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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 4 - Témoignages du 30 janvier 2014


OTTAWA, le jeudi 30 janvier 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour réaliser son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international étudie les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

Aujourd'hui, par vidéoconférence, nous avons M. Shaun Narine, professeur agrégé au Département de science politique de l'Université St. Thomas. Nous entendrons aussi, du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, M. David Dewitt, vice-président des Programmes, et M. David Welch, attaché supérieur de recherche et titulaire de la Chaire de recherche sur la sécurité mondiale du CIGI, École d'affaires internationales Balsillie, Université de Waterloo.

Messieurs, bienvenue au comité. Nous avons déjà amorcé notre étude. De nombreux témoins sont venus nous faire part de leurs points de vue sur l'entrée du Canada dans les marchés d'Asie-Pacifique. Nous sommes impatients d'entendre les vôtres. Je présume que les sénateurs pourront vous poser des questions ensuite.

Je pense que nous allons respecter l'ordre dans lequel je vous ai présentés, si vous êtes d'accord. Je vais donner la parole à M. Narine, qui va nous faire son exposé.

Shaun Narine, professeur agrégé, Département de science politique, Université St. Thomas, à titre personnel : Merci. On m'a demandé de parler de l'ANASE — l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est —, et je présume que vous voulez de l'information générale sur l'ANASE, sur sa création et sur son degré de cohésion. Je vais parler de cela et j'espère ne pas répéter des choses que d'autres témoins vous ont déjà dites.

L'ANASE est le résultat d'un pacte de non-agression conclu en 1967. Elle est devenue plus active dans les années 1970 et 1980, principalement en raison de son opposition à l'invasion et à l'occupation du Cambodge par le Vietnam.

Dans les années 1990, avec la fin de cette occupation et de la guerre froide, l'ANASE s'est mise à se concentrer sur la recherche de nouveaux objectifs. Elle a cherché à promouvoir une intégration économique accrue et a créé le Forum régional de l'ANASE visant la sécurité en Asie-Pacifique. La crise économique dans la région, de 1997 à 1999, a rappelé la région à la réalité. L'ANASE s'est trouvée incapable de répondre à cette crise et, de plus, la crise a révélé la vulnérabilité des États de cette région.

L'évolution de l'ANASE, aujourd'hui, se fait directement dans le sillage de ce qui s'est produit de 1997 à 1999. Elle essaie de rétablir sa position, mais elle cherche aussi des façons de demeurer pertinente.

En 2003, l'ANASE a déclaré son intention de créer, d'ici 2015, une communauté de l'ANASE reposant sur trois piliers : une communauté économique, une communauté politique sociale et une communauté socioculturelle. L'ANASE travaille à la mise en œuvre de ces trois piliers. En 2007, elle a aussi adopté la charte de l'ANASE, le document d'orientation de la communauté de l'ANASE.

En ce qui concerne le multilatéralisme régional, l'ANASE est essentielle. Elle est au cœur de la plupart des structures régionales importantes, en particulier le Forum régional de l'ANASE, ou le FRA; l'ASEAN Plus Trois et le Sommet de l'Asie de l'Est. Je dirais que l'ASEAN Plus Trois arrive au premier rang en importance.

Deux grandes mises en garde s'imposent. Premièrement, je pense que l'ANASE n'est pas une institution cohérente, malgré les efforts qu'elle déploie pour le paraître. Son sens de l'identité régionale est faible, de même que la confiance qui règne entre les États membres, lesquels se concentrent dans une grande mesure sur la réalisation de leurs propres intérêts nationaux étroits. L'ANASE travaille fort à demeurer au centre de l'institutionnalisme régional, et elle réussit à le faire dans une très grande mesure parce qu'elle est la seule option, faute de mieux. Les grandes puissances de la région ne se font pas confiance, et n'inspirent pas non plus la confiance des plus petits pays. Ils ne peuvent pas lancer leurs propres institutions.

Ceci étant dit, je souligne que l'ANASE est probablement aussi cohérente et institutionnalisée que possible, de façon réaliste. L'Asie du Sud-Est est une région d'une très grande diversité. Tous les degrés de développement possibles s'y trouvent, ainsi qu'une grande variété de régimes politiques, de groupes ethniques et de religions.

Je dirais que bon nombre des problèmes d'instabilité interne ayant motivé la création de l'ANASE en 1967 sont encore présents aujourd'hui. En ce qui concerne le Canada et le multilatéralisme de l'Asie, le Canada est essentiellement absent de cette région depuis plusieurs années. De toute évidence, il faut que le Canada y fasse surface. Il est particulièrement important de tisser des liens, dans le contexte asiatique, mais c'est l'essence même de la diplomatie partout dans le monde. Ce n'est pas propre à l'Asie. Pour le Canada, faire surface n'équivaut pas à se lancer dans des entreprises majeures avec l'ANASE. Le Canada est déjà membre du FRA, alors ça va. Cependant, en général, je pense qu'il faut davantage faire sentir notre présence qu'au cours des 10 dernières années, sinon plus. Franchement, être simplement là pour donner des idées nous amènerait à être plus présents qu'auparavant et à nous faire entendre bien plus qu'en fonction de la fermeté et l'importance de notre objectif actuel.

Je vais m'arrêter ici et répondre à vos questions ou laisser la parole à quelqu'un d'autre.

La présidente : Merci, monsieur Narine.

Nous allons maintenant écouter l'exposé du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. Messieurs, je ne sais pas lequel de vous prendra la parole, ou si vous le ferez tous les deux.

David Dewitt, vice-président des programmes, Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale : Nous parlerons tous les deux. Je suis David Dewitt. Merci de nous avoir invités. Nous sommes ravis de vous revoir. Quelques années se sont écoulées depuis que vous, moi, Tom Bata et Tom avons siégé ensemble au Comité canadien du Conseil de coopération pour la sécurité dans l'Asie-Pacifique. Je suis enchanté de voir que vous êtes toujours aussi intéressée aux questions touchant le Canada et l'Asie.

J'ai pensé essayer d'accomplir deux choses, dans mon bref exposé, compte tenu de l'information qu'Adam m'a transmise avec l'invitation la semaine passée et de ce que j'ai retenu de ma lecture rapide des procédures. Vous avez reçu des témoins experts qui se sont concentrés en particulier sur les questions commerciales et économiques. Ce n'est pas mon domaine et je ne m'y aventurerai pas, mais je vais y faire allusion par moments.

Donc, je voulais accomplir deux choses : faire des commentaires sur le Canada et l'Asie, et faire des commentaires sur l'Asie et le contexte, en particulier sur les arrangements en matière de politique et de sécurité et sur l'économie.

En ce qui concerne le Canada et l'Asie en général, je dirais qu'à la fin de la guerre froide, il y avait un grand optimisme nourri par le ministre des Affaires étrangères, Joe Clark, selon lequel le Canada avait l'occasion de faire son entrée en Asie, surtout en Asie du Nord-Est et en Asie du Sud-Est, et ce, par des moyens nouveaux et novateurs. On a vraiment cherché à trouver des façons de gérer plus efficacement les conflits qui mijotaient, de même que ceux qui représentaient de très sérieuses menaces. Par exemple, le gouvernement a parrainé une initiative en deux volets de dialogue sur la sécurité coopérative dans le Pacifique Nord. Le gouvernement canadien a aussi parrainé avec les Indonésiens le groupe de travail sur la mer de Chine méridionale, qui a beaucoup travaillé à réunir les principales parties.

On constate avec intérêt que les deux principaux secteurs de contestation, la péninsule coréenne et la mer de Chine méridionale, demeurent des zones critiques. En fait, pour la gouverne des sénateurs, le dernier numéro d'une revue canadienne intitulée Diplomat & International Canada que vous êtes sans doute nombreux à recevoir comporte au centre une série de cartes axées sur les risques liés à la politique, à la sécurité et à l'économie. Si vous regardez la carte de l'Asie en particulier, vous verrez, probablement à l'exception du Japon, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, que tous les pays présentent des risques très élevés, élevés ou moyennement élevés. C'est donc dire que les problèmes ne sont toujours pas résolus en Asie.

Je dirais cependant que depuis 20 ans, le Canada souffre de ce que je qualifierais d'attentes insatisfaites ou de promesses non tenues. Il y a eu de nombreuses attentes insatisfaites dans les milieux économiques et politiques du Canada, car on envisageait que l'Asie occuperait pour le Canada une place nettement plus importante sur le plan de nos affaires internationales et de nos relations étrangères en matière d'économie, de politique, de sécurité et de diplomatie. Ces attentes ne sont toujours pas satisfaites.

Les attentes non satisfaites de l'autre côté sont liées à des propositions, des innovations et des suggestions d'activités diverses extrêmement intéressantes de la part du Canada qui, à répétition, ne se sont pas réalisées, si bien que nos partenaires asiatiques en sont venus à mettre en doute la mesure dans laquelle le Canada est véritablement résolu à se tailler sérieusement et à long terme une place sur le marché asiatique.

Je dirais aussi, en particulier, que le Canada continue de manquer des occasions stratégiques dans le cadre de ce que nous estimions être des relations spéciales avec le Japon, la Corée, en Asie-Pacifique, et peut-être aussi avec la Chine et l'Inde. On a aussi à tort supposé que nos relations avec les États-Unis, que nous disons spéciales, pourraient continuer de nous ouvrir des portes et nous amener dans diverses régions de l'Asie. Cette idée n'a plus de crédibilité et de poids, et nous devons repenser notre approche. En fin de compte, nous avons délaissé les domaines où nous étions novateurs — ce qu'on appelle maintenant la diplomatie parallèle ou officieuse, qui contribuait à soutenir les occasions et à ouvrir des portes. Non seulement le Canada n'est plus considéré comme un leader, mais sa présence n'est même pas sérieuse et continue.

C'est un ensemble de préoccupations générales.

Permettez-moi de parler brièvement des points de vue sur l'Asie en tant que région. Shaun vous a donné un aperçu de l'ANASE. J'estime que l'ANASE demeure une source d'occasions impressionnantes. L'Indonésie, par exemple, connaît une croissance remarquable et constante, de 5 p. 100 par année. Elle a considérablement augmenté son secteur manufacturier, elle est riche en ressources et elle souhaite beaucoup explorer les occasions solides que lui offre le Canada. Là où l'Indonésie ira, l'ANASE ira. L'ANASE n'est pas importante que parce qu'elle est l'organisation de négociation la plus créative du régionalisme en Asie-Pacifique — Shaun a mentionné le nombre d'institutions régionales —, mais parce qu'à ces institutions s'ajoutent de nouvelles initiatives dans lesquelles l'ANASE joue un rôle essentiel. Le Partenariat économique intégral régional et le Partenariat économique intégral pour l'Asie de l'Est ne sont que deux des initiatives nouvelles dans lesquelles l'ANASE joue un rôle important, bien que moindre que celui de l'Inde ou de la Chine.

La Chine est manifestement une puissance émergente. Nous le reconnaissons tous. Certains économistes prédisent que même s'il y a un léger ralentissement du taux de croissance économique de la Chine, d'ici 2050, nous pourrons voir une bonne augmentation de la capacité économique en Chine. Les marchandises, les ressources et l'énergie que cela exigera représentent manifestement une occasion. Cela s'accompagne aussi de défis pour le gouvernement du Canada, s'il souhaite soutenir des valeurs et des principes qui sont en conflit avec les intérêts. De toute évidence, on gère cela, mais je dirais qu'on le fait tardivement, comme c'est le cas pour nos efforts relatifs au PTP.

Le dernier point, peut-être le plus important d'une vue d'ensemble de tout cela, serait la question des États-Unis. Tout le monde est fasciné par ce qui a été annoncé comme étant le pivot. On revient sur ce pivot, qui est peut-être bloqué, ou qui revient. Il y a des commentaires sur le remplacement de certains hauts conseillers américains et sur les États-Unis qui se concentreraient sur le Moyen-Orient plutôt que sur l'Asie. Je pense que c'est peut-être une perception du public. J'ai l'impression que ce n'est pas vraiment le cas, et que l'engagement des États-Unis concernant l'Asie demeure très solide. Il est peut-être vrai que les Chinois renforcent leur technologie militaire, mais les États-Unis demeurent à l'avant-garde dans ce secteur et, en fait, à l'échelle mondiale. Je pense que les Américains vont demeurer très actifs en Asie, tant pour les questions d'intérêts économiques que pour la sécurité, la politique et la diplomatie. N'oublions pas qu'ils y jouent toujours un rôle important sur le plan des ententes de sécurité avec le Japon, la Corée du Sud et divers autres États de l'ANASE.

Je vais m'arrêter ici et donner la parole à mon collègue, David Welch.

David Welch, attaché supérieur de recherche, Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, et titulaire de la Chaire de recherche sur la sécurité mondiale du CIGI, École d'affaires internationales Balsillie, Université de Waterloo : Merci de me donner cette occasion de témoigner. Je suis justement revenu mardi soir après trois semaines au Japon. J'y ai beaucoup appris sur les pensées et les sentiments des Japonais au sujet de la sécurité dans la région et des enjeux économiques de la région, ainsi que sur ce qu'ils pensent du Canada et de son rôle éventuel. L'automne dernier, j'ai eu des occasions de discuter avec des collègues et des dirigeants en Corée et en Chine aussi. J'aimerais ajouter quelques commentaires à ceux de mes collègues David et Shaun au sujet de l'Asie du Nord-Est en particulier. J'aimerais appuyer tout ce que mes collègues ont dit — ce n'est pas typique d'un universitaire, mais je ne suis pas en désaccord. La seule précision que j'apporterais, c'est que tandis que la plupart des gens se concentrent naturellement sur la croissance et la montée de la Chine comme étant une réalité fondamentale de l'avenir de l'Asie-Pacifique, très peu de gens s'arrêtent à penser que la Chine pourrait connaître de grandes difficultés internes qui l'empêcheraient d'émerger. Nous devons penser sérieusement aussi bien aux répercussions d'une Chine émergente qu'à celle d'une Chine qui stagnerait. Nous avons mieux envisagé les effets de la première possibilité que ceux de la deuxième.

L'Asie du Nord-Est est un endroit extraordinairement dangereux en ce moment. Le danger ne vient pas des risques de conflits et de l'intérêt auquel des conflits répondraient. Tout le monde est d'accord pour dire que l'harmonie économique et de bonnes relations stables entre les États sont essentielles à la région et à l'économie mondiale. Cependant, les risques sont importants. Ils découlent de ce qu'en fait les pays de la région n'ont pas réussi à oublier leur inimitié, l'animosité qui caractérise leur histoire, une histoire encore bien vivante. L'histoire est une plaie vive et elle se joue en ce moment sous la forme de conflits territoriaux, de conflits maritimes, de conflits au sujet des activités de guerre des soldats japonais en Corée et en Chine, par exemple. L'histoire représente un grave problème qui continue de miner la région, et récemment, ce qui est très inquiétant, c'est que l'histoire, qui était toujours en arrière-plan dans les relations de l'Asie du Nord-Est, a fait surface pour devenir une question d'intérêt public. Les gouvernements de la région ont essentiellement perdu la maîtrise de ces questions particulières et sont maintenant redevables devant une opinion publique ranimée et très émotive. Les sondages ont tendance à être très négatifs. De plus en plus, les publics des trois grands pays de l'Asie du Nord-Est voient négativement leurs voisins. Les risques de perceptions erronées, d'accidents et de conflits intempestifs pouvant déclencher une guerre non désirée sont grands.

Où se situe le Canada dans tout cela? Comme mes collègues l'ont dit, le Canada est essentiellement absent de la scène depuis assez longtemps. Quand je vais en Asie, j'entends des gens se lamenter à ce sujet. Les Asiatiques aimeraient que le Canada y soit plus actif concernant les questions de sécurité. Ils n'ont pas nécessairement de grandes attentes sur les pouvoirs que le Canada peut apporter. Ils comprennent que ce n'est pas dans nos habitudes, bien que nous l'ayons fait à l'occasion, et ce, très efficacement. Les pays de la région nous en sont reconnaissants.

Ce que le Canada arrive dernièrement à apporter à la région, ce sont des idées nouvelles sur la façon de dénouer les impasses qui sont apparues dans les relations avec les États. Ici, au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, nous venons d'entreprendre un projet sur trois ans dont le but est de trouver des façons de réduire la surestimation des menaces. Je pense qu'il se trouve, au cœur des conflits qui sévissent dans l'Asie du Nord-Est, une surestimation globale flagrante de la menace. Quand les gens ont une mauvaise perception des menaces ou qu'ils les surestiment, la méfiance fait augmenter les risques de conflit.

Nous essayons de trouver un moyen d'aider les gens et les chefs des régions à se comprendre un peu mieux. Je pense qu'en cultivant l'empathie, il ne serait pas très difficile pour les gens de la région de comprendre que tout le monde surestime les menaces que les autres représentent pour eux.

Le Canada peut jouer ce rôle justement parce que nous avons un certain recul. Nous sommes un pays du Pacifique. Tout le monde reconnaît cela. Nous ne sommes pas un pays d'Asie — pas géographiquement, du moins. Nous avons un pied dans la porte, et cela nous donne l'accès; notre autre pied n'est pas dans la porte, ce qui nous donne de l'objectivité. Le Canada est toujours dans les bonnes grâces des gouvernements et des gens de la région. Nous pourrions miser là-dessus, et ce, dans une grande mesure et très efficacement. Cela remonte à l'époque où le Canada avait une politique étrangère renommée. Ce n'est pas le cas en ce moment. Les pays de la région aimeraient constater une telle politique étrangère pour pouvoir envisager une contribution du Canada. Nous essayons de faire ce que nous pouvons, au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, mais une approche pancanadienne serait nettement préférable pour un retour du Canada sur cette scène.

La présidente : Merci à vous tous. Vous avez couvert beaucoup de terrain. J'ai une liste de personnes qui vont vous poser des questions. Étant donné que nous utilisons la vidéoconférence. Je vais demander aux sénateurs de s'identifier. Cela donnera le temps nécessaire pour établir un lien.

[français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : En premier lieu, je me présente. Je suis Suzanne Fortin-Duplessis, une sénatrice du Québec. Je tiens à vous remercier tous pour votre présentation très intéressante devant notre comité.

Ma première question s'adresse à M. Narine. En lisant votre curriculum vitae, j'ai cru comprendre que vous avez effectué une thèse de doctorat sur l'évolution de l'ANASE.

Quelle est votre opinion concernant la présidence birmane de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est pour l'année 2014? Croyez-vous que ce rôle international important aura une influence positive sur les réformes démocratiques entreprises par la Birmanie?

[Traduction]

M. Narine : En réalité, pour votre gouverne, il y a bien des années que j'ai terminé mon doctorat.

Je pense que de donner la présidence de l'ANASE à la Birmanie est déjà un geste de bonne foi devant l'engagement de ce pays à réaliser une réforme démocratique, et je pense que ça l'encourage. D'une certaine façon, c'est une récompense pour la Birmanie qui se conforme à certaines normes ou idées, alors je crois que cela ne peut pas faire de tort.

Comme vous le savez, le bilan de la Birmanie en matière de droits de la personne demeure douteux. En même temps, c'est la raison pour laquelle on a considéré si longtemps ce pays comme un paria. Mais c'est aussi le cas du bilan de bien des pays de l'ANASE sur ce plan, alors on ne peut pas exiger de la Birmanie qu'elle se conforme à des normes différentes.

Il est encourageant que le gouvernement birman poursuive ses efforts. S'il gagne à le faire, il sera encore plus motivé à poursuivre. Dans l'ensemble, c'est positif, tant pour la Birmanie que pour l'ANASE, car dans le passé, quand c'était au tour de la Birmanie d'assumer la présidence, l'ANASE trouvait des moyens de rejeter sa candidature, ce qui a sans nul doute compliqué les relations au sein de l'organisation elle-même. Au moins, en ce moment, ils peuvent poursuivre sur une voie qui démontre que la Birmanie sera récompensée si elle respecte certaines politiques.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Pouvez-vous élaborer un peu plus sur la façon dont le Canada peut interagir avec l'ANASE? Vous en avez touché un mot, mais de quelle façon spécifiquement?

[Traduction]

M. Narine : C'est une question difficile, car l'ANASE est une entité autonome, en quelque sorte. Le Canada collabore avec l'ANASE par le dialogue et, bien sûr, en tant que membre du Forum régional de l'ANASE. David et David en ont parlé d'une certaine façon.

Notre plus importante contribution à l'organisation, ce sont les idées que nous présentons, et la médiation de certains conflits à l'occasion, quand c'est possible. Je crois par exemple que le Canada participe au Groupe de travail sur le maintien de la paix du FRA. C'est un domaine dont le Canada est perçu comme étant un expert capable de transmettre son savoir-faire à d'autres pays de la région, lesquels pourraient à terme participer au maintien de la paix. C'est du moins l'idée qui sous-tend cela. C'est un exemple très précis.

Sommes-nous vraiment en mesure d'en faire beaucoup plus? Je n'en suis pas certain. Tout dépend si vous considérez la diplomatie en soi comme quelque chose de précieux. Comme je l'ai déjà dit, la diplomatie est à bien des égards le simple fait d'être là et d'être actif; vous avez ainsi une certaine présence et vous en retirez un certain respect.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma dernière question s'adresse à M. Dewitt et concerne la sécurité. Monsieur Dewitt, comme vous le savez, la région de l'Asie-Pacifique présente d'importants défis en matière de sécurité. C'est la région la plus populeuse de la planète et quelques-uns des pays qui s'y trouvent possèdent l'arme nucléaire, alors que d'autres réfléchissent à l'obtenir.

Nous avons été témoins récemment de manœuvres militaires de la part de la Chine. Nous avons vu ressurgir des tensions entre le Japon et la Chine. Étant donné que la situation est stable mais qu'elle peut devenir plus inquiétante, quel pourrait être le rôle du Canada pour contribuer à diminuer ces tensions qui existent dans la région de l'Asie-Pacifique?

[Traduction]

M. Dewitt : Merci, madame la sénatrice. C'est une question difficile. La réponse facile, mais incomplète serait de dire que nous avons des relations bilatérales solides avec les principaux États concernés par ces situations. Par l'entremise de ces canaux, nous devrions évidemment être en mesure de raisonner les États concernés et de faciliter le dialogue, mais c'est insuffisant.

Au début des années 1990, notre dialogue sur la coopération en matière de sécurité dans le Pacifique Nord nous a permis d'apprendre qu'il faut aller plus loin que les relations bilatérales. De tels conflits sont enracinés dans la dynamique régionale, ce qui rend la situation beaucoup plus complexe.

Notre initiative a donné naissance aux pourparlers à six que coprésident les Américains et les Chinois. Le Canada n'a pas été invité à y participer, mais nous avons en fait jeté les assises. Ces pourparlers n'ont pas connu beaucoup de succès et n'ont pas encore réussi à désamorcer les relations entre la Corée du Nord et les États environnants, mais cela a du moins permis de créer des occasions.

Bref, si nous mettons à profit nos très maigres ressources en vue de cibler des domaines dans lesquels nous avons une certaine expertise, nous en avons la capacité. Nous n'avons qu'à penser à la technologie nucléaire, aux mesures de confiance et de sécurité ou aux travaux de David Welch et de ses collègues sur l'empathie et la confiance en vue d'aider les gens à mieux comprendre les effets et les séquelles de l'histoire.

Le Canada pourrait certainement s'engager à offrir beaucoup plus d'occasions d'échanges non seulement entre les élites, mais aussi entre les futures élites, comme les étudiants universitaires qui ont le privilège de faire l'expérience d'une démocratie diversifiée au Canada.

Les changements culturels qui sont en fin de compte nécessaires pour régler la cause fondamentale du conflit prennent du temps, mais ce sont des domaines spécialisés. Nous avons déjà participé à des travaux sur le droit de la mer et des îles. David Welch et ses collègues du CIGI ont un projet à cet égard. Nous pourrions jouer de nouveau un rôle dans ce domaine, si c'était avantageux.

Shaun a fait allusion à notre renommée passée en matière de maintien de la paix, mais cette renommée n'est plus l'ombre d'elle-même. Je ne sais pas si nous pouvons redorer notre blason à cet égard, mais il y a plus de 15 ans, l'Indonésie avait proposé au Canada de créer un centre de formation en matière de maintien de la paix Canada-ANASE. L'idée intéresse de nouveau les Indonésiens. Cela pourrait-il être une possibilité?

Nous n'avons pas vraiment le pouvoir de contraindre, mais nous avons vraiment le pouvoir de convaincre, si nous le faisons de manière soutenue et réaliste.

La sénatrice Johnson : J'aimerais parler du Plan d'action sur les marchés mondiaux qui contenait six priorités en vue d'accroître la présence économique et politique du Canada en Asie. Le plan consiste notamment à cibler des marchés, y compris des marchés émergents d'Asie-Pacifique : l'Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Corée du Sud, la Thaïlande, le Vietnam et le Myanmar. Ces marchés offrent ensemble de vastes avantages pour le Canada, et les entreprises canadiennes trouvent des créneaux précis dans ces marchés et les marchés établis au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Cependant, le plan met l'accent sur la diplomatie économique en tant que force motrice derrière ce réseau en vue de faire progresser nos intérêts commerciaux sur la scène internationale.

Pourriez-vous nommer les forces et les faiblesses de notre Plan d'action sur les marchés mondiaux? J'ai ensuite une autre question à vous poser.

M. Narine : Je n'ai pas vraiment grand-chose à dire à cet égard. Je ne connais pas beaucoup le plan; je vais donc laisser mes collègues en parler.

La sénatrice Johnson : Merci.

M. Welch : Je dois dire que la réaction dans la région à la diplomatie canadienne n'est pas passée inaperçue. Le plan met vraiment beaucoup l'accent sur l'économie, et l'interprétation que les autres en font est qu'il se concentre beaucoup sur nos propres intérêts. En Asie, si vous voulez avoir des échanges commerciaux d'une certaine envergure, vous devez être disposés à collaborer avec l'Asie sur une vaste gamme d'enjeux. Nous devons donc être un partenaire actif en matière de sécurité, même si notre rôle est marginal, pour que l'Asie nous considère davantage comme un partenaire économique sérieux. Voilà le premier point.

Ensuite, les Asiatiques ne comprennent pas vraiment les rouages de la politique canadienne et ont de la difficulté à comprendre, par exemple, pourquoi il faut tant de temps au Canada pour être en mesure de vendre le pétrole extrait des sables pétrolifères aux pays du Pacifique. Ils ne comprennent pas les questions politiques relatives aux pipelines; ils ne comprennent pas le concept des compétences provinciales. Ils ne comprennent pas du tout les droits des Premières Nations issus des traités et leur rôle dans les décisions entourant la construction des pipelines, par exemple.

L'Asie cherche dans le monde un accès stable à des sources d'énergie et à des produits de base essentiels, et elle voit le Canada comme une source potentielle pour ces produits. Le Canada fait miroiter aux Asiatiques que nous sommes une telle source, mais on semble mal comprendre qu'à bien des égards notre capacité de le faire sera limitée à court terme et peut-être même à long terme.

Cela risque de faire naître de fausses attentes élevées dans l'esprit des pays asiatiques, ce qui ferait passer le Canada pour un partenaire économique décevant.

M. Dewitt : Je suis d'accord avec tout ce que David a dit, et j'aimerais ajouter quelques observations.

Comme il l'a mentionné, nous devons non seulement être là, si nous avons des intérêts économiques, mais aussi être présents dans toutes les sphères des relations humaines. Certains pays définissent leur sécurité en fonction de ce qu'ils appellent la sécurité complète. C'est le fait de reconnaître que les questions socioéconomiques et politiques vont de pair et que la sécurité signifie le renforcement et l'amélioration des capacités d'un pays et non seulement la protection de ses frontières. Les questions économiques et les possibilités économiques sont étroitement liées au vaste éventail d'intérêts politiques. Par conséquent, c'est troublant pour les pays asiatiques de voir un pays comme le Canada adopter une initiative qui semble très restreinte dans ses intérêts.

Deuxièmement, même si certains pays asiatiques ont une certaine structure fédérale, ils n'aiment pas la séparation des pouvoirs au Canada entre les provinces et Ottawa. Cela influe évidemment sur certains enjeux que David Welch a mentionnés.

Troisièmement, même si on nous présente l'Asie comme une occasion incroyable pour les Canadiens, nous sommes plutôt des joueurs marginaux dans la majorité des marchés asiatiques. L'Asie a des relations beaucoup plus solides avec d'autres régions. Elle voit le Canada entrer dans le marché avec un certain retard; nos intérêts sont très restreints; nous avons joint le PTP sur le tard; et nous hésitons à aborder des questions concernant le libre échange qui les préoccupent et qui freinent leurs intérêts. Par conséquent, ce serait une bonne chose, mais je ne crois pas que les intérêts économiques du Canada ou un partenariat économique avec le Canada fassent actuellement partie des priorités d'un pays asiatique.

La sénatrice Johnson : C'est très intéressant. Vous avez dit que nos intérêts sont restreints en ce qui concerne l'Asie. Qu'entendez-vous par là? Comment pourrions-nous améliorer le tout? Comment devrions-nous nous y prendre au cours des prochaines années pour ce faire? Est-ce même possible?

M. Dewitt : Eh bien, je crois que l'étroitesse s'explique probablement facilement par l'accent qui est mis sur les produits de l'Alberta, soit les produits des sables pétrolifères, et la Chine.

Des occasions se sont présentées concernant les exportations de bœuf. À une certaine époque, nos exportations de bois d'œuvre et de céréales étaient considérables, mais elles semblent limitées. Nous importons bien entendu des étoffes, des produits finis, des produits électroniques et d'autres produits manufacturés. Devrions-nous les élargir? Je crois que oui. Le Canada a-t-il la capacité de le faire? J'en suis certain. Je suis porté à croire que les changements démographiques importants au Canada joueront un rôle en la matière, parce qu'au cours des trois dernières décennies une grande partie des nouveaux arrivants étaient originaires de l'Asie : l'Asie du Sud, l'Asie du Sud-Est et l'Asie du Nord-Est. Ces gens ont des intérêts. Nous pourrions tirer avantage de manière positive de l'imposante diaspora au Canada en vue d'établir des relations.

Par exemple, l'éducation est un secteur dans lequel nous n'avons pas réussi à tirer notre épingle du jeu comparativement aux Américains, aux Australiens et même aux Européens. Notre système d'enseignement supérieur offre probablement le meilleur rapport qualité-prix dans le monde, mais nous n'avons vraiment pas réussi à offrir des possibilités, à faciliter l'accès et à encourager les Asiatiques à venir ici. C'est important pour le développement économique, parce que ces gens seront les futurs leaders des pays asiatiques; même si seulement 30, 40 ou 50 p. 100 d'entre eux retournent dans leur pays, ils conserveront des liens. Ils auront des connaissances, et ils seront au fait de ce qu'est le Canada et de ce que nous avons à offrir. Nous n'avons pas du tout réussi à tirer avantage d'une occasion tout à fait naturelle.

La sénatrice Johnson : Merci d'avoir mentionné le secteur de l'éducation. Je sais que mes collègues y reviendront.

Le sénateur Demers : Bonjour. Excellentes déclarations. Nous apprenons beaucoup chaque jour à ce comité.

Comment les priorités et les ressources du Canada se comparent-elles à celles d'autres pays qui ont un intérêt actif dans la région, notamment l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, la Russie et l'Union européenne?

M. Narine : Je crois comprendre que les échanges commerciaux du Canada en Asie représentent moins de 1 p. 100 de l'ensemble des échanges en Asie. En fait, nous ne faisons pas du tout le poids comparativement à l'Australie ou aux États-Unis, par exemple, parce qu'ils ont tout simplement beaucoup plus d'échanges commerciaux. Dans le cas de l'Australie, c'est évidemment à côté. Son partenaire principal est la Chine, et ses exportations principales sont les ressources naturelles.

Comme MM. Dewitt et Welch l'ont mentionné, le Canada a ses propres ressources naturelles, et nous faisons certainement miroiter l'idée que nous les vendrons à la Chine et à d'autres pays asiatiques, mais nous n'avons pas encore fait grand-chose en ce sens.

Bref, il n'y a pas de comparaison possible avec les autres pays. Nous pouvons dire que notre priorité est de percer le marché asiatique, mais je crois que nous tenons ce discours depuis très longtemps. Je me suis notamment intéressé à l'Asie, parce que c'était évidemment vu comme une région qui présentait un intérêt considérable pour le Canada, entre autres, pour les raisons que David Dewitt a avancées. Sur le plan démographique, nous changeons énormément, mais depuis au moins deux décennies, le Canada n'a pas pleinement tiré parti de son potentiel dans cette région.

M. Welch : Je suis d'accord avec les propos de Shaun. Je crois que l'Australie voit vraiment le Canada comme un possible concurrent dans la région sur le plan économique et n'est pas très enthousiaste à une présence accrue du Canada. Pour cette raison, l'Australie ne voit pas d'un très bon œil le fait que le Canada soit plus actif sur le plan de la sécurité, parce que ce serait la première étape en vue d'y accroître notre présence économique. Selon moi, l'Australie n'est pas très chaude à l'idée.

Je ne crois pas que l'Europe est un concurrent à bien des égards, parce que les exportations européennes en Asie ont tendance à être des produits à forte valeur ajoutée et que nos exportations ont tendance à être des produits de base et des produits à faible valeur ajoutée. Il ne semble pas y avoir de problème à cet égard, mais nous ne faisons absolument pas le poids, comme Shaun l'a rappelé.

D'après moi, la Nouvelle-Zélande aimerait que le Canada participe à une sorte de libre échange global dans la zone du Pacifique, si nous ouvrons nos marchés à leurs produits, notamment les produits laitiers et les produits du bœuf. Nous sommes bien entendu conscients de la nature délicate de la question des produits laitiers au Canada, et j'ai hâte de savoir comment se déroulent les négociations en la matière pour le PTP. Mes attentes ne sont honnêtement pas élevées. Je doute que nous ayons un accord initial très intéressant ou complet, si nous en concluons un. Cela reste à voir.

M. Dewitt : J'ai trois petits points. Je crois que tout ce qu'a dit David est juste. J'ajouterais que l'Australie nous considère comme un concurrent direct, parce que nos exportations sont les mêmes, à l'exception que le Canada exporte aussi du pétrole et du gaz naturel et que l'Australie n'a rien d'équivalent.

La différence avec les Européens est qu'ils offrent à l'Asie un vaste marché pour les produits asiatiques. De ce point de vue, les échanges commerciaux sont beaucoup plus alléchants avec l'Europe qu'avec le Canada.

Personne n'en a encore parlé, mais il ne faut pas oublier la croissance fulgurante au cours de la dernière décennie et demie des échanges commerciaux intrarégionaux. En ce qui concerne les activités commerciales importantes et la valeur en dollars des échanges entre l'Asie du Sud-Est et l'Asie du Nord-Est, cela se passe entre ces régions. C'est dans les échanges commerciaux intrarégionaux que se trouvent les augmentations importantes, le volume et la valeur en dollars.

Le président : J'aimerais me faire l'avocat du diable en ce qui concerne la situation entre l'Australie et le Canada.

Au début des années 1990, je me rappelle que l'Australie avait certainement mis l'accent sur l'Asie et avait investi beaucoup de ressources dans ce marché et ses relations. Cependant, les Australiens n'avaient pas toutes leurs ressources à leur disposition et ils ont eu des choix à faire. Ils ont donc choisi l'Asie. Je crois qu'ils ont réduit leurs initiatives ailleurs, notamment celles dont je suis au courant en Afrique, où l'Australie a fermé la majorité de ses missions pour se concentrer sur l'Asie. Cela a porté ses fruits. Le temps a passé, et les Australiens sont de retour en Afrique et se montrent très agressifs.

Le Canada a connu la même situation. Nous sommes allés là où nous pensions avoir des occasions en Amérique centrale et en Amérique du Sud avant de nous tourner vers l'Europe.

Il me semble que le problème est de trouver comment aborder le commerce mondial et notre participation, comme la Chine et les autres le font. Je crois que nous avons de la difficulté à trouver les nouveaux mécanismes commerciaux et les nouveaux canaux diplomatiques que nous pouvons utiliser en vue de profiter au maximum de notre avantage partout où nous allons en raison des technologies. Une entreprise de la Saskatchewan peut s'en aller en Afrique; une autre du Manitoba peut s'étendre en Chine. L'important est de percer les marchés, en particulier en ce qui concerne les PME. Comment tirer le maximum de leurs avantages? Comment arriver à trouver l'équilibre dans tout cela?

Il ne fait aucun doute que l'Australie et le Canada sont en concurrence à certains égards, mais nous sommes également des alliés. Si la situation était déjà complexe par le passé, elle l'est certainement encore plus maintenant. Comment arriver à manœuvrer dans une telle situation et à formuler des recommandations?

M. Dewitt : Madame la présidente, mon expertise limitée en matière d'économie ne me permet pas de parler en connaissance de cause, mais je peux vous recommander des gens qui pourraient vous aider à ce sujet.

Ma seule observation serait que, lorsque les Australiens font ces choix, ils les font après avoir reçu une panoplie complète d'engagements. Donc, lorsqu'ils ont défini l'Asie, ils l'ont fait en fonction de leurs connaissances en matière de mobilisation, de leur sensibilisation et de leurs programmes en matière d'éducation, de leurs investissements étrangers directs dans des pays d'Asie, de leurs partenariats avec les Asiatiques, de leurs initiatives commerciales, du développement de leurs capacités diplomatiques, ainsi que du message et de l'image qu'ils ont clairement transmis et qui indiquent que l'Australie est une valeur sûre à titre de partenaire à part entière en Asie, et ce, sur le plan tant économique que diplomatique, militaire et sécuritaire.

Si vous examinez l'Australie, vous constaterez que ses citoyens s'emploient à aider les pays du Sud à consolider leur plan de défense. Ils leur permettent de participer à des exercices militaires en vue d'appuyer cet effort. Les Australiens sont parmi les principaux promoteurs de la diplomatie officieuse dans un secteur que nous dominions auparavant, c'est-à-dire la Table ronde sur l'Asie-Pacifique. L'Australie de même que les États-Unis sont les États non membres de l'ANASE qui dirigent cette initiative.

Les Australiens considèrent cette initiative comme un engagement sans réserve, et non un secteur circonscrit, et je crois que cela apporte d'énormes avantages à leurs petites et moyennes entreprises parce que, lorsqu'elles tentent d'établir des échanges commerciaux, leur nom et leurs marques sont reconnus, et elles ont accès à une gamme complète de services dans les pays en question qui appuient leurs efforts. Si vous examiniez nos missions en Asie, je ne crois pas que vous observeriez cela.

La sénatrice Ataullahjan : Je m'appelle Salma Ataullahjan, et je représente Toronto. Nous savons qu'il est difficile d'établir un lien entre les droits de la personne et le commerce. Le Canada peut se servir de son programme économique pour soulever ces questions, mais il devrait le faire sans affrontement. Aimeriez-vous formuler des observations à cet égard? Y a-t-il une façon de nous assurer que les droits de la personne sont respectés lorsque nous signons ces traités?

M. Narine : Pour parler très franchement, je ne crois pas qu'il y en ait. Je pense que votre affirmation initiale était exacte. Je ne soutiens pas que les droits de la personne et le commerce ne devraient pas être liés dans certaines circonstances, mais les approches de ce genre sont souvent très brutales et inefficaces.

Si nous reprenons le cas de la Birmanie, par exemple, les diverses sanctions dont elle fait l'objet en ce moment ne semblent pas, selon moi, l'avoir poussée à modifier son comportement. Elles ont peut-être eu une incidence, mais, pour être franc, ce qui importe le plus, c'est que la Birmanie a décidé elle-même de changer, pour des raisons qui lui sont propres et qui sont liées à son désir de ne plus dépendre complètement de la Chine.

À la même époque, les pays membres de l'ANASE ont également adopté une politique d'engagement envers la Birmanie. Eh bien, pour être honnête, cette politique n'a pas fonctionné dans bien des cas. Comme je l'ai mentionné, si nous prenons précisément l'exemple de la Birmanie, nous constatons qu'en fin de compte les changements observés en Birmanie sont imputables à des facteurs internes.

La question des droits de la personne est donc très complexe et très controversée. Je dirais que vous devriez soulever la question des droits de la personne dans les cas où vous pouvez véritablement user de votre influence, les cas où, pour une raison ou une autre, cela peut vraiment avoir un effet bénéfique. Souvent, c'est davantage une question de politique et de culture qu'un enjeu économique en tant que tel.

M. Welch : Voilà un cas où je pourrais ne pas être d'accord. À mon avis, si le Canada prend les droits de la personne au sérieux, il devrait adopter une politique à cet égard, et cette politique devrait être cohérente et énoncée clairement. On a tort d'exploiter des enjeux économiques pour tenter d'influer sur la situation des droits de la personne, ou vice versa, parce que, pour être franc, nous allons simplement échouer à la tâche. Nous ne sommes pas suffisamment puissants, et nous n'importons pas suffisamment aux pays de cette région pour jouir de ce genre d'influence.

Donc, si nous souhaitons avoir une politique des droits de la personne, nous devrions, par respect pour nous-mêmes, en adopter une, sans nécessairement aspirer à accomplir grand-chose par nous-mêmes, mais peut-être en collaborant avec les autres.

L'une des raisons pour lesquelles le Canada a eu du mal à cultiver une image dans la région tient au fait qu'il a fait preuve d'incohérence dans le dossier des droits de la personne. Au cours des dernières années, nous avons eu, dans la région, à la fois la réputation d'insister fermement sur le respect des droits de la personne et celle de ne pas intervenir dans le dossier. Les pays de la région ont du mal à décoder notre engagement à cet égard et même à le prendre au sérieux parce qu'ils constatent que nous ne prenons pas systématiquement des mesures pour l'honorer.

Je pense que nous devrions avoir une politique des droits de la personne et que cela reflète ce que nous sommes nous, les Canadiens. Cependant, je ne crois pas que nous devions nous attendre à ce que cette politique soit nécessairement très efficace par elle-même, ou prétendre que nous sommes en mesure de la lier efficacement au commerce, au profit des échanges ou des droits de la personne.

M. Dewitt : Oui. Selon moi, c'est un domaine où il est très difficile d'intégrer des politiques. Il serait peut-être plus efficace d'avoir recours au genre de mesures qui ont été prises dans le passé et qui sont appliquées en ce moment.

Ceux d'entre nous qui ont participé aux activités canado-asiatiques d'il y a 20 ans ont souvent entendu des expressions telles que les « droits de la personne à caractère chinois ». Il n'était pas rare d'entendre de tels commentaires, comme en entendaient ceux qui s'occupaient de l'Union soviétique pendant la guerre froide. Ils s'efforçaient de dire qu'ils reconnaissaient la façon dont nous définissions les droits de la personne et leur contexte juridique occidental. Nous observons aussi le même phénomène dans le contexte du développement social et d'autres sortes de critères. La situation n'était pas nécessairement satisfaisante, mais c'était le début des efforts déployés par ces pays pour reconnaître, au moins, que les droits de la personne constituaient un enjeu universel. Les droits commençaient à représenter un langage universel qu'avec le temps ces pays devaient maîtriser.

La commission permanente des droits de la personne de l'ANASE représente un effort plus récent et constructif, bien que peu concluant. Elle est en place depuis plus de 10 ans, 10 années pendant lesquelles les Philippines, Singapour, l'Indonésie, la Thaïlande et la Malaisie se sont efforcés de maintenir un dialogue avec les autres membres de l'ANASE, une association qui compte maintenant 10 pays au total, dont la Birmanie. Ces pays discutent de ce qu'il faut faire pour intégrer les droits de la personne non seulement dans les normes, mais aussi dans la structure juridique des États. Ce n'est pas une tâche facile à accomplir parce que, chose peu étonnante, la non-intervention fait partie des nombreux principes adoptés par l'ANASE. Toutefois, l'ANASE souscrit également à l'engagement constructif, une notion qui date de l'époque où la Birmanie n'avait pas encore adhéré à l'association.

Si nous décidons d'apporter une contribution au dossier, ce sera dans le but de maintenir l'attention prêtée aux enjeux, de nous assurer que la compréhension des complexités des droits de la personne s'améliore et de reconnaître que, comme David l'a laissé entendre, nous sommes extrêmement préoccupés par les droits de la personne à toutes sortes d'égards et que cela englobe les questions d'emploi et les normes du travail, que les travailleurs du textile exercent leurs fonctions à Dhaka, au Bangladesh. Nous nous intéressons aussi aux conditions d'emploi et aux normes du travail en vigueur au Cambodge et au Vietnam, où ces normes sont constamment enfreintes de diverses façons, et, bien entendu, à celles en vigueur en Birmanie et en Chine, où l'on rencontre des problèmes majeurs en matière de droits de la personne.

Toutefois, selon moi, nous ne devrions pas lier ces enjeux directement aux possibilités et à la prospérité économiques. Nous devrions plutôt établir un lien entre ces questions et des portes ouvertes, de manière à être en mesure d'exercer une influence dans ce dossier. Si nous ne nous assoyons pas à la table des négociations, ils n'entendront pas ce que nous avons à dire et ne s'en préoccuperont pas.

M. Welch : Il y a une autre façon indirecte de tenter de faire progresser les droits de la personne, et elle est liée à la notion de sécurité humaine. Les droits de la personne et la sécurité humaine sont deux concepts très différents. Les droits de la personne sont un ensemble de droits philosophiques et normatifs, alors que la sécurité est une condition empirique. Dans la mesure où les gens jouissent de la sécurité, ils se prévalent aussi, par le fait même, de leurs droits de la personne, dans la plupart des cas. Un lien existe donc entre les deux concepts.

Le Canada avait l'habitude d'être considéré comme l'un des plus grands champions de la sécurité humaine et, indirectement, des droits de la personne — avec le Japon et la Norvège, soit un de nos importants partenaires de l'Asie-Pacifique dans ce dossier et un pays de l'Europe du Nord. Nous avons depuis abandonné ce rôle. Nous nous sommes essentiellement retirés du domaine de la sécurité humaine, et nous l'avons fait pour de simples raisons de politique interne. Je sais que cela a étonné et déçu les Japonais et les Norvégiens, de même que d'autres pays de la région. Lorsqu'on emploie les mots « droits de la personne » en Asie, cela braque les gens. Cependant, lorsque vous parlez de « sécurité humaine », les gens écoutent et s'intéressent à ce que vous avez à dire.

M. Dewitt : Chose intéressante, si vous réfléchissez à la notion de sécurité humaine, définie brièvement comme étant « l'affranchissement de la peur et du besoin », vous constatez que sa définition englobe joliment les aspects de base des droits de la personne, lesquels sont enchâssés dans le système des Nations Unies. Et tous les pays souhaitent être perçus comme de légitimes participants à l'ONU. La suggestion de David est, en fait, très intéressante.

Le sénateur Oh : Je vous remercie, messieurs, d'être parmi nous. Je souhaite effleurer la question des droits de la personne, que vous venez juste de mentionner.

Dans les pays membres de l'ANASE et la région du Pacifique, les problèmes liés aux droits de la personne se sont considérablement améliorés. Je crois que cette amélioration est imputable à l'essor économique et à la situation politique qui s'est stabilisée au cours des 35 ou 40 dernières années. Je crois qu'il est important que nous aidions ces pays. Nous avons stabilisé la situation politique et amélioré l'économie, afin de maintenir une meilleure situation sur le plan des droits de la personne.

Je pense que nos exportations vers l'Asie-Pacifique sont plutôt faibles. Pensez-vous que le gouvernement du Canada devrait tâcher d'intensifier notre présence dans la région de l'Asie-Pacifique, compte tenu du fait que, depuis plusieurs années déjà, nous disposons d'un grand nombre de missions dans des pays membres de l'ANASE qui sont prêts à aller de l'avant et que la présence du Canada là-bas a toujours été présentée comme amicale? De plus, pensez-vous que le climat d'investissement dans la région de l'Asie-Pacifique est désormais sûr?

M. Narine : Je vais parler brièvement de la question des droits de la personne et des changements économiques observés dans la région qui ont modifié la situation des droits de la personne.

En général, je suis d'accord avec vous. Je pense que, dans l'ensemble, la situation des droits de la personne s'est améliorée dans tous les pays de l'Asie du Sud-Est et de l'Asie-Pacifique et, par ailleurs, il est probable que ces améliorations soient dues, du moins en partie, à la croissance économique.

En même temps, je pense que nous devons également comprendre que la relation entre ces éléments est plus complexe que cela parce que les changements économiques entraînent aussi des changements sociaux, des changements qui peuvent, à leur tour, engendrer des bouleversements sociaux.

Par exemple, si vous examinez la situation que vit la Thaïlande, vous remarquerez qu'il s'agit là d'un pays qui lutte pour devenir démocratique et que ce mouvement est principalement imputable aux changements sociaux provoqués par des perturbations économiques ou autres. Vers la fin des années 1990, la Thaïlande était parmi les premières nations à tenter d'élargir la capacité d'intervention de l'ANASE dans les affaires de ses pays membres. Je crois qu'aujourd'hui elle n'appuierait pas du tout ce genre de politiques.

Si vous examinez la situation qui sévit en ce moment au Cambodge, vous constaterez que l'un des facteurs à l'origine des perturbations observées dans cet État est lié au fait que les travailleurs exigent de meilleurs salaires. Ces exigences découlent de la prospérité économique ou de l'accroissement de cette prospérité.

La relation entre ces éléments est complexe. Les changements économiques entraînent des changements sociaux et politiques, et, dans les années à venir, nous observerons des mouvements et des bouleversements qui feront avancer et reculer des pays plus ou moins stables. Il y a 10 ans, la Thaïlande était plus stable qu'elle ne l'est aujourd'hui.

À mon avis, cette relation est complexe. Ces pays sont encore en train d'affronter ces nouvelles forces.

Pour répondre à votre deuxième question concernant les possibilités d'investissement, je dirais qu'elles dépendent, du moins en partie, de la stabilité des pays que vous examinez. Oui, les possibilités d'investissement se sont certainement améliorées dans certains pays, alors que, dans d'autres pays, le processus de changement est encore en cours.

En ce qui a trait à la Chine, je ne sais pas trop quoi dire à son sujet. D'une part, comme David Welch le disait plus tôt, la Chine se développe à un incroyable rythme, et ce, depuis les 20 dernières années. En même temps, bon nombre de gens craignent que, pendant les deux dernières décennies, la Chine ait devancé de peu de nombreux bouleversements sociaux et que ces bouleversements finissent par la rattraper tôt ou tard.

Dans l'ensemble, je dirais que le tableau en Asie est très complexe. Les changements économiques entraînent là-bas des changements sociaux et une instabilité qui pourraient, au bout du compte, engendrer de nouvelles sortes de stabilité et d'évolution politique. Cependant, tout cela fait partie du processus.

M. Welch : La Corée du Nord est le pays de la région où la situation des droits de la personne est la pire, et nous n'avons pas parlé d'elle. La Corée du Nord est importante non seulement en raison de son histoire au chapitre des droits de la personne, mais aussi parce qu'elle est problématique du point de vue de la sécurité.

Je ne sais pas si des gens sont venus vous parler de la Corée du Nord, mais je dirais que ce pays est très dangereux, précisément parce que nous ne comprenons pas vraiment ce qui se passe là-bas, ce qui advient de ses dirigeants et ce qui se produira au cours des deux prochains mois ou années.

C'est un pays qui souffle le chaud et le froid quant à son désir de s'entendre avec ses voisins, mais, comme chacun le reconnaît, la Corée du Nord risque grandement de s'effondrer parce que son système économique ne fonctionne pas et que son système politique est corrompu et dévasté.

Je ne sais pas quel rôle le Canada peut jouer par rapport à la Corée du Nord, mais je dirais qu'à mon sens il est triste et tragique qu'un très grand nombre de pays — de l'Asie du Nord-Est du moins — consacrent leurs énergies à mener entre eux des petites guerres fondées sur des malentendus historiques, insignifiants la plupart du temps, au lieu de se préparer efficacement ensemble à affronter ce qui pourrait se produire en Corée du Nord. Peut-être pourrions-nous nous pencher davantage sur la question.

M. Dewitt : Le Canada pourrait bien avoir l'occasion de le faire. À la fin de la guerre froide, nous étions parmi les premiers pays à discuter de la nécessité de composer avec la Corée du Nord. Nous avons dirigé un projet visant à amener la Corée du Nord à participer à un dialogue régional. Certains d'entre nous sont allés en Corée du Nord à plusieurs reprises. Nous avons renseigné les parlementaires canadiens sur la Corée du Nord, puis nous avons cédé notre place. Bien que nous entretenions une relation diplomatique avec ce pays, nous l'avons évidemment mise en veilleuse.

Comme David l'a indiqué directement à ce sujet, la situation de la Corée du Nord est à la fois tragique et complexe, et elle s'inscrit dans un contexte où nous avons besoin de faire appel aux partenaires régionaux. Les Chinois sont très préoccupés par la situation en Corée du Nord parce qu'ils ont l'impression qu'ils feront les frais de toute détérioration des circonstances observées dans la péninsule coréenne.

Le sénateur D. Smith : En ce qui concerne le problème que pose la Corée, je précise que je suis allé là-bas 10 fois, mais que je n'ai jamais traversé le pont. Seul le gouvernement de la Chine est en mesure de les rappeler à l'ordre. Au cours de nos visites antérieures en Chine, nous découvrions toujours très rapidement qu'il nous était simplement impossible de discuter sérieusement de certains sujets, comme Taïwan, les manifestations sur la place Tiananmen, le dalaï-lama ou le Tibet. La Corée faisait toujours partie de cette catégorie de sujets.

La dernière fois que je suis allé là-bas et que j'ai rencontré certains représentants officiels du ministère chinois des Affaires étrangères, j'ai soulevé la question de la Corée. Ce qui m'a fasciné, c'est que, pour la première fois, ils n'ont rien dit. Ils n'ont pas prononcé une seule parole, mais leur langage corporel était perceptible. Pensez-vous qu'ils ont atteint le stade où ils sont prêts à vraiment prendre des mesures concrètes et à tenter de mettre les Coréens du Nord au pas, ou croyez-vous qu'ils se contentent de sourire et de supporter leur comportement?

M. Dewitt : C'est une question intéressante et une observation tout à fait pertinente, sénateur.

J'ai eu l'occasion non seulement de me rendre en Corée du Nord à maintes reprises, mais aussi de passer beaucoup de temps en Chine pour examiner ces enjeux. Je dois toutefois reconnaître que le contexte peut avoir changé un peu, car cela remonte à quelques années déjà. Je crois que nous avons, à l'extérieur de la région immédiate, présumé pendant beaucoup trop longtemps que les Chinois pouvaient exercer une forte influence sur les Nord-Coréens.

Tout semble maintenant indiquer que c'était bien davantage une façon très efficace pour les Nord-Coréens d'opposer la Chine à la Russie sous toutes ses formes, du fait qu'ils avaient non seulement besoin d'une devise forte, mais aussi des actifs et des outils technologiques ainsi que du système de troc qui a eu cours pour soutenir leur économie très chevrotante.

Nous pouvions régulièrement discuter avec d'éminents spécialistes chinois de la question nord-coréenne qui nous parlaient abondamment de leurs frustrations par rapport à ce pays en soulignant que l'Occident croyait à tort que la Chine était vraiment capable d'exercer une influence.

J'ai moi-même l'impression que l'influence chinoise est peut-être en fait plus forte actuellement, car les Russes ne sont plus dans le portrait depuis un bon moment déjà, et que, depuis au moins une décennie, les Chinois s'efforcent de concert avec les Américains d'endiguer le problème nord-coréen.

Cela me rappelle une observation intéressante du vice-ministre des affaires étrangères de la Corée du Nord lors d'une séance de discussion. Il nous a indiqué que les Nord-Coréens s'opposaient vivement à la présence des forces américaines dans la péninsule coréenne. Ils désiraient que les Américains se retirent complètement de la Corée du Sud, mais ne voulaient pas qu'ils aillent trop loin. Ils souhaitaient qu'ils demeurent à proximité, car seuls les Américains sont capables de gérer les ambitions de la Corée du Sud ou du Japon. C'est ce qu'il nous a dit, à mon collègue et à moi.

Je vous relate ce commentaire pour vous montrer à quel point la situation peut être complexe. Dans un contexte aussi délicat, ce n'est certes pas le temps de tourner le dos aux Nord-Coréens. Nous devrions plutôt chercher des façons nouvelles et novatrices d'engager le dialogue avec eux.

Je pense que les Chinois sont disposés à travailler avec nous. Je crois que les Américains aimeraient eux aussi trouver une solution. En Europe de l'Ouest, et en Scandinavie et en Allemagne tout particulièrement, on s'intéresse depuis beaucoup plus longtemps que nous au leadership nord-coréen. On y trouve de véritables experts de la question coréenne.

Je pense qu'il y a une possibilité pour le Canada de faire quelque chose, car notre pays est depuis beaucoup trop longtemps absent de la scène, tant à titre de participant qu'en tant qu'instigateur de discussions plus approfondies.

M. Welch : Il semblerait que les Chinois aient été pris de court et très troublés lorsque Kim Jong-un a fait assassiner son oncle, car c'était leur homme de confiance à Pyongyang. D'après ce que je puis comprendre, on ne sait plus trop quoi penser à Beijing de cette exécution et de la façon dont on devrait traiter avec la Corée du Nord.

Je crois qu'on en est rendu à un point où même les Chinois sont frustrés et un peu désorientés, sans compter le fait que les États-Unis et la Chine ont convenu qu'il était impératif que la Corée du Nord mette fin à son programme nucléaire, alors que les Nord-Coréens semblent plutôt croire que leur sécurité dépend de ce même programme. Il faut donc prévoir une éventuelle confrontation si jamais la Corée du Nord arrive finalement à trouver le moyen de construire des missiles et des armes nucléaires dignes de ce nom. Il leur faudra sans doute encore plusieurs années pour ce faire, car ils n'ont ni les ressources ni les capacités techniques nécessaires. Plus longtemps on laissera ce régime en place en toute impunité, plus on risquera de le voir se doter d'une capacité nucléaire importante.

Le sénateur D. Smith : On dirait que le nouveau venu est une espèce de Rambo.

Le sénateur Housakos : J'ai quelques observations à faire, puis deux questions pour nos témoins.

Il ne fait aucun doute que la région Asie-Pacifique est l'une des plus militarisées au monde, et qu'il y a certes des intervenants mieux placés que le Canada sur la scène planétaire pour jouer un rôle significatif relativement aux enjeux politiques, diplomatiques, sécuritaires et militaires qui touchent cette région.

Sur le marché de l'Asie-Pacifique, je note que les experts, consultants, organisations et autres associations ont parfois tendance à essayer de s'engager dans certains secteurs sans avoir nécessairement les compétences pour le faire. Le Canada est un pays commerçant. Nous avons des intérêts commerciaux que nous devons selon moi chercher à exploiter encore davantage. Il nous faudrait parfois rester mieux concentrés sur nos priorités.

Avant d'être nommé sénateur, j'ai été dans le milieu des affaires pendant de nombreuses années. Je m'en suis toujours tenu au principe suivant lequel lorsqu'on s'engage dans un secteur donné, on doit concentrer ses efforts sur les éléments que l'on maîtrise le mieux. Si l'on essaie de trop diversifier ses activités, on risque de s'aventurer dans des secteurs exigeant beaucoup d'investissements, de temps et d'énergie et rapportant peu en retour.

Comme vous l'avez souligné dans votre exposé, le Canada a connu beaucoup de succès dans la vente de produits de base en Extrême-Orient. Comme partout ailleurs sur la planète, nous avons obtenu de bons résultats à ce chapitre dans les pays asiatiques. Nous y avons toutefois été moins performants et compétitifs notamment dans le secteur des services et l'industrie manufacturière, comparativement à ce qui se passe dans nos relations commerciales avec nos autres partenaires. Nos efforts n'ont guère porté fruit.

Je ne sais pas si vous avez pu observer la même chose que moi, mais on semble chercher à viser certains secteurs et dénicher des créneaux au sein des économies de l'Asie-Pacifique, sans avoir vraiment les moyens d'y parvenir.

J'ai deux questions. Quels secteurs connaissent la croissance la plus rapide dans la région Asie-Pacifique, et dans quels pays en particulier le Canada devrait-il concentrer ses efforts pour exploiter ses principaux atouts? Nous excellons dans la vente de produits de base, mais il se peut bien que nous n'ayons jamais essayé de voir si nous pourrions en faire davantage de ce côté.

Que pourrions-nous faire de plus pour inciter les pays de l'Asie-Pacifique à investir au Canada dans le secteur des produits de base? Au cours des dernières années, on a constaté que la Chine, après avoir accumulé des capitaux importants, commence à investir dans les secteurs qui l'intéressent un peu partout sur la planète, comme c'est le cas par exemple dans l'industrie minière au Canada. Dans quels autres secteurs où les Chinois ne sont pas encore présents pourrions-nous établir des partenariats avec eux afin de mettre à profit leurs capitaux pour mieux exploiter nos ressources au bénéfice des deux pays?

La présidente : Voilà qui fait beaucoup de questions et de commentaires. Nous allons procéder dans l'ordre habituel en laissant nos témoins déterminer quels sujets ils souhaitent aborder.

M. Narine : Comme je ne suis pas économiste moi non plus, je dois avouer que je ne sais pas trop quels secteurs de l'Asie connaissent la croissance la plus rapide. En tout cas, il faudrait que je me penche sur la question.

Si on examine les choses sous un angle différent, je comprends certes le concept d'une spécialisation du Canada dans les activités où il est le plus efficace, à savoir le commerce des produits de base. D'un autre côté, on a également dit du Canada qu'il était le plus développé parmi les pays du tiers monde, précisément parce que nous passons notre temps à vendre nos ressources naturelles à d'autres pays. Il faut donc se demander s'il convient ou non d'envisager une diversification de nos activités à long terme, car il est certain qu'une économie basée sur les ressources naturelles ne peut connaître que le déclin. Nous comptons en quelque sorte sur l'Asie comme une éponge qui sera toujours là pour absorber tous nos produits de base dès que nous pouvons les expédier là-bas.

Toutefois, je peux dire que l'Asie est aux prises avec une crise environnementale, surtout pour des choses comme le pétrole et le gaz. En Chine, les gens ne peuvent pas respirer l'air. Les Chinois ont dit qu'ils visent un développement économique vert, respectueux de l'environnement; ce n'est pas ce qui arrive, mais ils y consacrent leurs meilleurs efforts. S'il est vrai que les crises finissent par rendre les gens plus efficaces et mieux en mesure de résoudre ou de surmonter ce qui était à l'origine de celles-ci, alors les Chinois et les autres Asiatiques doivent être très incités à trouver de nouvelles façons de stimuler leur développement.

Tout ce que je veux dire, c'est que, au Canada, nous devrions penser à diversifier notre économie, nos intérêts et les activités que nous menons en Asie, au lieu de nous limiter à vendre nos ressources naturelles. Le Canada possède sans doute les moyens de le faire. Nous avons des secteurs de haute technologie et d'autres domaines économiques que, pour une raison ou une autre, nous n'avons pas particulièrement bien exploités. À long terme, il serait plus sage pour le gouvernement canadien d'avoir comme stratégie de viser à mieux tirer parti de ces secteurs.

Pour les Asiatiques, à mon avis, il s'agit probablement d'un problème à court terme, parce que, si les gens ne peuvent ni respirer l'air ni boire l'eau, les autorités ne peuvent plus fermer les yeux sur le problème.

C'est en tout cas mon avis.

M. Dewitt : Si vous voulez connaître l'avis d'un véritable spécialiste, je vous suggère d'inviter John Whalley, un professeur en économie de l'Université Western, à London, en Ontario. Il a passé une grande partie de sa carrière à se pencher sur certains des problèmes que vous venez de soulever.

Je ne suis pas un spécialiste, mais d'après ce que je peux voir, sur le plan des services financiers, des services d'assurance et des technologies environnementales — d'ailleurs, les Coréens sont bien en avance sur le plan des technologies vertes —, nous commençons à établir des partenariats intéressants. Dans la région de Kitchener-Waterloo, où se situe CIGI, chaque semaine, nous recevons des délégués de la Chine, du Japon, de la Corée et d'ailleurs en Asie, et maintenant de plus en plus de l'Afrique. Ces délégués viennent visiter non seulement CIGI — parce qu'ils s'intéressent à ce que nous faisons —, mais ils viennent aussi à Kitchener-Waterloo en raison des industries du savoir, surtout dans le domaine de la recherche-développement, les secteurs d'innovation de pointe et les jeunes entreprises. On nous appelle la Silicon Valley du Nord.

Toutefois, pour savoir à quel point nous pénétrons le marché asiatique ou attirons des investissements de l'Asie — par exemple, parce que le climat au Canada n'est pas convenable ou peut-être parce que les instruments nécessaires n'ont pas été établis —, il faudrait en parler avec d'autres, notamment des fiscalistes.

Bien sûr, nous sommes des chefs de file en matière de technologie minière. Prenez la Mongolie, où nous avons pénétré le secteur minier : maintenant, les Mongols s'intéressent beaucoup aux questions environnementales.

M. Welch : La seule chose que j'ajouterais à ce que mon collègue vient de dire, c'est que le Canada obtient de relativement bons résultats avec les produits des marchés à créneaux de grande valeur, et certains de ceux-ci se vendront très bien en Asie en raison des réalités démographiques. Par exemple, nous avons créé un certain nombre de très bonnes technologies et de très bons logiciels dans le domaine médical et, compte tenu du vieillissement accéléré de la population des pays asiatiques, il y aurait beaucoup de débouchés pour le Canada dans ce secteur.

Par ailleurs Bombardier est notre champion national dans les domaines des transports aérien et ferroviaire. À mon avis, si le gouvernement fédéral nous donnait un bon coup de pouce, en partenariat avec les gouvernements provinciaux concernés, il nous serait plus facile d'accaparer une part du marché asiatique pour des produits ferroviaires et aériens de la meilleure qualité qui soit.

Le sénateur Housakos : Merci beaucoup pour vos réponses. Je suis d'accord avec vous sur le fait que le Canada doit diversifier ses marchés, et nous continuons de viser cet objectif. Cependant, le marché doit également être réceptif à ce que nous offrons. Notre secteur manufacturier réussit très bien sur les marchés américains. Certains secteurs de services ont vraiment prospéré grâce à la vente de nos produits aux États-Unis, en Europe et même en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Nous avons du mal à pénétrer le marché de l'Asie-Pacifique, donc quand on regarde ces deux secteurs, c'est décourageant.

Vous avez parlé des échanges technologiques. Avant d'avoir été nommé au Sénat, je dirigeais une petite entreprise de compostage à Montréal, où nous dépensions des tonnes d'argent à élaborer et à vendre notre technologie. Dans cette industrie, j'ai entendu des gens d'un bout à l'autre du pays se plaindre du fait que lorsque les pays de l'Asie-Pacifique s'intéressent à une technologie canadienne ou américaine, ils envoient une foule d'étudiants chinois ou japonais dans nos universités pour étudier notre technologie et acquérir notre savoir-faire privatif dans le domaine. Ensuite, ils ramènent toutes leurs connaissances chez eux, où ils sont en mesure de fabriquer les produits à meilleur coût. Ils profitent donc de notre technologie sans que nous ayons conclu d'entente de coopération.

Voilà un des problèmes auquel nous sommes confrontés dans le secteur de la technologie au Canada. Selon vous, que pouvons-nous faire pour le régler?

Je ne veux pas être pessimiste, mais je tiens à souligner quelques-unes des difficultés que nous avons rencontrées. Il importe de trouver des solutions aux problèmes de ce genre avant de demander aux entreprises canadiennes d'investir des centaines de millions de dollars en vue de percer un marché où il n'y aura peut-être pas les débouchés auxquels nous nous attendons.

M. Narine : J'aimerais brièvement répondre à votre question. Je ne fais qu'avancer une hypothèse, mais il me semble que le Canada compte un très grand nombre d'Asiatiques, qui, vraisemblablement, ont des liens avec leur pays d'origine. Je me demande si nous mobilisons assez ces gens. J'aurais tendance à croire que, pour établir le genre de rapports dont vous parlez, nous aurions avantage à favoriser l'établissement de relations d'affaires entre les Canadiens d'origine chinoise, par exemple, et les entreprises canadiennes.

Le président : Est-ce que quelqu'un d'autre souhaite répondre?

M. Welch : Tout ce que j'aimerais ajouter, c'est que la dernière question du sénateur est tout à fait légitime, et que les pays d'Asie sont encore en train de faire des progrès en ce qui concerne le respect du droit d'auteur international. Plus nous encouragerons l'uniformité des pratiques et des politiques en matière de propriété intellectuelle, mieux les entreprises canadiennes seront protégées.

Le président : Merci. Il s'agit d'une réponse très diplomatique. Je vous en suis reconnaissant.

Nous avons couvert beaucoup d'aspects, et ces renseignements nous seront bien utiles. Nous nous penchons sur les outils, notamment économiques, mais dans le contexte de la politique étrangère. Par conséquent, vous nous avez donné bien des sujets à approfondir, et vous nous avez fait part de votre expertise, comme d'habitude.

Au nom du comité, de vous remercie pour toutes vos suggestions et vos observations. J'espère que vous pourrez constater que vos propos ont porté fruit.

(La séance est levée.)


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