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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 3 - Témoignages du 28 janvier 2014


OTTAWA, le mardi 28 janvier 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 2, pour son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, président du comité. Je saurais gré à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse et je suis vice-président du comité.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour, je m'appelle Claudette Tardif, et je suis une sénatrice de l'Alberta.

Le sénateur Robichaud : Bonjour, je m'appelle Fernand Robichaud, et je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick, à Saint-Louis-de-Kent.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Je suis Pana Merchant, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Housakos : Bonjour, je m'appelle Leo Housakos et je suis un sénateur du Québec, à Montréal.

Le sénateur Maltais : Bonjour, je m'appelle Ghislain Maltais, et je suis un sénateur du Québec, à Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je suis Victor Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Bonjour, je suis Nicole Eaton, de l'Ontario.

La sénatrice Buth : Je suis JoAnne Buth, du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, je m'appelle Jean-Guy Dagenais, et je suis un sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Je suis Kelvin Ogilvie, de Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci d'avoir accepté notre invitation. Comme vous le savez, le comité poursuit son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

[Français]

L'ordre de renvoi a été adopté par le Sénat canadien, que le Comité permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliment et de graines au Canada. Plus particulièrement, le comité sera autorisé à étudier les éléments suivants.

[Traduction]

L'importance des abeilles dans la pollinisation pour la production d'aliments au Canada, notamment des fruits et des légumes, des graines pour l'agriculture et du miel.

Le comité étudiera en outre l'état actuel des pollinisateurs, des mégachiles et des abeilles domestiques indigènes au Canada, les facteurs qui influencent la santé des abeilles domestiques, y compris les maladies, les parasites et les pesticides, au Canada et dans le monde, ainsi que les stratégies que peuvent adopter les gouvernements, les producteurs et l'industrie pour assurer la santé des abeilles.

Chers collègues, nous avons aujourd'hui deux témoins, M. Cory S. Sheffield, titulaire d'un doctorat, chercheur scientifique et conservateur en zoologie des invertébrés au Royal Saskatchewan Museum et Peter Kevan, titulaire d'un doctorat, professeur à la faculté des sciences environnementales de l'Université de Guelph.

Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts et au nom des sénateurs présents, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

D'après le greffier, le premier intervenant sera M. Kevan, suivi de M. Sheffield. Conformément à notre mandat, leur intervention sera suivie d'une période de questions et réponses. Êtes-vous prêt à faire votre exposé?

Peter Kevan, PhD, MSRC, professeur émérite, faculté des sciences environnementales, Université de Guelph : Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs. C'est pour moi un grand honneur de prendre la parole devant vous.

Comme vous le voyez à la première page du document, je suis directeur scientifique de l'Initiative canadienne de pollinisation, qui a été créée il y a cinq ans par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et qui est dotée d'un budget de 5 millions de dollars. L'initiative rassemble une cinquantaine de scientifiques et leurs équipes provenant de 30 institutions réparties dans tout le Canada pour étudier les problèmes de pollinisation.

Voilà pour la première page. Le président a passé en revue les quatre thèmes de l'étude. J'ai pris la liberté d'en ajouter un cinquième, à savoir l'importance de la pollinisation par les insectes, comme service de l'écosystème, pour la faune et les forêts au Canada. Mon collègue et ami, M. Sheffield, en parlera également.

J'aimerais parler brièvement de la pollinisation des cultures et de son importance pour l'agriculture. Dans les précédentes délibérations, on n'a pas traité en détail de la valeur des divers pollinisateurs que sont les abeilles domestiques, les mégachiles et les bourdons.

Le rôle et l'importance de la pollinisation pour la sécurité alimentaire et la durabilité de l'écosystème sont reconnus par les organisations nationales et internationales. La pollinisation est essentielle pour un grand nombre des cultures que j'ai énumérées et elle a un rôle important à jouer dans la lutte biologique contre les parasites dans toutes sortes d'environnement, y compris les terres agricoles et les forêts, associés aux réseaux trophiques naturels et à la fonction de l'écosystème naturel.

La pollinisation par les insectes représente une valeur estimative de 2,17 milliards de dollars par année dans le monde pour la production d'aliments et de fibres. C'est beaucoup d'argent. On pense par ailleurs que pour une bouchée alimentaire sur trois, nous sommes redevables aux pollinisateurs. C'est un facteur important.

Je vous ai préparé un tableau sur les pollinisateurs et la pollinisation en agriculture, les plantes et les acteurs animaux. Je passe en revue les fruits des vergers et les autres petits fruits tendres. Je sais que le comité a eu une discussion sur les bleuets et a abordé la question des oléagineux, notamment le canola et le tournesol. Dans la culture en serre où l'on utilise les bourdons, le docteur Pernal a parlé des légumineuses fourragères à propos de la rivière de la Paix. On a aussi parlé des légumes qui dépendent des insectes pour la pollinisation.

La valeur des abeilles domestiques pour la pollinisation des cultures agricoles est estimée de 1,3 à 1,7 milliard de dollars par année au Canada. Il y a au moins 300 000 colonies pour les graines de canola hybride dans l'Ouest, 35 000 colonies pour les bleuets dans l'Est et environ 15 000 colonies pour les arbres fruitiers. Ces chiffres de 2009 proviennent d'un exposé que j'ai fait devant le Canadian Club de Hamilton.

Les frais de location moyens s'élevant à environ 120 $ par colonie, cela représente une somme de 42 millions de dollars en location de ruches par année et ce chiffre est en hausse. De son côté, le miel est produit à raison de 28 millions de kg par an, pour une valeur d'environ 105 millions de dollars. Ces deux facteurs sont extrêmement importants, mais on a de plus en plus tendance aujourd'hui à avoir recours aux services de pollinisation.

À propos des mégachiles, on en utilise environ 50 000 à l'hectare pour la pollinisation des graines de luzerne. En Saskatchewan, cela représente environ 2 milliards d'abeilles pour la seule production de graines de luzerne. En 2009, 75 p. 100 de cette production provenaient de la Saskatchewan. Cela représente 13,5 millions de kg de graines, d'une valeur de 40 millions de dollars, les abeilles représentant environ 30 p. 100 de la valeur des graines. Mais ces chiffres ne sont plus tout à fait d'actualité, 25 à 30 p. 100 de la valeur des graines reviennent à l'industrie des mégachiles.

Quant aux bourdons, ils sont essentiellement utilisés pour la production de tomates en serre. Les serres couvrent une superficie de plus de 700 acres en Ontario, où se font 75 p. 100 de la production canadienne. Le Québec et la Colombie- Britannique sont désormais des acteurs importants dans cette industrie. La valeur de la production annuelle s'élève à environ 290 millions de dollars. Les bourdons qui sont utilisés et produits à des fins commerciales représentent un chiffre d'affaires d'environ 3,7 millions de dollars par an que se partagent essentiellement deux entreprises.

La pollinisation par les insectes, comme service de l'écosystème, pour la faune — l'image n'est pas nette dans votre document, mais on la voit bien à l'écran — est surtout importante pour les oiseaux migrateurs qui dépendent des graines et des fruits de la forêt, particulièrement en automne et en hiver, qui proviennent de la pollinisation.

J'ai donné aussi l'exemple des ours femelles dont on a déjà parlé au comité. Dans le nord de l'Ontario et du Québec, leur consommation de baies leur fera prendre environ 20 kg par semaine. Ces graisses supplémentaires leur seront utiles pendant l'hibernation, alors qu'elles nourrissent les petits qu'elles ont mis bas. S'il n'y a pas suffisamment de baies à consommer, l'hiver sera plus difficile pour elles, et le printemps suivant, pour les petits.

Je ne m'appesantirai pas sur le sujet des pollinisateurs indigènes, qu'abordera M. Sheffield. Mais les problèmes que l'on constate à leur sujet sont les mêmes : destruction et fragmentation des habitats, agriculture, urbanisation, pesticides, pollution, changements climatiques et pathogènes.

Les facteurs touchant la santé des abeilles au Canada et dans le monde, notamment les maladies, les parasites et les pesticides, sont très bien documentés, notamment par Rod Scarlett et Stephen Pernal. J'en fais le résumé dans les diapositives suivantes.

Un élément ressort des études menées par le réseau de pollinisation canadienne et dont on ne fait pas beaucoup mention dans les précédentes délibérations, c'est le déclin rapide du nombre d'apiculteurs au Canada. Curieusement, le nombre des colonies reste assez stable et aurait même tendance à augmenter, ce qui veut dire que l'activité apicole devient plus intensive et qu'elle est pratiquée par de moins en moins de gens.

Dans les villes — et il en a été question dans les précédentes délibérations — on constate un regain d'intérêt pour l'apiculture comme violon d'Ingres. La conservation des pollinisateurs pour les jardins intéresse tout le monde et en particulier les adeptes d'histoire naturelle.

J'en viens aux stratégies que doivent adopter les pouvoirs publics, les producteurs et l'industrie pour assurer la santé des abeilles. Un objectif et un examen approfondi s'imposent. Je crois que le comité permanent fait de grands progrès à cet égard et cela faisait d'ailleurs partie du mandat prévu aux termes de l'Initiative canadienne de pollinisation. Nous menons actuellement des négociations avec la Société royale du Canada, dont je suis membre, afin d'étudier l'état de la pollinisation au Canada. Par ailleurs, l'académie nationale des sciences des États-Unis a publié un document précieux qui permet de suivre l'état des pollinisateurs dans toute l'Amérique du Nord. Je faisais partie de l'équipe qui s'en est chargée et n'ai eu de cesse d'affirmer que le Canada était à l'avant-garde sur toutes les questions concernant la gestion, la protection et la conservation des pollinisateurs.

Je pense que les pouvoirs publics doivent faire davantage dans les domaines des politiques, de l'élargissement, et de la recherche-développement. Les administrations fédérales et provinciales s'entendent très bien sur toutes les questions de pollinisation et, dans tout le pays, on constate une étroite collaboration entre les apiculteurs, représentés par le Conseil canadien du miel et l'Association canadienne des apiculteurs professionnels, et les responsables de l'Initiative canadienne de pollinisation.

Dans le secteur privé, les apiculteurs et les producteurs ont très peu de ressources et je suis sûr que vous en entendrez parler. Quant à l'industrie agro-chimique, elle a d'énormes ressources, mais son programme et ses politiques ne sont pas forcément favorables à l'Initiative canadienne de pollinisation.

Il faut mener des activités publiques de recherche, de développement et d'innovation. Dans le cas de la pollinisation, il faut certainement assouplir les exigences relatives à la coopération avec le secteur privé sous forme d'investissements à parts égales qui permettraient aux universités et aux instances gouvernementales de mener ensemble des actions favorables à la santé des pollinisateurs. Cela a été très difficile à faire jusqu'à maintenant.

Voilà ce que j'avais à dire et je vous remercie beaucoup de votre attention.

Le président : Merci, Monsieur.

Nous allons maintenant demander à M. Sheffield de faire son exposé, qui sera suivi par une période de questions.

Cory S. Sheffield, PhD, chercheur scientifique, conservateur en zoologie des invertébrés, Royal Saskatchewan Museum : Je vous remercie de m'avoir invité, mesdames et messieurs.

Ce que je vais vous dire fait essentiellement écho à ce qu'a dit M. Kevan. Ces 10 dernières années, je me suis penché sur les espèces d'abeilles indigènes du Canada. J'ai fait circuler un document qui résume les connaissances que nous avons de ces espèces. La plupart des gens sont surpris d'apprendre qu'il y en a plus de 800 au Canada. C'est beaucoup.

C'est important de le savoir parce que les abeilles indigènes contribuent de façon significative à la pollinisation des cultures, même si on s'en rend rarement compte. Or, c'est un fait établi par la recherche que nous avons menée. Dans son ensemble, la documentation laisse entendre que, dans certaines circonstances, les abeilles indigènes sont responsables de la majorité des activités de pollinisation en agriculture, activités que l'on attribue plus souvent aux abeilles domestiques. À mon avis, c'est important d'en prendre acte, car c'est probablement ce qui se passe dans bien des cultures.

Dans les délibérations précédentes, on a beaucoup parlé de la culture du bleuet nain, sur laquelle j'ai eu l'occasion de me pencher. Dans l'est du Canada, on trouve plus de 70 espèces d'abeilles indigènes concernées par cette culture. C'est beaucoup, mais ce qui est intéressant du point de vue de la pollinisation, c'est que certaines de ces espèces sont des spécialistes du pollen, ce qui veut dire qu'elles se nourrissent du bleuet. Autrement dit, ces espèces sont probablement les meilleurs pollinisateurs de cette culture.

Lorsqu'on parle du déclin des pollinisateurs, il est important de tenir compte de ces autres espèces qui jouent un rôle majeur, bien que peu étudié. C'est ce dont je fais état dans la documentation que j'ai fait circuler. L'une des raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas dépendre de ces espèces d'une année à l'autre a trait à la gestion des terres agricoles. Selon nombre d'études évaluées par des pairs et que je cite dans les références, le fait d'avoir un habitat indigène à proximité des systèmes agricoles favorise la pollinisation des écosystèmes.

J'ai dit que nous avions 800 espèces d'abeilles au Canada, que l'on retrouve en abondance dans certaines régions, où se trouvent les grands centres agricoles du pays, c'est-à-dire dans le Sud de la Colombie-Britannique, dans le Sud de l'Ontario et du Québec, dans les Maritimes et dans les Prairies, où je vis actuellement.

J'aurais plusieurs autres choses à vous mentionner à propos des abeilles indigènes. En Saskatchewan, mon laboratoire travaille actuellement sur la pollinisation d'une toute nouvelle culture que l'on fait au Canada, celle du camérisier. C'est l'une des premières plantes à fleurir, et elle fleurit souvent alors qu'il y a encore de la neige au sol. Selon nos études, les nouveaux bourdons reines sont les principaux pollinisateurs de cette culture. Ils sont souvent capables de voler dans des régions où les abeilles domestiques ne peuvent se rendre. Il y a probablement plusieurs autres situations où l'on pourrait retrouver la présence d'une espèce indigène, qui se trouve être le pollinisateur le plus important. C'est le cas par exemple des bleuets nains et des tomates qui, pour être pollinisés, doivent avoir leurs feuilles soumises à une vibration afin que le pollen soit libéré. Beaucoup de ces abeilles indigènes peuvent faire vibrer les feuilles, à l'encontre des abeilles domestiques qui s'avèrent ainsi ne pas être le pollinisateur idéal de certaines cultures.

M. Kevan a donné beaucoup de renseignements pertinents à ce domaine, je ne vais donc soulever que quelques autres points portant sur notre connaissance des pollinisateurs indigènes. Une grande partie de cette connaissance provient de l'Initiative de pollinisation canadienne mentionnée par M. Kevan.

Nous aurons très bientôt un catalogue des abeilles du Canada, ce qui signifie qu'il y aura pour la première fois une description exacte de la diversité des abeilles pollinisatrices au Canada et de leur habitat. Je fais aussi une évaluation de la situation de toutes les abeilles au Canada. Vous en trouverez un résumé dans la documentation. L'évaluation nous fournira des renseignements sur ce que nous savons au sujet de ces abeilles et des menaces auxquelles elles sont confrontées actuellement dans leurs habitats. D'autres pollinisateurs indigènes importants font aussi l'objet de cette évaluation. Dans mon laboratoire, nous étudions les abeilles tandis que les syrphes, une autre espèce de pollinisateur, font l'objet d'une évaluation au Canada, tout comme les papillons. Nous serons très bientôt en mesure d'en savoir beaucoup sur nos pollinisateurs indigènes.

En recevant l'invitation à comparaître à cette séance, j'étais très enthousiasmé d'apprendre que le comité étudiait les pollinisateurs indigènes, car je pense qu'ils jouent un rôle important. Et pour cette raison, nous devons nous assurer qu'ils continuent à l'avenir de faire partie du mécanisme de pollinisation. C'est en modifiant le mode de gestion de nos systèmes agricoles que nous pouvons apprendre comment ils peuvent nous être encore plus utiles.

Le sénateur Mercer : Messieurs, je vous remercie d'être venus. Vos exposés sont très instructifs, et les statistiques que vous avez présentées sont tout simplement ahurissantes.

Vous avez tous deux beaucoup parlé du canola et du bleuet nain, qui sont essentiellement cultivés dans ma région, mais je ne vous ai pas entendu mentionner le raisin. Cette année, les producteurs de raisin en ont récolté 79 756 tonnes, ce qui est un record en Ontario. Existe-t-il un lien entre l'utilisation des abeilles et la production de raisin?

M. Kevan : Le raisin de cuve est à pollinisation directe et autocompatible. Le pollen a tendance à se déplacer avec le vent. En revanche, les sexes des raisins sauvages sont séparés. C'est donc un autre problème. La pollinisation ne pose pas de problème en viticulture.

Le sénateur Mercer : M. Kevan, vous avez mentionné des collaborations fédérales-provinciales. En général, lorsqu'il en est question, c'est pour en souligner l'absence, mais vous semblez dire que la collaboration a été bonne. Sous quelle forme se présente-t-elle?

M. Kevan : Il y a notamment beaucoup de discussions au sein de l'industrie apicole au Canada. Il y a des divergences d'opinions régionales, mais elles sont aplanies grâce au Conseil canadien du miel et à l'Association canadienne des apiculteurs professionnels, où les gens travaillent en étroite collaboration. Plusieurs membres de cette association sont des apiculteurs qui se regroupent pour représenter leurs provinces respectives, l'industrie et ses problèmes, afin d'établir les priorités en recherche-développement. Cela permet d'instaurer une grande harmonie dans l'ensemble du pays, mais cela ne veut pas dire que tout est rose.

Le sénateur Mercer : Ou qu'il n'y coule que le lait et le miel.

M. Kevan : Effectivement, c'est donc l'une des raisons.

En outre, nous mesurons réciproquement et à leur juste valeur les recherches que nous entreprenons dans les établissements d'enseignement ou les institutions gouvernementales, et nous collaborons, ce qui est très important. J'entretiens des relations étroites avec des gens qui travaillent au centre de recherche d'Agriculture et Agroalimentaire Canada à Harrow. Comme M. Sheffield l'a indiqué, on travaille de concert avec Collection nationale du Canada à Agriculture et Agroalimentaire Canada à Ottawa. Nous avons ce type de collaboration. Stephen Pernal a participé très activement à l'Initiative de pollinisation canadienne. Nous ne sommes pas autorisés à lui verser de l'argent en raison des règles du CRSNG. Néanmoins, nous pouvons nous mettre en équipe avec quelqu'un, lui offrir l'expertise et partager les résultats d'une telle collaboration.

Sur deux plans, il existe vraiment une harmonie. Sur le plan de la législation, la plupart des provinces ont une loi sur les abeilles qui varie d'une province à l'autre et en fonction des circonstances. Il y a, toutefois, beaucoup de similitudes.

Le sénateur Mercer : Dans votre exposé, vous parlez des stratégies à employer par les gouvernements, les producteurs et l'industrie pour préserver la santé des abeilles. En mentionnant le secteur privé, vous avez parlé de trois groupes : les apiculteurs, les producteurs et l'industrie agrochimique. L'industrie agrochimique dispose bien sûr de fonds pour faire des recherches, mais son intervention se présente différemment.

Les apiculteurs et les producteurs ont-ils tenté de se regrouper pour financer leurs propres recherches, comme cela se fait dans d'autres secteurs agricoles?

M. Kevan : Ils se regroupent en Alberta, en particulier les producteurs de canola et ceux de semence hybride ainsi que les associations d'apiculteurs de l'Alberta et les apiculteurs provinciaux. Shelley Hoover a été recrutée récemment par les producteurs de canola, si je ne me trompe pas. Elle s'occupe de tout ce qui touche le canola et les questions connexes de pollinisation. La collaboration à ce niveau est excellente dans l'ensemble de l'Alberta.

Dans l'Est du Canada, les apiculteurs et les producteurs de l'industrie ont quelque peu collaboré au niveau de la production du bleuet nain. Il y a près de quatre ans, nous avons eu à Moncton une rencontre très fructueuse parrainée par les producteurs de bleuets et les apiculteurs de l'Est ainsi que par l'Initiative de pollinisation du Canada. Environ 200 personnes y ont assisté, ont échangé leurs idées et trouvé des solutions. Tout cela s'est très bien passé. Ces gens se sont regroupés; ce ne sont là que quelques exemples de ce que l'on peut faire.

On aurait pu penser qu'il y aurait eu un lien plus fort avec le Conseil canadien du canola, mais ce n'est pas le cas. Le conseil a eu sa part de problèmes, car il a perdu son PDG victime d'une crise cardiaque il y a quelque 18 mois et il lui a fallu du temps pour se remettre de cette tragédie. On aurait pu aussi penser que les producteurs de tournesol manitobains collaboreraient davantage avec les apiculteurs de la même province, mais ce ne fut pas le cas. L'Initiative de pollinisation canadienne a tenté de favoriser une telle collaboration, mais on nous perçoit trop souvent comme des intellectuels à lunettes. Même si une telle collaboration n'est pas facile à établir, elle demeure nécessaire.

La sénatrice Buth : Merci d'être ici ce soir.

Monsieur Kevan, pouvez-vous nous dire à quelle étape de financement du projet quinquennal vous vous trouvez, à quelle année êtes-vous maintenant?

M. Kevan : Nous avons officiellement terminé notre mandat quinquennal et avons obtenu du CRSNG la permission de continuer pendant une sixième année sans financement des coûts et de reporter l'argent qui n'a pas été dépensé, un petit montant qui est tout de même reporté à la sixième année afin de nous permettre de compléter le travail. Le document récapitulatif, tel que nous l'appelons, est l'une des tâches que nous voulons achever en collaboration avec la Société royale; il y a aussi d'autres travaux, des travaux effectués par diverses personnes qui veulent les publier et faire connaître leurs conclusions. On nous a aussi permis de poursuivre pendant la sixième année des collaborations internationales que nous n'avons pas pu achever au cours de la cinquième année.

La sénatrice Buth : Avez-vous demandé un autre financement de base?

M. Kevan : Nous aurions bien voulu demander un autre financement de base. Malheureusement, on nous a dit qu'il nous fallait avoir l'appui de l'industrie avant de commencer. Or, les mandats au sein du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie ne correspondent pas aux activités agricoles en matière de production agricole pour nous permettre de faire une transition immédiate et demander un financement au CRSNG. La situation est difficile, et le résultat est que nous n'avons pas été en mesure de continuer.

La sénatrice Buth : On avait modifié le mandat à l'époque où l'agriculture était considérée comme un domaine scientifique, et elle ne l'est plus maintenant. Est-ce cela qui a changé au CRSNG?

M. Kevan : En partie.

La sénatrice Buth : Vous arrivez au terme de l'initiative. Pouvez-vous me donner une idée des succès que vous avez obtenus en recherche?

M. Kevan : Du point de vue pratique, notre travail avec les producteurs de bleuets a été une grande réussite, en cela qu'il nous a permis de comprendre la façon dont les pollinisateurs et les plantes sont reliés. Comme l'a dit M. Sheffield, la pollinisation croisée par les abeilles est nécessaire pour les bleuets, et nous comprenons mieux comment elle s'opère et quels outils de gestion des bleuets les producteurs pourraient utiliser à l'avenir afin de maintenir la durabilité de leurs champs et une productivité élevée. C'est certainement l'une des choses que nous avons faites.

Une autre réussite sur le plan commercial provient de l'Université McGill où a été découverte une nouvelle méthode de sélection de semence hybride. Ces travaux viennent d'être financés par l'entremise de M. Daniel Schoen du Département de biologie de l'Université McGill et par une subvention INNOV du CRSNG qui travaille avec l'industrie pour commercialiser la méthode.

Nous avons pu promouvoir une méthode intéressante, l'utilisation de pollinisateurs d'élevage pour transporter des biopesticides de la ruche aux champs, les disséminer dans les fleurs et protéger les cultures de divers parasites d'insectes et d'insectes nuisibles. Cette méthode est maintenant commercialisée, mais elle en est vraiment à ses tout débuts. Il y a encore du travail à faire pour qu'elle soit plus utilisée dans le secteur agricole. Bien qu'elle ne soit pas intrinsèquement biologique, les producteurs biologiques y sont très intéressés en raison du peu d'outils qu'ils peuvent utiliser pour protéger les cultures. Le fait que cette méthode puisse avoir une certification biologique en renforce l'intérêt.

La sénatrice Buth : Donc, littéralement les abeilles servent « d'opérateurs antiparasitaires »?

M. Kevan : Exactement. C'est fait du point de vue pratique. Comme Cory l'a mentionné, à lui seul, le catalogue des abeilles canadiennes — que nous mettrons à la disposition du grand public — et des papillons et des syrphes, ce qui concerne plus les universitaires, aura des répercussions concrètes.

La sénatrice Buth : Pouvez-vous nous donner la liste des projets de recherche qui ont été coordonnés dans le cadre de l'initiative de pollinisation?

M. Kevan : Avec plaisir. Ma gestionnaire de projets, Mme Sarah Bates, est en train de la préparer. Nous vous remettrons la liste dès qu'elle sera terminée.

La sénatrice Buth : Monsieur Sheffield, votre commentaire sur les pollinisateurs indigènes et le bleuet nain est très intéressant. Prenons les abeilles domestiques. Je ne sais pas quand on a commencé à les élever, mais ça remonte à des milliers d'années. Vous avez parlé de l'abeille solitaire. Y a-t-il des projets d'élevage d'autres espèces d'abeilles? Celle que vous avez mentionnée au sujet du bleuet nain peut-elle être élevée?

M. Sheffield : Tout à fait. Nous sommes au courant de réussites dans l'élevage d'abeilles autres que les abeilles domestiques, par exemple, la mégachile de la luzerne. Ce n'est pas non plus une espèce indigène, mais sûrement un pollinisateur important, non seulement pour la luzerne mais aussi pour le bleuet nain.

L'abeille solitaire est une autre espèce que l'on trouve dans tout le pays. D'ailleurs, c'est l'une des espèces que j'ai étudiées. Cette abeille soulève beaucoup d'espoir en Amérique du Nord. C'est également le cas en Europe pour des espèces similaires. Nous en sommes encore à nos tout débuts. Je connais beaucoup de producteurs qui s'en servent déjà, mais ce n'est pas encore une espèce couramment utilisée comme la mégachile de la luzerne.

M. Kevan vous communiquera ces renseignements, mais aux dernières nouvelles plus de 100 publications revues par les pairs découlent de tous les travaux sur la pollinisation des abeilles de CANPOLIN. Ce qui est particulièrement satisfaisant, c'est que cela a incité de nombreux botanistes et entomologistes à travailler ensemble à des projets afin que nous comprenions plus que jamais les questions liées à la pollinisation au Canada.

J'ai travaillé à la taxonomie des abeilles, il s'agit de recueillir des données sur les espèces que l'on trouve ici et aussi de trouver des moyens permettant non seulement aux scientifiques, mais aussi aux producteurs et aux agents de la conservation d'identifier certaines de ces abeilles. J'ai dit que la mégachile de la luzerne était un exemple de réussite d'élevage d'une espèce d'abeille non domestique. À elle seule la mégachile compte 37 espèces dans tout le Canada. Certaines sont ce que je considère être des candidates. Nous avons près de 80 espèces d'abeilles osmies, celles que nous pouvons élever, tout comme l'abeille solitaire. Nous disposons de la technologie pour le faire. Certaines abeilles nichant au sol sont un peu plus difficiles à élever. Il me semble que la stratégie à adopter à l'égard de ces abeilles serait de les aider, d'étudier le milieu environnant leur habitat.

Je vous donne un exemple concernant le bleuet nain. Nous avons découvert que des abeilles qui ne s'intéressent qu'au bleuet nichent habituellement sous des pierres. Nous l'avons découvert à Terre-Neuve, seulement en posant des fonds de pots d'argile dans les champs. Cela nous permet d'aider les abeilles qui ne s'intéressent qu'au bleuet à nicher dans ces champs. Quiconque a visité des champs de bleuets nains sait que l'un des problèmes, c'est que ces champs peuvent être très étendus. Beaucoup d'abeilles indigènes ne vont même pas au milieu des champs. Une stratégie peut être mise en œuvre afin que les abeilles nichent dans ces habitats et y butinent. Les bourdons sont une autre espèce d'abeilles qui nous ont donné de bons résultats dans des serres. Nous avons recours pour cela à une espèce de l'est de l'Amérique du Nord.

Nous sommes rendus au point où nous savons quelles espèces vivent ici. Il s'agit maintenant de faire des études pour déterminer ce que nous pouvons faire pour les aider et quelles espèces pourraient être élevées à des fins de pollinisation.

La sénatrice Merchant : Bienvenue à tous les deux, et particulièrement à M. Sheffield qui vient de la Saskatchewan.

Au début de notre étude, nous étions préoccupés par les néonicotinoïdes et leur effet sur les abeilles. Pouvez-vous nous dire un mot à ce sujet?

M. Kevan : Oui, la question des insecticides néonicotinoïdes est très délicate. Elle fait l'objet de débats passionnés des deux côtés. Il est intéressant de remonter dans le temps, car il y a eu ce que l'on appelle la maladie de l'abeille folle en France. Les apiculteurs en parlaient il y a environ 20 ans. Ils avaient remarqué que les abeilles domestiques qu'ils plaçaient sur des tournesols cultivés à partir de graines traitées avec des néonicotinoïdes n'arrivaient pas à repeupler les ruches et que les ruches diminuaient. Les apiculteurs ont fait le lien entre ces deux constatations.

L'industrie a vivement nié cela. Il a été démontré par la suite que le nectar et le pollen portaient des traces de néonicotinoïdes. Nous ne savons pas exactement quels ont été les effets de l'insecticide là-bas, mais les apiculteurs français soutenaient qu'il avait un effet nuisible sur le comportement de leurs abeilles.

Les études faites en France sur l'utilisation de néonicotinoïdes dans les serres ont montré qu'ils avaient un effet nuisible sur le comportement des bourdons utilisés à des fins de pollinisation là-bas. Le récent débat sur les néonicotinoïdes ne s'est pas attardé sur les effets sublétaux sur le comportement. De nouvelles informations arrivent d'Europe et il y a de vives discussions dans les publications sur l'intensité de la dose. On se demande si elle est appropriée. Nous devons donc attendre d'avoir un peu plus d'information. L'ARLA suit l'affaire.

Ensuite, il y a le problème de l'empoisonnement direct d'abeilles qui a touché les apiculteurs du Québec et de l'Ontario en 1912 et en 1913, mais il s'agit là d'une différente forme d'exposition. Elle ne se produit pas pendant la floraison de la plante mature, mais en période de semis, quand les insecticides néonicotinoïdes se libèrent des semences au moment où celles-ci sont enfouies dans le sol à l'aide de semoirs pneumatiques. En effet, les semoirs projettent un très grand jet d'air au moment de l'enfouissement et c'est là que les insecticides précédemment appliqués aux semences s'en décollent. Si ces produits sont emportés par le vent, cela provoque l'empoisonnement immédiat des abeilles dans les ruchers. C'est ce qui se produit non seulement au Québec et en Ontario, mais aussi dans certaines régions des États- Unis et d'Europe. L'empoisonnement ne se fait pas au moment de la pollinisation du champ de culture en question, mais quand les abeilles butinent dans des champs adjacents. Voilà ce qu'on appelle un empoisonnement direct.

N'oublions pas les effets des doses sublétales d'insecticides néonicotinoïdes qui ont été observés, notamment la mise en péril du taux de reproduction des bourdons et des abeilles domestiques du fait que la reine arrête de pondre des œufs ou que ceux-ci ne se développent pas aussi bien. À l'heure actuelle, cela fait l'objet d'un débat houleux dans la littérature scientifique. Il s'agit certainement d'un problème récurrent et très compliqué.

La sénatrice Merchant : J'ai lu le mémoire de nos prochains témoins, et voilà ce qu'ils disent :

Pour que nous soyons compétitifs au Canada, la liberté de mouvement entre le Canada et les États-Unis et entre les provinces est absolument nécessaire. Or elle n'existe pas à l'heure actuelle.

Je pense qu'ils parlent de la liberté de mouvement d'abeilles d'un champ à un autre.

Vous avez présenté un portrait différent de la coopération, mais vous n'avez pas abordé les problèmes transfrontaliers entre les provinces. Vous dites que les provinces et le gouvernement fédéral collaborent bien.

M. Kevan : Il existe certains problèmes transfrontaliers entre les provinces. L'année dernière, j'ai traversé la frontière de la Nouvelle-Écosse et j'ai immédiatement vu un panneau dans les marais de Tantramar qui interdisait aux gens d'emmener leurs abeilles en Nouvelle-Écosse. Je ne sais pas si l'interdiction a été levée ou si elle est encore en vigueur, mais elle l'était l'été dernier.

Des problèmes sont survenus en Amérique du Nord quand des abeilles de l'Est du continent ont été transportées dans les régions du côté du Pacifique. Les gens ont convenu de ne plus procéder ainsi en raison de différences marquées entre les espèces d'abeilles qui vivent de part et d'autre des Rocheuses. Cela a causé un problème d'envahissement. Les gens ont donc cherché des espèces similaires sur le plan écologique qui pourraient être utilisées dans l'Ouest. Malheureusement, certaines de nos abeilles de l'Est ont traversé la frontière de Washington ou de l'Oregon, ce qui a créé de graves maladies chez les abeilles indigènes de la Colombie-Britannique. Voilà les problèmes transfrontaliers que nous avons au Canada. Il existe aussi un problème Nord-Sud, à la frontière des États-Unis.

Comme M. Pernal l'a souligné, nous avons été très choyés du fait que les apiculteurs et le gouvernement ont uni leurs efforts pour interdire l'importation d'abeilles des États-Unis au moment où les acariens de l'abeille y ont été décelés pour la première fois. Ces acariens ont eu des effets dévastateurs pendant plusieurs années. Ensuite, il y a eu les varroas et les maladies qui leur sont associées, de même que le problème des abeilles africanisées. Ces problèmes ont été cités comme raison de continuer d'interdire l'importation d'abeilles domestiques entre le Canada et les États-Unis.

Je pense que les bourdons peuvent passer la frontière canado-américaine dans les deux sens. Si j'ai bien compris, Koppert élève ses bourdons aux États-Unis et Biobest élève les siens à Leamington, en Ontario. Il s'agit des deux principales entreprises.

Ensuite, bien sûr, il y a l'importation d'abeilles d'autres régions du monde, que le monde scientifique en général voit d'un mauvais œil. Malgré tout, cela arrive de temps en temps.

La découpeuse de la luzerne n'a pas été introduite en Amérique du Nord intentionnellement; elle y a migré par hasard. Toutefois, certaines abeilles l'ont été, en raison de leur potentiel sur le plan de la pollinisation.

Ces abeilles ne se sont pas beaucoup propagées. Elles s'établissent lentement dans le nord-est des États-Unis, mais leur population s'est stabilisée.

Nous sommes aux prises avec une espèce d'abeille envahissante, qui nous est récemment arrivée des États-Unis. Il s'agit de la magnifique mégachile sculpturalis. Elle est splendide et semble être en train de s'établir dans le Sud de l'Ontario en ce moment. Elle se trouve déjà au Québec. Elle s'est introduite par accident et se déplace très facilement dans son environnement.

D'après ce que nous pouvons voir, un certain nombre d'abeilles qui ont été introduites, que cela ait été par accident ou intentionnellement, ne semblent pas avoir causé de grandes perturbations dans les colonies de pollinisateurs. Nous n'avons pas de renseignements de base à ce sujet. M. Sheffield et moi en discutons de temps en temps pour essayer de répondre à des questions de ce genre.

La sénatrice Eaton : J'aimerais récapituler un peu sur les abeilles domestiques, les bourdons et les découpeuses de la luzerne. Monsieur Sheffield, vous semblez dire — et peut-être que vous pourriez nous préciser ce que vous pensez, monsieur Kevan — que certaines abeilles sont propres à certaines plantes et à certaines régions du pays.

M. Sheffield : Oui et non. On trouve certaines espèces d'un bout à l'autre du pays, mais pas toutes.

Dans un article qui sera bientôt publié, je parle du fait que les régions peuvent avoir une faune distincte. Par exemple, il existe plus de 300 espèces d'abeilles dans les Prairies. Le tiers d'entre elles ne se trouvent nulle part ailleurs au Canada, alors elles sont propres à cette région. Cependant, d'autres espèces se trouvent d'un bout à l'autre du pays.

La sénatrice Eaton : Vous avez parlé des abeilles indigènes. Quand vous dites 800 espèces, est-ce que cela comprend les abeilles indigènes?

M. Sheffield : Oui, il s'agit de types différents. Chaque espèce correspond à un type d'abeille différent.

La sénatrice Eaton : Est-ce que les abeilles indigènes seraient plus résistantes dans notre climat? S'adaptent-elles mieux et sont-elles moins fragiles?

M. Sheffield : Tout dépend. Voilà pourquoi nous nous penchons sur la diversité des abeilles d'un point de vue écologique et régional. Par exemple, on trouve certaines espèces dans l'Arctique — et aucune autre espèce ne pourrait survivre là-bas en raison du climat bien particulier. Cela est aussi vrai dans le cas de la culture du chèvrefeuille bleu, à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure. Cette plante fleurit très tôt, au point où je considère qu'il s'agit d'une plante boréale. Les reines des bourdons, les femelles qui émergent tôt au printemps, semblent en être les principales pollinisatrices. Nous les avons vus butiner quand il faisait 7 ou 8 degrés Celsius, alors que d'autres espèces ne font pas cela. Il faut tenir compte des particularités de chaque région.

Sur l'île de Terre-Neuve, par exemple, certaines espèces d'abeilles se mettent à butiner quand les bleuets fleurissent.

La sénatrice Eaton : Avez-vous envisagé d'étudier différentes espèces d'abeilles pour voir lesquelles profitent mieux dans un climat froid, ont moins tendance à être porteuses d'acariens, résistent mieux à la moisissure ou s'adaptent plus facilement? A-t-on déjà procédé à une forme quelconque de croisement? Peut-on croiser, ou en d'autres mots, hybrider les abeilles?

M. Sheffield : Dans le cas des abeilles domestiques, on peut sélectionner certains traits. Une partie du travail que j'ai effectué dans le passé portait, par exemple, sur la découpeuse de la luzerne, utilisée pour la luzerne et les bleuets nains. Or, les bleuets nains fleurissent près d'un mois plus tôt que la luzerne. Du fait que cette abeille est utilisée beaucoup plus tôt pour les bleuets nains, elle ne se prête pas bien au croisement pour des raisons, disons, climatiques. Exceptionnellement, il y aura des années où il fera très froid pendant la floraison, et une étude que j'ai publiée a montré que, dans ces cas, il peut y avoir un très haut taux de mortalité.

Quand on parle des espèces d'abeilles indigènes, il est utile de savoir à quelles régions elles sont confinées. Je pense que M. Kevan a également fait allusion au fait que, lorsqu'il est question d'une faune bien connue d'une région donnée, il vaut toujours mieux essayer d'élever ou d'inciter les espèces de la région à polliniser les cultures parce qu'elles conviennent aux mêmes conditions climatiques.

La sénatrice Eaton : M. Kevan a parlé de monoculture et du fait que, tout comme nous, les abeilles ont besoin d'une bonne variété de choses à manger. Qu'est-ce que les gestionnaires de grands projets agricoles peuvent faire pour attirer des abeilles domestiques? Devraient-ils laisser une bande d'écosystèmes indigènes en bordure de leurs champs? Existe-t- il des mesures précises qui inciteraient les abeilles à adopter certains comportements? Nous pourrions en faire mention dans notre rapport.

M. Kevan : Oui, et, en fait, au cours de la dernière année, divers offices de protection de la nature de l'Ontario m'ont justement invité à parler des mesures que les offices de protection de la nature peuvent prendre pour attirer les pollinisateurs sur leurs terres. J'informe aussi les agriculteurs et les groupes de producteurs agricoles de ces mêmes mesures.

En Europe, les gouvernements offrent des subventions spécifiques pour rendre les tournières, les ourlets, les haies et les brise-vent favorables aux abeilles. Nous essayons d'encourager les gens à faire la même chose ici.

Pour répondre à votre question sur le régime alimentaire des abeilles, celui-ci peut varier. L'abeille domestique est un généraliste et exige une variété de nourriture pour être en santé. Bien sûr, quand elle reste dans les champs de canola pendant la période de floraison, d'une durée de 10 à 14 jours, c'est tout ce qu'elle mange; mais ensuite, elle va ailleurs et mange autre chose, ce qui est une bonne chose.

Certaines autres abeilles ont un régime alimentaire extrêmement restreint et sont d'importantes pollinisatrices. Je n'exagère probablement pas en disant que 70 p. 100 de notre production commerciale de citrouilles et de courges dépend de l'abeille des citrouilles, qui est une abeille indigène — est-elle bien indigène? Je suis certain qu'elle s'est établie au Canada à l'époque précolombienne, donc bien avant l'arrivée des Européens. Elle a migré en même temps que la technique agricole des peuples indigènes, dite des « trois sœurs », et elle est maintenant très répandue dans le Sud de l'Ontario. Elle se trouve aussi au Québec, et constitue une composante importante de cette culture. Elle se nourrit uniquement du pollen de courges et de citrouilles, donc son régime alimentaire est très restreint. Il s'agit d'une abeille très intéressante et nous pourrions en tirer des leçons utiles sur le plan sociologique.

La sénatrice Eaton : Est-ce que les courges et les citrouilles peuvent être pollinisées par une autre espèce d'abeille?

M. Kevan : Oui, elles peuvent être pollinisées par des bourdons et des abeilles domestiques, et les cultivateurs ont souvent recours à ces systèmes de pollinisation supplémentaires.

M. Sheffield : Une des études que nous avons menées montre que l'abeille solitaire donne de bons résultats dans les vergers. Elle a un cycle de vie de plus de 6 semaines, tandis que les fleurs de pommiers durent environ 10 jours. Nous avons réalisé un projet de recherche en collaboration avec des producteurs agricoles, et notre étude préliminaire a montré que ces abeilles aiment aussi une autre plante, qui fleurit après les pommiers. Nous avons donc travaillé avec les agriculteurs pour planter lesdites plantes à proximité de leurs vergers de pommiers. Le seul fait d'avoir combiné les pommiers avec ces autres plantes a permis de faire doubler le nombre d'œufs pondus par les femelles.

Dans le cas des terres agricoles, les abeilles y trouvent énormément de nourriture pendant la floraison, mais beaucoup plus après. C'est une des diverses stratégies employées pour gérer ce type d'abeilles, qui diffèrent des abeilles domestiques.

Comme l'a dit le professeur Kevan, on peut mettre les abeilles domestiques dans une culture pendant la floraison pour ensuite les déplacer ailleurs. On n'a pas les mêmes options avec les autres espèces d'abeilles. Il est donc possible de maximiser la capacité de pondre des abeilles de même que la taille de leur population grâce à d'autres plantes leur servant de nourriture.

La sénatrice Tardif : J'aimerais commencer par saluer vos remarquables réalisations et publications scientifiques dans le domaine de la pollinisation et des pollinisateurs, et celui de la diversité des abeilles au Canada. Votre travail est essentiel pour nous aider à comprendre l'importance des abeilles pour l'agriculture et la sécurité alimentaire au Canada, ainsi que pour notre économie, comme vous l'avez mentionné.

Dans vos présentations, vous avez tous les deux souligné l'importance de la recherche, du développement et de l'innovation dans le secteur public. Comment évalueriez-vous la capacité et l'infrastructure actuelles du Canada pour la recherche sur la pollinisation et les pollinisateurs?

M. Sheffield : Je peux répondre en premier. Je pense que l'Initiative de pollinisation canadienne a été marquante pour cela, car elle nous a non seulement permis de déceler les lacunes dans nos connaissances, mais elle a aussi rendu possible la formation de personnes hautement qualifiées pour aborder ce genre de problèmes à l'avenir, ce qui s'est avéré être une des principales réalisations.

M. Kevan peut en dire davantage à ce sujet, mais je crois que nous sommes probablement dans une meilleure position pour faire face à la crise de la pollinisation que nous l'aurions été sans l'Initiative de pollinisation canadienne. Il y a encore certaines lacunes dans nos connaissances, mais je pense — je vais m'écarter un instant de la question des abeilles domestiques — que nous en savons certainement plus qu'avant sur les pollinisateurs indigènes et leur contribution. Nous nous en sortons plutôt bien.

M. Kevan : Nous sommes dans une bien meilleure position qu'avant.

Selon le directeur scientifique de l'Initiative de pollinisation canadienne — je suppose que je veux me complimenter —, le monde entier estime que ce que nous avons fait en rassemblant notre communauté scientifique pour nous attaquer à ce problème particulier est vraiment remarquable. Cet héritage ne s'affaiblira pas maintenant que l'Initiative de pollinisation canadienne tire à sa fin. Nous sommes dans une bien meilleure position en matière d'infrastructure.

Pour ce qui est des infrastructures gouvernementales, nous ne nous en sortons pas très bien. Comme M. Pernal l'a souligné, il y avait trois biologistes qui étudiaient les abeilles à Beaver Lodge, quelques autres à la Ferme expérimentale centrale à Ottawa et d'autres à Lethbridge et ailleurs au Canada. On a aboli la plupart de ces postes il y a quelques années. Soutenir les apiculteurs et les autres personnes intéressées à compléter et à accroître le rendement de leurs cultures pose sans aucun doute certains problèmes. Ils n'ont plus beaucoup de personnes vers qui se tourner au sein des institutions gouvernementales.

La sénatrice Tardif : Combien y aurait-il de scientifiques canadiens intéressés dans ce domaine de recherche?

M. Kevan : Si l'on prenait tous les scientifiques déjà intéressés et tous les étudiants des cycles supérieurs, je suppose qu'il serait facile de rassembler de 200 à 250 personnes. Ils ne seraient pas nécessairement ou principalement intéressés par la pollinisation, mais ils s'y intéresseraient au moins partiellement.

La sénatrice Tardif : Je vais m'arrêter là pour le moment.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci pour cet exposé. J'aimerais poser une question au Dr Kevan. Que dites-vous aux apiculteurs dont les abeilles se réveilleront dans quelques mois et qui perdront 50 p. 100 de leurs abeilles par année? Que leur direz-vous au 1er avril ou au 1er mai, après toutes les recherches que vous avez faites? Que pouvez-vous dire à un apiculteur qui tire ses principaux revenus des abeilles?

M. Kevan : C'est difficile.

Le sénateur Maltais : Pas pour vous, mais pour moi, oui.

[Traduction]

M. Kevan : Ce n'est pas facile de savoir quoi dire à un apiculteur. On peut faire preuve de compassion et essayer de l'aider, mais les circonstances font en sorte que, dans une large mesure, la communauté scientifique n'a pas réussi à régler les questions liées à l'hivernage.

Nos anciens programmes de reproduction d'abeilles étaient beaucoup mieux. En fait, il y a quelques années, un Canadien a reçu l'Ordre du Canada pour son programme de reproduction à Beaver Lodge. Nous avons la capacité et les compétences nécessaires, mais il n'y a pas eu assez d'investissements pour en tirer parti.

Le professeur Pernal a parlé de certains problèmes liés à l'alimentation et à l'hivernage. J'ai trouvé intéressant ce qu'il a dit à propos de l'utilisation de suppléments de pollen, particulièrement au printemps, pour renforcer les colonies quand il fait trop froid pour chercher de la nourriture. Pour que ce soit possible, nous avons mis au point certaines technologies au Canada, mais on a parfois tendance à ne pas très bien s'en servir au sein de la communauté apicole canadienne, qui est plutôt conventionnelle à cet égard. De façon similaire, on a mis au point de nouveaux médicaments pour abeilles, mais, une fois de plus, il s'est avéré difficile de les commercialiser, notamment parce que c'est perçu comme une forme de concurrence par le secteur des produits chimiques agricoles.

Il est difficile de savoir comment conseiller un apiculteur, de lui dire ce qui doit être fait. Le problème auquel nous faisons face au Canada n'est pas le même qu'aux États-Unis. Les apiculteurs canadiens respectent davantage leurs abeilles que leurs pendants américains, et les hivers ici posent problème. À cela s'ajoutent toutes les autres sources de stress. C'est un problème multifactoriel qui doit être abordé différemment. Les chercheurs et les apiculteurs doivent travailler en étroite collaboration pour être en mesure de réaliser certains progrès.

Pour revenir à votre première question, madame la sénatrice, qu'est-ce que je dis à mon ami Jim Coneybeare ou à l'apiculteur qui a un grand élevage à Niagara quand je leur parle de leurs problèmes? Ce n'est pas les sujets de discussion qui manquent.

[Français]

Le sénateur Maltais : C'est un peu comme la médecine, au fond; peut-être le patient va-t-il mourir, peut-être que non. Je dois donc dire aux apiculteurs d'espérer? C'est tout ce que vous pouvez leur dire. Merci.

M. Kevan : Merci beaucoup.

Le président : Le sénateur Robichaud avait une question supplémentaire à poser.

Le sénateur Robichaud : Avez-vous comparé la santé des colonies d'abeilles productrices de miel et celle des espèces indigènes? Les deux espèces sont-elles affectées de la même façon par les maux qui les tuent?

[Traduction]

M. Kevan : L'abeille domestique occidentale, l'espèce que nous avons introduite à des fins commerciales et dont se sont largement servis les apiculteurs pour la pollinisation, n'est pas indigène. Des colonies sauvages se sont établies dans des arbres creux, des maisons et divers autres endroits. De nos jours, ces colonies ne vivent généralement pas très longtemps, deux ou trois ans, avant de succomber aux mêmes maladies et aux mêmes problèmes qui affligent les colonies des apiculteurs. C'est une des difficultés auxquelles nous sommes confrontées.

Pour ce qui est des autres abeilles, et M. Sheffield pourrait peut-être nous en parler, nous en savons très peu sur le type de maladies qui les affligent. Nous avons de meilleures connaissances sur la coupeuse de feuilles. Une des raisons pour lesquelles on a convenu de ne pas expédier vers le nord des abeilles du Sud de l'Alberta et de la Saskatchewan est l'absence de maladies touchant la coupeuse de feuilles dans le nord de la province par rapport au sud, ce qui est important pour l'exportation de ces abeilles vers les États-Unis. Nous avons également certaines connaissances sur la pathologie des bourdons.

M. Sheffield pourrait peut-être nous parler des autres espèces qui font partie de l'immense famille des abeilles.

M. Sheffield : Vous avez dit que nous en savons peu sur les autres espèces d'abeilles parce qu'elles sont majoritairement sauvages. Nous ne savons pas où elles nichent. On peut dire qu'elles s'installent généralement dans le sol, et nous savons qu'il y au moins quatre espèces de bourdons au Canada.

Mon travail consiste à étudier les espèces à risque au pays par l'entremise du COSEPAC — le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada —, et nous croyons que certains pathogènes sont liés à leur déclin. Je pense que la recherche nous indique que ce n'est pas aussi simple. Ce n'est probablement qu'un seul des nombreux facteurs qui ont une incidence sur ces espèces, comme pour les abeilles domestiques.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais la plupart des abeilles indigènes ne sont pas aux prises avec le même type de maladies contractées par les abeilles domestiques. Nous n'en savons pas assez pour dire lesquelles sont en cause. Par contre, étant donné qu'il s'agit d'une industrie qui s'est énormément développée, nous savons que la coupeuse de feuilles est elle aussi affligée par un ensemble unique de maladies. On a d'ailleurs adopté des plans de gestion pour faire face à la situation.

Le sénateur Robichaud : J'ai posé la question parce que j'ai lu dans certaines de vos notes que ce sont les abeilles indigènes qui assurent principalement, ou dans une plus grande mesure, la pollinisation.

M. Sheffield : En effet.

Le sénateur Robichaud : Vous dites pourtant que nous savons peu de choses sur ces abeilles.

M. Sheffield : Nous connaissons les principes de base. Nous savons que les abeilles ont un ensemble commun de besoins, notamment en ce qui concerne les sites de nidification et la nécessité d'avoir une source abondante de plantes pour se nourrir. En général, nous ne pouvons pas vraiment estimer leur nombre. Nous pouvons nous déplacer pour les compter sur le terrain, mais, d'une année à l'autre, il est difficile de prédire combien il y aura d'abeilles sauvages. Nous savons qu'elles sont généralement plus nombreuses lorsqu'elles ont un habitat naturel à proximité des terres agricoles. Nous savons ce qui peut leur être bénéfique, mais nous ne saurons pas ce qui explique leur taux de mortalité annuel tant que nous ne serons pas en mesure d'étudier leur biologie. Après les humains, l'abeille domestique est probablement une des espèces les plus étudiées de la planète. Nous avons énormément de connaissances sur ces abeilles, mais nous nous apercevons constamment que nous avons encore beaucoup à apprendre. Je dirais que c'est d'autant plus vrai dans le cas des espèces pollinisatrices indigènes. C'est ce que nous devons commencer à faire pour savoir comment aider ces abeilles à devenir de meilleures pollinisatrices.

[Français]

Le président : La dernière question sera posée par le sénateur Dagenais.

Le sénateur Dagenais : Étant le dernier à poser mes questions, j'espère qu'elles ne seront pas trop redondantes. Tout d'abord, j'aimerais remercier nos témoins.

Monsieur Sheffield, vous avez vous-même constaté qu'il y a une diminution des colonies d'abeilles. Selon vous, quelles seraient les solutions envisagées pour promouvoir et préserver les espèces d'abeilles afin de répondre à nos besoins futurs qui pourraient être problématiques?

[Traduction]

M. Sheffield : Je vais parler des abeilles sauvages, mais j'aimerais aussi mentionner que certaines des mesures que nous pouvons prendre pour aider les espèces d'abeilles indigènes au Canada seraient également bénéfiques pour les abeilles domestiques. Je pense que nous devons commencer à réfléchir à la façon dont nous cultivons les terres agricoles. Nous devons changer légèrement notre approche, car les abeilles rendent un service écologique essentiel : la pollinisation. C'est non seulement nécessaire pour les cultures, mais aussi pour les plantes environnantes.

Il importe de connaître les besoins de ces abeilles. La nourriture végétale fait partie de ces besoins. Si nous souhaitons soutenir la présence des abeilles indigènes dans ces habitats, nous devons tenir compte du fait que le système des pommeraies, par exemple, leur fournit beaucoup de nourriture. Mais de quoi vont-elles se nourrir par la suite? Nous devons examiner différentes choses. Ces études n'ont pas été menées qu'au Canada, mais en Europe aussi. En laissant pousser les haies avec la flore indigène dont ces abeilles ont aussi besoin, nous sommes en mesure d'augmenter ces populations. L'un des facteurs défavorables pour tous les pollinisateurs, dont les abeilles domestiques, est le manque de nourriture au sein même des systèmes agricoles.

L'un des schémas que je vous ai présentés montre que les régions canadiennes qui accueillent la plus grande diversité d'abeilles sont non seulement celles où nous cultivons la majeure partie de notre nourriture, mais aussi certains des habitats les plus rigoureusement gérés au Canada. Les choses que nous faisons pour le bien de nos cultures ne sont pas nécessairement bonnes pour les abeilles indigènes. Nous devons tenter de trouver l'équilibre qui nous permettra d'optimiser les résultats, mais nous pouvons aussi tenir compte des abeilles dans nos calculs.

La nourriture végétale est un des aspects à considérer, et je peux donner un exemple pour un autre aspect. L'exemple des mégachiles me vient tout de suite à l'esprit. Ces abeilles construisent leurs nids dans les cavités du bois. Or, si vous installez un nichoir dans n'importe quel habitat, vous allez encourager ces abeilles à y faire leurs nids. C'est une technique qui a aussi fait ses preuves dans les pommeraies.

Le président : Merci aux témoins de nous avoir fait part de leur savoir. Si vous avez d'autres renseignements que vous souhaitez transmettre au comité, faites-le par l'intermédiaire du greffier.

Mesdames et messieurs, le deuxième groupe d'experts réunit Chris Cutler, PhD, professeur agrégé du Département des sciences environnementales de l'Université Dalhousie et David Hoffman, codirecteur général d'Oxford Frozen Foods Limited.

Monsieur Hoffman, c'est un plaisir de vous revoir et de vous voir ici, devant notre comité. Je tiens à profiter de cette occasion pour vous remercier pour la formidable visite que nous avons pu faire à Oxford Frozen Foods dans le cadre de notre étude sur l'innovation et la recherche en agriculture. Nous avons compris sans l'ombre d'un doute que vous êtes des meneurs au sein de votre industrie.

M. Hoffman est accompagné de M. John Hamilton, gestionnaire des opérations relatives aux abeilles chez Oxford Frozen Foods Limited.

Je crois savoir que M. Cutler sera le premier présentateur, et que M. Hoffman viendra ensuite.

Monsieur Cutler, veuillez commencer votre exposé.

Chris Cutler, PhD, professeur agrégé, Département des sciences environnementales, Université Dalhousie : Je remercie les membres du comité. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Comme on vient de vous le dire, je suis professeur agrégé à l'Université Dalhousie. J'œuvre sur le campus agricole de Truro, en Nouvelle-Écosse. Je fais partie du Département des sciences environnementales. Ma spécialité est l'entomologie. Je travaille beaucoup avec les insectes, notamment dans le domaine de l'écotoxicologie. J'étudie les effets des pesticides sur les insectes, tant sur les insectes nuisibles que sur ceux qui sont utiles, dont les abeilles. J'évalue les risques de toxicité pour les abeilles vivant en milieu agricole et l'incidence des pesticides sur ces dernières. Cela comprend des produits tels que les insecticides néonicotinoïdes, dont vous avez sans aucun doute entendu parler. Je sais qu'un grand nombre de témoins sont venus avant moi vous parler de l'importance des abeilles, alors je serai bref.

Je suis convaincu que vous connaissez maintenant l'importance cruciale du rôle que jouent les abeilles sauvages et domestiques tant pour la flore naturelle que pour les systèmes agricoles. Sans pollinisation, la majorité des angiospermes, ou plantes à fleurs, que l'on trouve dans la nature ne pourraient se reproduire.

Une bonne partie des cultures qui nous alimentent — environ le tiers de tout ce que nous mangeons — dépend de la pollinisation par les abeilles, et principalement des abeilles domestiques. Les abeilles domestiques sont sans conteste les principaux insectes pollinisateurs des cultures, un phénomène d'une valeur d'un milliard de dollars au Canada, de dix fois plus aux États-Unis et de nombreuses fois plus à l'échelle mondiale. Bien entendu, la pollinisation par les abeilles domestiques est aussi importante pour la production de miel et d'autres produits, mais les abeilles sauvages jouent aussi un rôle important pour la pollinisation de nombreuses cultures.

Comme cela a déjà été dit, la situation des abeilles à l'échelle nationale et internationale est des plus critiques. Les abeilles domestiques doivent faire face aux pressions croissantes qu'exercent les maladies et les parasites. La plupart de ces organismes nuisibles sont exotiques. Des ravageurs comme le varroa, le Nosema ceranae et le petit coléoptère des ruches sont tous des parasites exotiques, mais ces pressions ont aussi une incidence sur les abeilles indigènes.

Les problèmes liés aux abeilles existent depuis longtemps. Nous connaissons depuis des décennies certains des problèmes qu'ont les abeilles domestiques. Nous sommes aussi au courant depuis des décennies du déclin des populations de bourdons. Ces observations ne cherchent pas à émousser l'acuité du problème qui nous occupe, bien entendu. La situation s'aggrave et semble sur le point d'arriver à un crescendo, mais c'est un problème dont nous sommes conscients depuis un bon moment.

En ce qui concerne les facteurs qui jouent sur ces phénomènes, encore une fois, vous en avez déjà beaucoup entendu parler. Pour les espèces sauvages, la destruction de l'habitat est le principal problème. Sur le plan de la biodiversité — qu'il s'agisse d'un ours polaire dans l'Arctique, d'une grenouille en Amazonie ou d'une abeille —, le fait de transformer les paysages naturels en milieux urbains et en terres agricoles peut faire un grand tort aux abeilles, puisqu'on élimine leur garde-manger et leurs sites de nidification.

Comme M. Sheffield le mentionnait aussi, les abeilles domestiques ont besoin de ces mêmes choses en quantité. Leur régime est constitué d'une variété d'aliments. Cette variété est très importante pour elles.

Comme je l'ai déjà dit, les maladies et les parasites nuisent aux abeilles domestiques et aux abeilles indigènes. Je ne parlerai pas beaucoup de la météo, mais disons qu'elle a des effets dévastateurs sur nous et aussi sur les abeilles. Les hivers longs et froids ainsi que les printemps frais et pluvieux sont très problématiques pour les apiculteurs.

Le domaine qui m'est le plus familier est celui des pesticides. Les pesticides sont sans contredit un facteur de stress pour les abeilles. Il en existe différents types. Il y a ceux que les apiculteurs mêmes doivent utiliser pour contrôler les organismes nuisibles, comme les acariens, et qu'ils placent directement dans la ruche. Nous tentons d'être prudents avec ces produits et de ne choisir que ceux qui ciblent les acariens et non les abeilles, ce qui peut devenir difficile. Il y a aussi les pesticides que les agriculteurs utilisent pour protéger leurs cultures, et les abeilles peuvent y être exposées de toute sorte de façons.

Le degré de toxicité varie d'un pesticide à l'autre. Lorsqu'il s'agit d'évaluer les dangers et les risques d'un pesticide pour un organisme donné, il faut tenir compte d'un certain nombre de facteurs. Il y a d'abord la toxicité, certes, mais l'exposition à ce pesticide est également un facteur très important. Il peut y avoir une substance très toxique ici même, mais si je n'y suis pas exposé, il n'y a aucun danger.

L'autre facteur est la dose. Certaines doses peuvent être nocives alors que d'autres ne le sont pas. Il y a une quantité de choses auxquelles nous nous exposons qui ne sont pas dangereuses à cause de la faiblesse des doses, mais les risques de surdose existent néanmoins.

Un autre facteur est la probabilité d'exposition. C'est dans ce contexte que le terme « risque » entre en scène. Il ne s'agit pas d'évaluer seulement la toxicité et la concentration de l'exposition, mais aussi d'établir quelle est la probabilité qu'un organisme comme une abeille soit exposé. Tous ces aspects doivent être pris en compte au moment d'évaluer les risques qu'une substance peut comporter pour les abeilles.

Je terminerai là-dessus. Merci encore de m'avoir invité ici, et je vous félicite d'aborder cet important sujet.

Le président : Merci, Monsieur.

Au tour maintenant de M. Hoffman.

David Hoffman, codirecteur général, Oxford Frozen Foods Limited : Merci de nous avoir invités, Jack Hamilton et moi, à nous adresser au comité aujourd'hui.

Je vais surtout parler des abeilles domestiques et de l'importance économique de ces dernières quant à la production de bleuets sauvages. De toute évidence, la santé des abeilles est menacée, et c'est un sujet dont ce comité discute depuis un certain temps déjà. Il y a d'importants problèmes et beaucoup de recherches ont été faites à ce sujet.

De façon générale, la production agricole connaît de nombreux problèmes. Nous réagissons en misant sur la recherche et en essayant de trouver des solutions, et je crois qu'on pourrait dire la même chose pour les abeilles domestiques.

Je suis ici avec M. Jack Hamilton, qui est apiculteur. C'est l'un des meilleurs apiculteurs au pays. Il gère de 12 000 à 15 000 ruchers, et il se fera un plaisir de répondre à toutes vos questions sur la façon actuelle de gérer des ruches.

Pour commencer, disons que l'abeille domestique est absolument essentielle à la production de bleuets sauvages. D'autres abeilles sont parfois utilisées — dont des bourdons à l'occasion —, et elles sont efficaces, modestement efficaces. On ne peut pas introduire suffisamment de bourdons dans une bleuetière pour qu'il y ait une différence notable.

Vous avez entendu parler des mégachiles. Eh bien, les mégachiles peuvent elles aussi être efficaces, mais il leur faut généralement des températures plus chaudes. Or, les bleuetières ont de nombreuses saisons de pollinisation et les températures ne sont tout simplement pas assez chaudes pour rendre les mégachiles actives. Alors elles ne sont pas fiables; certaines années, elles ne peuvent être utilisées comme moyen efficace de pollinisation.

Lorsqu'il s'agit de la pollinisation des bleuets sauvages, les abeilles domestiques sont la réponse, et les recherches sont là pour le prouver.

Les champs de bleuets sauvages sont une monoculture. Ils peuvent être très étendus. Imaginez-vous le champ d'une prairie avec de longues étendues de bleuets. Les pollinisateurs indigènes sont extrêmement efficaces sur les pourtours, mais pour atteindre le milieu du champ, il nous faut une grande quantité d'abeilles domestiques.

Des recherches récentes ont indiqué que les champs de bleuets peuvent avoir jusqu'à 100 millions de fleurs. Je veux que vous vous imaginiez 100 millions de fleurs par acre, et que vous songiez au fait que chacune de ces fleurs doit être butinée plusieurs fois par un pollinisateur pour qu'il y ait une bonne récolte. Alors, c'est un travail énorme, et les pollinisateurs indigènes ne sont tout simplement pas à la hauteur. Ils peuvent être très efficaces pour des champs d'un ou deux acres où il leur est possible d'avoir accès à l'ensemble du champ, mais dans les grands champs, ils n'y arrivent tout simplement pas. Alors, de façon générale — et c'est une pratique qui est de mieux en mieux reçue —, les producteurs de bleuets installent des ruches d'abeilles domestiques en quantité pour assurer la pollinisation de leurs champs.

Si les producteurs de bleuets sauvages canadiens veulent rester concurrentiels, ils doivent agir de la sorte. Or, l'offre actuelle d'abeilles domestiques n'est pas suffisante. Je reviendrai là-dessus plus tard, dans mon exposé.

Si vous me le permettez, j'aimerais repasser avec vous rapidement le document que j'ai fait distribuer. Tout d'abord, je vais parler un peu de notre propre entreprise de production de bleuets sauvages, puis de l'importance des abeilles domestiques pour la pollinisation de ces baies, de nos activités apicoles, du besoin d'avoir des abeilles domestiques, ainsi que des obstacles frontaliers et des obstacles non tarifaires qui entravent la libre circulation des abeilles. Puis, je terminerai par quelques remarques de clôture.

Nous sommes un important producteur de bleuets sauvages, le plus gros au monde. Nous faisons aussi de la transformation. Nous sommes une entreprise complètement intégrée verticalement, et nous traitons 100 millions de livres de bleuets par année.

Nous avons nos propres bleuetières, mais nous offrons également un débouché à d'autres producteurs de bleuets sauvages, et nous aidons jusqu'à 1 000 producteurs dans les Maritimes.

Nous cultivons 12 000 acres de champs de bleuets sauvages dans le Maine. En Nouvelle-Écosse, nous avons environ 5 000 acres, et au Nouveau-Brunswick, nous exploitons pour le moment environ 7 000 ou 8 000 acres, mais nous prévoyons cultiver 15 000 acres de plus au cours des prochaines années.

Le sénateur Robichaud : Vous construisez aussi une usine.

M. Hoffman : Oui. Il s'agit d'un grand projet dans la péninsule acadienne dont nous venons de faire l'annonce, et nous pensons que cela générera beaucoup d'activités dans une région de la province qui en a grandement besoin.

L'un des défis de la culture du bleuet sauvage est que c'est une monoculture, que les champs sont vastes et qu'il y a très peu d'autres sources de miellée disponibles.

Les pollinisateurs indigènes se trouvent en bordure des champs, mais ils ne sont pas vraiment en mesure de polliniser l'ensemble de la culture. Des études démontrent que les insectes indigènes, comme les bourdons et les mégachiles, peuvent s'avérer de bons pollinisateurs en soi, mais ils ne sont pas en mesure d'assurer une pollinisation suffisante pour la culture du bleuet sauvage. Le seul pollinisateur vraiment en mesure de le faire est l'abeille domestique.

Une seule ruche peut abriter des dizaines de milliers de pollinisateurs potentiels. Ces insectes peuvent être placés et déplacés dans un champ ou d'un champ à l'autre. Ils sont donc très efficaces, et les apiculteurs commerciaux peuvent le faire.

Pour ce qui est de nos propres activités apicoles, nous sommes l'un des plus importants apiculteurs au Canada. Nous exploitons environ 12 000 ruches en Nouvelle-Écosse et 2 500 au Nouveau-Brunswick. Nous essayons de mettre sur pied un nouveau rucher dans le Sud de l'Ontario qui comptera 5 000 ruches, et nous prévoyons en ajouter 5 000 autres l'an prochain. Ces ruches servent exclusivement à la pollinisation de nos bleuetières. Nous cherchons à produire des bleuets sauvages et non du miel — le miel n'est qu'un produit dérivé.

D'après les recherches et notre expérience, en règle générale, l'ajout d'une nouvelle ruche dans une bleuetière donne 1 000 livres de bleuets sauvages de plus. Il existe donc un lien direct entre les rendements et les abeilles domestiques.

Une exploitation rentable exige des rendements élevés, et cela ne peut pas être maintenu. L'abeille domestique est essentielle à la durabilité et à la profitabilité à long terme de la culture du bleuet sauvage.

L'utilisation de l'abeille domestique est considérablement plus avancée dans le Maine que dans les Maritimes. Dans le Maine, les rendements sont deux ou trois fois plus élevés que ceux des exploitations canadiennes. Il suffit de penser aux avantages financiers pour ces exploitants qui produisent deux ou trois fois plus de bleuets sauvages que leurs concurrents canadiens. C'est considérable.

Dans la bleuetière de 12 000 acres que nous avons dans le Maine, nous utilisons environ 40 000 ruches d'abeilles domestiques. Pour mettre le tout en contexte, il s'agit d'une culture bisannuelle; nous avons donc une récolte tous les deux ans. Nous cultivons environ 6 000 acres par année; il y a sept ou huit ruches par acre. C'est le nombre dont nous avons besoin pour avoir de bons rendements dans le Maine.

D'où proviennent toutes ces abeilles? Il y en a peu ou pas qui sont originaires du Maine. Elles proviennent d'un peu partout aux États-Unis. Elles passent l'hiver dans le sud du pays. Elles vont en Californie pour polliniser les amandiers et d'autres cultures. Il y a donc des apiculteurs itinérants dont le travail consiste à transporter les abeilles d'une culture à l'autre. Ils passent environ trois semaines dans le Maine en vue de polliniser les champs de bleuets sauvages.

Je crois comprendre qu'il y a environ 2,5 millions de ruches aux États-Unis, et la très importante pollinisation des amandiers en Californie en requiert environ 1,5 million. L'industrie du bleuet sauvage dans le Maine a probablement besoin de 60 000 à 70 000 ruches au total.

Pour vous donner une idée, il y a de 60 000 à 70 000 ruches dans tout le Royaume-Uni. Cela vous donne donc une idée de l'ampleur de la pollinisation dans les champs de bleuets sauvages du Maine.

Au Canada, les choses sont faites un peu différemment. Nous avons des règlements qui empêchent la libre circulation des abeilles. Nous avons des barrières, et cela cause des problèmes.

Dans l'est du Canada, nous exploitons actuellement environ 15 000 acres. Comme je l'ai dit plus tôt, nous avons aussi 15 000 acres en démarrage.

Nous récoltons environ la moitié de la superficie par an, soit 7 500 acres. Si nous utilisions 7 ou 8 ruches par acre comme nous le devrions, nous en aurions besoin de 60 000 dans nos bleuetières canadiennes, et ce n'est que pour nos propres champs. Lorsque nous le pouvons, nous fournissons aussi des ruches aux producteurs qui ont besoin de douzaines de milliers de ruches de plus. Il faut donc beaucoup d'abeilles et de ruches pour polliniser efficacement les bleuetières.

C'est beaucoup plus que les 15 000 ruches que nous avons actuellement ou les 25 000 que nous aurons dans l'avenir. Même lorsque nous en louons à des apiculteurs locaux et que nous sommes en mesure de les faire venir de l'Ontario, cela ne nous en donne que 10 000 de plus. Nous sommes encore très loin du compte.

Des changements semblent peu probables dans l'avenir; donc, nous n'avons tout simplement pas accès aux abeilles, et des barrières empêchent leur circulation. Je vous rappelle que nous produisons deux ou trois fois moins de bleuets que nos concurrents du Maine.

À l'avenir, nous aurons besoin de deux fois plus de ruches. Nous ne savons vraiment pas d'où elles proviendront. Nous sommes actuellement aux prises avec un manque de ruches et un désavantage concurrentiel, et ces problèmes risquent de se poursuivre; il y a donc les frontières interprovinciales et entre le Canada et les États-Unis et d'autres barrières.

Pour être concurrentiels au Canada, nous devons trouver une solution. Nous devons désespérément trouver une manière d'ouvrir les frontières interprovinciales et entre le Canada et les États-Unis.

Comme l'un des précédents témoins l'a mentionné, il y a une frontière pour les abeilles entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. J'habite à environ 20 miles de la pancarte qui dit que les abeilles ne peuvent être transportées en Nouvelle-Écosse. C'est la réalité. Cela existe bel et bien encore. Voilà le genre de barrières avec lesquelles nous devons composer.

Pour l'heure, nous avons une dispense temporaire en vue de transporter des abeilles de l'Ontario vers la Nouvelle- Écosse pour une brève période durant la pollinisation des bleuets sauvages. Cette mesure n'est en place que depuis deux ans, et nous espérons qu'elle sera maintenue. Nous ne pouvons pas faire transiter les abeilles par l'Île-du-Prince- Édouard, puis le Nouveau-Brunswick avant de revenir en Nouvelle-Écosse. Ce n'est tout simplement pas possible. Des barrières empêchent la circulation des abeilles. Je sais que cela semble impossible, mais c'est la réalité.

Bref, nous ne pouvons pas déplacer les abeilles comme bon nous semble. Des provinces, comme la Saskatchewan, offrent encore moins de liberté en ce sens. L'Ontario ne permet pas une libre circulation complète. C'est donc très difficile lorsque vient le temps de trouver comment nous procurer les abeilles domestiques nécessaires pour polliniser les bleuetières au Canada.

Si les frontières américaines étaient ouvertes, la situation serait considérablement différente. Nous pourrions transporter les abeilles en Floride pour qu'elles y passent l'hiver; elles auraient peut-être transité par la Californie pour y polliniser les amandiers. Elles passeraient par le Maine pour y polliniser les bleuetières — la période de pollinisation y est plus précoce de deux semaines — et se rendraient jusqu'en Nouvelle-Écosse pour y polliniser également les bleuetières, puis dans la péninsule acadienne — et les abeilles seraient bilingues à ce point. Les avantages seraient tout simplement considérables.

Premièrement, les abeilles arriveraient au Canada en pleine forme; elles seraient fortes d'avoir déjà travaillé dans d'autres champs. De plus, une ruche en bonne santé pollinise beaucoup plus efficacement qu'une ruche en manque d'énergie.

Les synergies et les économies seraient extraordinaires; l'industrie serait plus concurrentielle.

Quand on peut apporter les abeilles dans les zones de production du bleuet sauvage, puis les en retirer une fois la pollinisation terminée, cela permet aux apiculteurs locaux et aux pollinisateurs indigènes d'avoir un meilleur accès aux sources de miellée tout le reste de l'année. Donc, le fait de les apporter et de les retirer est très utile pour les pollinisateurs et les apiculteurs locaux. Cela réduit la concurrence pour les sources de miellée durant la majorité de l'année.

Il n'est vraiment pas naturel d'hiverner les abeilles domestiques dans les Maritimes. Nous n'avons pas le bon climat. Il y est très difficile d'élever et de gérer des colonies d'abeilles. C'est vraiment contre nature, et nous devons composer avec un fort taux de mortalité qui nous désavantage considérablement par rapport à nos concurrents.

Il y a aussi un cinquième avantage que je n'ai pas noté dans mon document, mais cela permettrait à notre apiculteur de passer ses hivers en Floride, ce qui ne lui déplairait probablement pas.

Bref, si les abeilles domestiques pouvaient circuler librement entre le Canada et les États-Unis, notre industrie pourrait profiter des ruches américaines.

Évidemment, il y a la discussion sur la propagation des maladies, et je ne veux pas la balayer du revers de la main. C'est important d'en discuter. Toutefois, nous croyons que c'est une barrière commerciale non officielle.

Nous croyons que ces risques peuvent être gérés, et des recherches sont en cours à cette fin. La libre circulation aux États-Unis d'un océan à l'autre n'a pas contribué à la propagation de maladies. Nous appuyons les recherches sur les maladies de l'abeille domestique. Malgré tout, nous croyons que la libre circulation est tout de même possible.

En conclusion, si les cultures canadiennes sont limitées par les barrières provinciales, qu'elles ont besoin d'être pollinisées et que la frontière canado-américaine demeure fermée, nous ne pensons pas que nos producteurs pourront un jour devenir concurrentiels.

Près de 90 p. 100 de nos bleuets sauvages sont exportés. Nous les exportons aux États-Unis où ils sont en concurrence avec les produits américains. Nous les exportons au Proche-Orient où ils sont encore une fois en concurrence avec les produits américains.

La croissance future et la compétitivité de l'industrie du bleuet sauvage dépendent étroitement de l'accès aux abeilles domestiques et de leur capacité de polliniser les bleuetières. Nous ne croyons pas que le statu quo fonctionne à l'heure actuelle; ce ne sera pas différent dans l'avenir. Il nous faut des frontières qui permettent la circulation des abeilles.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Hoffman.

Le sénateur Mercer : Merci tout le monde de votre présence. Merci également des renseignements dont vous nous avez fait part.

Monsieur Hoffman, vous représentez le plus important producteur de bleuets au Canada; en ce sens, on respecte votre opinion. L'idée d'ouvrir la frontière canado-américaine est importante, mais l'ouverture de la frontière néo- brunswickoise en vue de peut-être créer une zone de libre-échange pour les abeilles dans les Maritimes tombe encore plus sous le sens.

Outre la compétitivité, le déplacement des abeilles du Canada atlantique vers la Floride constitue une source de préoccupation. Pendant qu'elles sont là-bas et qu'elles travaillent, risquent-elles d'être exposées à des maladies, de les rapporter ici et d'infecter nos ruches? Peut-être que M. Cutler pourrait également répondre.

M. Hoffman : Je crois que les ruches sont inspectées pour s'assurer qu'aucune maladie n'est rapportée.

John Hamilton, gestionnaire des opérations relatives aux abeilles, Oxford Frozen Foods Limited : Pour le moment, nos ruches sont inspectées pour s'assurer qu'elles ne contiennent aucune maladie, ni aucun parasite avant que l'on puisse les transporter d'une province à l'autre. Je crois tout simplement que ce processus serait maintenu.

Le sénateur Mercer : C'est un autre obstacle administratif.

Monsieur Cutler, vous avez parlé du stress que vivent les abeilles, des pesticides, des maladies et des insecticides. Si vous pouviez recommander l'élimination d'un pesticide ou d'un insecticide pour protéger la santé des abeilles, quelle serait votre recommandation?

M. Cutler : C'est un sujet délicat.

Le sénateur Mercer : C'est la raison pour laquelle je pose la question.

M. Cutler : Je ne vous dirai pas lequel j'éliminerais. Plusieurs produits chimiques mis au point il y a des décennies sont très nocifs pour les abeilles. D'ailleurs, l'ARLA, l'EPA et l'Union européenne travaillent à éliminer ces pesticides.

Si l'on prend celui que l'on utilise principalement, à grande échelle — les insecticides néonicotinoïdes qui ne sont pas utilisés pour la culture des bleuets à feuilles étroites. Enfin, il y en a bien un que l'on utilise, mais son degré de toxicité est relativement faible comparativement aux autres néonicotinoïdes, et je ne crois pas qu'il pose problème aux apiculteurs ou aux producteurs de bleuets. Certaines mesures d'atténuation peuvent être adoptées afin d'éviter le risque.

Puisqu'il s'agit d'une question tendancieuse, j'imagine que vous voulez parler des néonicotinoïdes. Je ne me ferai probablement pas d'amis en disant cela, mais je ne crois pas que les néonicotinoïdes comportent un risque élevé pour les pollinisateurs. Je n'ai vu aucune preuve du contraire.

Les insecticides néonicotinoïdes posent bien certains risques lors de l'ensemencement du maïs. Le problème, c'est la poussière — le talc cause la dégradation du pelliculage des semences et le gaz d'échappement des planteurs distribue la poussière dans l'environnement. Cette poussière peut se déposer directement sur les abeilles ou les plantes fourragères où les abeilles vont butiner. C'est un problème qu'il faut régler. Mais, en ce qui a trait au problème d'exposition alimentaire — les abeilles vont butiner sur des milliers d'hectares de culture de canola et de maïs traités aux néonicotinoïdes, et je n'ai vu aucune preuve que ce produit serait une des raisons qui expliquerait la baisse généralisée du nombre d'abeilles. Je pourrais vous donner plusieurs raisons pour expliquer ce déclin, mais en raison du peu de temps dont nous disposons, je vais m'abstenir. Toutefois, si vous le désirez, je peux vous en parler.

La sénatrice Buth : J'aimerais enchaîner sur les questions du sénateur Mercer. Votre commentaire selon lequel on peut tout simplement inspecter les colonies, puisqu'elles le sont déjà, est intéressant. L'ACIA est venue nous expliquer que la raison pour laquelle elle limite l'importation d'abeilles provenant de la Californie, et la raison pour laquelle elle ne permet que l'importation des reines, c'est qu'elle peut inspecter les reines.

L'autre raison pour laquelle la frontière avec les États-Unis n'est pas ouverte en ce qui a trait aux abeilles, c'est que les produits utilisés dans la lutte contre les acariens — les acariens aux États-Unis ont développé une résistance aux produits. Si ces acariens entrent au Canada, les apiculteurs canadiens accuseront des pertes importantes. On ne peut pas voir les acariens lors des inspections.

Comment faire pour trouver un équilibre entre cela, la protection des produits canadiens et l'ouverture de la frontière?

M. Hamilton : Je ne voulais pas minimiser le fait qu'on ne peut pas les voir lors des inspections. Ce que je veux dire, c'est qu'on peut soumettre les ruches à des traitements efficaces contre la plupart de ces parasites de façon à nous mettre presque sur un pied d'égalité avec les États-Unis.

Nous pouvons gérer des ruches de façon à ... Le phénomène de la résistance aux produits gagnera le Canada de toute façon. Nous devons investir davantage dans la recherche afin de mettre au point plus de produits.

À mon avis, nous ne profitons pas des nouveaux produits sur le marché. Il existe de nouveaux produits, mais nous devons les soumettre au processus de certification afin de pouvoir utiliser plus d'un produit à la fois. Aux États-Unis, et c'est la même chose au Canada, tous les traitements que nous avons eus à notre disposition — il y a eu l'Apistan, puis le fluvalinate et maintenant l'Apivar. Nous n'avions qu'un seul produit, alors nous l'avons utilisé jusqu'à épuisement.

Aujourd'hui, nous utilisons l'Apivar. Mais, quel sera le prochain produit? Selon moi, nous devons faire davantage de recherche afin de disposer de plus d'un produit chimique. Dans d'autres régions du globe, ces produits sont disponibles. Nous devons les faire certifier au Canada et aux États-Unis afin de pouvoir les utiliser légalement.

La sénatrice Buth : Donc, il s'agit, en partie, d'un problème de gestion, d'accessibilité à de multiples produits.

M. Hamilton : Oui.

La sénatrice Buth : C'est intéressant.

Monsieur Cutler, je viens du milieu de l'entomologie. Vos commentaires sur la toxicité et l'exposition sont importants. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur le sujet, car l'information que nous recevons est très polarisée; c'est un sujet qui suscite de très grandes émotions. Certains disent que ce sont les néonicotinoïdes le problème. D'autres avancent que c'est un problème propre à l'Ontario et au Québec, que c'est une question d'application. Pourriez-vous nous parler un peu plus de l'exposition et de la toxicité et des problèmes connexes?

M. Cutler : En plus des insecticides, je travaille beaucoup sur le contrôle biologique, les biopesticides et l'utilisation d'ennemis naturels pour lutter contre les parasites. Je ne suis pas un chimiste. Je comprends l'importance des produits chimiques, mais je travaille dans d'autres secteurs.

Lorsque les néonicotinoïdes ont été introduits sur le marché au milieu des années 1990, les agriculteurs et ceux qui travaillent dans la gestion des parasites s'entendaient pour dire qu'il s'agissait d'un excellent produit; ils étaient beaucoup moins toxiques pour les mammifères. Les néonicotinoïdes attaquent les récepteurs nicotiniques acétylcholines dont la prévalence est beaucoup plus élevée chez les insectes que chez les mammifères. Donc, le risque était moins élevé pour les mammifères. C'est donc positif pour les applicateurs et les espèces non visées.

En ce qui concerne le degré d'exposition dans l'environnement, la quantité de néonicotinoïdes utilisée est également beaucoup moins élevée. Au cours de la dernière année, nous avons effectué une étude sur le canola. La quantité d'insecticides utilisée sur ces semences est minuscule. Selon nos calculs, en supposant un taux d'application maximal sur la semence dans le cadre d'un ensemencement à grande échelle, on arrive à environ 18 grammes d'ingrédients actifs par hectare. C'est l'équivalent de prendre une demi-once de whisky et de la répandre sur un hectare. Pour le maïs, on arrive à environ 90 grammes d'ingrédients actifs par hectare.

Il s'agit de petites quantités, si l'on compare aux anciens insecticides organophosphorés que l'on répandait plusieurs fois par année et qui laissaient plus d'un kilo d'ingrédients actifs par hectare. Il devait être vaporisé. Ces insecticides sont beaucoup plus toxiques pour de nombreux organismes, y compris l'humain, et il faut les répandre plusieurs fois par année.

Il y a des avantages à utiliser ces produits, tant du point de vue de l'agriculteur que du point de vue de l'écotoxicologie.

Il y a différents volets aux évaluations du risque d'exposition. D'abord, en laboratoire, nous exposons une abeille à un pesticide ou le lui administrons directement. Inévitablement, l'abeille meurt. Ces produits sont très toxiques; cela n'a jamais été remis en doute.

La question c'est, présentent-ils un risque inacceptable. Encore une fois, il s'agit d'un problème distinct de celui de la poussière. Ce dernier est important et doit être réglé. Mais, le degré de concentration de ces produits chimiques dans le nectar et le pollen que les abeilles transportent est plus élevé avec le canola. Cette concentration correspond au 95e percentile, ce qui signifie 95 p. 100 du temps, elle est moins élevée qu'avec le maïs. On parle de trois parties par milliard. Dans le nectar, c'est une partie par milliard.

Dans les études en cage sur le terrain où des abeilles domestiques sont exposées à ces doses, on obtient un résultat que l'on appelle la concentration « sans effet observé ». En deçà de ce degré de concentration, on ne remarque aucun effet sur les abeilles; elles se comportent normalement. Cette concentration équivaut à environ 20 parties par milliard. Au-delà de ce degré, on remarque des effets sur les abeilles. Sur le terrain, le degré de concentration le plus élevé relevé est de trois. Il y a donc une marge d'innocuité considérable. C'est comme chez les humains; on peut prendre une ou deux Tylenol sans problème, mais toute une bouteille, on en meurt. Donc, le degré de concentration est un facteur très important.

Depuis maintenant 15 ans, on utilise les néonicotinoïdes dans la culture du canola dans les prairies. Les apiculteurs ont d'ailleurs intentionnellement placé leurs ruches à proximité de champs de canola cultivés avec des néonicotinïdes.

L'autre aspect de l'exposition à ces doses est la probabilité réelle de l'exposition. On a mené une expérience cet été avec des bourdons et le maïs. On a placé les bourdons dans un champ de maïs — le néonicotinoïde est présent dans le pollen du maïs — et ils ne sont pas allés sur le maïs; ils n'aiment pas le maïs. Ils sont allés ailleurs. Donc, même si le poison est présent, ils n'y sont pas exposés.

Lorsqu'on effectue ce genre d'évaluations du risque, il faut tenir compte du degré d'exposition dans le champ, mais aussi de la probabilité réelle d'exposition.

La sénatrice Buth : Merci. C'est très utile comme information.

La sénatrice Eaton : Vous avez parlé de la poussière. Est-ce le résultat de la façon dont le maïs est ensemencé? Si on changeait la façon d'ensemencer le maïs, est-ce que cela aiderait?

M. Cutler : Absolument. On se demande s'il est nécessaire d'utiliser autant de néonicotinoïde sur les semences, ces traitements prophylactiques. Probablement pas. À savoir si c'est nécessaire dans la lutte antiparasitaire, ça, c'est une autre question.

La sénatrice Eaton : Mais sans ce problème de poussière, s'il y avait une autre façon...

M. Cutler : Si on pouvait réduire la quantité de poussière expulsée dans l'air en la redirigeant dans le sol, on simplifierait le problème, car cela éliminerait l'exposition à la poussière.

La sénatrice Tardif : Monsieur Hoffman, selon vous, le fait que les abeilles ne peuvent pas être transportées librement d'une province à l'autre et vers les États-Unis est problématique. Croyez-vous que l'adoption de normes nationales en matière de gestion des abeilles permettrait de réduire le risque que des parasites et des pathogènes soient transportés d'un endroit à l'autre?

M. Hoffman : Quand vous dites « normes nationales »...

La sénatrice Tardif : Si j'ai bien compris, il n'existe aucune norme nationale au Canada en matière de gestion des abeilles.

M. Hoffman : Je crois que vous avez raison. Les apiculteurs sont laissés à eux-mêmes quant à la façon dont ils gèrent leurs abeilles. Pour beaucoup, l'apiculture est un loisir; ils peuvent avoir une, trois ou cinq ruches. C'est difficile à réglementer. Il ne fait aucun doute, selon moi, que l'adoption de normes aiderait la situation.

La sénatrice Tardif : M. Cutler, auriez-vous quelque chose à ajouter sur le sujet?

M. Cutler : Je ne suis probablement pas la meilleure personne à qui poser cette question. Je ne travaille pas avec les abeilles domestiques en soi et je ne vis pas ces problèmes de transport transfrontaliers. Je vais donc m'en remettre au jugement de mes collègues.

La sénatrice Buth : J'aurais une question complémentaire. Je trouve intéressant que vous vouliez des frontières ouvertes...

La sénatrice Tardif : Exactement. J'allais justement poser la question.

La sénatrice Buth : ... et une plus grande liberté. Pourquoi, alors, voudriez-vous qu'une stratégie nationale pour la gestion des abeilles soit adoptée? Vous êtes très entrepreneurial. Votre commentaire selon lequel il faudrait adopter une stratégie nationale pour la gestion des abeilles m'a surprise.

M. Hoffman : Un des problèmes, c'est cette crainte que des maladies puissent se propager d'un endroit à l'autre. Je crois que si on demandait aux apiculteurs de respecter certaines normes ou si on les y obligeait, le libre transport des abeilles serait beaucoup plus facile. En réalité, ce serait complémentaire et non conflictuel.

La sénatrice Buth : À moins de vouloir limiter la propagation d'une nouvelle maladie. Il faudrait alors des outils de gestion.

M. Hoffman : C'est exact. Si une nouvelle maladie est transportée au pays, il faudrait certainement l'isoler.

La sénatrice Buth : Merci.

[français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois témoins. Vous avez mentionné que la mortalité massive des abeilles se produit normalement en hiver, je crois. Il faudrait peut-être les envoyer en Floride? Même les sénateurs vont en Floride, à l'occasion, ce qui leur permet de se ressourcer.

Ma question s'adresse à M. Hamilton. Une reine en bonne santé continuera souvent de pondre; par contre, à cause de la mortalité, il n'y aura pas assez d'ouvrières pour continuer à butiner et assurer ce qu'on appelle le couvain. Vous assurez-vous qu'une reine en bonne santé qui continue de pondre a toujours assez d'ouvrières auprès d'elle pour assurer sa santé?

[Traduction]

M. Hamilton : Habituellement, une jeune reine en santé produit suffisamment de phéromones pour conserver ses jeunes ouvrières. Le défi, c'est de garder une jeune reine dans la ruche.

Nous élevons environ 10 000 nouvelles reines chaque année. Nous sommes un des rares grands producteurs de reines au Canada. Nous ne produisons pas de miel. Essentiellement, nous pollinisons les plants de bleuets et tentons d'élargir nos activités. Disposer de jeunes reines vigoureuses après l'hiver constitue une bien meilleure solution.

Il nous est interdit, en Nouvelle-Écosse, d'importer des reines de la zone continentale des États-Unis. C'est un des sujets de discussion actuellement dans la province. La qualité des reines provenant de l'Australie et de la Nouvelle- Zélande n'est pas comparable à celle des reines provenant des États-Unis et ne l'a jamais été. Les exploitations d'élevage aux États-Unis sont meilleures.

Aussi, les reines en Australie et en Nouvelle-Zélande sont capturées vers la fin de l'automne. Lorsqu'elles arrivent ici, une semaine plus tard, c'est le printemps. Elles n'ont aucune chance de s'adapter aux conditions météorologiques et ne semblent pas être en mesure de survivre à ce changement.

Pour le moment, nous envisageons d'importer 5 000 lots d'Australie pour les placer dans des ruches en Ontario. Cet été, notre objectif sera de remplacer chacune des reines de ces lots afin de disposer de jeunes reines vigoureuses l'an prochain.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Hamilton, si on ouvrait les frontières et qu'il était possible de transporter des abeilles de la Floride ou de la Californie vers le Nouveau-Brunswick, quel serait l'impact sur les exploitations apicoles dans cette province? Est-ce qu'elles disparaîtraient, puisqu'elles ne seraient plus nécessaires?

M. Hamilton : Si je ne m'abuse, jusqu'à maintenant, toutes les ruches en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick ont été réservées par Oxford Frozen Foods Limited ou M. Brag. Je ne crois pas que cela va changer. Je crois que les producteurs et agriculteurs locaux qui font déjà des affaires ensemble poursuivront leur association. Personne, selon moi, ne fera faillite.

La beauté dans tout cela, c'est que tout le monde en profitera. Les apiculteurs vont polliniser les plants de bleuets et repartiront, un peu comme nous le faisons sur l'Île-du-Prince-Édouard. Nous transportons nos abeilles sur l'Île, en vertu d'un permis, puis nous revenons en Nouvelle-Écosse, toujours en vertu d'un permis. Nous ne sommes pas autorisés à rester sur l'Île pour produire du miel. On pourrait, mais nous quittons l'Île-du-Prince-Édouard juste après la floraison des plants de bleuets. Cela permet aux apiculteurs locaux de produire du miel. C'est ce que nous faisons actuellement. Nous louons encore autant de ruches que nous le pouvons sur place.

Le sénateur Robichaud : Donc, il faudrait maintenir certaines barrières provinciales pour empêcher le transport de toutes ces abeilles vers l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Hamilton : En fait, ce n'est pas ce que nous proposons.

Le sénateur Robichaud : Vous proposer qu'on ouvre les frontières?

M. Hamilton : Oui. Le but ce n'est pas de laisser les abeilles sur place après la pollinisation pour participer à la production du miel.

Si je ne m'abuse, bon nombre des ruches transportées dans le Maine en provenance de New York retournent dans l'État new-yorkais. Il y a une production de miel dans les forêts de l'État de New York. C'est là que beaucoup de ruches sont rapatriées.

Le sénateur Robichaud : S'il était possible de transporter ces abeilles du Maine vers la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick pour y polliniser les plants de bleuets, puisque les saisons sont légèrement différentes, quel serait l'impact sur la production de bleuets au Nouveau-Brunswick? Il y aurait beaucoup plus de bleuets, non?

M. Hoffman : La plupart des années, la récolte serait considérablement plus élevée, comme le seraient aussi les retombées économiques.

Le sénateur Robichaud : Le marché pourrait-il absorber cette production?

M. Hoffman : Je crois que le marché des bleuets a crû au même rythme que les récoltes. Au cours des 30 dernières années, la production annuelle de bleuets sauvages en Amérique du Nord est passée d'environ 40 millions à près de 240 millions de livres, et le marché à cru au même rythme. Bon, la croissance n'a pas été constante; la production et le marché n'ont pas crû exactement au même rythme. Mais, au fil des ans, nous avons réussi à trouver des marchés pour absorber l'augmentation dans la production de bleuets sauvages.

Je crois qu'on peut résoudre le problème du marché. Le plus gros défi, c'est de cultiver efficacement le bleuet sauvage.

Le sénateur Robichaud : Quel sera l'impact de cette production accrue sur les producteurs du Nouveau-Brunswick et de la péninsule acadienne? Cela n'a rien à voir avec les abeilles, mais c'est important pour les producteurs de la région. Comment subviendront-ils à leurs besoins une fois que vous serez le plus important producteur de la région et vous pourrez contrôler le prix d'achat des bleuets?

M. Hoffman : Tous les intervenants tirent profit de l'augmentation du nombre d'abeilles. Les abeilles ne se limitent pas à un champ; elles en visitent plusieurs. Nous fournissons déjà des abeilles à plusieurs producteurs de bleuets et cela ne changerait pas. Dans bien des cas, les agriculteurs n'ont pas suffisamment d'abeilles; nous n'arrivons pas à leur en fournir assez.

Je crois que tous les intervenants en profitent. C'est ce que nous souhaitons. Nous ne faisons pas tout cela pour le bien de notre entreprise, mais pour le bien de l'industrie. Notre philosophie n'a pas changé. Selon nous, si l'industrie prospère, nous prospérerons aussi. Ce que nous proposons profitera à l'ensemble de l'industrie.

Le sénateur Robichaud : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous.

M. Hoffman : Notre objectif, c'est de faire prospérer l'industrie.

Le sénateur Robichaud : Je l'espère, car votre arrivée au Nouveau-Brunswick inquiète, puisque vous allez contrôler une bonne partie de l'industrie du bleuet dans la province. C'est déjà le cas, d'ailleurs.

M. Hoffman : Vous voulez que je vous réponde?

Le président : Oxford Frozen Foods Limited est reconnue partout au Canada et dans le Canada atlantique pour son leadership en la matière.

J'aurais une question complémentaire à vous poser. Le sénateur Robichaud a posé une question au sujet du libre transport des abeilles. S'il était possible de transporter des abeilles dans le Canada atlantique et partout au pays, qu'elle serait l'impact sur la production, en pourcentage?

M. Hoffman : Certaines années, la récolte moyenne au pays se situe entre environ 2 000 et 3 000 livres par acre. Beaucoup sont d'avis que cela constitue une bonne récolte. Le libre transport des abeilles permettrait potentiellement de doubler cette production.

Le président : D'accord. Honorables sénateurs, je tiens à remercier nos témoins pour leur professionnalisme, leur vision et leurs commentaires.

(La séance est levée.)


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