Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 32 - Témoignages du 27 février 2013
OTTAWA, le mercredi 27 février 2013
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : utilisation non indiquée sur l'étiquette); et pour examiner des avant-projets de budget.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, pour la gouverne des témoins, j'aimerais commencer par expliquer notre procédure. Nous allons d'abord prendre trois à cinq petites minutes pour nous occuper d'un poste budgétaire, après quoi nous passerons à la séance officielle. Vous pouvez rester là où vous êtes, sans problème. Je tenais simplement à vous informer du déroulement de la séance.
Chers collègues, nous avons distribué les prévisions budgétaires pour les études que nous comptons entreprendre au prochain exercice financier.
Le sénateur Eggleton : J'en fais la proposition.
Le président : Pourriez-vous proposer les budgets, un à la fois, juste au cas où cela s'avère nécessaire? Pourriez-vous peut-être commencer par proposer celui pour l'étude sur l'inclusion sociale?
Le sénateur Eggleton : Soit, j'en fais la proposition.
Le président : Le sénateur Eggleton propose que l'avant-projet de budget pour l'étude sur l'inclusion sociale soit approuvé. Je peux assurer les sénateurs que le comité de direction a passé ces dépenses au peigne fin. S'il y a des questions, nous nous ferons un plaisir d'y répondre. Êtes-vous prêts à voter?
Des voix : Oui.
Le président : Adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Merci.
Ensuite, il y a le budget pour l'étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance.
Le sénateur Eggleton : J'en fais également la proposition.
Le président : On en fait la proposition. Y a-t-il des observations? Êtes-vous prêts à voter?
Des voix : D'accord.
Le président : Merci beaucoup. Les deux ont été approuvés.
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie; je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et le président du comité. J'invite mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.
La sénatrice Dyck : Lillian Dyck, sénatrice de la Saskatchewan.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, sénateur de l'Ontario.
La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto, en Ontario.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le président : Nous recevons aujourd'hui, trois témoins, mais avant de les inviter à faire leur exposé, comme il s'agit de la première réunion consacrée à cette étude, je crois qu'il serait important pour nous tous, et pour le public, de comprendre que cette réunion marque le début de la troisième étape d'une étude en quatre phases sur les produits pharmaceutiques au Canada. Nous avons terminé les deux premières phases qui portaient sur les essais cliniques et la surveillance après approbation. Nous examinerons maintenant plus particulièrement l'utilisation non indiquée sur l'étiquette.
Bien que les membres du comité commencent à bien connaître la terminologie dont il est question ici, je rappelle que le terme « étiquette » désigne l'étiquette officielle, c'est-à-dire celle qui est fournie par Santé Canada. On y trouve des instructions sur la façon d'administrer le médicament en ce qui concerne le dosage et, bien entendu, le groupe de personnes à qui il peut être prescrit. Par utilisation non indiquée sur l'étiquette, on entend tout usage non conforme à ces instructions, et c'est ce que nous examinerons en détail dans cette étude.
Pour amorcer notre étude, je suis très heureux d'accueillir trois excellents témoins qui nous parleront de ce sujet particulier. Ils ont accepté que je procède de gauche à droite, en face de moi. Cela signifie donc que je vais commencer par céder la parole à Dr Jeff Poston, président de l'Association des pharmaciens du Canada, pour qu'il fasse son exposé.
Dr Jeff Poston, président, Association des pharmaciens du Canada : Je tiens à remercier le comité d'avoir invité l'Association des pharmaciens du Canada à témoigner devant vous aujourd'hui, dans le cadre de vos audiences sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance, en particulier l'utilisation non indiquée sur l'étiquette. Comme vous le savez, l'APhC représente les intérêts des pharmaciens au Canada. Grâce à ses publications, l'APhC appuie également la prise de décisions cliniques par la diffusion de renseignements pharmaceutiques et thérapeutiques fondés sur des preuves.
L'utilisation non indiquée sur l'étiquette désigne l'acte d'utiliser des médicaments à des fins qui n'ont pas été approuvées par Santé Canada. C'est différent de l'utilisation d'un médicament non autorisé ou de l'utilisation non homologuée.
L'utilisation non indiquée sur l'étiquette est une pratique assez courante parmi les fournisseurs de soins de santé. Selon les estimations, environ le tiers de toutes les prescriptions visent une utilisation non indiquée sur l'étiquette; il faut toutefois noter que les estimations varient de 11 à 50 p. 100, selon la portée de l'étude ou le pays où elle a été menée. Il s'agit d'une pratique courante pour certains groupes de patients comme les enfants ou les personnes âgées et dans le cas de certaines maladies comme le cancer.
Dans l'ensemble, l'APhC appuie l'utilisation non indiquée sur l'étiquette lorsqu'il y a lieu de croire, à la lumière de preuves cliniques et scientifiques, que les bienfaits pour les patients pourraient l'emporter sur les risques éventuels. La sécurité des patients devrait toujours demeurer la grande priorité des fournisseurs de soins de santé.
À l'heure actuelle, des lignes directrices et des programmes de sensibilisation sont mis au point à l'appui de l'utilisation appropriée des médicaments lorsque ceux-ci sont utilisés à une fin non indiquée sur l'étiquette dans le but de réduire tout risque. Cependant, malgré ces efforts, nous avons encore des défis à relever en ce qui concerne l'utilisation non indiquée sur l'étiquette. Mentionnons entre autres le manque occasionnel de preuves scientifiques valables pour appuyer l'utilisation non indiquée sur l'étiquette. Une étude menée par l'Université McGill en 2012 a révélé que, parmi les médicaments prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, 79 p. 100 n'étaient pas appuyés par des preuves scientifiques qualifiées de « rigoureuses ». Ce manque de preuve pourrait mettre les patients en danger, les exposant à une mauvaise utilisation du médicament ou à des effets secondaires possibles. Toutefois, je dois ajouter que, dans l'étude en question, un médicament était réputé avoir rempli le critère de preuves scientifiques rigoureuses s'il avait fait l'objet d'au moins un essai clinique randomisé, et nous savons que c'est rarement le cas en ce qui concerne l'utilisation non indiquée sur l'étiquette.
Autre problème : il n'y a aucun mécanisme de surveillance officiel en place pour consigner et surveiller l'impact ou l'efficacité d'un médicament utilisé à des fins non indiquées sur l'étiquette. Cela empêche les organismes de réglementation de la santé de faire un suivi ou un compte rendu des effets de l'utilisation non indiquée sur l'étiquette.
Il se peut aussi que les praticiens soient tenus responsables d'une utilisation non indiquée sur l'étiquette si l'on parvient à démontrer que le traitement thérapeutique prescrit n'était pas fondé sur des preuves et qu'un patient a subi du tort après avoir été exposé au traitement.
Par ailleurs, dans le cas de certains médicaments qui sont couverts par les régimes d'assurance-médicaments privés et publics et qui sont classés dans la catégorie de produits à usage limité ou exceptionnel, des restrictions pourraient s'appliquer au remboursement en cas d'utilisation non indiquée sur l'étiquette.
Dans l'optique de réduire les risques et les défis liés à l'utilisation non indiquée sur l'étiquette et de promouvoir des pratiques exemplaires, l'APhC fait les recommandations suivantes. Premièrement, les fournisseurs de soins de santé devraient prescrire des médicaments pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette uniquement lorsqu'il y a des données scientifiques valables qui appuient une telle utilisation et que les bienfaits possibles pour le patient l'emportent clairement sur les risques. L'assurance de responsabilité civile devrait couvrir les praticiens de la santé qui prescrivent des médicaments pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, à moins qu'il y ait des preuves de négligence ou que l'utilisation ne soit pas appuyée par des preuves scientifiques suffisantes.
Deuxièmement, on devrait améliorer les meilleures lignes directrices et les programmes de sensibilisation à l'intention des fournisseurs de soins de santé afin d'appuyer l'utilisation non indiquée sur l'étiquette. Lorsqu'un médicament est prescrit pour une utilisation autre que ce qui est indiqué sur l'étiquette, les fournisseurs de soins de santé, y compris les médecins et les pharmaciens, doivent en informer les patients et discuter avec eux de toute embûche liée à l'utilisation non indiquée sur l'étiquette. Il faut obtenir un consentement éclairé.
Troisièmement, les médecins et les pharmaciens devraient déclarer les événements ou les effets indésirables associés à l'utilisation non indiquée sur l'étiquette de médicaments à Santé Canada qui, en retour, devrait communiquer l'information aux professionnels de la santé pour les aider à prendre des décisions cliniques plus éclairées.
Quatrièmement, il faut offrir un appui pour mettre en œuvre les systèmes de dossiers de santé et d'ordonnances électroniques afin que les médecins et les pharmaciens puissent plus facilement échanger des renseignements en cas d'utilisation non indiquée sur l'étiquette d'un médicament. Par ailleurs, il devrait être clairement indiqué dans le dossier médical du patient s'il y a eu une utilisation non indiquée sur l'étiquette d'un médicament. Il serait également utile de faire une saisie d'écran des données électroniques sur la santé pour prouver l'utilisation non indiquée.
Cinquièmement, lorsque les sociétés pharmaceutiques apprennent qu'on fait une utilisation non indiquée de leurs produits, cela devrait les inciter à mener des recherches pour vérifier l'efficacité de cette indication et, idéalement, à présenter les résultats de leurs recherches à Santé Canada pour qu'il puisse reconnaître officiellement l'utilisation du médicament pour cette indication. Il faudrait envisager de mettre en place des mesures incitatives pour encourager l'industrie à réaliser ce type de recherche.
Sixièmement, les payeurs, les professionnels de la santé et les gouvernements devraient engager un dialogue pour établir des politiques d'admissibilité et de remboursement relativement à l'utilisation non indiquée sur l'étiquette de médicaments. Règle générale, les politiques de remboursement devraient couvrir l'utilisation non indiquée qui convient sur le plan médical.
J'aimerais ajouter que l'APhC serait ravie de collaborer avec les gouvernements et d'autres intervenants pour mettre en œuvre des politiques et des programmes qui amélioreraient l'utilisation non indiquée sur l'étiquette de médicaments et réduiraient les risques associés.
Nous vous sommes très reconnaissants de nous donner l'occasion de comparaître devant le comité sénatorial aujourd'hui, et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Poston.
Je vais maintenant céder la parole au Dre Kara Laing, présidente, Association canadienne des oncologues médicaux.
Dre Kara Laing, présidente, Association canadienne des oncologues médicaux : Bonjour. Je suis ravie d'être ici aujourd'hui, au nom de l'Association canadienne des oncologues médicaux. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous au sujet de l'utilisation non indiquée sur l'étiquette de médicaments en oncologie.
Les oncologues médicaux travaillent au sein d'une équipe pluridisciplinaire de soins en oncologie, participent au traitement des patients atteints d'affections malignes de toutes sortes et prescrivent un vaste éventail de formes de pharmacothérapie, dont la chimiothérapie, l'hormonothérapie et d'autres traitements ciblés.
On a enregistré une hausse marquée du nombre de nouvelles formes de pharmacothérapie ces dernières années parce que l'on comprend mieux la biologie de la maladie. Cette ère de la médecine personnalisée consiste à administrer le bon médicament au bon patient et au bon moment.
Les patients atteints du cancer peuvent être traités par la chimiothérapie néo-adjuvante ou la chimiothérapie adjuvante. On les traite avant ou après des chirurgies potentiellement curatives pour améliorer leurs chances de guérison et de survie. En outre, de nombreux patients qui sont traités sont à l'état métastatique, où le traitement vise à pallier les symptômes, à maîtriser la maladie, à améliorer la qualité de vie et à prolonger la vie. En fait, de nombreux patients atteints du cancer peuvent vivre pendant plusieurs années et recevoir plusieurs traitements différents.
Des programmes de soins oncologiques se heurtent à de nombreuses difficultés entourant la distribution des médicaments. Citons notamment le coût élevé de ces médicaments, surtout des nouveaux agents ciblés, et une augmentation du nombre de patients qui nécessitent des traitements en raison d'une hausse de l'incidence et de la prévalence du cancer au pays, du vieillissement de la population et du fait que les gens vivent plus longtemps avec le cancer grâce au succès du traitement.
L'accès à des médicaments contre le cancer au pays pose problème, de même que la rapidité de l'approbation des médicaments par l'entremise de Santé Canada et du processus d'examen pancanadien des médicaments oncologiques et, au bout du compte, de décisions d'organismes de financement provinciaux pour ces médicaments.
L'utilisation non indiquée est un enjeu très important en oncologie. Les médicaments contre le cancer ont une indication très précise qui est liée aux données des essais cliniques et qui favorise l'approbation du médicament. Par exemple, sur l'étiquette d'un médicament contre le cancer, on pourrait lire ceci : « Pour le traitement de première intention contre le cancer du sein métastatique ». L'emploi du médicament à toute autre fin serait considéré comme étant une utilisation non indiquée.
Il y a trois grandes situations en oncologie où l'on fait des utilisations non indiquées sur l'étiquette de médicaments. Il y a d'abord lorsqu'un médicament est déjà homologué et disponible dans les cliniques pour traiter un site pathologique précis. De nouvelles données d'essais cliniques pourraient indiquer une utilisation plus vaste du médicament. Il pourrait y avoir d'excellentes données en matière de sécurité et d'efficacité pour cette utilisation. Toutefois, la société pharmaceutique responsable du médicament pourrait ou non demander des approbations additionnelles pour cette indication, ce qui serait alors ajouté à l'étiquette. Autrement, on considère l'utilisation du médicament comme étant non indiquée.
La nouvelle indication pour le médicament pourrait être approuvée au niveau provincial par l'entremise d'un groupe sur le siège de la maladie. Des lignes directrices nationales pourraient énoncer que cette utilisation particulière est appropriée. Le médicament pourrait être remboursé par des programmes de soins oncologiques et par des tiers, et pourrait devenir un traitement standard, mais ce serait quand même considéré comme étant une utilisation non indiquée sur l'étiquette. Il y a de nombreux exemples en oncologie. Toutefois, dans cette situation, l'utilisation de ces médicaments est fondée sur des données probantes.
La deuxième situation survient lorsqu'il y a moins de données probantes, ce qui arrive surtout avec une tumeur rare. Dans ces cas-là, il pourrait n'y avoir des données d'essais cliniques que pour les phases I ou II — et non pas des données d'essais randomisés, comme M. Poston l'a mentionné — ou l'opinion d'experts qui guide le traitement de ces patients, même s'il pourrait être tout à fait approprié pour un patient particulier dont le cancer en est à un stade particulier de recevoir un médicament donné dans ces circonstances.
De nombreux programmes de soins oncologiques qui remboursent les médicaments dans cette situation exigent que ces cas soient examinés à des conférences multidisciplinaires sur les cas ou dans le cadre d'un processus d'approbation spécial.
Cette dernière situation survient lorsqu'il y a peu ou pas de données pour appuyer l'utilisation du médicament pour une indication donnée. Dans ce cas-là, les risques potentiels pour le patient pourraient l'emporter sur les avantages, et nous ne recommandons pas d'appuyer l'utilisation non indiquée sur l'étiquette dans cette situation.
Lorsqu'on examine l'utilisation non indiquée d'un médicament, il faut se pencher sur le rapport risques-avantages. On ne devrait pas encourager l'utilisation non indiquée non plus lorsque des essais cliniques sont en cours sur le médicament précis dans une situation clinique précise. On devrait plutôt encourager les patients à participer à ces essais cliniques.
Enfin, compte tenu des ressources limitées qui sont disponibles, les décisions au sujet de l'utilisation non indiquée sur l'étiquette doivent être responsables sur le plan financier. D'autres pays ont également reconnu qu'il s'agissait d'un enjeu important dans le domaine de l'oncologie. La Société européenne de médecine interne cancérologique a publié un exposé de principe en 2007 pour régler ce dossier. Elle a demandé une plus grande participation de la part des organismes de réglementation, une liste ou un compendium des médicaments contre le cancer et les indications acceptables, dont certaines peuvent être non inscrites sur l'étiquette, et un mécanisme pour élargir les indications d'un médicament pouvant être utilisées non seulement par la société pharmaceutique, mais aussi par d'autres parties intéressées.
Un article publié récemment dans notre Journal of Clinical Oncology s'est penché sur 10 traitements intraveineux contre le cancer protégés par des brevets aux États-Unis en 2010. Des données sur les ordonnances ont été compilées dans un système de saisie et de facturation d'ordonnances en pharmacie qui se penchaient sur 122 pratiques médicales en oncologie qui étaient utilisées dans 35 États et, au bout du compte, les médicaments avaient été administrés environ 135 000 fois. On a établi que 30 p. 100 des utilisations de médicaments n'étaient pas indiquées, tandis que 70 p. 100 étaient conformes à la Loi sur les aliments et drogues selon la localisation du cancer, le stade de la maladie et le traitement. Des utilisations non indiquées sur l'étiquette, environ 15 p. 100 coïncidaient avec les lignes directrices nationales du NCCN aux États-Unis, et 10 p. 100 faisaient partie du même site pathologique. D'après cette étude, les Américains ont évalué que le coût des médicaments non indiqués sur l'étiquette pour ces médicaments contre le cancer s'élevait à environ 4,5 milliards de dollars. Le budget global destiné aux médicaments était de 12 milliards de dollars. Comme vous pouvez le constater, cela a représenté une part assez importante du budget.
Les médicaments oraux constituent également une source de préoccupation. De plus en plus de traitements contre le cancer, et la majorité de nos nouveaux traitements ciblés plus particulièrement, sont en fait administrés par voie orale. Ces traitements ne sont pas tous couverts par les budgets provinciaux réservés aux soins oncologiques, les formulaires provinciaux ou des assureurs privés. Le remboursement pose souvent problème, ce qui donne lieu à des inégalités chez les patients atteints du cancer pour ce qui est de l'accès aux soins et, par conséquent, il est très difficile pour nous d'établir dans quelle mesure les médicaments contre le cancer sont utilisés à des fins non indiquées. Nous devons nous pencher là- dessus.
Pour conclure, l'utilisation non indiquée sur l'étiquette de médicaments est fréquente en oncologie, mais elle est fondée sur des données probantes et elle est appropriée dans bon nombre des cas. Il faut néanmoins mieux la définir, et je suis d'accord avec M. Poston sur tout ce que nous devrions appuyer. L'utilisation non indiquée a une incidence importante sur l'accès aux soins pour les patients atteints du cancer partout au pays, sur les risques potentiels et les avantages des traitements qu'ils reçoivent, sur les budgets réservés aux programmes de soins oncologiques, sur le remboursement et, bien entendu, sur les organismes réguliers de l'industrie.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et aux préoccupations que vous pourriez avoir.
Dr Jitender Sareen, président, Comité de recherche, Association des psychiatres du Canada : Bonjour. J'aimerais remercier le comité de donner à l'Association des psychiatres du Canada l'occasion de discuter de la question importante de l'utilisation non indiquée de médicaments pour les troubles mentaux. J'aimerais reconnaître les efforts des membres de notre comité de recherche, qui ont contribué de façon significative aux observations que je ferai aujourd'hui.
Qu'est-ce que l'utilisation non indiquée sur l'étiquette? C'est lorsqu'on utilise un médicament homologué en dehors de la condition ou de l'indication pour laquelle l'homologation a été émise. Les sociétés pharmaceutiques présentent une demande d'approbation pour promouvoir l'utilisation de médicaments pour des troubles précis. Ces règlements sur l'homologation sont conçus pour régir les demandes que les sociétés pharmaceutiques peuvent faire concernant leurs médicaments. Bien qu'il soit illégal pour les sociétés pharmaceutiques de promouvoir l'utilisation de médicaments pour des troubles non indiqués, les médecins peuvent légalement prescrire des médicaments à des fins non indiquées.
L'ordonnance de médicaments à des fins non indiquées est fréquente dans tous les domaines de la médecine et est souvent nécessaire pour aider les patients qui souffrent de symptômes résiduels. Bien que de nombreux cliniciens considèrent que le médicament est homologué pour traiter un trouble donné, ils se fient beaucoup plus aux lignes directrices relatives aux pratiques cliniques, aux examens systématiques et à l'expérience clinique.
L'Association canadienne de protection médicale a émis des recommandations à l'intention des médecins sur l'utilisation non indiquée de médicaments et de dispositifs médicaux. Elle suggère que les médecins devraient lire les publications médicales et examiner si l'utilisation non indiquée de médicaments est suffisamment reconnue parmi leurs pairs, qu'ils devraient prendre des précautions raisonnables pour s'assurer que l'utilisation non indiquée convient pour le trouble dont souffre le patient, qu'ils devraient informer les patients que le médicament n'est pas approuvé pour leur trouble particulier et, enfin, qu'ils devraient obtenir un consentement éclairé et documenté avant de prescrire un médicament à des fins non indiquées.
Pour revenir aux troubles mentaux, pourquoi a-t-on recours à l'utilisation non indiquée sur l'étiquette pour le traitement de la maladie mentale? L'ordonnance de médicaments à des fins non indiquées est très fréquente et essentielle dans le traitement des troubles mentaux. En voici les principales raisons.
Premièrement, depuis qu'on a réduit les préjugés entourant la maladie mentale au cours des dernières années, on veut de plus en plus trouver un traitement pour les problèmes de santé mentale. Les troubles mentaux présentent souvent des symptômes complexes qui touchent de multiples aires du cerveau. La plupart des médicaments approuvés pour le traitement des troubles mentaux courants permettent uniquement de réduire partiellement les symptômes. L'ordonnance des médicaments à des fins non indiquées sert à traiter les symptômes résiduels et à améliorer le fonctionnement.
Deuxièmement, l'ordonnance d'antidépresseurs et d'antipsychotiques à des fins non indiquées chez les enfants et les personnes âgées a augmenté au cours des 10 dernières années. Les sociétés pharmaceutiques ne demandent souvent pas l'approbation des médicaments pour les enfants et les personnes âgées, en raison de préoccupations financières. Il est difficile de mener des études dans ces groupes et d'en mesurer les résultats. Les cliniciens vont souvent utiliser pour des enfants et des personnes âgées des médicaments qui ont été approuvés pour un trouble chez un adulte. Il y a toutefois un besoin urgent de mener des recherches sur la sécurité de l'utilisation non indiquée de médicaments chez les enfants et les personnes âgées.
Troisièmement, la majorité des gens qui souffrent de troubles mentaux au Canada sont traités par leur médecin de famille, qui n'a pas ni le temps ni la formation pour offrir de la psychothérapie. En raison des longues listes d'attente pour obtenir des évaluations psychiatriques et de la disponibilité limitée des psychothérapies, les patients reçoivent souvent des médicaments pour traiter leur maladie et ne suivent pas de psychothérapie.
Enfin, il existe peu de données pour aider les cliniciens à déterminer la durée du traitement dont une personne a besoin. Par conséquent, les patients prennent une panoplie de médicaments, dont certains sont utilisés à des fins indiquées sur l'étiquette et d'autres non, pour réduire leurs symptômes. Pour obtenir l'approbation, les sociétés pharmaceutiques réalisent souvent des études à court terme, qui varient généralement entre six semaines et un an. Toutefois, la durée requise d'un traitement et l'innocuité à long terme des médicaments demeurent souvent inconnues.
Quelles sont nos suggestions concernant les recherches et les politiques futures? Tout d'abord, il faut investir massivement dans la recherche qui vise à comprendre les causes sous-jacentes des troubles mentaux. Jusqu'à ce que nous découvrions la cause de la maladie, les médicaments continueront de réduire les symptômes plutôt que de guérir la maladie. À l'instar des investissements considérables effectués dans la recherche sur les maladies cardiovasculaires, le cancer et le sida qui se sont traduits par d'importantes découvertes et un meilleur traitement de ces troubles, une hausse semblable du financement s'impose pour comprendre les causes sous-jacentes des troubles mentaux. De surcroît, des investissements dans des façons novatrices pour traiter les problèmes de santé sont aussi urgents.
Deuxièmement, les gouvernements comptent trop sur les sociétés pharmaceutiques pour mener des recherches sur les médicaments. Nous devons constituer une capacité de recherche indépendante et objective pour effectuer des essais sur les médicaments une fois qu'ils sont approuvés. Ces recherches devraient mettre l'accent sur la sécurité et l'efficacité à long terme de ces médicaments et cibler plus précisément les jeunes et les personnes âgées.
Enfin, le Canada doit investir pour offrir aux médecins des formations impartiales axées sur les avantages et les risques des médicaments. Au cours des 20 dernières années, la majorité des formations à l'intention des médecins ont été commanditées par des sociétés pharmaceutiques, à qui l'on reproche d'être partiales. Il y a eu des changements stratégiques substantiels pour réduire la partialité potentielle dans la formation des médecins. Néanmoins, on a encore besoin de formations et de pratiques exemplaires qui ne sont pas axées sur le profit. Ces formations devraient adopter une approche exemplaire qui inclut des médicaments et de la psychothérapie.
En somme, l'utilisation non indiquée des médicaments est un outil essentiel pour traiter les gens qui souffrent de troubles mentaux sévères et invalidants. Les gouvernements ne peuvent pas compter sur les sociétés pharmaceutiques pour mener des recherches à long terme sur les causes et les traitements appropriés des troubles mentaux. Ces investissements amélioreront le traitement et réduiront le fardeau des maladies mentales pour la société canadienne.
Le président : Nous allons maintenant passer à la période des questions.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie beaucoup de vos déclarations. J'ai de nombreuses questions à poser. Je vais en poser le plus possible pour le moment.
Cette question s'adresse au Dr Sareen, mais je pense que tous les témoins ont mentionné ce point. Dans votre déclaration, vous avez dit que les médecins devraient passer en revue les publications médicales et envisager l'utilisation non indiquée de médicaments qui ont été approuvés. Ils devraient prendre des précautions raisonnables et s'assurer que ces utilisations sont appropriées. Ils devraient en informer les patients. M. Poston a mentionné dans sa déclaration qu'il faut informer les patients lorsque des médicaments sont prescrits à des fins non indiquées. Il faut un consentement éclairé.
D'après ce que j'ai compris, ces éléments relèvent des provinces, car il est question des médecins. C'est ce que font les médecins : ils prennent des décisions lorsqu'ils prescrivent des médicaments qui sont réglementés par les provinces. Savez-vous si des provinces réglementent les ordonnances des médecins à l'heure actuelle? D'après vous, de quelle manière le fédéral participera-t-il? Y a-t-il des provinces qui le font?
Dr Poston : Les provinces ont une certaine incidence sur cette question en ce sens qu'elles exercent un contrôle sur les pratiques en matière de remboursement. Par exemple, il se peut que les provinces exercent un contrôle sur les médicaments qui seront financés par le régime d'assurance-médicaments provincial. L'utilisation de nouveaux médicaments ou de médicaments coûteux sera certainement soumise à certaines conditions. On parle également d'une « utilisation limitée » ou d'une « utilisation exceptionnelle » des médicaments. Souvent, les provinces limitent leur utilisation à celle indiquée sur l'étiquette.
Mes collègues on décrit la situation, mais bon nombre des lignes directrices relèvent de la pratique de la médecine. Nous comptons sur des sociétés médicales spécialisées ou sur des groupes comme l'Association canadienne de protection médicale pour nous donner des directives relatives à leur utilisation.
Le sénateur Eggleton : Vous partagez tous ce point de vue? D'accord.
Monsieur Poston, vous avez avancé six arguments. Votre premier argument indiquait que les fournisseurs de soins de santé ne devraient prescrire des médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette que lorsque des données scientifiques valides appuient une telle utilisation. Dans quelle mesure les décisions que les médecins prennent de nos jours sont-elles fondées sur de telles données? À quel point est-ce le cas? Je suis d'accord avec vous que c'est ce qui devrait se passer — je pense que nous le sommes tous —, mais dans quelle mesure leurs décisions sont-elles fondées sur de telles données de nos jours, plutôt que sur leurs conversations avec d'autres médecins ou sur leurs lectures à ce sujet? Comment pouvons-nous vous aider à veiller à ce que des données scientifiques valides soient communiquées aux médecins?
Dre Laing : Je vais m'attaquer à cette question. Certes, dans mon domaine, cette question est soulevée fréquemment lorsque nous devons traiter des tumeurs inhabituelles et que nous pouvons examiner les résultats d'essais cliniques randomisés de troisième phase pour déterminer la meilleure façon de soigner un patient. Dans ces cas-là, nous prenons de nombreuses mesures.
Lorsque l'on examine la documentation, on constate que, dans ces situations, les données disponibles proviennent souvent d'essais cliniques de phases antérieures. Alors que la première phase sert à étudier l'innocuité des médicaments, la deuxième phase semble être consacrée davantage à l'étude de leur utilisation pour lutter contre un certain siège du cancer. Souvent, on peut passer en revue les lignes directrices ou les sites web provinciaux pour découvrir les protocoles ou les régimes chimiothérapeutiques qui sont approuvés pour différents sièges du cancer et pour obtenir ainsi des renseignements.
Bon nombre d'entre nous parlent à leurs collègues à l'échelle locale, provinciale et nationale pour connaître leur opinion sur des utilisations qui n'ont peut-être pas été encore documentées. Dans ces cas-là, les faits que nous examinons sont fondés sur l'opinion d'experts.
Le sénateur Eggleton : Cela se produit en ce moment, n'est-ce pas?
Dre Laing : C'est ce que nous faisons.
Le sénateur Eggleton : D'accord, mais pensez-vous que ce mécanisme devrait être renforcé?
Dre Laing : Dans bien des cas, ce seront les meilleures données dont nous disposerons. Il n'y aura pas de résultats d'essais cliniques randomisés à consulter parce qu'il n'y a pas suffisamment de patients atteints de ce type de tumeur pour mener ce genre d'essais.
Au Canada, ce sont les politiques de remboursement qui, au final, limitent l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette. Avant de pouvoir prescrire une cancérothérapie intraveineuse dans mon centre de cancérologie, il faut que celle-ci soit financée; il faut que ce soit un médicament éprouvé qui bénéficie d'un mécanisme de financement. Dans la plupart des centres, ce mécanisme est provincial. Dans plusieurs provinces, un budget provincial est prévu à cet effet. Dans certaines provinces, ce budget est réparti de manière à financer différents programmes de soins liés au cancer mais, pour bon nombre d'entre nous, ce budget est prévu pour toute la province.
Si l'on souhaite justifier l'utilisation d'un médicament à des fins non indiquées pour traiter un type de tumeur inhabituel ou rare, on doit faire ses devoirs, ce qui signifie qu'on doit, entre autres, passer en revue la documentation et parler à ses collègues à l'échelle nationale. Ensuite, bon nombre d'entre nous disposent d'un mécanisme dans le cadre duquel cette utilisation est présentée à un groupe qui comprend souvent d'autres médecins, qui ne sont pas des cancérologues, des éthiciens et des personnes qui examinent la question dans le contexte de la recherche.
Très souvent, le processus d'approbation de ces utilisations à des fins non indiquées sur l'étiquette varie d'une province à l'autre. À Terre-Neuve, nous devons remplir un formulaire d'une page. En Ontario, le processus que les oncologues doivent suivre s'appelle une approbation en vertu de l'article 8. En Colombie-Britannique, il y a un formulaire particulier à remplir. Des mécanismes sont prévus à l'échelle provinciale pour étudier bon nombre de ces utilisations à des fins non indiquées sur l'étiquette et, en particulier, les utilisations liées au traitement de tumeurs rares.
Le sénateur Eggleton : Si vous considérez qu'un rôle pourrait être joué à l'échelle nationale, en quoi pourrait-il consister?
Dre Laing : Dans le domaine de l'oncologie, par exemple, nous sommes chanceux à bien des égards, parce que nous bénéficions d'un processus oncologique pancanadien d'examen des médicaments. Les participants à ce processus examinent tous les nouveaux composés afin de déterminer si de nouvelles indications existent. Grâce à ce processus, nous avons déjà une structure en place qui nous permet d'examiner certains de ces enjeux plus attentivement.
Le sénateur Eggleton : Les personnes responsables de ce processus donnent-elles des conseils aux médecins?
Dre Laing : Elles examinent les nouveaux composés et formulent des recommandations à deux niveaux. Elles analysent leur efficacité clinique et la pharmacoéconomie, et en font rapport. C'est une entente qu'ont négociée tous les ministères de la Santé canadiens, à l'exception de celui du Québec.
Des recommandations sont formulées à l'intention des provinces et, au bout du compte, il leur revient de décider si elles approuvent ou non la recommandation. Elles le font la plupart du temps. Le problème tient essentiellement au financement.
Dr Sareen : C'est effectivement un défi. Les Instituts de recherche en santé du Canada ont également déclaré que lorsque la science avance, les nouveaux faits scientifiques mettent de 10 à 15 ans à atteindre les praticiens cliniques. Les instituts s'efforcent vraiment de concevoir de meilleurs moyens de disséminer rapidement les connaissances.
L'un des arguments que je faisais valoir est que nous nous sommes beaucoup trop fiés aux compagnies pharmaceutiques pour renseigner les médecins sur les médicaments. Nous devons faire appel à des associations impartiales, comme l'Association des psychiatres du Canada et l'ACPM, pour communiquer plus clairement des faits aux praticiens. Je pense que ce rôle est très important.
Dr Poston : Dre Laing a assez bien décrit la situation. Nous nous attendons à ce que les professionnels se tiennent au courant de bon nombre de ces développements en s'appuyant sur les mécanismes de perfectionnement professionnel continu qui sont mis à leur disposition. Toutefois, dans le cadre de sa récente initiative, le Conseil de la fédération, par exemple, examine précisément les lignes directrices de pratique clinique et la façon dont elles sont produites, diffusées et utilisées. Cette initiative a été entreprise afin de tenter de trouver un équilibre entre le rôle du gouvernement fédéral en matière de réglementation et le rôle des gouvernements provinciaux en matière de pratique médicale.
Le sénateur Eggleton : Notre analyste nous indique qu'aux États-Unis, jusqu'à 75 p. 100 des médicaments anticancéreux et des thérapies biologiques sont utilisés à des fins non indiquées sur l'étiquette. Je n'ai pas observé des chiffres aussi élevés dans vos exposés. Toutefois, maintenant je me rends compte que ces utilisations s'appliquent à l'oncologie et qu'elles sont plus fréquentes dans ce domaine. Je comprends cela, et j'en saisis les motifs, mais 75 p. 100? Ces utilisations sont-elles aussi fréquentes au Canada?
Dre Laing : Je pense que cela dépend du médicament que vous examinez. L'essai clinique que j'ai mentionné dans le Journal of Clinical Oncology étudiait 10 différents médicaments. L'un d'eux, un médicament connu sous le nom de bevacizumab, faisait l'objet du plus grand nombre d'utilisations à des fins non indiquées sur l'étiquette. Les nouveaux médicaments sont souvent ceux qui coûtent le plus cher. Ils font actuellement l'objet de recherches, mais celles-ci n'ont pas généré suffisamment de données pour qu'on puisse les recommander pour traiter les différents sièges du cancer. Le battage est là, comme on dit. Les patients et leur famille aimeraient avoir accès à ces médicaments, et les praticiens aimeraient pouvoir les prescrire à leurs patients. Les gens en question sont souvent atteints de tumeurs malignes incurables et ont déjà reçu les soins normaux. Ils savent qu'un nouveau médicament existe et que son efficacité a été prouvée contre le cancer du poumon ou du côlon, par exemple, mais non contre leur type de tumeur maligne. Cela se produit plus souvent aux États-Unis, en raison de la façon dont les médicaments sont remboursés là-bas. Il y a moins de chance que cela survienne au Canada, sauf si l'on tient compte du fait que, dans certaines provinces, les gens sont autorisés à payer eux-mêmes les médicaments anticancéreux.
La sénatrice Seidman : Monsieur Poston, il ne fait aucun doute que les pharmaciens jouent un rôle fort important dans ce domaine. En fait, nous l'avons entendu dire au cours des phases antérieures de notre étude sur les produits pharmaceutiques, une étude qui comporte quatre phases. Récemment, en 2011 pour être précis, le rôle des pharmaciens québécois s'est accru considérablement en ce qui a trait aux activités qu'ils sont autorisés à exercer.
Il est clair que les pharmaciens ont accès aux fiches des médicaments prescrits aux patients. Ils ont une relation directe avec les patients qui visitent la pharmacie pour faire exécuter leur ordonnance, et ils leur indiquent comment prendre les médicaments et les renseignent sur les effets secondaires possibles et les problèmes qui pourraient survenir.
Parmi les recommandations que votre association a formulées, il y en a deux que j'aimerais retenir, compte tenu de la déclaration que je viens de faire concernant le rôle des pharmaciens. Vous dites qu'il n'y a aucun moyen officiel de surveiller les événements ou les effets secondaires indésirables liés à l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette. Vous mentionnez également l'importance des systèmes électroniques, comme l'ordonnance électronique, les dossiers de santé électroniques, et cetera. J'ai prononcé cette longue tirade pour vous faire savoir que j'aimerais que vous parliez de cet aspect et des façons dont nous pourrions, à l'avenir, améliorer nos mesures de surveillance de l'utilisation de médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette et de l'innocuité de ces utilisations.
Dr Poston : Voilà une excellente question. Comme le Québec, de nombreuses provinces canadiennes ont adopté récemment des mesures législatives qui élargissent le champ de pratique des pharmaciens.
Je vais maintenant aborder précisément la question des systèmes électroniques. Il a été possible de rédiger le document portant sur l'étude de 2012 menée par un groupe de chercheurs de l'Université McGill, parce que le groupe en question avait permis à une multitude de médecins d'accéder à la même ordonnance électronique, c'est-à-dire les soi- disant pratiques médicales de l'avenir. Dans ce système, les médecins devaient non seulement saisir le médicament et la dose qu'ils avaient prescrits, mais aussi préciser l'indication pour laquelle le médicament était utilisé.
Selon la pratique générale en vigueur au sein de la communauté médicale, aucun lien n'est établi entre le médicament et l'indication. Les pharmaciens reçoivent une ordonnance pour le médicament, mais aucun renseignement concernant l'indication thérapeutique. Grâce aux discussions qu'ils peuvent avoir avec leurs clients et aux dossiers qu'ils tiennent, il se peut qu'ils connaissent ce renseignement et qu'ils soient en mesure de porter un jugement sur la justesse du médicament prescrit. Toutefois, je pense que l'expérience acquise au cours du projet de soi-disant PMA offre un excellent exemple de l'endroit dans le système où le médecin choisit le médicament et saisit l'indication thérapeutique. Si nous disposions de tels systèmes, nous serions en mesure de créer une base de données dans laquelle figurerait la liste des patients qui prennent des médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette, de surveiller leur état de santé et de faire un suivi.
Je pense que, dans la pratique, les pharmaciens comprendront pourquoi le médicament est prescrit au patient et seront en mesure de renforcer la position que le médecin a adoptée le prescrivant. S'ils sont préoccupés par la justesse de l'ordonnance, ils seront bien placés pour soulever la question auprès du médecin. À l'heure actuelle, cette documentation et ces renseignements n'existent pas.
La sénatrice Seidman : Les renseignements que vous nous communiquez sont utiles.
Avez-vous des recommandations à formuler concernant, par exemple, la façon dont on pourrait favoriser la communication du genre de renseignements dont nous parlons? Je sais que vous avez cité l'excellent exemple du système de santé électronique de Montréal.
Dr Poston : Nous observons également des progrès dans les régions du pays où la réforme des soins de santé primaires est allée de l'avant et où des équipes multidisciplinaires de soins de santé en milieu familial ont été établies. Dans à peu près toutes les provinces, une initiative liée aux équipes en matière de santé familiale est en cours. Ces équipes emploient habituellement un ou plusieurs pharmaciens. Je crois que nous commençons à observer l'évolution de ce que j'appellerais les politiques locales en matière de prescription qui font partie des pratiques qui toucheront des questions comme l'utilisation des médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette, laquelle peut s'appliquer aux enfants, au soulagement de la douleur ou à un certain nombre de domaines.
Dre Laing a mentionné la mise au point et l'utilisation de médicaments anticancéreux oraux. Si le régime d'assurance-médicaments autorise leur remboursement, de nombreux patients peuvent être traités hors des hôpitaux. Récemment, au cours de notre dernière conférence, par exemple, un pharmacien spécialisé en oncologie a parlé du fait que des médicaments oraux étaient utilisés au sein des collectivités afin de s'assurer que leurs pharmaciens étaient tenus au courant de certaines des nouvelles cancérothérapies utilisées dans la pratique.
Cela se résume vraiment à la prise d'arrangements en matière de pratiques de collaboration qui permettent d'échanger des renseignements pertinents et à la question de savoir si ces échanges se dérouleront par voie électronique ou à l'aide de pratiques. Nous devons tous nous employer à améliorer la façon dont nous saisissons les renseignements et les échangeons.
La sénatrice Seidman : Je pense que la solution consiste toujours à discuter de la question. Qui saisira les données centrales appuyant cette information, et qui s'assurera qu'elles sont exactes? C'est toujours là le problème fondamental. Vous avez raison de dire qu'il est important d'échanger des renseignements, mais il faut disposer d'un organe d'archivage que tous peuvent utiliser à cet effet.
Dr Poston : Dans l'étude liée aux PMA que j'ai mentionnée et l'exemple que Dre Laing a cité, les recherches ont pu être menées en raison de l'existence d'un — et c'est le terme technique employé dans les hôpitaux — système informatique de saisie des commandes du médecin. En d'autres termes, il y avait des ordonnances électroniques. Il a été possible de mener l'étude parce que les données étaient saisies dans un système d'ordonnances électroniques.
La sénatrice Seth : Je tiens à vous remercier tous des précieux renseignements que vous nous communiquez.
Je constate que l'utilisation de médicaments à des fins qui diffèrent de celles indiquées sur l'étiquette devient courante et que sa fréquence augmente. Toutefois, ce type d'utilisation est fréquent chez les cancéreux. Pouvez-vous expliquer pourquoi les traitements anticancéreux nécessitent aussi souvent l'utilisation non indiquée sur l'étiquette de médicaments? Utilisez-vous également des médicaments à des fins non indiquées sur l'étiquette dans le cadre d'essais cliniques, c'est-à-dire pour traiter des patients?
Dre Laing : Voilà une excellente question. Je pense que cela tient à deux principales raisons. L'une d'elles est que bon nombre des médicaments chimiothérapeutiques que nous utilisons existent depuis longtemps.
La plupart des nouveaux médicaments utilisés en oncologie ne sont pas des chimiothérapies cytotoxiques normales. Ce sont ce qu'on appelle des thérapies ciblées qui posent les questions suivantes : quel facteur a causé le développement du cancer, et comment pouvons-nous bloquer, éliminer ou stopper ce facteur?
Un grand nombre de nos traitements reposent sur l'action conjuguée de nouveaux médicaments et d'anciens médicaments, dont bon nombre existent depuis 20 ou 30 ans. Ce sont des médicaments génériques dont l'indication thérapeutique peut se limiter à un siège particulier du cancer, bien qu'il existe de nombreuses sortes de cancer.
Par exemple, l'un de ces médicaments est appelé cisplatine. C'est l'une des toutes premières chimiothérapies à avoir été prescrites, et elle est maintenant utilisée pour traiter le cancer de la tête et du cou. Son administration est accompagnée d'un autre médicament biologique. Si vous examinez l'étiquette de ce médicament âgé de 30 ans, vous constaterez qu'elle n'indique nulle part que ce médicament peut être utilisé pour traiter le cancer de la tête et du cou, et elle ne l'indiquera jamais, car personne ne s'adressera de nouveau à l'organisme de réglementation pour demander que le médicament soit approuvé pour traiter ce genre de cancer. Voilà l'un des problèmes.
Voilà pourquoi, lorsque nous entendons dans notre hôpital des discussions sur le plan pharmaceutique et thérapeutique dans le cadre desquelles on nous explique que nous ne devons jamais utiliser un médicament à des fins non indiquées sur l'étiquette, nous levons toujours la main et soutenons qu'il y a de nombreuses raisons de le faire.
Il y a aussi un autre exemple. Il y a beaucoup d'affections malignes distinctes, mais beaucoup d'entre elles ont un problème commun. Par exemple, un médicament que l'on appelle le trastuzumab, qui cible le HER2, un facteur de croissance, était initialement prescrit pour le cancer du sein, mais nous avons découvert qu'il est aussi très utile pour le cancer gastrique. L'indication thérapeutique initiale du trastuzumab et le cancer du sein. Beaucoup d'essais cliniques pertinents démontrent maintenant qu'il est utile pour le cancer gastrique, mais il revient alors à la société pharmaceutique de recommencer le processus et de demander l'ajout de cette indication. Elles le feront, encore et encore, et un moment donné, elles ne le feront plus. C'est en raison du long processus que l'on exige de la société pharmaceutique. De plus, sur le plan réglementaire, il faut, dans tous les cas, que cela provienne de la société pharmaceutique.
Dans notre processus pancanadien d'examen des médicaments en oncologie qui a été créé récemment, il y a un mécanisme qui permet aux programmes de soins contre le cancer, aux organismes de lutte contre le cancer et aux groupes provinciaux sur les tumeurs de présenter une demande, ce qui est bien, parce que cela permet à d'autres et non seulement à l'industrie pharmaceutique de demander qu'on examine quelque chose.
Voilà la raison. Cela résulte du fait que beaucoup de ces médicaments existent depuis longtemps et comportent de nombreuses indications thérapeutiques pour de nombreuses tumeurs et peuvent même être utilisés pour de nombreux traitements et traitements combinés pour le même siège de la maladie.
La sénatrice Seth : Ma question portait aussi sur les essais, en supposant qu'il s'agit d'un patient atteint d'un cancer et qui ne répond à aucun traitement.
Dre Laing : Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, en oncologie nous appuyons fortement la recherche par essais cliniques. À l'échelle nationale, nous participons au Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada et nous menons aussi des essais financés par l'industrie. Dans la mesure du possible, dans cette situation, nous préférons encourager la participation à un essai clinique. S'il s'agit d'une situation où nous avons un patient qui a reçu tous les traitements habituels, il faudrait des preuves suffisantes, peut-être pas des preuves de la phase III, mais à tout le moins certaines preuves indiquant que l'innocuité et l'efficacité du médicament en surpasseraient les avantages avant de l'utiliser. On ne choisira pas simplement un médicament qui n'a jamais été utilisé pour un siège de cancer donné pour ensuite dire au patient : « Puisque nous n'avons plus d'options, nous allons essayer celui-ci sur vous. » Nous suivons les mêmes lignes directrices que celles qui sont formulées dans les recommandations de l'ACPM. Nombreux sont ceux qui, parmi nous, ont un processus dans le cadre duquel on étudie la littérature disponible, que l'on présente ensuite lors de la conférence de cas, avant d'utiliser, peut-être, un médicament pour lequel il existe des preuves, même s'il ne s'agit pas de preuves d'un essai randomisé. Il ne fait aucun doute que s'il n'y avait pas de preuves, nous n'utiliserions pas le médicament.
[Français]
La sénatrice Verner : Je vais m'adresser à vous en français. Pour faire suite à la question posée par le sénateur Eggleton, on était dans le même rayon de questions. Vous avez déjà fourni une partie de la réponse à la question que je voulais vous poser sur la façon dont les professionnels de la santé déterminent les risques et les avantages pour la santé d'un patient lors d'une utilisation non indiquée d'un médicament.
Je crois comprendre qu'il y a beaucoup de consultations auprès des collègues, entre autres, l'Association nationale des oncologistes donne beaucoup d'informations. Est-ce le cas pour tous les professionnels de la santé?
Des études cliniques d'autres pays servent de base pour déterminer si un médicament peut être prescrit en dehors de son inscription à Santé Canada?
[Traduction]
Dre Laing : Premièrement, pour répondre à la question sur la détermination des risques et des avantages, le risque associé à un médicament est similaire, peu importe les indications thérapeutiques. Souvent, nous connaissons un médicament parce qu'il a été utilisé pour un autre siège tumoral, de sorte que nous aurons une assez bonne connaissance des effets secondaires potentiels du médicament.
Quant aux avantages, cela dépend de la situation clinique. Lorsque nous donnons à des patients un traitement adjuvant pour un autre traitement, nous voulons nous assurer qu'il n'y a pas d'effets secondaires à long terme et qu'il y a des données suffisantes qui indiquent que cela aidera les patients à vivre plus longtemps et sans cancer.
La sénatrice Verner : Où trouvez-vous ces données?
Dre Laing : Elles peuvent provenir d'essais qui ne sont pas des essais de phase III, dont des essais de phase II où l'on étudie des choses comme le taux de réponse et quelque chose que l'on appelle la survie sans progression, c'est-à-dire la période piscicole entre le moment où un patient commence le traitement jusqu'à celui où le cancer progresse ou s'aggrave et qu'il faut avoir recours à un autre traitement. Dans le cadre d'un traitement métastatique, nous n'avons pas toujours de données sur la survie globale.
Pour ce qui est des autres pratiques de la médecine, je pense que beaucoup de mes collègues qui travaillent dans d'autres domaines feraient la même analyse des risques et des avantages. Je pense que nous le faisons beaucoup plus souvent en oncologie en raison du genre de médicaments que nous utilisons. Nous avons recours au consentement éclairé, et cela fait partie de notre travail en raison de la toxicité des médicaments que nous utilisons depuis de nombreuses années. Les médicaments plus récents, que nous appelons une thérapie ciblée, même s'ils sont administrés par voie orale, sont associés à beaucoup d'effets toxiques.
Il ne fait aucun doute que nous avons besoin des essais cliniques réalisés dans d'autres pays. Parmi les essais importants, beaucoup ont lieu aux États-Unis. Nous comptons beaucoup sur nos homologues européens. Les oncologues médicaux canadiens et européens ont des approches très similaires dans leur travail. Nous assistons à leurs réunions et nous étudions leurs essais. Nous examinons les recommandations de l'EMEA. Beaucoup de nos décisions sont fondées sur des renseignements provenant d'autres pays.
[Français]
La sénatrice Verner : Concernant les déclarations d'effets secondaires qui seraient liées à la prescription d'un médicament non indiquée, à l'heure actuelle, les fabricants et les professionnels de la santé peuvent déclarer à Santé Canada les effets indésirables; il y a un processus pour le faire.
Croyez-vous que c'est envisageable de demander aux professionnels de la santé, lorsqu'ils déclarent les effets indésirables, d'indiquer qu'il s'agissait d'un médicament dont l'utilisation était non indiquée, pour accumuler un peu d'information sur ce type d'utilisation?
[Traduction]
Dre Laing : Oui.
[Français]
La sénatrice Verner : Vous croyez que les professionnels de la santé en général seraient d'accord si on leur demandait?
[Traduction]
Dre Laing : Oui.
Dr Poston : Je pense que ce qui se produit, c'est qu'en pratique, on demande d'indiquer sur le formulaire l'indication thérapeutique utilisée. Je crois que ces données sont recueillies.
Dre Laing : Lorsque nous fournissons ce genre d'information, nous donnons le plus de détails possible. Le problème, c'est que nous ne sommes pas toujours très bons dans ce domaine. J'admets qu'il y a des cas où l'on observe des toxicités. Or, je ne pense pas que nous signalons les toxicités postcommercialisation à Santé Canada aussi souvent que nous devrions le faire.
La sénatrice Cordy : Vous avez été d'excellents témoins et il ne fait aucun doute que vous êtes très bien informés étant donné les réponses que vous avez données aux questions qui ont été posées. Il est formidable d'avoir un premier groupe d'experts de si haut calibre.
Les médicaments prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette ont déjà fait l'objet d'essais cliniques, mais pas pour l'utilisation que vous en faites. Docteure Laing, je sais que vous avez parlé plus tôt des difficultés liées au fait de s'adresser de nouveau à l'organisme de réglementation et au temps requis, mais devrait-il y avoir une limite de temps pour l'utilisation d'un médicament à des fins non indiquées sur l'étiquette? Devrions-nous recueillir des données et exercer une surveillance? Lorsque j'ai entendu votre commentaire, je me suis demandé s'il devrait y avoir une limite de temps. Ensuite, lorsque j'ai entendu votre réponse concernant le fait qu'il faut présenter une nouvelle demande à l'organisme de réglementation, j'aurais tendance à penser que vous ne pourriez pas l'utiliser pendant cette période. Cependant, je ne suis pas certaine que ce serait long. L'utilisation à des fins non indiquées sur l'étiquette d'un médicament approuvé pour une autre utilisation peut-elle se poursuivre indéfiniment?
Dre Laing : Je pense que cela dépend de ce qui distingue l'utilisation non indiquée de l'utilisation indiquée. En oncologie, une grande partie des cas d'utilisation non indiquée est attribuable au libellé très précis de l'étiquette. Il pourrait être indiqué qu'on ne peut l'utiliser que pour un traitement de première intention, qui ne doit être utilisé qu'en association avec un autre médicament ou seulement dans certaines circonstances. En oncologie, dans beaucoup de cas, je pense que si l'on passe de l'utilisation d'un médicament dans un traitement métastatique à son utilisation dans un traitement adjuvant ou curatif, il serait nécessaire de demander une nouvelle indication de Santé Canada. Lorsqu'on décide de passer d'un siège de la maladie à un autre, c'est-à-dire d'utiliser d'abord un médicament pour le cancer du sein, puis, pour le cancer colorectal, on s'attend souvent à ce que le médicament soit soumis à un processus d'approbation et qu'on ajoute une nouvelle indication pour le nouveau siège tumoral.
Lorsque les indications deviennent trop restrictives et que nous acquérons ensuite de l'expérience clinique sur l'utilisation de médicaments ou lorsque de nouvelles études sont publiées, il devient difficile de recommencer le processus et de continuer d'ajouter une indication après l'autre.
Dr Poston : Je pense que cela dépend de la prévalence de la maladie. S'il s'agit d'une maladie très courante et que le médicament que l'on utilise à des fins non indiquées sur l'étiquette semble très efficace, la tenue d'essais cliniques, de travaux de recherche et l'ajout de l'indication sont probablement dans l'intérêt de beaucoup de gens.
L'autre aspect qui constitue peut-être un argument favorable pour le faire, c'est lorsque les avantages sont discutables, c'est-à-dire lorsque certains patients semblent bénéficier de l'utilisation non indiquée sur l'étiquette alors que d'autres peuvent avoir des effets secondaires ou des effets indésirables. Dans une telle situation, je pense que cela souligne clairement la nécessité de faire des recherches en vue d'ajouter l'utilisation non indiquée.
L'ironie, c'est que nous constatons que la plupart des cas d'utilisation à des fins non indiquées sur l'étiquette concernent d'anciens médicaments qui existent depuis longtemps. Souvent, ce sont des médicaments passés dans le domaine public; on a donc peu de raisons d'appuyer la recherche clinique à cet égard. Une innovation intéressante, c'est ce dont la Dre Laing a parlé, où les groupes de médecins peuvent faire valoir que la recherche est nécessaire et qu'une indication devrait être ajoutée.
La sénatrice Cordy : Tout médicament a des effets secondaires; cela n'est-il donc pas important? Vous espérez que les avantages l'emportent sur les risques? Je suis toujours nerveuse lorsque je pense à certaines utilisations non indiquées sur l'étiquette.
Les sociétés pharmaceutiques n'ont pas le droit de faire de la publicité pour une utilisation non indiquée, mais peuvent-elles offrir des séances de perfectionnement professionnel pour des pharmaciens et des médecins afin de leur donner des informations sur des utilisations non indiquées sur l'étiquette? Je crois que ma question est la suivante : y a- t-il moyen de contourner la loi?
Dr Poston : Il serait intéressant d'avoir les commentaires des médecins. Il s'agit d'un aspect où il est plutôt difficile de trouver un équilibre. Aux États-Unis, il y a eu récemment beaucoup de mesures législatives et beaucoup de discussions à cet égard. Je pense que l'aspect pour lequel les gens essaient de trouver un équilibre, c'est de permettre l'échange de renseignements de façon à ce que les médecins et les pharmaciens soient informés. Toutefois, il est interdit de faire la promotion de médicaments. Du point de vue des sociétés pharmaceutiques, la difficulté, c'est qu'il est possible qu'un médecin, dans un hôpital, utilise un médicament de façon différente et obtienne de bons résultats, mais qu'il n'a pas beaucoup de patients. Pour faire de la recherche, il faut plus de patients. Il faut donc aller sur le terrain et parler à d'autres petits groupes de médecins qui traitent ce genre de patients de façon à avoir assez de personnes pour tenir un essai clinique. La distinction entre l'échange de renseignements et la promotion est très subtile. Pour régler cette question, une des difficultés est de savoir où fixer la limite.
La sénatrice Cordy : Docteur Sareen, je sais qu'en psychiatrie, le recours à des utilisations non indiquées sur l'étiquette est assez fréquent dans le traitement des épisodes psychotiques. Comment déterminez-vous l'efficacité d'une utilisation non indiquée alors que beaucoup de personnes qui suivent un traitement psychiatrique utilisent plus d'un médicament et qu'une bonne partie des utilisations non indiquées vise à traiter des symptômes résiduels — les effets secondaires — et à améliorer la qualité de vie? Comment faites-vous pour déterminer que l'utilisation non indiquée sur l'étiquette fonctionne vraiment?
Dr Sareen : C'est une excellente question. Souvent, l'objectif est de faire un suivi auprès du patient et d'un membre de sa famille. En psychiatrie, le recours à une utilisation non indiquée sur l'étiquette peut être lié au traitement des symptômes résiduels de la maladie principale, au traitement de gens qui souffrent de dépression ou d'un trouble psychotique qui ont répondu partiellement à un médicament et qui ont ensuite eu des effets secondaires, de sorte qu'on ne peut pas augmenter la dose de ce médicament, et qui utilisent un autre médicament pour essayer d'atténuer les symptômes.
La question est d'essayer d'étudier les lignes directrices de pratique clinique et la recherche, pas seulement à l'échelle nationale, mais aussi à l'échelle internationale, pour savoir si l'ajout de ces médicaments est utile et bénéfique. Il s'agit aussi d'étudier ces lignes directrices et d'écouter les patients. Les miens vous le diront. Je m'assois avec eux et je fais un suivi. En ce moment, j'ai une patiente qui souffre d'un trouble bipolaire. Elle a dit qu'elle a eu un épisode de dépression et elle veut savoir si elle devrait prendre le médicament à long terme ou non. Il est très important d'indiquer que les gens devraient être suivis pour savoir comment ils se portent quand ils prennent le médicament et quand ils ne le prennent pas.
On voit aussi cette situation assez souvent dans les cas de grossesses pour des mères qui ont été malades, dont l'état est maintenant stable, et qui se demandent si elles devraient continuer à prendre le médicament ou non. Si vous examinez les preuves qui vous servent de guide, bien peu de preuves indiquent si les gens devraient continuer à prendre le médicament ou non. Ce sont des lignes directrices, de sorte que la décision véritable est prise par le patient et le médecin. On juge l'arbre à ses fruits : c'est lorsqu'on parle au patient que l'on sait comment il se porte lorsqu'il ne prend pas le médicament. C'est vraiment lié au suivi du patient quand il prend le médicament et quand il ne le prend pas.
La sénatrice Cordy : Parfois, pour des troubles comme la schizophrénie, les effets secondaires du médicament lui-même peuvent être débilitants, de sorte que la personne veut cesser de prendre le médicament en raison de la sécheresse de la bouche, par exemple. C'est souvent dans de tels cas que l'on a recours à une utilisation non indiquée sur l'étiquette d'un médicament. Est-ce exact?
Dr Sareen : Oui. Cela pose toujours un défi. La bonne nouvelle, en ce qui a trait aux médicaments pour les troubles psychiatriques, c'est que nous avons maintenant beaucoup le choix. Des années 1950 jusqu'aux années 1970, il n'y avait essentiellement qu'un ou deux antidépresseurs et un ou deux antipsychotiques. Maintenant, il y en a presque trop. Lorsque je suis avec une personne qui souffre de dépression, j'ai une liste de 20 antidépresseurs que je pourrais utiliser et qui sont tous accompagnés d'indications. Il ne s'agit en aucun cas d'utilisations non indiquées sur l'étiquette. J'essaie de déterminer quel médicament pourra aider le patient. Nous accusons un grand retard par rapport à l'oncologie, car nous n'avons pas de lignes directrices en ce qui a trait à des essais biologiques ou à un profilage génétique qui indiqueraient qu'un médicament pourrait être efficace. On fonctionne quelque peu par essais et erreurs, mais dans la majorité des cas, particulièrement pour la schizophrénie et la dépression majeure, on a beaucoup plus recours à une utilisation indiquée sur l'étiquette qu'à une utilisation non indiquée.
Le sénateur Enverga : Il semble que nous avons fait beaucoup de progrès en matière de recherche. Nous avons dépensé des milliards de dollars pour tous ces médicaments et d'autres formes de recherche. Dans quelle mesure faites-vous confiance à l'utilisation non indiquée sur l'étiquette d'un médicament? Quelle certitude avez-vous lorsque vous cherchez à savoir si vous aurez recours à une utilisation non indiquée ou une utilisation indiquée? En tant que praticien, quel est votre degré de confiance par rapport à l'utilisation non indiquée ou l'utilisation indiquée d'un médicament?
Dr Sareen : Pour ce qui est de l'utilisation non indiquée sur l'étiquette, je crois que cela varie, en réalité. Comme la Dre Laing l'a indiqué, certains médicaments existent depuis longtemps. Le fait qu'on les utilise à des fins non indiquées sur l'étiquette ne signifie pas qu'ils sont inefficaces. En fait, ils pourraient être plus efficaces que certains médicaments plus récents. Pour choisir un médicament, la plupart des médecins, surtout en psychiatrie, s'en remettent bien plus aux examens systématiques et aux lignes directrices pour la pratique clinique qu'à la question de savoir s'il s'agit d'une utilisation non indiquée sur l'étiquette ou d'une utilisation indiquée.
Le sénateur Enverga : Il semble que tout ce qui est lié au traitement oncologique est personnalisé, n'est-ce pas? Avez- vous une base de données que tous peuvent consulter ou l'on indique que « ceci s'applique à ce médicament »?
Dr Sareen : Oui.
Le sénateur Enverga : Pour les patients?
Dre Laing : Vous avez raison. De nos jours, on parle souvent de soins personnalisés dans le traitement des patients en oncologie. Si j'ai 15 patientes atteintes du cancer du sein dans une clinique, elles seront toutes traitées de façon très différente. Tout dépend de la composition biologique de la tumeur; nous sommes très chanceux de pouvoir désormais utiliser le test Oncotype DX, qui nous donne de véritables indications sur la cause du cancer, en plus d'outils comme les récepteurs hormonaux.
Je dois ensuite déterminer les maladies concomitantes de la patiente, sa couverture d'assurance-médicaments, l'endroit où elle habite, son désir de faire l'aller-retour au centre anticancéreux, et ainsi de suite. De nombreux éléments entrent en ligne de compte.
L'approche est très personnalisée. En oncologie, nous sommes chanceux d'avoir de nombreuses données biologiques fiables pour guider le traitement que nous administrons. Nous procédons encore beaucoup par essais et erreurs, mais une grande part des décisions sont très précises.
Je dirais que nous sommes parfaitement à l'aise avec 90 p. 100 des médicaments que nous administrons pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette. Nous avons une grande expérience médicale concernant ces médicaments et les utilisons constamment. Par exemple, d'excellents essais de phase III sur échantillon aléatoire confirment qu'on peut améliorer le taux global de survie en administrant un médicament qu'on appelle le docétaxel en combinaison avec un autre médicament. Cet emploi ne se trouve peut-être pas sur l'étiquette, mais il est confirmé par un grand nombre de données probantes. Nous avons cette possibilité, et je trouve que cet usage est bien souvent plus important que celui entériné sur l'étiquette. D'excellents éléments de preuve de niveau 1 le confirment.
Le sénateur Enverga : Si vous dites que vous êtes certaine de l'emploi dans 90 p. 100 des cas, ou que vous êtes à l'aise avec celui-ci, pourquoi ne pas l'ajouter à la monographie?
Dre Laing : C'est aux sociétés pharmaceutiques qu'il incombe de revenir en arrière pour demander l'ajout d'un emploi, mais elles ne le font pas toujours. Elles passent à autre chose, et le médicament devient générique. Les sociétés poursuivent leur chemin et explorent une autre localisation de maladie, mais n'ignorent pas que le médicament est employé ainsi. L'usage est encouragé dans le guide de pratique clinique, et les organismes provinciaux de lutte contre le cancer remboursent le médicament. Par conséquent, rien ne motive vraiment les sociétés à revenir en arrière.
C'est une sorte de liste qui confirme que l'emploi convient parfaitement, même s'il n'est pas conforme.
Il arrive aussi que nous n'ayons tout simplement pas la chance d'avoir autant de données. C'est le cas des tumeurs rares, où il faut vraiment chercher des données probantes et discuter avec ses collègues avant de présenter une proposition de traitement au patient.
Mais ce genre d'expérience nous permet d'apprendre. Je trouve que c'est à nous qu'il incombe de partager notre expérience. Nous le faisons en nous réunissant pour en discuter et en publiant des articles sur le sujet.
J'ai un patient atteint d'une tumeur rare qui est passé de la clinique pédiatrique à celle pour adultes. J'ai trouvé un rapport japonais faisant état de l'utilisation du témozolomide, un médicament auquel je suis très habituée en oncologie. J'ai avoué au jeune homme de 20 ans que je n'avais jamais traité un autre patient atteint de cette maladie, mais que celle-ci était décrite dans la littérature. Je lui ai dit que j'ai pu trouver un autre cas et que je sais comment administrer le médicament en question. Je lui ai donc prescrit ce médicament, auquel il a réagi de façon magnifique. J'ai donc rédigé un article à ce sujet. C'est ainsi que nous partageons nos expériences pour en faire bénéficier les autres.
Nous nous devons de partager notre savoir et d'utiliser l'information de façon responsable. Disons qu'une patiente atteinte d'un cancer du sein me demande un médicament particulier; je peux lui dire qu'il n'existe pas de données probantes sur le sujet, mais que le médicament fait l'objet d'une étude clinique de phase I au MD Anderson Cancer Centre. Je devrai toutefois refuser de lui administrer le traitement puisque je n'ai pas suffisamment de données probantes pour le faire. C'est le genre d'emploi non conforme qu'il faut éviter.
J'ignore si certains d'entre vous connaissent le médicament bévacizumab, ou Avastin, qui présente un grand intérêt pour bien des raisons. D'une part, c'est un des premiers médicaments que les patients canadiens ont eu le droit de payer eux-mêmes au privé. Lorsqu'il a été approuvé pour le traitement du cancer colorectal métastatique, les provinces n'ont pas toutes accepté de le payer; les cliniques privées se sont donc organisées pour contester la Loi canadienne sur la santé.
Aux États-Unis, la FDA a approuvé conditionnellement le médicament chez les patients atteints du cancer du sein. Le Canada n'a jamais insisté pour obtenir cette approbation et n'a jamais employé le médicament à cette fin. Plus tard, la FDA a retiré son approbation. La toxicité du médicament était bien connue et était la même que si on l'administrait à un patient atteint du cancer du poumon, du cancer du côlon ou d'une tumeur cérébrale. Les bienfaits n'ont rien à voir.
L'avantage du médicament était donc bien mince chez les patients atteints du cancer du sein : une durée de survie sans progression de trois ou quatre semaines au foyer métastatique s'accompagnant toutefois d'une possibilité de saignements et de perforations de l'intestin. Cet usage du médicament a donc été retiré. Son emploi chez les patients atteints d'un cancer colorectal métastatique est très efficace, mais pas du tout chez les patients souffrant d'autres types de cancer.
Nous en savons plus sur ces médicaments au fil du temps, et ces données changent la donne. Les médecins prescripteurs et les organismes de réglementation aussi ont le devoir de surveiller les médicaments et de se permettre de changer d'avis, en quelque sorte.
La sénatrice Martin : Dre Laing, votre dernière réponse oriente certaines de mes questions. C'est le Dr Sareen qui a fait la déclaration la plus alarmante ou percutante de la séance, en disant qu'il est illégal pour une société pharmaceutique de promouvoir l'emploi non conforme d'un médicament, alors que les médecins peuvent le prescrire pour cet usage en toute légalité. Cette affirmation me pose problème; même si vous représentez bien vos professions et domaines, il y en a toujours qui sont peut-être moins bien informés ou renseignés. J'ai plusieurs questions. Est-ce attribuable à un manque d'information, à une quantité suffisante d'information, ou à un mélange des deux? Quelles sont les lacunes du système actuel?
À une certaine époque, mon père m'a désignée pour optimiser sa médication. Je ne me rendais pas compte qu'il prenait 15 médicaments différents. Certains neutralisaient les autres et entraînaient des effets secondaires indésirables.
Y a-t-il trop ou trop peu d'information? Comment tout cela est-il coordonné? Où sont les lacunes? Nous aimerions que tous les médecins fassent comme vous lorsqu'ils prescrivent des médicaments à leurs patients. Mais qu'arrive-t-il dans le cas contraire, si la médication n'est pas optimisée et que des médicaments sont prescrits pour un emploi non conforme? Vous dites que c'est très efficace dans 90 p. 100 des cas, mais les 10 p. 100 qui restent m'inquiètent. Cet outil peut être très efficace ou tout à fait néfaste.
Je m'intéresse aux lacunes et aux préoccupations. Comment peut-on remédier au problème?
Dr Sareen : Comme je l'ai dit, l'emploi non conforme d'un médicament est une pratique très importante qui repose habituellement sur des données probantes, tel que mes confrères l'ont expliqué. Le défi en présence d'un trouble émotif, c'est que la maladie se manifeste souvent par des symptômes à plusieurs niveaux — cela nous ramène à certaines questions sur la schizophrénie. Nous comprenons peut-être mal la cause de la maladie, mais nous reconnaissons une série de symptômes. Les médecins prescrivent souvent des médicaments pour essayer de soulager ces symptômes, et les effets secondaires sont courants. Il arrive bel et bien que des patients prennent plusieurs médicaments à certains moments.
Un des problèmes, c'est que nous comprenons mal quel médicament est utile et bénéfique à long terme. Certains patients prennent cinq ou six médicaments à la fois, et c'est très important. Les guides de pratique clinique recommandent souvent aux médecins de les passer en revue pour évaluer si chacun est nécessaire. Le patient a-t-il besoin de deux antipsychotiques, de trois médicaments pour dormir et de deux antidépresseurs différents? On s'efforce de diminuer le nombre de médicaments différents qui composent la polythérapie.
C'est justement la question qui intéresse le programme IMPRxOVE du Manitoba, selon lequel une sorte d'ordonnance électronique parvient au gouvernement provincial. Disons qu'un médecin prescrit des benzodiazépines à une personne âgée pendant plus de 90 jours, contrairement aux recommandations des lignes directrices. Le gouvernement met actuellement à l'essai un programme de sensibilisation où il envoie une lettre au médecin pour l'aviser que le patient ne correspond pas aux recommandations des lignes directrices, et pour lui suggérer d'autres pistes de réflexion conformément à celles-ci. L'objectif est de lui fournir de l'information. Il s'agit d'un nouveau programme. Le gouvernement manitobain veut déterminer s'il peut avoir une incidence sur la pratique.
Comme nous l'avons dit, il faut 10 à 15 ans pour transmettre le savoir. Les patients finissent souvent par prendre une multitude de médicaments. Les médecins de famille sont occupés et n'ont pas beaucoup de temps. Si un patient prend six médicaments pour traiter dépression, anxiété et alcoolisme, comment déterminer lequel est efficace ou non? Il faut prendre le temps d'y réfléchir et assurer un certain suivi.
Dr Poston : La question que vous avez posée au sujet des lacunes est vraiment importante. À vrai dire, c'est entre les milieux hospitalier et communautaire qu'un écart considérable se creuse relativement au continuum de soins. Les spécialistes des hôpitaux et des cliniques — un milieu très bien défini — ont beaucoup de contrôle sur leurs patients. Or, il arrive que des problèmes surviennent lorsque le patient retourne dans le milieu communautaire.
L'Institut canadien pour la sécurité des patients a conçu et mis en avant une procédure de bilan comparatif des médicaments — qui est devenue une norme d'agrément pour bien des hôpitaux. Lorsque le patient reçoit son congé, on coordonne et compare les médicaments déclarés à ceux qu'il a reçus pendant son séjour à l'hôpital. Dans le milieu communautaire, les pharmaciens s'en chargent souvent. À l'hôpital, il arrive souvent que des médicaments soient ajoutés au traitement du patient ou supprimés de celui-ci. Bien des modifications peuvent être apportées à un traitement médicamenteux pendant un séjour à l'hôpital.
Ce bilan comparatif des médicaments au moment de l'admission et du congé de l'hôpital a été conçu par l'Institut canadien pour la sécurité des patients. Il vise à éviter les erreurs et à veiller à ce que les changements apportés au traitement du patient se reflètent dans la séquence de soins.
De grands efforts sont déployés pour corriger véritablement certaines lacunes du milieu de la santé. Si un patient réagit bien à l'emploi non conforme d'un médicament à l'hôpital, la modification apportée à sa médication se reflétera dans le milieu communautaire. De même, si un patient reçoit un médicament pour un emploi non conforme, mais que celui-ci ne répond pas aux attentes, le milieu hospitalier s'en apercevra et pourra peut-être modifier le traitement lorsque le patient sera sous sa charge.
La sénatrice Martin : Puisque vous dites que l'outil est en création, la procédure doit actuellement varier d'une province à l'autre. Lorsque ce sera prêt et que le mécanisme ou le modèle sera efficace, la procédure sera-t-elle appliquée partout au pays?
Dr Poston : L'outil est déjà assez prêt. Je pense qu'Agrément Canada, l'organisme responsable de l'accréditation des hôpitaux, l'exige désormais ou le recommande fortement aux hôpitaux qui présentent une demande. Les oncologues et les psychiatres se sont probablement penchés davantage sur la question que quiconque.
La sénatrice Martin : Je suis ravie de l'entendre.
Le sénateur Munson : Puisque les questions étaient bonnes et les réponses, excellentes, il ne me reste qu'une seule interrogation au sujet de cet enjeu important.
Ma question s'adresse au Dr Poston, de même qu'à tout autre témoin qui aimerait répondre. Dans votre exposé, vous avez utilisé le terme « encourager » au sujet des recommandations et des lignes directrices. Je me demande à quel point cet enjeu est important. Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie aime mener ce genre d'étude et formuler des recommandations au gouvernement ou au ministre de la Santé. En plus de l'encourager à améliorer les lignes directrices et le soutien, devrions-nous recommander au gouvernement d'adopter une nouvelle loi et de trouver une nouvelle façon de réglementer la question? Un cadre juridique simplifierait-il la vie à tous ceux qui ont affaire à ce genre de médicaments?
Dr Poston : C'est une excellente question. Je pense que nous devons composer avec un clivage réglementaire, puisque ce dont nous discutons est en grande partie lié à la pratique des médecins et des pharmaciens, et relève des collèges qui régissent ces professions et le rôle des gouvernements provinciaux à cet égard.
En revanche, le gouvernement pourrait trouver de meilleurs instruments de mesure et de surveillance. Je pense qu'une approche centralisée serait utile à bien des égards. Il serait préférable qu'une initiative semblable soit prise à l'échelle nationale, si possible, plutôt que d'avoir une approche un peu fragmentée comme c'est le cas actuellement. Même si le Canada compte probablement peu de cas isolés comme celui dont la Dre Laing a parlé, il serait utile de regrouper toutes ces expériences et de diffuser l'information. Les gouvernements ont donc un rôle d'encadrement et de surveillance à jouer, entre autres.
Nous avons entendu parler des travaux de Santé Canada ayant trait au processus d'homologation progressive, qu'on appelle parfois la réglementation des médicaments axée sur le cycle de vie des produits. Le concept serait très utile à cet égard parce qu'il permettrait de recueillir systématiquement des données tout au long du cycle de vie d'un médicament. Ce type d'approche réglementaire permettrait de rassembler une grande quantité d'information et d'en améliorer l'utilisation dans le domaine qui nous intéresse.
Le sénateur Munson : Vous proposez d'améliorer les instruments de mesure et de surveillance plutôt que l'approche fragmentée actuelle, comme vous dites. Les lignes directrices fédérales devraient-elles avoir un caractère exécutoire? Autrement dit, devrait-on en exiger l'application?
Dr Poston : Je pense qu'on peut difficilement rendre ce genre de chose exécutoire. Si c'est ce que vous voulez, je crois qu'il vaut mieux d'abord essayer de mettre en place des pratiques exemplaires dans un certain cadre. C'est par là qu'il faut commencer.
Toutefois, au sujet de la mise au point des soins et des ordonnances électroniques, il est essentiel de souligner que les systèmes facultatifs n'ont pas très bien réussi à ce jour. Un sérieux débat s'ouvre, et on se demande si ce genre de système devrait devenir obligatoire, en quelque sorte. Il faut donc commencer par tenter des mesures facultatives et par proposer des pratiques exemplaires pour voir jusqu'où on peut aller.
Le président : J'aimerais revenir à un sujet qui a été repris dans un certain nombre de questions. Auparavant, je veux dire que je constate qu'en oncologie, la situation est unique, c'est-à-dire que c'est un secteur dans lequel, souvent, il n'y a pas un grand nombre de personnes dans une situation donnée — les sous-catégories de cancer, et cetera. — et qui est lié de près aux activités de recherche dans les hôpitaux, par l'IRSC. Dre Laing a très bien expliqué l'importance de l'échange d'information dans ce domaine.
Nous examinons la question des produits pharmaceutiques sur ordonnance dans la population. La plupart des médicaments prescrits aux enfants le sont pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette. C'est la même chose, en général, pour les femmes enceintes. En fait, c'est souvent le cas pour les femmes en général, peu importe leur état de santé, et certainement pour les personnes âgées.
Vous dites que la collecte de renseignements se fait très bien et que pour l'oncologie, vous êtes confiante dans 90 p. 100 des cas. Ce que nous savons, c'est qu'en psychiatrie, l'utilisation de médicaments non indiquée sur l'étiquette — pour les enfants, par exemple —, et dans bien d'autres cas, peut avoir des conséquences graves ou imprévues, qui peuvent être fatales.
Dans les deux autres phases de notre étude, nous avons aussi appris qu'à l'heure actuelle, la collecte de données sur l'ensemble des produits pharmaceutiques n'est pas très bonne. Dr Poston, Dre Laing et Dr Sareen ont parlé de la question de la collecte électronique, mais nous savons que ce n'est pas encore au point.
Docteur Poston, j'aimerais vous poser une question. Les pharmaciens savent immédiatement que lorsqu'on leur présente une ordonnance de médicaments pour un jeune, il peut s'agir d'un cas d'utilisation d'un médicament non indiquée sur l'étiquette, à moins qu'il y ait eu beaucoup d'expériences, comme l'a souligné Dre Laing. Dans les études précédentes, nous avons appris qu'on commence à faire un suivi délibéré des nouvelles prescriptions de médicaments. En fait, nous avons entendu parler d'un cas aux États-Unis et d'un autre au Canada, et d'après les données, apparemment, les premiers résultats indiquent que c'est une très bonne chose. Pour reprendre l'exemple que j'ai utilisé dans les autres études, c'est comme si une personne faisait réparer sa voiture et que le mécanicien faisait un suivi dans le mois qui suit et qu'il demandait à la personne si tout va bien.
Dans le cadre d'une autre étude, nous avons appris que les pharmaciens sont de très bons utilisateurs de systèmes électroniques pour la collecte de données. J'en viens à la question où le pharmacien se doute fort bien que le médicament a été prescrit pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette. Parmi tous les produits pharmaceutiques sur ordonnance qui sont offerts, seulement un petit nombre sont destinés à l'oncologie. La plupart sont destinés à la population en général.
Dans les cas où les pharmaciens ont un doute raisonnable, si nous avions un système qui renvoyait le pharmacien au médecin prescripteur et qu'il était obligatoire de faire un suivi, au bout d'un mois ou plus peut-être, en fonction du médicament, pouvez-vous imaginer un système électronique de suivi qui permettrait la plus grande collecte de données possible?
Nous avons également appris que c'est vraiment important, même dans la population générale, parce qu'une fois l'essai clinique terminé, on entre dans les sous-ensembles qui ne sont pas liés qu'aux cas de cancer, mais à la population générale.
Docteur Poston, pouvez-vous proposer un système électronique de suivi acceptable? Dans le cadre de nos autres études, on nous a dit que rendre cela obligatoire dans le cadre d'une loi n'a pas très bien fonctionné dans d'autres pays. En fait, les résultats ont été plus ou moins bons dans certains de ces pays.
Dr Poston : Souvent, les pharmaciens ignorent si le médicament a été prescrit pour un enfant ou un adolescent, à moins qu'il soit payé par une assurance privée. S'il est couvert par un régime provincial d'assurance-médicaments et que c'est l'un des parents qui vient le chercher à la pharmacie, à moins que le pharmacien pose la question, l'ordonnance ne le précise pas. On ne mentionne que le nom du patient. Évidemment, il est possible de le savoir si l'on a le dossier familial. S'il s'agit d'un régime privé, on finit souvent par le savoir, car l'assurance-médicament ne paiera pas à moins de savoir qu'il s'agit d'un enfant.
Le président : Le nom du patient n'est pas toujours fourni.
Dr Poston : Son nom est toujours fourni, mais pas son âge.
Je ne suis pas autorisé à pratiquer au Canada, mais je pratique au Royaume-Uni. Pour les ordonnances du NHS, parce que les médicaments sont couverts gratuitement par le NHS pour les enfants de moins de 16 ans, le pharmacien doit inscrire l'âge de l'enfant. Au Canada, dans le secteur privé, on sait habituellement que c'est un enfant, parce que le régime d'assurance-médicament ne paiera pas si l'âge n'est pas confirmé.
Dans la pratique, l'un des fléaux — et je m'adresse ici aux hommes —, c'est que les hommes sont connus pour ne pas savoir la date de naissance de leurs enfants, et c'est l'un des problèmes les plus courants en pharmacologie.
Pour répondre à votre question, il y a une démarche. Le Royaume-Uni vient de lancer une initiative dans le cadre du NHS sur les services pour les médicaments nouvellement prescrits. Je pense que c'est limité pour ce qui est des médicaments ou des maladies, mais si je prends votre exemple, cela pourrait facilement s'appliquer aux enfants. Pour les enfants de moins de 12 ans, on pourrait créer un service pour les médicaments nouvellement prescrits qui oblige le pharmacien à faire un suivi avec le patient, et il y aurait des frais pour le service. Tout d'abord, il ne prépare qu'une quantité limitée du médicament, habituellement pour 7 ou 10 jours, et je crois que par la suite, il est obligé de faire un suivi avec le patient et le médecin de famille dans les 28 jours pour s'assurer que le médicament fonctionne bien.
Ce n'est pas un système électronique élaboré. On fait un appel ou, si c'est nécessaire, on demande au patient de repasser à la pharmacie. Nous voyons naître des services pour les médicaments nouvellement prescrits pour combler les lacunes et mieux recueillir les données sur l'utilisation des médicaments qui présentent des risques ou qui est faite dans certaines populations.
Le président : Concernant le fait de ne pas savoir clairement à quelle catégorie de personnes est destinée l'ordonnance, ne serait-il pas légitime d'obliger les médecins prescripteurs à indiquer s'il s'agit d'un adolescent ou d'une personne âgée?
Dr Poston : Dans les faits, le pharmacien le sait habituellement et il posera la question, mais ce n'est pas nécessairement sur papier.
Le président : Vous avez été clair au début. Maintenant, vous dites que le pharmacien le sait sans doute. J'ai posé ma question dans l'idée que le pharmacien le sait sans doute. Ne serait-il pas légitime qu'on le signale? Si les pharmaciens ne le savent pas parce qu'ils travaillent dans une grande ville et qu'ils ne connaissent pas les gens, ne serait-il pas légitime qu'il soit obligatoire d'indiquer une catégorie sur l'ordonnance?
Dr Poston : Certains pays le font. Par contre, je pense que souvent, on se retrouve avec des problèmes administratifs majeurs.
Par exemple, en Afrique du Sud, dans le mécanisme de contrôle, il est obligatoire d'indiquer les codes CIM-10 sur l'ordonnance. Très souvent, les médecins ne sauront pas nécessairement quel code CIM-10 inscrire sur l'ordonnance ou n'auront pas celui qui y correspond, et souvent, les ordonnances ne sont pas remplies ou il y a des retards parce qu'ils essaient d'obtenir les codes CIM-10.
C'est une excellente idée, mais il est difficile de la concrétiser.
En ce qui concerne l'idée d'un service pour les médicaments nouvellement prescrits, surtout pour les enfants, les pharmaciens savent habituellement où le problème se situe par rapport aux doses. Dans bien des cas, en pédiatrie, la dose est réduite, et si les pharmaciens ne le savent pas, ils posent toujours la question. Ils obtiennent l'information. Je pense que les services pour les médicaments nouvellement prescrits peuvent être une bonne façon de recueillir les données pour ces patients.
Le président : Je vous remercie de parler également des complications de diverses natures. Il me semble qu'on devrait trouver une façon de procéder, mais je vous en remercie.
Dre Laing : Je veux dire quelque chose au sujet de la polypharmacie, qui a déjà été soulevée, et de ce que nous faisons à cet égard. Je pense que c'est une question de temps, de ressources et de connaissances. Les personnes essentielles dans la pratique de l'oncologie, ce sont nos pharmaciens. Tous les nouveaux patients de notre centre de traitement du cancer sont rencontrés par le pharmacien et un bilan comparatif des médicaments est fait. Lorsque nous commençons la chimiothérapie orale, le pharmacien fait un suivi du patient et nous avons le même processus de suivi.
Lorsqu'un patient subit des traitements de chimiothérapie, par voie IV ou orale, le pharmacien l'appellera dans les 48 heures pour savoir si tout va bien. Lorsqu'on donne un médicament par voie orale, le pharmacien fait un suivi. Il communique avec la pharmacie locale pour s'assurer que l'ordonnance est exécutée en temps opportun et de façon adéquate.
Que faut-il? Il faut du temps et des ressources. Le plus grand problème, c'est le financement, mais nous sommes très chanceux. Nous l'avons fait grâce à la recherche. Nous avons mené un projet de soins continus, et cela a donné de meilleurs résultats pour nos patients. Nous avons montré que les risques de problème de toxicité sont moins grands, qu'il est moins probable que les patients aient besoin d'une visite de suivi dans une unité de chimiothérapie pour recevoir une réhydratation par voie IV, qu'ils sont moins susceptibles de souffrir d'insuffisance rénale et d'être admis à l'hôpital. C'est de cette façon qu'il faut montrer ces choses.
Le sénateur Eggleton : J'ai lu un article de la revue Maclean's, dans un numéro de mai dernier, intitulé « Off-label drugs are off the charts in Canada », qui contenait bon nombre des renseignements intéressants. J'ai appris notamment qu'en développant un médicament pour le cœur, Pfizer avait découvert que les effets secondaires lui seraient beaucoup plus profitables, et il s'agit du Viagra.
Je n'irai pas plus loin.
La sénatrice Cordy : Nous aimerions bien entendre vos questions à ce sujet.
Le sénateur Eggleton : Docteure Laing, vous avez dit que sur la base de données probantes, vous êtes à l'aise avec 90 p. 100 des médicaments prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, mais dans l'article de la revue Maclean's, on cite les propos de quelques personnes, par exemple, le docteur Tewodrose Eguale de l'Université McGill, qui dit que pour 79 p. 100 des médicaments prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette, il n'y a pas de preuves scientifiques.
Toujours dans le même article, on ajoute que dans le cas d'un nombre effarant d'ordonnances, les preuves sont floues, et que selon le docteur Joel Lexchin, de l'Université York, bien que la prescription de certains médicaments pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette est faite correctement, dans la plupart des cas au Canada, il n'y a pas de données scientifiques. Si ce n'est pas le problème principal, il semble ce soit vraiment un problème majeur.
En examinant la question de notre point de vue, en tant qu'entité nationale, étant donné que c'est en bonne partie une question de compétence provinciale, quelle est la meilleure façon de nous en sortir? Docteure Laing, vous n'avez peut-être pas les mêmes chiffres de toute façon.
Dre Laing : Je n'ai pas lu l'article, mais je suppose que ce sont des chiffres généraux pour des prescriptions dans bon nombre de spécialités et pour bon nombre de sièges de maladie. Je ne parle que de l'oncologie.
Il faut également comprendre que lorsque je prescris un médicament pour un patient atteint d'un cancer, la majorité des médicaments sont financés à partir d'un budget provincial. Le patient ne prend pas le médicament à la pharmacie au coin de la rue. C'est ce qui se passe de plus en plus avec les médicaments pris oralement, mais souvent, ce sont des médicaments IV qui sont administrés en milieu hospitalier — dans mon centre de traitement du cancer, dans un hôpital satellite, dans un hôpital régional. Le médicament ne peut pas être donné au patient sans approbation préalable, lorsqu'il s'agit d'un traitement qui est remboursé par notre province dans le cadre de son budget pour le cancer.
C'est ainsi que les choses fonctionnent en oncologie, et c'est pourquoi j'ai dit dans ma déclaration que je ne pense pas que dans ce domaine, ce soit comparable à la situation des États-Unis. La seule façon de payer le médicament, c'est par le programme provincial pour le cancer. S'il n'y a pas d'indication sur l'étiquette, il faut donner une bonne raison qui justifie une utilisation du médicament non indiquée sur l'étiquette, et il y a des preuves. C'est cela, la différence.
Pour répondre à votre question, la seule façon de régler le problème, et nous l'avons tous exprimé de différentes façons, c'est qu'il nous faut obtenir l'information, mais nous ne l'avons pas. Nous avons quelques éléments d'information et des estimations. Nous pensons que c'est 79 p. 100, ou peu importe, et c'est peut-être basé sur une très petite partie de la réalité pour un médicament donné.
Selon une partie des rapports que j'ai examinés, qui portaient sur des médicaments utilisés dans le cas des lymphomes, environ 50 p. 100 sont prescrits pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette aux États-Unis, mais ils ont un meilleur accès à ces médicaments dans des situations qui conviennent ou dans des situations où il y a peu ou pas du tout de preuve scientifique.
Le plus important avant tout, c'est d'avoir une idée de ce qui se passe au pays, et nous n'avons pas une très bonne idée du vrai nombre de cas d'utilisation non indiquée sur l'étiquette. Il s'agit de savoir comment recueillir l'information. Nous avons entendu des cas de personnes qui se présentent à la pharmacie en disant « je viens ici pour mon Viagra ». Pourquoi le leur a-t-on prescrit? Est-ce que c'est pour une raison évidente ou pour une utilisation non indiquée sur l'étiquette? C'est difficile pour le pharmacien, qui est occupé et que rien n'incite à faire la codification des données ou à entrer l'information. On a besoin d'une base de données de sorte que les gens puissent classer les renseignements et dire de qui il s'agit, quel est son âge et quelle est l'indication. C'est de cette façon qu'on recueille l'information.
L'exemple aux États-Unis est un exemple incroyable de la façon dont on peut le faire, mais c'est parce que c'est un système d'enregistrement des commandes pour la chimiothérapie et la facturation. À moins d'avoir un ensemble de données fiables comme cela — on peut également voir cela comme des possibilités de recherche ou examiner cela dans une province qui pourrait déjà avoir un système configuré pour les prescriptions en ligne —, il faut commencer quelque part. On peut le faire comme dans l'exemple de McGill que vous avez donné. C'est de cette façon qu'on accroît les connaissances et qu'on les applique au groupe principal.
Dr Poston : J'ai lu l'étude et je me suis dit que 79 p. 100, c'était un peu élevé, alors j'ai fouillé un peu plus loin. Selon l'étude, dans 79 p. 100 des cas, les « preuves scientifiques solides » étaient insuffisantes. Le mot « solides » est important. L'article dresse une liste d'environ quatre des critères utilisés pour qualifier le mot « solides ». Pour avoir des preuves scientifiques solides, un médicament devait avoir fait l'objet d'un essai clinique randomisé contrôlé pour son indication. Les emplois non conformes sont rarement étudiés dans le cadre d'ECR.
Je crois qu'il faut mettre ce pourcentage en perspective. Je trouve intéressant de voir que, selon l'étude, seulement 11 p. 100 des médicaments sur ordonnance prescrits l'étaient pour des emplois non conformes. Il faut dire que la définition de « non conforme » utilisée était étroite. Mais, étant donné qu'il fallait des preuves « solides » obtenues dans le cadre d'un essai randomisé contrôlé, le résultat de 79 p. 100 ne me surprend pas.
Dr Sareen : Je conviens qu'il y a un manque réel de recherche et d'informations. Pour revenir à ce que disait le sénateur Munson, il faudrait encourager des modifications législatives afin de permettre l'approbation des emplois non conformes des médicaments. Pour le moment, ce sont les sociétés pharmaceutiques qui présentent des demandes d'approbation, mais elles n'ont rien à gagner à dépenser une fortune pour analyser les effets sur les enfants et les personnes âgées.
Si nous voulons limiter l'emploi non conforme d'un antidépresseur, nous devons savoir s'il sera efficace et sécuritaire pour traiter les enfants et les personnes âgées. Nous ne pouvons pas nous fier aux sociétés pharmaceutiques pour mener ces tests. Elles ne le feront pas. Le manque de preuves ne veut pas dire que l'emploi non conforme du médicament n'est pas efficace.
Dans un article ironique publié dans le British Medical Journal, l'auteur se demande si le parachute aide à réduire la force gravitationnelle. En effectuant une revue systématique des preuves, l'auteur n'a trouvé aucune étude au cours de laquelle seulement certains participants avaient reçu un parachute avant de sauter de l'avion. Nous utilisons tout de même les parachutes, car c'est logique. Le message de l'auteur est qu'il faut agir, notamment en ce qui concerne le suicide chez les adolescents, un problème extrêmement grave au sein de nos collectivités des Premières nations. Il faut faire quelque chose.
L'oncologie est un bon exemple. Dans ce domaine, les choses ont évolué, alors que les domaines de la psychiatrie et de la santé mentale accusent environ 20 ans de retard. Nous devons investir afin de pouvoir offrir les bons médicaments aux bonnes personnes, pour les bonnes raisons.
Peut-être que ceux qui prennent un antidépresseur indiqué n'en ont pas besoin, que leur situation pourrait se redresser d'elle-même. C'est un des problèmes que nous avons.
Le sénateur Eggleton : Docteur Sareen, vous dites que le Canada devrait investir la formation impartiale des médecins axée sur les bienfaits et les risques des médicaments. Vous soulevez un point intéressant. Je crois que nous allons l'explorer davantage au comité.
J'ai lu, également, dans un article publié dans le New York Times que GlaxoSmithKline a accepté de payer une amende de 3 milliards de dollars, en partie pour avoir promu l'emploi non conforme d'antidépresseurs. Une autre société, Johnson & Johnson, a conclu une entente de 181 millions de dollars avec 36 États et le district fédéral de Columbia pour fraude contre le consommateur en raison de sa promotion du Risperdal, un antipsychotique.
Ces sociétés font aussi des affaires au Canada. Le fait qu'elles pourraient promouvoir des emplois non conformes de médicaments vous inquiète-t-il?
Dr Sareen : Absolument. C'est illégal. Je n'ai pas abordé le sujet plus tôt, faute de temps. Aux États-Unis, des amendes ont été imposées. Mais ces sociétés font des milliards de profits grâce à ces médicaments, alors elles n'ont aucune difficulté à payer une petite amende.
J'ignore à quel point les sociétés au Canada font la promotion de l'emploi non conforme de médicaments, mais je sais que les organisations et les règlements de l'industrie y sont beaucoup plus rigoureux. Cependant, je crois qu'il est important...
Le sénateur Eggleton : C'est la raison pour laquelle vous souhaitez qu'il y ait une formation impartiale des médecins.
Dr Sareen : C'est essentiel. Nous nous sommes trop fiés à des médecins en conflits d'intérêts avec des sociétés pharmaceutiques pour éduquer d'autres médecins. Il n'y a aucun investissement dans la recherche et le marketing approprié.
Je vais vous donner un exemple. Un type à San Francisco a découvert qu'un médicament générique vendu depuis longtemps pour soigner un problème de la prostate était efficace dans le traitement du trouble de stress post- traumatique. Ce médicament, la prazosine, est efficace contre les cauchemars liés au TSPT, mais la diffusion de cette information s'est limitée à la région de San Francisco. En analysant les données relatives aux AC, on a remarqué que, dans la région de San Francisco, l'utilisation de la prazosine pour traiter le TSPT avait augmenté.
La transmission de l'information sur le terrain constitue le plus gros problème.
Le sénateur Seth : J'aimerais apporter une précision sur la pratique au Canada. Je suis médecin depuis 35 ans. Il est vrai que, lorsque nous rédigeons une ordonnance, nous n'écrivons pas l'âge du patient. Bien entendu, s'il s'agit d'un enfant, nous ajustons la dose en fonction de son âge. Je sais que beaucoup de pharmaciens demandent l'âge du patient pour savoir s'il s'agit d'un enfant ou d'un adulte. Ils ne se fient pas à la dose indiquée. Ils s'assurent que la dose convient au patient en fonction de son âge. S'ils ont un doute, ils ne remplissent pas l'ordonnance. Ils font très attention à cela. Depuis que je suis médecin, je n'ai jamais eu vent d'un problème lié à l'âge du patient.
Docteur Sareen, vous arrive-t-il souvent d'utiliser des médicaments de façon non conforme, comme des antidépresseurs ou des antipsychotiques, pour traiter un patient psychiatrique?
Dr Sareen : Très souvent. Comme je l'ai dit, lorsque le patient qui se trouve devant moi est dépressif, j'analyse plus attentivement ses symptômes et ses problèmes médicaux. J'analyse les examens systématiques pour trouver le médicament qui convient le mieux à ce patient. Je ne me demande pas si je propose un emploi conforme ou non conforme du médicament.
Je traite les troubles anxieux. Il en existe cinq. Les sociétés pharmaceutiques se concentrent sur un trouble à la fois et font approuver un médicament pour ce trouble. Cependant, la plupart des cliniciens se disent que, si ce médicament est efficace pour ce trouble anxieux — c'est comme le cancer du sein par rapport à un autre cancer —, il devrait être efficace pour traiter les autres troubles anxieux.
L'emploi non conforme de médicaments est très répandu, car nous n'avons pas suffisamment de données pour déterminer quel médicament sera efficace pour une personne donnée. Nous n'avons pas de résultats d'essais biologiques et nous ne pouvons pas faire de dépistage. Nous ne pouvons pas évaluer le système cérébral pour voir s'il y a une baisse de norépinéphrine et ajuster la dose du médicament en conséquence. C'est ce que tente d'accomplir la psychiatrie, mais nous sommes encore loin du but.
Le sénateur Enverga : J'aimerais faire une suggestion en lien avec une question que j'ai posée plus tôt. On dit que l'esprit triomphe sur le corps. Lorsqu'on parle de l'emploi conforme et non conforme de médicaments, on se dit toujours que l'emploi conforme est une bonne chose et que l'emploi non conforme est une mauvaise idée. Un taux de 90 p. 100 serait probablement acceptable. Il serait peut-être préférable, à mon avis, de ne pas informer le patient que le médicament qu'on lui prescrit n'a pas été approuvé pour l'utilisation qu'il en fait. Peut-être faudrait-il parler d'un « emploi acceptable », ou quelque chose du genre. Croyez-vous que ce serait mieux pour les patients, sur le plan psychologique?
Dre Laing : Habituellement, je n'utilise pas les termes conforme et non conforme avec mes patients. Je leur communique l'information de façon à ce qu'ils puissent la comprendre. Je leur dis que des essais ont démontré les bienfaits du médicament et je leur explique les effets secondaires possibles. Nous n'utilisons pas ces termes techniques avec les patients. Nous tentons de leur expliquer pourquoi, selon nous, le médicament en question pourrait les aider.
Cependant, vous avez raison de dire qu'il faudrait peut-être créer une autre catégorie pour ces médicaments, une catégorie acceptable.
Le sénateur Enverga : C'est cela, un « emploi acceptable ».
Le président : Docteur Sareen, lorsqu'il est question de prescrire des antipsychotiques pour un jeune, expliquez-vous en détail aux parents qu'un médicament qui n'a pas été testé chez les jeunes...
Dr Sareen : Je crois que l'utilisation d'antipsychotiques chez les jeunes et les personnes âgées soulève des inquiétudes. Ils sont parfois surutilisés. Selon moi, il est important de parler en détail des effets secondaires, notamment lorsqu'il est question de personnes âgées. Il faut éduquer les psychiatres, mais aussi les médecins de famille pour leur faire comprendre que les antipsychotiques atypiques causent des problèmes à long terme et qu'il faut les prescrire avec précaution.
Le président : Merci beaucoup à vous tous. C'est une très bonne façon d'amorcer cette étude. Au nom de mes collègues, je tiens à vous remercier tous les trois pour vos réponses claires, approfondies et franches et pour vos exposés.
(La séance est levée.)