujourd'hui et lors de précédents témoignages devant le comité. Je ne vais pas poser de question, mais je vais revenir sur les observations, car elles sont liées à notre capacité de surveiller les médicaments après qu'ils ont été approuvés. Il est extrêmement important de pouvoir bien surveiller l'efficacité des médicaments après leur approbation pour cibler les sous-groupes — en plus de tous les éléments dont nous avons parlé, la question que vous avez soulevée et que le sénateur Seidman a soulevée également dans plusieurs de nos réunions. On parle évidemment des femmes enceintes, des enfants et des personnes âgées. Nous sommes de plus en plus conscients que lorsque vous examinez un très grand nombre de personnes ou des personnes qui souffrent de maladies cardiaques, il y aura de nombreux sous-groupes.
À mon avis, il nous faut vraiment un objectif clair pour tenter de trouver un moyen de faire plusieurs choses. Premièrement, nous devons recueillir l'opinion des gens sur les effets indésirables et, deuxièmement, identifier les personnes touchées pour pouvoir régler le problème. On ne doit pas identifier les personnes en tant que telles, mais le groupe. La surveillance après approbation ferait fonction d'un essai clinique extrêmement efficace réalisé presque après l'approbation si nous pouvions recueillir les données liées aux sous-groupes précis.
À cet égard, cela nous ramène à la question que le sénateur Eggleton a soulevée et à laquelle j'ai donné suite, c'est-à-dire la façon de compiler plus efficacement les signalements d'effets indésirables éventuels. Je vais m'en tenir aux effets indésirables pour l'instant. Vous avez fait valoir qu'il y a non seulement les effets indésirables, mais aussi l'efficacité, à savoir si le médicament aide le patient ou non et s'il lui cause des méfaits. Un médicament pourrait occasionner des méfaits parce qu'il n'aide aucunement la personne. C'est donc un sujet complexe. Je veux toutefois vous poser à tous les trois une question sur laquelle vous pourrez vous pencher, car si vous pouvez l'utiliser à titre d'exemple, nous pourrons alors l'adapter au problème global de l'inefficacité de certains médicaments, notamment.
Pouvez-vous penser à une façon facile d'amener les patients ou les médecins à signaler davantage les effets indésirables éventuels? Pouvez-vous nous dire également comment ce processus pourrait être structuré pour analyser ces résultats et assurer un suivi?
Je ne veux pas que vous me donniez une réponse tout de suite. Vous y avez répondu en partie dans vos témoignages et nous n'avons pas le temps d'entrer dans les détails. Je pense que notre comité considère toutefois que c'est un élément très important qui contribuerait à régler un grand nombre de problèmes liés à la surveillance après approbation que vous avez relevés aujourd'hui. Nous vous serions reconnaissants de nous faire part de votre avis à ce sujet.
De plus, s'il y a autre chose à laquelle vous pensez et que vous auriez aimé mentionner au cours de la réunion, nous vous serions reconnaissants de l'envoyer à la greffière.
Enfin, au nom des membres du comité, je veux vous remercier de vous être donné la peine de comparaître devant nous aujourd'hui, vous deux qui êtes ici en personne et M. Lemmens. Vos témoignages nous ont beaucoup aidés et je veux remercier mes collègues d'avoir posé des questions claires.
Sur ce, je déclare que la séance est levée.
(La séance est levée.)