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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 6 - Témoignages du 12 février 2014


OTTAWA, le mercredi 12 février 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, afin d'étudier les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leur incidence sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous sommes ici pour poursuivre notre étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

Je suis très heureuse d'accueillir par vidéoconférence un représentant de l'Université de Victoria, M. James Boutilier, associé, Centre for Asia-Pacific Initiatives, et M. Peter Chalk, politologue principal, RAND Corporation.

Je vais céder la parole à M. Boutilier afin qu'il commence sa déclaration. Il sera suivi de M. Chalk, après quoi nous passerons aux questions et aux réponses.

Soyez le bienvenu, monsieur Boutilier; la parole est à vous.

James A. Boutilier, associé, Centre for Asia-Pacific Initiatives, Université de Victoria, à titre personnel : Premièrement, permettez-moi de formuler rapidement trois observations d'ordre administratif. Je m'excuse sincèrement des difficultés techniques que nous avons éprouvées la semaine dernière. Deuxièmement, comme vous l'avez fait observer, je comparais à titre personnel en ma qualité d'associé du Centre for Asia-Pacific Initiatives de Victoria. Troisièmement, je témoignerai et répondrai aux questions en anglais.

Avec votre permission, j'aimerais faire valoir sept ou huit brefs arguments afin de fournir un contexte. Le premier argument est, à bien des égards, remarquablement évident, mais il est néanmoins nécessaire de le souligner, et il tient essentiellement au fait qu'à l'échelle mondiale, le passage de l'Atlantique au Pacifique est d'une envergure considérable et se déroule à une vitesse remarquable. Vous tous, assis à la table, le savez bien, mais c'est un fait que bon nombre de gens ne saisissent pas très bien. Bien entendu, la montée de la Chine — non seulement son incroyable croissance économique, mais aussi la modernisation comparable de son armée — est au cœur de ce phénomène remarquablement profond.

Je ferais observer que nous sommes en présence d'une remarquable association de puissances — un puissant Japon, une puissante Inde et une puissante Chine. Bien entendu, cette association est affaiblie par des tensions internationales sous-jacentes entre le Japon et la Chine et, dans une moindre mesure, entre l'Inde et la Chine. Je soutiendrais que la montée de la Chine est l'un des principaux éléments qui contribuent à ce deuxième grand cycle de mondialisation. De plus, un élément maritime est au centre de ce phénomène, étant donné qu'un grand nombre des tensions que nous observons sur le plan de la sécurité se produisent en mer.

Dans le cadre de cette discussion, je ferais observer qu'il est utile de parler de la région indo-pacifique. Comme vous pouvez vous en rendre pleinement compte, ces deux complexes océaniques sont fondamentalement différents, mais ils sont inextricablement liés par des échanges commerciaux, des flux énergétiques et les ambitions de grandes puissances navales.

Au cours des cinq dernières années, nous avons bien sûr été témoins du soi-disant pivot américain vers l'Asie — son désengagement à l'égard des campagnes militaires en Asie du Sud-Ouest et ce qu'on appelle maintenant le rééquilibrage des États-Unis. Bien entendu, les Américains ont toujours été présents dans la région. Cependant, nous avons observé le rétablissement de leurs liens diplomatiques, militaires et commerciaux dans la région — un exercice nécessaire à bien des égards pour rassurer leurs amis et leurs relations partout en Asie qui sont préoccupés par la montée de la Chine et le caractère très incertain de son objectif ultime.

Je vous ferais observer qu'au fil des ans, Ottawa a ignoré les preuves convaincantes de la montée de la Chine. En effet, il y a 19 ans, soit en 1995, un document a été présenté au Cabinet, dans lequel on mettait ses membres en garde contre l'importance spectaculaire de l'Asie.

Depuis, je dirais qu'Ottawa s'est endormi à la barre. Il a adopté la vision du monde britanno-colombienne selon laquelle Vancouver se trouve à la limite de la Terre, et l'Asie est un dossier beaucoup trop difficile à gérer. À la décharge d'Ottawa, on pourrait soutenir que sa campagne en Afghanistan a constitué une importante distraction, mais le gouvernement du Canada ignore la réalité depuis des dizaines d'années.

Pour conclure, je dirais qu'Ottawa a une longue pente à remonter pour rétablir sa crédibilité en Asie. On nous perçoit comme des « bons gars », mais inconstants : arrivés le samedi, nous avons filé le dimanche. Les tentatives des diplomates canadiens et d'autres intervenants pour établir la crédibilité du Canda illustrent ce problème. Comme notre apport dans la région est nul, nous ne pouvons pas nous attendre à être convenablement reconnus.

Comme je le disais à un haut fonctionnaire de la Défense, il y a un an et demi, nous avons trois options : nous nous retirons de la partie ou nous nous y engageons et, dans ce cas, nous devons y consacrer de véritables ressources humaines et matérielles pour susciter l'intérêt de l'Asie; en plus, nous devons maintenir le cap.

Merci beaucoup, madame la présidente.

La présidente : Merci, monsieur Boutilier. La parole est maintenant à M. Chalk.

Peter Chalk, politologue principal, RAND Corporation : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, bonjour. Mes observations porteront sur le climat de la sécurité dans l'Asie du Sud-Est.

Actuellement, ce climat est en grande partie au beau fixe. On ne perçoit presque aucun risque de guerre internationale importante dans la région, et la plupart des gouvernements de cette partie du monde jouissent d'un haut degré de légitimité auprès de leurs populations, grâce à une croissance économique soutenue. En outre, même des régimes qui ont été très répressifs montrent des signes de réforme démocratique, notamment le Myanmar. Bien sûr, il y a des exceptions. La Thaïlande traverse actuellement une crise politique, du fait de l'opposition à Yingluck Shinawatra et, au Cambodge, des protestations se sont élevées contre le gouvernement de Hun Sen, par suite de son refus de relever le salaire minimum. Cependant, dans ces deux cas, il s'agit de sautes d'humeur plutôt que de menaces graves pour la stabilité sociale, encore moins de rivières de sang dans les rues.

Fait tout aussi notable, la plupart des organisations terroristes et rebelles régionales, à l'intérieur des États, ont été vaincues. En fait, il y a quelques semaines à peine, un grand pas a été franchi pour mettre fin à l'un des conflits qui sévissaient depuis le plus longtemps dans la région, grâce à un accord global de cessez-le-feu et de règlement de paix entre le Front de libération islamique moro et l'administration Aquino, aux Philippines.

Aucun des groupes actifs dans l'Asie du Sud-Est ne reçoit un appui important de l'extérieur et aucun n'a la force d'intensifier ses opérations. La situation est peut-être le plus grave dans le sud de la Thaïlande, où des séparatistes musulmans malais continuent de faire quotidiennement des victimes. Même dans ce cas, les combats ont été en grande partie circonscrits et, du moins jusqu'à présent, ils ne menacent pas de se propager ailleurs dans le royaume ni en Asie du Sud-Est.

L'intégration de l'Asie du Sud-Est poursuit désormais son évolution propre, grâce à la collaboration maintenant étroite entre des États autrefois méfiants. Cela a peut-être été des plus manifestes dans la création d'infrastructures énergétiques en Indochine. Ces quelques dernières années, des liens de plus en plus nombreux ont été tissés entre le Laos communiste et la Thaïlande capitaliste et ils se renforceront à la faveur de la construction d'un quatrième pont sur le Mékong. Presque toute l'électricité du Cambodge provient de la Thaïlande qui, à son tour, profite du gaz naturel acheminé par gazoduc depuis le Myanmar.

À une échelle plus grande, les dix États membres de l'ANASE se sont engagés à constituer d'ici 2015 une communauté pleinement intégrée sur le plan politique, économique et sécuritaire. Bien qu'elle ne puisse aucunement équivaloir à l'Union européenne, cet engagement montre simplement le chemin parcouru par l'association, depuis sa création, en 1967, par suite d'un accord régional à cinq.

À ces aspects positifs s'ajoute l'absence de menaces extérieures dignes de mention. Bien que la Chine cherche certainement à étendre son influence dans la région, elle privilégie, pour le faire, la diplomatie d'influence et le renforcement des liens économiques. En 2011, l'investissement total de Beijing dans cette région s'élevait à 2,57 milliards de dollars. Grâce à la suppression des tarifs sur la plupart des biens, le commerce bilatéral avec l'ANASE se chiffre maintenant à plus de 300 milliards. La Chine appuie aussi activement l'intégration de l'Asie du Sud-Est, y voyant un moyen essentiel d'assurer l'existence d'un marché dynamique pour ses exportations ainsi qu'une destination sûre pour ses fonds d'investissement.

La seule région tiraillée par des tensions est la mer de Chine méridionale, à cause de revendications territoriales. Cela a compliqué les relations avec les Philippines et, particulièrement, le Vietnam et cela a directement empêché les 10 ministres des Affaires étrangères de l'ANASE de s'entendre sur le libellé de communiqué final après la conclusion de leur sommet annuel de 2012 au Cambodge. C'était la première fois que cela se produisait dans les 46 années d'existence de l'organisation.

L'annonce antérieure, faite par l'ANASE, selon laquelle les îles Spratly et Paracels contestées formeront désormais un centre administratif chinois qui portera le nom de Sansha City n'a rien fait pour stabiliser la situation et a tendu davantage les relations avec les Philippines et le Vietnam. Cela dit, pour le moment, il semble peu probable que les querelles touchant la mer de Chine méridionale déclenchent un conflit majeur entre des États de la région. Bien sûr, de petits accrochages navals sont possibles, mais, en soi, ils ne conduiront pas à des massacres. La Chine voit bien que le maintien de la liberté de navigation dans la région est indispensable à son bien-être économique. Elle a aussi affirmé sa volonté de résoudre la question par la voie diplomatique unilatérale avec chacune des autres parties.

Enfin, comme les querelles ne concernent que quatre États membres de l'ANASE — la Malaisie et Brunei ont aussi des revendications —, le problème n'est pas, à strictement parler, un problème régional et, en conséquence, on peut avancer que, actuellement du moins, il ne déstabilise pas gravement toute l'Asie du Sud-Est.

C'est ce que j'avais à dire. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

La présidente : Monsieur Chalk, éclairez-nous, je vous en prie. Vous dites que tous ces accrochages causeront des tensions et des difficultés. D'après les journalistes et les universitaires, les problèmes pourraient être majeurs, parce qu'ils sont perçus comme tels par les protagonistes et qu'ils affectent leur stabilité et leurs politiques. Qu'est-ce qui explique votre optimisme, c'est-à-dire qu'ils n'entraîneront pas de difficultés à grande échelle?

M. Chalk : Je suis optimiste tout simplement parce que toutes les parties intéressées comprennent qu'une guerre à grande échelle dans cette partie de la région aurait des effets très perturbateurs sur la stabilité politique et économique de tous les belligérants. La Chine en est certainement très consciente.

Je pense que, en fait, la Chine affirme plutôt sa position pour assurer ses revendications dans la région. Le risque existe toujours d'un accrochage naval qui conduirait à une escalade, mais je pense que les probabilités d'un affrontement majeur consécutif sont actuellement presque nulles.

La présidente : Feriez-vous entrer la Corée du Nord dans ce tableau? Autrement dit, est-ce le facteur inconnu?

M. Chalk : Le principal problème que présente la Corée du Nord est son potentiel proliférateur pour des armes et, peut-être, d'éléments d'armes de destruction massive. C'est beaucoup plus un sujet de préoccupation pour la sécurité internationale que régionale, celle de l'Asie du Sud-Est.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Il n'y a pas si longtemps, l'Asie du Sud-Est faisait face à de graves problèmes de piraterie et je crois que les choses se sont améliorées de façon significative, depuis.

Pensez-vous qu'à court ou moyen termes la piraterie pourrait resurgir dans cette région du globe?

[Traduction]

M. Boutilier : Je vous remercie beaucoup pour cette question sur la piraterie dans les eaux de l'Asie du Sud-Est. D'accord, il y a plus d'une décennie, mondialement, le gros des actes de piraterie et des vols à main armée commis en mer — j'établis cette distinction, parce que la piraterie s'exerce en haute mer et que de nombreuses attaques ont touché des navires à l'ancre ou amarrés à couple — avaient lieu dans les parages du détroit de Malacca et dans le sud de la mer de Chine méridionale, une zone de piraterie intense. Certains prétendent que le déclin économique spectaculaire de la région, à la fin des années 1990, a amené de nombreux pêcheurs, sous la pression des difficultés, à devenir pirates.

À peu près cinq ans plus tard, en 2004, nous assistons à la conclusion d'un accord tripartite innovant entre Singapour, l'Indonésie et la Malaisie, les États riverains du détroit stratégique de Malacca, entre l'océan Indien et l'océan Pacifique. Cette coopération tripartite, qui s'appuyait sur des vols de surveillance, auxquels participait la Thaïlande, semble avoir entraîné un déclin assez spectaculaire du nombre d'actes de piraterie. Bien sûr, le centre de gravité s'est déplacé vers le nord-ouest de l'océan Indien, au large de la Corne de l'Afrique. Une série remarquable d'actes de piraterie a eu lieu dans le golfe de Guinée, sur la côte occidentale de l'Afrique. Elle constitue un sous-ensemble important du phénomène.

Plus récemment encore, au cours des 18 derniers mois, il y a eu, je pense, une légère remontée statistique du nombre d'actes de piraterie, mais ils se distinguent de ceux de la Corne de l'Afrique par le fait que les pirates de l'Asie du Sud-Est semblent convoiter les cargaisons plutôt que de vouloir retenir longtemps les navires contre rançon, une rançon qui s'applique aussi aux équipages. Bref, la piraterie n'a pas complètement disparu, mais elle a beaucoup diminué ces 10 dernières années.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Il existe certaines zones de tension dans la région de l'Asie-Pacifique et ces zones comportent un volet maritime. Je pense entre autres aux deux Corée, à la Chine et au Japon.

De ces situations tendues dans la région de l'Asie-Pacifique, laquelle a le plus de risques de s'escalader? Seraient-ce les deux Corée? Seraient-ce la Chine et le Japon? Je crois que la situation est encore très difficile entre la Chine et le Japon.

[Traduction]

M. Chalk : À mon avis, les principales sources de tension entre les États, dans le domaine maritime, se situent vraiment dans l'Asie du Nord-Est. La querelle entre le Japon et la Chine pour la possession des îles Senkaku reste explosive et elle a sensiblement augmenté les tensions politiques et diplomatiques, je dirais beaucoup plus que les revendications territoriales de la Chine dans la mer de Chine méridionale.

La péninsule coréenne doit demeurer l'un des principaux sujets de préoccupation du système international. Il est très difficile de comprendre la logique du régime nord-coréen, vu sa fermeture, et des réactions irrationnelles restent possibles. Il sera intéressant de voir comment la Corée du Nord réagira à l'annonce que feront les États-Unis de la poursuite des exercices militaires avec la Corée du Sud, conformément au calendrier établi. Par le passé, la Corée du Nord a toujours réagi de manière verbeuse, en menaçant de dévastation nucléaire la Corée du Sud, puis, possiblement, les États-Unis et leurs intérêts. Par chance, jusqu'ici, ça n'a été que des fanfaronnades, qui ont servi à obtenir des concessions de l'Ouest.

Comme j'ai dit, le régime est très imprévisible. Il est très difficile de pénétrer les calculs des responsables de la sécurité nationale de la Corée du Nord, vu la fermeture du régime, et la possibilité d'un conflit majeur qui naîtrait dans la péninsule reste très réelle.

J'apporterais la nuance suivante que ce sont des questions qui intéressent davantage l'Asie du Nord-Est que l'Asie du Sud-Est, particulièrement dans le domaine maritime, mais, visiblement, un conflit majeur dans la péninsule coréenne envelopperait sans aucun doute l'Asie du Sud-Est.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Boutilier, êtes-vous également de cet avis?

[Traduction]

M. Boutilier : Les observations de M. Chalk sont bien sûr dictées par la sagesse. Je pense que le régime nord-coréen est extraordinairement difficile à décoder. Notre intelligence de ce régime répressif, sans le sou, cette forme de monarchie socialiste entre les mains de la dynastie Kim, est des plus limitées. Je dirais que la Chine a un grand rôle, parce qu'elle constitue la planche de salut de ce pays sur le plan alimentaire et énergétique, mais qu'elle a intérêt à maintenir le statu quo dans la péninsule coréenne, malgré l'insatisfaction et le danger que cela peut représenter pour nous, ailleurs. Une importante population coréenne, officielle et clandestine, vit dans le nord-est de la Chine, et les Chinois ne sont absolument pas pressés de voir les Coréens du Sud et, par inférence, les troupes américaines, franchir le Yalu, qui constitue la frontière entre la Corée du Nord et la Chine.

Au fil des années, nous avons vu que Washington avait incité la Chine à user de son influence sur Pyongyang, mais le moins qu'on puisse dire est que son degré d'influence est minime. Je pense que Beijing est de plus en plus ennuyée par les provocations de Pyongyang, mais elle n'est pas pressée de renverser le régime du jeune Kim Jong-un.

Manifestement, il semblerait que ce régime sans le sou soit sur le point de miniaturiser des armes de destruction massive pour en permettre l'embarquement sur des missiles intercontinentaux, ce qui serait une percée des plus inquiétantes, en effet.

Le régime nord-coréen peut sembler bizarre, mais je me souviens, lors d'un déjeuner avec le vice-président américain Walter Mondale, de l'avoir entendu dire que les Nord-Coréens étaient les meilleurs bluffeurs du monde. En fait, malgré leur position d'extrême faiblesse, ils ont pu extorquer de remarquables concessions de l'Occident. C'est un feuilleton. Je pense que nous ne sommes pas plus près de dissiper les tensions que nous ne l'étions avant, mais chaque mois ou chaque année qui passe nous rapproche du danger, strictement du point de vue militaire. Il faut surtout retenir que Séoul, la capitale sud-coréenne, est à la portée de l'artillerie ou des missiles de la Corée du Nord et qu'elle est ainsi l'otage des provocations incessantes du régime nord-coréen.

Je crois que M. Chalk a livré une analyse très exacte de la situation nord-coréenne.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Boutilier, vous avez parlé de l'ascension militaire de la Chine. Les dépenses consacrées par ce pays à ses forces armées ont augmenté de 6 p. 100. Son budget militaire dépasse celui de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Allemagne. Comme j'ai dit, ses dépenses militaires ont augmenté de 6 p. 100 en un an, au milieu de tensions croissantes avec ses voisins tels que le Japon. Les autres pays de la région Asie-Pacifique consacrent-ils beaucoup d'argent à la défense? Qu'est-ce que cela signifie pour les intérêts canadiens et américains?

M. Boutilier : Merci pour cette question. Vous avez visiblement fait votre recherche, mais si nous devions retourner 20 ans en arrière, nous verrions que le budget de la défense en Chine ne serait pas de l'ordre de 6 ou 7 p. 100, mais probablement de 10 à 14 p. 100, année après année, pendant plus de deux décennies. Bien sûr, ces chiffres laissent entendre que, très bientôt, les dépenses de la Chine dépasseront les dépenses combinées des 10 pays dont les dépenses sont les plus élevées, sauf les États-Unis.

Qu'avons-nous constaté? La croissance et la sophistication spectaculaires de la marine chinoise. C'est presque du jamais vu, parce que, traditionnellement, la Chine considérait la mer plutôt comme un obstacle et que, pour elle, les menaces provenaient du fond de l'Eurasie. Ce n'est plus la perception de Beijing. Elle a saisi et compris la mobilité et la polyvalence du pouvoir maritime. D'après un graphique publié récemment dans The Economist, le nombre de navires de la marine chinoise dépasse maintenant celui de la marine des États-Unis.

Bien sûr, même si, statistiquement, ces chiffres sont utiles, ils sont caricaturaux, parce qu'ils ne tiennent pas compte du fait que, par exemple, les Américains disposent de 11 porte-avions, auxquels les Chinois commencent à peine à s'intéresser.

La question que se posent beaucoup de gens dans l'Asie du Sud-Est et, bien sûr, dans toute l'Asie — particulièrement dans les capitales comme New Delhi — est jusqu'où ira la Chine? Jusqu'où la Chine construira-t-elle sa puissance navale?

Beijing pourrait répondre que toutes les grandes puissances, dans l'histoire, ont manifesté leur puissance en mer, la Grande-Bretagne, les États-Unis ou, avant eux, l'Espagne, le Portugal et ainsi de suite; que la Chine se comporte simplement en grande puissance et que puissance égale forte marine et vice versa; enfin, que les intérêts de la Chine sont de plus en plus maritimes, que ce soit sur le plan des échanges ou celui de sa politique étrangère.

Ce qui, bien sûr, inquiète, c'est de constater que beaucoup des tensions exposées par M. Chalk se manifestent en mer, que ce soit aux îles Senkaku ou Diaoyutai, avec Tokyo, ou dans la mer de Chine méridionale. La Chine semble appliquer la méthode du salami, pour acquérir des territoires tranche par tranche, un îlot à la fois, même s'il semble sans importance, sans dépasser la provocation pure, en supposant que personne ne viendra à la rescousse d'Hanoï ou de Manille, par exemple, si elle s'empare de divers îlots ou atolls.

Cependant, la Chine a agi par agents interposés, des flottilles de pêche, sa garde côtière ou des organismes maritimes connexes plutôt que d'utiliser sa marine de guerre.

Dans un contexte plus large, nous constatons cependant que l'Inde, notamment, est préoccupée par les ambitions navales de la Chine. Elle manifeste de plus en plus son intention d'être la première puissance dans l'océan Indien et de construire en conséquence une marine à cette fin. Nous voyons — en passant, il y a un débat chez les analystes — que nous sommes peut-être au beau milieu d'une course à l'armement naval; ce n'est plus simplement une question de modernisation de la défense, mais un mode d'action et de réaction qui fait que chaque pays fait les mêmes acquisitions que son voisin. Nous le constatons, par exemple, entre la Corée du Sud et le Japon, et, aussi, entre la Chine et l'Inde.

Globalement, nous voyons que les ventes d'armes augmentent en Asie, par rapport à l'Europe. Un seul pays européen, la Pologne, augmente ses dépenses pour la défense. Deux pays d'Europe seulement se rapprochent du taux minimal de dépenses de 2 p. 100 de l'OTAN : la Grèce, ce qui est assez étonnant, et la Grande-Bretagne. Le véritable marché des ventes d'armes et le lieu de la croissance de ces ventes se trouvent en Asie, où les économies ont été relativement robustes depuis le grand déclin de 1998, qui a été relativement court.

Dans un secteur de l'équipement marin, toutes les nations achètent du haut de gamme. La prolifération de sous-marins, dont il y en aurait probablement plus de 200 en opération dans l'océan Pacifique et l'océan Indien, est particulièrement inquiétante.

Nous sommes dans une situation dans laquelle, comme M. Chalk l'a laissé entendre, les nations expérimentées sont bien conscientes des dangers, mais dans laquelle les risques d'erreur de calcul continuent de se multiplier en raison de l'interaction entre des navires de plus en plus nombreux et de l'absence de règlements pour régir beaucoup de ces rencontres.

La sénatrice Ataullahjan : La région est l'une des plus militarisées du monde. Sept des dix plus grandes armées permanentes du monde s'y trouvent, de même que cinq des puissances nucléaires déclarées du monde. Quels sont les défis pour la sécurité? Devons-nous nous inquiéter?

M. Boutilier : Oui, je pense que nous devons nous inquiéter parce que, probablement, le plus grand défi mondial, pour la présente décennie et la suivante, consistera à gérer les rapports entre Washington et Beijing entre lesquels il s'est creusé un profond fossé de méfiance stratégique.

Nous constatons que les Chinois, conformément à une position maritime classique faible, tentent de barrer l'accès aux approches océaniques de l'Asie et, plus précisément, à la Chine même. C'est un défi à l'appui marqué de la marine des États-Unis à la liberté des mers. Et il y a une augmentation inquiétante de la liste que la Chine a dressée pour, en fait, barrer l'accès aux navires américains aux approches de l'Extrême-Orient.

Les Américains ont, par exemple, invité la Chine à l'important exercice multinational RIMPAC 2014, au large d'Hawaï, et je pense que la Chine y assistera. Malgré ce geste de bonne volonté, il existe des risques très réels dans les rapports entre les grandes puissances. Mon expérience est que, malgré le resserrement des liens diplomatiques et commerciaux entre l'Inde et la Chine, il y a probablement un seul mot dans le lexique indien de la sécurité, et c'est « Chine ». C'est, pour ce pays, un sujet profond et durable d'anxiété, particulièrement au vu des disputes non réglées entre les deux pays dans l'Himalaya et des préoccupations croissantes de New Delhi au sujet de l'entrée de la puissance maritime de la Chine dans l'océan Indien.

Bien sûr, les Chinois répondront que leurs intérêts dans l'océan Indien augmentent proportionnellement et qu'il n'est que juste qu'ils envoient des navires de guerre dans cette partie du monde.

On fait des efforts pour maintenir à un haut niveau le dialogue entre Washington et Beijing, mais c'est en présence d'un profond sentiment de méfiance entre les deux capitales, comme j'ai dit.

La sénatrice Johnson : Monsieur Chalk, un témoin précédent, M. Shaun Narine, a décrit l'Asie comme une région gouvernée par des personnes dont les actions sont uniquement dictées par leur propre intérêt. Que pensez-vous de cette description et êtes-vous d'accord?

M. Chalk : Dans la realpolitik, tous les États agissent intrinsèquement en fonction de leur propre intérêt. Ainsi le veut la souveraineté qui est la base du système international actuel.

En Asie du Sud-Est, cet égoïsme n'a pas empêché les mécanismes d'action collective contre des problèmes mutuels. C'est pourquoi, contrairement à d'autres parties du monde, nous voyons émerger une norme pour la création d'institutions et l'action coopérative, non seulement à un niveau symbolique, mais, surtout, à un niveau pratique, pour s'attaquer à de véritables problèmes.

Cela souligne incontestablement la naissance de la communauté de l'ANASE, qui, sur les plans politique, sécuritaire et économique, est censée avoir lieu en 2015. Les pays membres désirent vraiment s'assurer que les intérêts de chaque pays n'entraveront pas l'émergence d'un bloc régional puissant d'échanges commerciaux qui pourra neutraliser l'influence croissante de la Chine dans la région et aussi servir à tisser des liens économiques plus étroits avec l'Ouest.

Je ne dirais pas que cette forme d'égoïsme absolu est propre à l'Asie du Sud-Est plus qu'à une autre partie du monde. Tous les États, intrinsèquement, se comportent ainsi. Dans un système international anarchique, les États, par définition, s'en remettent généralement à leur intérêt national propre.

Pour revenir à ce que je disais tantôt, en Asie du Sud-Est, on s'est de plus en plus aperçu que l'intérêt national brut pouvait être nuisible s'il empêchait de s'attaquer collectivement aux problèmes communs.

La sénatrice Johnson : Dans cet ordre d'idées, les pays de l'Asie-Pacifique ont beaucoup plus resserré leur coopération pour neutraliser les aspirations régionales de la Chine, et vous avez abordé le sujet quand notre présidente vous a interrogé, un peu plus tôt. Cet objectif s'est accompagné d'appels de plus en plus pressants aux États-Unis pour qu'ils s'engagent encore plus dans la sécurité régionale. Donc, c'est ce qui se produit pendant que ces pays émergents connaissent un développement social et une croissance économique rapides.

Prévoyez-vous la création d'un bloc démocratique et libéral parmi les nations émergentes, avec les vieilles démocraties établies dans l'Asie-Pacifique, pour neutraliser les ambitions régionales de la Chine ou pensez-vous que ces pays restent trop divisés pour former un front commun?

M. Chalk : Sur ce point au moins, il est peu probable que naisse dans l'Asie du Sud-Est un éthos démocratique libéral, du moins comme nous l'entendons dans l'Ouest. Incontestablement, on apprécie la liberté économique. Ce qui prédomine, c'est l'aspect capitaliste de la démocratie libérale.

Mais la notion des pleins droits politiques et sociaux, comme nous le comprenons dans l'Ouest, reste peu développée dans l'Asie du Sud-Est. Il existe dans toute la région un penchant assez fort vers l'autorité, malgré l'émergence de nouvelles démocraties comme en Indonésie et, qui sait, peut-être même au Myanmar.

Mais Singapour, la Malaisie, le Cambodge, le Laos, le Vietnam, tous ces pays ont un très fort penchant autoritaire. Ils essaient de faire coexister avec ce penchant un sentiment plus poussé de liberté économique, parce que chacun des gouvernements comprend qu'une croissance économique soutenue, du moins aux yeux de ses propres populations, est la clé de sa légitimité interne, et c'est sur cet aspect qu'il insistera.

Le sénateur Housakos : Revenons au thème de l'intérêt propre national. Je voudrais revenir au début de l'exposé des deux témoins, quand ils ont affirmé, comme un certain nombre d'autres qui ont comparu devant le comité, que le Canada s'était fait une réputation douteuse de pays insuffisamment engagé dans la région Asie-Pacifique.

À mon avis, le Canada a des intérêts propres, qui ont toujours été axés sur le commerce. Au cours des deux dernières décennies, le gouvernement s'est efforcé de favoriser nos intérêts commerciaux, et les exportations de nos produits en Asie-Pacifique ont sensiblement augmenté. Leur croissance a été considérable. Une certaine croissance s'est produite dans le secteur manufacturier. Je vous l'accorde, d'autres secteurs de notre économie n'ont pas eu autant de succès, c'est-à-dire, peut-être, le secteur des services, celui des échanges technologiques et ainsi de suite.

En ce qui concerne les autres aspects et domaines, géopolitiques, militaires ou sécuritaires, dans les régions où, peut-être, le Canada ne s'engage pas à fond — et peut-être le fait-il exprès —, se pourrait-il que nous ne puissions pas, dans ces domaines, faire aussi bien que les autres superpuissances qui ont des intérêts dans la région et qui y ont investi énormément d'énergie et de ressources?

Au fond, la question que je pose est la suivante : le Canada peut-il être suffisamment efficace dans certains des secteurs que j'ai mentionnés, à part la promotion de ses intérêts commerciaux? Même si, en tant que nation, nous reconnaissions un intérêt et des capacités, de quel intérêt s'agit-il? Pouvez-vous nous le montrer? Pouvez-vous nous dire pourquoi nous devrions nous engager davantage dans l'Asie-Pacifique? À part notre intérêt économique, quel avantage net le Canada peut-il en retirer? Encore une fois, la rétrospective des deux dernières décennies montre que cet intérêt économique ne s'est pas démenti et qu'il continue de croître dans les secteurs dans lesquels, traditionnellement, le Canada excelle.

M. Boutilier : J'ignore si la question s'adressait à moi, par inférence, mais j'ai de petites observations à faire.

D'abord, le Canada, par sa population, équivaut à la conurbation de Chongqing, en Chine, qui compte 35 millions d'habitants. Pour les Asiatiques, le Canada est nettement une petite à moyenne puissance.

Oui, effectivement, nous avons peut-être bien réussi dans la région, mais une analyse de notre rendement commercial dans la région de l'Asie-Pacifique nous montrerait que nous défendons à peine nos acquis et que, en fait, nous glissons probablement derrière presque tous les Américains.

Cela s'explique en partie par l'âpreté de la concurrence. L'Asie n'offre pas de sinécure en affaires. Un collègue diplomate m'a dit que, pour le Canada, le problème réside dans la trop grande facilité de ses rapports avec les États-Unis. Il est beaucoup plus facile de s'entendre avec Houston, Milwaukee ou Detroit qu'avec les villes d'Asie. En fait, l'expérience des grandes sociétés est qu'un pays comme la Chine présente des difficultés. C'est le moins qu'on puisse dire.

Nos moyens limités doivent donc privilégier certaines cibles. Où voulons-nous brasser des affaires? Est-ce à Singapour, en Malaisie, en Inde ou au Japon? Nous n'avons pas consacré à la région le temps et l'énergie nécessaires. Incidemment, si nous reculons jusqu'à la fin des années 1980, au début des années 1990, notre présence en Asie était considérablement plus voyante. Au fil des années, par exemple, tout le financement des grandes organisations non gouvernementales au Canada qui traitaient avec l'Asie a pris fin.

Une précision supplémentaire : j'ai rencontré Mme la présidente en 1995, pour la première fois, à une réunion, à Ottawa, d'un consortium canadien pour la coopération avec l'Asie-Pacifique. Tout le financement en ce sens a disparu. Notre présence à l'ANASE s'est évanouie. Notre présidence de l'atelier sur la mer de Chine méridionale avec l'Indonésie a pris fin.

Nous devons décider dans quels paniers nous allons mettre nos œufs, les privilégier et y consacrer de véritables ressources. Nous avons, je dois le confesser, élargi notre empreinte diplomatique, particulièrement en Chine, aux dépens de notre présence ailleurs dans le monde et il était temps!

Comme je l'ai indiqué, il est difficile de pénétrer ces marchés. Il faut savoir que, dans bien des cas, nos concurrents asiatiques avancent à la vitesse de l'éclair comparativement au Canada, étant donné que nous sommes confrontés à toutes sortes de contraintes, que ce soit relativement aux intérêts des Premières Nations, à l'environnement, et cetera. Tout cela se répercute, au moment où l'on se parle, sur nos projets d'exportation de gaz en Asie.

Ce qui m'inquiète, c'est que lorsque ce sera fait, au cours de la prochaine décennie, nos marchés asiatiques s'approvisionneront ailleurs. Il existe des débouchés, mais il nous faudra un véritable engagement et de la persévérance pour faire des incursions en Asie.

Le sénateur Demers : Merci beaucoup pour votre réponse. Lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Housakos, vous avez en même temps répondu à ma première question.

Permettez-moi, madame la présidente, de mettre en quelque sorte la charrue devant les bœufs, car le temps file à toute allure. Les Jeux olympiques qui se déroulent actuellement à Sotchi suscitent d'énormes inquiétudes, et nous espérons qu'aucun drame ne se produira.

En 2018, la Corée du Sud sera l'hôte des Jeux olympiques. Vous avez une vision de ce qui va arriver. Ce n'est pas dans 10 ans; c'est dans 4 ans. On a dépensé des milliards de dollars en Russie et on a accueilli des gens de partout dans le monde, mais l'événement a attiré moins de visiteurs en raison des menaces qui pèsent sur la région. Comment percevez-vous la situation?

Le Canada est un grand pays qui envoie de fiers et excellents athlètes. Je ne suis pas certain que la LNH sera de la partie, mais quoi qu'il en soit, comment anticipez-vous les choses? J'adresse ma question à quiconque veut répondre.

M. Chalk : Je vais répondre, du moins je vais commencer.

Comme vous l'avez indiqué, le spectre du terrorisme ou le risque de tout autre événement catastrophique a été pris très au sérieux à Sotchi. Les États-Unis ont fait beaucoup de mises en garde concernant les avions qui survolent la Russie et la possibilité que des explosifs se trouvent à l'intérieur de tubes de dentifrice. On a énormément resserré la sécurité à Sotchi.

En réalité, étant donné toute la publicité qu'occasionne une attaque terroriste, tous les événements internationaux de l'envergure des Jeux olympiques sont à risque.

Je dirais qu'en Corée du Sud, la possibilité d'une attaque terroriste devrait être traitée avec autant de sérieux qu'à Sotchi. Évidemment, en Russie, les principales menaces provenaient de la région du Caucase du Nord, plus précisément des rebelles tchétchènes. Toutefois, il n'y a aucune raison pour laquelle des terroristes de l'étranger ou même de la région ne voudraient pas profiter des Jeux olympiques de la Corée du Sud d'une façon similaire. La distance géographique n'est plus une protection contre l'extrémisme militant.

Pour l'instant, je ne vois pas de conflit majeur entre les États de la péninsule coréenne qui pourrait coïncider avec ces jeux. Malgré l'irrationalité, si vous voulez, du régime nord-coréen, je pense que la sagesse l'emportera et que des efforts seront déployés pour éviter que la situation se dégrade au point de devenir un conflit interétatique majeur. Bien entendu, il ne faut pas prendre une menace à la légère, mais je ne crois pas qu'elle visera d'une quelconque façon les Jeux de la Corée du Sud.

Selon moi, il est davantage probable que des organisations coréennes se servent des Jeux comme plate-forme médiatique pour formuler des demandes et imposer des objectifs stratégiques contre leurs ennemis bien définis, peu importe qui ils sont. De toute évidence, il ne s'agit pas nécessairement d'Al-Qaïda ou de ses groupes affiliés, mais de toute forme d'organisation terroriste qui voudrait profiter de ce type d'événement. D'ici quelques années, nous ferons peut-être face à l'émergence d'une nouvelle vague de terrorisme qui pourrait inquiéter tout autant que l'extrémisme djihadiste actuel. Nous ne pouvons pas le prévoir aujourd'hui, en 2014.

Le sénateur Demers : Monsieur Boutilier, auriez-vous quelque chose à ajouter?

M. Boutilier : Oui, monsieur le sénateur. Il est intéressant de constater que la Corée du Sud n'est pas tout à fait le double de la superficie de la Nouvelle-Écosse et qu'elle compte 50 millions d'habitants. Son exploit économique est assez étonnant. En 1988, les Jeux olympiques se sont évidemment tenus à Séoul. À ce moment-là, la menace venait du Nord, et non pas d'ailleurs dans le monde. Pyongyang avait menacé d'ouvrir l'un de ses plus importants barrages en vue d'inonder certaines parties de la Corée du Sud. C'était en réalité une menace vide de sens et on a finalement invité le Nord à participer aux Jeux.

Je ne crois pas que l'on devrait s'inquiéter, à Séoul, en 2018, des terroristes du type des djihadistes tchétchènes ou daghestanais. Je suis très confiant que les Sud-Coréens géreront la situation d'une façon très professionnelle. Même si des menaces viennent du Nord, je pense qu'au bout du compte, on invitera de nouveau la Corée du Nord à participer aux Jeux, du moins, dans une faible mesure.

Pour ce qui est de l'intégrité de la communauté olympique canadienne en Corée du Sud, nous pouvons être certains qu'ils seront en sécurité et entre bonnes mains.

Le sénateur D. Smith : J'ai deux questions. Ma première question donne suite aux propos de M. Boutilier, qui a dit que l'Inde n'avait qu'un seul pays sur la liste de ses préoccupations : la Chine. Je suis d'accord avec lui.

A-t-on raison de supposer que les tensions qui ont toujours existé entre l'Inde et le Pakistan ne s'accentueront pas ou, dans le pire des cas, demeureront stables? À mon avis, les problèmes au Pakistan ne résident pas tant dans le gouvernement que dans les divers groupes extrémistes qui sévissent là-bas, que ce soit au Pakistan ou dans les pays avoisinants. Que pensez-vous de la stabilité de la situation entre l'Inde et le Pakistan?

M. Boutilier : Je trouve que vos observations sont sages et perspicaces. Pour ma part, je crois que ce sera le statu quo en Asie du Sud en ce qui a trait aux relations entre le Pakistan et l'Inde. Manmohan Singh a tenté d'établir des liens avec Islamabad. Les réalisations ont été très modestes, c'est le moins qu'on puisse dire. Les Pakistanais, de leur côté, ont l'appui de la Chine, bien que la Chine ne soit pas particulièrement active au Pakistan. Le problème, dans ce pays, c'est le manque de profondeur stratégique. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles ils sont particulièrement préoccupés par le développement des intérêts indiens en Afghanistan. Les Pakistanais considèrent que l'Afghanistan leur fournit la profondeur stratégique qui leur fait défaut.

Il sera intéressant de voir ce qu'il arrivera, évidemment, lorsque les troupes alliées commenceront à se retirer en grand nombre de l'Afghanistan. Je dois avouer que je ne suis pas très optimiste quant au degré de stabilité politique et militaire en Afghanistan dans les années à venir. Je pense que l'ISI, le service de renseignement pakistanais, sera actif en Afghanistan, en tentant de déterminer le caractère du régime qui succédera à Karzaï. De plus, Islamabad est confrontée à toutes sortes de problèmes liés aux djihadistes, et leurs efforts visant à les régler n'ont pas vraiment abouti.

Même si la relation entre Islamabad et New Delhi demeure tendue et insatisfaisante, je pense que les enjeux sont tout simplement trop élevés, de part et d'autre, et qu'ils continueront à se débrouiller tant bien que mal, d'une façon insatisfaisante, mais qui est acceptable pour les deux capitales.

Le sénateur D. Smith : En ce qui a trait au Bangladesh, si on remonte à la période où le Pakistan s'est subdivisé en deux provinces, le Pakistan oriental et le Pakistan occidental, et que Sheikh Mujibur Rahman a dirigé la révolte qui a mené à l'indépendance — et j'ai passé quelque temps au Bangladesh —, j'ai l'impression que ce qui est à l'origine de toute cette situation, c'est lorsqu'on a obligé tout le monde à oublier le bengali pour apprendre l'ourdou. C'était en quelque sorte une formule de divorce. Le Bangladesh a été relativement stable depuis, mais ces dernières années, on a assisté à davantage d'instabilité, de division, de problèmes, d'explosions, de soulèvements et même à quelques émeutes. Comment envisagez-vous la stabilité du Bangladesh dans un avenir rapproché?

M. Chalk : Je vais commencer en disant que je ne suis pas du tout un expert en matière de politique bangladaise, mais je peux tout de même faire quelques observations.

Je pense que la situation de la sécurité au Bangladesh concerne davantage les menaces transfrontalières. Le Bangladesh est devenu une plaque tournante de l'importation et de l'exportation d'armes, du trafic de drogue et de l'afflux massif de réfugiés illégaux venus des environs, de l'Asie du Sud-Est et du Myanmar jusqu'au sous-continent indien. Le Bangladesh n'a pas été en mesure d'empêcher ces mouvements, en grande partie à cause de la porosité des frontières, d'un manque de capacité et d'une corruption endémique.

L'idéologie djihadiste se répand également au Bangladesh, grâce à l'appui direct ou, du moins, à l'approbation du service de renseignement pakistanais, l'ISI, en vue d'exporter le djihadisme et, comme M. Boutilier l'a indiqué, de se doter d'une profondeur stratégique dans le cas où une guerre éclaterait avec l'Inde.

Par ailleurs, de nombreux autres problèmes intérieurs ont provoqué de l'instabilité au Bangladesh. Plus récemment, une usine textile s'est effondrée et des centaines de personnes y ont perdu la vie. Ces usines non sécuritaires ont donné lieu à un large mouvement de protestations populaires dans les rues contre le gouvernement, et le gouvernement semble impuissant à rassurer la population.

Je comparerais le Bangladesh à une voiture qui est brisée, mais qui continue de rouler, avec une capacité très réduite. Je ne crois pas que le Bangladesh soit au bord de l'effondrement. Je vois toutefois un pays qui se fera exploité par des tiers de l'extérieur qui voudront faire avancer leurs propres intérêts stratégiques, et un pays dont les problèmes non étatiques, qu'ils soient liés à l'extrémisme politique ou au crime organisé, continueront de miner sa stabilité nationale et d'avoir des répercussions régionales, à la fois au sein du sous-continent indien et dans la partie au nord de l'Asie du Sud-Est, du Myanmar jusqu'à l'Indochine.

Le sénateur D. Smith : Je me demandais si notre autre témoin souhaitait ajouter quelque chose sur la situation au Bangladesh.

M. Boutilier : Le Bangladesh est en quelque sorte un pays paradoxal, puisqu'il a connu une croissance économique considérable ces dernières années. Comme M. Chalk l'a indiqué, nous avons affaire à un État — et ce n'est pas uniquement le cas du Bangladesh — compromis par les effets corrosifs de la corruption, une rivalité farouche entre les deux premières ministres qui se sont succédé, des tensions monumentales causées par l'explosion de la démographie, et une incapacité de subvenir aux besoins de la population qui est notamment très touchée par les inondations constantes.

La question de la migration massive en provenance du Myanmar ou de la Birmanie a déjà été soulevée, et il y aussi le djihadisme national qui menace la stabilité de l'État. J'abonde dans le même sens que M. Chalk.

La sénatrice Ataullahjan : Je m'intéresse énormément à l'Inde, au Pakistan et à l'Afghanistan, et je vous rappelle que les Pakistanais ont toujours dit que cette guerre leur avait été imposée, celle opposant les Russes et les Afghans, et nous connaissons tous l'histoire de cette région. J'arrive tout droit du Pakistan, et ce que je crains le plus, c'est ce qui risque d'arriver l'an prochain. Tout le monde a peur. Les talibans ont dit qu'ils allaient revenir en 2015. L'Afghanistan est devenu un lieu de prédilection pour la Chine, l'Inde et le Pakistan. Ils y ont tous fait étalage de leur force.

Auriez-vous des observations à faire là-dessus?

M. Chalk : En effet, j'aurais quelques mots à dire.

Je pense que M. Boutilier a déjà abordé la majorité des sujets. Le Pakistan a sans aucun doute un intérêt stratégique à établir un régime conforme à Kaboul. À mon avis, avec le retrait de la coalition internationale de l'Afghanistan plus tard cette année, je pense que le Pakistan déploiera des efforts concertés afin que les talibans puissent jouer un rôle important dans les négociations pacifiques qui auront lieu, en vue de voir émerger un régime conforme à Kaboul, qui lui procurera la profondeur stratégique qui lui fait défaut face à l'Inde.

En même temps, comme vous l'avez indiqué, l'Inde cherche visiblement à étendre ses intérêts commerciaux en Afghanistan. L'Afghanistan lui-même pourrait très bien jouer un rôle crucial dans la création d'une nouvelle route qui relie l'Asie centrale à l'Inde et au Pakistan. Si cela se concrétise, il y aura d'importantes retombées économiques pour la région sur le plan commercial. Le problème, c'est qu'une grande partie de ce qui va aller en Afghanistan aura également des répercussions directes sur l'Asie centrale.

Après 2014, il est fort probable que nous assistions à une augmentation du trafic de drogue en provenance d'Afghanistan. Cette situation déstabilisera directement les économies du Tadjikistan, possiblement de l'Ouzbékistan, du Kirghizstan et du Kazakhstan, qui sont les principales voies de ce trafic où transitent une grande quantité d'opium et de haschich provenant d'Afghanistan. L'environnement stratégique autour de l'Afghanistan s'affaiblira, à mon avis. Des djihadistes extrémistes pourraient également regagner du terrain en Afghanistan et exporter leur campagne de violence en Asie centrale, même si cette menace a été un peu exagérée.

Étant donné que les États-Unis n'appuieront plus les pays de l'Asie centrale qui, par le fait même, ne constitueront plus le réseau de distribution de l'Afghanistan, les gouvernements auront de la difficulté à apaiser le mécontentement ou à mettre le couvercle sur la marmite. Il y aura un soulèvement islamique extrémiste, mais il ne devrait pas se propager à l'extérieur des frontières.

En fait, je ne suis pas très confiant quant à la stabilité stratégique de la région de l'Asie centrale après 2014. J'espère seulement que l'histoire ne se répétera pas et que les États-Unis ne se laveront pas les mains de ce qui pourrait arriver dans la région dans l'intérêt de leur rôle pivot dans l'Asie-Pacifique. À long terme, les menaces potentielles qui pourraient venir d'une Asie centrale laissée pour compte pourraient avoir des répercussions à l'échelle internationale, dont bon nombre auraient un impact direct sur les États-Unis.

En gros, c'est ce que je pense de la stabilité stratégique future de la région de l'Asie centrale.

M. Boutilier : Je pourrais faire une ou deux brèves remarques.

L'une des choses qui me préoccupent — et vous en avez sûrement pris connaissance lors de votre récente visite —, c'est le niveau élevé de violence dans les villes du Pakistan et les nombreux décès qui surviennent chaque jour à Karachi ou à Peshawar en raison de conflits politiques. Cela nuit énormément à la légitimité du gouvernement à Islamabad.

Les Chinois voient la situation en Afghanistan d'un très mauvais œil. Ils craignent notamment, comme M. Chalk l'a indiqué, l'impact que pourrait avoir l'instabilité en Afghanistan ou dans les républiques avoisinantes sur les Turkmènes de la province de Xinjiang dans l'Ouest de la Chine. Cela est perçu comme une menace à la stabilité de la Chine. Les Chinois ont lancé une campagne visant à déplacer les Han dans les régions turkmènes de Xinjiang. Ce qui se passe entre les résidents musulmans là-bas et dans les régions avoisinantes est une énorme source de préoccupation. Il est intéressant de voir que la Chine consacre plus d'argent au contrôle de la sécurité intérieure qu'à celui de la défense nationale.

De plus, je dirais qu'il continuera d'avoir des tensions entre Moscou et Pékin pour ce qui est de l'influence en Afghanistan et dans les républiques environnantes, à mesure que les Russes tentent de récréer la zone d'influence, qui remonte au régime soviétique, et que la Chine essaie d'améliorer ses relations afin de s'assurer notamment des sources d'énergie et des terres agricoles. Même si la Russie et la Chine sont toutes deux membres de l'Organisation de coopération de Shanghai, il existe une tension inhérente au sein de cette organisation, particulièrement lorsqu'il est question des régions comme l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, et ainsi de suite.

La présidente : Il y a beaucoup d'autres questions, dont quelques-unes que j'allais moi-même poser. M. Boutilier se souviendra que nous avons siégé à ces comités en 1995.

Je ne l'ai pas mentionné au début pour ne pas entacher votre témoignage et vous garder le plus neutre possible. Je vous remercie de l'avoir rappelé. S'il y a quoi que ce soit que vous aimeriez ajouter, étant donné que nous n'avons plus de temps, au sujet d'initiatives qui pourraient nous être utiles dans le contexte d'aujourd'hui et non des années 1990, n'hésitez pas à le transmettre au greffier du comité.

Monsieur Chalk, je vous suis reconnaissante de votre témoignage. Comme vous pouvez le voir, dans le cadre de notre étude, les enjeux liés à l'économie et à la sécurité sont indissociables. Votre témoignage nous a été extrêmement utile.

Au nom des membres du comité, j'aimerais remercier les deux témoins d'avoir comparu par vidéoconférence aujourd'hui.

Nous entendrons maintenant M. Michael Peirce, directeur adjoint du renseignement, Service canadien du renseignement de sécurité. Nous entendrons également M. Brian Rumig, directeur général, Région internationale, et Mme Lesley Soper, directrice générale par intérim, Programmes d'exécution de la loi et du renseignement, de l'Agence des services frontaliers du Canada. Bienvenue au comité.

Monsieur Peirce, veuillez livrer votre exposé.

Michael Peirce, directeur adjoint, Renseignement, Service canadien du renseignement de sécurité : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Bonsoir. Je suis heureux de contribuer à votre étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique.

Comme on l'a indiqué, je suis directeur adjoint du renseignement. Je suis responsable de l'évaluation des renseignements recueillis par le SCRS et de leur diffusion sous la forme de conseils.

Histoire de mettre mes commentaires en contexte, je vais d'abord vous parler brièvement du mandat du SCRS et de notre loi habilitante. En vertu de notre loi, le SCRS doit recueillir des renseignements pour enquêter sur les menaces envers la sécurité du Canada. Selon la définition contenue dans la Loi sur le SCRS, ces menaces comprennent le terrorisme et l'extrémisme, l'espionnage et le sabotage et l'interférence étrangère. Le rôle consultatif de notre service vient compléter sa fonction d'enquête. C'est là que mon rôle de directeur adjoint du renseignement entre en jeu. En effet, les renseignements recueillis ne sont utiles que s'ils sont analysés et communiqués à nos partenaires gouvernementaux.

Par conséquent, la Loi sur le SCRS prévoit que le service conseille le gouvernement au sujet de ces menaces envers la sécurité du Canada. Nous nous acquittons de cette responsabilité de diverses façons, conformément aux dispositions détaillées de la loi. La production d'évaluations relatives au renseignement est un outil important dont nous nous servons pour conseiller le gouvernement. Nous évaluons les renseignements bruts recueillis, nous les évaluons en fonction de leur contexte et nous conseillons le gouvernement en conséquence. Nous produisons également des rapports sur les renseignements de sécurité du SCRS, c'est-à-dire que nous communiquons des renseignements bruts à nos collègues du gouvernement.

[Français]

Grâce à ces évaluations, le gouvernement peut mieux connaître et comprendre les menaces. Elles alimentent les discussions relatives aux politiques, sont prises en compte par les décideurs chargés d'administrer et de faire appliquer les lois canadiennes et mettent en évidence les enjeux émergents dans le contexte mondial de la menace, y compris dans la région de l'Asie-Pacifique.

Je tiens à souligner que les évaluations régionales de la menace réalisée par le service ne relèvent pas du simple exercice théorique. Elles doivent être liées à la sécurité du Canada et à une menace identifiable pour ses intérêts en matière de sécurité nationale.

[Traduction]

Je ne saurais trop insister sur ce point, car c'est le contexte de mon exposé d'aujourd'hui. Dans le cadre de mon mandat, cela doit être lié à une menace envers la sécurité du Canada.

Comme vous venez sûrement de l'entendre, la région de l'Asie-Pacifique vit une période de changements considérables sur les plans économique, démographique et politique. De tels changements ont nécessairement une incidence sur le contexte de la sécurité. Reconnaître l'ampleur de ces changements et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité du Canada est au cœur de notre travail.

Comme vous vous y attendez certainement, nos efforts sont axés sur plusieurs priorités, notamment le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, l'espionnage et l'interférence étrangère, et ce qu'on appelle parfois des menaces envers la sécurité de l'information, mais qu'on connaît surtout sous le nom de cybersécurité.

Même si ces menaces peuvent provenir de l'intérieur — et nous enquêtons bien sûr à leur sujet —, vous savez sûrement qu'elles émanent la plupart du temps d'autres gouvernements ou de personnes ou de groupes à l'étranger. En cela, la région de l'Asie-Pacifique ne fait pas exception.

En réponse au contexte international de la menace, le SCRS maintient une présence internationale et entretient un réseau solide de partenaires étrangers.

Pour l'instant, la région de l'Asie-Pacifique n'est pas la source principale de menaces terroristes ou extrémistes pour le Canada. Comme l'indique le rapport public de notre service, des groupes qui mènent leurs activités en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Afghanistan et au Pakistan suscitent des préoccupations bien plus importantes et attirent toujours des Canadiens radicalisés. Cela dit, les Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul, un groupe originaire du Sri Lanka, sont inscrits sur la liste canadienne des entités terroristes. Il a aussi été question de liens possibles entre le terrorisme et les deux derniers bateaux d'immigrants arrivés au Canada en 2009 et en 2010, l'Ocean Lady et le Sun Sea.

Lorsque de telles activités représentent une menace envers la sécurité du Canada, le SCRS enquêtera et communiquera les informations liées à la menace à ses partenaires, notamment à mes collègues de l'ASFC ici présents.

[Français]

Bien entendu, il se trouve aussi aux Philippines et en Indonésie des groupes islamistes extrémistes qui sont toujours des sources de préoccupation. Toutefois, leurs activités ont une incidence essentiellement régionale.

[Traduction]

Même si nous avons constaté que des groupes islamiques sont actifs dans la région, leurs activités se concentrent essentiellement au niveau régional. Nous continuons de nous intéresser à leurs activités, mais c'est un intérêt différent que celui que nous accordons à leurs activités lorsqu'elles visent des intérêts occidentaux.

En ce qui concerne la prolifération des armes de destruction massive, le programme de la Corée du Nord suscite évidemment des inquiétudes. Le régime continue sans relâche de constituer son arsenal. Il est imprévisible et constitue un facteur d'instabilité dans la région.

Nous surveillons activement l'évolution des programmes d'armes de destruction massive à l'étranger, notamment celui de la Corée du Nord, et la menace qu'ils représentent pour la sécurité du Canada et du monde. Étant donné qu'il est un chef de file dans de nombreux secteurs de haute technologie, le gouvernement doit également prendre des mesures contre ceux qui tenteraient de se procurer des technologies liées aux armes de destruction massive sur son territoire ou par son entremise pour les exporter en vue de soutenir l'élaboration de programmes à l'étranger. Le SCRS enquête sur ce type d'activités et, encore une fois, conseille ses partenaires du gouvernement du Canada, notamment l'ASFC, afin de favoriser la mise en œuvre des lois canadiennes. Toutefois, notre service n'a pas le mandat de faire appliquer la loi; nous fournissons des renseignements et des évaluations.

L'espionnage et l'ingérence étrangère continuent sans relâche, et plusieurs agences de renseignement étrangères recueillent clandestinement des renseignements de nature politique, économique et militaire sur le Canada et sur ses activités. Les activités que mènent des puissances étrangères pour s'approprier en secret des éléments visés par la propriété intellectuelle au Canada et pour exploiter les industries canadiennes, surtout dans les domaines des technologies de pointe et des ressources naturelles, et les tentatives visant à manipuler les communautés d'expatriés au Canada ont une incidence très concrète et néfaste sur notre société et notre économie.

La question des investissements étrangers au Canada mérite que je m'y attarde davantage, car les sociétés d'État qui investissent au Canada sont, par définition, essentiellement des sociétés contrôlées par des États étrangers. Lorsqu'il s'agit de ressources stratégiques ou de technologies de pointe, cela peut parfois — et je mets l'accent sur le mot « parfois » — représenter une menace envers les intérêts canadiens. Il se peut aussi que des intervenants étrangers se servent des sociétés d'État pour recueillir clandestinement des renseignements au Canada.

En plus de produire des rapports réguliers sur les investissements des sociétés d'État, nous soutenons également les examens de la sécurité nationale effectués en vertu de la Loi sur Investissement Canada et cela concerne les préoccupations nationales en matière de sécurité liées aux investissements étrangers. Toutefois, permettez-moi de clarifier une chose, c'est-à-dire que même si le SCRS fournit des renseignements à cet égard, c'est au Cabinet que revient la décision finale.

Enfin, permettez-moi de vous parler de l'espionnage par l'entremise d'un moyen particulier. En effet, au cours de la dernière décennie, l'espionnage a rapidement gagné en importance. Cela est dû en partie aux cyberattaques qui sont un moyen commode de faciliter la préparation, le lancement et l'exécution d'opérations d'espionnage. Efficaces et relativement peu coûteuses, les cyberattaques sont moins risquées que les activités d'espionnage traditionnelles et plus faciles à nier par les pays qui les commanditent. Cela ne signifie pas que les activités d'espionnage traditionnelles sont à la baisse, mais qu'elles sont maintenant augmentées par le cyberespionnage. Notre service évalue que la menace posée par le cyberespionnage ne fera que s'intensifier, et deviendra de plus en plus complexe avec les années. Nous continuerons de travailler d'arrache-pied avec nos partenaires canadiens, surtout le Centre de la sécurité des télécommunications Canada, pour enquêter sur cette menace et prendre les mesures appropriées.

Madame la présidente, le Canada entretient des liens étroits avec l'Asie-Pacifique et y a des intérêts manifestes. C'est une région au potentiel immense qui a subi des mutations profondes au cours des dernières décennies. Cela dit, ces changements amènent évidemment leur lot d'enjeux. Je suis ravi que le comité étudie la façon dont le Canada peut jouer un rôle favorable dans cette région.

C'est ce qui termine mon exposé. Merci.

La présidente : Merci.

Je ne sais pas s'il y aura deux exposés de l'Agence des services frontaliers du Canada ou si M. Rumig livrera un seul exposé.

Brian Rumig, directeur général, Région internationale, Agence des services frontaliers du Canada : Je parlerai au nom des deux témoins, madame la présidente.

La présidente : Merci.

[Français]

M. Rumig : Merci, madame la présidente, de me donner l'occasion de participer aux travaux du comité sur les conditions de sécurité et les développements économiques en Asie-Pacifique.

[Traduction]

L'Agence des services frontaliers du Canada a le vaste mandat de fournir des services frontaliers intégrés en appui aux priorités du gouvernement en matière de sécurité nationale et de sécurité publique, tout en facilitant les déplacements des voyageurs et des marchandises légitimes. Nous gérons les frontières du pays, en appliquant les lois canadiennes régissant le commerce et les voyages.

Pour que le commerce et les déplacements transfrontaliers légitimes puissent se faire aussi efficacement que possible, nous devons participer à de multiples initiatives dont la portée dépasse nos frontières nationales. Cela comprend des collaborations avec des partenaires étrangers et des organismes internationaux du domaine de l'immigration et des douanes, et le déploiement avancé d'employés de l'ASFC à l'étranger.

Le réseau des agents de liaison de l'ASFC et ses prédécesseurs s'occupent de l'interception de nombreux voyageurs non munis des documents voulus depuis plus de 25 ans. Pendant cette période, le réseau des AL est peu à peu devenu partie intégrante de la gestion efficace des frontières.

Si, sur le plan historique, nous nous sommes surtout concentrés sur l'interception des voyageurs illicites, en 2014, le réseau des AL soutient l'ensemble du mandat de l'ASFC et contribue de façon importante à la détection et à l'interception de personnes, de biens et de marchandises qui représentent des risques élevés ou indéterminés pour la sécurité du Canada.

Les AL travaillent à l'étranger afin de détecter et d'intercepter ces risques le plus loin possible de nos frontières. Les AL fournissent également du soutien et de l'aide aux Canadiens et aux résidents permanents lors de crises internationales, par exemple une catastrophe naturelle, des troubles civils graves ou un conflit armé.

Ces agents contribuent également aux efforts de lutte contre le passage de clandestins, la migration clandestine et le commerce illicite en diffusant de l'information, en dispensant de la formation aux transporteurs et aux organismes gouvernementaux, en inspectant les installations aéroportuaires et portuaires et en collaborant avec des partenaires aux vues similaires et les autorités gouvernementales du pays hôte. Ces agents de liaison interviennent chaque année auprès de quelque 5 000 voyageurs non munis des documents voulus, tout en facilitant les déplacements de quelque 3 000 voyageurs légitimes, surtout des Canadiens qui rentrent au pays, en intervenant directement auprès d'eux.

La région de l'Asie-Pacifique continue d'être l'un des points de mire de nos efforts en matière de lutte contre la migration clandestine et la contrebande de marchandises, et la région est également la cible d'efforts concertés déployés à l'échelle internationale. Par exemple, en 2013, 13 p. 100 des demandes d'asile reçues au Canada ont été présentées par des ressortissants de cette région. La République populaire de Chine se démarque en étant à la fois le principal pays d'origine des immigrants et voyageurs légaux au Canada, de même que le principal pays d'origine d'immigrants clandestins et de demandes d'asile. Le nombre de voyageurs légitimes et clandestins qui proviennent de la RPC au Canada est sans précédent; nous n'avions pas vu cela depuis de nombreuses années.

Les membres du comité se souviennent sans doute de l'arrivée — comme mon collègue, M. Peirce, l'a mentionné — du navire Sun Sea sur la côte Ouest du Canada en août 2010. Au total, 492 immigrants du Sri Lanka ont été détenus à leur arrivée en vertu de nos lois en matière d'immigration. Les répercussions de l'arrivée d'autant d'immigrants à un même point d'entrée ont été très importantes. Même si nous avons su prendre les mesures qui s'imposaient, ce dossier a monopolisé d'importantes ressources du gouvernement et a ajouté un lourd fardeau au système d'immigration.

Même si le nombre de demandes d'asile présentées par des Sri Lankais est à la baisse ces dernières années, les passeurs de clandestins sri lankais continuent de transporter des clandestins de partout dans le monde par voies terrestres, maritimes et aériennes, ce qui constitue toujours une menace importante pour l'intégrité de nos frontières.

En ce qui concerne les tendances en matière de contrebande, les pays de la région de l'Asie-Pacifique n'ont pas représenté une source importante de stupéfiants illicites en 2013. Par exemple, durant cette période, les pays de cette région ont été responsables de seulement 3 p. 100 de l'héroïne saisie par l'ASFC. De la même façon, aucun de ces pays n'était une source importante d'autres stupéfiants illégaux.

Néanmoins, environ 96 p. 100 des produits chimiques précurseurs utilisés dans les drogues synthétiques et 63 p. 100 des substances de type amphétamine saisis par l'ASFC pendant cette période provenaient de la région de l'Asie-Pacifique. C'est en grande partie pourquoi on considère que la République populaire de Chine est l'une des plus importantes sources et l'un des points de transbordement les plus importants de ce type de marchandises.

Même si les pays de la région de l'Asie-Pacifique ne constituent pas une source importante de stupéfiants illicites, la tendance émergente laisse croire que le Canada risque fort de devenir une source ou un point de transbordement important pour les stupéfiants à destination du marché de drogues en croissance de cette région. Il s'agit d'un enjeu pour lequel les pays de la région souhaitent obtenir notre aide — et celle de la GRC et d'Affaires étrangères —, car tout comme nous, ces pays pensent qu'il s'agit d'une tendance alarmante.

Enfin, la région de l'Asie-Pacifique est également la source de quantités importantes de tabac de contrebande saisi par l'ASFC. En 2012 et en 2013, la source la plus importante de cigarettes de contrebande saisies par l'agence était la République populaire de Chine. Pendant ces deux années, plus de 56 000 cartouches de cigarettes en provenance de ce pays ont été interceptées, soit 66 p. 100 de toutes les saisies effectuées par l'agence. Durant la même période, la Corée du Sud a été la deuxième source de cigarettes de contrebande, soit environ 27 p. 100 de toutes les saisies de cigarettes de contrebande effectuées par l'ASFC.

En conclusion, madame la présidente, la migration clandestine et la contrebande de marchandises sont des enjeux complexes, souvent motivés par le profit et dirigés par le crime organisé et il n'y a pas de solutions faciles. L'ASFC, pour relever ces défis, a adopté une démarche comportant de nombreux volets et fondée sur la collaboration internationale. Nous travaillons donc en étroite collaboration avec nos partenaires, au pays comme à l'étranger, pour empêcher les voyageurs et les marchandises illégitimes d'entrer au Canada.

[Français]

C'est avec plaisir que nous répondrons maintenant à vos questions et commentaires.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Rumig, j'aimerais seulement clarifier une chose. Vous avez parlé de contrebande et d'immigration illégale. On s'inquiète de plus en plus à l'égard des marchandises qui entrent au Canada. Revient-il aux administrations portuaires de veiller non seulement à ce qu'il ne s'agisse pas de contrebande et de marchandises ou d'immigration clandestines, mais aussi de veiller à ce qu'aucune menace à la santé ne puisse entrer, par exemple sous la forme de maladies? De plus, on trouve souvent des insectes. De plus en plus, il y a le problème de la mobilité. Nous voulons qu'on nous garantisse que les marchandises qui arrivent à nos ports sont protégées, propres, et cetera. À qui revient cette responsabilité au sein du gouvernement?

M. Rumig : C'est la responsabilité de l'ASFC; cela fait partie de notre mandat. Nous nous occupons de l'application de la loi en matière d'immigration, de douane et d'aliments, de plantes et d'animaux qui ont des répercussions sur la sécurité de notre pays.

La présidente : Étant donné que les aliments, les plantes et les animaux représentent le secteur en croissance dans le cadre des échanges commerciaux avec la région de l'Asie-Pacifique, et que nous recevons de plus en plus de marchandises de cette région, on ne peut pas tout examiner. Où sont les technologies nécessaires? J'entends toujours dire qu'il y aura de nouvelles technologies qui seront en mesure de scanner et de livrer ces marchandises afin que nous n'ayons pas à nous inquiéter autant — des deux côtés. Je ne suis pas certaine où nous en sommes à cet égard.

Lorsque nous parlons de cyberespace, nous savons qu'il s'agit de la question de la sécurité. Qu'en est-il de nos mesures de sécurité concernant la santé, les aliments, et cetera? Où en sommes-nous en ce qui concerne les technologies et l'équipement?

M. Rumig : Je vais renvoyer la question à ma collègue, car elle pourra probablement mieux y répondre.

La présidente : Si vous pensez à quelque chose plus tard, nous aimerions certainement que vous nous donniez votre réponse.

Lesley Soper, directrice générale par intérim, Programmes d'exécution de la loi et du renseignement, Agence des services frontaliers du Canada : L'ASFC a effectué plusieurs investissements ces dernières années pour être à jour en ce qui concerne les technologies qui nous permettent de garder nos frontières. Par exemple, le plan d'action Par-delà la frontière vise le renouvellement de certaines de ces infrastructures dans nos ports. Nous travaillons directement avec les États-Unis sur la gestion des emballages en bois transitant par le Canada vers les États-Unis et vice versa.

Notre organisation a entrepris diverses initiatives pour gérer le trafic.

Nous prenons l'examen des conteneurs maritimes très au sérieux. On s'apprête à faire de nouveaux investissements dans certains grands ports, comme le port de Vancouver, pour augmenter leur capacité. À titre d'information pour le comité, nous serions heureux de faire le point sur l'état actuel de ces initiatives.

La présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Rumig, bon an, mal an, le Canada accueille beaucoup de demandeurs d'asile. D'ailleurs, vous en avez beaucoup parlé dans votre présentation.

Une grande proportion de ces demandeurs d'asile vient de l'Asie. Étant donné que les services frontaliers sont la première ligne face à la présence de demandeurs d'asile, pouvez-vous nous parler plus en détail des tendances de ces demandeurs d'asile en provenance d'Asie? Que faites-vous pour contrer cela, pour faire en sorte qu'ils ne puissent pas passer?

[Traduction]

M. Rumig : Comme je le disais dans ma déclaration liminaire, la République populaire de Chine demeure sans contredit un des pays d'où nous proviennent le plus de voyageurs, de visiteurs, d'entrepreneurs et d'immigrants légaux. Mais en raison du volume, c'est aussi un des pays d'où arrivent le plus de voyageurs illégaux.

Pour ce qui est des tendances, la Chine est évidemment dans notre mire. Nous travaillons autant avec nos partenaires nationaux qu'avec nos partenaires internationaux, y compris les autorités de la République populaire de Chine, pour trouver un moyen de contenir l'entrée de voyageurs illégaux et illégitimes au pays, ainsi que d'accroître et de faciliter la venue de voyageurs légitimes en provenance de cette partie du monde.

La plupart des pays de la région de l'Asie-Pacifique, et je crois que d'autres témoins l'ont déjà mentionné, ont un important problème de migration illégale, d'immigrants et de réfugiés illégaux. Cela dit, ils ne sont pas nécessairement des pays sources pour le Canada, à l'exception de la République populaire de Chine.

Par exemple, la plupart des problèmes de migration illégale avec lesquels sont aux prises l'Indonésie et la Malaisie ne se manifestent pas au Canada. Cependant, pour ce qui est de la tendance elle-même, elle provient certainement de la République populaire de Chine. Année après année, le nombre de personnes qui tentent d'entrer au Canada de façon illégale grimpe de façon exponentielle. Nous portons notre attention sur ces phénomènes.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Peirce, la semaine dernière, M. John Forster, que vous connaissez peut-être, du Centre de sécurité des télécommunications, a comparu devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, où il a dit que le cyberterrorisme l'empêchait de dormir la nuit.

Est-ce une crainte que vous partagez? Est-ce aussi dangereux ou important que cela? Est-ce que le Canada a avantage à craindre des menaces de cybercriminalité étatique provenant des pays d'Asie ou d'ailleurs dans le monde?

[Traduction]

M. Peirce : Bien des aspects de mon travail m'empêchent de bien dormir la nuit.

Le cyberterrorisme est l'une des menaces les plus grandes et c'est une menace grandissante. Comme je le disais plus tôt, les cyberterroristes peuvent sévir de manière relativement efficace sans que cela ne leur coûte trop cher, et ils peuvent nier leur responsabilité. C'est donc un défi énorme à relever. Les terroristes peuvent être nombreux à frapper et ils le font pour différentes raisons.

On remarque différentes tendances en fait de cybersécurité. La plus importante et la plus évidente est la hausse de la cyberactivité. L'espionnage de la part d'États étrangers — c'est-à-dire l'exfiltration d'information à l'aide de moyens cybernétiques — est probablement la forme la plus courante de cyberactivité. On recense des cyberattaques et des tentatives de cyberattaques qui visent à compromettre ou à détruire la capacité réseau.

On le constate à bien des niveaux. Il y a des États étrangers qui s'adonnent à de telles activités, de même que des groupes, et ces groupes le font pour différentes raisons. Il y a notamment les attaques servant au crime organisé et celles qui soutiennent les activités terroristes.

On voit peu de cyberterrorisme par rapport aux cyberactivités d'espionnage étranger. Il y a une légère nuance à apporter, car on passe souvent par le monde cybernétique pour soutenir les activités terroristes. Il est à prévoir que ce sera une tendance à la hausse, tant en ce qui a trait au soutien des activités terroristes par des moyens cybernétiques qu'à l'évolution des cyberattaques elles-mêmes.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avez-vous identifié des groupes ou des gens qui pourraient devenir des cybercriminels?

[Traduction]

M. Peirce : Le SCRS ne fait pas enquête sur les activités criminelles en tant que telles, alors nos enquêtes visent les menaces à la sécurité nationale. Les enquêtes sur les activités criminelles sont plutôt du ressort de la GRC et des autres services de police.

Le sénateur Dawson : Monsieur Peirce, vous n'avez pas parlé de la Chine. Vous avez été très diplomate, même si votre travail ne relève pas de la diplomatie. Vous avez parlé des investissements étrangers et des défis que cela pose pour la sécurité, et je parle de l'espionnage industriel. On estime qu'environ 50 p. 100 des profits des entreprises chinoises proviennent des sociétés appartenant à l'État. On sait également maintenant que certaines sont la cible des influences de la corruption familiale, et il y a beaucoup de corruption au sein de ces entreprises chinoises.

La transaction la plus importante à avoir été conclue est celle entre la CNOOC et Nexen, une transaction d'un milliard de dollars. Devons-nous nous attendre à ce que tout à coup, parce qu'ils traversent l'océan Pacifique, ils laissent...

[Français]

Laissent-ils leurs mœurs en Chine ou les apportent-ils avec eux?

[Traduction]

M. Peirce : Oui, j'ai pris soin de ne nommer aucun pays en particulier.

Il est certain que les sociétés appartenant à l'État amènent d'abord avec elles les activités qui ont lieu dans le pays hôte. C'est donc dire que la corruption est un phénomène très inquiétant. De plus, les liens politiques et le travail fait pour l'État — ce sont des sociétés d'État, après tout — sont des facteurs clés.

Quand il est question de la Chine, par exemple, on voit un pays qui a le besoin existentiel de contrôler l'accès aux ressources. La Chine va tenter activement, par l'entremise de ses sociétés d'État, d'avoir accès aux ressources et va importer par la même occasion bon nombre des difficultés que cela comporte.

Parallèlement, les sociétés chinoises qui s'implantent en Amérique du Nord le font selon les normes locales et leurs pratiques d'affaires sont assujetties à nos lois et règlements. Ce n'est pas la même chose; le contexte est différent lorsque les entreprises s'installent au Canada.

Le sénateur Dawson : Je ne cite pas souvent le premier ministre, ni n'endosse ses propos, mais je vais vous répéter ce qu'il a dit en décembre 2012 lors de l'annonce de la transaction.

Quand on dit que le Canada est ouvert aux affaires, nous ne voulons pas dire que le Canada est à vendre aux gouvernements étrangers.

Il disait que les choses avaient changé; nos entreprises ne sont plus achetées par des sociétés étrangères, mais plutôt par des gouvernements étrangers.

À quel point pourrait-on attribuer la réalité sous-entendue dans ce commentaire au nationalisme économique? D'après ce que vous savez de leurs ambitions en Amérique du Nord, devrait-on être un peu nerveux?

M. Peirce : Je n'essaierai pas de deviner sur quoi se fondent les opinions du premier ministre. Nous nous assurons de conseiller le gouvernement au sujet des menaces stratégiques et tactiques liées aux investissements faits par les sociétés appartenant à l'État. Il revient ensuite aux décideurs du gouvernement de suivre ou non nos conseils.

Le sénateur Dawson : C'est le Comité des affaires étrangères, alors nous avons l'habitude d'entendre des réponses diplomatiques; mais merci d'avoir répondu à la question.

La présidente : Nous vous avons invité pour parler d'un sujet bien précis et nous comprenons que vous vouliez vous en tenir à cela. Mais c'était bien essayé, sénateur Dawson.

[Français]

La sénatrice Verner : Monsieur Peirce, concernant le domaine des cyberattaques, vous avez déjà répondu à certaines de mes questions posées par mes collègues précédemment. Mais il demeure malgré tout des faits au-delà des réponses diplomatiques.

On a pu lire dans les manchettes qu'il y avait eu beaucoup de cas de piratages informatiques et de cyberattaques envers des intérêts canadiens qui semblaient venir de la Chine.

Est-ce véritablement dans la région Asie-Pacifique que se trouve à ce moment-ci la principale source d'attaques de tel genre?

[Traduction]

M. Peirce : Vous avez raison, la question a souvent fait les manchettes.

[Français]

Les manchettes ont identifié la Chine comme étant l'acteur principal.

[Traduction]

Je vous dirais que rien n'indique le contraire.

[Français]

La sénatrice Verner : Dans un autre ordre d'idées, comment nos alliés nous perçoivent-ils en matière de cybersécurité et en ce qui a trait à notre capacité de lutter contre ce fléau?

Nos alliés trouvent-ils qu'on en fait assez, qu'on est assez avancé, qu'on est assez proactif, qu'on fait suffisamment pour contrer ce fléau?

[Traduction]

M. Peirce : Si j'ai bien compris la question, et je suis désolé si la dactylographie m'a empêché de bien entendre, nous devons constamment revoir nos méthodes en raison de l'évolution rapide des cyberactivités. Nous continuons d'affiner notre capacité d'enquête dans ce secteur, et nous repensons notre structure organisationnelle au gouvernement pour la gestion de la cybermenace. Nous ferons toujours de notre mieux pour devancer la menace. Nous avons des techniques — dont je ne peux évidemment pas parler — pour recueillir les renseignements nécessaires afin d'avoir une longueur d'avance. La difficulté vient du fait que la menace peut se transformer très rapidement, alors nous devons faire preuve de vivacité.

Honnêtement, nous manquons de ressources à cet égard, et nous devons établir des priorités quant à l'utilisation des ressources.

[Français]

La sénatrice Verner : Vous répondez en partie à ma question. J'allais vous demander ce qu'on pourrait faire de plus dans ce domaine, et je comprends que les ressources sont un élément clé dans la façon de contrer le problème.

[Traduction]

M. Peirce : Il y a également la collaboration avec les intervenants en sécurité nationale et avec le secteur privé. On constate effectivement qu'une grande quantité de cyberactivités ciblent le secteur privé. C'est une question délicate pour les acteurs du secteur privé. Ils ne veulent pas nécessairement ébruiter le fait qu'ils ont été victimes d'attaques. Ils reconnaissent cependant l'importance de la collaboration. Nous multiplions les efforts pour collaborer avec le secteur privé et nos collègues du gouvernement.

Le sénateur Robichaud : Pouvez-vous nous décrire quelques cybermenaces et en quoi elles consistent?

M. Peirce : Je vais vous donner un exemple de cyberattaque. Une des façons classiques de lancer une cyberattaque est de faire de l'hameçonnage. Il s'agit de recueillir de l'information sur quelqu'un, peut-être sur Internet ou par une source humaine. On détermine quels sont les intérêts de cette personne, qui sont ses contacts. On lui envoie ensuite un courriel en utilisant un de ses contacts comme destinataire. Dans ce courriel, il y a un lien sur un sujet qui l'intéresse. Je joue souvent les entraîneurs de hockey parce que j'ai trois jeunes enfants, alors on pourrait m'envoyer un lien sur le travail d'entraîneur de hockey. Quand on clique sur ce lien, on lance un programme qui permet d'accéder à tout le contenu de l'ordinateur et d'en extraire les informations.

On voit ce genre de choses dans bien des secteurs. Par exemple, une société d'État pourrait utiliser cette tactique pour en savoir plus sur la compagnie dans laquelle elle souhaite investir, mais aussi sur l'organisme de réglementation, les ministères et organismes chargés de l'évaluation et de l'approbation de la transaction, les responsables des politiques entourant la transaction, et même les cabinets d'avocats privés qui ont conseillé les différentes parties.

L'extraction de cette information donne à la société d'État un net avantage dans la gestion de tout ce qui entoure la transaction.

Le sénateur Robichaud : J'ai reçu un appel l'autre jour. Une personne me demandait si j'avais un ordinateur. Je lui ai répondu « Pourquoi voulez-vous savoir ça? ». Il semblerait qu'un ordinateur chez moi était en train de télécharger quelque chose... je ne m'y connais pas tellement en informatique. J'ai demandé où était cet ordinateur, et elle m'a donné une adresse. Je n'ai pas compris que c'était mon adresse, mais je lui ai dit qu'elle avait le mauvais numéro. Puis, hier soir, quelqu'un est venu frapper à ma porte et m'a demandé si j'avais un ordinateur.

Le sénateur D. Smith : C'était quelqu'un du SCRS?

Le sénateur Robichaud : Non, pas du SCRS, non... Eh bien, je ne sais pas, c'est possible.

M. Peirce : Juste une précision : ce n'était pas quelqu'un du SCRS.

Le sénateur Robichaud : Quelqu'un de l'ASFC?

Le sénateur Demers : Ce n'est pas d'un ordinateur dont vous avez besoin, mais d'un psychiatre.

Le sénateur Robichaud : Je ne serais pas le seul.

M. Peirce : On voit toutes sortes d'arnaques. Ce sont parfois des criminels locaux qui s'adonnent à ces activités à petite échelle. Quelqu'un m'a appelé l'autre jour pour me dire que j'avais gagné une croisière. J'ai aussi reçu un courriel me demandant d'aider quelqu'un au Nigeria; un petit prêt et tout serait réglé.

Le sénateur Robichaud : J'ai aussi gagné au loto quelques fois.

M. Peirce : Exactement. Je ne veux pas donner de conseil direct sur une chose en particulier, mais c'était probablement une activité de cette catégorie.

Le sénateur Oh : Messieurs, je vous félicite, vous et vos organisations, pour le bon travail que vous avez fait pour contrer la migration clandestine au Canada. Je crois qu'on y a mis fin il y a quelques années. Merci pour votre excellent travail.

Vous vous souviendrez de l'attentat à la bombe qui est survenu à Bali il y a quelques années. De plus en plus d'entreprises étrangères viennent s'installer sur la côte du Pacifique. Est-ce que ce genre de choses pourrait se reproduire?

M. Rumig : Est-ce que votre question s'adresse à l'ASFC?

Le sénateur Oh : À l'un ou l'autre d'entre vous.

M. Rumig : Merci pour votre commentaire sur le travail collectif qui a été fait pour mettre un frein, notamment, à la migration clandestine. Nous sommes très fiers de pouvoir contrer ce phénomène, mais nous sommes conscients que c'est un défi qui demeure et que nous ne pouvons pas relâcher notre vigilance. Je veux préciser que c'est toujours une menace très importante.

Pour ce qui est des menaces qui guettent les Canadiens et les investissements canadiens à l'étranger, en particulier en Asie-Pacifique, on ne peut que reconnaître qu'il y a toujours des risques. Ce n'est pas nécessairement que les Canadiens ou les entreprises canadiennes sont précisément ciblés, mais il se peut qu'ils se trouvent dans des régions qui sont dans la mire des terroristes locaux ou des organisations criminelles locales. Ils pourraient donc être victimes d'attaques terroristes et de gestes criminels. On peut certainement affirmer que ce sera toujours une réalité.

Je ne sais pas si mes collègues du SCRS veulent ajouter quelque chose.

M. Peirce : Je crois que c'est une analyse très juste. J'ai mentionné dans ma déclaration liminaire que la plupart des activités terroristes là-bas visent une région en particulier. Vous risquez fort, par contre, d'être emporté par la vague si vous faites des affaires dans la région visée.

La Jemaah Islamyiah, responsable de l'attaque à Bali en 2002, est l'un des quelques groupes à cibler encore les intérêts occidentaux — pas seulement les intérêts canadiens, mais l'ensemble des intérêts occidentaux —, alors cela accentue les risques pour les intérêts canadiens, qui pourraient se retrouver au centre de tout cela. Mais les risques les plus courants pour les Canadiens et les intérêts canadiens, ce sont les dommages collatéraux des attaques régionales.

Le sénateur Oh : Vous n'avez pas à répondre à ma deuxième question si vous jugez que le sujet est trop délicat. Pour nos amis du sud qui habitent à Moscou en ce moment, est-ce qu'on peut considérer cela comme un cas grave de cyberespionnage?

M. Peirce : Je crois que je vais m'abstenir.

Le sénateur Oh : C'est très bien. Merci.

La présidente : J'ai trois sénateurs sur ma liste et il reste cinq minutes. Je vais donc vous proposer de poser vos questions et nos invités pourront y répondre du mieux qu'ils pourront.

Le sénateur D. Smith : J'en ai deux, mais je vais y aller rapidement.

Au début, vous avez indiqué que vous tentiez de collaborer avec les organismes de renseignement étrangers pour obtenir de l'information concernant des immigrants illégaux, puis il a été question des navires tamouls. Je suis curieux. Dans le cas du Sri Lanka, le gouvernement est totalement dominé par la communauté cinghalaise, à 75 ou 80 p. 100, tandis que les Tamouls se concentrent dans le nord du pays et représentent environ 20 p. 100 de la population. Pourtant, la plupart de ceux qui arrivent ici sont Tamouls.

Est-il possible d'obtenir des renseignements du gouvernement cinghalais sur les Tamouls, ou existe-t-il des organisations tamoules — des organisations légitimes, de bonne foi — avec lesquelles vous pouvez vous entretenir à ce sujet? Voilà ma première question.

La seconde question porte sur les tendances en matière d'immigration irrégulière. Compte tenu des problèmes que nous avons rencontrés dans le passé, je pourrais citer beaucoup de cas du Chili, de la Jamaïque, de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie. Vous avez entendu parler de ces cas, de même que de ceux des Tamouls. Il est intéressant de vous entendre dire que le nombre d'immigrants chinois devient de plus en plus important; bien sûr, cela comprend des immigrants réguliers, mais aussi irréguliers. Quelles tendances constatez-vous sur ce plan? Les Chinois viennent-ils au Canada en tant que visiteurs pour ensuite simplement disparaître ou s'installer ici? Viennent-ils de tiers pays? Quelles tendances se dégagent? En général, on peut dégager certaines tendances relativement à la façon d'entrer au pays.

La sénatrice Johnson : Quelques-unes de mes questions ont été posées.

Les grandes priorités du SCRS sont l'espionnage, l'ingérence étrangère et les menaces informatiques. Pourriez-vous nous dire, de façon générale, dans quelle mesure certains pays de l'Asie-Pacifique pratiquent l'espionnage et l'ingérence étrangère en sol canadien ou ailleurs?

Le président : Merci, madame la sénatrice Johnson.

Passons maintenant au dernier intervenant, le sénateur Demers.

Le sénateur Demers : Merci.

Je suis Canadien. On dit que le Canada demeure un des pays les plus sûrs au monde. Beaucoup d'entre nous pourraient se rendre aux États-Unis en l'espace d'une heure et demie. Il s'agit d'un des pays les plus détestés au monde — sans vouloir manquer de respect envers les États-Unis. En passant, trois de mes enfants sont Américains.

Ce sont nos voisins. Cela doit présenter un immense défi. Sommes-nous aussi à l'abri des menaces que nous le pensons? Nous nous sentons vraiment en sécurité ici, mais tant de choses arrivent autour de nous.

Le président : Monsieur Peirce, je vous cède la parole pour répondre aux questions de votre choix, ensuite ce sera au tour de M. Rumig.

M. Peirce : En ce qui concerne la première question, malheureusement, je ne pourrai par vous fournir de noms de pays.

Le sénateur D. Smith : Je me doutais bien que c'est ce qu'on me répondrait, mais j'ai posé la question quand même.

M. Peirce : Malheureusement, nous devons maintenir des relations avec ces pays.

Je vais laisser à mes collègues de l'ASFC le soin de répondre à la question sur les tendances en matière d'immigration.

Mes réponses risquent de vous décevoir.

De toute évidence, certains pays de l'Asie-Pacifique pratiquent l'espionnage à l'égard du Canada, tant ici qu'ailleurs, notamment le cyberespionnage. Cependant, je ne souhaite pas donner le nom de ces pays, et ce, pour deux raisons. Premièrement, il s'agit d'une étiquette très lourde à leur accoler et, deuxièmement, cela compromettrait nos enquêtes visant à démasquer ces activités.

Quant à la dernière question : Sommes-nous aussi à l'abri des menaces que nous le pensons? Comme je l'ai dit plus tôt, je ne dors pas bien la nuit pour plusieurs raisons. Une des raisons est physique : je dors tout simplement mal.

Le sénateur Demers : Si vous vous y prenez bien, je m'arrangerai pour que votre fils joue pour les Canadiens de Montréal.

M. Peirce : Du fait que j'aime beaucoup les Canadiens, je vais faire de mon mieux. Il a 16 ans; pensez-vous pouvoir lui assurer une place là-bas?

Nous subissons des menaces à l'intérieur du pays, et vous en entendez parler dans les journaux quand celles-ci ont été écartées et qu'il y a eu des arrestations. La menace contre des lignes de chemin de fer dans le sud de l'Ontario et celle contre l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique constituent seulement deux des cas récents où des arrestations ont été effectuées grâce à la collaboration des organismes de sécurité nationale. Nous travaillons très fort pour écarter de telles menaces au pays.

Par ailleurs, nous sommes très préoccupés par les gens qui se rendent à l'étranger pour participer à des activités djihadistes. Par exemple, un grand nombre de personnes se rendent en Syrie, ce qui, en soi, est préoccupant parce que cela favorise l'exportation de cette activité. C'est aussi très inquiétant quand ces personnes reviennent au pays, parce qu'elles ramènent tant le savoir-faire que la crédibilité nécessaire pour radicaliser d'autres personnes de leur milieu. J'appelle cela le problème des lapins; ces déplacements grossissent constamment leurs rangs. Voilà certaines de nos préoccupations.

Les activités d'espionnage continuent de prendre de l'ampleur et d'être facilitées, particulièrement dû aux activités électroniques, mais aussi en raison des nouvelles réalités qui incitent à l'espionnage — notamment l'espionnage économique, qui devient de plus en plus courant — et des conflits qui surgissent partout dans le monde. Ceux-ci créent des régions non gouvernées ou déchirées par la guerre, ce qui donne lieu à des menaces toujours plus nombreuses.

Je termine en parlant de la prolifération des armes de destruction massive. Prenons la menace nucléaire en Iran et dans la Corée du Nord, qui est très pertinente dans le cadre de la présente discussion, mais aussi l'utilisation des armes chimiques et biologiques.

M. Rumig : J'aimerais commencer par la dernière question qui a été posée, concernant la sécurité des gens au Canada. Étant donné que l'expert en matière de renseignement ne dort pas bien la nuit, je pense que je ne dormirai pas bien ce soir.

Je me fais l'écho de M. Peirce, quand je dis que, oui, notre pays est pacifique : nous sommes très bien ici et nous continuerons de l'être. Toutefois, nous ne nous reposons pas sur nos lauriers. Personne ne le fait. Quand beaucoup de faits sont rendus publics, les gens remettent en question l'efficacité du service de renseignement de sécurité au pays. Soyez assurés que beaucoup de choses arrivent chaque semaine au chapitre du renseignement et des menaces. Ces faits ne sont pas rendus publics, et c'est probablement une bonne chose.

En ce qui concerne la question de savoir si nous pouvons compter sur la coopération du gouvernement du Sri Lanka, je vais répéter ce que M. Peirce a dit. Nous devons faire preuve de circonspection à ce sujet, étant donné que nous entretenons un dialogue et des relations avec les responsables de ce pays. D'ailleurs, un agent de l'ASFC est posté à Colombo.

Je vais m'en tenir à cela. Cependant, j'aimerais ajouter que beaucoup de Sri Lankais qui viennent au Canada, du moins parmi les migrants irréguliers, ne viennent pas du Sri Lanka, mais d'autres régions de l'Asie du Sud-Est, où ils prétendent vivre ou ont vécu pendant deux ou trois ans. Nous entretenons une bonne collaboration avec ces pays sur le plan du partage des renseignements et des mesures d'interdiction. Nous sommes en mesure d'écarter les menaces grâce au partage des renseignements et au renforcement de nos effectifs sur le terrain pour mettre fin à l'arrivée en grand nombre d'immigrants clandestins ou d'individus qui arrivent en ayant recours à d'autres moyens.

Pour ce qui est des tendances des immigrants de la République populaire de Chine, je crois que ma collègue, Mme Soper aurait des choses à dire à ce sujet.

Mme Soper : J'aimerais faire quelques remarques au sujet des tendances en matière de migration chinoise. C'est au Canada que l'on rencontre surtout des immigrants irréguliers de la Chine. Ces personnes ont recours à des moyens légitimes pour venir au Canada, notamment en obtenant des visas d'étude ou de travail, ou en revendiquant le statut de réfugié au Canada. En général, les gens arrivent directement de la Chine. Une fois au Canada, ils décident de faire appel au système de protection des réfugiés, contrairement à beaucoup d'autres, comme les gens du Sri Lanka. Chez ces derniers, il y a un plus grand nombre de cas irréguliers, de gens dont nous interdisons l'entrée à bord d'un avion à destination du Canada ou l'entrée au pays à leur arrivée parce qu'ils n'ont pas tous les papiers nécessaires ou présentent de faux papiers.

La présidente : Merci. Nous avons dépassé le temps qui nous était alloué. Or je sais que d'autres sénateurs auraient souhaité poser des questions. Le sénateur Oh voulait en poser. J'invite donc les sénateurs à me présenter leurs questions, parce j'aimerais en poser d'autres aussi — et je vous assure que celles-ci relèvent de vos compétences —, pour que nous puissions les comparer. Nous avons étudié d'autres domaines et nous avons bénéficié des renseignements que vous nous avez fournis. Nous aimerions établir certaines comparaisons avec notre rapport précédent. Vous recevrez probablement une lettre de la part de notre recherchiste avec nos questions. Si vous êtes en mesure d'y répondre, nous vous en serions très reconnaissants.

Vous pouvez constater qu'il nous aurait fallu plus de temps. Nous vous inviterons peut-être à comparaître de nouveau, au besoin. Merci d'avoir répondu à nos questions et d'avoir permis de consigner ces renseignements au compte rendu.

(La séance est levée.)


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