Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 41 - Témoignages du 30 mai 2013
OTTAWA, le jeudi 30 mai 2013
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 28, pour étudier la teneur du projet de loi C-314, Loi concernant la sensibilisation au dépistage chez les femmes ayant un tissu mammaire dense.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, le deuxième témoin n'est pas ici pour l'instant, mais avec votre accord, nous allons amorcer la séance, quitte à lui souhaiter la bienvenue à son arrivée. De toute façon, son exposé sera le deuxième.
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie, je suis sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. J'invite mes collègues à se présenter.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Seth : Asha Seth, de l'Ontario.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Cordy : Je m'appelle Jane Cordy, et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Dyck : Je m'appelle Lillian Dyck, et je suis une sénatrice de la Saskatchewan.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.
Le président : Merci, honorables sénateurs.
Je vais souhaiter la bienvenue aux témoins lorsque je les présenterai pour qu'ils fassent leur exposé. Je rappelle à mes collègues que la réunion est très chargée. Nous avons deux séances. La première doit se terminer dans exactement une heure. La deuxième se terminera une heure après. Et je vous rappelle que, à la fin de la réunion, le comité restera encore une demi-heure pour donner des instructions aux analystes. Cela figurait au programme qui a été communiqué. D'accord?
Des voix : D'accord.
Le président : Aujourd'hui, nous poursuivons l'étude de la teneur du projet de loi C-314. Nous avons le grand plaisir d'accueillir, de l'Association canadienne des radiologistes, le Dr Jacques Lévesque, président, et la Dre Jean Seely, membre du groupe de travail de la CAR qui s'occupe des lignes directrices de pratique en imagerie du sein.
Bienvenue. Je crois comprendre que le Dr Lévesque fera l'exposé.
[Français]
Dr Jacques Lévesque, président, Association canadienne des radiologistes : Monsieur le président du comité, mesdames et messieurs, sénateurs et sénatrices membres du comité, l'Association canadienne des radiologistes (CAR) est la société pancanadienne des spécialistes en radiologie au Canada. Elle compte environ 2 500 membres. En tant que médecins membres experts de l'imagerie médicale, nous avons à cœur de faire la promotion des bonnes pratiques en matière de sécurité des patients.
Nous sommes ravis de constater que le gouvernement canadien considère que la prévention et le diagnostic du cancer du sein nécessite une approche nationale. Il nous donne, par le fait même, l'occasion de vous faire part de notre point de vue concernant la Loi sur la sensibilisation à la densité mammaire.
La CAR administre un programme d'agrément, ou PAM, destiné aux centres de mammographie et de dépistage diagnostic au Canada depuis plus de 20 ans. Ce programme assure que seul le personnel médical et technologue qualifiés effectuent et interprètent les clichés mammographiques et que l'équipement réservé à ces examens spécialisés fonctionne de façon optimale.
La CAR élabore également des lignes directrices de pratiques à l'intention des fournisseurs de soins de santé. L'association canadienne publiera d'ailleurs sous peu les nouvelles Lignes directrices de pratiques et normes techniques de la CAR en matière d'imagerie du sein et d'intervention. Nous recommanderons un dépistage annuel à compter de 40 ans puisqu'il a été scientifiquement prouvé par la littérature, au cours des dernières années, que ceci diminue significativement la mortalité liée au cancer du sein.
Il est de la plus haute importance que les patientes et leurs médecins puissent avoir facilement accès à des renseignements précis. Les Lignes directrices de pratiques de la CAR en matière de communication de résultats d'examen d'imagerie diagnostique stipulent d'ailleurs que le rapport du radiologiste qui assure la transmission des résultats des examens mammographiques au médecin traitant doit mentionner les facteurs susceptibles de limiter la sensibilité et la spécificité de l'examen, y compris ceux liés à l'anatomie de la patiente, nommément la présence de tissu mammaire dense. Un médecin traitant sensibilisé à la densité des seins de sa patiente doit uniquement utiliser cette information conjointement avec d'autres facteurs pertinents, comme les antécédents personnels en matière de cancer, les antécédents familiaux en matière de cancer du sein, incluant les interventions chirurgicales antérieures, afin de décider si l'investigation approfondie ou d'autres examens de dépistage et du diagnostic sont nécessaires pour leurs patientes.
Bien qu'il ait été démontré qu'une forte densité des seins diminue la sensibilité de la mammographie, ce qui est moindre maintenant avec la mammographie numérique, il ne se dégage pas de consensus, à partir de la littérature scientifique, permettant d'affirmer que ce facteur à lui seul justifie le recours à des examens de dépistage ou de diagnostic supplémentaire, nommément échographie ou imagerie par raisonnance magnétique. Par contre, si les patientes recevaient systématiquement copie d'un tel rapport, l'Association canadienne des radiologistes s'interroge sérieusement sur la façon dont elles interpréteront les renseignements portant sur leur densité mammaire. Cette information leur sera-t-elle utile ou entraînera-t-elle au contraire la confusion et des conséquences inattendues pour ces patientes — que je vais décrire?
De plus, si cela donne lieu à des examens inutiles, non appropriés, à des approches qui peuvent être parfois non scientifiques en matière de dépistage ou à une augmentation significative du nombre des biopsies d'anomalies mammaires bénignes, il ne s'agira pas globalement d'une amélioration de la qualité des soins pour ces patientes — ce que l'on doit viser. Nous appuyons donc la position de l'initiative canadienne pour le dépistage du cancer du sein, ou ICDS en français, selon laquelle, à notre avis et à leur avis, il est prématuré d'exiger des programmes de dépistage qui indiquent systématiquement aux femmes leur densité mammaire.
Plusieurs juridictions indiquent déjà dans le rapport de dépistage, que la mammographie ne détecte pas tous les cancers. Il y a déjà une conscientisation des patientes à ce sujet.
En conclusion, nos radiologistes canadiens sont invités à continuer d'utiliser les classifications de densité mammaire sur les rapports de mammographie conformément à la méthodologie BI-RADS de l'American College of Radiology et conformément à nos lignes directrices.
Comme rien ne prouve pour l'instant que des examens de dépistage supplémentaires par échographie ou par IRM de façon systématisée réduisent le risque de mortalité par cancer du sein chez les femmes qui présentent des tissus mammaires denses, et tenant compte de l'absence d'un consensus concernant le risque que ces examens représentent pour les patientes, les faux diagnostics positifs et un nombre élevé de biopsies, l'Association canadienne des radiologistes est d'avis qu'il faut éviter d'ajouter à la confusion et à l'inquiétude que provoque la crainte du cancer du sein chez les femmes actuellement.
Nous sommes à votre disposition pour répondre aux questions. La docteure Seely est une experte, entre autre, en IRM.
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, pourrais-je avoir votre accord pour que, si la Dre Duchesne arrive, nous laissions se terminer la réponse à une question déjà posée, après quoi nous l'inviterions immédiatement à présenter son exposé? Cette façon de faire vous convient?
Des voix : D'accord.
Le président : Je vais maintenant passer aux questions. Ce sera d'abord la sénatrice Eaton, suivie de la sénatrice Seidman et ensuite du sénateur Eggleton.
La sénatrice Eaton : Puis-je vous citer, docteur Lévesque? « Nous appuyons donc la position de l'ICDCS, selon laquelle il est prématuré d'exiger des programmes de dépistage qu'ils indiquent systématiquement aux femmes leur densité mammaire. » Pourriez-vous expliquer davantage cette phrase?
[Français]
Dr Lévesque : Si vous mentionnez de façon systématique sur la copie du rapport de mammographie de dépistage qui est envoyée à la patiente qu'elle présente des seins denses, quelle sera sa réaction? Elle ira sur Internet où on retrouve toute sorte de littérature.
Nous pensons que la sensibilisation doit se faire principalement au niveau du médecin traitant et du médecin référent. Il arrive que j'aie un rapport de dépistage et que je voie un sein dense. Nous sommes experts en dépistage. Ce ne sont pas tous les cas qui méritent une investigation supplémentaire. Souvent, on a des rapports antérieurs avec lesquels on peut comparer. Si toutefois je vois que le parenchyme mammaire est vraiment distorsionné et qu'il est en dehors des paramètres de qualité de diagnostic où on peut faire la mammographie de dépistage, je vais mentionner dans mon rapport au médecin traitant que l'examen mammographique est limitatif, et de considérer soit un examen clinique des deux seins ou d'autres examens complémentaires.
Certaines femmes seront sans doute capables de bien évaluer ce que cela représente. Pour la majorité des personnes, on augmentera le risque d'anxiété et on les mettra dans une situation où ils forceront peut-être la main du médecin pour avoir un ultrason ou un IRM. Or, notre système de santé actuel ne possède pas les ressources pour faire, de façon systématique, des ultrasons à toutes les femmes qui ont des seins très denses, ce qui représente 30 p. 100 du volume de dépistage du cancer du sein.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Si je me permets de résumer, vous dites que, à moins que vous ne déceliez quelque chose d'extraordinaire, vous vous en remettrez au médecin traitant qui s'occupe de la patiente, et qu'il lui appartiendra de voir s'il doit en discuter avec elle.
Dr Lévesque : Je crois que, pour l'instant, c'est une bonne pratique.
Dre Jean Seely, membre du groupe de travail de la CAR : Lignes directrices de pratique en imagerie du sein, Association canadienne des radiologistes : Si je peux me permettre de parler de l'évaluation du risque, je dirai qu'un des facteurs de risque les plus importants, ce sont les antécédents familiaux. Souvent, les médecins de famille sont tout à fait au courant de ces antécédents. Si la patiente a un, deux ou plusieurs parents au premier degré qui ont eu un cancer du sein, cela indique qu'il faut un dépistage supplémentaire. Ce facteur de risque pourrait être plus important que ceux dont nous discutons à propos de la densité du tissu mammaire.
Le président : Nous avons dit que, lorsque la Dre Nathalie Duchesne arriverait, nous laisserions se terminer la réponse à la question posée, après quoi nous inviterions le témoin à présenter son exposé. Je dois signaler à l'auditoire que la Dre Duchesne est associée de la Clinique radiologique Audet. Elle est radiologiste du sein.
Veuillez faire votre exposé.
Dre Nathalie Duchesne, radiologiste mammaire, Clinique radiologique Audet : Nous sommes ici ce matin pour des raisons différentes, au fond, mais il y a une raison qui nous réunit, c'est que nous savons tous que si le cancer du sein est découvert lorsqu'il est tout petit, nous pouvons améliorer les chances de survie de la patiente. « Petit », cela veut dire moins d'un centimètre. S'il fait moins d'un centimètre, le taux de survie peut atteindre 97 et même 100 p. 100 sur 15 ans. Ces données ont été publiées en 1999. Au Canada, nous avons commencé à pratiquer le dépistage du cancer du sein dans les années 1990 pour faire diminuer la mortalité attribuable à cette maladie.
Les statistiques sur le cancer au Canada révèlent une diminution de la mortalité attribuable au cancer du sein, mais depuis 10 ans, cette diminution ralentit. Certains prétendent qu'elle est de 2 p. 100 par année, mais l'examen des chiffres montre qu'elle n'est pas vraiment de 2 p. 100. Nous devrions peut-être nous demander pourquoi, puisqu'il y a eu une amélioration étonnante de la mammographie au cours des 20 et des 10 dernières années.
Je suis persuadée que d'autres spécialistes vous auront montré des images qui illustrent la différence entre la mammographie sur film et la mammographie numérique. Les différences sont renversantes et il y a lieu de se demander pourquoi, compte tenu de ces grandes améliorations de la technologie, nous n'arrivons pas à faire diminuer davantage la mortalité. Comment se fait-il qu'il y a des stades où les chiffres sont aussi élevés au Canada? Nous ne sommes pas à Tombouctou. Pourquoi ne dépistons-nous pas tous les cancers lorsqu'ils font moins d'un centimètre? Pourquoi y a-t-il des Canadiennes qui meurent du cancer du sein dans un pays doté d'un programme de dépistage?
C'est parce que nous ne nous sommes pas occupés d'un facteur de risque qu'on ne peut contrôler. Ce n'est pas le tabagisme, puisque nous pouvons arrêter de fumer. L'obésité est un facteur de risque, mais nous pouvons arrêter de trop manger. Toutefois, au départ, nous ne savions pas que la densité du tissu mammaire était un facteur de risque. Maintenant, nous le savons, mais nous ne pouvons pas le maîtriser. On a un tissu mammaire dense ou moins dense. Il n'y avait rien qu'on puisse faire à ce facteur de risque. C'est pourquoi les entreprises et les chercheurs dont vous entendrez le témoignage ont travaillé très fort afin de découvrir comment nous pourrions, peut-être, diminuer la densité du tissu mammaire. Nous savons aujourd'hui que la solution est peut-être la vitamine D, mais tant que nous n'aurons pas de certitude, nous devons dépister le cancer chez les femmes dont le tissu mammaire est dense.
Deux ou trois modes d'imagerie ont montré leur utilité, et elles pourraient s'ajouter à la mammographie. Il y a l'IRM, mais elle coûte très cher. Elle ne se pratique pas à tous les coins de rue. Elle exige une injection. Et même si la technique est très sensible, elle n'est pas très spécifique. C'est pourquoi nous ne faisons du dépistage au moyen de l'IRM que chez les patientes qui présentent un risque élevé de cancer du sein.
Cependant, deux autres techniques ont montré qu'elles pouvaient dépister des cancers du sein de moins d'un centimètre. La tomosynthèse est certainement l'une d'elles. Si elle donne des résultats chez des milliers de femmes qui se tournent de ce côté. Il y a assurément la technique de l'examen des seins par échographie. Lorsque je suis arrivée, j'ai entendu ce que disait le Dr Lévesque. Depuis 30 ans, les radiologistes s'entendent sur ce point : nous pouvons dépister au moyen de l'échographie des cancers que la mammographie ne révèle pas, simplement parce que, à l'échographie, le cancer du sein ressort comme une masse noire sur le parenchyme blanc. C'est pourquoi nous pouvons le déceler plus facilement.
Depuis 30 ans, nous nous demandons comment nous pouvons nous servir de l'échographie comme outil de dépistage, et nous n'avons pas pu trouver parce que cette technique dépend du technicien et de celui qui interprète l'image. Trois entreprises présentes sur le marché ont trouvé des techniques différentes d'échographie qui semblent apporter une solution pour diminuer cette dépendance à l'égard du technicien. Par contre, la dépendance à l'égard de celui qui interprète les images subsiste. Grâce à l'échographie, nous dépistons maintenant trois fois plus de cancers. Nous avons triplé les détections de cancer de moins d'un centimètre, et ces résultats ont été obtenus par différents groupes dans le monde entier, en Europe aussi bien qu'aux États-Unis.
Cela dit, nous avons les outils, mais un idiot qui a un outil n'en est pas moins un idiot. Oui, grâce au projet de loi C- 314, nous sommes en mesure de dire aux femmes que le tissu de leurs seins est dense, et nous pouvons donc faire des examens supplémentaires par échographie, tomosynthèse ou peut-être IRM.
Toutefois, ce dont nous avons besoin, en plus de cette loi, c'est de la capacité d'agir. Malheureusement, au Canada, le système d'examen des seins n'est pas bien organisé. Si nous disons à des femmes que le tissu de leur sein est dense, il faut aussi leur dire à qui s'adresser ensuite. Nous avons un problème de ressources, de compétences. Je ne dis pas que nous n'avons pas d'experts, mais ceux-ci ne sont pas très bien organisés, disons.
Pour différentes raisons d'ordre politique, économique et juridique, l'expertise dans l'examen des seins n'est pas vraiment encouragée, contrairement à ce qu'on observe dans d'autres pays.
Certains prétendent qu'il ne vaut pas la peine de dépister le cancer dans les seins dont le tissu est dense parce que, la plupart du temps, le tissu mammaire dense est observé chez des jeunes femmes de 40 à 49 ans. Devrions-nous faire du dépistage chez les femmes de 40 à 49 ans? J'ai ici des diapositives qui montrent que, si on considère les coûts par vie sauvée chez les femmes de ce groupe d'âge ayant un tissu mammaire dense, on constate qu'ils sont plus de 100 fois inférieurs au coût des extincteurs automatiques installés dans cette salle. Personne n'a jamais élevé d'objection contre ces dispositifs exigés par la loi. Personne ne s'est jamais opposé à la construction d'immeubles capables de résister aux secousses sismiques. Le coût des vies sauvées est 1 million de dollars plus élevé que le coût du dépistage chez les femmes de 40 à 49 ans.
Au Canada, il y a un problème de lobbying pour les femmes qui ont un tissu mammaire dense, et il y a un problème de réaménagement des ressources. Il ne manque pas de ressources. Le projet de loi devait nous servir d'outil. Certains paragraphes du projet de loi faciliteront la communication de l'information et aideront les provinces à organiser d'autres tests. N'attendons pas un autre projet de loi qui cédera aux provinces une plus grande part de la compétence fédérale pour qu'elles puissent prendre des dispositions pour assurer la santé mammaire, car cela prendra des années. Entre-temps, les femmes font des recherches sur Internet pour se renseigner sur la densité du tissu mammaire et elles savent qu'il se passe des choses. Utilisons le projet de loi et l'une de ses dispositions pour aider le Canada à mettre en place les ressources voulues pour que les provinces puissent organiser l'utilisation des compétences.
La sénatrice Seidman : Une étude récente, qui remonte au mois d'août 2012, montre que les patientes atteintes du cancer du sein dont le tissu mammaire est dense ont un risque plus élevé que les autres patientes observées dans l'étude de mourir de ce cancer. La densité du tissu mammaire peut accroître le risque de cancer, mais, et cela prête à controverse, les femmes qui présentent cette caractéristique répondent mieux au traitement. Par conséquent, elles risquent moins de mourir du cancer du sein. Qu'en pensez-vous?
Dre Seely : C'est exact. Je suis au courant de cette étude. Le fait d'avoir des seins dont le tissu est dense n'accroît pas le risque de mourir du cancer du sein, comme l'étude le confirme. Et cette densité ne veut pas dire non plus qu'on réagit mieux au traitement ou qu'on se comporte différemment. Ce n'est qu'un facteur à mesurer dans tout l'éventail des moyens de dépister et de diagnostiquer le cancer du sein. La densité du tissu mammaire n'est qu'un facteur de risque parmi beaucoup d'autres facteurs très importants comme les antécédents familiaux et l'existence antérieure d'autres maladies du sein.
Nous admettons que la densité du tissu mammaire suscite de très vives inquiétudes. L'une des craintes que nous avons, au sujet du projet de loi, c'est qu'il risque de faire beaucoup augmenter l'anxiété chez les femmes sans qu'elles sachent vraiment quoi faire. Nous offrons le dépistage par échographie au Centre de santé du sein de la femme de l'Hôpital d'Ottawa. Cependant, comme la Dre Duchesne l'a dit, nous avons une capacité très limitée, en temps de technologistes et de radiologistes qualifiés, pour offrir largement ce service. Nous craignons, si nous informons les femmes de cette question de densité, qui est l'un des facteurs de risque, que nous n'ayons pas les moyens d'y faire quoi que ce soit. Nous voulons réduire cette anxiété, car le cancer du sein suscite déjà beaucoup d'inquiétude, et elle est toujours amplifiée par les médias et des projets de loi comme celui-ci. Voilà pourquoi nous avons des craintes, si la communication de l'information est rendue obligatoire.
[Français]
Dre Duchesne : Je suis d'accord avec la Dre Seely. J'ajouterais toutefois que certains facteurs de risque sont contrôlables et d'autres ne le sont pas. Le risque familial, par exemple, est incontrôlable. Toutefois, nous traitons ces patientes différemment. Ces patientes qui ont des incidences de cancer du sein dans la famille passent une mammographie à tous les ans plutôt qu'aux deux ans. Celles qui ont des gènes à très haut risque subissent un dépistage plus important avec l'IRM et la mammographie sur une base régulière.
L'étude à laquelle vous faites référence démontre qu'une personne qui a les seins denses, avec un cancer de 1,2 centimètre, n'a pas plus de risque de mourir de son cancer qu'une personne avec les seins graisseux avec un cancer de 1,2 centimètre. Un cancer de 1,2 centimètre dans des seins denses n'est pas plus dangereux qu'un cancer de 1,2 centimètre dans des seins qui ne le sont pas. Le résultat est le même. Tout dépendra des récepteurs hormonaux, des ganglions et d'une foule de choses. Un cancer est un cancer. La densité du parenchyme nous empêche de les détecter. Allons-nous ignorer les facteurs de risque incontrôlables en ne disant pas aux patientes qu'elles ont des incidences de cancer dans la famille car cela les inquiétera? La situation est la même. Elles sont plus à risque étant donné les incidences dans la famille et elles sont plus à risque si elles ont une densité mammaire augmentée. Nous avons les moyens. Il ne faut pas tomber dans le piège de ne pas offrir un service parce qu'on est mal organisé. Organisons-nous et servons-nous de ce projet de loi pour s'organiser.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Je m'adresse d'abord à l'Association canadienne des radiologistes. Dans votre exposé, vous avez accordé beaucoup d'attention à la question de la confusion et de l'anxiété. Je présume que lorsqu'un radiologiste fait une mammographie, celle-ci est transmise au médecin de famille. Vous craignez que beaucoup de femmes ne fassent des recherches sur Internet pour essayer de savoir ce que tout cela veut dire et ce qu'elles peuvent faire, mais le médecin n'est-il pas leur premier point de contact? Le médecin n'a-t-il pas la responsabilité de calmer leurs inquiétudes?
Dr Lévesque : Excellente réflexion. Le médecin traitant est l'une des principales sources d'information. Il est probablement l'un des principaux éléments de solution.
La Dre Duchesne a parlé de l'organisation, et nous y reviendrons. C'est ce que je fais régulièrement pendant ma journée de travail.
[Français]
Quand je fais de la mammographie de dépistage et que je vois des seins denses, très souvent, dans mon rapport, je vais aviser le médecin traitant qu'on a effectivement des seins denses qui limitent le niveau de détectabilité à la mammographie. La responsabilité du médecin traitant est ensuite de faire le suivi à ce niveau. À mon avis, c'est là que se situe le rôle pivot et majeur du médecin traitant. Il doit articuler ce fait avec d'autres éléments, à savoir les examens antérieurs et les antécédents.
Le vrai problème est celui de l'organisation des soins. La Dre Duchesne a parlé de tomosynthèse et de Whole Breast Ultrasound. Nous en sommes au début de l'implantation de cette technologie. Des études très claires en Europe — et j'étais au congrès organisé par la Dre Duchesne — démontrent que la tomosynthèse va nettement augmenter le niveau de détectabilité des cancers à l'intérieur des seins denses. Nous sommes au début de l'implantation de la technologie.
Depuis plusieurs années, nous utilisons l'ultrason mammaire. Lorsque j'examine une patiente sur un problème ciblé, comme le docteur à ma droite le disait, par rapport à un dépistage par ultrason, le ratio de temps est de un contre trois pour le technologue et le radiologiste. Même si demain matin nous disposions de toute la technologie de nature, il faudrait trouver une façon de canaliser le tout et traiter les bonnes patientes. Malheureusement, nous ne disposons pas de l'infrastructure technologique au Canada.
Les appareils Whole Breast Ultrasound ne sont pas encore approuvés par Santé Canada et nous n'avons pas la main-d'œuvre technologique et radiologue pour traiter une telle quantité.
Lorsque les programmes de dépistage ont été mis en place il y a quelques années, ça fait au moins 15 ans au Québec — c'est en 1998 —, j'étais le responsable de l'association provinciale pour le mettre en place à ce moment-là et nous avons fait du chemin depuis ce temps dans le domaine de la compétence des radiologues. Nous avons exigé que les radiologues, avec les normes directrices de la CAR, lisent au moins 500 mammographies par année. Maintenant, la plupart des radiologues en lisent 1 000 et plus. On a fait beaucoup de progrès technologiques quant à la disponibilité des appareils d'échographie afin de répondre au programme de dépistage.
Toutefois, nous n'avons pas actuellement le niveau d'implantation adéquat pour la tomosynthèse ni la technologie validée et approuvée afin d'être en mesure de dire que, demain matin, nous pourrions le faire.
Je suis d'accord pour dire qu'il faut trouver les cancers de moins d'un centimètre, mais nous n'avons pas les moyens, demain matin, d'en faire l'implantation.
Le travail que vous faites actuellement est excellent et c'est certainement une façon de sensibiliser, à savoir si on ne pouvait pas avoir un programme national à un moment donné. Évidemment, c'est chaque province qui décide; le domaine de la santé est de juridiction provinciale. Je peux comprendre que les provinces, avant d'embarquer dans des programmes systématisés, parce que c'est un deuxième niveau de dépistage systématisé du cancer du sein chez ce type de patientes, je ne vous cacherai pas que je ne pense pas qu'ils ont les ressources financières pour le faire.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : J'ai été frappé par la réflexion de la Dre Duchesne : un idiot qui a un nouvel outil demeure un idiot. J'en déduis qu'il y a encore beaucoup de sensibilisation et de formation à faire. Pourriez-vous donner des précisions à ce sujet? Pourquoi estimez-vous que le projet de loi est utile ou non, à cet égard?
[Français]
Dre Duchesne : En fait, cela complémente un peu ce que le Dr Lévesque vient de dire. Avant, j'aimerais dire une phrase concernant l'anxiété chez les patientes. Sachez que les études démontrent que lorsque les patientes subissent des examens complémentaires, trois mois après, elles disent qu'elles ne vivent pas de stress psychologique. Au contraire, elles sont contentes d'avoir été examinées davantage. Les patientes sont plus fortes que vous ne le croyez. Le stress, c'est à considérer avec un bémol.
Maintenant, où orienter les patientes? Comme l'a dit le Dr Lévesque, nous nous situons à un second niveau de dépistage. Le premier niveau est la mammographie et, si la mammographie rapporte des seins denses ou hétérogènes, à ce moment-là il faudrait faire quelque chose de plus.
J'aimerais aussi apporter une petite correction : l'échographie automatisée est approuvée par Santé Canada comme adjoint à la mammographie pour le dépistage, et c'est disponible à travers le Canada avec différentes compagnies; la tomosynthèse aussi. Il y a des petits bémols avec Santé Canada, mais encore une fois c'est utilisé comme adjoint, cela ne remplace pas la mammographie.
Je dis effectivement que a fool with a tool is still a fool parce que les gens doivent comprendre ce qu'ils font avec ces outils; et c'est l'organisation, ce sont les experts. Quand on est rendu à ce deuxième niveau, il faudrait qu'il y ait des experts de seins, d'imagerie mammaire, qui fassent ce niveau de dépistage. On ne peut pas demander à tous les radiologues de tout connaître sur les techniques de dépistage.
Comme l'a dit Dre Seely, l'échographie de dépistage, cela prend du temps. Qu'elle soit automatisée ou non, il faut être habitué à effectuer une échographie mammaire. C'est ça, le problème; c'est que les experts ne sont pas organisés et les experts sont dilués à travers les groupes de radiologues généraux. Le Canada a certainement un leadership à faire avec cela.
Prenez seulement l'Angleterre, par exemple; pourquoi ça marche, le programme en Angleterre? Tout d'abord, le dépistage est seulement lu par des experts. Il n'y a pas de radiologues généraux, ce ne sont que des radiologues surspécialisés en seins qui lisent. Ils doivent lire un minimum de 5 000 résultats; en Suède c'est 10 000 et ici c'est autour de 1 000. Ils sont aussi obligés d'assister à des réunions interdisciplinaires; ici on n'est pas obligés. Il y a un contrôle et si on ne passe pas le contrôle ailleurs, on n'a plus le droit de faire partie du dépistage. Alors les femmes sont protégées. Ce niveau-là n'existe pas au Canada. Il est donc bien évident que si on adopte le projet de loi et qu'on est désorganisés comme on l'est présentement, cela n'aidera pas. Il faut se servir de ce projet de loi pour organiser les soins.
[Traduction]
Le président : J'invite les témoins à faire des réponses plus concises. Il y a encore un certain nombre de sénateurs qui veulent intervenir, et nous voudrions qu'ils puissent le faire avant la fin de cette partie de la réunion, à 11 h 30.
La sénatrice Dyck : Docteur Lévesque et docteure Seely, j'ai été frappée de ce que vous avez dit des facteurs de risque de cancer du sein. Le projet de loi ne porte que sur un des facteurs de risque. Docteure Duchesne, je crois que vous avez dit également que lorsqu'un médecin communique avec une patiente, il doit tenir compte de tous ces facteurs de risque.
Y a-t-il quoi que ce soit en place maintenant, ou qui devrait être en place, pour exiger que le médecin tienne compte de tous les facteurs de risque? Cela voudrait dire qu'il faut parler à la patiente de la densité du tissu mammaire. S'il s'agit d'un facteur de risque génétique ou professionnel, le médecin doit-il en parler? Comment cela peut-il aider la patiente?
Dre Seely : Pour tous les examens des seins par imagerie, la patiente doit remplir un questionnaire. On y trouve des questions sur les facteurs de risque : combien de membres de sa famille ont eu un cancer du sein? A-t-elle déjà subi des biopsies? La plupart des programmes de dépistage ont accès à ces données. Le radiologiste peut toujours les consulter. Lorsque j'interprète une mammographie qui est une forme de dépistage et que je constate que la patiente a de lourds antécédents familiaux ou qu'elle a eu une biopsie au sein qui a révélé un carcinome lobulaire in situ, je vais écrire dans mon rapport qu'elle a besoin de tests plus poussés. Il est probable qu'elle subirait un examen par IRM si elle satisfait aux critères pour ce facteur de risque. Si, de surcroît, le facteur de risque qu'est la densité mammaire est présent, j'ajouterais cette donnée.
Je voudrais préciser ce que le Dr Lévesque a dit de l'examen du sein complet par échographie. Certaines entreprises, et la Dre Duchesne travaille avec l'une d'elles, ont deux centres au Canada où cet examen automatisé se fait. GE, qui est l'un des deux grands vendeurs d'appareils d'examen par échographie du sein complet, n'a pas obtenu l'approbation de Santé Canada pour ses machines. Il est donc vrai qu'il y a des entreprises qui offrent ces services, mais l'accès à ces services est toujours très limité.
Le président : Il faut préciser, car c'est important, que SonoCiné, dont vous êtes actionnaire, je crois, offre un système d'examen du sein complet par échographie.
Dre Duchesne : C'est pourquoi j'ai déjà déclaré que j'étais actionnaire et que je faisais partie du conseil médical. Je siège également au conseil de la CAR.
Le président : Il est important que cela soit su au nom de la transparence. Merci.
La sénatrice Seth : C'est une discussion qui n'a pas de fin. C'est passionnant.
Docteur Lévesque, vous avez dit :
En conclusion, les radiologistes canadiens sont invités à continuer d'utiliser les classifications de densité mammaire sur les rapports de mammographie, conformément à la méthodologie BI-RADS de l'ACR (American College of Radiology) et aux lignes directrices de la CAR.
Pourriez-vous expliquer ce que cela veut dire et comment vous faites la classification? Il serait très intéressant pour l'auditoire de le savoir.
Dr Lévesque : En fait, il s'agit d'une classification internationale. Lorsqu'on interprète les tests de dépistage, on se reporte à cette classification, qui est mise à jour. Il y aura bientôt une mise à jour, mais, pour donner un exemple, disons qu'il s'agit d'un sein adipeux, ce qui le place dans la catégorie 1. Après cela, il y a mi-1, et l'échelle est de 0 à 25 p. 100, de 25 à 50 p. 100, de 50 à 75 p. 100. À plus de 75 p. 100, on retrouve la densité mammaire dont nous avons parlé. C'est là qu'en est la discussion en ce moment. C'est un guide pour le médecin et un moyen de produire des rapports uniformisés. La majeure partie des tests de dépistage de cancer du sein dans le monde utilisent ce système, de façon que les médecins sachent de quel type de sein il s'agit.
Les médecins de famille ou les gynécologues-obstétriciens, ce que vous êtes, reçoivent un rapport qui dit que tel sein présente cette caractéristique de tissu dense. Moi qui fais du dépistage, lorsque je lis une mammographie, je peux voir s'il y a d'autres anomalies ou peut-être d'autres difficultés.
[Français]
Quand j'interprète la mammographie, je mets dans mes commentaires d'autres éléments additionnels. À titre d'exemple, le parenchyme mammaire est typique de dysplasie fibrokystique; il y a plusieurs lésions focales nodulaires — je n'emploie pas le terme « masse » — qui méritent vraisemblablement une investigation par ultrasons. Et c'est le médecin traitant qui décide, c'est lui qui a tous les éléments.
La plupart du temps, les médecins traitants font exactement ce que les radiologistes disent. Parce que nous sommes quand même les experts en imagerie et c'est nous qui avons l'expérience.
Je voudrais revenir sur le nombre d'ultrasons. Oui, il y a un consensus dans la littérature sur le fait que les radiologistes qui lisent plus que 1 000 examens annuels ont un meilleur taux de valeur positive moins de taux de rappel. Dans plusieurs des juridictions maintenant, c'est ce à quoi on s'emploie. Le Canada est un très large pays et il faut aussi tenir compte qu'il faut desservir les régions éloignées. Actuellement, il y a un programme de dépistage dans 10 provinces et il y a plusieurs provinces qui utilisent des unités mobiles justement pour les régions éloignées, et c'est lu par des radiologistes qui ont un très bon entraînement de ce côté.
C'est sûr que les centres surspécialisés sont là; Dre Duchesne et Dre Seely travaillent dans des centres surspécialisés, mais j'aimerais souligner que nous avons quand même relativement un bon programme de dépistage au Canada dans les différentes juridictions.
[Traduction]
Le sénateur Envrega : On a dit que vous aviez trois machines qui marchent bien ou qui ne marchent pas assez bien, et l'une d'elles sert à l'échographie du sein. Est-ce qu'une échographie interprétée par un bon radiologiste est un test suffisant? Est-ce qu'elle pourrait être un examen unique pour le dépistage du cancer du sein?
Dre Seely : Les patientes posent toujours cette question : « Pourrais-je avoir une échographie plutôt qu'une mammographie? » Tout est là. Nous commençons toujours par la mammographie. Je sais que vous avez entendu les exposés de Greg Doyle et de Christine Wilson ainsi que d'un certain nombre d'experts, et huit études sur échantillon aléatoire et contrôlé ont mis en lumière l'importance de la mammographie de dépistage. Elle décèle les calcifications, les changements d'architecture du sein. Il y a donc plus que la densité, et tout cela ne peut être observé d'aucune autre manière. Nous commençons toujours par la mammographie. Si nous faisons d'autres tests par échographie, ils s'ajoutent à la mammographie. Puis, nous devons faire une biopsie pour prouver qu'il y a un cancer.
Je sais qu'on vous a dit qu'un des gros problèmes du dépistage par échographie, c'est que le nombre de faux résultats positifs est cinq fois plus élevé. Si 100 femmes subissent une mammographie, une seule devra subir une biopsie. Si 100 femmes ont une biopsie par suite d'une mammographie, 40 auront un diagnostic de cancer. Si 100 femmes se prêtent à un dépistage par échographie, cinq se feront recommander une biopsie, et sur 100 femmes qui ont une biopsie recommandée après échographie, seulement six auront un résultat positif. Le taux de faux résultats positifs à la biopsie faisant suite à une échographie est donc six fois plus élevé, et le taux de faux résultats positifs pour la biopsie est cinq fois plus élevé.
Il faut faire beaucoup de tests supplémentaires. Non seulement faut-il faire des biopsies, mais il faut aussi faire des suivis. Tout le temps que nous consacrons aux investigations est pris par les faux résultats positifs, et le système est engorgé. Nous devons être très prudents au sujet des tests supplémentaires que nous ajoutons à un programme de dépistage qui vise toute la population. Il y a des effets sur les coûts, sur les patientes mêmes et sur l'ensemble du système canadien.
Dre Duchesne : Je suis tout à fait d'accord avec la Dre Seely : nous ne pouvons pas utiliser l'échographie seule. Cette technique ne doit être utilisée que comme complément de la mammographie, surtout à cause de la microcalcification et de la distorsion que nous ne voyons pas bien à l'échographie.
Je veux m'assurer que vous compreniez qu'il y a deux types d'échographie. Il y a l'échographie avec inhalation et l'échographie automatisée. La version automatisée a été mise au point pour gagner du temps. Je ne dis pas que c'est la seule technique. L'échographie ordinaire qui est disponible dans tous les hôpitaux et cliniques au Canada peut servir de complément à la mammographie et un bon radiologiste peut s'en servir pour chercher les cancers du sein.
Le sénateur Envrega : C'est l'histoire de l'idiot qui a un nouvel outil. Voulez-vous dire que beaucoup de radiologistes ont besoin de formation ou de perfectionnement pour utiliser les outils les plus récents?
Dre Duchesne : J'ai un point de vue différent, bien entendu. Oui, il s'agissait de l'échographie automatisée du sein complet, mais je suis une femme et une radiologiste du sein. Je parle donc comme spécialiste. C'est tout ce que je fais dans la vie. Je m'occupe du sein. Je ne suis pas une radiologiste généraliste. Je crois que Monsieur Muffler est excellent pour les voitures. Si j'ai un problème de pot d'échappement, je préfère conduire ma voiture chez Monsieur Muffler plutôt que chez un mécanicien généraliste. Si j'ai une tumeur dans la tête, je préfère voir un neuroradiologiste, et personne ne remet ce choix en question. Si on en est à ce niveau et s'il y a probablement un problème au sein, je ne vois pas pourquoi on n'irait pas voir un radiologiste spécialisé dans l'examen du sein.
Je ne dis pas que nous n'avons pas de radiologistes du sein au Canada. Ce n'est pas du tout ce que je dis. Nous en avons, et nous veillons assurément à leur formation. Nous avons des bourses d'études en radiologie du sein et tout le reste. Je dis qu'ils sont dispersés, qu'on ne les encourage pas à travailler dans un centre organisé dans tout le Canada. Le Dr Lévesque a dit que notre pays est très vaste. La solution, c'est une interprétation centralisée des résultats des tests. Les femmes doivent avoir accès à la mammographie partout, à l'IRM, à l'échographie, mais l'interprétation peut être centralisée et confiée à des spécialistes.
[Français]
La sénatrice Verner : C'est un enjeu complexe qui touche différentes façons de l'aborder. Je dois dire que je suis particulièrement fière de vous avoir ici ce matin parce que je suis cliente du Centre des maladies du sein de l'hôpital Saint-Sacrement depuis 25 ans. Je n'ai donc pas pu m'empêcher de suggérer que vous soyez invitée ici ce matin.
Ceci étant dit, on parle de l'enjeu et j'ai différentes questions concernant l'enjeu du tissu mammaire dense. Ma compréhension, et je n'ai aucune notion en médecine, c'est que c'est un facteur qui devrait motiver ou qui devrait influencer la façon dont on veut détecter s'il y a un cancer ou non, mais ce n'est pas nécessairement un facteur qui a des conséquences sur le traitement du cancer ou sur ses risques de mortalité. C'est exact?
Dre Duchesne : C'est exact.
La sénatrice Verner : J'entends souvent — et je m'exprime en tant que femme — des choses du genre qu'il n'est pas souhaitable de dire aux patientes qu'elles ont un tissu mammaire dense parce que cela crée de l'anxiété. C'est un petit peu difficile pour moi, en 2013, d'entendre une phrase comme ça. Sans vouloir blesser personne, je trouve ça un petit peu maternant. En 2013 et à l'ère d'Internet, je pense que n'importe quelle femme ici autour de la table — et les hommes aussi — peut s'informer sur ce qui se passe ailleurs.
Je crois comprendre que c'est peut-être davantage qu'on ne souhaiterait pas dire à une femme qu'elle a un tissu mammaire dense parce que c'est à l'étape suivante qu'on a un problème et non pas dans la capacité de compréhension d'une femme par rapport à un facteur comme ça.
Dre Duchesne : Je suis d'accord avec le fait qu'en 2013 les femmes ne sont pas encore patientes et qu'elles ont accès à Internet. Les femmes canadiennes sont tout aussi intelligentes que les femmes américaines, européennes et ailleurs. Elles voient ce qui se passe avec la législation pour ce qui est de l'obligation de donner la densité mammaire. Tôt ou tard les femmes le demanderont. Je crois qu'il faut se servir de ce projet de loi pour savoir, une fois qu'on leur a dit, comment on peut s'orienter.
Dre Seely : Je suis d'accord avec le fait qu'il faut traiter les patientes avec respect et leur donner l'opportunité de savoir. Au CAR, on recommande d'avoir la densité rapportée sur toutes les mammographies. Cela ne se fait pas de la même façon dans toutes les provinces. En Ontario, c'est plus ou moins 75 p. 100 mais dans d'autres parties du Canada, c'est avec les quatre catégories qui existent.
Toutes les patientes ont le droit d'avoir un rapport. C'est un principe universel de la médecine. Cette loi n'existe pas dans d'autres pays sauf dans six États américains. Qu'est-ce qu'on fera si on donne cette information à toutes les femmes? Elles croiront qu'elles doivent subir un autre test.
Ce n'est pas qu'on ne veut pas qu'elles aient l'information, mais qu'est-ce qu'elles vont faire si la loi stipule qu'il faut que tout le monde ait un rapport?
Dr Lévesque : Mon épouse est pathologiste, j'ai une fille qui est radiologiste et j'en ai une autre qui est dentiste. Soyons honnêtes, les femmes ont un niveau de compréhension supérieur aux hommes, sans vouloir toutefois mettre cela en relief.
Pour votre information, j'ai été membre du conseil d'administration de l'American College of Radiology durant les deux dernières années. Ils m'ont demandé de siéger en tant qu'observateur et j'ai vu ce qui s'est passé là-bas avec les législations. La problématique, c'est la façon dont les femmes interprètent l'information qu'elles reçoivent. Aussi, il faut se dire les vraies choses, il y a une problématique médico-légale. Cela fait 33 ans que je suis radiologiste. Je peux passer une demi-heure à faire un ultrason sur une femme et je peux en manquer. On sait que 4 p. 100 de nos rapports en radiologie ne sont pas comme ils devraient être.
Cela dit, je crois qu'il y a véritablement un problème d'organisation des soins. On est avec cette situation-là comme on était il y a 15 ans lorsque le dépistage a commencé. Je trouve que c'est bien important qu'en tant que représentant d'un gouvernement national, si on se sert de ce projet de loi effectivement pour promouvoir et faire un dépistage phase II, je suis totalement ouvert comme radiologiste. Du dépistage, j'en fais tous les jours.
Toutefois, je me vois mal dans la situation actuelle où les médecins traitants seraient inondés d'appels. Je peux vous dire ce qui se passe au Massachusetts et dans les autres États. Aux États-Unis, on peut demander l'ultrason ou pas. La formation des radiologistes américains en ultrason est différente de ce qu'elle est au Canada. Pour la plupart, les radiologistes canadiens sont capables de vérifier le travail des technologues. C'est un deuxième niveau qui n'existe pas présentement aux États-Unis.
Oui, c'est très bien d'être capable de l'orienter dans le cadre d'un deuxième dépistage mais honnêtement, on n'a pas les ressources nécessaires pour procéder avec 15 échographies de dépistage supplémentaires. On ne sera tout simplement pas en mesure de le faire. Je pense qu'il faut donner la bonne information. Par le biais de la fédération ou d'une autre organisation, il faut aussi qu'il y ait une coordination avec les différentes juridictions.
La sénatrice Verner : J'aurais une dernière question au sujet du projet de loi.
[Traduction]
Le président : Au nom du comité, je remercie les témoins.
Nous sommes très heureux d'accueillir deux autres témoins qui participeront à nos échanges. Docteur Boyd, je vous en prie.
Dr Norman Boyd, chercheur principal, Campbell Family Institute for Breast Cancer Research, à titre personnel : J'ai distribué un résumé à l'avance. Je suis désolé si cela recoupe des éléments qui vous sont déjà familiers. Il ne me faudra pas beaucoup de temps pour parcourir le texte et mettre en place certains faits élémentaires qui semblent contestés, d'après les discussions que j'ai entendues.
La densité est illustrée dans la figure du coin supérieur droit de la page. Vous voyez là des mammographies dans lesquelles la quantité de blanc varie. Le blanc correspond à la densité du tissu mammaire. Vous pouvez constater qu'il peut occuper la totalité du sein, comme dans la mammographie F, ou il peut être complètement absent, comme dans la mammographie A. Entre les deux extrêmes, il est présent en quantité variable, comme dans les autres mammographies.
Ces variations d'aspects dans les mammographies correspondent à des variations dans la composition des tissus mammaires : les lobules lactifères, qui produisent le lait quand les conditions nécessaires sont réunies; les canaux qui acheminent le lait vers le mamelon; le tissu conjonctif qui soutient ces autres tissus apparaît comme blanc, alors que le tissu adipeux semble noir. Ce sont les variations de ces tissus qui font fluctuer l'apparence du sein.
Pourquoi la densité importe-t-elle? Il y a trois raisons, selon moi. La première est celle dont vous avez discuté pendant presque toute la première heure : elle rend plus difficile la détection du cancer. La difficulté augmente avec la densité du tissu mammaire. Par conséquent, la détection du cancer est le plus difficile dans la mammographie F et le plus facile dans la mammographie A.
La deuxième raison, c'est que la densité des tissus est associée à un risque accru de cancer. Si on dit qu'un facteur augmente le risque de cancer du sein, je dirais que la question qui surgit est la suivante : par rapport à qui? Si nous comparons la patiente de la mammographie F à celle de la mammographie A, nous constatons que la différence de risque est de un à quatre ou de un à cinq. Voilà qui est beaucoup plus marqué que tout autre facteur de risque, à l'exception de l'âge et des quelques gènes dont nous savons qu'ils font beaucoup augmenter le risque.
La différence dans le spectre des densités est très marquée. On peut également comparer les patientes qui ont des tissus mammaires d'une densité supérieure à la moyenne, ce qui correspondrait par exemple aux mammographies E et F par rapport à d'autres femmes du même âge, pendant la même période, et on verra que la différence est du simple au double. La question du point de comparaison a une profonde influence sur la quantification du risque.
La troisième raison de s'intéresser à la densité, c'est que, à la différence de presque tous les autres facteurs de risque de maladie, il est possible de la modifier. Pour le moment, nous savons peu de choses sur la façon de la modifier, mais nous savons que certaines femmes qui suivent une hormonothérapie combinée — avec estrogène et progestérone — peuvent subir une augmentation de la densité des tissus mammaires. Celles qui prennent du tamoxifène, médicament utilisé pour prévenir le cancer du sein, peuvent avoir le résultat contraire. Certains facteurs peuvent donc modifier la densité. Il y a également des influences d'ordre plus général, comme le fait d'avoir des enfants, le vieillissement, la ménopause et ainsi de suite. Ces facteurs peuvent faire diminuer la densité. Ces changements modifient-ils le risque? C'est beaucoup moins certain. L'exposition à certains facteurs, comme le tamoxifène et l'hormonothérapie, semble associée à la densité et au risque.
Que peut-on faire pour réduire le risque si la femme se fait dire que ses tissus mammaires sont devenus plus denses, si elle suit une hormonothérapie et si la densité a augmenté? Elle peut discuter avec son médecin pour voir s'il y a lieu d'arrêter le traitement. Il est aussi possible, si la femme s'inquiète beaucoup du risque et s'il y a d'autres facteurs de risque en plus de la densité, d'envisager la prise de tamoxifène pour prévenir le cancer.
L'un des mystères de la densité, c'est qu'elle diminue avec l'âge alors que nous savons que l'incidence du cancer du sein suit la tendance inverse. Des données encore inédites montrent que, si nous considérons l'exposition cumulative à la densité, c'est-à-dire non seulement le degré de densité, mais aussi sa durée, et intégrons la zone située sous la courbe dessinée en reliant tous les points, nous découvrons une fonction qui augmente avec le temps et est très étroitement liée à l'incidence du cancer du sein dans la population canadienne selon l'âge.
Les recherches actuelles sur la densité sont axées sur différents aspects, dont l'un est la mise au point de méthodes de prévision du risque de cancer du sein en utilisant la densité et tous les autres facteurs de risque connus et de méthodes automatisées fondées sur le modèle Gail. Elles sont disponibles en ligne pour que tout le monde puisse en prendre connaissance et les utiliser. Il y a des recherches sur l'élaboration de moyens de mesure de la densité, et notamment des méthodes automatisées, et M. Martin Yaffe participe à cette entreprise.
Nous savons que la densité du tissu mammaire est une caractéristique éminemment transmissible. L'un de nos documents publiés dans le New England que j'ai joints était une étude sur des jumelles recrutées en Amérique du Nord et en Australie. Dans les deux populations, il y a de solides éléments de preuve montrant que les gènes héréditaires influencent le type de densité du tissu mammaire qui se développe chez les femmes. Des recherches sur ces gènes sont en cours.
Nous faisons également des recherches sur les origines de la densité du tissu mammaire à l'adolescence. Nous cherchons des facteurs de la croissance et du développement avant et après la naissance. Nous trouvons des preuves convaincantes du fait qu'ils influencent la façon dont le tissu mammaire se développe à l'adolescence. Le développement à l'adolescence détermine pour l'essentiel ce qui se produira pendant le reste de la vie de la femme.
Le président : J'invite maintenant Martin Yaffe à faire son exposé.
Martin Yaffe, chercheur principal, Institut de recherche Sunnybrook, à titre personnel : Bonjour et merci de m'avoir invité à témoigner devant le comité sénatorial qui étudie le projet de loi C-314 portant sur la communication de l'information sur la densité du tissu mammaire. Vous avez déjà entendu beaucoup de choses sur la densité du tissu mammaire. Je vais plutôt vous parler de mes antécédents. L'intérêt de ma présence ici est surtout que je pourrai répondre à vos questions.
J'ai travaillé en physique de l'imagerie médicale. Mes recherches ont été consacrées à la création de nouvelles techniques permettant de déceler avec plus d'exactitude le cancer du sein. Mon groupe, à l'Université de Toronto, a contribué à diriger le développement de la mammographie numérique, qui est maintenant la principale technique utilisée pour dépister le cancer du sein. Les premiers fonds qui ont financé cette recherche sont venus de l'ancien Conseil de recherches médicales du Canada, devenu depuis les Instituts de recherche en santé du Canada.
Nous avons conçu la mammographie numérique précisément pour surmonter le problème du dépistage du cancer dans les seins dont les tissus sont denses. Au terme d'une étude effectuée aux États-Unis et au Canada et à laquelle ont participé plus de 50 000 femmes, examinées au moyen des deux technologies, nous avons pu publier nos résultats dans le New England Journal of Medicine. Ces résultats montrent que la mammographie numérique est nettement plus efficace que la mammographie sur film chez les femmes dont le tissu mammaire est dense.
J'ai été le coauteur d'une étude dirigée par la Dre Anna Chiarelli, d'Action Cancer Ontario, et publiée il y a une quinzaine de jours. Elle montrait qu'un type de technologie numérique était moins efficace que d'autres types de détection du cancer du sein. J'ai collaboré pendant de longues années avec le Dr Boyd à l'élaboration de techniques de mesure de la densité du tissu mammaire. La technique que nous avons mise au point sert à un grand nombre d'études épidémiologiques réalisées par des chercheurs à l'étranger.
Mes travaux, en ce moment, portent sur l'optimisation et l'évaluation de la tomosynthèse numérique du sein, ce qui est un type de mammographie à trois dimensions qui peut résoudre certains problèmes, mais pas tous, liés à la densité du tissu mammaire et à la fois améliorer la sensibilité de la détection et réduire le nombre de faux résultats positifs dans la détection du cancer du sein.
Je dois vous dire que je suis un des fondateurs et actionnaires d'une entreprise appelée Matakina Technology. Elle développe des logiciels pour mesurer la densité du tissu mammaire. Compte tenu de ce fait, mes propos sur le projet de loi vous étonneront peut-être.
Vous avez entendu Mme Kimberly Emslie et la Dre Morag Park, et d'autres aussi, vous dire que le cancer du sein est un facteur de mortalité majeur chez les femmes. Vous vous êtes fait dire aussi que la densité mammaire élevée impose deux types différents de risque. D'abord, les femmes qui ont un tissu mammaire dense risquent davantage d'avoir un cancer du sein que les femmes du même âge dont le tissu mammaire est moins dense. Deuxièmement, la mammographie classique et même la mammographie numérique décèlent avec moins d'exactitude le cancer dans le tissu dense et donnent des résultats négatifs erronés. Le taux de faux résultats positifs est plus élevé lorsque le tissu mammaire est dense.
Le projet de loi C-314 part d'une bonne intention en soulignant l'intérêt de la communication à la femme et au médecin du fait qu'elle a un tissu mammaire dense. Il est certain que, comme le Dr Boyd et d'autres l'ont dit, cette information peut être précieuse. En ce qui concerne le premier type de risque, il est important de savoir qu'il y a beaucoup d'autres facteurs de risque du cancer, en dehors la densité du tissu. Pour ce type de risque, nous n'obtenons qu'une partie du tableau en discutant de densité. La discussion doit être plus exhaustive. Je perçois la densité comme un outil capable d'éclairer une discussion plus large sur la question du risque entre la femme et le professionnel de la santé qui est en première ligne.
Le deuxième type de risque, celui de rater des cancers dans les tissus mammaires denses à la mammographie, pourrait être abordé plus directement si l'information sur la densité du tissu était communiquée à la femme et à celui qui la soigne. Je crois fermement que tous deux devraient être informés si on juge qu'il y a une probabilité raisonnable qu'un cancer ne sera pas décelé à cause de la densité. Cela pourrait entraîner la recommandation de recourir à des modalités de dépistage supplémentaires ou différentes qui seraient moins influencées par la présence de cette caractéristique des tissus. Certaines de ces modalités ont été évaluées en fonction d'indications précises, mais pas nécessairement pour le dépistage général ou dans les tissus mammaires denses. Par conséquent, des recherches plus poussées s'imposent. Malgré tout, il y a des raisons de croire que ces techniques fourniront des images plus utiles chez les femmes qui ont des tissus mammaires denses. Il y a par exemple l'échographie, la tomosynthèse numérique et l'IRM.
L'objectif pourrait être atteint plus raisonnablement par l'adoption de bonnes lignes directrices sur les pratiques cliniques exigeant la communication claire de préoccupations au sujet de la densité des tissus que par l'adoption d'une loi. Tant que nous n'aurons pas plus de preuves sur l'efficacité de ces nouveaux outils d'imagerie, comme l'IRM et l'échographie, pour le dépistage général, je dirais que la personne la plus qualifiée pour décider si la présence de cette caractéristique de densité risque de nuire à une interprétation exacte d'une mammographie est le radiologiste. C'est la personne qui peut avec le maximum de compétence dire s'il faut avoir recours à l'échographie ou à l'IRM dans une situation particulière en plus ou à la place de la mammographie dans le cas d'une patiente donnée.
Il y a néanmoins des points importants sur lesquels le gouvernement du Canada peut influencer de façon bénéfique les pratiques de la détection du cancer du sein par le dépistage. Par exemple, les politiques sur les normes de dépistage ne sont pas uniformes d'une province à l'autre, notamment en ce qui concerne l'âge à partir duquel les femmes ont accès aux programmes de dépistage structurés provinciaux ou territoriaux. Le gouvernement du Canada pourrait influencer par le biais de l'ICDCS une évolution vers l'harmonisation de ces politiques dans l'ensemble canadien.
Les recommandations récentes du groupe de travail canadien, fondées sur son analyse de données qui ne rendaient pas compte du rendement des technologies modernes de dépistage du cancer du sein, n'ont pas dégagé une image claire des avantages du dépistage ni de la gravité des ravages du cancer du sein chez les jeunes femmes.
Par exemple, 14 p. 100 des décès attribuables au cancer du sein et 18 p. 100 des années de vie perdues à cause de cette maladie s'expliquent par des cancers diagnostiqués chez des femmes qui sont dans la quarantaine, période pour laquelle le groupe de travail a recommandé de ne pas faire de dépistage régulier.
Mes recherches donnent à penser qu'on pourrait sauver environ 200 vies par année au Canada si les femmes qui sont dans la quarantaine participaient au dépistage du cancer du sein, mais les recommandations du groupe de travail ont découragé ces femmes. Comme la Dre Wilson vous l'a dit il y a environ deux jours, le message du groupe de travail a détourné de la participation au dépistage non seulement les femmes dans la quarantaine, mais aussi bien des femmes qui ont plus de 50 ans. Le dépistage se compare à l'assurance-incendie. La plupart des femmes n'en tirent aucun avantage, mais celles qui le font en profitent largement, et non seulement en évitant une mort prématurée, mais aussi en s'évitant certains des aspects les plus difficiles associés au traitement de la maladie à un stade avancé.
Voici quatre autres occasions d'agir pour avoir l'impact maximum dans la lutte contre le cancer du sein. Dans les quatre cas, le gouvernement du Canada peut agir.
Il y a encore des questions importantes qui restent sans réponse au sujet des problèmes dont je parle. Le gouvernement peut veiller à ce que les organismes fédéraux de financement aient les ressources voulues pour fournir des fonds de recherche suffisants sur les causes du cancer du sein, la prévention de cette maladie et l'amélioration des méthodes de dépistage des cancers qui risquent d'être mortels, étant donné que tous les cancers du sein ne sont pas mortels.
Il serait également d'un apport précieux de mettre en place des normes propres à garantir que tous ceux qui interprètent les mammographies de dépistage ont l'expérience et la formation voulues et voient donc assez de cancers du sein en une année pour acquérir une vraie compétence. On vous a déjà livré des réflexions à ce sujet.
De plus, il serait important que le gouvernement exerce son influence pour que le dépistage se fasse dans le cadre de programmes structurés plutôt que de façon opportuniste. Les programmes organisés invitent régulièrement les femmes à se présenter aux examens de dépistage aux intervalles nécessaires, comportent des normes de contrôle de la qualité et mesurent les résultats associés au dépistage.
Le président : Je rappelle aux sénateurs que le comité a convenu de mettre fin à la séance au plus tard à midi et demi. Comme j'ai dû interrompre la sénatrice Verner au cours de la première partie, je l'ai placée au troisième rang dans la liste, et je vais commencer comme d'habitude par la sénatrice Seidman, qui sera suivie du sénateur Eggleton, puis de la sénatrice Verner.
La sénatrice Seidman : Vous avez dit très clairement tous les deux que la densité des tissus est une question plutôt complexe et que, comme facteur de risque isolé, ce n'est probablement pas la meilleure façon d'informer les femmes des risques. Il faut tenir compte d'une multitude de facteurs de risque, en plus de la densité des tissus. C'est ce que vous nous avez dit, et d'autres témoins ont exprimé la même idée.
Je voudrais vous poser une question qui porte expressément sur l'évaluation de la densité. D'autres témoins nous ont dit qu'il était difficile d'obtenir une mesure objective de la densité. Il semble y avoir non seulement un problème d'objectivité de la part de celui qui interprète les données ou de manque de fiabilité, mais aussi le fait qu'il n'y a pas de mesure absolue, pas d'accord sur une mesure absolue, une façon de mesurer la densité. Qu'en pensez-vous?
M. Yaffe : J'ai parlé des deux types de risque, dans le cas des risques élevés de cancer. Une mesure objective et précise revêt une grande importance, et peut-être le Dr Boyd en parlera-t-il davantage.
Deuxièmement, pour déterminer si une mammographie risque de ne pas être aussi utile, à cause du problème de densité, qu'elle ne pourrait l'être par ailleurs, on peut se servir d'un critère beaucoup plus simple. Vous avez vu les images que le Dr Boyd a montrées. Il est facile de voir la différence entre des tissus très denses et des tissus qui le sont moins. Je dirai franchement que je me fierais au radiologue pour prendre la décision simple que telle image est préoccupante à cause du problème de densité et que telle autre suffit pour le moment. Cela peut se mettre en place grâce à de la formation et à des normes très simples.
Dr Boyd : Les estimations du risque qui se trouvent dans notre document publié en 2007 dans le New England ont été produites par des radiologistes. Ils ont estimé la proportion du sein occupée par des tissus denses en utilisant une échelle qui est illustrée dans la figure que je présente. À Toronto, deux radiologistes, la Dre Roberta Jong et la Dre Eve Fishell, ont discuté et se sont entendus sur ce qu'ils allaient appeler « densité ». Nous avons fait une étude de calibrage et veillé à ce qu'une substitution réciproque soit possible. Puis, les radiologistes ont interprété environ 2 000 images qui ont été réunies pour l'estimation du risque et reproduit l'estimation entre la Canadian National Breast Screening Study et le programme de dépistage dans toute la population en Colombie-Britannique et le Programme ontarien de dépistage du cancer du sein.
Les radiologistes peuvent faire ce travail à l'œil nu. Pas besoin de mesures complexes. Nous avons fait des mesures complexes parallèles au travail des radiologistes, et nous avons reproduit ce qu'ils pouvaient déjà faire. Ce n'est pas aussi difficile qu'on l'imagine. Il se peut que de courtes séances de formation se traduisent par une amélioration de la fiabilité des mesures, mais pas besoin de quatre années de résidence en radiologie.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Yaffe, à propos de ce que vous dites des femmes qui sont dans la quarantaine, vous signalez que le groupe de travail s'est prononcé contre le dépistage régulier, mais vous faites remarquer que 14 p. 100 des décès attribuables au cancer du sein et 18 p. 100 des années de vie perdues à cause de cette maladie concernent des femmes qui reçoivent le diagnostic dans la quarantaine. Vous ajoutez même qu'il serait possible de sauver environ 200 vies par année au Canada si les femmes dans la quarantaine participaient au dépistage du cancer du sein. Quel argument le groupe de travail a-t-il invoqué pour se prononcer contre? Votre argument semble très convaincant. Qu'avez-vous à dire du groupe de travail?
M. Yaffe : Je crois que vous avez déjà entendu d'autres témoins faire des réflexions semblables aux miennes. Le groupe de travail a sous-estimé les ravages du cancer du sein chez les femmes dans la quarantaine. J'ignore pourquoi il a fait ce choix. Il n'a certainement pas tenu compte des années de vie perdues.
Bien sûr, si une femme décède à 53 ans d'un cancer du sein qui a été découvert dans sa quarantaine, il y a beaucoup plus d'années perdues pour cette personne — et c'est une perte cumulative pour la société — que ce n'est le cas lorsqu'une femme meurt à 85 ou 90 ans de la même maladie. Cela n'a pas été pris en considération. Même les décès demeurent un élément très important des pertes de vie dans le pays. Le groupe de travail n'en a pas tenu du compte.
Il n'a pas tenu compte non plus d'études plus récentes qui utilisent les techniques plus modernes de mammographie et les traitements modernes du cancer du sein, y compris certaines des nouvelles thérapies qui sont à notre disposition. En Colombie-Britannique, par exemple, une étude du programme provincial de dépistage a mis en évidence une réduction de 24 p. 100 de la mortalité parce que le programme s'adresse aux jeunes femmes qui sont dans la quarantaine et aussi aux femmes plus âgées. Des études réalisées dans d'autres pays ont même laissé entrevoir des avantages plus importants qui peuvent même atteindre une réduction de 40 p. 100 de la mortalité. Selon moi, le groupe de travail a sous-estimé les avantages.
Il a aussi accordé un poids énorme à ce qu'il a appelé les faux résultats positifs, et il ne s'agit pas des erreurs du radiologiste. Un faux résultat positif indique qu'il y a des doutes suffisants, après le dépistage initial, pour croire qu'il faut passer à un deuxième niveau de test pour s'assurer qu'il n'y a aucun cancer. Le groupe a présenté les faux résultats positifs comme un énorme préjudice, disant que si ces résultats ne sont pas bien communiqués aux femmes, il y a un stress lié à un rappel après le dépistage. J'estime qu'il faut faire un meilleur travail de communication pour atténuer ce stress. Le groupe de travail a accordé un poids énorme à l'élément négatif associé aux faux résultats positifs, et je crois que cela a influencé sa réflexion sur la question.
Le sénateur Eggleton : J'ai une question à vous poser à tous les deux au sujet de la technologie. Récemment, le gouvernement ontarien a débloqué 25 millions de dollars pour remplacer le matériel classique de dépistage par mammographie. Je présume qu'il s'agit de passer à la mammographie numérique. Est-ce une bonne décision? Il y a tellement de changements dans la technologie. Évidemment, les Américains ont maintenant recours à l'échographie lorsque le tissu mammaire est dense, en plus de la mammographie classique.
Est-ce une bonne idée?
M. Yaffe : La question est plutôt compliquée. D'abord, la décision de la province n'a pas été de remplacer la mammographie sur film par le numérique, mais d'identifier un type de mammographie numérique de type CR. Selon son évaluation — et j'ai été l'auteur du document —, cette technologie ne donnait pas des résultats aussi bons que d'autres types de mammographie numérique ou sur film, de sorte qu'il s'agissait de retirer ce type de technologie du programme.
La nuance à apporter, c'est qu'il y a de multiples fabricants qui utilisent la technologie de type CR. L'étude n'a pas fait appel à un appareillage statistique pour distinguer le rendement du matériel des différents fabricants. Le gouvernement a donc décidé simplement de remplacer ce type générique de technologie par la mammographie numérique de type DR. Il y a d'autres facteurs dans les mesures que je prends comme physicien qui me donnent à penser que la décision a du sens, du point de vue technique. Le rendement devrait s'améliorer, selon moi.
[Français]
La sénatrice Verner : Monsieur Yaffe, vous avez mentionné qu'il y avait un problème d'organisation sur le plan des ressources. C'est quelque chose que nous avons entendu de la part des témoins précédents aussi, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas nécessairement de communiquer à une femme qu'elle a un tissu mammaire dense, mais de savoir ce qui se passe après. C'est là où il y a un problème et il est particulièrement pointu sur le plan de l'organisation. Pouvez-vous élaborer un petit peu plus là-dessus?
[Traduction]
M. Yaffe : Je ne suis pas sûr d'avoir dit exactement cela, mais je crois assurément, et d'autres vous auront dit la même chose, que la façon de communiquer l'information est cruciale. On ne veut pas provoquer la panique. Par ailleurs, si une femme a subi un examen par mammographie — supposons qu'à un certain endroit, on utilise toujours la technologie sur film, dont nous savons qu'elle ne donne pas des résultats aussi bons que ceux des nouveaux appareils numériques lorsque le tissu mammaire est dense — et si le radiologiste constate que le tissu est dense et qu'il craigne qu'un cancer ne soit présent et ne soit pas décelé à cause de la densité du tissu, il me semble acceptable que la femme et celui qui la soigne sachent qu'il est possible de faire un autre examen. Il se peut que le nouvel examen soit simplement une mammographie par technologie numérique, ou l'IRM ou bien l'échographie. Ce n'est pas à moi de juger. Il reste que, selon moi, la femme devrait recevoir cette information pour qu'elle prenne part à la décision, et je ne crois pas qu'il y ait raison de paniquer. On dit simplement qu'il existe une meilleure technologie qu'on peut utiliser dans ce cas particulier pour obtenir une image plus claire. J'estime que c'est le radiologiste qui peut aider à influencer cette décision sur la nécessité d'obtenir de nouvelles images.
[Français]
La sénatrice Verner : Y a-t-il suffisamment de formation pour la détection et le traitement de ce type d'enjeu qu'est le tissu mammaire dense?
[Traduction]
M. Yaffe : Là encore, j'ai un peu de mal avec la question, mais je crois que s'il s'agit de reconnaître la forte densité du tissu mammaire, comme le Dr Boyd l'a dit, en présentant des illustrations relativement simples de seins au tissu de densité variable, on peut dire que la plupart des radiologistes savent dans quels cas il y a un problème. Leur travail consiste à repérer les cancers dans les mammographies. C'est un peu comme voler dans ciel un bleu bien dégagé et voir clairement un avion blanc d'Air Canada. On peut le voir. Si le ciel est nuageux, il est plus difficile de l'apercevoir. Les radiologistes peuvent dire rapidement dans quels cas il y a un problème, ils peuvent mettre ces cas à part et indiquer ceux pour lesquels on a peut-être besoin d'autres images.
[Français]
La sénatrice Verner : Comment qualifiez-vous nos pratiques au Canada en cette matière par rapport à ce qui se fait ailleurs dans d'autres pays, par exemple?
[Traduction]
M. Yaffe : Des pratiques dans quel sens?
[Français]
La sénatrice Verner : En ce sens qu'il y a des chiffres qui ont été notés précédemment sur le nombre de radiographies que les radiologistes font en termes d'objectif, à savoir autour de 500 à 1 000 mammographies par rapport à la Suède, où c'est nettement beaucoup plus et au Royaume-Uni également.
[Traduction]
M. Yaffe : Je comprends. La situation s'est quelque peu améliorée au Canada. Auparavant, les radiologistes étaient tenus de lire seulement 480 mammographies par année. Au taux typique de cinq cancers sur 1 000 mammographies, cela veut dire que le radiologiste pouvait ne dépister que deux ou trois cancers par année. À mon avis, mais je m'en remets aux radiologistes ici présents, il peut être difficile de garder ses compétences en dépistant si peu de cancers.
En Angleterre, c'est 5 000 ou 10 000, et cela donne de meilleures conditions. Aux États-Unis, on en est toujours à 480, et cela tient en partie à la disponibilité des radiologistes, notamment dans les petites villes. Si on exige ce volume élevé, on peut trouver certains endroits qui n'ont personne pour interpréter les images. À moins d'une centralisation plus poussée de l'interprétation, comme l'a proposée la Dre Duchesne, il peut arriver que les services ne soient pas disponibles dans la ville ou la localité. Il y a un équilibre à ménager. Je conviens que les faits semblent indiquer que le rendement augmente avec le volume, tant pour ce qui est de la détection des cancers que pour l'identification des cas où il n'y a pas cancer, de sorte qu'on n'a pas besoin de rappeler autant de femmes.
[Français]
La sénatrice Verner : Comme on parle de ressources qui sont peut-être moins bien organisées, qu'il devrait y avoir de la formation supplémentaire à donner et que tout le monde est de bonne foi concernant cet enjeu, diriez-vous qu'avec le projet de loi C-314 on prend plutôt le problème par la fin au lieu de regarder l'ensemble des ressources qui pourraient être améliorées avant d'en arriver là? À ce moment-ci, peut-être que les organismes réguliers du gouvernement fédéral comme Santé Canada ou d'autres initiatives pourraient donner l'information concernant le tissu mammaire dense au lieu que ce soit une loi typiquement, uniquement sur ce sujet-là.
[Traduction]
M. Yaffe : Je suis d'accord, et je vous remercie de poser la question. Je suis heureux que vous l'ayez posée. Voilà pourquoi j'ai dit que je ne suis pas sûr qu'un projet de loi soit le meilleur moyen de s'attaquer au problème. À certains endroits, on signale déjà le problème de la densité. Si nous savions que des lignes directrices sur les pratiques cliniques seraient mises en place pour veiller à ce que cela se fasse, et se fasse de manière relativement uniforme, nous pourrions dire que cela règle la majeure partie du problème. J'ai parlé de trois ou quatre autres problèmes qui me paraissent plus pressants et dont le règlement aurait plus d'impact en sauvant des vies grâce à la détection du cancer du sein.
Dr Boyd : Le débat sur la densité du tissu mammaire soulève une question plus large. Il y a dans la population une grande hétérogénéité en ce qui concerne aussi bien le risque sous-jacent de cancer du sein, influencé par la densité du tissu mammaire et d'autres facteurs de risque, que la facilité avec laquelle le cancer peut être décelé au moyen de la mammographie. Avoir des programmes de dépistage dans lesquels il y a une seule modalité d'examen et une seule fréquence de dépistage, indifféremment de cette menace de l'hétérogénéité, n'a aucun sens, à mon avis. Il faut considérer un tableau plus large et dire qu'il y a des femmes chez qui le risque est plus faible et le dépistage vraiment facile. Faut-il qu'elles soient examinées avec la même fréquence que celles chez qui le risque est élevé et la détection difficile?
Le président : Merci à vous deux de ces réponses importantes.
M. Yaffe : Je suis d'accord avec le Dr Boyd là-dessus. En Ontario, Action Cancer Ontario a mis en place un programme de dépistage en fonction des risques élevés non en ce qui concerne la densité comme facteur de risque, mais à l'égard d'autres facteurs de risque. Les femmes dont le risque d'avoir un cancer du sein au cours de leur vie est de plus de 25 p. 100 ont la possibilité de se soumettre à un dépistage par IRM, mammographie ou échographie.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Seth : Je le dis encore, il s'agit d'un sujet intéressant.
Docteur Boyd, comme vous l'avez dit, il est possible de rendre le tissu mammaire moins dense en arrêtant le traitement hormonal de substitution ou en commençant un traitement au tamoxifène. Pourriez-vous expliquer pourquoi on a recours à ces traitements, le plus souvent? Quels en sont les effets secondaires?
Dr Boyd : L'hormonothérapie sert habituellement à contrôler les symptômes de la ménopause. Il existe maintenant des preuves convaincantes, par suite d'études sur des échantillons aléatoires réalisées aux États-Unis, que l'hormonothérapie combinée, la plus couramment utilisée, est associée à une augmentation modeste du risque de cancer du sein, ce qui a beaucoup fait reculer l'utilisation de ce traitement.
Toutefois, chez certaines femmes, ce traitement rend le tissu mammaire plus dense, et des données encore inédites — il s'agit du document dont M. Yaffe et moi sommes les coauteurs et qui a été rédigé à partir d'une étude réalisée aux États-Unis — montrent que l'augmentation de la densité qui se produit parfois sous hormonothérapie combinée est étroitement liée à un accroissement du risque de cancer du sein. Chez les femmes dont le tissu mammaire devient plus dense pendant cette thérapie, cette augmentation de la densité doit être considérée comme un signal d'alerte, et il y a lieu de se demander s'il faut poursuivre la thérapie. Il s'agit évidemment d'une décision d'ordre clinique. Elle dépend de la durée prévue de la thérapie hormonale et de la gravité des symptômes à traiter. Ce sont des décisions individualisées.
Quant au tamoxifène, à part de son usage dans le traitement du cancer du sein, il ne sert vraiment pour l'instant qu'à la prévention du cancer du sein, et il n'est le plus souvent administré que lorsque le risque est très élevé, souvent lorsqu'il y a des antécédents familiaux. Il a cependant été montré récemment que chez certaines femmes, le tamoxifène fait beaucoup diminuer la densité du tissu mammaire, ce qui semble être étroitement lié à la diminution du risque de cancer du sein attribuée à ce médicament. Selon moi, nous en sommes à un stade intermédiaire, pas encore au stade de la pratique clinique, mais cela pourrait arriver dans un proche avenir.
Au Royaume-Uni, on entreprend des essais avec échantillons aléatoires chez les femmes dont la densité du tissu mammaire est étendue; certaines reçoivent du tamoxifène et d'autres non. Nous saurons donc bientôt à quoi nous en tenir sur les avantages de ce médicament. Le tamoxifène n'est pas sans risques. Il peut faire augmenter les risques de caillot, d'embolie pulmonaire et d'AVC, par exemple. La fréquence de ces incidents est très faible, mais il faut qu'il y ait des avantages importants pour qu'on s'expose à ces risques. Le tableau n'est pas encore très net, mais cela illustre le fait qu'on peut agir sur la densité du tissu, ce qui semble bénéfique sous l'angle du risque de cancer du sein.
La sénatrice Martin : J'ai appris en faisant partie de ce comité et en siégeant au Sénat que rien n'est simple. Le projet de loi est concis, mais l'enjeu est complexe. Merci des efforts que vous faites pour jeter un peu de lumière sur cet enjeu très complexe.
Monsieur Yaffe, dans votre exposé, vous avez dit qu'il était important de faire de la sensibilisation et d'informer les femmes et les médecins. Vous vous demandez s'il ne serait pas possible d'y arriver simplement en adoptant des lignes directrices judicieuses sur les pratiques cliniques.
Nous avons appris beaucoup de choses dans nos comités. Nous comprenons où se trouvent les lacunes et à quel point il est difficile de les combler. Vous avez parlé de l'harmonisation des politiques avec les provinces et les territoires. Pourriez-vous en dire davantage sur la complexité de l'adoption des pratiques cliniques ou de l'harmonisation? À la séance précédente, un témoin a dit que le projet de loi — que ce soit celui-ci, un projet de loi amendé ou un autre projet de loi — est l'occasion d'amorcer des mesures importantes visant à combler les lacunes. Pourriez-vous expliquer en quoi l'harmonisation est complexe? Quels sont les défis à surmonter?
M. Yaffe : En ce qui concerne la mise en place de lignes directrices sur les pratiques cliniques, je dois dire que je ne suis pas médecin. Je ne vois pas clairement dans quelle mesure cela peut être simple ou difficile dans un cas ou dans l'autre. En Ontario, des lignes directrices sur les pratiques cliniques ont été adoptées dans le cas de l'IRM pour les femmes ayant un risque élevé de cancer. Cela s'est fait rapidement et efficacement en quelques mois, à partir des données disponibles dans la littérature.
Si on le veut, il y a un moyen d'y arriver, et ce ne devrait pas être si compliqué. Bien des programmes de dépistage et beaucoup de radiologistes font déjà état de la densité du tissu mammaire en utilisant ce qu'on appelle le lexique BI- RADS, qui prévoit quatre catégories. Je crois que la catégorie la plus préoccupante est celle de la densité extrême. C'est dans ce cas que le radiologiste a le plus de mal à repérer les cancers. Je ne pense donc pas qu'il faille un effort énorme, si tel est le but, pour parvenir à une certaine uniformité dans l'ensemble du Canada et en utilisant des outils simples, comme des illustrations, pour essayer de clarifier ces définitions.
Si on essaie de mesurer la densité du tissu au cours d'essais afin de voir si un médicament a une influence ou non sur la densité, il faut des outils beaucoup plus précis. Le Dr Boyd et moi avons passé beaucoup de temps à travailler là- dessus. Je ne crois pas qu'il s'agisse vraiment de ce dont il est question ici.
Nous aurons ces outils précis, et ils seront probablement disponibles dans un proche avenir. J'ai parlé de l'entreprise avec laquelle je travaille, et c'est ce que nous y faisons. D'autres s'intéressent à la même question. Cela facilitera peut- être la vie aux médecins, qui n'auront plus à prendre eux-mêmes la décision, mais ils sont en mesure de la prendre, je suis d'accord avec le Dr Boyd là-dessus.
Je ne sais pas trop si vous vouliez que je parle d'autre chose que la densité des tissus, mais il y a, je le répète, bien des occasions d'améliorer l'état de la détection des cancers du sein au Canada. Ce sont celles pour lesquelles une meilleure uniformité entre les provinces est nécessaire. Et il faudrait peut-être réexaminer ce qu'a fait le groupe de travail, voir si ses recommandations sont acceptables et, dans la négative, envisager de les revoir. Le gouvernement fédéral est resté plutôt discret au sujet de ces recommandations.
La sénatrice Martin : Voilà des propos encourageants, et je vais faire expressément un lien avec votre travail, c'est-à- dire la recherche. Je partage les préoccupations de mes collègues, et je m'interroge sur ce que nous avons entendu au sujet de la capacité de notre infrastructure actuelle. Si nous devons communiquer de l'information, comment devons- nous nous y prendre ensuite pour nous occuper des femmes dont le tissu mammaire est dense?
D'après les recherches scientifiques, les technologies et les compétences du Canada, sommes-nous en mesure de mettre en place la capacité nécessaire, s'il existe une volonté de réunir les parties intéressées afin de faire du bon travail?
M. Yaffe : Je crois que oui. La différence entre la situation qui existe au Canada et celle qu'on observe aux États- Unis, où une grande partie de ce qui s'est dit de la densité est venue de la législation, ce sont les modalités de paiement des soins de santé. Aux États-Unis, si un examen ou un traitement n'est pas recommandé officiellement, la patiente doit le payer elle-même. Dans bien des cas, elle n'a pas l'argent, si bien que l'examen ou le traitement n'ont pas lieu.
Au Canada, je crois que, dans la plupart des cas, si un médecin estime qu'un test supplémentaire présente de l'intérêt, il aiguille la patiente vers cet examen, qui se fait. Si mon médecin me dit que je dois subir un test additionnel, je vais généralement suivre son conseil.
Quant aux discussions entre professionnels au Canada, il y a certainement une capacité suffisante parmi nos collègues pour régler ces questions-là.
Dr Boyd : La discussion que vous avez eue plus tôt ce matin a fort bien montré que, pour le moment, il n'existe pas d'éléments de preuve solides pour prendre des décisions sur les modalités d'imagerie supplémentaires auxquelles on peut avoir recours. Si ces éléments probants ne sont pas disponibles, peut-être devrions-nous les trouver. Il est certain que, au Canada, nous avons les ressources voulues pour comparer les modalités d'imagerie de façon systématique et quantitative, de façon à nous donner les faits nécessaires pour prendre ces décisions difficiles.
La sénatrice Cordy : C'est très intéressant.
Nous discutons de l'objet du projet de loi, qui porte expressément sur le facteur de risque qu'est la densité du tissu mammaire. Monsieur Yaffe, l'une de vos recommandations, que vous avez qualifiée d'occasion, ce que je préfère, veut que les organismes fédéraux de financement aient les ressources pour pousser les recherches sur les causes du cancer du sein. Quelles sont les lacunes dans l'information existante sur les facteurs de risque de cancer du sein qui nécessiteraient des recherches importantes?
M. Yaffe : Comme le Dr Boyd vient de le dire à l'instant, la question qui se pose est la suivante : si une femme a un tissu mammaire dense, quelle est la meilleure voie à suivre ensuite? En ce moment, nous pouvons faire une supposition éclairée, mais les faits concrets, au sens le plus strict, n'ont pas été réunis. Je conviens avec le Dr Boyd que le travail pourrait se faire dans le contexte canadien, et ce ne serait pas si difficile, si nous décidions simplement de poser la question.
Chose importante, le dépistage par échographie automatisée n'est pas largement disponible, mais d'autres outils le sont. Il serait parfois possible de les évaluer dans ce que nous appelons le contexte après mise en marché. Autrement dit, les outils sont déjà là, et nous pourrions faire des études pour amasser les données nécessaires pour répondre à certaines questions, et cela pourrait se faire sans engager des dépenses énormes.
La sénatrice Cordy : En réalité, le projet de loi est prématuré. Nous ne savons pas vraiment ce que nous devrions faire parce que la recherche ne nous a pas livré l'information voulue pour que nous sachions ce que la patiente doit faire, une fois qu'elle a appris qu'elle avait des tissus mammaires denses.
M. Yaffe : Effectivement. Par exemple, nous n'avons pas fait d'étude sur le dépistage par échographie chez les femmes dont le seul facteur de risque est la densité du tissu mammaire. L'étude s'est faite sur les femmes à risque élevé. Même chose pour l'IRM. Il faudrait réaliser ces études dans le bon contexte, celui des modalités d'utilisation de l'information.
La sénatrice Cordy : L'élément recherche dans le dossier relève certainement de la compétence du gouvernement fédéral.
Vous avez également parlé de la mise en place de normes pour garantir que ceux qui interprètent les mammographies ont une formation suffisante. Il n'existe pas de normes nationales pour l'instant?
M. Yaffe : L'Association canadienne des radiologistes vient d'imposer la norme. Elle l'a relevée par rapport à la norme américaine, qui est de 480 examens par an, pour la porter à 1 000 examens par an, je crois. C'est généralement cette organisation qui établit la norme.
La sénatrice Cordy : Ce n'est donc pas le gouvernement qui l'établit, mais l'organisation elle-même?
M. Yaffe : Certains programmes provinciaux ont leur propre norme. Je suppose que cela correspond à celle de la CAR.
Le sénateur Envrega : Nous avons parmi nous deux grands scientifiques. Avez-vous jamais fait des recherches sur la densité du tissu mammaire chez les hommes? Nous avons parlé des femmes, mais je connais un ou deux hommes qui sont morts du cancer du sein, et je me demande s'il se fait quelque chose de ce côté.
Dr Boyd : Je me suis déjà fait poser la question, et je réponds d'habitude que les femmes me donnent suffisamment de fil à retordre pour l'instant. Je ne m'occuperai des hommes qu'une fois le problème complètement résolu.
La question est tout à fait raisonnable. Le cancer du sein chez les hommes se présente habituellement lorsqu'il y a gynécomastie, autrement dit lorsqu'il y a une certaine forme de développement mammaire chez l'individu. Il est très plausible qu'il y ait de l'information venant de l'imagerie chez l'homme qui ait un lien avec le risque, mais la question n'a jamais été étudiée.
M. Yaffe : Chez l'homme, la fréquence du cancer du sein est d'environ 1 p. 100 de ce qu'elle est chez la femme, mais il n'y a pas eu beaucoup d'études sur la question de la densité du tissu mammaire.
Le sénateur Envrega : Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de recherches en cours. Sommes-nous loin de réaliser des progrès dans ce domaine?
Dr Boyd : La semaine prochaine, je vais présenter les premiers résultats de notre étude sur les jeunes femmes. Nous recrutons des jeunes de 15 à 18 ans dans le réseau scolaire torontois. Nous avons l'approbation sur le plan éthique et la coopération du Conseil scolaire du district de Toronto, du Conseil scolaire catholique et de certains conseils scolaires régionaux en dehors des limites de la ville. En ce moment, 700 jeunes femmes sont inscrites. Elles sont soumises à des examens par résonnance magnétique, car nous ne voulons pas les exposer à des radiations. Pour caractériser le tissu mammaire, on peut aussi bien utiliser la résonance magnétique que la mammographie.
Nous accompagnons ces mesures des tissus mammaires d'historiques détaillés recueillis auprès de leurs mères — ce qui s'est passé pendant la grossesse et au cours des premières années de l'enfant — ainsi que de mesures génétiques et hormonales effectuées chez les enfants.
C'est la première étude de cette nature au monde qui ait une aussi grande ampleur. La semaine prochaine, nous rendrons compte des effets de certaines influences très précoces : la mère a-t-elle pris du poids pendant la grossesse, quel était le poids de l'enfant à la naissance, le bébé a-t-il été allaité? Tous ces facteurs ont un effet sur les caractéristiques du tissu mammaire à l'âge de 15 ans.
Ce sont là des influences très précoces, et elles font surgir la question d'un phénomène appelé plasticité développementale. Autrement dit, des variations dans l'environnement à des stades critiques du développement peuvent amener certains tissus à se développer de façon permanente selon certains axes. Le fait est déjà établi dans le cas des maladies cardiaques, et on a la nette impression que la même chose vaut pour les maladies et le cancer du sein également.
Le sénateur Envrega : J'ai hâte de recevoir cette information.
Le sénateur Eggleton : À proprement parler, nous ne sommes pas saisis du projet de loi C-314, qui est plutôt à l'étude au Sénat. C'est la teneur du projet de loi qui a été renvoyée au comité. Il s'agit de notre dernière audience consacrée à cette question. Nous devrons ensuite décider ce que nous allons recommander au sujet du projet de loi C-314.
Les opinions varient. Certains estiment que le projet de loi peut être utile à certains égards, d'autres sont d'avis qu'il risque de nuire et d'autres encore pensent qu'il ne va pas assez loin. Une personne à qui j'ai posé la question a dit que la majeure partie de tout cela se fait déjà, mais le projet de loi ajoute une certaine insistance et prévoit peut-être un rôle fédéral plus important.
Il n'y a que peu d'information dans le projet de loi, qui n'a pas été proposé par le gouvernement, mais par un député. Est-il utile ou nuisible? Apporte-t-il une insistance suffisante pour qu'il en vaille la peine ou ne vaut-il pas la peine d'y donner suite?
Dr Boyd : Il me semble que si une femme veut savoir ce que révèle sa mammographie qui risque d'influer sur la détection d'un cancer ou son risque d'avoir un cancer du sein, il n'y a absolument aucune raison de lui refuser cette information. Toutes les patientes devraient-elles être informées, qu'elles le veuillent ou non? C'est une autre question. Il y a d'autres situations, par exemple celle des tests génétiques, où les patients préfèrent ne pas connaître les résultats. Je voudrais au moins tenir compte de cette possibilité dans le contexte de l'interprétation de mammographies et de la communication de l'information qu'elles révèlent.
Si une femme veut savoir si ses tissus mammaires sont denses ou non, elle a parfaitement le droit de le savoir. Cette information est quelque peu différente de la plupart des autres renseignements médicaux sur le risque. Si votre médecin veut savoir si votre taux de cholestérol ou votre tension artérielle présentent un danger pour votre santé, il doit intervenir; il doit prélever un échantillon sanguin et le faire analyser ou mesurer votre tension. Ici, le radiologiste ne peut pas faire autrement que de voir le facteur de risque. Il est impossible de ne pas le voir. La question se pose : cela doit rester son secret ou faut-il faire connaître ce fait à la patiente, si elle veut être mise au courant? À mon avis, la réponse à la question est vraiment simple.
M. Yaffe : Je suis tout à fait d'accord. L'enjeu est de savoir s'il faut légiférer à cet égard. J'étais tout à fait convaincu que la CAR aurait des dispositions à ce propos dans ses normes et que l'ICDCS imposerait aussi cet élément dans un programme de dépistage. Il y a un ou deux jours, j'ai entendu Greg Doyle témoigner ici, et il n'était certainement pas favorable au projet de loi. Dans ce cas, je ne vois pas la nécessité de cette mesure.
J'ignore ce que sont les diverses possibilités.
Le président : Au nom du comité, je tiens à vous remercier de votre présence, de la profondeur de vos réponses et des grandes compétences que vous incarnez.
(La séance se poursuit à huis clos.)