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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 33 - Témoignages du 6 mars 2013


OTTAWA, le mercredi 6 mars 2013

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour faire une étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : l'emploi non conforme).

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, et je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse. Je demanderai à mes collègues de se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Je suis Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

Le sénateur Munson : Je suis le sénateur Munson, d'Ottawa, un sénateur de l'Ontario.

Le sénateur Enverga : Je m'appelle Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le sénateur Demers : Je m'appelle Jacques Demers, du Québec.

[Français]

La sénatrice Verner : Bonjour, je m'appelle Josée Verner, sénatrice du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Je suis Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Nous accueillons nos témoins à cette réunion, qui continue la troisième étape de notre étude portant sur l'emploi non conforme de produits pharmaceutiques sur ordonnance. Aujourd'hui, nous avons trois invités. D'un commun accord, nous commencerons par le Dr Joel Lexchin, professeur à l'École de politique et de gestion de la santé, de l'Université York.

Dr Joel Lexchin, professeur, École de politique et de gestion de la santé, Université York, à titre personnel : Merci pour l'occasion de comparaître devant vous. En plus d'enseigner la politique de la santé, je travaille toujours à l'urgence en tant que médecin, donc j'ai parfois eu l'occasion d'observer les résultats de la délivrance d'ordonnances pour emploi non conforme. J'expliquerai mes recommandations portant sur le moyen d'aborder cette question afin de tenter de réduire au minimum les problèmes qui en résultent.

Il faut reconnaître d'emblée que si Santé Canada n'approuve pas une demande d'indication d'un médicament existant ou d'un nouveau médicament, personne n'en est informé, notamment les praticiens en santé publique. Donc, si les médecins prescrivent l'emploi non conforme d'un médicament existant, ils ne sauront pas que Santé Canada n'a trouvé aucune preuve de l'efficacité de cet usage du médicament. Ils continueront à le prescrire, essentiellement en ne sachant pas qu'il n'est pas efficace ou que cette indication n'est pas sécuritaire.

Dans l'Union européenne, l'Agence européenne des médicaments annonce depuis 2005 les refus d'approbation de nouvelles indications. Nous pourrions faire la même chose.

Deuxièmement, les médecins ne peuvent consulter aucune bonne source d'information sur les médicaments sur ordonnance. Le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques ou CPSP, soit le livre bleu qui se trouve dans tous les cabinets de médecin, est désuet.

Les médicaments de la même catégorie ne disposent pas nécessairement de la même information dans leur monographie de produits, mais on pourrait y apporter des changements. L'Australie dispose d'un manuel intitulé l'Australian Medecines Handbook. Le Royaume-Uni a le British National Formulary. On pourrait rédiger un document semblable au Canada, géré par les organisations médicales, comme en Australie, ou gérer indirectement, au moyen de fonds gouvernementaux, et si je ne m'abuse, c'est ainsi qu'est financé le British National Formulary.

Troisièmement, en France, en raison des scandales récents liés aux médicaments sur ordonnance, les Français ont adopté un nouveau système s'appliquant aux médicaments toujours couverts par un brevet dont l'emploi prescrit est non conforme. Essentiellement, l'autorité réglementaire française émet ce qu'on appelle une recommandation temporaire d'utilisation. Elle est accordée pendant trois ans. Si le médicament est prescrit conformément à cette indication pour trois ans, l'emploi prescrit est conforme. Ainsi, on accorde au fabricant le temps nécessaire de recueillir l'information qu'il présentera dans le cadre d'une demande d'approbation officielle de cette indication.

Quatrièmement, lorsque les brevets de médicaments viennent à échéance, aucun fabricant n'enquête sur leur emploi non conforme, tout simplement parce qu'on ne peut pas savoir exactement quelle version du médicament est délivrée. On peut débourser des sommes énormes, et quelqu'un d'autre en retirera tous les bénéfices. Cela veut dire que le seul moyen de recueillir des preuves convaincantes du bien-fondé de l'emploi non conforme des médicaments qui sont passés dans le domaine public consiste probablement à obtenir un financement public. Ainsi, je crois que l'IRSC devrait financer des essais cliniques qui se penchent notamment sur les emplois non conformes les plus répandus de médicaments dont le brevet est expiré.

Cinquièmement, lorsqu'on fait usage de l'emploi non conforme d'un médicament, dans le cadre de notre système actuel, c'est le fabricant qui doit demander l'ajout de cette indication à la monographie du produit; en d'autres mots, de l'ajouter à l'étiquette. Des fois, rien n'encourage les fabricants à le faire, même si les médicaments sont toujours brevetés; l'utilisation en serait relativement restreinte, ou le brevet du médicament arrive à échéance, et pour d'autres raisons. Je pense donc que Santé Canada devrait avoir l'autorité d'examiner les preuves montrant si une indication non conforme à la monographie est appropriée et de l'ajouter ensuite aux indications du médicament sans avoir à attendre la demande du fabricant.

Sixièmement, un certain nombre de médicaments sont approuvés en fonction de ce qu'on appelle les paramètres intermédiaires ou marqueurs de substitution. Il s'agit de paramètres indiquant que le médicament fait baisser la pression artérielle, le taux de sucre dans le sang, le cholestérol, ou qu'il améliore la densité osseuse, mais rien de tout cela ne compte pour les médecins ou les patients. Ce qui compte pour les médecins ou les patients, c'est si le médicament réduit ou non l'incidence de la morbidité ou de la mortalité. Il en était ainsi parce que l'indication du médicament — en d'autres mots, qu'il réduit le taux de sucre dans le sang — encadre la publicité que les fabricants peuvent faire pour ce médicament, et c'est la limite de ce qu'ils peuvent faire en vertu de la loi. En même temps, les médecins traduisent souvent « ce produit fait baisser le taux de sucre dans le sang » par « ce produit permet d'éviter la maladie du rein ». Donc, je préconise que lorsque Santé Canada approuve un médicament en fonction des marqueurs de substitution — en d'autres mots, des changements biochimiques ou physiologiques — tout le matériel publicitaire du médicament devrait comporter un énoncé comme, « ce produit a été approuvé uniquement en fonction des marqueurs de substitution et non en fonction de son efficacité contre la morbidité et la mortalité ». On enverrait ainsi un message, probablement, aux médecins, qui indique qu'ils ne devraient pas s'attendre à ce que le médicament prévienne la maladie du rein tout simplement parce qu'il réduit le taux de sucre dans le sang.

Septièmement, des preuves ont été recueillies. Je m'appuie sur l'étude que j'ai effectuée avec ma collègue de Colombie-Britannique, Barbara Mintzes. L'étude porte sur l'interaction entre les agents commerciaux des sociétés pharmaceutiques et les médecins généralistes à Montréal et à Vancouver. Les agents commerciaux des sociétés pharmaceutiques ne donnent les consignes de sécurité adéquates aux médecins qu'une fois sur vingt.

Ainsi, à titre de mesure permanente, je pense que nous devrions examiner l'information que les agents commerciaux fournissent aux médecins. On pourrait le faire en choisissant un groupe de médecins qui change tous les ans, disons. Après la visite des agents commerciaux, les médecins rempliraient un formulaire abrégé et l'enverraient à l'organe de coordination afin de prendre connaissance du type d'information que les agents commerciaux fournissent aux médecins. Par exemple, préconisent-ils un emploi non conforme? Soit dit en passant, les agents commerciaux assurent la meilleure des promotions. Voilà pourquoi je pense que cette mesure en particulier est extrêmement importante.

Mon dernier point porte sur ce qui se produit au niveau provincial, et non à Santé Canada. Si les médecins prescrivent un emploi non conforme, ils devraient l'indiquer sur l'ordonnance afin que les patients sachent qu'ils obtiennent un médicament dont l'utilisation recommandée n'est pas approuvée par Santé Canada.

Le président : Merci.

Maintenant, nous avons deux invités de l'Université McGill qui, si j'ai bien compris, partagent leur déclaration en quelque sorte, mais chacun interviendra. Je commencerai par le Dr Eguale du Groupe de recherche clinique en informatique de la santé du Centre universitaire de santé McGill.

Dr Tewodros Eguale, Groupe de recherche en informatique clinique et de santé, Centre universitaire de santé McGill, à titre personnel : Merci de m'offrir cette occasion de vous présenter une partie de ma thèse de doctorat. Ma thèse porte sur l'étude des médicaments sur ordonnance, plus précisément l'ordonnance à des fins non indiquées sur l'étiquette et leurs résultats, y compris les effets indésirables des médicaments.

Le principal problème lié à l'ordonnance à des fins non indiquées, c'est que les médecins ne notent pas l'indication thérapeutique sur l'ordonnance, ni ailleurs. Nous devons absolument étudier l'ordonnance à des fins non indiquées sur l'étiquette. Nous ne disposons pas de l'indication thérapeutique qui nous permettrait de mesurer ce problème. Par exemple, le Dr Dal Pan, directeur du Bureau de la surveillance et de l'épidémiologie de la FDA aux États-Unis, s'est penché sur la question. Il a déterminé qu'on manque de données; ainsi, les autorités de réglementation des médicaments ne peuvent pas mesurer la fréquence des ordonnances à des fins non indiquées.

Par exemple, nous devons évaluer et surveiller les effets indésirables des médicaments dans les cas de médicaments prescrits à des fins non indiquées, mais nous n'avons aucun moyen de les mesurer. L'un des obstacles qu'on a rencontrés, c'est le lien entre le médicament et l'indication thérapeutique. À McGill, le groupe de recherche en informatique clinique et de santé a établi un dossier de santé électronique. On l'appelle le « cabinet médical du XXIe siècle ». En utilisant ce dossier de santé électronique, nous avons réussi à établir un lien entre le médicament prescrit et son indication. À l'aide de ces données, nous avons mesuré le taux d'ordonnances de médicaments à des fins non indiquées parmi les médecins de premier recours pour la première fois au Canada. Ces données sur les indications thérapeutiques ont été validées tout d'abord dans une autre publication.

Cette publication a notamment mis en relief le fait que l'on prescrit un médicament à des fins non indiquées une fois sur neuf. De plus, nous avons cherché des preuves à l'appui de ces ordonnances à des fins non indiquées, et dans 79 p. 100 des cas, ou quatre fois sur cinq, il n'existe aucune preuve scientifique convaincante pour justifier l'utilisation du médicament pour cette indication.

Nous avons examiné différents groupes de médicaments. Par exemple, on prescrit un médicament pour le système nerveux central à des fins non indiquées dans 26 p. 100 des cas, ou une fois sur quatre. Dans le cas des anticonvulsifs, 67 p. 100 des ordonnances sont à des fins non indiquées. Pour les antipsychotiques, c'est 44 p. 100, et pour les antidépresseurs, c'est 33 p 100, ou une fois sur trois.

Par exemple, dans le cadre de notre étude, nous avons examiné la quinine, un médicament qui avait été approuvé d'abord pour traiter les cas graves de malaria. Il avait été prescrit 99,5 p. 100 du temps pour soulager la douleur nocturne dans les jambes. On avait signalé que ce médicament causait des effets indésirables, et dans 41 cas, l'effet indésirable a mis en danger la vie du patient. Lorsqu'on se penche sur la raison pour laquelle ce médicament avait été prescrit, dans les cas d'effets indésirables, le médicament n'avait été prescrit pour traiter la malaria que dans quatre cas.

Aux États-Unis, 665 cas d'effets indésirables graves ont été signalés, et 93 décès ont eu lieu. En raison de cette déclaration spontanée d'effets indésirables, Santé Canada et la FDA ont émis une mise en garde contre cet emploi non conforme dangereux.

L'autre médicament que j'ai cité, qui a fait partie de notre étude, est la gabapentine. Dans notre étude, il avait été prescrit 99,2 p. 100 du temps à des fins non indiquées sur l'étiquette. Nous avons déterminé qu'il existait des preuves convaincantes pour justifier la prescription de ce médicament à des fins non indiquées dans 4 p. 100 des cas. Aux États- Unis, la société pharmaceutique qui fabrique ce médicament s'est vu imposer une amende de près d'un demi-milliard de dollars pour la promotion illégale de ce médicament. Cependant, au cours de la même année, les ventes de ce médicament ont atteint près de 2,7 milliards de dollars.

Le troisième médicament, la quétiapine, est prescrit à des fins non indiquées dans les deux tiers des cas. L'encadré met en garde contre la prescription de ce médicament pour les patients âgés en raison du risque accru de décès, et pour les enfants, en raison du risque plus élevé de suicide.

Nous avons également présenté le lien entre les ordonnances à des fins non indiquées et les effets indésirables à une conférence sur la pharmaco-épidémiologie. Nous avons signalé une hausse de 43 p. 100 des effets indésirables par rapport aux ordonnances à des fins indiquées.

Je tiens également à souligner que la nature exhaustive de nos données nous permet de déterminer les états pathologiques pour lesquels la prévalence de l'ordonnance de médicaments à des fins non indiquées est élevée, et donc pour lesquels il serait avantageux de procéder à la mise au point de nouveaux médicaments ou de nouveaux essais cliniques randomisés.

Nous avons également pu constater que les médicaments génériques ou moins récents et ceux qui sont approuvés pour une ou deux indications sont plus susceptibles d'être prescrits à des fins non indiquées. Nos travaux montrent en outre que les médecins qui se fient davantage aux données probantes prescrivent moins souvent des médicaments à des fins non indiquées.

Dans cette publication, nous avons également cerné un certain nombre de facteurs déterminants de l'ordonnance de médicaments à des fins non indiquées.

Je laisse la parole à Mme Tamblyn, qui vous parlera des conséquences.

Le président : J'invite donc Mme Tamblyn à faire son exposé.

Robyn Tamblyn, directrice scientifique, Institut de recherche, Centre universitaire de santé McGill, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de me permettre de comparaître à nouveau devant vous pour discuter de ce sujet précis.

J'aimerais prendre un peu de recul et remettre la discussion dans le contexte de l'homologation des médicaments, parce que nous avons une approche rigoureuse à cet égard au Canada, comme dans tous les pays occidentaux. Les médicaments sont homologués pour certaines indications et certaines populations.

Lorsqu'un médicament est prescrit dans des circonstances pour lesquelles son efficacité n'a pas été prouvée scientifiquement, on considère qu'il s'agit d'un usage non conforme. Un médicament peut avoir été approuvé pour certaines indications au Canada et pour d'autres dans un autre pays, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a aucune preuve scientifique. Cela veut tout simplement dire que l'entreprise, pour une raison quelconque, a choisi de ne pas demander d'approbation.

La dernière fois que je me suis présentée devant vous, nous avons parlé des enfants et des personnes très âgées, qui prennent en général plusieurs médicaments. Ces personnes, tout comme les femmes enceintes, sont souvent exclues des essais cliniques, qui constituent une approche rigoureuse permettant de déterminer l'innocuité et l'efficacité des médicaments. Donc, par définition, nous considérons que les médicaments prescrits à ces populations le sont à des fins non indiquées, parce que ces décisions ne reposent sur aucune preuve scientifique, étant donné que ces segments de la population n'ont pas été inclus dans les études.

Il faut être extrêmement prudent dans la mise en place d'un système très proactif pour la surveillance des effets des médicaments pour ces populations, qui autrement n'auraient accès à aucun médicament. Ce n'est pas ce que nous souhaitons, mais nous ne savons pas quels seront les effets de ces substances parce qu'il n'y a eu aucune étude pour ces populations.

Ce qui est beaucoup plus problématique, et le Dr Eguale en a parlé, c'est lorsqu'un médicament est prescrit pour une indication pour laquelle aucune étude n'a été effectuée. Nous avons d'ailleurs d'excellents exemples où les choses ont mal tourné. Par exemple, un anticonvulsif pour le traitement des crises épileptiques a été utilisé pour traiter la douleur chronique, avec des résultats très attristants. Comme il n'est pas nécessaire d'indiquer la raison pour laquelle le médicament a été prescrit pour cette indication, on n'en sait rien. On n'en connaît pas les raisons, surtout si c'est pour un usage non conforme. Même si c'est pour une indication sans rapport, comme les sueurs nocturnes, alors que le médicament est censé abaisser les taux de lipides, on ne le saura jamais. L'une des plus grandes difficultés à l'échelle mondiale, c'est de déterminer quelle était l'indication ou la raison pour laquelle le médicament a été prescrit, afin de pouvoir faire un suivi des utilisations non conformes.

C'est tout un défi, et c'est un peu ce sur quoi le Dr Eguale s'est penché dans ses études, soit l'élaboration d'une toute nouvelle méthode, une première dans le monde, pour faire le suivi des utilisations non indiquées sur l'étiquette afin d'en faire l'étude systématique.

Pourquoi voulons-nous être informés? Pour trois ou quatre raisons. Tout d'abord, parce qu'il s'agit maintenant d'expériences sociales. On prescrit un médicament sans connaître les risques pour cette population ou pour cette indication, et sans connaître non plus son efficacité. Il faut connaître la prévalence de cette pratique et mener une surveillance adéquate pour déterminer les risques et l'efficacité de ce médicament pour cette population.

L'un des médicaments les plus connus est l'aspirine. L'aspirine avait été conçue pour la fièvre, mais est devenue un traitement miracle qui protège contre les maladies cardiovasculaires. Il ne faut donc pas penser que les médicaments prescrits à des fins non indiquées sont nécessairement mauvais. C'est extraordinaire de pouvoir faire le suivi tant des risques que des avantages possibles qu'on ne connaissait pas.

Deuxièmement, ceux qui paient pour un médicament — et au Canada, à peu près la moitié de la population est couverte par un régime provincial d'assurance-maladie financé par les impôts —, s'attendent à ce qu'il soit efficace. Si le médicament est prescrit 99 p. 100 du temps pour des indications qui n'ont jamais fait l'objet d'essais et pour lesquelles on ne connaît pas son efficacité, on pourrait soit en tirer des avantages inconnus, soit gaspiller son argent et accroître ses risques. Les payeurs veulent savoir. On peut citer des exemples de payeurs qui ont demandé un remboursement pour des médicaments prônés et prescrits pour des indications non conformes, pour lesquelles les médicaments se sont révélés tout à fait inefficaces. Je pense que les payeurs veulent véritablement savoir ce qu'il en est.

Troisièmement, il ne faut pas oublier les organismes de recherche ou les bailleurs de fonds, comme le centre où je travaille à temps partiel. Ils veulent être informés de deux choses. Tout d'abord, lorsqu'un médicament est prescrit sans preuve scientifique, il faut pouvoir cerner les lacunes afin de les combler. C'est une priorité en matière de recherche.

Ensuite — et je pense que cela a été mis en lumière par l'étude du Dr Eguale —, il existe des états pathologiques pour lesquels nous n'avons aucun traitement. On essaie de les traiter du mieux possible, mais on n'a aucun moyen de savoir si c'est efficace. Je crois que c'est extrêmement important.

C'est pour toutes ces raisons qu'il est probablement crucial que nous fassions le suivi des utilisations non indiquées.

Je pense que le Canada pourrait faire preuve de leadership sur la scène internationale en instaurant ce système de surveillance et d'enquête des utilisations non indiquées, et ce pour trois raisons. Tout d'abord, nous avons déjà dépensé beaucoup d'argent, soit environ 2,5 milliards de dollars, pour mettre en place un système exhaustif de dossiers sur tous les médicaments qui sont utilisés et, ultimement, toutes les ordonnances électroniques. C'est grâce aux investissements dans l'Inforoute Santé du Canada et ceux des provinces. Nous pouvons maintenant ajouter ces nouvelles fonctionnalités, pour savoir par exemple pourquoi un médicament est prescrit, afin d'obtenir un système de suivi parfait. Nulle part ailleurs dans le monde ne trouve-t-on une infrastructure aussi complète permettant d'y arriver; c'est un gros avantage pour le Canada.

Deuxièmement, nous avons des chercheurs qui ont démontré qu'ils peuvent produire un prototype très efficace pour recueillir cette information et en faire le suivi. Nous avons pu valider le concept.

Troisièmement, il y a le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, qui a la capacité et les ressources humaines nécessaires pour assurer ce genre de suivi, et nous avons déjà créé un mécanisme à cette fin. Nous sommes sur le point de mettre en œuvre la stratégie de recherches axées sur les patients, qui non seulement permettra de faire un suivi, mais définira aussi des modes d'intervention qui pourraient modifier la façon actuelle de procéder sur le terrain, dans le but d'améliorer les résultats pour les Canadiens. C'est l'objet de cette stratégie, qui est le fruit d'un partenariat avec les provinces et les IRSC.

Pour ce qui est de la manière de procéder, nous pourrions établir une exigence législative, comme nous l'avons fait pour d'autres éléments entourant les ordonnances. Nous pourrions notamment exiger en vertu de la loi que les traitements thérapeutiques soient documentés.

Un autre moyen, peut-être moins abrasif, pourrait être d'instaurer le principe de la carotte et du bâton. Pour donner un exemple où le bâton serait utilisé, si quelqu'un ne donne pas d'indications thérapeutiques, le médicament ne peut pas faire l'objet de suivi et sera plus coûteux pour le fournisseur qui prescrit le médicament. On pourrait demander aux patients pourquoi le médicament a été prescrit et leur donner les moyens de se mobiliser et de s'intéresser aux raisons pour lesquelles les médicaments sont prescrits, et puis de surveiller les effets indésirables. Je pense qu'on devrait le faire de toute façon, mais c'est une autre possibilité.

Je vais m'arrêter ici. Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui.

Le président : Merci beaucoup.

Je vais maintenant laisser mes collègues poser leurs questions. Nous commencerons par le sénateur Eggleton, qui sera suivi des sénateurs Seidman et Munson.

Le sénateur Eggleton : Commençons donc par le Dr Lexchin. Vous avez fait huit recommandations. Vous parlez dans la deuxième des sources d'information. Les médecins ont ces livres. Vous avez parlé du CPS ou du livre bleu dans notre contexte, et vous avez aussi parlé de l'Australie et de la Grande-Bretagne.

J'ai eu l'impression que le problème que pose le livre bleu dont disposent les médecins, c'est qu'il n'est pas tenu à jour. Suffirait-il de le tenir à jour?

Dr Lexchin : Non, pas vraiment. En plus de ne pas être à jour, il pose divers autres problèmes, comme celui que posent des médicaments différents de la même catégorie. Prenons les anti-inflammatoires. L'Advil et les autres médicaments du même groupe sont tous arrivés sur le marché à des moments différents. Certains renseignements sont fournis sur les plus anciens. Pour les médicaments qui sont arrivés plus tard, les renseignements sont différents. Et c'est encore différent pour les médicaments plus récents. Bien que tous ces médicaments appartiennent à la même catégorie, le degré d'information sur chacun d'eux varie.

La troisième chose, c'est que le CPS n'est pas une source de renseignements comparatifs, alors il ne dit rien des avantages du médicament par rapport à un autre pour le traitement d'un état particulier.

Pour terminer, le CPS ne donne pas forcément une liste exhaustive de tous les médicaments. Il ne comporte que les médicaments que les fabricants veulent y voir inscrits.

Le sénateur Eggleton : Pensez-vous que les modèles de l'Australie ou de la Grande-Bretagne sont bien meilleurs, et que nous devrions les suivre?

Dr Lexchin : Oui, je le pense. J'ai vécu en Australie, j'y ai pratiqué la médecine, et j'ai eu recours à l'Australian Medicines Handbook. C'est une source nettement supérieure de renseignements sur les médicaments. Il n'est pas fondé que sur la monographie du produit. Il tient compte d'autres renseignements, et il fournit aussi des données de comparaison.

Le sénateur Eggleton : Vous avez parlé de la France et de ses recommandations temporaires d'utilisation, les RTU, qui peuvent être accordées pour une période maximale de trois ans. J'essaie de comprendre ce mécanisme. Cela signifie que lorsqu'un médicament est approuvé pour une indication particulière, si les autorités françaises apprennent qu'il fait l'objet d'un emploi non conforme, elles délivreront cette RTU pour une période maximale de trois ans. Est-ce bien cela?

Dr Lexchin : C'est exact.

Le sénateur Eggleton : Qui entreprend cette démarche? Est-ce le fabricant?

Dr Lexchin : Non je pense que c'est l'autorité réglementaire qui peut la délivrer.

Le sénateur Eggleton : D'où leur provient l'information?

Dr Lexchin : Je ne sais pas. Tout ça, c'est très nouveau. Cela n'a commencé qu'il y a six à neuf mois, alors personne n'a encore évalué le système et déterminé son efficacité véritable.

Le sénateur Eggleton : Revenons maintenant à la recommandation 7. Vous y parlez des agents commerciaux des sociétés pharmaceutiques.

Dr Lexchin : Oui.

Le sénateur Eggleton : Vous dites que les médecins devraient pouvoir surveiller les renseignements que ces agents fournissent, c'est-à-dire une espèce de mécanisme d'autoréglementation dirigé par les médecins. Est-ce bien l'idée, ou qui nomme les médecins?

Dr Lexchin : Ce ne serait pas les médecins qui feraient la surveillance. Leur rôle se limiterait à remplir un petit questionnaire. Par exemple, « À quel emploi la compagnie pharmaceutique vous a-t-elle dit qu'elle destinait ce médicament? Est-ce que l'agent commercial de la compagnie a parlé d'effets secondaires? Lesquels? » Ce genre de choses. Les réponses seraient transmises à l'organisme qui réglemente les activités des agents commerciaux des compagnies pharmaceutiques, soit Santé Canada ou un autre organisme indépendant. Cet organisme passera en revue les données, pour déterminer si ce que les représentants disaient aux médecins était approprié. Les médecins seraient choisis de façon aléatoire, et leur participation serait volontaire.

Le sénateur Eggleton : Si vous permettez, je m'adresserai maintenant au Dr Eguale. Vous avez dit aujourd'hui — et je l'ai vu dans un article de Maclean's l'année dernière aussi — dans environ 79 p. 100 des cas, on manque de preuve scientifique. Je vous ai cité auprès d'autres personnes qui ont témoigné ici auparavant, et elles en ont semblé étonnées. Comment pouvez-vous expliquer ce chiffre de 79 p. 100? Est-ce que ce que vous dites, c'est que dans beaucoup de cas, on a absolument aucune preuve, ou simplement pas assez de preuve?

Dr Eguale : Dans cette publication, ce que nous disons, c'est qu'il manque de solides données scientifiques pour leur application. Il manque de solides données scientifiques pour prescrire un médicament particulier, pour une indication particulière. Pour revenir aux méthodes, nous avons appliqué une méthode qui a été conçue en 2001 aux États-Unis. Nous avons utilisé un compendium qui divise ces emplois non conformes en deux catégories, c'est-à-dire ceux pour lesquels il y a des données solides et ceux pour lesquels il n'y en a pas.

Par exemple, aux États-Unis, ils ont parlé de 73 p. 100, mais leur étude ne comptait que sur 160 médicaments, alors que la nôtre examinait 684 médicaments, et c'est dans notre rapport.

Le sénateur Eggleton : D'autres études semblent confirmer vos chiffres. Est-ce bien ce que vous dites?

Dr Eguale : Oui, on le dirait bien. Si on compare les méthodes appliquées dans l'étude américaine et les nôtres, c'est tout à fait différent. Nous obtenons les indications thérapeutiques directement du médecin, au moment de la prescription. C'est le même jargon médical qu'emploient les médecins. Cependant, si vous regardez l'étude américaine, ils utilisent des codes ICD-9, qui sont très difficiles à interpréter en tant qu'indication.

Le sénateur Eggleton : Madame Tamblyn, vous avez dit être déjà venue ici, et c'est vrai, durant la phase de surveillance post-approbation de cette étude. Vous avez parlé à ce moment-là d'ordonnance électronique, si je me souviens bien.

Est-ce qu'un système d'ordonnance électronique pourrait jouer un rôle en ce qui concerne les utilisations non conformes? Est-ce qu'un tel système pourrait contribuer à améliorer le suivi, la sécurité et l'efficacité des médicaments, pour l'emploi non conforme?

Mme Tamblyn : Absolument. Nous avons une excellente base de données de tous les médicaments qui ont été approuvés au Canada depuis de nombreuses années, et qui sont sur le marché, et nous avons des vendeurs au Canada qui rassemblent les renseignements et tiennent ce système à jour. Ils font aussi un suivi de l'approbation ou non des médicaments. L'ordonnance électronique se fait à l'échelon mondial. C'est une solution facile pour tenter de réduire les erreurs découlant d'ordonnances illisibles. Bien des pays vont dans ce sens, le nôtre compris.

Si on demande l'indication thérapeutique au point de prescription, on peut clairement indiquer quels emplois sont conformes et lesquels ne le sont pas. Si on relie cela avec les données scientifiques produites par les Centers for Medicare & Medicaid des États-Unis — c'est la plus grande société d'assurance aux États-Unis —, on peut voir qu'ils ont étudié la question visant à savoir s'ils veulent assurer un médicament en tant que fonction de l'indication probable. On peut fournir des renseignements probants au point de prescription, que ce soit au médecin qui rédige l'ordonnance, au pharmacien qui la remplit, ou, au bout du compte, à la personne qui prend le médicament, pour que ces gens puissent prendre des décisions éclairées. Ce serait fantastique.

La sénatrice Seidman : Nous avons entendu à maintes reprises l'importance critique de l'emploi non conforme, comme vous disiez, madame Tamblyn, particulièrement pour certains sous-groupes de la population qui ne participent jamais aux essais cliniques préalables à l'approbation. Par conséquent, par souci de pragmatisme et pour tenter de déterminer quelles recommandations utiles nous pourrions faire, je commencerai par une question au Dr Lexchin.

Je reviens à une question que vous a posée le sénateur Eggleton au sujet du système des RTU, le système français qui, c'est vrai — vous aviez raison — vient seulement de faire l'objet d'un article dans le New England Journal of Medecine à la fin de 2012. C'est donc très récent.

Dr Lexchin : C'est exact.

La sénatrice Seidman : D'après cet article, l'une des caractéristiques du système est que la qualité des données scientifiques revêt une importance fondamentale pour la délivrance d'une RTU. Autrement dit, la délivrance de la RTU dépend fondamentalement de l'évaluation de la qualité des données scientifiques. Nous savons pourtant qu'il manque de données scientifiques dans des sous-groupes de la population. J'aimerais tenter de comprendre certains éléments et comment nous pouvons les rassembler pour essayer de faire une différence pour ces sous-groupes de la population et leur permettre d'avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin, tout en nous assurant qu'il y ait un mécanisme de sûreté et de surveillance intégré.

Dr Lexchin : L'existence ou non de données scientifiques dépendrait, du moins en partie du stade où se trouve le médicament dans son cycle de vie. Au début, vous avez raison; il n'y aurait pas de données scientifiques pour les personnes âgées ou les enfants. Cependant, si on faisait ce que suggère Mme Tamblyn, c'est-à-dire établir un lien entre le médicament et l'indication thérapeutique, tout en pouvant aussi surveiller les effets secondaires, on pourrait avoir une bonne idée au bout de quelques années. Ces médicaments seront prescrits à des personnes âgées ou des enfants, et on peut savoir si on en fait un emploi non conforme généralisé ou non et si le médicament semble sûr, du moins pour ces indications. À ce moment-là, on pourrait délivrer la recommandation d'utilisation temporaire pour permettre aux compagnies d'obtenir plus d'informations et déposer ensuite une demande d'indication formelle.

La sénatrice Seidman : C'est un des éléments du casse-tête que nous pourrions examiner dans le système français pour voir exactement comment cela est mis en œuvre.

Dr Lexchin : Je crois que vous devriez en parler à quelqu'un du système réglementaire français. Mis à part l'article du New England Journal of Medicine, je n'ai rien vu d'autre là-dessus.

La sénatrice Seidman : Intéressant.

Madame Tamblyn, vous nous avez dit combien l'emploi non conforme était vital. La grande question est la suivante : Comment pouvons-nous mettre en œuvre le système? On s'est notamment demandé qui serait chargé de le faire? Qui serait responsable d'un système électronique fonctionnel, par exemple, ce qui serait bien évidemment une des façons de procéder? Qui recueillerait l'information et comment serait-elle diffusée et partagée, étant donné les questions de compétence, les responsabilités provinciales et fédérales, entre autres?

Mme Tamblyn : C'est pour cela que j'ai mentionné le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments. Il a commencé en se fondant sur le fait que nous avons un système de soins de santé, de manière à ce que tout le monde reçoive un numéro de santé dans chacune des provinces. On inscrit toute une série de services qui sont offerts aux personnes, les médicaments qu'elles reçoivent, les services dont elles bénéficient ainsi que le bilan de leur hospitalisation. Nous disposons d'une mine de données au Canada. Cela ne signifie pas que nous avons accès à ces données, mais nous avons une mine de données à notre portée.

Quelques provinces — la Colombie-Britannique, le Manitoba et l'Ontario — ont fait preuve d'un énorme leadership quant à l'utilisation de ces données dans le but de surveiller, initialement, l'innocuité des médicaments, puis de surveiller leur efficacité. Les premières bases de données se trouvaient en Saskatchewan et ont, à chaque fois, été achetées par les États-Unis. En fait, la FDA a acheté ces bases de données et s'est rendu compte de l'énorme efficacité des stéroïdes inhalés pour réduire les crises d'asthme et les décès liés à l'asthme chez les enfants. C'était un incroyable avantage. Il nous suffit simplement de faire ressortir tout cela.

Nous sommes en mesure d'être des leaders sur la scène internationale, mais nous ne jouissons pas d'un accès équitable partout au pays. Nous disposons désormais d'un mécanisme pour partager ces résultats par le biais du Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments. Nous avons vraiment tous les éléments. Il nous suffit simplement de pousser un petit peu plus loin. Nous devrions faire de la surveillance systématique auprès des enfants, des personnes âgées, des personnes prenant plusieurs médicaments et des femmes enceintes. Nous pourrions le faire. Nous sommes comme la Finlande, la Suède et le Danemark. Nous sommes pareils.

La sénatrice Seidman : Ce que vous êtes en train de dire, c'est que nous avons tous les éléments; il s'agit maintenant de trouver une façon de les imbriquer les uns dans les autres, n'est-ce pas?

Mme Tamblyn : Exactement. Maintenant, nous ajoutons ces autres éléments, à savoir ces mines de données cliniques — les données de laboratoire, les données d'imagerie diagnostique et des données réelles d'ordonnance électronique. Nous avons désormais toutes ces données. Si nous arrivons à avoir le bon format pour rassurer le public quant à la sécurité de ces données, pour lui faire comprendre qu'il peut même surveiller les essais et qu'il a accès à tous les résultats qui en découlent, à ce moment-là nous aurions une situation avantageuse pour tout le monde.

Le sénateur Munson : La vie est un cheminement, un voyage, et parfois ce voyage, même au Sénat, vous fait vivre des situations où vous ne comprenez pas complètement tous les enjeux. Même si le dossier peut paraître simple pour les trois témoins et pour certains des sénateurs ici présents, je crois qu'il s'agit d'une question complexe pour les Canadiens.

Docteur Lexchin, selon vous, il y a des prescriptions à des fins non indiquées, car les médecins prescrivent en se basant sur des marqueurs de substitution plutôt que sur de solides critères cliniques. Je crois que nous sommes nombreux à ne pas vraiment comprendre ce que cela signifie. Pourquoi le grand public devrait-il faire très attention à cet emploi non conforme de médicaments? Nous sommes en train d'essayer d'attirer l'attention des personnes qui sont en cours de traitement et nous essayons d'attirer l'attention de Santé Canada et je vous demanderais donc de nous aider à mieux comprendre, en des termes que nous pouvons tous comprendre, s'il vous plaît.

Dr Lexchin : Je ne sais pas si vous avez sous les yeux le rapport que j'ai préparé, mais si vous allez à la page 6, vous y trouverez une liste de médicaments qui ont été approuvés en se basant sur des marqueurs de substitution, ce qui veut dire qu'ils avaient des effets sur des marqueurs biochimiques ou physiologiques. Par exemple, s'ils permettent de réduire la tension artérielle, il s'agit d'un marqueur physiologique; s'ils permettent de réduire le taux de cholestérol, il s'agit d'un marqueur biochimique.

Les médicaments sur cette liste ont été approuvés non pas parce qu'ils permettaient de réduire les symptômes d'une maladie ou aux gens de vivre plus longtemps, mais uniquement en raison de leur effet sur des paramètres biochimiques physiologiques. Si vous regardez la colonne de droite, vous verrez les résultats des tests visant à déterminer s'ils améliorent ou non la santé. Si vous descendez dans la liste, vous vous apercevrez que quasiment tous ces médicaments ont tué plus de personnes qu'ils n'ont en aidé. C'est pourquoi les gens devraient se méfier des prescriptions basées sur des marqueurs de substitution.

Parfois, ces marqueurs de substitution sont très utiles. Nous savons que si un nouveau médicament pour le VIH-sida arrive sur le marché et réduit la charge virale ou augmente ce que l'on appelle le taux de CD4 — ne vous préoccupez pas de ce que cela signifie — les marqueurs de substitution sont valides. Cela signifie que le médicament va en réalité aider les gens. Toutefois, nous ne le savons souvent pas.

Le sénateur Munson : L'adoption de nouvelles lois, de nouvelles règles et de nouvelles lignes directrices demande beaucoup de temps ici. Vous avez parlé de vos recommandations, mais j'aimerais que vous nous les répétiez. Qu'est-ce qui peut changer ici? Si vous regardez votre liste, la colonne intitulée « véritable résultat » indique « mortalité accrue ». Une mortalité accrue, ça fait peur.

Dr Lexchin : Oui.

Le sénateur Munson : Pourquoi voudrais-je prendre un de ces médicaments s'il m'était prescrit à des fins non indiquées?

Dr Lexchin : La plupart ont été retirés du marché, car ils avaient tué un trop grand nombre de personnes. Toutefois, il y a certaines choses qui pourraient être faites, que Santé Canada pourrait faire. Par exemple, d'abord, si Santé Canada approuve les médicaments se basant sur des marqueurs de substitution et si ces mêmes marqueurs de substitution n'ont pas été validés, à ce moment-là Santé Canada pourrait ordonner que les compagnies effectuent des essais à long terme. Le médicament se retrouverait tout de même sur le marché, mais il y aurait des études en cours pour voir si le fait qu'il permette de réduire le cholestérol signifie qu'il a un effet positif sur la santé des gens.

La seconde chose que Santé Canada pourrait faire, à mon avis, serait qu'en approuvant des médicaments en se basant sur des marqueurs de substitution, on exige de la part des fabricants, dans leur matériel de promotion, d'inclure un avis semblable à celui que j'ai mentionné, à savoir « Ce produit a été approuvé uniquement sur la base de marqueurs de substitution et non pas parce qu'il a un effet sur la morbidité ou la mortalité ». Ce simple énoncé, aux yeux des médecins, constituerait le message suivant : « Attention; ce médicament n'est pas nécessairement bon pour le patient ».

Le sénateur Munson : Vous ne semblez pas très satisfait de Santé Canada. En ce qui concerne les lettres que vous avez envoyées, il semble qu'ils vous ont ignoré.

Dr Lexchin : Oui, mais ce n'est pas grave. Je ne pense pas qu'ils doivent m'écouter pour apporter des changements, même si je serais content qu'il les apporte.

Le sénateur Munson : Pour revenir à la conversation que vous avez eue avec le sénateur Eggleton au sujet de la recommandation d'adopter une réglementation plus rigoureuse concernant les activités des agents commerciaux des compagnies pharmaceutiques, vous avez parlé de surveillance aléatoire. À l'heure actuelle, les médecins doivent-ils suivre des lignes directrices pour vérifier l'emploi non conforme de certains médicaments?

Dr Lexchin : Non.

Le sénateur Munson : Pourquoi pas?

Dr Lexchin : Parce que ces lignes directrices seraient quasiment impossibles à appliquer. Vous n'allez pas envoyer quelqu'un dans le bureau d'un médecin pour leur demander : « Avez-vous vérifié si l'indication a été approuvée? » Vous devez supposer que les médecins font ce qu'il faut. Ce que je demande, c'est d'aider les médecins à pouvoir faire cela.

La sénatrice Cordy : J'aimerais revenir aux agents commerciaux des compagnies pharmaceutiques, moi aussi. Vous avez dit qu'à votre avis lorsqu'ils rencontrent le personnel médical, les médecins principalement, ils ne leur parlent d'innocuité qu'une fois sur vingt; est-ce bien cela?

Dr Lexchin : Dans l'étude que nous avons réalisée, nous avons recruté des omnipraticiens à Montréal et à Vancouver. Après les avoir recrutés, nous leur avons demandé de remplir un questionnaire sur les huit visites ultérieures d'un agent commercial d'une compagnie pharmaceutique venu leur parler de médicaments sur ordonnance. Nous avons ensuite recueilli et analysé les questionnaires.

Parmi les choses que nous avons définies au préalable était que ce que nous considérions comme de l'information adéquate sur la sécurité du produit que l'agent commercial devrait communiquer au médecin. Nous avions un certain nombre de choses. Si le médicament avait de graves effets indésirables, il fallait le signaler. Si le médicament était accompagné de mises en garde, il fallait au moins en signaler une. Nous avions donc une liste de choses à couvrir.

Il a été constaté que les agents commerciaux fournissaient une fois sur vingt cette liste de renseignements. De plus, comme je l'ai dit ici, ils recommandaient une fois sur huit l'emploi non conforme d'un médicament.

La sénatrice Cordy : Voici ma prochaine question. Est-ce que la promotion par les compagnies pharmaceutiques de l'emploi non conforme de certains médicaments est illégale?

Dr Lexchin : Oui.

La sénatrice Cordy : Malgré tout, les agents commerciaux peuvent en discuter.

Dr Lexchin : Non.

La sénatrice Cordy : C'est ce que j'aurais pensé.

Dr Lexchin : Cela constituerait également une violation à la Loi sur les aliments et drogues. Toutefois, ce que je veux faire ressortir, c'est que personne ne sait ce qui se passe, car ces visites entre médecins et agents commerciaux ont lieu dans les cabinets des médecins et il n'y a qu'eux qui y assistent.

La sénatrice Cordy : Devrions-nous adopter une loi sur la transparence, au Canada, comme l'ont fait les États-Unis avec la Sunshine Act?

Dr Lexchin : Une loi sur la transparence exige des compagnies qu'elles divulguent ce qu'elles versent aux médecins. Cela ne nous permettrait toujours pas de résoudre le problème de ce que l'agent commercial communique au médecin. C'est pour cela qu'à mon avis nous avons besoin d'un mécanisme de surveillance continue.

Les fabricants de médicaments de marque ont un code des pratiques de commercialisation, mais ils dépendent uniquement d'un système de plaintes pour l'appliquer. Il faut donc que quelqu'un porte plainte.

La sénatrice Cordy : Des témoins nous ont dit qu'ils faisaient un emploi non conforme de certains médicaments et pour des groupes comme ceux mentionnés plus tôt, comme les personnes âgées, les enfants et les femmes enceintes, ils entendent parler de l'emploi non conforme par le bouche-à-oreille et par d'autres médecins qui leur disent comment s'en servir.

Je m'inquiète du fait que nous n'ayons pas de données sur l'emploi non conforme et que nous ne disposions pas de renseignements précis. Nous avons entendu aujourd'hui que 79 p. 100 des médicaments qui font l'objet d'un emploi non conforme ne se basent pas sur de bonnes données scientifiques probantes. Tous les médicaments présentent des avantages et des risques et c'est au patient, de concert avec le médecin, de décider s'il y a plus d'avantages que de risques.

Que devrait faire le gouvernement fédéral? C'est sous cet angle que nous étudions la question. Au Canada, c'est toujours un peu épineux, car nous avons les compétences provinciales, territoriales et fédérales. Que devrions-nous envisager de faire du point de vue fédéral pour veiller à ce que les gens sachent qu'on leur prescrit des médicaments pour un emploi non conforme et pour commencer à compiler des données?

Mme Tamblyn a dit que nous avions un mécanisme en place pour consigner tous les médicaments qui ont été prescrits. Toutefois, ne devrions-nous pas indiquer pourquoi ces médicaments sont prescrits, que ce soit dans le cadre d'essais cliniques ou d'un emploi non conforme? Les patients devraient être au courant s'il s'agit d'un emploi non conforme. Que devrions-nous faire du point de vue fédéral?

Dr Lexchin : Vous avez dit « du point de vue fédéral ». Déjà là, vous êtes un peu en porte-à-faux, car tout ce que font les médecins ou les pharmaciens relève, aux yeux de Santé Canada, de la pratique de la pharmacie ou de la pratique de la médecine. Si vous voulez que les médecins indiquent sur une ordonnance qu'un médicament fait l'objet d'un emploi non conforme, cela relève de la pratique de la médecine; et Santé Canada vous dira « Pas nous ». Parallèlement, si vous voulez que les pharmaciens soient forcés de remettre un feuillet d'information au patient, cela relève de la pratique de la pharmacie; et Santé Canada vous dira « Pas nous ».

À mon avis, il serait très difficile, du point de vue fédéral, d'informer les patients sur ce qui constitue un emploi conforme ou non conforme. Cela nécessiterait l'intervention des collèges provinciaux, en pharmacie ou en médecine.

La sénatrice Cordy : Quand est-ce que Santé Canada devrait dire « Peut-être nous »?

Mme Tamblyn : Santé Canada est tenu de surveiller l'innocuité des médicaments et de voir dans quelle mesure l'emploi non conforme d'un médicament présente un risque inconnu et peut-être un avantage inconnu. Le ministère dispose d'un cadre réglementaire pour faire cette surveillance et est tenu de faire cette surveillance, car il est responsable de retirer un médicament du marché ou d'émettre une mise en garde en cas de risque.

En ce qui concerne les problèmes qui découlent du fait qu'on se serve d'un médicament dans une situation où il n'a pas été testé, donc quand on ne le sait pas, il faut le surveiller. Toutes les agences de réglementation savent qu'elles doivent le surveiller, car cela relève de leur mandat.

La sénatrice Cordy : Je suis d'accord avec vous.

Mme Tamblyn : Le mécanisme de surveillance se fait en partenariat avec les provinces et à partir des données provinciales. Les provinces ont énormément intérêt à faire cela, car elles dépensent la somme combinée de 200 milliards de dollars par an dans les soins de santé, dont environ 18 p. 100 concernent les médicaments. Elles veulent savoir si elles en ont pour leur argent. Est-ce qu'elles payent pour un médicament qui n'a aucune chance de faire du bien, auquel cas est-ce qu'elles sont en train de jeter leur argent par les fenêtres?

La sénatrice Cordy : Serait-il difficile d'utiliser le mécanisme qui est déjà en place pour examiner les médicaments qui ont été prescrits? Est-ce que ce serait difficile d'ajouter l'emploi non conforme des médicaments à tout cela?

Mme Tamblyn : Vous avez mis sur pied une infrastructure qui est, à mon avis l'une des meilleures au monde. La FDA a mis sur pied une infrastructure semblable, la Sentinel Initiative de la FDA. Le Canada est un leader dans ce domaine car il a la capacité d'utiliser cette information de manière efficace pour surveiller les risques; vous avez donc deux atouts en votre faveur.

La troisième chose qu'il vous reste à faire, et c'est ce à quoi sont en train de s'atteler l'ICIS et Inforoute Santé du Canada, consiste à examiner l'utilisation que fait le système de santé des nouvelles données électroniques cliniques qui n'existait pas avant la numérisation des soins de santé. Il faut faire le ménage dans le cadre réglementaire, ce qui est en cours, intégrer tout cela et établir des liens avec les données administratives; et ensuite l'affaire est jouée. Toutefois, il vous faut exiger qu'on exclue l'indication des ordonnances électroniques, afin de pouvoir surveiller la situation et donner de la rétroaction aux personnes qui se servent du même mécanisme.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos excellents commentaires et exposés. À la page 6 se trouvent les médicaments qui ont été retirés. J'espère qu'ils ne changeront jamais leurs noms et qu'ils ne seront pas ensuite remis sur le marché. Nous avons rencontré plusieurs médecins et j'ai déjà posé cette question à d'autres témoins. Étant donné que 79 p. 100 des médicaments manquent de preuves scientifiques pour appuyer leur utilisation dans une population adulte, les médecins sont-ils à l'aise à l'idée de prescrire tous ces médicaments à des fins non indiqués?

Dr Eguale : Nous n'avons pas évalué si les médecins savaient que le médicament qu'ils prescrivaient aurait un emploi conforme ou non. Dans une étude effectuée aux États-Unis en 2006, les médecins avaient reçu un médicament et son indication. Dans 55 p. 100 des cas, ils arrivaient à identifier si l'emploi de ce médicament était conforme ou non. Il faut souligner que même du côté des médecins, il y a un réel manque de connaissances dans ce domaine. On pourrait pallier à ce problème si l'on utilisait un système de prescriptions électroniques.

Le sénateur Enverga : J'ai entendu dire que l'Australie était dotée d'un meilleur système. Pouvez-vous nous faire une brève recommandation qui nous permettrait d'améliorer notre système?

Dr Lexchin : On pourrait élaborer de meilleurs systèmes informatiques pour que les médecins puissent voir à quel point les médicaments sont efficaces et sûrs. Le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques, que nous utilisons à l'heure actuelle, est tout à fait inadéquat à cette fin.

Ça ne prendrait pas trop de temps pour le faire. Le Australian Medicines Handbook a vu le jour suite à une idée lancée lors d'une conférence en 1995. Quatre ou cinq ans plus tard, la première édition du manuel est parue. Il s'agit d'un produit commercial destiné à la vente. Cela leur permet de générer du revenu. Un groupe de 25 ou 30 associations et sociétés médicales et pharmacologiques siège au conseil de l'organisation. Le manuel est géré de manière indépendante du gouvernement afin que les médecins n'aient pas à se préoccuper du fait qu'un politicien leur dirait ce qu'ils doivent ou non prescrire. Le manuel fait autorité. Je pense qu'on pourrait tout à fait se doter d'un tel système si nous encouragions des groupes tels que l'Association médicale du Canada et l'Association des pharmaciens du Canada à rédiger un manuel similaire.

Le sénateur Enverga : Recommanderiez-vous que nous adoptions cette idée le plus vite possible afin d'améliorer rapidement notre système?

Dr Lexchin : Pour exercer la médecine adéquatement, il est essentiel d'avoir des renseignements à jour et de se fixer des objectifs. Cela peut se faire en ayant recours à un manuel ou encore en utilisant une application sur son iPad. Il est impératif d'élaborer un système le plus rapidement possible.

La sénatrice Seth : Docteur Eguale, vous avez parlé de la prévalence de la prescription de la gabapentine à d'autres fins que celles indiquées, qui se chiffraient à 99,2 p. 100 de son utilisation. Vous avez indiqué que les preuves scientifiques avaient indiqué que, dans 4 p. 100 des cas, ce médicament fonctionnerait pour une indication bien précise. Vous avez indiqué que la société a reçu une amende de 500 millions de dollars mais que, au cours de la même année, elle avait généré 2,5 milliards de dollars en ventes. Pensez-vous que cela est dû à son efficacité? Est-ce que cela permet également de quantifier la prévalence de l'emploi non conforme du médicament? Qu'est-ce qui explique ce chiffre?

Dr Eguale : En ce qui concerne ce médicament, plusieurs études ont indiqué clairement que cette société fait illégalement de la publicité pour des emplois non conformes. C'est pour cela que la société a plaidé coupable et a payé l'amende. Ce médicament est approuvé uniquement pour traiter l'épilepsie, mais on a insisté pour qu'il soit prescrit pour au moins 10 fins non indiquées sur l'étiquette, sans avoir de preuve qu'il devait être utilisé pour ces indications.

La sénatrice Seth : Qu'est-ce que l'emploi non conforme aux médicaments a de si spécial? Qu'est-ce qui pose problème? Est-ce que cela engendre plus d'effets secondaires que lorsqu'on utilise des médicaments dont l'emploi est conforme?

Dr Eguale : Nous avons fait une étude qui faisait le pont entre l'utilisation des prescriptions à des fins non indiquées et les réactions indésirables aux médicaments. Nous avons indiqué l'année dernière à Barcelone que les chances d'avoir une réaction indésirable à un médicament augmentent de 43 p. 100 si le médicament est utilisé à des fins non indiquées. Nous l'avons démontré clairement.

La sénatrice Seth : Pourquoi avons-nous le droit de l'utiliser? Pourquoi est-ce qu'on s'aventure dans ce terrain?

Mme Tamblyn : Puisqu'on ne sait pas pourquoi le médicament a été prescrit, on ne peut pas le surveiller.

Le président : Je pense que je vais vous interrompre. Ces questions sont trop directes. Nous sommes en train d'examiner ce sujet et essayons de récolter des renseignements généraux.

Dr Lexchin : Puis-je intervenir rapidement sur ce point?

Le président : Oui.

Dr Lexchin : Même si un médicament ne fonctionne pas, ou que nous n'avons pas de preuve pour indiquer qu'il fonctionne, il peut quand même causer du dommage. Ainsi, moins un médicament est efficace et plus le rapport entre les dommages qu'il peut causer et les biens qu'il peut prodiguer augmente. Si vous n'avez aucune preuve pour indiquer qu'un médicament fonctionne et que quelqu'un le prend, cette personne est quand même assujettie à ses effets secondaires. Il devient alors de plus en plus dangereux de prendre ce médicament et cela fait décroître les avantages que cela aurait pu vous procurer.

Le président : De nouveau, j'aimerais vous rappeler que je pense que l'on s'écarte un peu du sujet. Il faut parler de ce qui est prescrit à des fins non indiquées. Cela pourrait très bien, par exemple, être prescrit pour une population plus vulnérable. Cette question est fort complexe. J'aimerais qu'on revienne au sujet. Madame la sénatrice, avez-vous une autre question?

La sénatrice Seth : Non.

Le président : Docteur Lexchin, lorsque vous avez fourni vos recommandations dans votre exposé, vous avez clarifié une question qui m'interpellait. Vous avez notamment indiqué dans votre première recommandation que lorsque Santé Canada rejette une demande d'approbation pour l'ajout d'une indication pour un médicament, ces renseignements devraient être rendus publics et publiés sur son site Internet. Ma première réaction en entendant cela était : Comment pourraient-ils même indiquer toutes les choses que le médicament pourrait faire? Ensuite, vous avez clarifié le tout en indiquant qu'il y avait une étude qui avait révélé que l'on avait fait une demande ou présenté une demande à Santé Canada et que le ministère avait rejeté cette demande d'approbation. Est-ce exact?

Dr Lexchin : C'est exact. Si le laboratoire Merck a un nouveau médicament sur le marché et qu'il voudrait qu'il soit approuvé comme médicament qui est capable de faire revivre les morts et que Santé Canada ne trouve aucune preuve que cela soit possible, alors le fait que Santé Canada ait rejeté cette indication ne serait jamais rendu public.

Le président : Merci. Cette clarification est fort importante. Je voulais que ce soit clairement inscrit au compte rendu afin que l'on comprenne bien que c'était un cas dont vous parliez.

Mme Tamblyn et le Dr Eguale ont parlé des enjeux portant sur l'administration des renseignements et de comment tout cela était rendu disponible. Je ne voudrais pas que l'on commence à discuter d'enjeux qui touchent les domaines de compétence. Notre objectif est de tenter de cibler des mécanismes qui pourraient être véritablement efficaces pour recueillir et propager les données portant sur l'évaluation de toutes ces preuves.

Mme Tamblyn : Oui.

Le président : Nous pourrons déterminer ultérieurement à qui nous adresserons ces recommandations. Examinons maintenant cette question de collecte et d'utilisation des renseignements.

J'aimerais d'abord parler de l'utilisation des renseignements. Dans un autre témoignage, on nous a dit que, avec les capacités électroniques dont nous sommes dotés de nos jours, il serait relativement facile d'utiliser un menu déroulant. Je ne veux pas rentrer dans les détails maintenant, car nous voulons aborder les effets indésirables lors de la prochaine phase. En revanche, nous savons qu'un des problèmes revient souvent du fait que les médecins choisissent souvent le mauvais médicament pour un cas particulier. Il semblerait que, même avec les prescriptions électroniques actuelles, le nombre de problèmes n'a pas chuté dans certains domaines, mais il paraît que c'est partiellement attribuable à la structure du système.

Pourquoi ne serait-il donc pas possible de faire une prescription exigeant que — et nous ne nous soucions pas pour l'instant des domaines de compétence — le médicament soit prescrit pour une maladie bien précise? Le médecin pourrait trouver le médicament en question sur la liste et ensuite se référer au menu déroulant pour voir pour quelles indications ledit médicament a été prescrit. Pourquoi est-ce que cela ne serait pas vraiment facile à faire s'il s'agissait d'une prescription électronique dans laquelle on pourrait retrouver dans un menu les emplois non conformes?

Deuxièmement, en ce qui concerne la collecte de renseignements que nous avions dans la première phase, et nous savons que l'on utilise des médicaments à des fins non indiquées pour les populations sous-représentées, dont, notamment, les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées. Est-ce que le médecin prescripteur ne pourrait pas alors tout simplement indiquer la catégorie de patients pour laquelle il a prescrit le médicament en question?

Je ne veux pas entrer davantage dans les détails. J'aimerais vous dire — et je pense que l'exemple du Dr Lexchin dans sa réponse a permis de clarifier les choses — qu'il serait également possible d'indiquer tout cela dans le menu déroulant. Si le médecin voit cette liste qui indique que, tel que l'a recommandé le Dr Lexchin, l'on n'a pas le droit de le prescrire ou encore que Santé Canada a indiqué que la prescription n'était pas approuvée pour une telle indication, alors le médecin en question pourrait tout de suite voir ces faits.

Vous représentez tous des milieux universitaires et utilisez donc des moyens électroniques d'une façon beaucoup plus excessive qu'un médecin qui travaille uniquement avec le public. Par conséquent, vous comprenez encore mieux tout le potentiel qui se trouve dans de tels systèmes. Pensez-vous que les listes déroulantes et la possibilité de faire des prescriptions électroniques nous permettront d'améliorer les choses si l'on s'assure de l'autre côté qu'il y a un certain suivi au sujet de l'efficacité et des effets du médicament? Je vais vous en parler lorsque j'aborderai la deuxième partie de ma question.

Pouvez-vous me fournir un autre exemple de la façon dont le monde électronique permettrait d'accélérer le transfert des connaissances entre les médecins, les pharmaciens et les patients?

Mme Tamblyn : Je suis ravie que vous ayez mentionné ce point, car vous soulevez précisément le prototype couronné de succès qui existe au Québec depuis 2003. L'étude effectuée par le Dr Eguale était basée sur des données générées par ce modèle. Vous avez exactement compris ce qu'il en était. Il s'agit d'une prescription électronique structurée qui comprend un menu déroulant avec un champ obligatoire dans lequel il faut expliquer pour quelle indication on l'a prescrit si l'indication ne se trouve pas dans le menu. À ce moment-là, il serait facile d'indiquer en même temps s'il s'agit d'un emploi conforme ou non au médicament, que l'on soit doté ou non de bonnes preuves scientifiques. Vous connaissez l'âge de la personne et vous savez si elle prend d'autres médicaments, alors cela vous permettra de connaître au moins deux parties de la population vulnérable. Vous n'allez pas nécessairement savoir si les femmes sont enceintes, mais vous pouvez soustraire cette possibilité dans le cas où il s'agit d'hommes. Cela fait en sorte que vous vous retrouverez avec la possibilité que les femmes soient enceintes. L'on est doté de bon nombre de renseignements que l'on pourrait rendre obligatoires.

La beauté de ce prototype couronné de succès, et je souligne que c'est la première fois que cela a été fait au monde, c'est qu'il prend l'indication, la met sur la liste de problèmes de la personne puis rajoute tous les médicaments déjà essayés pour ces problèmes et affiche les résultats. Est-ce que le médicament a été efficace? Y avait-il des effets indésirables? On peut donc faire le suivi et voir le bilan de tout le traitement qui a eu lieu. Le fait que les gens qui prescrivent des médicaments aient accès à ces renseignements et prennent quelques secondes pour expliquer les motifs de leurs prescriptions ajoute beaucoup de valeur aux renseignements cliniques.

Le président : Passons maintenant à l'autre bout du spectre. Le médicament se trouve maintenant entre les mains du patient. D'autres témoins nous ont indiqué que, et nous l'avons d'ailleurs lu en examinant ces enjeux, dans les faits, un certain nombre de problèmes surviennent après la prescription. Une partie de ce problème est attribuable au fait que les patients ne prennent pas les médicaments tel qu'indiqué ou ne les prennent tout simplement pas. Mais ce dernier point porte sur un autre enjeu.

Parlons donc de la collecte de renseignements au sujet de l'efficacité. Nous avons reçu des exemples précis là-dessus dans notre étude préalable, alors je ne vais pas rentrer dans les détails. J'aimerais inscrire un autre point au compte rendu en ce qui concerne la collecte de données car, au bout du compte, c'est véritablement la collecte des données qui nous permettra de déterminer comment tout cela fonctionne. Nous savons que moins de 5 p. 100 des effets indésirables sont rapportés. Dans notre étude préalable, nos témoins ont fortement recommandé que ces rapports sur les effets indésirables soient présentés sous forme électronique, afin qu'ils puissent être analysés, comme vous l'avez indiqué, par un plus vaste groupe de praticiens intéressés.

Il y a quelque chose qui est apparu dans certains rapports au sujet des groupes de patients. Parlons, par exemple, du cas de la maladie de Crohn car il s'agit d'un des cas où cela s'est produit. Les patients se sentaient frustrés quand ils essayaient d'obtenir des renseignements afin de comprendre les médicaments. Ils ont donc décidé de créer une association en ligne. Je comprends que cela peut comporter des risques. En revanche, grâce à cela, il semblerait que des renseignements aient été recueillis et qu'ils suggéraient fortement qu'il y avait des avantages liés à l'emploi non conforme d'un médicament et parlaient des effets indésirables. Le lithium est un autre exemple de médicament où un groupe de patients s'est rassemblé. Ils se sont retrouvés en ligne puis, de manière spontanée, cela a créé une initiative qui émanait des patients.

Est-ce que l'on pourrait utiliser ce phénomène de manière plus délibérée? Pourrait-on demander à des groupes de patients de s'impliquer en envoyant à une organisation les renseignements qu'ils ont glanés? Je songe notamment au RIEM ou encore à un autre centre de collecte de données? Ces renseignements pourraient être centrés sur les symptômes liés à la maladie. Des patients atteints d'une certaine maladie seraient intéressés à la gérer, dans une certaine mesure, leur maladie. Je ne vais pas vous en parler davantage. Est-ce que l'on pourrait stimuler les groupes de patients à être plus proactifs pour recueillir des données et nous les fournir plutôt que de tout simplement remplir des formulaires?

Mme Tamblyn : Je pense que nous empruntons absolument cette voie. Et nous devons d'ailleurs absolument l'emprunter. C'est essentiel de le faire dès le départ. Nous avons des dossiers de santé personnels à l'heure actuelle. Ils ne sont pas bien reliés aux fournisseurs. Nous pourrions le faire facilement. On devrait mettre à jour la liste des médicaments pour les patients. On aimerait qu'ils nous fassent part des résultats. On pourrait les appeler par téléphone et leur demander le suivi des résultats. Nous pourrions savoir quand on leur a prescrit quelque chose quand on leur a distribué quelque chose. On pourrait les appeler pour leur demander par téléphone ou eux-mêmes pourraient entrer les données. On a commencé à utiliser des manières créatives d'utiliser les technologies mobiles ou encore les dossiers de santé personnels pour recueillir ces données. On le fait notamment même en utilisant les réseaux sociaux, comme c'était notamment le cas pour les gens qui avaient la maladie de Crohn ou encore de l'asthme, par exemple. Cela permet de partager des renseignements sur ces sujets.

Nous sommes dotés de toutes les capacités nécessaires pour le faire en ce moment. Je pense que nous avons toute la technologie également pour y arriver. Il s'agit tout simplement de resserrer le tout afin qu'on puisse en assurer un suivi systématique. Tout cela repose sur des bases très solides et offrirait beaucoup de possibilités. C'est très emballant.

Kaiser Permanente s'est mis à faire un suivi de la non-conformité primaire parce que toutes leurs ordonnances sont délivrées par voie électronique. Ils ont pu commencer à faire un suivi parce qu'ils ont créé un portail pour leurs patients qui leur permet vraiment de savoir ce qui se passe. Ils offrent la possibilité de visites électroniques sur ce qui vous touche, et cetera. Tout est là.

Le président : Pour terminer, j'aimerais savoir ce que vous pensez de la rapidité de nos progrès dans le domaine électronique, sur un plan pratique. Nous savons, d'après des études que nous avons faites antérieurement, que l'un des facteurs limitatifs a été que même si la plupart des praticiens sont munis d'ordinateurs, les systèmes d'exploitation ne communiquent pas, très souvent, même au sein d'une même clinique, alors encore moins au sein d'un service hospitalier, disons, et évidemment, cela restreint la diffusion. Je le dis à nouveau, vous êtes vraiment à l'avant-garde de la capacité électronique dans le milieu universitaire. Dans vos échanges avec le milieu de la médecine, avez-vous l'impression que la capacité d'intercommunication des médecins se renforçait? Dans l'affirmative, est-ce que la rapidité des progrès vous semble satisfaisante ou bien suscite-t-elle encore des frustrations? Je ne vous demanderai pas si vous êtes frustré. Avez-vous l'impression que cela pourrait aller plus vite?

Dr Lexchin : Je veux dire deux choses. Il se trouve au centre-ville de Toronto plusieurs hôpitaux universitaires. En ce moment, l'hôpital général de Toronto et le Toronto Western peuvent communiquer avec l'hôpital Mount Sinai, mais ils ne peuvent avoir de communications électroniques avec le Women's College, avec l'Hospital for Sick Children, avec St. Michael's ou avec Sunnybrook.

Le président : Les trois plus grands sous-ensembles d'emploi non conforme.

Dr Lexchin : La deuxième chose que j'ai à dire vient de ce que ma femme m'a dit. Elle est omnipraticienne dans un centre de santé communautaire de Toronto. Ce centre en est à son cinquième système de dossiers de santé électroniques en 20 ans. Il ne fait toujours pas le travail correctement, et le centre ne peut communiquer avec aucun hôpital.

Mme Tamblyn : Le Canada a pris une certaine orientation. Nous nous sommes concentrés sur l'établissement de grands dépôts de données. Nous avons eu des embûches, parce que le versement des données sur tout le monde dans un énorme dépôt effrayait les gens, et on peut le comprendre. Il aurait fallu adopter une stratégie consistant à prendre des mesures apportant tout de suite des résultats d'abord sur le terrain. Il faut avoir des caractéristiques à valeur ajoutée dès le départ.

Quand on regarde des démarches qui ont été beaucoup plus fructueuses que les nôtres, et ce n'est pas dire que nous n'y arriverons pas un jour, mais du moins qui ont été exécutées plus rapidement, l'un des meilleurs exemples est celui de Group Health. Ils se sont dits, « Le patient d'abord ». Ils ont été les premiers à avoir accès aux données numériques, et soudainement, les fournisseurs ont eux aussi voulu y avoir accès : « Si vous pouvez les afficher sur votre téléphone mobile, je veux les voir aussi ».

Nous venons justement de voir quelque chose au Centre universitaire de santé McGill, que vous connaissez peut-être pour d'autres raisons. Ils mettent quelque chose sur votre téléphone mobile, qui vous permet de voir le dossier d'une personne, où que vous soyez. Il faut avoir certaines choses qui portent fruit rapidement, comme des caractéristiques à valeur ajoutée. Chacun veut pouvoir prendre rendez-vous en ligne avec son médecin. Personne ne veut devoir le faire par téléphone. Il existe des solutions qui pourraient porter fruit tout de suite, et qui nous permettraient de progresser plus rapidement.

Le président : Vous avez tout à fait raison, à mon avis, et il a été amplement démontré qu'il faut commencer par ce que les gens utilisent. Je connais un médecin qui, quand la clinique lui a demandé d'utiliser un ordinateur, a éclaté en invectives de toutes sortes, mais maintenant il transmet directement ses ordonnances aux pharmacies que choisissent ses patients. La solution était simple, parce qu'il existait des exemples qui démontraient très clairement les gains de temps possibles, ce qui est précieux pour les médecins praticiens.

Vous avez parlé d'une certaine installation. Pensez-vous que si cette magnifique installation est construite, elle sera pleinement intégrée, sur le plan électronique, dans le système. Est-ce que c'est l'une des caractéristiques qu'il est envisagé d'exiger? Vous n'avez pas besoin de répondre.

Le sénateur Eggleton : Votre huitième recommandation, docteur Lexchin, est que les collèges de médecins provinciaux devraient exiger que les médecins indiquent « utilisation non indiquée » sur chacune de leurs ordonnances quand, évidemment, un médicament est prescrit pour une utilisation qui n'est pas approuvée. Est-ce que vous proposez ici seulement « utilisation non indiquée », ou faudrait-il y ajouter des détails? Quels types de détails faudrait-il à votre avis?

Dr Lexchin : Il est difficile de donner beaucoup de détails sur une ordonnance. En principe, on pourrait mettre une indication et dire que c'est un emploi non conforme, mais on est limité, du moins avec le modèle actuel d'ordonnance, par les contraintes d'espace. Si les ordonnances étaient transmises par voie électronique, et la plupart des gens ont maintenant des téléphones intelligents, ou du moins beaucoup en ont, on pourrait transmettre l'ordonnance au patient sur son téléphone intelligent, et il pourrait ainsi la présenter à la pharmacie. La quantité de données qu'on peut transmettre à un téléphone intelligent est quasiment illimitée.

Le sénateur Eggleton : Docteur Eguale, vous avez dit à la fin de votre déclaration que les médecins qui sont plus portés à se fier sur les preuves sont moins susceptibles de prescrire des médicaments pour un emploi non conforme. C'est un constat de l'étude sur une échelle de conformité aux preuves concrètes, la Evidence Practicality Conformity Scale. Avez-vous une idée précise d'un mécanisme de dissémination de cette orientation fondée sur les preuves? Avez- vous des idées de la manière dont cela pourrait se faire?

Dr Eguale : La pratique fondée sur les preuves, c'est plus une caractéristique du médecin. Nous faisons remplir un questionnaire aux médecins qui s'inscrivent au système MOXXI, quand ils commencent à utiliser le système, et il s'y trouve une espèce d'échelle qui mesure à quel point le médecin ne se fie qu'aux preuves concrètes. Nous associons cette mesure à une tendance à prescrire des médicaments à emploi non conforme, et nous avons constaté que les médecins qui se fient plus aux preuves tendent à prescrire moins souvent des médicaments à emploi non conforme. C'est vraiment plus une caractéristique du médecin. Cependant, en même temps, pour davantage se fonder sur des données probantes, ils doivent par exemple examiner les résultats d'essais contrôlés aléatoires qui peuvent servir pour prescrire des médicaments. En suivant les essais contrôlés aléatoires, ils se fient plus aux données probantes.

Dr Lexchin : Je pense toutefois que si on veut que les médecins se fondent plus sur les preuves, il faut que ces preuves soient plus faciles à obtenir. Un moyen pour cela, et qui recourrait à un service qui existe déjà, serait de créer un système qui permet à tous les médecins du Canada d'accéder gratuitement à la base de données Cochrane. Cette base comporte les données d'examens systématiques. Elle se trouve plus ou moins en Grande-Bretagne. Cependant, à moins d'aller dans une bibliothèque universitaire, tout ce qu'on peut obtenir, c'est un résumé.

Le sénateur Eggleton : Il a été question, à cette réunion et à d'autres, d'amendes dont ont été frappés certains fabricants de médicaments. Par exemple, j'ai ici un article du New York Times. On y lit que la compagnie britannique GlaxoSmithKline a accepté de payer 3 milliards de dollars en amendes, en partie pour avoir fait la promotion d'antidépresseurs. Johnson & Johnson, dans un autre dossier, a convenu de verser 181 millions de dollars. L'un des témoins que l'on a entendus a dit que c'était facile. Ce n'est qu'une goutte d'eau dans un océan. Ces compagnies font beaucoup plus d'argent que cela, alors elles veulent bien payer ces amendes. C'est pour de la publicité qu'elles ne sont pas censées faire, ou de la promotion, je suppose.

Qu'en est-il du Canada? Est-ce que cela se fait ici aussi? Connaissez-vous de ces cas? La Loi sur les aliments et drogues prévoit une amende maximale de 5 000 $, ce qui est vraiment peu comparativement à celles dont je viens de parler. Je ne sais pas si c'est pour de la publicité, de la promotion, ou si c'est interchangeable. Qu'en est-il au Canada, est-ce que c'est pareil ou différent?

Dr Lexchin : C'est tout à fait différent. Je ne pense pas qu'il y ait eu de cas de gouvernements qui poursuivent des compagnies pharmaceutiques pour avoir fait une promotion illégale. Il est possible que cela arrive. Par exemple, si une compagnie faisait au Canada la promotion illégale d'un médicament payé par un régime provincial d'assurances- médicaments, la province pourrait intenter un procès à la compagnie pour cela, mais ce n'est jamais arrivé au Canada. Une des raisons à cela, bien que pas la seule, c'est que le Canada n'a pas de loi concernant les dénonciateurs. Aux États-Unis, il en existe. Quand quelqu'un dénonce sa compagnie et qu'un procès s'ensuit, si le procès est gagné, le dénonciateur reçoit un pourcentage de l'amende imposée.

Le sénateur Eggleton : C'est parce que nous n'avons pas de mécanisme pour composer avec ces situations, qu'elles surviennent ou non. Ces compagnies existent, ici. Ne pourraient-elles pas faire ici la même chose qu'elles font aux États-Unis, et pour laquelle elles se font pénaliser?

Dr Lexchin : On pourrait raisonnablement le penser, mais personne ne l'a démontré.

Le sénateur Eggleton : Que proposez-vous? Je crois que vous aviez commencé à en parler.

Dr Lexchin : Il faut encourager les gens qui ont ces renseignements d'initiés à s'exprimer, et pour cela, il faut les protéger. Il faudrait aussi chercher plus énergiquement à savoir ce que sont les pratiques promotionnelles des compagnies, mais nous ne faisons pas cela.

Le sénateur Eggleton : Si nous le faisions, une amende de 5 000 $ semblerait assez ridicule.

Dr Lexchin : Ça, c'est en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Par exemple, si les provinces pensent avoir dépensé 500 millions de dollars sur un produit dont la promotion est faite illégalement, elles pourraient poursuivre la compagnie pour en obtenir le montant qu'elles voudraient. La Loi sur les aliments et drogues n'indique que le montant de l'amende que Santé Canada peut imposer à une compagnie. En fait, la plupart de ces amendes n'étaient pas la conséquence de quelque chose qu'avait fait la Food and Drug Administration, mais de poursuites intentées par le ministère de la Justice contre les compagnies.

La sénatrice Cordy : J'ai vu aujourd'hui un article dans le New York Times. C'est ironique, mais il y était question de trouver dans le Web les effets secondaires cachés de médicaments. Il était fondé sur une étude publiée dans le Journal of the American Medical Informatics Association, laquelle a été menée par Microsoft, Stanford et Columbia. Ils font la collecte de données de recherches dans Google, Yahoo! et Microsoft sur les effets secondaires, et ils sont en contact avec plus de six millions d'utilisateurs d'Internet. Internet n'a pas de frontières, alors il s'agit d'utilisateurs du monde entier. Est-ce que nous faisons assez, puisque nous parlons d'emploi non conforme, particulièrement pour les gens comme des enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées, dans les régions pas tellement peuplées? Est-ce que nous faisons assez à l'échelle internationale, pour recueillir les données sur l'emploi non conforme?

Mme Tamblyn : Nous sommes à l'ère numérique. Les frontières s'estompent. Beaucoup de pays ont lourdement investi. En Israël, par exemple, tous les dossiers de santé sont sur support électronique; au Royaume-Uni, ils sont près de 100 p. 100. Il y a moyen, maintenant, de créer des cohortes internationales de gens qui, par exemple, souffrent de diabète et prennent de nouveaux médicaments, et il y aurait moyen de faire un suivi des risques et des avantages à l'échelle mondiale. Ce serait fantastique, parce que cela signifie qu'un petit pourcentage de personnes âgées de plus de 90 ans prend une gamme complète de médicaments. Par contre, à l'échelle mondiale, il se pourrait qu'une personne par heure prenne un certain médicament. On pourrait vraiment faire un suivi.

Il y a, je pense, un véritable potentiel, et nous finançons actuellement de la recherche dans le domaine de l'investigation et du développement de prototypes internationaux de pharmacovigilance.

La sénatrice Cordy : Cette étude est fascinante. Je ne l'ai pas lue, seulement l'article écrit à son sujet. Pensez-vous vraiment pouvoir être en contact, en ligne, avec plus de six millions de personnes, et déterminer quels médicaments elles prennent et, d'après ce que j'ai lu, aussi l'interaction des médicaments? Ainsi, si on prend le médicament avec un autre, rien ne se passe. Je pense parfois que nous manquons beaucoup de choses, à ne pas recueillir certains renseignements, surtout quand on parle d'emploi non conforme, mais tout particulièrement parce que c'est un domaine dans lequel nous n'avons pas beaucoup de preuves scientifiques. Beaucoup d'ordonnances sont le fruit du bouche à oreille.

Mme Tamblyn : Vous avez tout à fait raison. L'un de nos scientifiques, qui est parti aux États-Unis mais, nous l'espérons, nous reviendra, applique la même méthodologie, or, maintenant, c'est pour faire le suivi d'épidémies de maladies infectieuses. Nous pourrions en faire autant pour les médicaments.

Le sénateur Martin : J'espère poser les bonnes questions. Vous avez donné beaucoup d'éléments de réflexion, qui s'ajoutent à l'étude.

Madame Tamblyn, vous avez dit qu'au Canada, nous avons un trésor de données, mais les questions qui se posent concernent l'accès à ces données.

Mme Tamblyn : C'est exact.

Le sénateur Martin : Docteur Lexchin, vous parliez d'accès à des données telles que celles de la base de données Cochrane. Même si les médecins pouvaient avoir accès à ces données à leur cabinet, est-ce qu'ils auraient le temps de les déchiffrer? Je suppose que cela dépend du médicament qu'ils prescrivent, s'ils pouvaient accéder rapidement à cette base de données, ces renseignements seraient à leur portée au moment de prescrire un médicament. C'est une solution. Y a-t-il aussi un problème en ce qui concerne l'organisation de ces données? Vous avez parlé de notre infrastructure. Est-ce que ce qu'il faut, c'est concevoir un mécanisme et organiser les données de façon à ce qu'elles soient conviviales, pour ainsi dire, ou y a-t-il d'autres problèmes que vous pouvez nous signaler?

Il semble que nous ayons les éléments importants, mais qui les rassemblera et comment les imbriquer les uns aux autres? Vous avez parlé d'aspects ou de lacunes importantes, et j'aimerais bien qu'on en aborde d'autres.

Mme Tamblyn : J'aimerais faire la distinction entre deux choses dont vous venez de parler. L'une est l'information qui peut être utilisée pour faire un suivi en temps réel de l'efficacité d'un médicament pour les personnes auxquelles il est administré. C'est, disons, de l'information de suivi pharmaceutique. C'est le genre de données pour lequel il faut des experts qui en interpréteront les risques et avantages comparatifs entre médicaments, maintenant qu'ils sont administrés aux femmes enceintes et aux jeunes enfants, à des fins thérapeutiques pour lesquelles ils n'ont jamais été testés.

Nous avons des problèmes d'accès, qui peuvent être réglés par le leadership. Cependant, nous avons un trésor de données, et nous pouvons certainement devenir des chefs de file, sur la scène internationale, dans ce domaine.

La deuxième chose, c'est que puisque nous avons cette information, comment réacheminer cette information et celle dont a parlé le Dr Lexchin — les examens Cochrane, et d'autres renseignements pertinents — là où les soins sont prodigués? Tout le monde y gagnerait, parce qu'il y aurait une plateforme numérique. La personne l'utilise pour prendre des décisions d'ordre clinique. Au lieu de lui donner une directive qui fait des centaines de pages sur l'utilisation de narcotiques — comme la directive qu'a récemment publiée le Québec — on pourrait dire : « C'est tel narcotique, pour tel segment de la population, pour telle raison. Je peux vous donner l'information aujourd'hui. »

En fait, l'Université McMaster a été l'un des pionniers en matière de fournitures de données pertinentes au moment approprié, à la personne devant prodiguer les soins, afin qu'elle puisse prendre la meilleure décision qui soit. Ce sont des leaders mondiaux dans le domaine. Il y en a encore bien d'autres, mais je peux vous dire que nous avons un trésor, avec l'énorme potentiel dont nous disposons au Canada de bien faire les choses. C'est pourquoi je pense que nous devrions devenir des chefs de file.

Le sénateur Martin : Pour exploiter ce potentiel, créer cet échange, vous dites qu'il faut du leadership, mais faudrait- il aussi légiférer? N'est-il pas vrai qu'il n'y a pas de mandat, par exemple, pour les médecins eux-mêmes? Est-ce qu'ils adopteraient ce système de leur propre chef? Je vais revenir au Dr Eguale qui parlait d'une certaine caractéristique, une orientation, une tendance à se fonder sur les faits. Comment peut-on mobiliser la profession, l'amener à faire cet échange? Qu'est-ce qu'il faut, pour cela? Vous parlez de leadership, mais comment faut-il procéder?

Mme Tamblyn : Est-ce que je pourrais revenir sur mes pas, pour dire que c'est un peu comme la lutte qu'on mène contre le tabac? Le tabagisme fait du mal. Il faut dire que nous voulons avoir un système pour faire un suivi véritable de l'innocuité et de l'efficacité des médicaments après leur mise en marché. Nous voulons pouvoir faire le suivi de l'emploi non conforme. Nous voulons pouvoir fournir de l'information aux patients, aux médecins prescripteurs et aux pharmaciens au lieu même des soins, au moment où ils prennent des décisions, relativement à l'innocuité et l'efficacité des médicaments qui entrent sur le marché.

Si nous nous fixons cet objectif, nous allons financer des programmes, et peut-être établir un cadre stratégique. Il se peut que nous voulions y ajouter des éléments de réglementation, particulièrement pour exiger l'accès en temps opportun aux données aux fins de suivi, comme nous le faisons pour le suivi obligatoire des maladies. Nous faisons ce genre de suivi, mais dans aucun autre domaine. Ce serait possible. Je pense qu'il y aurait plein de choses à faire.

Je résumerais volontiers certaines des nombreuses choses qu'on pourrait faire, et, avec mes collègues, vous communiquer les principaux leviers qu'on pourrait actionner et intégrer à ces mesures. Si c'est notre objectif, nous pouvons l'atteindre.

Le sénateur Martin : Je suis heureux de l'entendre. Je suis ravie, parce que comme vous, je pensais que nous avons l'infrastructure, nous avons un trésor de données, et il existe tous ces merveilleux modèles, alors que faire pour y arriver? Cette liste que vous proposez serait très utile.

Mme Tamblyn : Je vous la transmettrai avec plaisir.

Dr Lexchin : J'ajouterai que si on peut démontrer aux médecins que ce genre de système les aiderait à prodiguer de meilleurs soins, ce serait probablement le meilleur moyen de le leur faire adopter. Il suffit non seulement de recueillir des données des médecins, mais de leur renvoyer ces données sous une forme pertinente sur le plan clinique pour leur démontrer qu'en leur fournissant des ensembles de données, ils aident leurs patients à recevoir de meilleurs soins.

Le président : Merci beaucoup. Nous l'avions déjà constaté, vous êtes tous deux très directs et très clairs dans vos réponses.

Docteur Eguale, nous vous remercions de vous être joint à nous aujourd'hui et de votre apport à ce débat. Je tiens à remercier à nouveau mes collègues pour s'être concentrés sur ces importants aspects de la question.

Au nom du comité, je vous invite formellement, une fois que vous nous aurez quittés et vous aurez réfléchi aux questions dont nous avons discuté, à nous communiquer toutes solutions succinctes ou suggestions auxquelles vous pouvez penser. Nous vous en serions reconnaissants d'autant plus si vous pouvez le faire assez rapidement. Vous nous avez beaucoup éclairés aujourd'hui.

(La séance est levée.)


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