Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 28 - Témoignages du 4 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 4 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 11 h 15, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général (sujet : la situation actuelle au Venezuela).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

[Note de la rédaction : Tous les témoignages des témoins sont traduits par un interprète hispanophone.]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Aujourd'hui, nous continuerons d'étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international.

En rapport avec cette étude, nous avons suivi ce qui s'est passé récemment au Venezuela, et aujourd'hui, nous nous penchons encore une fois sur la situation politique actuelle au Venezuela. Nous voulions commencer ce matin par entendre les épouses de trois prisonniers politiques au Venezuela, mais nous avons éprouvé des difficultés techniques et une tentative d'établir une vidéoconférence a échoué. Nous allons continuer d'essayer de régler ce problème.

Cela dit, nous sommes ravis d'accueillir d'autres témoins par vidéoconférence et ici dans la salle qui nous parleront de la situation actuelle au Venezuela.

Avant que nous commencions, j'aimerais souligner que nous travaillons dans trois langues aujourd'hui. Le zéro sur votre appareil vous permet d'écouter la langue utilisée sur le parquet; le 1, l'interprétation en espagnol, le 2, l'interprétation en anglais et le 3, l'interprétation en français.

J'espère que les témoins comprendront les difficultés qui se posent sur le plan de la communication.

Nous allons entendre les témoins selon l'ordre suivant : Dario Eduardo Ramirez Ramirez, conseiller municipal de Sucre, dans l'État de Miranda, membre du parti politique Voluntad Popular. Il est avec nous par vidéoconférence. Nous accueillons également par vidéoconférence Tamara Suju Roa, avocate vénézuélienne, directrice internationale de Foro Penal. Nous recevons aussi Anna Alessandra Polga Cedeno, membre de la diaspora vénézuélienne et activiste des droits de la personne, qui est ici avec nous dans la salle.

Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion. Nous vous demandons de faire un court exposé, et ensuite, les sénateurs auront certainement des questions à vous poser. Notre temps est restreint, car nous devons passer par la suite à un autre sujet. Veuillez donc faire un bref exposé, et je vais essayer de faire en sorte que les sénateurs soient brefs également pour que tout le monde ait la chance d'intervenir ce matin.

Nous allons commencer avec vous, monsieur Ramirez.

Dario Eduardo Ramirez Ramirez, conseiller municipal de Sucre, dans l'État de Miranda, membre du parti politique Voluntad Popular, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de vous intéresser à notre pays et à la situation à laquelle il est confronté. Je vais vous expliquer ce qui se passe au Venezuela et vous démontrer dans quelle mesure les droits de la personne ne sont pas respectés dans ce pays.

Je m'appelle Dario Eduardo Ramirez Ramirez et je suis conseiller municipal de Sucre. Toutefois, en ce moment, je suis en exil au Panama. Les élections sont un pilier de la démocratie...

La présidente : Si vous pouviez ralentir pour les interprètes, ce serait apprécié. Veuillez continuer.

M. Ramirez : La démocratie ne se résume pas à tenir simplement des élections. Ce n'est pas suffisant. Ce n'est qu'une étape dans un processus. Les vies humaines sont beaucoup plus importantes. La démocratie ne se résume pas non plus à voter. Bien entendu, les élections permettent d'exprimer la volonté de la majorité, et cette majorité doit être entendue et écoutée. Grâce aux élections, la majorité peut punir ou féliciter les dirigeants politiques pour leur travail. Notre société peut fonctionner.

Il s'est tenu plus de 20 élections au Venezuela au cours des 16 dernières années. De nombreuses personnes vont voter, mais elles ont de moins en moins confiance dans le système électoral, et de plus en plus de gens sont censurés.

En 1998, Hugo Chavez a été élu par une majorité d'électeurs qui en avaient assez des partis politiques traditionnels, et depuis, nous avons eu chaque année des élections pour une raison ou pour une autre. Nous avons eu des référendums, des consultations, des élections de conseillers, de députés, de maires, de présidents, et cetera. Les élections font désormais partie de la vie quotidienne des Vénézuéliens.

Au fil du temps, le parti au pouvoir a de plus en plus occupé l'avant de la scène. Les partis d'opposition n'avaient droit qu'à trois petites minutes chaque année à la télévision, mais le parti au pouvoir occupait l'antenne jusqu'à 6 heures par jour. Bien sûr, les partis d'opposition ont été victimes de violence et d'abus, et certains bureaux de scrutin ont été la cible d'actes de sabotage.

Les gens se sont soulevés contre le gouvernement, et des lois ont été adoptées pour rendre le pays moins totalitaire et communiste. Le président a déclaré que le système devait changer. Cela a donné de l'espoir à un pays qui avait été secoué par la corruption. Cet espoir a mené à la victoire des partis d'opposition lors d'élections municipales et d'élections de gouverneurs, et ces partis ont obtenu davantage de votes que le parti officiel au pouvoir lors des élections nationales.

Il y a eu des élections historiques en 2012. Après ces élections, M. Chavez est décédé et de nouvelles élections ont eu lieu, de nouvelles élections qui n'étaient ni justes ni encadrées par un organisme indépendant et qui ont porté au pouvoir Nicolás Maduro.

La démocratie n'était pas pour autant complètement disparue. Il y a eu en décembre dernier, des élections pour choisir des maires et des conseillers municipaux. Lors de ces élections, de nombreux jeunes ce sont portés candidats. Certains de mes collègues ont été élus maires et d'autres jeunes ont été élus à des charges publiques un peu partout au Venezuela.

Je vous relate tout cela pour vous donner un peu de contexte et pour rejeter les mensonges du régime. Le régime n'est pas du tout démocratique. Ces trois dernières années, Maduro et ses hommes de main n'ont pas respecté la volonté du peuple et ils ont tenu des élections inéquitables. Maria Corina Machado a été élue députée après avoir obtenu un nombre de votes record. Elle est ainsi devenue la leader de l'opposition de la nouvelle assemblée législative. Toutefois, le premier ministre a décidé de la destituer et de nommer à sa place un ami, un membre du parti au pouvoir. Leopoldo Lopez a par la suite fait la déclaration suivante : « Il faut trouver une solution démographique à la situation actuelle, à cette impasse. »

En mars 2014, M. Lopez a été emprisonné. Il s'agissait d'une décision unilatérale rendue par le président de l'assemblée, M. Cabello. Il a décidé de faire cette annonce dans les médias pour réprimer encore une fois la population. Les tribunaux étaient impuissants; ils ne pouvaient rien faire.

Un maire très populaire a été arrêté le lendemain de cette annonce parce qu'il n'avait tout simplement pas respecté le processus. Il a été destitué puis jeté en prison.

Antonio Ledezma a proposé une solution pacifique et démocratique à la crise. Il a été élu maire de Caracas en 2008 et en 2013. En février 2015, un an après l'emprisonnement de M. Lopez, la presse nationale a publié un article dans lequel on proposait une transition vers la démocratie. Cet article était signé par Machado, Lopez et Ledezma. Le lendemain, du personnel armé a attaqué le siège social de l'opposition et a arrêté le maire de Caracas. Tout cela à cause d'une lettre ouverte.

Daniel Ceballos est un jeune leader de la région des Andes. Il a été élu en 2008 dans l'État de Tachira, et en 2012, il s'est porté candidat à la mairie de San Cristobal. Il a été élu maire après avoir remporté plus de 50 p. 100 des voix. En mars 2014, il a été invité à une rencontre des maires à Miraflores, et quelques heures plus tard, 15 fonctionnaires armés l'ont arrêté à son hôtel sous prétexte qu'il n'avait pas respecté un certain délai de quelques heures. Il a été jeté en prison et destitué de son poste de maire. Son épouse s'est présentée lors des élections suivantes et a gagné avec 76 p. 100 des voix, mais son mari se trouve toujours dans la même prison que M. Lopez.

En mai 2015, M. Ceballos s'est porté candidat pour les élections parlementaires. Étant donné le problème de la sécurité et la crise économique au Venezuela, les élections parlementaires constituent le seul moyen pour la population d'exprimer sa volonté. Ces élections doivent avoir lieu cette année, mais elles n'ont pas encore été organisées. Il s'agit là d'une irrégularité flagrante. Les deux personnes dont j'ai parlé, M. Lopez et M. Ceballos, ont décidé de faire une grève de la faim jusqu'à ce que le ministre responsable des élections annonce une date définitive pour la tenue des élections. Ils en sont à leur douzième journée de cette grève de la faim.

Le gouvernement a répondu à cela en accentuant la répression et la violence. M. Ceballos a été envoyé dans une prison où sont incarcérés des délinquants et des meurtriers. Ces prisonniers et d'autres Vénézuéliens sont solidaires de M. Ceballos. Les prisonniers politiques sont torturés, personne ne peut leur rendre visite et ils ne peuvent pas communiquer avec leur famille.

Le 30 mai, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues du Venezuela et de plus de 25 villes dans le monde, y compris des villes canadiennes, pour soutenir M. Lopez et M. Ceballos. Elles ont exigé une date pour la tenue d'élections parlementaires, l'arrêt de la répression et le respect de la liberté et des droits de la personne.

Il y a quelques heures, la Cour suprême a destitué les maires qui ont des liens avec les partis d'opposition du pays parce qu'ils n'ont pas respecté les délais. Ce sont maintenant les socialistes qui sont au pouvoir dans les municipalités visées. Cependant, cette affaire n'est pas réglée.

Le Venezuela est un point de transit pour les trafiquants de drogues, et maintenant, des maires sont accusés de faire partie des réseaux de drogues. Non seulement des maires sont accusés d'être des trafiquants de drogues, mais des fonctionnaires municipaux sont aussi victimes de violence. Un membre du parti Voluntad Popular a été suivi même s'il a fait preuve d'une très grande transparence et qu'il a eu un mandat très productif.

Cela fait des années que le gouvernement ne respecte pas et ne reconnaît pas les résultats des élections.

Aujourd'hui, M. Ceballos et M. Lopez font une grève de la faim parce qu'ils ont osé demander une chose aussi simple qu'une date pour les élections ainsi que des élections qui se tiendraient en présence d'observateurs internationaux. Nous savons que 80 p. 100 des Vénézuéliens souhaitent un changement. Cependant, le gouvernement, bien entendu, ne veut pas de changement.

La présidente : Monsieur Ramirez, j'ai demandé des exposés brefs. Nous savons que vous avez d'autres choses à dire, alors vous pouvez très bien déposer votre déclaration auprès du comité, mais je souhaite que tous les témoins puissent s'exprimer. Si vous avez un dernier commentaire à formuler, allez-y.

M. Ramirez : Oui, bien sûr. J'allais terminer.

Il y a des prisonniers qui font la grève de la faim, comme je l'ai dit, et cela témoigne clairement des agissements du gouvernement vénézuélien. Il n'y a pas de démocratie au Venezuela. Le Canada a défendu la démocratie et les droits de la personne. Comme vous le savez, ces élections sont beaucoup plus que de simples élections. Nous demandons au gouvernement canadien d'exercer des pressions sur le gouvernement vénézuélien pour qu'il tienne des élections à une date précise de sorte que la plupart des Vénézuéliens puissent voter pour un changement de régime. Tous les jours, il faut défendre la liberté. Nous vous demandons d'être solidaire de notre peuple et de l'appuyer aujourd'hui, demain et toujours.

Je vous remercie.

La présidente : Je vais répéter que je veux donner à tout le monde l'occasion de s'exprimer.

La parole est maintenant à Mme Roa.

Tamara Suju Roa, avocate vénézuélienne, spécialiste des droits de la personne, directrice internationale de Foro Penal, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs et honorables sénateurs. Je m'appelle Tamara Suju Roa. Je suis avocate au Venezuela, spécialiste des droits de la personne et directrice internationale de Foro Penal. Nous défendons les victimes de violations des droits de la personne.

Du 4 février 2014 au 31 mai 2015, 13 700 personnes ont été arrêtées durant des manifestations. De ce nombre, 370 sont des personnes mineures, âgées de moins de 18 ans, et 2 048 personnes subissent actuellement un procès criminel. Elles ne peuvent pas profiter de leur liberté, car elles ne sont pas autorisées à voyager ni à quitter le pays.

Le 31 mai 2015, 31 personnes étaient toujours emprisonnées à la suite des manifestations de février 2014 et 46 personnes ne profitaient pas d'une liberté totale à cause de leurs idées politiques. Au total, 77 personnes ont été incarcérées pour des raisons politiques. Parmi elles, 12 sont des étudiants et 16 sont des femmes.

Il y a notamment Ivan Simonovis, qui est incarcéré depuis neuf ans et qui est maintenant assigné à résidence en raison de sa piètre santé. Antonio Ledezma, maire de Caracas, est détenu pour conspiration depuis un certain temps. Il est assigné à résidence depuis qu'il a subi une chirurgie d'urgence. Ces personnes ont été élues en bonne et due forme.

Il y a aussi des gens comme Ines Gonzales et Victor Ugas qui ont des comptes Twitter et qui ont été emprisonnés pour avoir critiqué le gouvernement.

Ce sont tous des gens très brillants qui ont participé aux manifestations dont je viens de vous parler et qui ont aidé les manifestants.

À l'heure actuelle, des étudiants ont été arrêtés et ont reçu des peines d'emprisonnement. Le droit de se défendre est bafoué et il est beaucoup plus difficile maintenant de transmettre de l'information. On ne communique plus, notamment, les raisons qui ont motivé l'incarcération de nombreux prisonniers.

On met aussi en place des tribunaux civils sur les bases militaires, ce qui veut dire que les agences de renseignement agissent au nom de l'exécutif national et ne relèvent pas du ministère de la Justice. C'est ce qui a mené à la détention arbitraire d'Antonio Ledezma, maire de Caracas, qui a été détenu sans que des accusations soient portées devant un tribunal.

Il existe quelque 138 cas de torture et de traitement cruel, dont au moins 12 cas de torture avec décharge électrique, des cas d'agressions sexuelles, et 8 cas de tentatives de viol. Parmi les autres formes d'intimidation, mentionnons 11 cas d'asphyxie avec un sac de plastique, 10 cas de traumatismes et de fractures multiples, dont des fractures crâniennes, et au moins 10 personnes ont subi des blessures permanentes, et graves, comme la perte d'un œil.

On utilise différentes formes de torture, dont le viol anal, le viol anal à l'aide d'un tournevis chaud et les agressions graves. Les traumatismes et contusions sont aussi nombreux, et trois prisonniers ont été brûlés à l'aide d'un tournevis chaud. Au moins neuf victimes ont aussi dit s'être fait raser les cheveux en guise de punition, dont sept femmes et une personne mineure.

Pour ce qui est des conditions dans les prisons, au cours des 14 dernières années, les prisonniers politiques ont souvent subi des traitements cruels. Cinq d'entre eux — Ivan Simonovis, Lazaro Forero, Henry Vivas, Alejandro Peña et William Saub — ont été assignés à résidence et n'ont reçu aucun traitement même s'ils souffraient de maladies graves et incurables.

La juge Maria Lourdes Afiuni a été violée en prison, menacée et agressée physiquement, et elle a subi de nombreuses blessures.

Les cas d'agressions sont nombreux. Les agents du service de renseignement militaire menacent aussi les prisonniers.

L'an dernier, il y a eu une autre situation dans une prison appelée La Tumba, la Tombe, à Caracas, capitale du Venezuela. C'est aussi là que se trouvait le SEBIN, la police politique. C'est une prison souterraine à cinq étages. Au cours du premier trimestre de l'an dernier, des Vénézuéliens ont subi ce qu'on appelle la « torture blanche », une torture qui ne laisse aucune marque physique, mais des marques psychologiques graves. Les jeunes qui y sont détenus ne bénéficient d'aucune protection. Compte tenu de la durée de leur incarcération, ils souffrent de divers traumatismes. Pour vous donner un exemple, Gerardo Carrero a été suspendu par les bras lors d'une grève de la faim et a été frappé aux jambes avec des planches de bois jusqu'à ce qu'il perde connaissance. À ce jour, il n'y a eu aucune enquête de menée sur ce cas de torture.

En mars dernier, dans un autre centre de détention, Rodolfo Pedro Gonzales Martinez, un homme de 64 ans, s'est enlevé la vie parce qu'il était terrifié à l'idée d'être transféré dans un pénitencier dangereux.

L'an dernier, les nombreux cas de torture et de traitement cruel ont retenu l'attention d'Amnistie Internationale. À ce jour, aucun n'a encore fait l'objet d'une enquête. Les prisonniers ont été victimes de torture et de traitement inhumain dans différentes prisons militaires, et les dangers sont nombreux pour eux dans les prisons où ils sont détenus.

Des gens, dont des mineurs, sont morts sous le coup de la torture : Geraldin Moreno, 21 ans; Kluivert Roa, 14 ans; la reine de beauté Genesis Carmona, 22 ans; Bassil Da Costa, 24 ans; et Jose Alejandro Marquez, 46 ans. Certaines personnes sont en résidence surveillée, tandis que d'autres sont incarcérées dans des prisons militaires, 17 le sont dans des prisons communes, et 14 dans des prisons municipales. On menace, et parfois même accuse, ceux qui défendent les droits des prisonniers.

Nous devons nous occuper de l'examen public des détentions arbitraires. L'avocat qui nous aidait a été enlevé en 2014 et a passé 10 mois dans une prison commune. Il est maintenant assigné à résidence. La Commission interaméricaine des droits de la personne a tenté d'intervenir en notre faveur.

Nous avons aussi d'autres victimes. Notre responsable des communications a subi des blessures physiques. La Commission des droits de la personne de l'Organisation des États américains s'est portée à la défense d'activistes des droits de la personne, notamment Alfredo Romero, directeur de Foro Penal. L'avocat Marcelo Crovato a été emprisonné pour avoir défendu les étudiants arrêtés lors d'une manifestation en février 2014 et a tenté de se suicider en raison de son piètre état de santé et de ses conditions de détention inhumaines. D'autres, comme moi, ont dû s'exiler. Je vis actuellement en République tchèque.

Le Venezuela est au bord d'une crise humanitaire. Le nombre d'homicides y est le deuxième plus élevé au monde. Il y a des pénuries de nourriture et de médicaments. Le Venezuela est en pleine crise sociale.

Il est difficile de manifester, parce que ceux qui dénoncent publiquement le gouvernement doivent ensuite vivre dans la peur. Un vent de haine déferle sans arrêt sur le peuple vénézuélien. Le pays est au bord de l'anarchie, impossible à gouverner.

Nous voulons obtenir l'appui solidaire des gouvernements des Amériques. Mesdames et messieurs les parlementaires, nous vous demandons de surveiller de près ce qui se passe et de nous aider à trouver des solutions légales et concrètes pour sauver notre nation.

Merci.

La présidente : Merci.

Je vais maintenant céder la parole à notre dernier témoin, Anna Alessandra Polga Cedeno. Encore une fois, n'oubliez pas que le temps est limité.

Anna Alessandra Polga Cedeno, membre de la diaspora vénézuélienne au Canada et activiste des droits de la personne, à titre personnel : Bonjour.

Je tiens tout d'abord à vous remercier de m'accueillir pour discuter de la crise politique, économique et humanitaire en cours au Venezuela. Je tiens en particulier à remercier l'honorable sénatrice de son appui à la cause des droits de la personne dans mon pays.

Je veux aussi saluer le soutien qu'apporte le Canada au Venezuela, de même que celui de son ambassadeur aux Nations Unies et de son ambassadeur à l'Organisation des États américains. Le Canada appuie toujours la liberté et la démocratie. Nous avons l'impression qu'une bonne partie de la communauté internationale nous a oubliés. Le Canada est l'un des quelques pays qui sont demeurés à nos côtés. Nous tenons à vous remercier pour toutes les déclarations faites à l'époque de John Baird, et à remercier aussi Rob Nicholson.

En ce moment, toutefois, nous avons plus besoin de gestes concrets que de déclarations. Notre peuple en a besoin. Nos prisonniers politiques les réclament. Notre noble peuple ne connaît qu'une voie à emprunter, la voie démocratique. Le vote est notre seul outil, et personne n'a de raison de nous polariser en deux camps. Les Vénézuéliens ont tous les mêmes besoins.

Le parti au pouvoir n'a l'appui que de 20 p. 100 de la population. Nicolás Maduro, le président, n'a l'appui que de 9 p. 100 de la population, ce qui veut dire que 90 p. 100 des gens pensent que son gouvernement ne s'acquitte pas de son mandat constitutionnel et qu'il devrait être destitué.

La prochaine étape consistera à élire l'assemblée nationale afin de rétablir un peu l'équilibre. Le présent gouvernement s'est arrogé tous les pouvoirs. Il n'y a plus de partage des pouvoirs. Lorsque le président de la république annonce de nouvelles mesures dans les médias nationaux, l'assemblée nationale et la Cour suprême s'empressent de les mettre en application, violant ainsi toutes les règles de la constitution. Le président a fait preuve de cruauté. Il exerce un contrôle total sur l'armée, de même que sur les pouvoirs législatif et judiciaire, si bien qu'il n'y a plus de démocratie.

Notre monnaie est malmenée et perd de sa valeur. Un bolivar ne veut plus que 0,002 cents, et le Vénézuélien moyen gagne environ 30 $ par mois. Un citoyen canadien arriverait-il à vivre avec un salaire comme celui-ci?

Les entreprises internationales trouvent très difficile de composer avec nos quatre taux de change. L'an dernier, Ford Motors a fermé ses portes après avoir subi des pertes de 800 millions de dollars. De nombreuses entreprises transnationales ont fait faillite, et les quelques-unes qui restent réduisent leurs activités. Les emplois sont rares, ce qui vient aggraver les répercussions de la crise économique pour le citoyen moyen.

La crise économique est un facteur, mais il y en a aussi d'autres, comme le mépris à l'égard de la propriété privée et du système judiciaire.

La situation est terrible à nos yeux. De nombreux citoyens ont quitté le pays et d'autres y songent sérieusement. Le marché du travail est en panne et le pays souffre d'un manque d'investissements.

Le gouvernement exerce un contrôle sur la monnaie, et les liquidités sont insuffisantes. Nous tirons nos revenus du pétrole, dont le prix a beaucoup baissé. De plus, comme les engagements du Venezuela avec le Bélarus, la Chine et le FMI arrivent à échéance, le pays devra composer avec les problèmes liés à sa dette. Le Venezuela doit rembourser environ 5 milliards de dollars, dont la première tranche arrive à échéance en octobre. Le pays doit composer avec les problèmes liés à sa dette, et nous pensons qu'il est peu probable que le gouvernement puisse honorer ses engagements.

Les perspectives du pays sont sombres. Nous avons une pénurie de devises fortes. À défaut de produire, nous devons tout importer, et la chute de notre monnaie fait en sorte que nous ne pouvons pas payer ce dont nous avons besoin.

La pénurie de nourriture, de médicaments et d'autres biens de consommation a fait croître la criminalité. Caracas est l'une des villes les plus violentes du monde. Au Venezuela, plus de 350 personnes sont assassinées chaque année, soit un Vénézuélien toutes les 20 minutes. L'an dernier, nous avons perdu 26 000 citoyens, sans compter ceux qui meurent en prison en raison des conditions de vie affreuses. Les gens qui souffrent du VIH, d'hémophilie, du cancer et d'autres maladies ne reçoivent aucun traitement.

Il y a quelques semaines, le Dr Jesus Reyes, un spécialiste du cancer chez les enfants, a été kidnappé et assassiné. Il traitait 1 300 enfants, et leur vie dépendait de lui.

Au Venezuela, de plus en plus de gens craignent pour leur vie. Des professionnels quittent le pays chaque jour en raison des problèmes de sécurité. Les hôpitaux manquent d'équipements médicaux. Notre pays, qui était riche il n'y a pas si longtemps encore, est maintenant un pays pauvre. Les citoyens malades ne peuvent pas recevoir de traitement. Le gouvernement refuse toute aide humanitaire pour cacher le fait qu'il a failli à son obligation constitutionnelle de protéger la vie.

Les hommes qui ont voulu faire entendre leur voix et qui sont en prison aujourd'hui — Antonio Ledezma, Leopoldo Lopez, Daniel Ceballos, Raul Baduel, Alexander Tirado, Rosmit Mantilla, Lorent Saleh et 67 autres prisonniers — vous demandent de leur venir en aide. Leopoldo et Daniel font la grève de la faim depuis plus de 12 jours et n'ont reçu aucune aide médicale. Dernièrement, Daniel Ceballos a été transféré illégalement dans la prison où il se trouve maintenant. Il est gravement malade. Il a perdu plus de huit kilos, et il se trouve dans une cellule minuscule, sans aération, où il fait en moyenne 38 degrés. L'accord de Malte n'est absolument pas respecté pour ce qui est de la supervision lors d'une grève de la faim.

Différentes dispositions des accords des Nations Unies ne sont pas respectées non plus. Des gens ont été violemment agressés. Pensons à Daniel Ceballos qui est le premier à avoir été emprisonné et dont la santé est la plus précaire.

La grève de la faim a été déclenchée pour les raisons suivantes : obtenir une date pour la tenue des prochaines élections, obtenir la libération des prisonniers politiques et des jeunes détenus depuis 2014, et voir cesser la persécution politique des médias.

Deux cent cinquante stations de radio ont été fermées, de même que des stations de télévision, qui ont toutes été forcées de vendre leur équipement de communications. Nous avons un embargo au pays sur les équipements utilisés par les médias. La seule façon d'informer la population est par l'entremise de médias sociaux comme Facebook et Twitter. Il n'y a aucun autre moyen.

Le signal de la station de télévision colombienne a été bloqué au Venezuela. Des accusations ont été portées à maintes reprises contre la chaîne CNN qui diffuse en espagnol, et ses journalistes sont interdits de territoire au Venezuela.

De nombreuses organisations internationales ont fait entendre leur voix : l'Union européenne, le Club de Madrid, le groupe IDEA, présidé par le président Pastrana de la Colombie, l'ex-président de l'Espagne, Felipe Gonzalez, de même que Jared Genser, l'honorable Irwin Cotler, et des membres de l'équipe d'avocats internationaux qui tentent d'aider Leopoldo Lopez.

Lors du Sommet des Amériques, une déclaration a été signée par de nombreux ministres, de même que par plus de 36 anciens présidents et premiers ministres, dont l'ancien premier ministre du Canada, Jean Chrétien. Le Congrès du Chili a donné son appui dernièrement et envisage de rapatrier son ambassadeur puisqu'il considère que le Venezuela n'est plus une démocratie. Hier, le Congrès de la Colombie a demandé à ce qu'on active la Charte démocratique de l'Organisation des États américains.

Le roi des Pays-Bas a soulevé pour la première fois la question du Venezuela et veut plus de gestes concrets. Le Vatican a fait part de ses préoccupations au Congrès américain et au secrétaire d'État. Le président Obama s'est lui aussi dit inquiet de la condition de Leopoldo Lopez et a donné son appui au groupe qui milite en faveur de la liberté et du rétablissement de droits de la personne au Venezuela.

Il faut donc que le Canada fasse une déclaration sans équivoque au sujet du Venezuela. Nous habitons sur le même continent, et le Canada doit joindre sa voix à celle des autres pays et demander que soit fixée la date des prochaines élections, car la vie de Daniel Ceballos, Leopoldo Lopez et d'autres en dépend.

Les Vénézuéliens méritent qu'on leur vienne en aide. Ils veulent vivre en paix. Ils veulent avoir un avenir et pouvoir profiter de tout ce que nous avons ici au Canada. En d'autres mots, ils veulent pouvoir vivre normalement et dignement. Ils ne veulent rien de plus et rien de moins. Ils veulent pouvoir profiter d'un système de santé. Ils veulent pouvoir se promener dans les rues, le jour et la nuit, sans craindre d'être attaqués, kidnappés, emprisonnés, violés, tués ou torturés, simplement pour leurs idées, leur foi ou leur orientation sexuelle.

Nous voulons bâtir des ponts. Comme le disait l'ambassadeur canadien au Venezuela, construisons un pont jusqu'au Venezuela. De nombreux Vénézuéliens qui vivent ici au Canada ne pourront jamais retourner au Venezuela. Toutefois, nous sommes des Vénézuéliens dans l'âme, et nous serons toujours solidaires d'un pays, autrefois démocratique, qui a aidé d'autres pays d'Amérique latine à se libérer du joug d'un dictateur.

Le Canada est un pays d'immigrants. S'il vous plaît, accordez-nous votre aide et votre soutien.

La présidente : Merci.

Je dois mentionner, aux fins du compte rendu, que c'est le Sénat qui a adopté une motion pour qu'on examine la situation au Venezuela et qui a encouragé tous les partis politiques, gouvernement et opposition, à trouver une solution pacifique à l'impasse des élections et au Parlement. Je pense donc qu'il faut prendre note ici du travail du Sénat. Merci de m'avoir rappelé cela.

Il nous reste très peu de temps. Nous voulions avoir cette rencontre afin que les faits rapportés par nos témoins soient notés au compte rendu.

Il nous reste quand même un peu de temps pour les questions. Je vais demander aux sénateurs d'être aussi brefs que possible, et je vais commencer par donner la parole à la sénatrice Fortin-Duplessis.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vous remercie tous les trois pour vos présentations. C'est vraiment touchant de vous entendre et de constater les difficultés auxquelles vous faites face. En tout premier lieu, j'aimerais vous féliciter, madame Tamara Suju Roa, pour le prix pour la démocratie que vous a décerné le National Endowment for Democracy des États-Unis.

Ma question s'adresse à Mme Cedeno. Croyez-vous que les institutions multilatérales que vous avez décrites peuvent influer sur la situation des droits de la personne dans votre pays, le Venezuela?

[Traduction]

Mme Cedeno : Oui. Comme vous le savez, le Venezuela est un pays dont le gouvernement ne respecte pas les propres lois du pays et la constitution. Les violences font partie du quotidien. Les lois et les accords internationaux sont bafoués. Toutefois, à la suite de ce qui s'est produit récemment dans des pays comme l'Ukraine, nous savons que le soutien de la communauté internationale est inestimable.

Nous avons maintenant des relations avec de nombreux pays et nous ne sommes plus isolés. Le Canada est situé sur le même continent que le Venezuela, dans la même partie du globe.

Nous voulons rétablir la liberté, et cela ne peut se faire que si la communauté internationale exerce des pressions pour que le gouvernement du Venezuela respecte les lois et les traités internationaux, y compris ceux des Nations Unies et de l'Organisation des États américains. Il faut que la communauté internationale pose des gestes concrets pour amener le Venezuela à respecter ses obligations.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Il est extrêmement dommage que le Venezuela se soit retiré de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur D. Smith : Tamara a parlé d'Amnistie Internationale, et vous avez parlé de l'Organisation des États américains et de divers groupes. Est-ce qu'ils prennent déjà des mesures concrètes ou est-ce qu'ils commencent à peine à se rendre compte de la gravité du problème? Prend-on des mesures concrètes? J'ai trouvé intéressants vos commentaires sur le Chili, par exemple.

La présidente : À qui s'adresse votre question?

Le sénateur D. Smith : À qui veut bien y répondre.

La présidente : Qui aimerait y répondre?

Mme Roa : Les instances internationales dont nous sommes membres, comme la Convention internationale des Nations Unies et la Cour européenne des droits de l'homme, ont demandé au gouvernement du Venezuela de respecter les droits de la personne et de cesser les actes de violence. Le Parlement européen a adopté deux résolutions sur le sujet et a demandé aux autorités gouvernantes de mettre fin aux violences. Il a demandé qu'on organise des élections transparentes. Le Haut-Commissariat des Nations Unies a demandé à ce que cessent toutes les persécutions à l'égard des prisonniers politiques. Il a signalé des faits très préoccupants. Il a demandé au gouvernement du Venezuela de libérer les prisonniers politiques, tant M. Ceballos que tous les autres qui défendent les droits de la personne.

Les organisations internationales de défense des droits se sont dites préoccupées par la question. Des mécanismes sont en place et peuvent être utilisés pour mettre de la pression sur le gouvernement du Venezuela. Des pétitions ont également été signées.

Le sénateur D. Smith : On a parlé des élections. Ces élections sont-elles honnêtes? Sont-elles truquées? Diriez-vous qu'elles sont légitimes ou que cela varie d'un endroit à l'autre? Que pouvez-vous nous dire au sujet de la légitimité de ces élections?

La présidente : Je vais demander à M. Ramirez de répondre. Vous aviez levé la main et vous pourriez peut-être répondre à cette question.

M. Ramirez : Les élections au Venezuela n'ont pas accru la confiance des Vénézuéliens. Elles ont en fait exacerbé la situation et n'ont pas aidé l'opposition. Elles n'ont fait que renforcer le pouvoir du président Maduro, en lui donnant une majorité de 100 000 voix. Nous doutons que le vote ait été impartial. Il y a eu des recomptages.

On peut dire que même s'il y a des élections, les Vénézuéliens ne veulent pas du système actuel. Ce qu'ils veulent, c'est un système démocratique. Pour l'instant, c'est une soupape — une solution possible. Tous ceux qui veulent du changement au Venezuela ne peuvent qu'espérer que le processus électoral soit objectif. C'est nécessaire afin de mettre de la pression sur le gouvernement et que tout le monde réalise qu'il existe un désir de changement. Une grève de la faim peut d'ailleurs être une solution. Nous sommes prêts à participer à des élections démocratiques et à accompagner les citoyens pour qu'ils puissent aller voter.

La présidente : Nous avons dépassé l'heure. Il est extrêmement important que nous poursuivions le dialogue. Malheureusement, nous avons un autre dossier important qui était prévu aujourd'hui. Je vais devoir mettre un terme au débat.

Nous vous remercions sincèrement de nous avoir fait part de ces renseignements et de vos points de vue. Tout cela nous aidera énormément à examiner la situation au Venezuela. Vous pouvez être certains que nous allons continuer à suivre ce dossier. Nous pourrions même reprendre les discussions à une date ultérieure.

Nous allons continuer d'en appeler à tous les partis pour qu'ils respectent les lois du Venezuela et qu'ils trouvent une solution pacifique et constructive pour remédier à l'impasse dans laquelle se trouve le Venezuela à l'heure actuelle.

Nous attachons beaucoup d'importance aux renseignements que vous nous avez fournis et à vos points de vue et nous vous remercions de votre présence aujourd'hui.

(La séance se poursuit à huis clos.)


Haut de page