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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 27 - Témoignages du 28 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 28 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général (sujet : l'impact des récentes élections au Nigéria et la menace constante de Boko Haram).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, qui est autorisé à étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général.

Dans le cadre de ce mandat, nous sommes heureux d'accueillir des représentants du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement pour discuter de l'impact des récentes élections au Nigéria et de la menace constante de Boko Haram. Comme les sénateurs le savent, les problèmes relatifs à Boko Haram et aux enlèvements ont certainement retenu l'attention et inquiètent les Canadiens ainsi que le comité.

Les élections et leur déroulement sont également des sujets d'intérêt en raison de l'importance du Nigéria et de son impact en Afrique.

Même si nous avons examiné bon nombre de questions commerciales, nous nous sommes dit qu'à la fin de la session parlementaire il serait bienvenu de faire le point sur des questions d'actualité très importantes. Je remercie nos témoins d'avoir accepté de venir faire le point et de nous présenter l'opinion du ministère.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle aux sénateurs que nous aurons une brève séance à huis clos à la fin pour faire le point sur les rapports et la manière dont nous procéderons en raison des contraintes de temps.

Je laisse maintenant la parole à M. Ken Neufeld, directeur général du Bureau de l'Afrique de l'Ouest et du Centre; et à M. James Stone, directeur adjoint pour l'Afrique occidentale.

Messieurs, bienvenue au comité.

[Français]

Ken Neufeld, directeur général, Bureau de l'Afrique de l'Ouest et du Centre, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour à tous les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous concernant les élections qui viennent d'avoir lieu au Nigeria et les efforts que déploie le pays pour lutter contre le groupe terroriste Boko Haram.

Le Nigéria est le pays le plus peuplé de l'Afrique. Il compte quelque 170 millions d'habitants, ce qui représente environ la moitié de la population de l'Afrique de l'Ouest. Il est aussi le principal producteur de pétrole et la plus importante économie du continent, affichant un PIB d'environ 510 milliards de dollars. Le Nigéria est une pierre angulaire de la stabilité dans la région.

L'évolution de la situation au Nigéria illustre bien la transition qu'effectuent certains pays en développement pour devenir des moteurs de croissance de l'économie mondiale. Malgré les répercussions économiques entraînées par la baisse des prix du pétrole et l'insurrection de Boko Haram, le PIB du Nigéria devrait tout de même afficher une croissance d'environ 5 p. 100 en 2015.

Compte tenu de sa taille et de sa réputation, le Nigéria exerce un leadership important à l'échelon régional, notamment au sein de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, un organisme régional établi à Abuja qui assure la promotion de l'intégration économique, de la démocratie et de la stabilité régionale. Les efforts internationaux du Nigéria s'étendent bien au-delà du continent, comme en témoigne le siège non permanent qu'occupe le pays (pour la cinquième fois) au Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que l'élection du pays, l'année dernière, au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, qui compte 47 membres, pour la période de 2015 à 2017.

[Traduction]

Le Nigéria est un partenaire stratégique du Canada en Afrique subsaharienne, et les deux pays ont intensifié leurs efforts en vue de resserrer leurs liens dans un vaste éventail de secteurs. La Commission binationale Canada-Nigéria, établie en 2012, sert de tribune pour la tenue d'échanges bilatéraux de haut niveau sur les politiques, y compris la gouvernance démocratique et les droits de la personne, le commerce, le développement et les questions de sécurité. Sa première réunion a été coprésidée par le ministre de l'époque, M. Baird, à Abuja, en 2012. Deux réunions ont été organisées par la suite, et elles ont été coprésidées par le ministre Fast en 2013 et le ministre Paradis en mai 2014.

En 2014, le Nigéria est arrivé troisième, après l'Afrique du Sud et l'Angola, parmi les principaux partenaires commerciaux bilatéraux du Canada en Afrique pour ce qui est du commerce de marchandises. Il est aussi un pays prioritaire au titre du Plan d'action sur les marchés mondiaux du Canada. Un accord bilatéral sur la promotion et la protection des investissements étrangers, communément appelé APIE, a été signé en 2014, et il entrera en vigueur lorsque le Nigéria aura terminé son processus de ratification.

Notre relation commerciale est diversifiée et en pleine croissance, comme en témoigne notre commerce bilatéral qui se chiffre à près de 1 milliard de dollars. Le nombre d'entreprises canadiennes menant des activités au Nigéria a triplé au cours des trois dernières années; nous en comptons maintenant plus de 75.

Je vais maintenant parler des élections. Le 28 mars, les Nigérianes et les Nigérians ont été conviés aux urnes pour élire le président et des représentants de l'Assemblée nationale; les élections avaient auparavant été reportées de six semaines afin de permettre aux forces de sécurité du pays de concentrer leurs efforts sur la libération des villes dans le nord-est du pays qui étaient occupées par Boko Haram.

Après deux jours de scrutin, durant lesquels des millions de Nigérianes et de Nigérians ont attendu patiemment dans de longues files d'attente et bravé la chaleur et la pluie, le principal candidat de l'opposition, le général à la retraite Muhammadu Buhari, qui a été chef d'État du Nigéria de 1983 à 1984, a remporté les élections par un écart considérable. En dépit de nombreuses difficultés d'ordre technique et organisationnel, les élections se sont déroulées mieux que prévu et dans un climat majoritairement pacifique. Par ailleurs, les résultats ont été jugés crédibles par les observateurs internationaux et locaux.

Malgré des attaques isolées perpétrées par Boko Haram contre des électeurs dans le nord-est du pays, ce groupe n'a pas eu d'incidence notable sur la participation au scrutin et n'a pas nui à la crédibilité des élections.

Les résultats de ces élections marquent la toute première fois de l'histoire du Nigéria qu'un changement de gouvernement démocratique donne lieu à un transfert des pouvoirs d'un parti sortant à un parti de l'opposition, illustrant ainsi la progression de la démocratie au Nigéria.

Le président sortant, M. Jonathan, a rapidement prononcé un discours dans lequel il a concédé sa défaite et demandé à ses partisans de demeurer calmes, ce qui a contribué dans une large mesure à éviter des actes de violence et une agitation publique à grande échelle, particulièrement dans une région où le transfert pacifique des pouvoirs n'est pas la norme. Le président élu, M. Buhari, a également reçu des éloges pour les efforts qu'il a déployés afin d'encourager ses partisans à faire preuve de retenue.

Le transfert officiel des pouvoirs aura lieu demain le 29 mai, lorsque M. Buhari sera assermenté officiellement pour un mandat de quatre ans. Le secrétaire parlementaire, M. Deepak Obhrai, représentera le Canada lors de cette cérémonie.

Le Canada soutient depuis longtemps la bonne gouvernance au Nigéria, ayant apporté un appui à toutes les élections nationales qui ont été organisées depuis le retour du pays à la démocratie en 1999. Par exemple, le Canada a appuyé les efforts visant à renforcer les processus de réforme électorale, à améliorer le fonctionnement des principales institutions électorales et démocratiques et à favoriser une citoyenneté active et une plus grande responsabilisation démocratique. Ces réformes électorales sont des éléments essentiels de la paix et de la prospérité au Nigéria.

[Français]

Boko Haram continue d'être une force déstabilisatrice au sein du Nigéria et de la région élargie, menant notamment des attaques au Cameroun, au Niger et au Tchad. Depuis le début du conflit en 2009, plus de 13 000 personnes ont perdu la vie et quelque 1,5 million de personnes ont été déplacées à l'intérieur de leur pays. Le groupe continue également de nuire à la prestation d'une aide humanitaire grandement nécessaire à des millions de personnes dans le Nord.

Depuis 2010, la campagne de terreur menée par Boko Haram au Nigéria et dans la région du lac Tchad a pris de l'ampleur : les attaques sont plus fréquentes et d'une plus grande portée ainsi que plus sophistiquées et plus meurtrières. Le groupe a souvent recours à l'enlèvement de femmes et de filles, lesquelles sont victimes de violences sexuelles et de mariages forcés.

À cet égard, le 14 avril dernier a marqué le premier anniversaire de l'enlèvement de 276 écolières par Boko Haram dans la ville de Chibok, la majorité d'entre elles manquant toujours à l'appel.

[Traduction]

Le Canada a condamné avec la plus grande fermeté les violations graves et généralisées du droit international en matière de droits de la personne et les violations du droit humanitaire international commises par Boko Haram. Nous sommes toujours résolus à promouvoir et à protéger les droits des femmes et des filles à l'échelle mondiale, et nous continuons à demander la libération immédiate de toutes les victimes enlevées par Boko Haram.

Les efforts déployés récemment par le Nigéria pour démanteler les forces de Boko Haram dans le nord-est du pays ont permis, au cours des dernières semaines, de libérer des centaines de femmes et de filles enlevées par le groupe terroriste. Bon nombre d'entre elles auraient été battues et seraient enceintes, et elles semblent toutes être gravement traumatisées. Il est donc urgent de leur apporter un soutien psychosocial soutenu afin de les aider à réintégrer leur collectivité.

Le serment d'allégeance fait par Boko Haram envers l'EILL en mars dernier est préoccupant, car il donne suite au même serment d'allégeance fait par des groupes salafistes en Libye. Bien que nous n'ayons encore constaté aucun lien opérationnel important entre les deux groupes, nous continuons de surveiller toute incidence potentielle de cette alliance sur les efforts de recrutement et les capacités de Boko Haram ainsi que le risque de radicalisation qu'elle pose.

En décembre 2013, le Canada a ajouté Boko Haram à sa liste d'organisations terroristes en vertu du Code criminel canadien. Le Nigéria et ses pays voisins, à savoir le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Bénin, mettent en œuvre des plans pour combattre les insurgés par l'intermédiaire d'une force opérationnelle interarmées multinationale. Une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies à l'appui de cette force opérationnelle fait actuellement l'objet d'un examen. Pendant l'élaboration de ces plans, le Tchad a déployé quelque 4 500 agents de sécurité au Cameroun et au Niger pour appuyer les efforts régionaux. À cet égard, les soldats tchadiens ont joué un rôle de premier plan dans la lutte contre Boko Haram à l'intérieur des frontières du Nigéria et la reprise des villes occupées par Boko Haram.

Bien que les forces de Boko Haram soient actuellement en fuite dans le nord-est du Nigéria, le groupe s'est avéré une force d'insurrection rurale efficace qui saura probablement maintenir une présence opérationnelle importante. Les attaques se poursuivent, mais à un rythme moins soutenu, et le nombre de décès chez les civils continue d'augmenter. Le retour des personnes déplacées à l'intérieur du territoire pourrait prendre des années.

Le Canada appuie la coordination solide des efforts déployés par le Nigéria et ses pays voisins afin de gérer cette menace pour la sécurité régionale, et nous continuons d'exhorter le gouvernement du Nigéria à assurer la protection des populations civiles contre les attaques et à s'efforcer sérieusement d'éliminer la corruption dans les forces militaires.

L'insurrection de Boko Haram au Nigéria ne pourra être défaite par une simple action militaire. Il faudra en outre promouvoir un développement plus équilibré à l'échelle du pays et aborder les disparités socioéconomiques de longue date, particulièrement dans le nord-est, si nous voulons assurer la stabilité et la prospérité à long terme du Nigéria et de l'ensemble de la région.

[Français]

Nous sommes encouragés par les engagements qu'a pris le président élu, Buhari, à cet égard et nous continuerons d'assurer un suivi adéquat de la situation.

Le Canada est déterminé à poursuivre ses efforts dans le domaine de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, tout en jouant un rôle de premier plan dans l'éradication de la poliomyélite au Nigéria.

[Traduction]

Nous encourageons le Nigéria à maintenir un dialogue constructif qui lui permettra de s'attaquer aux causes profondes de la violence et d'aborder la question du chômage massif des jeunes. Le Canada s'engage à soutenir les populations les plus vulnérables en favorisant la croissance économique durable du pays, notamment au moyen de la création de possibilités d'emploi concrètes pour les jeunes Nigérians dans des secteurs tels que l'agriculture et la foresterie.

[Français]

Merci beaucoup. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions maintenant.

[Traduction]

La présidente : Je présume, monsieur Stone, que vous êtes là pour aider à répondre aux autres questions du comité. Puis-je vous demander de faire un commentaire général? Lorsque le président Jonathan a réalisé qu'il avait perdu les élections, il a fait une déclaration très intéressante, à savoir qu'il ne faut pas que l'égo d'un politicien prenne le dessus — je n'arrive pas à me souvenir des mots exacts — et que le sang nigérian ne doit pas couler pour satisfaire l'égo d'un politicien. C'était une déclaration incroyablement intéressante, et j'ai trouvé que cela a vraiment permis de calmer le jeu dans la région.

C'était un problème. Je crois comprendre qu'à la veille du transfert des pouvoirs présidentiels prévu demain un accord a été conclu pour que 800 millions de dollars soient retournés dans les coffres en raison de la corruption dans l'industrie pétrolière, et c'est un engagement que le président sortant et son parti ont pris.

Ce sont des signes très positifs et très encourageants en vue d'intégrer le Nigéria dans une gouvernance plus internationale. À la lueur de ces déclarations et de cette direction, pensez-vous que nous devrions être optimistes au sujet de l'avenir du Nigéria? Par exemple, le Ghana a connu des transitions pacifiques d'un parti à un autre, et il en va de même pour le Sénégal, même si le président sortant voulait prolonger son mandat. Il y a quelque chose qui se passe sur cette côte qui ne semble pas trouver écho ailleurs.

Nous voyons la situation terrible actuellement au Burundi, où le président essaie d'étendre son pouvoir constitutionnel pour demeurer en poste. Bref, y a-t-il quelque chose d'unique que nous devrions appuyer dans cette région?

M. Neufeld : Merci beaucoup. Vous avez parlé au début de votre intervention du discours dans lequel le président Jonathan concédait la victoire à son adversaire, et j'aurais aimé l'avoir mémorisé exactement, parce que c'était une déclaration très importante et très touchante.

La présidente : Permettez-moi de vous interrompre un instant. Mon analyste vient de me remettre la citation en question, que je pensais avoir mémorisée :

[...] Il n'y a aucune personne dont l'ambition vaut la peine de faire couler du sang nigérian. Rien n'est plus important que l'unité, la stabilité et le progrès de notre pays bien-aimé.

M. Neufeld : Les analystes et les observateurs considèrent que cette déclaration et la reconnaissance rapide de sa défaite — il a rapidement concédé la victoire à son adversaire — ont été déterminantes dans le déroulement particulièrement pacifique de cet événement. Avant les élections, de nombreux analystes prévoyaient une vague de violence, qui ne s'est pas produite.

En ce qui concerne l'engagement du gouvernement ou du parti sortant de remettre de l'argent dans le Trésor, je ne sais pas. Je devrai vous revenir avec l'information. Je n'ai pas de renseignements au sujet de cet engagement.

Le Nigéria a prêché par l'exemple lors de ces élections, et cela n'est certainement pas passé inaperçu dans l'ensemble du continent et en particulier dans la région. Le Nigéria vient de relever considérablement la barre en ce qui a trait aux comportements attendus lors des élections et de la transition. Il y aura beaucoup d'élections cette année et l'année prochaine.

Comme vous l'avez souligné, la situation actuelle au Burundi préoccupe grandement la communauté internationale, le Canada, ses voisins et bien entendu les Burundais. Je crois que les attentes des gens ont considérablement changé pour ce qui est de la manière de mener des élections en Afrique, et nous suivrons avec grand intérêt les prochaines élections.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vous souhaite la bienvenue. J'ai été enchantée de vous saluer et de vous poser quelques questions avant le début de la réunion.

Depuis le début, je lis dans les journaux l'avancée du groupe Boko Haram. On peut lire des articles sur les atrocités commises, la destruction de villages entiers, et il y a des milliers de morts. Lorsqu'ils vont dans les villages, ils tuent tout le monde et ils gardent les femmes. C'est surtout l'enlèvement des jeunes femmes et des jeunes filles qui m'inquiète, et je pense que c'est une situation très inquiétante. Je le répète, les atrocités contre les femmes sont incroyables et inacceptables.

On peut s'apercevoir que les efforts déployés jusqu'à maintenant ne semblent pas suffisants. Quelle est la taille de l'armée de Boko Haram? Qui paie pour lui fournir les armes, les chars d'assaut, les jeeps et tout ce qui concerne ce conflit? J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet. Êtes-vous en mesure de répondre à mes questions?

M. Neufeld : Je vais céder la parole à mon collègue, James Stone.

[Traduction]

James Stone, directeur adjoint, Afrique occidentale, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Votre question porte sur la taille de Boko Haram et la provenance de ses fonds. Il est difficile de répondre exactement à ces questions. Boko Haram est un groupe difficile à cerner. Il n'y a pas de carte de membre, mais le groupe a certainement perdu au cours des trois derniers mois tous les territoires et toutes les villes qu'il occupait au Nigéria. C'est maintenant en grande partie un groupe rural qui peut attaquer des villes et des petits villages.

Il n'y a aucune source fiable concernant le nombre de combattants, parce qu'il n'y a aucun noyau permanent. Les gens arrivent et partent, mais il y aurait environ 20 000 combattants, selon les estimations.

Pour ce qui est de la provenance de l'argent du groupe, cela semble provenir du pillage. Le groupe vole des banques et des particuliers. Il vole du bétail et le vend. Il enlève des gens, en particulier des femmes, et exige une rançon à leur famille.

Beaucoup d'armes lourdes de Boko Haram proviennent des retraites de l'armée nigériane, mais cela semble être de l'histoire ancienne. L'armée nigériane est maintenant beaucoup plus organisée et reçoit beaucoup d'aide des pays voisins, en particulier du Cameroun, du Niger et du Tchad, en vue de combattre Boko Haram.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Est-ce que le Canada a fourni de l'aide humanitaire? En plus de l'aide accordée à la santé des mères et des enfants, est-ce qu'il y a eu autre chose?

M. Neufeld : La question de la santé des mères et des nouveau-nés est un pilier central de notre coopération avec le Nigéria. De plus, nous travaillons avec la communauté internationale dans la lutte contre la poliomyélite, parce que le Nigéria, surtout dans le nord, est l'un des trois pays dans le monde où la poliomyélite est toujours active au sein de la population. C'est l'une de nos interventions les plus importantes.

En termes d'aide humanitaire, nous travaillons avec les Nations Unies, mais je ne dispose pas de chiffres précis. Je pourrai vous les fournir dans un bref délai.

La sénatrice Fortin-Duplessis : En français, vous avez fait référence à la poliomyélite.

M. Neufeld : M. Stone vient de me préciser le paragraphe que je cherchais.

Depuis 2015, nous travaillons avec la Croix-Rouge canadienne par l'entremise de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et de la Croix-Rouge nigérienne, dans le nord-est. Le problème de la crise dans le nord-est, c'est que l'accès à ces états est très difficile. On ne peut pas y envoyer des organisations canadiennes. Nous avons de la difficulté à envoyer des étrangers sur place, même pour les Nigérians qui ne sont pas résidants dans la région. Il est extrêmement difficile d'aller travailler là-bas.

La Croix-Rouge nigérienne a des sections dans tous les États du Nigéria. Notre appui humanitaire passe par la Croix-Rouge nigérienne, et nous sommes en mesure de travailler dans les trois États les plus touchés de Boko Haram.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Savez-vous si des Canadiens quittent le pays pour se joindre au groupe de Boko Haram?

[Traduction]

M. Stone : Nous n'avons rien qui l'indique.

La sénatrice Eaton : Merci de votre présence, messieurs. Pourriez-vous nous expliquer comment Boko Haram a vu le jour? J'ai aussi une deuxième question. Le Nigéria est-il un État laïque ou applique-t-il la charia?

M. Neufeld : Je vais répondre à la deuxième partie de votre question, et je vais laisser la première partie à...

La sénatrice Eaton : Le groupe est-il chiite ou sunnite?

M. Neufeld : Le Nigéria est un pays tellement vaste et diversifié que nous ne pouvons pas vraiment généraliser. Au risque de simplifier à outrance, les musulmans ont tendance à se trouver au nord, tandis que les chrétiens ont plus tendance à se trouver au sud. Dans le nord du pays, il y a des États qui appliquent la charia. Il s'agit d'un système fédéral, mais les États sont considérablement autonomes et s'occupent de beaucoup d'aspects, comme c'est le cas au Canada. Des domaines très précis relèvent des États. Bref, des États appliquent la charia, mais ce n'est pas le cas sur la scène nationale.

Je vais laisser à M. Stone le soin de vous dire si Boko Haram est un groupe sunnite ou chiite et de vous expliquer comment ce groupe a vu le jour dans la région.

M. Stone : Vous voulez savoir si Boko Haram est un groupe sunnite ou chiite, et la réponse est simple, étant donné que les musulmans au Nigéria sont majoritairement sunnites. Ils sont devenus sunnites à la suite du commerce transsaharien au Moyen Âge. Néanmoins, il y a de plus en plus de chiites dans le Nord du Nigéria.

En ce qui concerne la naissance de Boko Haram, c'était un groupe fondamentaliste au début des années 2000 qui s'était exilé de la société pour établir ses propres communes. Cependant, les membres de ce groupe étaient en grande partie perçus comme une menace par le gouvernement nigérian, parce qu'ils n'avaient pas besoin de faire affaire avec des représentants ou le gouvernement du Nigéria ou l'éducation occidentale. Leur croyance fondamentale est que...

La sénatrice Eaton : Est-ce que ce sont des salafistes?

M. Stone : Ce sont des salafistes — profondément salafistes —, ce qui signifie qu'ils croient que les seules lois qui tiennent sont celles qui émanent des textes fondateurs de l'Islam.

Ils se sont aussi mis à dévaliser des banques, et le gouvernement nigérian a sévi sans ménagement contre eux. Alors, les tensions entre les groupes ont grandi rapidement, et c'est pourquoi il y a maintenant une organisation comme Boko Haram.

Boko Haram a vu le jour dans le Nord du Nigéria, qui est une région très pauvre. Les possibilités d'emploi sont rares et le chômage chez les jeunes est très élevé. Le climat y est sec et aride, et la région a accueilli divers califats au fil de son histoire. Ces groupes sont donc des rejetons légitimes d'organisations telles que le califat de Sokoto ou Kano.

Boko Haram s'inscrit donc aussi dans la tradition des groupes rebelles. La grande différence, c'est qu'il est extrêmement violent. Il n'existe aucun texte fondateur qui peut nous donner une idée de ce qu'il est exactement. Il y a des indices et des leitmotive, mais pas de déclaration générale.

La sénatrice Eaton : Le chef de Boko Haram jouit-il d'une certaine renommée?

M. Stone : Oui. Vous pouvez le voir sur YouTube. Il s'appelle Abubakar Shekau, et il est toujours présenté comme étant le porte-parole de l'organisation. Nous ne savons pas s'il en est le seul chef — il y a beaucoup d'indices qui nous portent à croire que Boko Haram est un regroupement d'organisations qui ont une pensée commune —, mais c'est lui qui est le plus en vue, notamment dans la presse internationale. On a dit à trois occasions qu'il avait été tué.

La sénatrice Ataullahjan : J'ai deux ou trois questions à vous poser. L'UNICEF a déclaré récemment qu'on avait constaté une augmentation alarmante des attentats-suicides à la bombe commis par des filles et des femmes. Les filles ont entre 7 et 17 ans, et elles ont été impliquées dans neuf de ces attaques depuis le mois de juillet.

Pourquoi se servent-ils de jeunes filles et d'enfants? Est-ce que ces filles font partie de celles qui ont été enlevées? Avons-nous une idée du nombre de filles qui ont été enlevées par Boko Haram et du nombre de filles qui ont été secourues?

M. Neufeld : Il est très difficile de vérifier l'exactitude et la fiabilité des renseignements qui nous arrivent de ces régions. Nous savons qu'il y a probablement des centaines, voire des milliers de femmes et de filles qui ont été enlevées. Nous savons qu'il y en a des centaines, peut-être même des milliers, qui se sont échappées ou qui ont été libérées ces derniers temps.

Mais comme c'est le cas pour les nouvelles récurrentes rapportant la mort du chef de l'organisation, il est très difficile de vérifier cette information. Et comme l'accès à cette région est très difficile, la presse n'y est pas. Notre haut- commissariat et son personnel ne sont pas en mesure d'y aller non plus. Les ONG d'une certaine importance qui, normalement, pourraient rendre compte de ce qui se passe sont tout simplement absentes. Ou elles essaient de travailler en gardant un profil très bas. Il est donc très difficile de confirmer ce type d'information.

Avez-vous quelque chose à ajouter, Jim?

M. Stone : Je pense que vous avez fait le tour de la question.

M. Neufeld : En ce qui a trait à votre question, il faut comprendre que certains de ces kamikazes commettent ces attentats de façon bien involontaire. Il se peut que ce soit des gens qui ont été convertis ou forcés, mais il est très difficile de faire la part des choses à ce sujet.

Au fur et à mesure que l'armée nigériane augmente sa présence et son contrôle dans la région et grâce au soutien des pays voisins, nous pouvons espérer que le contrôle civil s'en ira lui aussi en s'accentuant et que nous serons à même d'avoir de l'information plus précise sur ce qui se passe là-bas. Mais, pour l'instant, la situation reste très problématique.

La sénatrice Ataullahjan : Dans un article paru dans le New York Times, le 26 mai, et intitulé « Former Strongman Taking Over Presidency Raises Hope in Nigeria », qu'on pourrait traduire par « L'accession d'un ancien homme fort à la présidence du Nigéria suscite de l'espoir », on cite Alhaji Lai Mohammed, qui est le porte-parole du All Progressives Congress :

C'est la première fois de notre histoire qu'un gouvernement livre à son successeur un pays en si mauvais état : il n'y a pas d'électricité, il n'y a pas de carburant, les travailleurs sont en grève, des milliards sont dus aux travailleurs de l'État et aux travailleurs fédéraux, la dette nationale est de 60 milliards de dollars et l'économie est virtuellement à terre.

Dans quelle mesure le nouveau président peut-il être efficace? Peut-on espérer qu'il préconise des changements démocratiques dans le pays? Imposera-t-il plutôt un retour à la dictature militaire d'il y a 30 ans? En 1985, lorsqu'il a été renversé, ils étaient très peu nombreux à regretter son départ.

M. Neufeld : Selon l'analyse que font les observateurs de la situation, le nouveau gouvernement a reçu un mandat très fort. Le peuple nigérian a clairement fait savoir qu'il souhaite la paix et la stabilité.

Ses antécédents militaires lui donnent beaucoup de crédibilité de bon aloi. Étant donné qu'il est un chef militaire, les analystes de l'extérieur croient que les gains réalisés récemment contre Boko Haram pourraient être consolidés et que de nouvelles avancées pourraient être faites plus rapidement, ce que les Nigérians, les pays limitrophes et la communauté internationale souhaitent ardemment.

En outre, les Nigérians aspirent sincèrement à ce qu'on s'attaque au problème de la corruption. Le nouveau président a énormément de crédibilité dans ce domaine également. Nombreux sont ceux qui croient que la corruption ne l'a pas touché, alors son autorité est considérable à cet égard.

En ce qui concerne le développement, l'amélioration des conditions sociales et les gains économiques que le Nigéria ne cesse de réaliser, il faudra attendre un peu pour voir si ces gains s'étendront à l'ensemble du pays, si les institutions démocratiques seront consolidées, et cetera. Au début de la semaine, il y a eu une réunion préliminaire réunissant le vice-président désigné et les intervenants du développement au Nigéria. Au cours de cette réunion, le gouvernement a fait part de certaines de ses intentions et la communauté internationale a fait connaître ses préoccupations. Il y a eu une discussion très encourageante cette semaine, mais il est assurément trop tôt pour se prononcer sur l'orientation que les choses vont prendre.

La sénatrice Ataullahjan : Le nouveau président a déjà laissé entendre que les choses allaient changer. Dans une entrevue publiée récemment, il a dit qu'il ne laissera pas les gouverneurs des États choisir les ministres, comme cela se fait habituellement, mais qu'il va plutôt choisir lui-même ses ministres, ce qui semble prometteur.

Le président : J'aurais une question supplémentaire. Boko Haram existe depuis 2000, et sa présence là-bas était connue. Il s'agissait d'un petit groupe qui se déplaçait dans les villages.

Les problèmes semblent avoir pris des proportions incontrôlables lorsque le président Jonathan a dû prendre la place d'un président qui venait du Nord, alors que lui venait du Sud. On l'a donc accusé d'être réticent à intervenir dans le Nord sous prétexte que cela pouvait lui faire perdre l'élection. Bien entendu, au fil des ans, la situation s'est envenimée. Or, avec ce nouveau président qui vient du Nord, croyez-vous que cela signifie que quelqu'un pourra désormais s'attaquer au problème sans craindre de bouleverser tous les califats, et cetera? Et deuxièmement, croyez- vous que cette impulsion lui permettra de continuer d'essayer de contenir l'activité de Boko Haram et, le cas échéant, croyez-vous qu'il est dans une meilleure position pour le faire?

M. Neufeld : La politique nigériane est très complexe. Il y a bien sûr les divisions religieuses, mais aussi beaucoup de divisions ethniques. C'est un très grand pays, un pays très diversifié, et il y a de grandes inégalités entre les différentes régions. Alors, l'identité et l'origine du président ne changeront rien au fait qu'il est très difficile d'équilibrer tous ces facteurs.

Je ne suis pas assez bien renseigné pour expliquer les grandes difficultés qu'a connues le président sortant relativement à cette insurrection problématique dans le nord-est du pays, mais j'estime que le nouveau président a reçu un mandat clair de la part de tous les Nigérians : on veut qu'il règle ce problème. Le président a de solides antécédents, ce qui porte à croire qu'il sera en mesure de donner suite aux engagements de sa plateforme électorale.

Si je puis me permettre d'ajouter quelque chose, je dirais qu'en dépit du fait que le Nord soit à prédominance musulmane et le Sud, à prédominance chrétienne — ou peut-être à cause de cela —, la constitution nigériane exige que les candidats présidentiels obtiennent un certain pourcentage des suffrages dans chacun des 36 États, ce qui signifie que le mandat reçu par le nouveau président est vraiment un mandat « national ». Même sous le règne du président Goodluck Jonathan, je pense que les visées ou les actions de Boko Haram ne créaient pas un si grand émoi dans le reste du pays. Or, l'opposition actuelle à l'égard de ce groupe s'est assurément cristallisée dans un mandat électoral très clair.

Le président : La communauté internationale a décidé que le problème, l'élection et la présidence étaient une dynamique Nord-Sud. Mais en ce qui concerne ce que la sénatrice Ataullahjan nous a dit au sujet des gouverneurs — c'est-à-dire que le nouveau président allait prendre le contrôle et que les gouverneurs n'auraient plus leur mot à dire dans le choix des ministres —, il faut préciser que c'est l'histoire passée du Nigéria qui a amené le pays à créer ces 36 États comme moyen de répondre au besoin de décentralisation et de gérer tous les bouleversements qui se sont produits. Si le président décide maintenant d'aller dans l'autre sens et de circonscrire l'influence des États, ne risque-t-il pas de créer un nouveau problème, un problème indépendant de Boko Haram? Je ne fais que soulever la question.

M. Neufeld : Comme je l'ai dit, le contexte politique nigérian est extrêmement complexe. Le pays connaît actuellement une vague d'optimisme tangible, mais les attentes sont très élevées et il sera difficile de les combler. Nous allons suivre la situation de très près et offrir notre aide autant que faire se peut, mais personne ne se fait d'illusion : nous n'avons pas toutes les réponses en main. Il y aura des compromis et, assurément, des conséquences.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Cette discussion est très intéressante et très instructive.

Compte tenu des agissements de Boko Haram, de la violence et des enlèvements, je me demande ce qui arrive aux femmes et aux filles du Nigéria. En ce qui concerne ce qu'elles sont en mesure de faire, la situation a-t-elle changé? J'ai deux filles. Si j'étais là-bas, j'aurais peur de les laisser sortir. Y a-t-il eu des changements dans les habitudes de vie et, si oui, quels sont-ils? Les femmes et les filles peuvent-elles se promener librement ou doivent-elles rester sur leur garde?

M. Neufeld : Il est très important de comprendre que Boko Haram ne s'est jusqu'ici manifesté que dans le nord-est, qui n'est qu'une région isolée et retirée dans un vaste pays.

L'incidence que les actions de Boko Haram — notamment en ce qui concerne les filles de Chibok — ont eue sur le degré de sensibilisation à l'échelle nationale a été très forte. Il y a eu une vague de sympathie, les gens se sont sentis interpelés et il y a eu une certaine mobilisation, notamment au sein des groupes de la société civile et des groupes communautaires nigérians. Les gens sont conscients de ce qui se passe. Mais la menace que Boko Haram exerce sur les femmes et les enfants en dehors de cette région n'est pas réelle et, à ma connaissance, on ne la perçoit pas comme étant réelle.

Cela dit, le Nigéria est une société où les problèmes sociaux sont légion, ce qui rend souvent les choses difficiles pour les membres de la société. Par exemple, les indicateurs particuliers aux problèmes de santé des femmes et des enfants sont lamentables pour une grande partie du pays. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Canada a choisi d'axer une partie de ses efforts en matière de développement sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants; les indicateurs à cet égard sont éloquents.

La sénatrice Cordy : C'est donc surtout dans le Nord que ces choses se produisent.

Les efforts déployés pour combattre Boko Haram ont-ils eu un certain succès jusqu'ici? Y a-t-il une seule chose qui fonctionne? Vous avez dit qu'ils dévalisaient des banques pour se financer, mais ils le font beaucoup moins qu'avant, voire plus du tout. Y a-t-il d'autres choses qui ont été tentées et qui ont donné des résultats?

M. Neufeld : Je vais demander à Jim de répondre à cette question. Je tiens avant cela à souligner que la région où Boko Haram est actif, c'est le nord-est. J'aurais dû apporter une carte. Son action est vraiment circonscrite au nord-est. La majeure partie du nord du pays n'est pas sous l'emprise de Boko Haram.

M. Stone : Ce qui fonctionne à l'heure actuelle, c'est la solution militaire. Les forces nigérianes appuyées des forces tchadiennes et nigériennes et de troupes camerounaises ont été en mesure de reprendre des villes et des villages, et les pertes chez les militants de Boko Haram ont été très nombreuses. Les opérations ont en outre permis de saisir une importante quantité d'armes. La solution militaire est celle qu'il faut appliquer maintenant. Ensuite, le gouvernement devra s'attaquer aux nombreux problèmes économiques et sociaux qui accablent le nord du pays depuis fort longtemps.

Vous avez parlé de vols de banques. Il y a eu une solution radicale à cela : il n'y a plus de banque dans le Nord.

Le Nord du Nigéria a d'autres problèmes. L'un d'eux est que Boko Haram a ciblé les télécommunications, et que beaucoup de tours qui relayaient les signaux de téléphonie cellulaire ont été détruites. Pour répondre à cela, comme mesure de sécurité, les Nigérians ont interrompu la couverture de téléphonie cellulaire dans le Nord. Voilà pourquoi il est si difficile de vérifier les échos qui nous parviennent de cette région.

La sénatrice Cordy : Savez-vous combien de militants font partie de Boko Haram et comment le groupe effectue son recrutement? Le recrutement se fait-il simplement grâce à toute la publicité dont le groupe fait l'objet?

M. Stone : D'après les rapports que j'ai vus, il y a peu de recrutement par l'intermédiaire de la doctrine. Boko Haram recrute le gros de ses combattants par la lutte qu'il fait à la pauvreté en fournissant de l'argent, de la nourriture ou des motocyclettes aux gens. Presque tous les combattants sont des hommes. On rapporte que les kamikazes sont un mélange d'hommes, de femmes et d'enfants. Le fondement économique de l'organisation est enraciné dans la pauvreté qui marque cette région.

La sénatrice Cordy : Ce n'est pas dans le fondamentalisme.

M. Stone : Il y a un noyau fortement fondamentaliste. La doctrine est fondée sur le rejet d'un grand nombre de choses que le Canada juge importantes — la démocratie, la possibilité de s'exprimer librement —, car Boko Haram croit que ces valeurs ne sont pas compatibles avec les textes fondateurs de l'islam.

Le sénateur Oh : Avons-nous une idée de ce à quoi ressemble le nouveau gouvernement? Quel est le pourcentage de chrétiens et de musulmans dans le Nord?

M. Neufeld : Si vous parlez du cabinet...

Le sénateur Oh : Je parle des députés.

M. Neufeld : C'est une information que nous pourrions trouver, mais je n'ai pas ces chiffres en tête.

Nous ne connaissons pas encore la composition du cabinet. Il est possible d'avoir la répartition des députés qui forment le nouveau parlement, mais nous allons devoir vous revenir là-dessus.

Le sénateur Oh : Donc, les chrétiens du sud du pays ne se sentent menacés d'aucune façon par Boko Haram?

M. Neufeld : Le nouveau gouvernement a été élu à cause de son programme anti-Boko Haram.

Au Nigéria, la tradition veut que la présidence soit occupée en alternance par quelqu'un du Nord et quelqu'un du Sud. L'un des facteurs qui alimentent la tension ou la violence potentielle entourant les élections est l'inquiétude à l'égard de l'autre communauté. Toutefois, le général Buhari et son gouvernement ont remporté une importante majorité, ce qui leur aurait été impossible sans avoir aussi obtenu une quantité considérable de votes dans le Sud.

De plus, selon le système fédéral, il est nécessaire d'obtenir un certain pourcentage des suffrages dans chacun des États. Le mandat du général Buhari et de son gouvernement est donc bel et bien un mandat « national ». Bien entendu, cela ne signifie pas que le résultat de l'élection n'en a pas profondément déçu certains, mais cette déception ne s'est pas transformée en violence. Je crois que c'est un aspect tout à fait remarquable de cette élection, un fait des plus encourageants.

Le sénateur D. Smith : Vous avez parlé de certains des sujets auxquels je m'intéressais, mais je connais mieux les Igbos, les Yorouba et les Houassas, qui sont dans le Nord.

Ce qui m'intrigue, c'est que M. Buhari a manifestement obtenu un nombre considérable de votes dans les régions du Sud qui ne sont pas de confession musulmane, et je me demande quel était le raisonnement des électeurs. Souhaitaient- ils élire un dur à cuire dont les antécédents indiquaient qu'il pourrait peut-être gérer les fanatiques du nord-est? Voulaient-ils simplement que leur pays soit plus stable, et avaient-ils bon espoir que ce type pourrait sévir contre ces énergumènes du Nord? Il a effectivement obtenu un nombre considérable de voix — mais non une majorité — dans ces régions du Sud. Pourquoi, selon vous, s'est-il débrouillé aussi bien dans la partie sud du pays?

M. Neufeld : Je vais demander à M. Stone, qui observe le Nigéria depuis longtemps, de m'aider à répondre à cette question. Pendant quelque temps, il est probable que de nombreuses thèses de doctorat porteront sur ces élections, et ces thèses seront fascinantes à lire.

Il est clair que les gens étaient frustrés par la difficulté que le gouvernement sortant avait éprouvée à réprimer l'insurrection de Boko Haram pendant de longues périodes de temps. Je crois qu'il est clair que cette frustration a joué un rôle dans les résultats. Les compétences de l'ancien général Buhari et son programme en matière de paix, de sécurité et de stabilité étaient attrayants pour une part importante de l'électorat.

Le Nigéria est aux prises avec un sérieux problème de corruption, et M. Buhari a des compétences dans le domaine de la lutte contre ce fléau, et il a fait campagne sur ce thème. Je crois que cela a grandement attiré une part substantielle de l'électorat.

Je pense qu'à ce stade-ci, je vais céder la parole à James.

M. Stone : Un autre aspect positif du programme de M. Buhari a été le choix de son vice-président. Comme cela a été mentionné, M. Buhari est un musulman originaire du Nord. Par conséquent, il a choisi un candidat à la vice- présidence chrétien et originaire du Sud. Plus précisément, cet homme vient de Lagos, la capitale économique du Nigéria. La taille économique de Lagos joue un rôle important à cet égard. Cette ville abrite le principal port du Nigéria et compte plusieurs millions d'habitants — soit de 10 à 20 millions.

Le sénateur D. Smith : J'ai visité cette ville.

M. Stone : La victoire du président Buhari à Lagos a grandement influé sur l'appui du Sud dont il jouit.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez mentionné que la pauvreté était l'un des facteurs qui permettaient à Boko Haram de recruter des partisans. N'avez-vous jamais été témoin de cas où des parents envoyaient leurs enfants afin qu'ils servent de kamikazes, comme nous l'avons observé dans d'autres pays?

M. Stone : Personne ne nous a signalé de telles situations

La sénatrice Ataullahjan : Nous avons entendu dire que Boko Haram signifiait « éducation occidentale » — que Haram équivaut à « interdit ». Le mot « Boko » veut-il dire « éducation occidentale » ou correspond-il seulement au mot « occidental »?

M. Stone : Boko Haram est un terme haoussa qui signifie qu'une « éducation occidentale est interdite ». Le nom auquel Boko Haram choisit de s'identifier est en réalité un groupe de promotion et de salafisme, ce qui est différent et ce qui nous donne une meilleure idée de sa véritable philosophie.

Le président : Je vous remercie de votre présence et d'avoir entamé un débat et une discussion concernant les problèmes qu'affronte le Nigéria en raison à la fois des élections et des difficultés permanentes que le pays éprouve à gérer Boko Haram. Nous sommes conscients de la complexité du Nigéria, du rôle important qu'il joue en Afrique et du fait que nous commençons à peine à effleurer le sujet. Toutefois, je pense que vous nous avez montré à nous, les membres du comité, le chemin à suivre pour réfléchir au Nigéria, à ses enjeux et à l'importance stratégique qu'il revêt pour la politique étrangère canadienne.

Je vous remercie d'être venus et de nous avoir orientés dans la bonne direction.

Avant de conclure, je tiens à mentionner que le haut-commissaire de la République du Cameroun vient assister à nos audiences.

Des voix : Bravo!

Le président : Je sais que la question de Boko Haram est importante pour le Cameroun. Je vous remercie de votre présence.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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