Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 21 - Témoignages du 5 février 2015


OTTAWA, le jeudi 5 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 29, pour étudier les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie- Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour, honorables sénateurs, je tiens à vous informer que le témoin qui devait participer à la deuxième partie de notre séance, que nous allions consacrer à notre autre renvoi, n'a pas été en mesure de venir aujourd'hui.

Nous étudions en ce moment les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions, et nous accueillons des représentants de l'organisation The Border Consortium, soit Mme Sally Thompson, directrice exécutive; et M. Duncan McArthur, directeurs des partenariats. Nous recevons également des représentants d'Inter Pares, soit M. Kevin Malseed, directeur de programme; et Mme Rebecca Wolsak, gestionnaire de programme.

Je crois comprendre que M. Malseed fera son exposé en premier. Vous m'avez déjà indiqué que vous saviez qu'après les exposés, nous passerions aux questions des sénateurs. Soyez donc les bienvenus à la séance du comité.

Kevin Malseed, directeur de programme, Inter Pares : Je vous remercie tous infiniment de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Je vais me présenter moi-même. Je m'appelle Kevin Malseed, et ma collègue s'appelle Rebecca Wolsak. Nous sommes tous deux des gestionnaires de programmes à Inter Pares, une ONG établit à Ottawa qui lutte pour la justice sociale.

Inter Pares appuie la société civile de la Birmanie depuis plus de 20 ans. Au cours des 15 dernières années, nous avons administré les seuls programmes non multilatéraux liés à la Birmanie que l'ACDI et le MAECD offrent. En juin 2014, Rebecca a comparu devant votre comité, en compagnie de certains de nos partenaires en santé de longue date. Ces partenaires sont dirigés par Dre Cynthia Maung, que nous avons invitée au Canada afin qu'elle étudie le système de santé publique fédéral de notre pays dans l'espoir qu'un système semblable soit développé en Birmanie.

Aujourd'hui, nous sommes ici pour vous présenter un autre de nos partenaires clés, c'est-à-dire l'organisation The Border Consortium, ou le TBC. Depuis le milieu des années 1980, toute l'aide humanitaire destinée aux réfugiés birmans de la Thaïlande ainsi que l'aide importante apportée aux personnes déplacées à l'intérieur de la Birmanie ont été acheminées principalement par le TBC. Le TBC joue maintenant un rôle clé dans la transition de la Birmanie en se préparant pour le retour éventuel des réfugiés et en trouvant des solutions durables pour les personnes déplacées à l'intérieur du pays. Cela exige qu'il se repère dans un milieu complexe composé d'un gouvernement birman quasi militaire, d'une junte militaire en Thaïlande, de divers groupes armés non étatiques, de cessez-le-feu fragiles et d'une situation des droits de la personne qui ne s'améliore pendant une année que pour se détériorer pendant l'année suivante.

Aujourd'hui, nous sommes accompagnés de Sally Thompson, la directrice exécutive de TBC, et de Duncan McArthur, son directeur des partenariats, qui vous expliqueront comment leur travail change en fonction de l'évolution de la situation en Birmanie. Si vous combinez les années de service de ces deux représentants, vous obtenez au moins 40 années d'expérience de travail dans ce contexte très difficile.

Le gouvernement canadien appuie le travail de TBC par l'intermédiaire d'Inter Pares depuis beaucoup plus que 15 ans maintenant et, bien qu'il ne soit pas leur premier bailleur de fonds en importance, il l'est sur le plan de la stabilité et de la souplesse. Cependant, le financement sur cinq ans que nous recevons du MAECD tire à sa fin. L'aide financière que le Canada apportait aux réfugiés et aux personnes déplacées par l'entremise de TBC a pris fin en décembre 2014, et le financement accordé aux partenaires en santé que vous avez rencontrés récemment prendra fin dans quelques mois. Le financement que nous recevions pour défendre les droits des femmes, les droits de la personne et les médias indépendants tire également à sa fin.

En mai 2014, Inter Pares a présenté une proposition au MAECD dans l'espoir de pouvoir faire avancer ce travail important pendant toute la période de transition de la Birmanie, mais il y a plus de huit mois de cela, et nous n'avons pas encore reçu d'indication que le ministère a pris une quelconque décision. Le travail de TBC n'est pas financé par le Canada cette année. Compte tenu du fait que des élections sont à l'horizon en Birmanie et qu'il est nécessaire de développer une démocratie plus pluraliste là-bas, nous ne pouvons qu'espérer que le Canada décidera d'appuyer un travail aussi essentiel pendant cette période cruciale.

Sally Thompson, directrice exécutive, The Border Consortium : J'aimerais profiter de cette occasion pour remercier infiniment les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international de nous avoir invités ici aujourd'hui pour que nous les exposions davantage à notre travail et à la situation qu'affrontent les réfugiés déplacés dans les collectivités de la Birmanie et de la Thaïlande touchées par les conflits.

TBC est une ONG établie à Bangkok. Récemment, nous avons ouvert un bureau à Yangon pour appuyer la transition de nos partenaires locaux ainsi que le retour et la réintégration futures des réfugiés et des personnes déplacées à l'intérieur de la Birmanie. En 2014, notre programme nous a permis d'atteindre et de soutenir près d'un quart de million de réfugiés, de personnes déplacées à l'intérieur de la Birmanie et d'habitants de collectivités touchées par les conflits dans le Sud-Est de la Birmanie. Tout ce soutien a été apporté dans le cadre de programmes communautaires. Comme Kevin l'a souligné, au cours des 15 dernières années, nous recevions des fonds de l'ACDI pour financer notre programme. À l'heure actuelle, notre budget s'élève à un peu moins de 30 millions de dollars par année et sert à financer des aliments, des abris pour les réfugiés, le développement des capacités en matière de gestion des collectivités, ainsi que le rétablissement et la réinsertion sociale des communautés déplacées et touchées par les conflits du Sud-Est de la Birmanie.

Il y a trois ans, nous avons commencé à nous préparer pour le retour de ces gens, car les cessez-le-feu conclus entre les groupes ethniques armés ont apporté l'espoir et l'optimisme après des dizaines d'années de conflit dans le Sud-Est de la Birmanie. Toutefois, nous devons reconnaître trois ans plus tard qu'en dépit du rythme surprenant des réformes politiques sur le terrain, l'élan est en perte de vitesse. En ce moment, les négociations pour conclure un accord de cessez-le-feu à l'échelle nationale tâtonnent. L'enthousiasme initial, l'élan créé et l'espoir du retour vacillent vraiment pour l'instant, à un moment critique.

En Thaïlande, les choses ont également changé. Le coup d'État militaire de l'année dernière a ouvert la porte à l'armée, et nous devons admettre que cela change la donne dans le pays. Le changement est lié à l'ordre. Si les militaires thaïlandais ont confirmé que la politique de la Thaïlande à l'égard des réfugiés ne changerait pas, nous remarquons la volonté des militaires de faire respecter généralement la politique pendant qu'ils cherchent à faire reconnaître leur légitimité. Les relations entre l'armée thaïlandaise et l'armée birmane se renforcent. Elles sont clairement en train de développer des rapports amicaux.

En ce qui concerne les réfugiés qui sont au nombre de 110 000 dans les camps, nous finançons leur nourriture, leurs abris et la gestion communautaire des camps. La politique à leur égard n'a pas changé, mais elle est très simple. La Thaïlande leur accorde un asile temporaire, mais ils ne doivent pas quitter les camps ou travailler à l'extérieur de ceux- ci.

Cependant, tous les intervenants, c'est-à-dire les militaires thaïlandais, le gouvernement birman, le HCR, les réfugiés et les acteurs non étatiques, s'entendent pour dire que la situation actuelle au Myanmar ne favorise pas le retour des réfugiés.

Quel effet tout cela a-t-il eu sur les mouvements de la population des camps? Au fil des ans, nous avons observé une diminution graduelle de ces populations principalement attribuable à la réinstallation de certains réfugiés dans des tiers pays, qui comprennent le Canada. Pendant cette période, le Canada a accepté d'aider un peu moins de 5 000 réfugiés à se réinstaller ici.

Au cours de la dernière année, nous avons été témoins non seulement de réinstallation de réfugiés dans d'autres pays, mais aussi de déplacements de petite envergure vers la Birmanie. Environ 4 500 personnes ont quitté les camps pour retourner en Birmanie, mais il s'agissait principalement de visites de reconnaissance. Les gens revenaient temporairement pour examiner la situation dans leur village. À quoi ressemblait-elle? Où était l'armée? Pourraient-ils avoir accès à leurs terres? Quelle était la probabilité d'assurer sa subsistance là-bas, de faire des récoltes? Voilà les questions qu'ils se posaient. Au cours de l'année courante, certaines de ces personnes reviendront dans les camps où ils ont laissé leur famille, et nous en apprendrons davantage sur la situation à l'intérieur du pays.

Nous avons également vu quelque 3 500 réfugiés quitter les camps pour aller quelque part en Thaïlande. Il est probable qu'ils sont partis chercher du travail au sein des collectivités d'immigrants afin de soutenir les membres de leur famille dans les camps et de compléter l'aide vraiment de base qu'ils reçoivent.

Quel est le point de vue des réfugiés? Comment des cessez-le-feu ont été conclus, pourquoi ne retournent-ils toujours pas là-bas?

Eh bien, en ce qui les concerne, l'armée est toujours dans leur village, et c'est l'armée qu'ils ont essentiellement fuie. Ils veulent être en sécurité et être protégés. Ils ne font pas confiance aux autorités. Leur confiance dans le processus de paix et les négociations d'accords de cessez-le-feu est extrêmement hésitante. Par conséquent, ils manquent... en règle générale, après avoir fui l'armée pendant des années, les soupçons que les réfugiés entretiennent à l'égard de l'armée sont très ancrés, et l'armée mettra des années à regagner leur confiance.

L'emplacement de l'armée n'est pas la seule chose qui les préoccupe. Il y a d'autres obstacles à surmonter, notamment le manque d'accès aux terres et à des moyens d'existence, mais, fondamentalement, leur principale préoccupation est liée à la protection et à la sécurité.

Qu'est-ce que cela signifie? S'ils ne retournent pas encore en Birmanie, cela nous donne le temps de nous préparer. Dans les camps, notre priorité est passée des soins et de l'entretien à la façon dont nous pouvons apprendre aux gens à devenir plus autonomes et changer leur façon de penser afin qu'ils commencent à prendre un plus grand nombre d'initiatives en vue de se débrouiller davantage, parce que le jour où ils retourneront en Birmanie, ils devront se mettre très vite au travail et rétablir leurs moyens d'existence aussi rapidement que possible. Par conséquent, la communauté humanitaire met l'accent sur le fait qu'on doit transférer des responsabilités aux réfugiés et les encourager à se débrouiller davantage. En ce qui nous concerne, nous nous employions surtout à aider les membres les plus vulnérables des camps.

Toutefois, depuis que les militaires ont pris le contrôle de la Thaïlande, nous avons remarqué qu'ils cherchaient à faire respecter la politique à l'égard des réfugiés et à imposer des restrictions aux habitants des camps. La politique qui vise à confiner les réfugiés dans les camps a restreint les déplacements. La politique limite leurs occasions de sortir des camps en vue de trouver du travail et des moyens de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Comme les gens doivent rester à l'intérieur des camps, ils dépendent inévitablement davantage de l'aide humanitaire.

Juste au moment où nous vivons, si vous voulez, un retour en arrière au chapitre de la dépendance envers l'aide, nous constatons que les donateurs se désintéressent des réfugiés. Après 30 années, les donateurs ont fini par se lasser de donner, et certaines régions manquent d'intérêt à l'égard du sort des réfugiés, mais le problème est aussi attribuable aux autres crises partout dans le monde, dont la Syrie n'est pas la moindre, qui entrent en concurrence pour obtenir de l'aide humanitaire.

Ce qui pose peut-être un problème aux donateurs, c'est l'absence de mécanisme pour régler les situations de réfugiés qui se prolongent. En général, pour obtenir des fonds, nous devons soutenir la concurrence d'autres problèmes de réfugiés qui traînent en longueur, mais qui sont liés à des situations d'urgence comme la Syrie ou le typhon Hainan. De telles comparaisons ne sont pas réalistes. Dans nos camps, les réfugiés ne sont pas dans une situation d'urgence; nous avons atteint un stade où nous pouvons entrevoir la fin. Une solution est très près d'avoir été trouvée. Le retour des réfugiés en Birmanie, dans leur foyer, est très proche.

C'est le moment où nous voulons dire aux gens qu'il faut s'engager à persévérer, à aller jusqu'au bout de la situation de réfugiés, afin que nous puissions affirmer avoir fait du bon travail et avoir créé un exemple de réussite dans lequel les réfugiés ont pris leur vie en main, sont devenus plus autonomes et ont pris un plus grand nombre d'initiatives. Pendant les 30 dernières années qu'ils ont passées dans les camps, ils ont essentiellement été responsables de leur vie et, lorsqu'ils retourneront en Birmanie, nous verrons qu'ils sont capables de réintégrer des collectivités, dont les autres membres n'ont jamais quitté le pays, et de contribuer à la reconstruction de ces collectivités.

Le principal message que j'adresse au Canada aujourd'hui est que nous cherchons des donateurs qui sont déterminés à accompagner les réfugiés jusqu'au bout, parce que nous croyons que l'avenir ou la solution est visible. Après des dizaines d'années de conflit, nous pouvons vraiment espérer que, très bientôt, les réfugiés auront la possibilité de retourner dans leur patrie.

J'aimerais conclure ici et céder la parole aux sénateurs afin qu'ils puissent formuler des questions. Mon collègue est Duncan McArthur, et il dirige les programmes, dont en particulier ceux qui visent les collectivités du Sud-Est touchées par les conflits. Nous cherchons maintenant à appuyer ces collectivités afin qu'elles se rétablissement également et se sentent prêtes à accueillir les réfugiés et les personnes déplacées à l'intérieur du pays lorsqu'ils reviendront.

Merci beaucoup.

La présidente : Je vous remercie de votre exposé. Il y a peut-être deux questions que vous pourriez clarifier étant donné que de nouveaux membres se sont joints au comité depuis que nous avons commencé cette étude.

Premièrement, quel rôle le HCR et d'autres organismes internationaux jouent-ils dans cette situation? Autrement dit, il serait utile à la fois à notre auditoire et aux sénateurs de connaître le statut juridique de la situation sur la scène internationale.

Deuxièmement, les nouvelles émanant de la Birmanie indiquent clairement que, dans les régions où les réfugiés se réinstalleraient, certaines personnes s'opposent à leur retour. Comment cet obstacle sera-t-il géré?

Mme Thompson : En effet, la situation à la frontière est unique. Dans l'ensemble, le HCR est responsable des réfugiés. C'est l'organisme qui coordonne tous les services offerts aux réfugiés, tant sur le plan humanitaire qu'au chapitre de la protection.

Pendant 14 ans, la coordination de tous les services humanitaires relevait des ONG. Le HCR est arrivé plus tard, et il est uniquement chargé d'assurer la protection des réfugiés. Par conséquent, nous travaillons en partenariat avec lui. Le HCR assure la protection des gens là-bas, et les ONG, sous l'autorité de leur propre organisme de coordination, sont responsables de tous les services humanitaires, dont la nourriture, les abris, les soins de santé et l'éducation.

Cependant, le HCR est l'organisme mandaté pour assurer le retour volontaire des réfugiés. Nous coordonnerons donc nos efforts avec le HCR quand nous envisagerons de nous assurer que les conditions requises pour un retour volontaire sont remplies avant de promouvoir ce retour. Nous collaborons en ce moment avec le HCR, et il a déjà élaboré une feuille de route stratégique pour l'éventuel retour volontaire des réfugiés.

Duncan aimerait peut-être formuler des observations concernant la façon dont nous gérons ces efforts. Nous sommes tout à fait conscients de la réelle possibilité que des conflits sociaux surviennent en raison de la présence dans les collectivités des gens qui sont restés derrière.

Duncan McArthur, directeur des partenariats, The Border Consortium : Je remercie le comité d'avoir pris le temps de nous entendre aujourd'hui.

Avant de passer à ce sujet, je vais ajouter quelques précisions à la réponse qui vous a été donnée à propos du HCR. Cela signifie que nous ne sommes pas en mesure d'utiliser le système de l'ONU pour accéder aux fonds multilatéraux; le Canada et les autres gouvernements apporteront une contribution au HCR, mais elle ne pourra pas servir à financer la nourriture, les soins de santé, l'éducation et les abris destinés aux 110 000 réfugiés qui se trouvent dans les camps. C'est la raison pour laquelle, nous avons besoin que des arrangements bilatéraux soient pris relativement à la collecte de fonds. Cette situation est unique en son genre à l'échelle mondiale.

En ce qui concerne la deuxième question au sujet de la réticence, le cas échéant, des communautés qui sont restées derrière et du fait qu'elles pourraient penser que les réfugiés ont été gâtés et qu'ils n'ont pas été forcés d'endurer les moments difficiles, je pense que cette communauté est principalement homogène. Il y a différents groupes ethniques, mais les réfugiés retourneront dans les mêmes régions ethniques qu'ils habitaient auparavant. Ils ont des parents dans ces régions, des familles élargies. Dans une certaine mesure, cette situation n'est pas aussi dramatique ou grave qu'on pourrait le penser, sauf peut-être pour la population musulmane des camps, qui représente à peu près 8 p. 100 de la totalité des réfugiés.

Cela m'amène à parler du discours haineux plus général et de la calomnie dont font l'objet les minorités religieuses et la population musulmane de Birmanie. Nous avons vu, en particulier, les moines bouddhistes ultranationalistes attiser cette haine au cours des deux ou trois dernières années.

Au début, on ciblait les Rohingya de l'État de Rakhine, mais la menace s'est étendue au cours des deux dernières années pour embrasser une confession religieuse plus générique et viser les musulmans dans tout le pays. Pour ce groupe, il ne s'agit pas seulement de voir comment le cessez-le-feu ou le processus de paix se déroulera, mais aussi d'examiner comment il sera possible d'édifier cette tolérance et d'en finir avec cette sorte de discrimination religieuse. C'est un peu comme ce que tente de faire le processus de paix, c'est-à-dire de mettre fin à la discrimination ethnique et à l'ethnochauvinisme dont les minorités ethniques sont la cible depuis quelques décennies.

La sénatrice Ataullahjan : J'ai une question plutôt longue au sujet de la terrible conjoncture qui se joue en Birmanie, de la violation éhontée des droits de la personne et de la migration des Rohingya. Qu'en pense le Birman moyen? Les Birmans sont-ils au courant de ce qui se passe dans leur pays ou est-ce que ce type de nouvelle est censuré?

Nous savons que l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution en décembre dernier demandant à la Birmanie de modifier ses lois en matière de citoyenneté. Est-ce que quelque chose a changé depuis?

M. McArthur : Vous voulez parler de la perception des réfugiés, de la situation en Birmanie ou de la perception qu'ont les habitants au sujet de la situation des réfugiés?

La sénatrice Ataullahjan : Le Birman moyen est-il au courant des violations des droits de la personne à l'endroit des Rohingya, ou est-ce que ces nouvelles sont censurées dans les médias?

M. McArthur : Il y a deux réponses à cela. D'abord, il faut préciser que la violence et la marginalisation à l'endroit des minorités ethniques — la communauté Rakhine dans l'État de Rakhine — ne peuvent pas, elles non plus, être ignorées. C'est un peu comme si une communauté maltraitée passait ses frustrations sur le dos d'une autre communauté encore plus marginalisée qu'elle. Je crois que la solution serait probablement de reconnaître que les deux communautés — les Rohingya et la communauté ethnique Rakhine — doivent l'une comme l'autre composer avec des décennies de violence et de marginalisation.

Cela dit, on craint aussi que des terroristes islamistes — des terroristes du Jihad — profitent de la situation précaire de l'État de Rakhine pour s'infiltrer. Je crois que c'est ce cas de figure que les ultranationalistes tentent de promouvoir.

Et c'est un scénario qui est repris par les médias. C'est en fait la version la plus courante qui circule dans l'ensemble du pays, même s'il reste tout de même quelques médias indépendants qui cherchent avec courage à faire reconnaître les droits des Rohingya en tant qu'êtres humains, sans égard pour la question de citoyenneté.

En ce qui concerne la citoyenneté, précisons qu'un processus de vérification est utilisé dans l'État de Rakhine depuis quelques mois afin d'établir qui peut être considéré comme citoyen aux termes de la loi sur la citoyenneté de 1982. Nous ne savons pas exactement combien de personnes le processus permettra de reconnaître comme citoyen, mais nous nous attendons à ce qu'une bonne partie de la population Rohingya le soit — probablement pas la moitié, mais peut- être un peu plus du quart. Bref, le gouvernement a mis en place certains mécanismes pour tenter de reconnaître ou de vérifier le statut des Rohingya aux termes de la loi sur la citoyenneté qui est en vigueur, mais ce ne sera pas suffisant pour remédier au problème des populations apatrides.

La sénatrice Ataullahjan : Les violations des droits de la personne ont-elles fait l'objet d'enquêtes valables? Certaines nouvelles circulent affirmant que les personnes qui accusent les militaires de commettre des actes répréhensibles pourraient être poursuivies en justice ou que des membres des médias auraient reçu des menaces. A-t-on fait des démarches à ce sujet?

Nous avons vu avec quel mépris ils ont traité l'envoyé des Nations Unies. Nous apprenons maintenant que certains journaux entretiennent la politique de la peur. À quoi tout cela rime-t-il?

M. Malseed : Assurément, en ce qui concerne la situation des droits de la personne, la plupart des analyses considèrent que 2014 a marqué un recul et non un pas en avant.

Pour ce qui est des problèmes comme celui des Rohingya, le gouvernement et, dans une vaste mesure, les autres partis politiques semblent céder au sentiment antimusulman qui court dans le pays.

En ce qui a trait à votre question au sujet de ce qu'en pensent les gens ordinaires des villages, je vous dirai que j'ai vu plus souvent qu'à mon tour des villages où les bouddhistes, les musulmans et les chrétiens ont cohabité pendant des décennies, voire pendant un siècle. Il y avait tout de même une certaine ségrégation. Il n'y avait pas beaucoup de mariages entre ces groupes, mais c'est arrivé quelques fois. Chose certaine, c'est qu'il n'y avait pas de violence. Il n'y avait pas de tension de ce type. Alors, une bonne partie de ce qui arrive est tributaire d'un cercle vicieux. Les ultranationalistes tentent d'attiser les flammes, puis certains dirigeants politiques et militaires se joignent au mouvement, estimant que cet enjeu sera peut-être un bon cheval de bataille pour les prochaines élections.

Maintenant, pour votre question sur les problèmes qu'ont les journalistes, sachez que les journalistes dénoncent le fait que les conditions dans lesquelles ils travaillent sont de plus en plus difficiles. Il y a eu des échanges sur la suppression de la censure, mais ils n'ont pas été aussi loin que les gens l'espéraient. Le gouvernement s'est contenté de remplacer la censure avant publication par une censure après publication. Cela signifie que vous pouvez perdre votre permis de publier si vous publiez un article que le gouvernement désapprouve, ce qui vous force à vous autocensurer, une dynamique potentiellement pire que la censure directe. On voit de plus en plus de journalistes arrêtés pour avoir rapporté des nouvelles qui ne plaisent pas au gouvernement. Il y a même eu, en octobre, ce cas d'un journaliste exécuté par l'armée pour avoir été pris en train de faire un reportage sur le conflit armé qui dévaste les États dits ethniques.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, je voudrais vous féliciter tous les quatre pour le travail important que vous avez effectué et que vous faites actuellement. Je vous en félicite et je vous en remercie.

Selon l'indice de développement humain de 2014 du Programme des Nations Unies pour le développement, le PNUD, la Birmanie se classe au 150e rang sur 187 pays. Le PNUD estime que le taux de pauvreté en Birmanie est de 26 p. 100, qu'il est deux fois plus élevé dans les régions rurales, où habite 70 p. 100 de la population, et encore plus élevé pour ceux et celles qui sont situés aux frontières.

Selon vous, quels sont les besoins en développement les plus urgents en Birmanie, à part le manque d'accès aux terres que vous avez mentionné dans votre présentation? S'il y a d'autres besoins qui sont urgents, j'aimerais les connaître.

[Traduction]

Mme Thompson : Merci beaucoup de cette question. Pour ajouter à ces statistiques, sachez qu'une étude de l'Organisation internationale pour les migrations, l'OIM, sur la situation de l'emploi dans le Sud-Est de la Birmanie indique que 70 p. 100 des ménages compte un membre qui travaille en Thaïlande pour faire vivre sa famille restée en Birmanie. Cette dynamique a de sérieuses conséquences pour le retour à court terme des réfugiés ou de ceux qui ont été déplacés à l'intérieur du pays. Il n'y a tout simplement pas de moyens de subsister ou de perspectives auxquelles les gens pourraient se raccrocher.

Je crois effectivement de façon générale que nous ferions valoir que le degré de pauvreté rapporté par l'indice est tel qu'il force les gens à quitter les régions. Par conséquent, les personnes qui restent sont les plus vulnérables. Ce sont les personnes à charge et les membres de la génération plus âgée, lesquels prennent soin des petits-enfants. Dans une très vaste mesure, la population active, cette population dont on a besoin dans cette région précise pour édifier les services de soutien — que ce soit par le biais d'enseignements en matière de santé, par exemple —, la vaste majorité de cette population active, donc, travaille en Thaïlande. C'est une donnée essentielle.

L'un des problèmes fondamentaux, c'est qu'il n'y a pas de plan. Il n'y a pas de stratégie. Il n'y a pas de plan stratégique de développement clairement défini. Il n'y a aucune coordination concernant la façon de développer le Sud- Est du pays.

Le premier obstacle reste que ce développement doit être associé aux mouvements des troupes dans cette région, car c'est un endroit qui continue d'inspirer la peur. Bien sûr, les restrictions sur les déplacements ont été levées pour que les habitants aient un meilleur accès aux marchés, mais cela a attiré, disons, des spéculateurs, c'est-à-dire les autorités locales et des intérêts commerciaux qu'on ne voyait pas auparavant. L'accaparement des terres est donc devenu un enjeu clé dans cette région.

Que ce soit pour ceux qui reviennent ou pour les communautés qui sont restées derrière, au moment même où ils sentent qu'ils ont une plus grande liberté de mouvement, les voilà aux prises avec l'accaparement des terres. Ils perdent leurs terres au moment même où ils en ont le plus besoin.

M. McArthur : En 2012, TBC a publié une enquête portant sur 4 000 ménages du Sud-Est de la Birmanie. En essence, les résultats de cette enquête corroborent ce que vous venez de dire. On a constaté que 59 p. 100 des ménages des régions touchées par le conflit vivaient en état de pauvreté avancée et n'étaient pas en mesure de satisfaire leurs besoins essentiels. Cette donnée correspond aux chiffres des évaluations réalisées par le Programme des Nations Unies pour le développement, qui indiquaient 25 p. 100 de grande pauvreté dans les régions qui n'étaient pas touchées par le conflit, et plus du double dans les régions touchées. Cela a été suivi en 2013 par l'enquête subventionnée par l'Union européenne qui a été menée dans l'État de Kayah, dans le Sud-Est du pays, afin de répondre aux mêmes questions que vous avez soulevées : quels sont les besoins les plus urgents? Serait-il possible d'apporter des améliorations rapides? Les résultats de l'enquête ont montré qu'il y avait des besoins dans tous les secteurs et dans toutes les régions, qu'il n'y avait pas de solution rapide possible et qu'aucun secteur n'était dans un plus mauvais état qu'un autre. Les problèmes englobaient l'éducation et la protection.

J'évoquerais aussi une évaluation réalisée voilà un certain nombre d'années par l'un des anciens coordonnateurs- résidents des Nations Unies, évaluation qui portait sur les causes de la pauvreté chronique. En essence, le rapport indiquait que les trois causes fondamentales étaient : premièrement, l'absence d'obligation redditionnelle et de transparence dans la façon de gouverner; deuxièmement, la violation systématique et généralisée des droits de la personne; et, troisièmement, le conflit prolongé qui appauvrit la population des régions dites ethniques.

Pour ce qui est d'un éventuel programme de développement, cela tient presque de l'ironie, compte tenu du riche potentiel de la Birmanie au chapitre des ressources. L'un des grands avantages de cette période de réforme dans les régions touchées par le conflit — l'un des progrès réalisés, si je puis dire — c'est qu'il y a eu un relâchement des restrictions sur les déplacements. Cela signifie que les agriculteurs ont eu un meilleur accès à leurs champs et aux marchés, ce qui leur a permis d'améliorer leurs chances de survie. Cela s'est aussi accompagné d'un accès accru pour les intérêts commerciaux, accès qui leur permet désormais d'aller dans les zones touchées par le conflit afin d'y exploiter des ressources. Cet état de fait a augmenté la concurrence pour les terres et les moyens de subsistance, pas seulement pour les collectivités existantes, mais aussi pour ceux qui rentrent au pays, pour les possibles réfugiés ou pour les collectivités qui regagnent leur région après avoir été déplacées à l'intérieur du pays. La dynamique met dos à dos la croissance et le développement, mais, dans l'intérêt de la croissance économique, les possibilités d'alléger la pauvreté sont reléguées au second plan.

M. Malseed : Lorsque vous examinez la question du conflit et les problèmes des terres, la raison pour laquelle les processus de cessez-le-feu sont pratiquement bloqués est que le gouvernement dit : « Nous n'avons qu'à cesser de nous tirer dessus pour que s'installe le développement économique; ensuite, nous pourrons parler de politique, de partage des pouvoirs et de fédéralisme. » Les groupes d'opposition représentant les ethnies rétorquent : « Non, nous devons parler de cela avant, sinon tout ce que ce développement signifiera c'est que les amis du gouvernement central et les sociétés vont venir en région, accaparer les terres de tout le monde et faire ce qu'ils voudront parce qu'il n'y a pas de cadre juridique, et que la corruption s'étend à tous les échelons du gouvernement et de l'armée. »

Lorsque nous parlons aux personnes qui sont dans les villages, ils disent qu'à cause de cela, il faut que ces cessez-le- feu s'accompagnent d'une résolution politique sur des questions comme la protection des ressources et des droits fonciers. Ils sont très inquiets du fait que la primauté du droit est pour ainsi dire inexistante, surtout dans les régions rurales. Les militaires agissent en toute impunité. Un exemple de cela qui rejoint aussi une autre question qui a été posée tout à l'heure, c'est que les agriculteurs qui essaient de protester en réponse à la confiscation de leurs terres se font attaquer par l'armée, arrêter puis jeter en prison.

Il y a eu ce cas au milieu de l'an dernier : des femmes de l'État de Chin ont organisé une manifestation pour dénoncer le fait qu'un militaire avait violé une femme de la région. Elles ont demandé que cet homme soit traîné en justice, mais ce n'est pas lui qui s'est retrouvé devant les tribunaux, mais bien celles qui avaient protesté. Elles ont été arrêtées et punies pour avoir manifesté contre un viol commis par un militaire. Il y a toujours ce type d'impunité qui permet à de telles injustices de continuer à se produire.

De plus, la plupart des gens pensent qu'avec un cessez-le-feu, la présence des militaires se ferait moins insistante. Mais en Birmanie, lorsqu'un cessez-le-feu est instauré, l'État en profite pour envoyer plus de troupes sur le terrain. Il renforce et multiplie ses postes de contrôle afin d'augmenter la présence militaire, car il sait que la trêve décrétée lui en fournit l'excuse. Cela se traduit par une augmentation des tensions qui, bien souvent, provoque la rupture du cessez-le- feu.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous avez mentionné, à un moment donné, les droits de la personne, mais je crois que vous êtes au courant qu'il y a une commission nationale des droits de la personne qui a été créée récemment en Birmanie. Pensez-vous que cette commission est un mécanisme qui puisse être très efficace pour faire la promotion des droits de la personne?

[Traduction]

M. McArthur : L'un des problèmes avec cette commission est la façon dont elle a été mise sur pied dès le départ. Je crois que ce sont les Principes de Paris qui président à la création des commissions nationales des droits de la personne. En Birmanie, le pouvoir exécutif a trié sur le volet les membres qu'il allait nommer à sa commission. Au cours des deux dernières années, la commission n'a pas cessé de dire qu'elle recevait des plaintes et des renvois, mais elle n'a pas la capacité d'en faire le suivi. Alors, elle les réachemine aux autorités locales, celles-là mêmes qui font l'objet de ces plaintes. On se dit préoccupé du fait que cette commission ne serait qu'un tigre en papier et qu'elle n'aurait pas les dents nécessaires pour s'attaquer à la culture d'impunité omniprésente.

Le sénateur D. Smith : Lorsque vous avez parlé de l'accaparement des terres, j'ai tout de suite pensé à Toronto et à Vancouver, mais je ne vais pas m'aventurer de ce côté-là.

Je salue la priorité accordée aux droits de la personne dans votre programme. Je sais que l'un des objectifs premiers est de permettre aux réfugiés birmans de rentrer au pays. Corrigez-moi si je me trompe, mais j'ai presque l'impression que depuis qu'il y a deux régimes militaires, les deux gouvernements ont un meilleur rapport qu'auparavant — bien sûr, la présence à long terme d'un régime militaire n'est pas souhaitable. Diriez-vous que la présence momentanée de deux régimes militaires permettra de ramener plus facilement certains réfugiés birmans au pays dans des conditions acceptables? Croyez-vous que les relations sont un peu plus faciles entre deux régimes militaires qu'entre un régime militaire et un gouvernement ordinaire?

Mme Thompson : Oui. Il y a effectivement un meilleur rapport entre les deux. D'ailleurs, le général Prayut Chan-o- cha, le premier ministre actuel de la Thaïlande, rencontre régulièrement le haut dirigeant de l'armée birmane, et la question du retour des réfugiés est toujours à l'ordre du jour.

Bien entendu, du point de vue des réfugiés, cela ne fait qu'alimenter la crainte d'un renvoi prématuré. Le danger réside dans le fait que leur avenir est entre les mains des instances supérieures de l'armée. La clé d'un retour réussi passe par la participation des collectivités au processus décisionnel, car cela ne concerne pas que les hautes instances de l'armée. Il est ici question de zones de conflits et d'acteurs qui ne font pas partie de l'État, mais d'acteurs qui seront essentiels pour assurer un avenir durable pour ces régions et le retour réussi des réfugiés.

Nous craignons que le renforcement des relations entre les deux régimes militaires vienne rendre beaucoup plus difficile la participation des collectivités et d'autres intervenants. C'est la chose sur laquelle nous devons travailler.

Le sénateur D. Smith : En ce qui concerne les droits de la personne, avez-vous l'impression que ces deux régimes militaires reconnaissent un tant soit peu ces minorités religieuses et les droits de la personne qui leur échoient? Pour eux, est-il seulement question de droits de la personne? Qu'en pensez-vous?

Mme Thompson : D'un point de vue militaire, la conclusion d'un cessez-le-feu signifierait la paix. Les autres questions n'ont pas vraiment d'importance à leurs yeux. Ils estiment que le retour pourra se faire si les combats cessent. Ils ne tiennent pas compte de tous les aspects de la question.

Le sénateur D. Smith : Les questions liées aux droits de la personne.

Mme Thompson : Oui.

Le sénateur Demers : Merci de la part de ceux qui n'y sont jamais allés, y compris moi-même et d'autres. Vous avez dépeint une vue d'ensemble d'un monde perturbé, comme l'ont mentionné certains de nos sénateurs; vous travaillez évidemment d'arrache-pied sur le plan des droits de la personne.

J'ai une question. Il devrait y avoir des élections en 2015. Est-ce possible de tenir des élections sans corruption? Quels rôles les groupes minoritaires, comme les Karen ou les Rakhine, joueront-ils dans ces élections parlementaires?

M. McArthur : Notre plus grand souhait en ce qui concerne les élections, c'est qu'elles soient suffisamment libres et justes. Nous ne nous attendons pas à ce que ces élections soient libres et justes, mais il faut nous demander ce qui serait suffisant. Compte tenu particulièrement de la manière dont les dernières élections se sont déroulées quant à l'enregistrement des électeurs avant les élections, nous avons raison d'être inquiets. À quel point le processus sera-t-il entaché? Combien de gens qui penseront se présenter pour s'enregistrer sur la liste électorale verront-ils cela être pris pour leur vote ou leur être retiré? C'est un problème partout au pays.

Dans les régions touchées par des conflits avec des minorités ethniques et dans des régions où des réfugiés pourraient retourner, les élections doivent être vues dans l'optique du fédéralisme et des luttes ethniques en vue d'une plus grande autodétermination au sein d'une union. Aucune pression n'est exercée en vue de la séparation de la Birmanie. Tous les dirigeants des groupes ethniques l'affirment très clairement. À bien des égards, les luttes visent la question démocratique en Birmanie et une plus grande reconnaissance des droits des minorités ethniques.

Dans le contexte du processus de paix actuel, qui met principalement l'accent sur la relation entre les nations qui constituent l'État, les élections prévues au dernier trimestre de 2015 imposent en effet des contraintes de temps aux parties pour conclure un cessez-le-feu national et entamer le dialogue politique qui suit.

Nous ne devrions pas oublier les cessez-le-feu bilatéraux qui ont débuté en 2011. À bien des égards, l'énergie déployée à essayer de conclure un cessez-le-feu national a entraîné un relâchement de la pression exercée sur la mise en œuvre de ces cessez-le-feu bilatéraux, dont certains étaient très importants, y compris l'accord conclu avec l'Union nationale Karen. Ces accords portent sur une foule de questions, mais il n'y a pas eu de suivi quant à leur mise en œuvre.

Bref, en ce qui concerne les élections à venir, cela signifie que, même si un cessez-le-feu national est conclu au cours des prochains mois, il n'y aura pas de dialogue politique concret en vue de trouver des solutions aux problèmes fondamentaux qui sont la cause du conflit ethnique avant la formation du prochain gouvernement.

Le sénateur Demers : Merci de votre réponse, monsieur.

En 2015, quelles recommandations le Canada devrait-il faire à l'occasion du prochain Examen périodique universel de la Birmanie? Cet examen approche à grands pas. Nous sommes évidemment déjà en 2015. Qu'est-ce que le Canada devrait faire pour améliorer la situation? Le Canada est un ardent défenseur des droits de la personne. Quels rôles pourrions-nous jouer?

Le président : Je crois que vous faites allusion au Conseil des droits de l'homme à Genève.

Le sénateur Demers : Oui. Merci.

Le président : Tant que c'est clair.

M. Malseed : Eh bien, je vais essayer de vous répondre. J'aimerais d'abord traiter d'un aspect lié à votre première question qui m'amènera à répondre à votre deuxième question.

En ce qui a trait aux élections qui s'en viennent, les résultats du recensement national de 2014 pourraient nous donner une idée de la manière dont les élections se dérouleront. Il s'agissait du premier recensement depuis des décennies, et les gens espéraient que cet exercice les aiderait à mieux cerner les besoins. Dès le départ, le processus était controversé, en particulier en ce qui a trait aux Rohingyas et à d'autres groupes musulmans. Les Rohingyas étaient notamment exclus de la liste des groupes ethniques. La pression exercée a forcé le gouvernement à leur permettre de s'identifier en tant que tel lors du recensement, mais il est revenu sur cette promesse. Voici ce qui est arrivé. Lorsque les recenseurs se rendaient dans des ménages rohingyas, dès que les gens s'identifiaient en tant que Rohingyas, les recenseurs quittaient les lieux, et ces gens n'étaient pas recensés.

De plus, dans plusieurs régions à proximité d'un conflit armé où se trouvent des groupes ethniques, il n'y a pas eu de recensement. Des experts ont plutôt estimé la population de ces régions. Beaucoup de gens craignent que les autorités utilisent le recensement comme elles l'ont fait par le passé, soit d'exagérer la prépondérance de la population birmane et de minimiser la population des groupes ethniques. Nous verrons si c'est ce qui se passera.

Pour ce qui est des élections, la même chose pourrait se produire. Les autorités pourraient faire valoir des questions de sécurité pour empêcher la tenue des élections dans certaines régions où le parti du gouvernement ne devrait pas connaître de bons résultats. Cela concerne en grande partie la réforme constitutionnelle. Selon moi, c'est un aspect sur lequel le Canada pourrait se prononcer haut et fort.

La Birmanie est un État fédéral, et une forte proportion de la population birmane, en particulier les groupes ethniques, a exprimé le souhait d'avoir une union fédérale. C'est ce qui avait été promis lors de l'indépendance dans les années 1940, mais cette promesse ne s'est jamais concrétisée. Le gouvernement prétend maintenant avoir mis en place une sorte de système fédéral, mais les autorités ne donnent en fait aucun pouvoir aux États et contrôlent les gouvernements étatiques. Pour l'heure, il faut des réformes constitutionnelles en ce sens.

En ce qui concerne les élections, une grande partie de la société civile et des groupes ethniques se trouvent en quelque sorte dans une situation difficile; ils ne savent pas comment réagir aux élections ou quoi faire, parce qu'ils espèrent que d'autres personnes soient élues, mais ils se disent aussi que sous la constitution actuelle ces élections ne sont que partiellement efficaces. Actuellement, la constitution réserve 25 p. 100 des sièges au Parlement, tant à la chambre basse qu'à la chambre haute, aux militaires en service actif. Les ministres importants sont nommés par le commandant en chef de l'armée. Qui plus est, l'armée n'a pas de comptes à rendre au gouvernement. Le gouvernement ne contrôle pas l'armée. L'armée n'a pas besoin de rendre des comptes au gouvernement, et ce, même quant à la manière dont elle dépense son budget. La constitution donne à l'armée le pouvoir de prendre le pouvoir à tout moment, lorsqu'elle sent que le pays est menacé.

Même si tout le monde demande que cet aspect soit modifié dans la constitution, les dirigeants militaires ont dit : « Nous défendons la constitution actuelle », ce qui signifie vraiment que l'armée va prendre le pouvoir si quelqu'un essaie de modifier la constitution. Voilà un peu le fondement de l'impasse, et voilà ce qui mine les élections. Le Canada pourrait mettre l'accent sur cet élément, ainsi que certaines autres questions liées aux droits de la personne, comme les revendications territoriales.

M. McArthur : Si je peux compléter sa réponse, l'une des forces de l'Examen périodique universel, c'est que le Conseil des droits de l'homme invite la société civile à lui faire part de ses commentaires dans le cadre de ses travaux. L'une des forces des programmes d'Inter Pares, que le gouvernement canadien appuie, c'est le rôle que les groupes de femmes, les réseaux d'agriculteurs et les défenseurs des droits de la personne jouent en participant aux débats sur les politiques nationales et en informant la communauté internationale. L'Examen périodique universel est une excellente occasion pour ces voix de se faire entendre.

Le sénateur Oh : Ma question concerne principalement la religion. Environ 89 p. 100 des Birmans sont bouddhistes, tandis qu'environ 4 p. 100 sont chrétiens, que 4 p. 100 se disent musulmans et que 3 p. 100 affirment appartenir à des groupes religieux minoritaires. Quel rôle la religion joue-t-elle dans la société birmane? Quels sont les liens entre la religion et la politique en Birmanie?

Je me rappelle que 2 000 moines ont participé à une manifestation et ont disparu il y a quelques années. Que leur est- il arrivé?

M. McArthur : Votre question tombe à point, parce que le Parlement à Naypyidaw est actuellement saisi d'un projet de loi sur la race et la religion. Il s'agit en fait d'une série de quatre projets de loi qui ont été présentés par le mouvement bouddhiste ultranationaliste. Dans son rapport présenté à l'Assemblée générale en décembre, ainsi que plus récemment à la suite de sa visite le mois dernier au pays, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l'homme s'est dite inquiète que les quatre projets de loi sapent fondamentalement les droits des femmes et les droits à la liberté d'expression et de religion. Il y a un rapport très étroit entre l'armée, qui contrôle encore grandement le Parlement — il s'agit d'un gouvernement quasi civil —, et ces mouvements ultranationalistes.

D'après moi, on pourrait dire que cela se veut encore véritablement une écharde dans le pied de la société multiculturelle fondée sur les droits de tous que nous espérons créer en collaborant avec le gouvernement et les groupes ethniques armés dans le cadre du processus de paix, mais il existe toujours une certaine discrimination et une certaine diffamation fondées sur la religion qui font actuellement l'objet de projets de loi débattus au Parlement et qui seront peut-être adoptés.

Le sénateur Oh : Je crois que la majorité des membres de la junte militaire sont des bouddhistes très convaincus. Ils pratiquent le bouddhisme. Je présume que le bouddhisme et le pouvoir ne font pas bon ménage.

La présidente : Je crois que c'était une affirmation plutôt qu'une réponse ou une question.

La sénatrice Cordy : J'allais vous demander ce que le Canada pourrait faire, mais vous avez donné une réponse très exhaustive à la question du sénateur Demers, et je vous en remercie.

À l'instar de la sénatrice Fortin-Duplessis, j'aimerais vous remercier de votre excellent travail dans le domaine. C'est vraiment utile. La situation progresse lentement petit à petit, mais je vous remercie d'être là.

J'aimerais parler du retour chez eux des réfugiés. Madame Thompson, vous en avez parlé, et d'autres l'ont également fait. Les camps existent depuis 30 ans. S'agit-il des mêmes personnes qui y vivent depuis tout ce temps? Si c'est le cas, des enfants ont grandi dans ces camps. Est-ce en fait le cas?

Mme Thompson : Au fil des ans, environ 250 000 personnes ont séjourné dans les divers camps, et environ 90 000 d'entre eux ont opté pour une réinstallation dans un tiers pays. On constate maintenant que la moitié de la population a moins de 19 ans. Bon nombre d'entre eux sont nés dans les camps. Ils n'ont jamais vécu en Birmanie. En ce qui concerne leur retour en Birmanie, nous sommes en droit de nous demander si ces réfugiés y retourneront un jour, parce qu'ils n'ont pas d'attachement direct envers ce pays.

Pour ce qui est du retour des réfugiés, nous essayons pour l'instant de faire venir des gens de l'intérieur dans les camps pour discuter, échanger et permettre aux gens des camps d'aller à l'intérieur pour rencontrer les communautés et comprendre ce qu'est la vie actuelle sous le présent régime birman. Nous souhaitons établir graduellement une compréhension du côté des agriculteurs et du milieu agricole, par exemple, en mettant l'accent sur la gestion des ressources naturelles et les diverses manières de mettre en contact les deux communautés pour qu'elles apprennent ce que les autres ont vécu au cours des 30 dernières années.

Je confirme que c'est la même population. Certains réfugiés sont là depuis 30 ans. La majorité d'entre eux se trouvent dans les camps depuis maintenant 10 ou 15 ans, mais la moitié d'entre eux n'ont jamais vraiment vécu en Birmanie.

La sénatrice Cordy : Vous vous attaquez aux problèmes que cela entraîne. Si c'est la vie de ces réfugiés, cela m'apparaît terrible de dire que cela devient naturel, parce que c'est la seule vie qu'ils ont connue. Vous vous efforcez donc à leur montrer que...

Mme Thompson : C'est le cas, parce que les réfugiés trouvent notamment le retour très difficile. Ils doivent en gros recommencer leur vie à zéro. Ils devront rebâtir leur vie, alors qu'ils étaient habitués à une autre vie. Les camps sont des milieux périurbains. Les réfugiés ont accès à des soins de santé, à l'éducation et à des marchés. Lorsqu'ils retournent en Birmanie, ces éléments n'existent pas encore dans bon nombre de régions, et le marché se trouve peut- être à une journée de marche.

Il y a beaucoup de problèmes; voilà pourquoi nous devons nous demander si les jeunes retourneront faire de l'agriculture de subsistance en milieu rural, alors qu'ils n'ont jamais connu une telle vie.

Nous devons graduellement examiner ces éléments et les types de compétences pertinentes, parce que dans les camps on retrouve une vaste gamme de compétences; on peut notamment penser aux travailleurs de la santé ou aux enseignants.

L'un des aspects importants, c'est d'obtenir de la documentation et la certification et la reconnaissance des niveaux d'apprentissage que les élèves ont atteints et des compétences que possèdent un enseignant ou un technicien en laboratoire. Nous essayons d'établir des relations avec les autorités birmanes en matière de formation professionnelle pour essayer de faire reconnaître les formations acquises et les niveaux d'éducation atteints pour que le tout soit reconnu lorsque les réfugiés retourneront au pays.

La sénatrice Cordy : Vous avez dit qu'il faut que les partenaires participent au retour des réfugiés. Cela inclut-il les réfugiés eux-mêmes?

Mme Thompson : Oui.

La sénatrice Cordy : Cela inclut-il d'autres organismes?

Mme Thompson : Cela inclut à peu près tout le monde auquel vous pouvez penser.

La sénatrice Cordy : C'est un gros groupe.

Mme Thompson : C'est le cas. Par contre, je crois que l'important est aussi de faire participer les organisations non étatiques. Cela ne concerne pas seulement les autorités gouvernementales locales. Cela vise également les organisations non étatiques et leurs dirigeants communautaires locaux. Cela concerne les dirigeants politiques des groupes ethniques. L'important est le dialogue entre toutes les parties. Il ne s'agit pas seulement d'un accord entre le pouvoir central de Naypyidaw et le gouvernement thaï. L'important, c'est ce qui se passe sur le terrain entre les communautés locales et les autorités sanitaires et scolaires locales en vue de nous assurer que tous y participent.

La sénatrice Cordy : C'est très bien.

Vous avez également dit que c'était au point mort et vous avez parlé de la lassitude des donateurs. Faites-vous allusion à ce qui se passe du côté d'organismes externes et d'organismes gouvernementaux, y compris au Canada?

Je crois également vous avoir entendu dire que les gens eux-mêmes sont de moins en moins convaincus qu'un changement réel surviendra en raison de l'armée et de ses décisions. Comment surmontez-vous ce sentiment et ce ralentissement?

Mme Thompson : Nous y arrivons en constatant que la situation change sur le terrain. Nous devons continuer d'aller de l'avant pour changer les choses sur le terrain dans les régions d'où proviennent ces gens pour que les réfugiés puissent en fait en constater les effets. Il n'est pas question ici d'accords de haut niveau ou d'accords conclus avec le Parlement. C'est la manière dont le tout changera les choses sur le terrain pour les gens dans leur vie quotidienne. Voilà ce que les gens ont besoin de voir.

Voilà comment on arrive à atténuer l'anxiété. Il faut que les gens aient confiance et qu'ils le voient grâce à ce qui se passe en fait sur le terrain.

[Français]

Le sénateur Rivard : Dans le feuillet que vous nous avez soumis, le financement que vous recevez actuellement se termine au printemps. En pratique, vous êtes dans le vide et vous ne savez pas ce qui va arriver. Pouvez-vous nous rappeler la somme annuelle que votre organisme reçoit de la part du gouvernement canadien et la demande que vous avez faite pour son renouvellement? Je me rends compte également que vous aimeriez que le gouvernement s'engage pour les cinq prochaines années.

Quel est votre sentiment? Lorsque vous avez rencontré les fonctionnaires, avez-vous senti qu'il y aurait, du moins, pas de diminution, mais une forte chance que vous receviez un engagement de cinq ans? S'il arrive que la nouvelle ne soit pas aussi bonne que vous l'espériez, par exemple, une diminution ou un engagement d'un an seulement, quel en serait l'impact sur votre travail?

[Traduction]

Mme Thompson : Merci beaucoup de nous poser une question très importante à nos yeux.

Nous n'en sommes en fait qu'au début de notre visite. Nous rencontrerons demain des représentants du MAECI et d'autres représentants du gouvernement. Rebecca vient tout juste de revenir d'une visite sur le terrain; elle s'est rendue avec des représentants du MAECI à la frontière.

Je dois dire qu'en ce moment, rien n'indique que nous recevrons le moindre financement continu. Par le passé, nous recevions plus d'un million de dollars par année pour le volet TBC et nous en avons besoin. En 2015, nous accusons un important manque à gagner de l'ordre de 3,3 millions de dollars américains. Si nous ne l'obtenons pas, nous devrons réduire encore davantage les rations dans les camps de réfugiés. Cela laisse croire aux réfugiés que nous essayons peut- être de pousser les gens à rentrer plus tôt que prévu. Oui, nous en avons besoin, mais rien n'indique que nous le recevrons.

Pour ce qui est du programme d'aide aux réfugiés, nous aimerions un engagement de cinq ans, mais nous croyons que le volet réfugié sera intense pendant les deux premières années. La dernière partie est beaucoup plus axée sur le rétablissement des communautés du Sud-Est.

C'est nuancé, si vous voulez. Je vais demander à Inter Pares, car ils sont responsables de présenter le dossier complet au gouvernement; mais, pour l'instant, nous ignorons si nous allons recevoir du financement. C'est donc très difficile pour nous de planifier.

Rebecca Wolsak, gestionnaire de programme, Inter Pares : Je peux apporter des précisions. Nous approchons la fin d'un programme quinquennal, pour lequel nous avons reçu un peu plus de 15 millions de dollars de l'ACDI, maintenant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Nous avons présenté une autre demande de financement pour cinq ans en mai dernier pour laquelle nous n'avons toujours pas reçu de réponse.

[Français]

Le sénateur Rivard : Je vous souhaite d'obtenir, dans le prochain budget, les sommes dont vous avez besoin.

Ma prochaine question est pour ma curiosité personnelle. Il y a environ 25 ans, un pays grand et populeux, le Ceylan, a été rebaptisé Sri Lanka. Quant à la Birmanie, aujourd'hui, c'est le Myanmar. On regarde les cartes géographiques et on aperçoit le Myanmar. Savez-vous pourquoi ce qui était bon pour le Sri Lanka ne l'est pas pour la Birmanie? Quelques fois, les entreprises font faillite et repartent sous un nouveau nom. Pourquoi le Canada, les États- Unis et la France ne reconnaissent pas le nouveau nom du Myanmar?

[Traduction]

M. Malseed : Oui, ce point fait l'objet de débats depuis des années, tant en Birmanie que dans le reste du monde. En gros, le pays a été rebaptisé Myanmar en 1989 par une junte militaire entièrement illégitime. C'est arrivé en même temps que le changement de noms de nombreux États et villes dans le pays. On a remplacé les noms imposés pendant l'époque coloniale britannique par des noms en langue birmane ou burmane.

Les oppositions pro-démocrate et ethnique ont toutes deux rejeté ce changement de nom pour deux principaux motifs. Le premier était que, la junte militaire n'ayant absolument aucun mandat pour imposer pareil changement, ils estimaient que le fait d'accepter le nouveau nom équivaudrait à reconnaître la légitimité de la junte militaire. L'autre principal motif était que l'on percevait ce changement comme une « birmanisation ethnique » au sein de la Birmanie. Dans ce pays, 40 p. 100 de la population n'est pas d'origine birmane. Dans 60 p. 100 du territoire physique du pays, ces groupes minoritaires représentent la majorité de la population.

Il s'agit d'un pays très multiethnique. C'est en partie la raison pour laquelle les gens souhaitent vraiment adopter un régime fédéral. Le fait de tout rebaptiser, y compris les États nommés d'après les groupes ethniques mêmes — par exemple, remplacer le nom de l'État Karen, nom que les Karen utilisaient, par État Kayin, terme que les Birmans utilisent en référence aux Karen, mais que ces derniers n'utilisent pas pour se décrire — a été perçu comme une sorte de nettoyage ethnique.

L'ONU a accepté le nom Myanmar, mais nombre de pays solidaires du mouvement pro-démocrate ne l'ont pas fait. Voilà pourquoi le Canada et les États-Unis emploient toujours le nom Birmanie, sauf, je crois, lorsqu'ils communiquent directement avec le gouvernement de là-bas.

La sénatrice Ataullahjan : Les récits de ce matin ont évoqué une image très sombre de la Birmanie. Ils ne s'attendent pas à ce que les élections soient libres ou intègres. Selon vous, le gouvernement sera-t-il toujours sous le contrôle de la junte militaire après les élections? Quelle incidence cela aura-t-il sur les réformes adoptées dans le pays avant 2014? En quoi cela se répercute-t-il sur le travail louable que vous accomplissez sur le terrain?

Mme Thomas : J'aimerais commencer par une petite phrase que l'on entend constamment : tout est différent, mais rien n'a changé. Grosso modo, quand on dit que « rien n'a changé », on fait allusion à la mentalité de la junte militaire, qui est toujours bien présente. Le pouvoir se trouve toujours entre les mains des mêmes personnes.

Même si un Parlement siège, qui détient le pouvoir dans les faits? C'est l'armée. Il s'agit des mêmes gens avec la même mentalité. Ce sera toujours préoccupant. Cela vient s'ajouter au reste.

M. McArthur : Pour enchaîner sur votre question concernant le rôle de la junte militaire après les élections, pendant la session parlementaire en cours, un projet de loi portant modification de la Constitution fait l'objet de débats après avoir passé quelques années entre les mains des rédacteurs législatifs. Ce projet de loi n'apporte pas de modifications de fond; il se borne à n'apporter que des petits changements ici et là. La principale revendication de l'opposition et de la société civile était que l'on modifie l'article 436, qui porte sur la façon de modifier la Constitution pour que la junte militaire ne conserve pas son droit de veto. Cette modification ne figure pas dans le projet de loi qui a été présenté au Parlement.

Le Président de la Chambre basse a signalé qu'une fois que ce projet de loi aura été adopté, il sera soumis à un référendum vers le milieu de l'année, tout comme l'a été la Constitution précédente dans les jours qui ont suivi le passage du cyclone Nargis en 2007. Nous nous attendons à ce que ce ne soit qu'une simple formalité.

Le Président a aussi signalé qu'aucune modification à la Constitution ne serait mise en œuvre avant les élections et l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement. Il est assez clair que le rôle de la junte militaire au Parlement et au gouvernement restera le même, du moins jusqu'au prochain gouvernement.

Cela étant dit, nous ne voulons pas minimiser l'importance historique de la tenue d'élections quasi-civiles et l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement après les élections de 2010. Peut-être que la meilleure chose que nous puissions espérer pour l'instant est un changement graduel. Voilà pourquoi il est si important que, dans le cadre du processus de paix, nous restions centrés, non sur un accord de cessez-le-feu à la grandeur du pays en tant que tel — bien que ce soit un élément important —, mais plutôt sur la dynamique en faveur d'un dialogue politique important portant, entre autres, sur toutes les causes de conflit et toutes les causes politiques concernant les réformes constitutionnelles, la réforme du secteur de la sécurité et les droits fonciers.

C'est aussi la raison pour laquelle il faut continuer à surveiller la situation et maintenir le rôle, par exemple, du rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme en Birmanie et faire en sorte que cela ne devienne pas un poste générique.

L'on pourrait donner de nombreux exemples de cas dans lesquels on a pris des petites mesures. Je ne veux pas sous- estimer ou minimiser l'importance de ces mesures, mais il faut surtout maintenir l'élan afin que les gens puissent gagner la confiance nécessaire pour réaliser des changements plus importants.

Cela cadre dans notre vision de l'importance de faire en sorte que les réfugiés se portent volontaires pour retourner chez eux et qu'on leur donne l'espace, le temps et le soutien dont ils ont besoin pour qu'ils n'aient pas le sentiment qu'on les pousse à retourner dans une situation difficile, car cela ne ferait que compliquer les choses et amplifier les tensions. Il est possible que leur retour dans les communautés hôtes suscite des conflits s'ils estiment avoir été forcés de partir parce qu'on ne pouvait plus subvenir à leurs besoins dans les camps de réfugiés.

Mme Wolsak : Les membres de la société civile avec lesquels nous travaillons ont fait valoir que le changement n'est pas aussi dramatique que les médias internationaux le laissent entendre. Cependant, nous n'attendrons pas les bras croisés qu'il survienne. Nous suivrons de près la situation et ferons pression pour qu'un changement s'opère tout en concrétisant notre vision de l'avenir.

À titre d'exemple, les travailleurs de la santé que certains d'entre vous avez rencontrés en juin parlent depuis longtemps de leur désir d'avoir une union fédérale. Qu'est-ce que cela signifie en termes de soins de santé publics? Quelle est leur vision d'un système national de santé publique? Ils travaillent à rédiger des politiques et à concrétiser ces visions. Dans une certaine mesure, ce ralentissement du progrès leur est très utile.

Le président : Je tiens à remercier toutes les personnes venues témoigner aujourd'hui. Il est clair que vous avez abordé un sujet qu'il nous fallait couvrir dans le cadre de notre étude. Certains membres du comité vous ont déjà témoigné leur reconnaissance pour le travail que vous faites dans ce domaine.

J'ajouterais que vous avez été l'un des rares groupes à assurer une surveillance constante de la Birmanie. La richesse et la profondeur de vos connaissances sont fort utiles pour le comité et le Canada. Au nom du comité, je vous remercie d'être venus aujourd'hui.

(La séance est levée.)


Haut de page