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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 3 - Témoignages du 30 janvier 2014


OTTAWA, le jeudi 30 janvier 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 4, pour étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de grains au Canada (sujet : l'emploi de pesticides comme les néonicotinoïdes dans le secteur agricole et les mesures prises pour protéger les pollinisateurs contre l'exposition).

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. J'aimerais maintenant que les sénateurs se présentent, en commençant par le sénateur Mercer, notre vice-président.

Le sénateur Mercer : Je m'appelle Terry Mercer, et je représente la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Merchant : Bonjour. Pamela Merchant, de la Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour. Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Robichaud : Bonjour. Fernand Robichaud, Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul E. McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Je suis JoAnne Buth; je représente le Manitoba.

Le président : Chers témoins, bonjour. Ce matin, notre comité poursuit son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de grains au Canada.

[Français]

Le comité a reçu le mandat d'étudier l'importance des abeilles; par exemple, dans la pollinisation pour la production d'aliments au Canada, notamment des fruits, légumes et grains pour l'agriculture et le miel...

[Traduction]

... l'état actuel des pollinisateurs indigènes, des mégachiles et des abeilles domestiques au Canada; les facteurs qui influencent la santé des abeilles domestiques, y compris les maladies, les parasites et les pesticides, au Canada et dans le monde; et les stratégies et recommandations à adresser aux parties intéressées, aux gouvernements, aux producteurs et à l'industrie pour assurer la santé des abeilles.

Mesdames et messieurs, nous accueillons ce matin deux témoins. Il y a d'abord M. John Cowan, qui est vice- président du Développement stratégique au sein de l'organisme Grain Farmers of Ontario; puis Arden Schneckenburger, qui est directeur de Beef Farmers of Ontario.

Messieurs les témoins, merci d'avoir accepté notre invitation. Je tiens à profiter de l'occasion pour m'excuser encore une fois au nom du comité de ne pas avoir été en mesure de vous recevoir en décembre, nos responsabilités parlementaires nous en ayant empêché.

J'inviterai maintenant les témoins à nous livrer leurs exposés, lesquels seront suivis d'une période de questions. Le greffier me dit que M. Cowan passera en premier. Les sénateurs vous poseront des questions, une fois vos exposés terminés.

Monsieur Cowan, vous avez la parole.

John Cowan, vice-président, Développement stratégique, Grain Farmers of Ontario : Bonjour. Merci de nous avoir invités à nous exprimer sur cette importante question pour le secteur agricole. Je représente environ 28 000 producteurs de maïs, de soya et de blé de l'Ontario.

Le secteur des grains et des oléagineux est le plus important employeur de l'Ontario rural, et nous sommes fiers de dire qu'une écrasante majorité de nos fermes sont dotées d'un plan environnemental. Personne ne se soucie plus de l'équilibre de l'écosystème que les agriculteurs. Nous sommes d'abord et avant tout des intendants des terres et de l'environnement. Nos exploitations agricoles sont non seulement notre actif, mais aussi notre responsabilité. Comme les propriétaires de la plupart d'entre elles ont l'intention de léguer leurs actifs à leurs descendants, il est très important de prendre soin de cet environnement.

Les problèmes qui touchent les abeilles domestiques préoccupent beaucoup notre organisme, de même que chacun de nos membres. Les apiculteurs font partie de la communauté agricole de l'Ontario, mais en plus, les abeilles jouent un rôle important dans notre écosystème.

Nous jugeons important d'adopter des pratiques agricoles responsables et durables, tant pour les cultures que pour la santé des pollinisateurs, et nous croyons que la collaboration entre les producteurs de grains, les apiculteurs, l'industrie et le gouvernement est le meilleur moyen de mettre au point une solution pour toutes les parties concernées. Grain Farmers of Ontario y travaille avec diligence, et ce, depuis la toute première fois où le problème nous a été signalé, soit au printemps 2012.

Nous souscrivons aux solutions fondées sur des données scientifiques. Cette année, nous multiplions les pratiques exemplaires de gestion, comme l'utilisation d'un nouvel agent de fluidité — dont je parlerai plus abondamment tantôt — qui gardera la poussière au sol durant les semailles, et nous testons l'ajout de déflecteurs à poussière sur les planteuses pneumatiques. De nombreux agriculteurs ont pris l'initiative de semer la nuit, lorsque les abeilles sont dans leurs ruches. La communication entre les apiculteurs et les agriculteurs est fortement encouragée, et la coopération est essentielle pour que les choses continuent à progresser.

Depuis un an et demi, le Sierra Club s'intéresse à cette question, qui va dans le sens de son programme. Cet organisme n'a rien à perdre.

Il est important que ceux d'entre nous qui sont parties prenantes et qui risquent beaucoup conjuguent leurs efforts et appuient nos organismes de réglementation dans leur recherche de solutions fondées sur des données scientifiques. Nous avons l'un des organismes de réglementation les plus respectés au monde, à savoir l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada, qui prend ses décisions en fonction du risque.

Vous avez sûrement beaucoup entendu parler de l'Union européenne et des démarches entreprises là-bas. Je tiens à souligner que les décisions prises par l'Union européenne sont fondées sur le danger. Le risque est fonction à la fois du danger et de l'exposition. Lorsque le danger ou l'exposition change, le degré de risque change aussi. Par exemple, un marteau constitue un danger pour le pouce, mais tant qu'il reste sur la table, vous ne risquez rien. Or, dès que vous le prenez dans votre main, c'est une autre histoire.

Il est important que nous continuions à appuyer un système de réglementation basé sur des données scientifiques et axé sur le risque. L'agriculture est une question d'équilibre, de gestion des risques et de collaboration visant à trouver des solutions. La protection de la santé des abeilles est une question importante et complexe, et nous voulons y contribuer.

Je sais que vous avez entendu des exposés du Conseil canadien du miel; je vais donc me limiter à l'essentiel.

La menace de dommages causés par les insectes nuisibles est un risque commun qu'il faut bien gérer pour l'ensemble des intervenants du secteur agricole : les apiculteurs, ainsi que les producteurs de cultures commerciales comme les grains, les oléagineux et les produits horticoles. Les outils et la technologie que nous possédons, et qui sont réglementés par l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada, viennent atténuer les risques de tels dommages. Sans accès à ces outils permettant de lutter contre les insectes, les familles agricoles subiront des pertes.

L'ampleur de ces pertes n'a pas été beaucoup étudiée au Canada. Selon un très récent rapport de l'UE, la perte d'accès aux semences traitées aux néonicotinoïdes entraînerait des pertes financières de l'ordre de 4,5 milliards d'euros pour l'UE. À long terme, si elles ne disposent pas de cette technologie pour lutter contre les ravageurs, les exploitations agricoles de l'UE seront aux prises avec une importante augmentation de la pression exercée par les ravageurs sur leurs cultures. Elles devront, par conséquent, recourir à d'autres moyens, à ceux que nous utilisions par le passé et qui ne sont généralement pas aussi sécuritaires que les néonicotinoïdes utilisés maintenant pour traiter les semences.

Nous devons avoir la version canadienne de cette analyse; alors, nous avons demandé au Conference Board du Canada d'analyser l'incidence économique de ce manque d'accès pour le Canada. L'étude n'est pas encore terminée, mais nous avons obtenu certaines données préliminaires qui montrent que l'absence de technologies de traitement des semences aurait une incidence considérable sur la marge de profit du secteur agricole, en particulier pour les petites et moyennes exploitations.

Bien que la marge de profit des producteurs de grains de l'Ontario soit très bonne depuis cinq ans, elle est habituellement assez maigre. Selon le Conference Board du Canada, la marge de profit moyenne de cette industrie est de 12 p. 100. La perte de rendement ou les frais supplémentaires liés à la lutte contre les insectes peuvent être substantiels lorsqu'on les compare à une marge de cette taille, surtout pour les petites et moyennes exploitations agricoles. Cela pourrait en outre avoir des répercussions économiques sur des programmes gouvernementaux.

Au Canada, les coûts de production sont élevés, et la concurrence internationale est une réalité pour nous. Toute restriction ou interdiction des technologies de traitement des semences sans technologie de remplacement de la même qualité nuirait à la compétitivité des agriculteurs de l'Ontario sur la scène internationale. En outre, toute tentative visant à restreindre ces technologies exclusivement en Ontario nous empêcherait également de soutenir la concurrence sur les marchés intérieurs.

Les règles du jeu doivent être équitables pour que les agriculteurs puissent exploiter leur entreprise agricole. On peut trouver des solutions communes pour éviter toutes ces pertes. Les apiculteurs ont besoin d'un couvain sain pour produire du miel, et les producteurs de grains doivent produire des moissons saines.

Aujourd'hui, les producteurs de grains, les gouvernements fédéral et provinciaux, les apiculteurs, les vendeurs de semence, les fabricants de pesticide, les fabricants de matériel et les universitaires prennent un éventail de moyens pour trouver des solutions. Des groupes de travail sur la santé des abeilles domestiques ont été créés et ont reçu des fonds pour trouver des solutions aux problèmes des abeilles. Les agriculteurs ont adopté des pratiques exemplaires de gestion visant à réduire les risques d'exposition aux poussières. Les fabricants cherchent des solutions à long terme pour réduire les poussières soulevées par les planteuses. On tente d'améliorer l'enrobage du traitement des semences. Des projets pilotes pour installer des déflecteurs sur les planteuses ont été entrepris, et un nouvel agent de fluidité permettant de réduire les poussières sera obligatoire en 2014.

On a fait beaucoup de choses en très peu de temps afin de réduire les risques liés au traitement des semences, mais les autres domaines qui influent sur la santé des abeilles sont restés en plan. Nous souhaitons que cette question très complexe qu'est la santé des abeilles domestiques soit abordée de façon globale et nationale.

C'est pourquoi nous recommandons qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada mette sur pied un groupe de travail chargé d'adopter une approche nationale en la matière. Le secteur agricole collabore à la recherche de solutions. Tous les intervenants du secteur doivent limiter les dommages causés par les insectes. Les apiculteurs ont besoin de produits pour lutter contre les acariens qui propagent les maladies dans leurs couvains, et les producteurs de grains ont besoin de produits pour éloigner les insectes qui se trouvent dans le sol, s'attaquent aux racines et aux semences et nuisent à la croissance des cultures.

Le gouvernement a adopté des règlements afin de veiller à l'innocuité de ces produits pour les êtres humains et leur milieu environnant, y compris les abeilles. Cette réglementation fonctionne. Dans le cadre de sa réévaluation des néonicotinoïdes, Santé Canada examinera les risques causés par l'exposition à l'eau, au sol et aux poussières et, selon ses conclusions, prendra une décision au sujet de ces traitements des semences.

À la suite de l'avis d'intention publié récemment par l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire et portant sur le traitement des semences, nous nous sommes retrouvés en territoire nouveau, parce que les agriculteurs que nous sommes n'ont pas l'habitude de discuter de nos pratiques agricoles avec cet organisme. C'est pourquoi nous recommandons la mise en place d'un processus officiel à l'intention des agriculteurs et des intervenants non inscrits visant à favoriser la discussion des pratiques agricoles axées sur le développement durable.

Réduire les risques d'exposition involontaire est pour nous une priorité, en particulier dans les zones sensibles, tout comme le soutien des initiatives qui visent à enrayer les causes de tout ce qui a un impact sur la population d'abeilles domestiques. La collaboration dans la recherche de solutions nous permettra de concrétiser une agriculture durable.

Au cours de mes 35 ans dans le domaine de l'agriculture, je n'ai jamais vu une telle activité s'organiser en si peu de temps pour remédier à un problème de cette taille. Tous en reconnaissent l'importance. Par ailleurs, nous ne voulons pas que des décisions soient prises en fonction de commentaires émanant du public et de personnes qui ne saisissent pas le portrait global de la situation. Nous savons tous que les décisions des gens se fondent souvent sur des exposés de 30 secondes diffusés dans les médias. Tout ce qui se passe dans le domaine agricole ne peut pas se résumer en 30 secondes, car les ramifications de nos activités sont mêlées à tout le reste. Tout a un impact sur l'environnement.

Voilà le domaine dans lequel nous travaillons. Nous ne contrôlons pas l'environnement, du moins, pas la météo et tout le reste, mais nous devons néanmoins composer avec tout ce qui arrive.

Je suis ravi de voir la solidarité et la collaboration au sein de l'industrie pour la suite des choses. Je crains de voir la pression populaire nous pousser sur une voie qui ne serait pas la bonne pour les producteurs de grains de l'Ontario et les agriculteurs en général, y compris les apiculteurs. La question est tellement sérieuse que je crains que nous soyons contraints à dire : « D'accord, les néonicotinoïdes nuisent aux abeilles, alors nous devons les bannir pour régler le problème. » Et tout le monde dira : « Nous avons réglé le problème. » Puis les gens regarderont ailleurs. D'après ce que nous avons appris depuis deux ans, cela ne règlera pas le problème. Alors, pour la suite des choses, nous devons tenir compte du portrait d'ensemble, de la situation globale.

Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Cowan.

Monsieur Schneckenburger, veuillez procéder.

Arden Schneckenburger, directeur, Beef Farmers of Ontario : Merci beaucoup. Je m'appelle Arden Schneckenburger. Je suis directeur de Beef Farmers of Ontario, et j'exploite une ferme au sud d'Ottawa. Je cultive les champs et j'ai un parc d'engraissement de bovins.

Beef Farmers of Ontario compte environ 19 000 membres. Les éleveurs de bœufs de l'Ontario sont de grands cultivateurs et utilisateurs de maïs et de soya en Ontario.

Nous sommes très heureux de pouvoir nous adresser au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts pour lui faire part de nos vues sur les néonicotinoïdes dans l'agriculture et de ce que les agriculteurs font pour empêcher les pollinisateurs d'être exposés à ces produits.

Comme l'a dit celui qui me précédait, les abeilles sont importantes pour l'ensemble de la population. Nous, les agriculteurs, sommes les intendants des terres et, comme tout le monde, nous nous préoccupons de la santé des abeilles et de notre industrie.

Mais que faisons-nous? L'organisme Beef Farmers of Ontario se penche sur cette question depuis le début de 2013. Nous suivons d'autres groupes d'agriculteurs qui sont membres d'une coalition formée de représentants de l'industrie des semences, de fabricants d'équipement, de distributeurs de semences, de producteurs de produits chimiques et de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada, et nous participons à ces groupes pour élaborer des pratiques exemplaires de gestion pour la saison de croissance de 2014, pendant que l'ARLA poursuit son examen sur l'usage des néonicotinoïdes dans l'agriculture.

Notre organisation appuie le recours à une approche scientifique pour régler les questions se rapportant à l'utilisation de néonicotinoïdes dans le cadre de l'examen de l'ARLA. Le rapport préliminaire sur cet examen devrait sortir au début de 2015. Nous nous attendons à ce que les données scientifiques abordent tous les problèmes de santé des abeilles, notamment la mauvaise nutrition, le manque de miellée, les varroas, la mortalité hivernale, les autres maladies, ainsi que les effets possibles des néonicotinoïdes sur la santé des abeilles. Notre industrie privilégie une approche fondée sur les données scientifiques, car elle tient compte de tous les aspects et de ce que les agriculteurs peuvent faire pour atténuer le problème.

Voici un bref historique. Les néonicotinoïdes sont entrés en usage en remplacement de l'insecticide composé de diazinon, de lindane et de captane, qui était l'insecticide pour semences le plus couramment utilisé sur le marché. Or, ce produit a été banni lorsqu'il a été établi qu'il était nuisible pour la santé humaine. Il a été remplacé par ce nouveau produit à la fin des années 1990 qui a largement été mis à contribution au début des années 2000 dans la culture du maïs et du soya. On a estimé que le nouveau produit était plus sécuritaire que l'ancien pour la santé humaine. Nous utilisons ces produits dans la culture de maïs et de soya pour éliminer de nombreux insectes transmis par le sol, comme les taupins, les mouches des légumineuses, les hannetons européens, les vers-gris noirs et les chrysomèles. Le bénéfice de rendement moyen est d'au moins trois boisseaux l'acre dans la plupart des cas, mais il est plus élevé dans les zones de forte infestation.

Que peuvent faire les agriculteurs? Au printemps 2014, il faut atténuer les effets des néonicotinoïdes, et on s'inquiète beaucoup des planteuses pneumatiques améliorées, qui constituent la vaste majorité des planteuses utilisées aujourd'hui. Les néonicotinoïdes sont suspendus dans l'air de l'échappement, qui est mélangé avec de la poudre de talc ou du graphite. Ces émissions fugaces sont à l'étude. Certaines dispositions provisoires ont été envisagées par les fabricants d'équipement dans le but d'éliminer l'utilisation du talc et du graphite par les planteuses pneumatiques améliorées qui sortiront cette année, car on soupçonne ces poussières de favoriser grandement la diffusion des néonicotinoïdes. Étant donné que c'est toujours à l'étude, nous, les agriculteurs, allons le retirer du marché cette année au cas où ce serait un problème.

Les agriculteurs peuvent adopter certaines pratiques exemplaires de gestion en 2014 et en voici un aperçu. Tout d'abord, ils peuvent assister aux réunions d'agriculteurs pendant l'hiver pour en apprendre sur la question et comprendre ce qu'on leur demande de faire durant l'ensemencement cette année. Beef Farmers of Ontario a déjà tenu plus de 40 réunions régionales cet hiver, et chaque fois, cela a été un des principaux sujets; nous essayons donc de diffuser le message.

Les agriculteurs peuvent modifier leur équipement en vue de réduire les émissions de poussières dans l'air en achetant ou en construisant des déflecteurs et des diffuseurs. Un fabricant a déjà une trousse pour le faire, et des petits fabricants sont en train de mettre au point des dispositifs pour le printemps 2014.

Comme on l'a déjà dit, un nouvel agent d'écoulement ou de fluidité qui réduit de 66 p. 100 la poussière des semences contenant des néonicotinoïdes sera disponible en 2014. Les lubrifiants sont essentiels à l'écoulement approprié des semences dans les planteuses, car la forme des semences est irrégulière et ne s'écoule donc pas. L'industrie est intervenue rapidement en présentant un produit de remplacement qui sera utilisé massivement ce printemps.

Les agriculteurs avaient la possibilité d'acheter des semences qui ne sont pas enduites de néonicotinoïdes si nous avions su que certains de nos champs étaient adjacents à des colonies d'abeilles. Pour mon exploitation agricole, j'ai acheté ce type de semences pour les champs adjacents.

Le désherbage est une autre question importante. Si nous éliminons les mauvaises herbes de nos champs de maïs et de soya avant l'ensemencement, il n'y aura pas d'abeilles attirées par les néonicotinoïdes dans les champs. Les pratiques agricoles exemplaires adoptées par les agriculteurs seront très efficaces.

Les agriculteurs peuvent semer lorsque le vent souffle dans la direction opposée aux ruches ou en soirée lorsque les abeilles ne sont pas actives, car elles restent dans leurs ruches durant la nuit. Ce sont deux mesures que les agriculteurs peuvent déjà adopter pour les champs adjacents aux ruches.

Beef Farmers of Ontario incite ses agriculteurs à effectuer des changements au printemps 2014 en attendant que l'ARLA de Santé Canada termine son examen des néonicotinoïdes. Nous collaborons.

L'industrie contribue à cet égard afin d'améliorer la santé des pollinisateurs. Cependant, jusqu'à ce que l'ensemble des preuves scientifiques soit disponible, l'interdiction de l'utilisation d'un traitement important serait prématurée et coûterait extrêmement cher aux producteurs. Selon les essais au champ effectués en 2004 et en 2005 par le ministère ontarien de l'Agriculture et de l'Alimentation, lorsque ces traitements sont arrivés sur le marché, l'utilisation des produits s'est traduite par un rendement de 3,3 boisseaux/acre de plus. Les mesures proactives visant à résoudre le problème grâce à l'élaboration de meilleures pratiques de gestion par les modifications apportées au matériel d'ensemencement, les nouveaux lubrifiants et l'appui des études scientifiques en cours pour régler le problème démontrent que l'industrie veut vraiment protéger la santé des pollinisateurs. Encore une fois, nous avons pris bon nombre de ces mesures en un an. Nous voulons poursuivre l'étude.

Le sénateur Mercer : Messieurs, je vous remercie beaucoup de votre présence et de vos exposés intéressants.

Nous employons parfois des termes techniques. Nous sommes ravis d'accueillir des spécialistes comme vous, mais les gens qui nous écoutent ne comprennent peut-être pas toute la terminologie.

Monsieur Schneckenburger, pourriez-vous nous donner une description d'un déflecteur et d'un diffuseur?

M. Schneckenburger : L'un des problèmes soulevés, c'est que les insecticides utilisés pour traiter les semences peuvent se déplacer dans l'air et entrer en contact avec les abeilles. Une solution simple consiste à les diriger vers l'endroit où ils sont utilisés. L'installation d'un déflecteur ou d'un diffuseur sur les conduits de sortie d'un semoir à maïs force l'évacuation du produit vers le sol, de sorte que l'insecticide y reste et ne se déplace pas dans l'air.

Le sénateur Mercer : C'est une explication raisonnable.

M. Cowan et M. Schneckenburger ont tous les deux parlé de la plantation effectuée le soir. Dans quelle mesure la pratique-t-on en Ontario? Comment inciter les agriculteurs à planter davantage durant cette période, pendant que les abeilles sont dans leur ruche?

M. Cowan : Eh bien, comme vous pouvez vous en douter, en Ontario, les activités agricoles se pratiquent parfois 24 heures par jour au printemps. Faire la plantation le soir est un moyen vraiment efficace. Si les apiculteurs disent aux producteurs de céréales à quel endroit se situent leurs ruches, il est possible de faire le travail le soir dans les champs adjacents aux ruches. En Ontario, dans bon nombre de cas, il n'y a pas de colonies d'abeilles à proximité des champs, et ce n'est donc vraiment pas un problème. Il faut faire en sorte que les apiculteurs et les agriculteurs communiquent entre eux.

Nous avons proposé aux apiculteurs de créer une application qui indique l'endroit où se trouvent les colonies d'abeilles afin que les agriculteurs puissent les voir. Les agriculteurs sont très bons en affaires et ils s'adaptent très bien à la technologie. La plupart des agriculteurs peuvent ouvrir une application très facilement en se servant de leur cellulaire — ou de leur tablette, ou peu importe ce qu'ils utilisent. C'est l'une des options que nous étudions.

Le sénateur Mercer : Nous sommes toujours étonnés de constater à quel point la technologie a évolué dans le domaine de l'agriculture.

J'ai la même préoccupation que vous en ce qui concerne les décisions qui sont prises avant même de connaître tous les faits. L'une des choses que nous essayons de faire, c'est de connaître tous les faits et le point de vue des agriculteurs.

La sénatrice Buth : Je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd'hui. Nous sommes ravis de votre présence.

M. Cowan, pouvez-vous m'en dire davantage au sujet des divers intervenants qui ont été réunis pour régler la situation?

M. Cowan : Oui. Au départ, des gens de l'industrie et des apiculteurs se sont rencontrés à Ottawa. C'était un groupe national composé de fabricants d'insecticides utilisés pour traiter les semences, d'agriculteurs, de fabricants de planteuse, d'apiculteurs et de membres du secteur des semences. Les gens de l'industrie se sont donc d'abord réunis.

Par la suite, le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation de l'Ontario a formé un groupe de travail sur la santé des abeilles constitué de divers intervenants, dont des représentants du MAAO, ainsi que des universitaires de l'Université de Guelph. Je vous ai remis des documents qui donnent un aperçu des activités qui ont été menées au cours des 20 derniers mois. Comme je l'ai dit, en 35 ans, je n'ai jamais vu autant de gens de l'industrie collaborer pour trouver une solution à un problème.

La sénatrice Buth : Avons-nous cette liste?

Le président : Nous en avons une, mais elle n'a été rédigée que dans une seule des deux langues officielles. Si vous le souhaitez, je peux demander qu'elle soit traduite et la faire parvenir aux membres du comité.

La sénatrice Buth : Oui, j'aimerais cela.

Parfois, des groupes demandent la création d'une stratégie nationale, l'augmentation des ressources. Vous n'êtes pas le premier témoin qui nous dit que nous collaborons, de sorte que d'autres acteurs que le gouvernement de l'Ontario participent. Il semble que des intervenants d'autres provinces participent également.

Pourquoi envisagerait-on de recourir aux ressources d'Agriculture et Agroalimentaire Canada lorsqu'il semble que la démarche fonctionne bien? Il semble que ce soit l'initiative de l'industrie.

M. Cowan : C'était un problème qui existait en Ontario; tout a commencé en Ontario. Il n'en demeure pas moins que les produits servant au traitement des semences sont utilisés partout au pays. Il a été tout d'abord question du maïs et du soya cultivés en Ontario, et je crois que des représentants du Québec comparaîtront devant vous également. C'est en Ontario et au Québec que tout a commencé.

Cela dit, dans l'Ouest canadien, on utilise les mêmes produits dans près de 20 millions d'acres de canola. Le secteur horticole les utilise. On les utilise énormément.

Ce ne serait pas une bonne idée que deux provinces — l'Ontario et le Québec — prennent une décision chacune de leur côté. À mon avis, il faut qu'AAC examine la question.

La sénatrice Buth : Monsieur Schneckenburger, vous avez parlé de votre propre situation; vous avez dit que aviez acheté des semences non traitées cette année et que vous alliez les utiliser dans des champs adjacents aux colonies d'abeilles. Puisque les apiculteurs déplacent les colonies, comment les agriculteurs et les apiculteurs communiquent-ils entre eux dans votre secteur? Quelle est votre expérience à cet égard?

M. Schneckenburger : Auparavant, les deux secteurs communiquaient très peu entre eux, car il n'y avait pas de problème avant que la question retienne l'attention en Europe au cours des dernières années. La communication est une responsabilité, et ce sera l'élément clé de toute stratégie gagnante à l'avenir.

Cela fonctionne dans les deux sens. Bien souvent, nous ne savons même pas qu'il y a des colonies d'abeilles à côté de nos exploitations. Nous espérons que cet hiver, les activités de communication permettront aux agriculteurs de savoir où se trouvent toutes les ruches et que nous pourrons faire l'ensemencement en conséquence.

Sur mon exploitation agricole, on travaille le soir — maintenant que les exploitations sont plus grandes, on n'a pas le choix de travailler plus longtemps. Ce n'est pas comme si nous devions faire quelque chose de nouveau; il nous faut seulement savoir dans quels champs se trouvent les ruches et faire notre travail le soir ou lorsque le vent tombe. Si c'est très venteux et que le vent souffle vers les ruches, nous ne faisons pas notre travail à ce moment-là; nous revenons plus tard.

Cela comporte des difficultés, mais la communication se fait des deux côtés. Les apiculteurs ont tendance à sortir leurs ruches plus tôt dans la saison qu'auparavant, et ils devront peut-être les couvrir si nous disons que nous allons travailler sur une grande zone située à côté de la leur. Les deux parties doivent faire des compromis et collaborer.

La sénatrice Tardif : D'autres témoins nous ont dit qu'il y aura toute une série de facteurs liés entre eux. Il y a tout d'abord les pesticides et les agents pathogènes, et vous en avez parlé. Il y a aussi la monoculture à grande échelle. Je crois comprendre que la malnutrition causée par la monoculture peut avoir des répercussions sur la santé des abeilles.

Cela touche directement l'agriculture, l'accroissement de la production alimentaire, mais il y a également des conséquences sur l'environnement. Dans quelle mesure peut-on inciter les agriculteurs à diversifier leurs cultures? Veut- on le faire et le fait-on?

M. Cowan : La monoculture se pratique sur une partie des champs. De nos jours, les agriculteurs représentent environ 2 p. 100 de la population canadienne. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils représentaient 48 p. 100 de la population. Pour pouvoir faire de la monoculture dans des champs de quatre acres, il faudrait que 40 p. 100 de la population devienne agriculteurs. Compte tenu de l'équipement d'aujourd'hui, de la taille et de l'industrie, je ne pense pas qu'il y aura beaucoup de changements à cet égard.

Je veux aussi souligner que le pollen du maïs et le soya ne sont pas les aliments préférés des abeilles. Je l'ignorais, mais selon une étude menée en Ontario au cours de la dernière année, les arbres sont leur principale source de pollen et de nectar — les aubépines, les saules et même les érables. Elles butinent dans différents arbres selon le moment de l'année.

Comme M. Schneckenburger l'a dit, les planteuses pneumatiques représentent environ 70 p. 100 des planteuses, et donc 30 p. 100 n'émettent pas du tout de poussières dans l'air. Si nous maintenons dans le sol les poussières provenant des semences, il n'y en aura plus dans les arbres à pollen où les abeilles se nourrissent. Ce n'est pas négligeable.

En ce qui concerne la monoculture, je ne nous imagine pas revenir à des champs de cinq acres; ce n'est tout simplement pas possible. Je sais que ce serait une bonne chose, mais...

M. Schneckenburger : Je répète qu'en tant qu'agriculteurs, nous sommes intendants de la terre. Nous cherchons à faire la rotation des cultures, à tirer profit des cultures-abris, et cetera.

Les abeilles peuvent butiner certaines cultures. Nous travaillons en tenant compte de tous les aspects de la question, comme le milieu, la qualité du sol, la santé des pollinisateurs, les cultures et les revenus générés pour les cultivateurs. C'est pourquoi nous faisons toujours des affaires en tant qu'agriculteurs.

Nous pratiquons la rotation avec de nouvelles cultures. Comme je l'ai dit, les champs sont de plus en plus grands, parce que nous devons réduire notre coût par unité. C'est vrai que les monocultures s'étalent sur de vastes champs, mais je ne le vois pas comme ça. Nous effectuons la rotation de diverses cultures.

L'avenir de l'agriculture dépend de tous ces facteurs qui entrent en corrélation.

M. Cowan : En général, notre rotation comprend au moins trois cultures. Nous ne semons pas du maïs deux fois dans le même champ, comme en Indiana ou en Illinois. Là-bas, les agriculteurs exploitent une couche arable d'environ quatre pieds, tandis que la nôtre ne mesure qu'environ huit pouces. Nos méthodes de culture des terres diffèrent un peu des leurs. Nous en sommes bien conscients; les agriculteurs connaissent bien la qualité du sol.

Par ailleurs, nous avons beaucoup réduit le travail du sol et le ruissellement, à l'aide de divers produits et technologies. Nous avons réduit notre utilisation des pesticides d'environ 50 p. 100 en 20 ans. Bon nombre de technologies nous ont permis de réaliser d'importants progrès concernant la sensibilisation à l'environnement et l'impact environnemental de nos méthodes de culture.

La sénatrice Eaton : Je suis contente de voir que vous semblez résister aux pressions visant à retirer les néonicotinoïdes. L'industrie des sables bitumineux a presque attendu qu'il soit trop tard avant de réagir à la pression populaire, qui ne s'appuyait pas sur des données scientifiques. Je suis contente que vous soyez bien au fait de la question.

À votre avis, d'où vient l'essentiel des pressions pour bannir les néonicotinoïdes?

M. Cowan : Pour être bien honnête, je dirais que le Sierra Club du Canada est un chef de file et qu'il exerce beaucoup de pressions au sein de la population. C'est très facile de propager un message de 30 secondes dans les médias. L'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire a reçu des milliers de lettres dont le modèle figurait sur le site Internet du club. C'est sans doute d'où vient l'essentiel des demandes pour bannir ce produit.

De plus, il y a un moratoire de deux ans sur les néonicotinoïdes dans l'Union européenne. Ce produit est banni depuis huit ans en France, et les abeilles connaissent toujours des problèmes de santé. Je ne suis pas sûr que ce soit un problème isolé, car bien d'autres facteurs entrent en jeu.

M. Schneckenburger : Vous dites que nous ressentons de la pression, mais c'est très profitable selon nous de collaborer avec tous les partenaires pour trouver des solutions à ce problème complexe. Je pense qu'à l'avenir, le milieu de l'agriculture et peut-être toutes les industries au Canada vont commencer à unir leurs efforts dans cet objectif.

La sénatrice Eaton : Vous semblez très optimistes concernant un certain nombre de mesures que vous mettez en œuvre.

Un témoin précédent a dit que le maïs semé en Indiana ou dans l'Utah ne semble pas nuire aux abeilles. L'explication se trouve-t-elle dans la façon d'ensemencer les champs? Comme vous l'avez dit, c'est peut-être parce que les nouvelles méthodes d'ensemencement du maïs ne causent pas de poussière.

M. Schneckenburger : C'est aussi parce que les agriculteurs adaptent leur machinerie. C'est une question à multiples volets qui ne s'explique pas seulement par l'utilisation des néonicotinoïdes, mais par une combinaison de facteurs. Nous ne pouvons pas en être certains avant que les études scientifiques soient terminées. Les varroas ou le butinage insuffisant sont peut-être à blâmer.

La sénatrice Eaton : On nous a parlé de tout cela, mais il est question des grandes cultures de maïs situées dans d'autres régions où les abeilles se portent bien.

M. Schneckenburger : C'est pourquoi nous avançons que les néonicotinoïdes ne sont peut-être pas la seule cause. L'équipement utilisé dans ces régions n'est pas différent du nôtre et il est produit par les mêmes fabricants. Il faut tenir compte d'un certain nombre de facteurs qui ont tous une influence, comme le milieu, les conditions climatiques et la capacité de survie durant l'hiver. Ces agriculteurs travaillent de la même façon que nous.

La sénatrice Eaton : Êtes-vous en contact avec les abeilles indigènes? On nous a parlé l'autre jour des abeilles qui butinent les champs de bleuets. Je me demande si elles sont plus résistantes.

M.Cowan : J'ai découvert une colonie d'abeilles indigènes en poussant une bûche du pied, mais je ne sais pas dans quel état se trouvent ces populations. Pour établir la santé de toutes les abeilles indigènes, nous étudions l'abeille mellifère, qui nous offre un meilleur contrôle.

Concernant les bleuets, bien des abeilles mellifères de l'Ontario sont envoyées dans les Maritimes pour la pollinisation. Aux États-Unis, des abeilles mellifères du Maine sont expédiées en Californie. C'est l'espèce que nous avons le plus étudiée.

La sénatrice Eaton : Oui, il existe près de 800 espèces. Je vous souhaite bonne chance, car vous expérimentez bien des solutions intéressantes. J'ai hâte de connaître les résultats et d'en savoir plus là-dessus.

La sénatrice Merchant : Votre exposé était très positif ce matin, et votre approche est fortement axée sur la collaboration. Je sais que vous parlez des méthodes que vous employez en Ontario. Comme je l'ai dit, je viens de la Saskatchewan et je ne suis pas cultivatrice, alors je connais mal l'agriculture. Vous avez fait mention du vent, qui souffle fort sur nos vastes champs. Nos hivers sont aussi très rigoureux. Nos cultivateurs ont peine à répandre leurs semences au printemps. La neige accumulée au sol constitue un facteur qui détermine s'ils peuvent rapidement se mettre à travailler la terre. Il faut savoir également que notre saison de croissance est courte.

Discutez-vous avec les agriculteurs de l'Ouest, où il y a beaucoup d'apiculteurs? Vous êtes peut-être mieux placés pour vous imaginer les épreuves qu'ils traversent. Les agriculteurs de l'Ouest adoptent-ils les mêmes pratiques que vous?

M. Schneckenburger : Il faut tenir compte des déplacements des abeilles. Les cultivateurs de l'Ontario et de l'Ouest ont tendance à ensemencer les champs dans un délai de trois semaines, surtout concernant le maïs et le soya. Lorsque les champs non labourés sont stériles, la culture précédente laisse des résidus, mais ne produit aucunes fleurs. La plupart du temps, ces champs ont été aspergés au préalable de Roundup ou d'un autre herbicide pour tuer les mauvaises herbes. C'est pourquoi il n'y a pas de fleurs ni d'abeilles qui butinent. C'est encore une question de meilleures pratiques de gestion. Si les abeilles butinent ailleurs à cette période de l'année, il est possible d'ensemencer les champs.

M. Cowan : Nous avons parlé à de nombreuses reprises avec nos amis de l'Ouest, les agriculteurs, les fabricants, et cetera. Nous avons tissé des liens au fil des ans. C'est pourquoi nous estimons que le gouvernement fédéral doit mettre sur pied un groupe d'experts officiel qui va examiner les questions soulevées partout au pays. Les cultivateurs de l'Ouest canadien emploient le même insecticide pour les semences de canola sur près de 20 millions d'acres. Nous avons parlé avec les gens du Conseil canadien du miel et d'autres associations de cultivateurs là-bas, mais le gouvernement doit nous aider à travailler avec plus de cohésion. Nous avons noué des liens au fil des ans et nous discutons ensemble.

La sénatrice Merchant : Combien de temps faut-il attendre avant d'obtenir les résultats de ce genre d'études? Selon ce que vous avez dit, vous avez commencé à appliquer des pratiques différentes en 2013; ces méthodes sont donc très récentes. Vous avez commencé à utiliser les néonicotinoïdes au début des années 2000 et avant cela. Quels délais envisagez-vous pour que ces groupes d'experts soient mis sur pied et qu'ils vous soumettent des données?

M. Schneckenburger : Nous espérons que le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de l'ARLA, termine son étude entamée il y a plusieurs années avant que la question ne soit d'actualité. Cette étude s'inscrivait dans le cadre normal de l'examen des insecticides et ne concernait pas les abeilles. Nous espérons que les résultats seront publiés.

Les agriculteurs adoptent ces technologies et espèrent apporter des changements rapidement. Nous organisons une série de réunions dans l'espoir que les cultivateurs utilisent ces technologies. Les fabricants ont retiré le talc et le graphite des semences pour les semoirs pneumatiques et les ont remplacés par un nouvel agent d'écoulement qui réduit la poussière de 66 p. 100. En tant qu'agriculteurs, nous espérons opérer des changements rapides dans l'industrie pour nous adapter.

M. Cowan : Cependant, notre végétal se trouve dans un champ dont les conditions varient beaucoup d'une année à l'autre. Les différents facteurs présents dans le milieu ont une influence. De la conception à la mise en marché, il faut huit ans pour sélectionner les végétaux. Pour comprendre à fond une question relative à l'agriculture, c'est bien de travailler dans un milieu contrôlé en laboratoire, mais les végétaux vont réagir de façon différente dans les champs où le milieu est variable. Tous les aspects de l'agriculture demandent du temps et des études continues.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci aux deux témoins. Ma question s'adresse à M. Schneckenburger et elle est fort simple.

Vous participez à différents programmes pour la protection des abeilles. Qu'est-ce qui est le plus coûteux pour vous? Est-ce que c'est participer au programme ou tout simplement vivre avec la diminution des abeilles?

[Traduction]

M. Schneckenburger : Ça revient au même. En tant qu'agriculteurs, nous avons besoin des abeilles, qui constitue une partie intégrante de notre écosystème. Je répète que les agriculteurs sont les gardiens et les intendants de la terre. S'il n'y a pas d'autres options et si rien ne prouve que le problème vient de là, ce programme peut coûter de trois à cinq boisseaux par acre sur deux mille acres à un agriculteur comme moi. Cela représente 10 000 boisseaux d'une valeur de 200 000 $. C'est coûteux pour les cultivateurs qui ont des exploitations de diverses tailles, pas seulement pour les cultivateurs comme moi.

Le coût entre en ligne de compte, mais nous voulons nous appuyer sur des données scientifiques. Nous allons nous fier à cela, pas à des rumeurs. Les agriculteurs vont s'adapter en fonction des preuves qui seront fournies.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous avez dit que lorsque vous savez qu'il y a des ruches dans les champs près des vôtres, vous utilisez des graines qui n'ont pas été traitées. Je crois comprendre que la récolte issue de ces graines produit de quatre à cinq boisseaux de moins par acre.

Est-ce vraiment ce qui se produit? Diriez-vous que vous constatez nettement une perte dans la récolte lorsque vous utilisez ces grains non traités?

[Traduction]

M. Schneckenburger : Les études de 2004-2005 sont les seules qui ont été réalisées à cette époque, lorsque nous avons remplacé un produit précédent, le D-L Plus Captan. Les études révélaient une perte en établissant des comparaisons avec les champs de référence. Ce produit est utilisé pour la grande majorité des semences depuis ce temps-là. Il faudrait donc mener d'autres études, si les pertes sont si grandes.

Mais d'après les études réalisées par le passé, les pertes vont de 3 jusqu'à 16 boisseaux par acre. Aucune autre étude n'a été menée depuis un certain temps. Les agriculteurs se fondent sur les recherches effectuées par le passé.

Le sénateur Robichaud : D'après votre expérience, y a-t-il une différence notable pour ce qui est des récoltes dans les champs où vous avez répandu des semences non traitées, à cause des abeilles qui butinent le champ à côté?

M. Schneckenburger : Toutes nos récoltes sont soumises à des contrôles du rendement. Le problème est que certaines variétés seulement sont vendues sans enrobage de néonicotinoïdes. S'agit-il donc des variétés les plus répandues? Est-ce que j'aurais choisi l'une d'elles pour tel champ? Une baisse de rendement est-elle entièrement attribuable à l'absence de néonicotinoïdes? Scientifiquement, je ne peux pas l'affirmer. Mais, selon mon expérience, effectivement, les rendements sont plutôt inférieurs.

Le sénateur Robichaud : Quand un apiculteur vous informe de la présence de ses abeilles dans le champ d'à côté et que vous utilisez des semences non traitées, cela a-t-il un effet? Communiquez-vous avec lui pour savoir si ç'a eu un effet sur ses ruches?

M. Cowan : Le problème n'a vraiment été constaté qu'en 2012. Est-ce que, avant, on se parlait? Cela dépendait de l'agriculteur et de l'apiculteur. Ce n'est que dernièrement qu'on a reconnu un problème, mais, depuis, on cherche à améliorer les communications. Comme on l'a dit, il peut arriver qu'un producteur de grains ne s'aperçoive pas de la présence de ruches à proximité de son exploitation. Il faut changer cela.

En ce qui concerne le rendement, comme Arden l'a dit, les études dont nous disposons datent de près de 10 ans. Nous encourageons donc le MAAO à en effectuer plus sur les effets positifs et négatifs réels de ce mode de traitement des semences sur les rendements. Nous essayons aussi d'y combiner une étude économique des conséquences réelles, mais nous ne disposons pas de renseignements récents sur le sujet. Nous avons besoin de plus d'études.

Le sénateur Robichaud : Nous devrions porter une grande attention à la question, parce que, tout simplement, nos estimations des pertes pourraient être de fausses suppositions.

M. Schneckenburger : C'est la raison pour laquelle les traitements des semences sont apparus. Avant, nous avions le produit D-L, qui est maintenant associé au captane. Les fortes pressions qui, avant, s'exerçaient sur les rendements sont la cause de mise des produits sur le marché.

Personne n'a fait d'études en tant que fin en soi. Les seuls contacts personnels que j'ai eus avec des apiculteurs, avant cela, ont été avec des producteurs bio. De temps à autre, un producteur bio communiquait avec moi, mais les producteurs traditionnels ne l'ont pas fait avant 2012-2013.

Le sénateur Robichaud : Est-ce que le producteur traditionnel d'aujourd'hui, en Ontario, croit qu'il y a lieu de s'inquiéter pour les abeilles, ou est-ce simplement une lubie des producteurs bio qui préconisent des règles ou l'utilisation de semences non traitées?

M. Cowan : Je crois que, maintenant, les producteurs bios ne sont pas les seuls à reconnaître le problème. Ils représentent moins de 1 p. 100 de tout le secteur. Ce motif général de préoccupation pour notre environnement, nous le reconnaissons, et nous tenons à nous en occuper. Cette fois, ce n'est pas seulement une initiative bio.

La sénatrice Buth : Monsieur Cowan, vous avez dit que cela a commencé en 2009, mais les néonicotinoïdes existaient depuis quelques années. Qu'est-il arrivé en 2009?

M. Cowan : Le premier rapport alarmant date de 2012. C'est là qu'il a été porté à l'attention de l'organisme qui représente les producteurs de grains.

Les néonicotinoïdes sont arrivés en grande partie sur le marché en 2003, huit ou neuf bonnes années avant la réception du rapport. Qu'est-ce qui a donc changé? Encore une fois, nous devons étudier ce qui s'est produit de notable pour rendre visible soudainement le problème après huit années sans histoires. C'est la même chose dans l'Union européenne et aux États-Unis. Partout, dans l'ensemble, nos abeilles ont eu des problèmes de santé.

Nos abeilles ont besoin d'un environnement sain. Avons-nous abattu trop d'arbres? Utilisons-nous les bonnes reines? Nourrissons-nous convenablement les jeunes abeilles? Les moyens chimiques qu'emploient les apiculteurs pour combattre le varroa sont-ils adaptés à la tâche?

Des questions auxquelles il faut répondre ici, je pourrais en remplir des pages. Si on se contente d'interdire un pesticide pour croire le problème résolu, il en reste encore des dizaines sans réponse.

Le sénateur McIntyre : Nous saisissons tous l'importance des abeilles, non seulement pour l'apiculture, mais aussi pour leur rôle indispensable pour l'agriculture et la santé de l'écosystème. Cela dit, après avoir entendu vos exposés, je comprends que les agriculteurs, le gouvernement fédéral et les provinces, les apiculteurs, les commerçants en semences, les fabricants de pesticides, ceux d'équipements et les universitaires, tous travaillent, chacun à sa façon, comme vous l'avez dit, monsieur Cowan, à la recherche de solutions à ce problème complexe dont souffrent les abeilles. Pourriez- vous nous en dire un peu plus sur les rapports que votre groupe entretient avec ces divers joueurs et l'agence de Santé Canada chargée de la réglementation de la lutte antiparasitaire, l'ARLA?

M. Cowan : Depuis 18 mois, je siège au comité ontarien de la santé des abeilles. Presque tous les joueurs du secteur en font partie. En gagnant en maturité, le secteur reconnaît qu'une chaîne de valeur doit fonctionner en coordination et que chaque maillon est important. Chacun s'est retroussé les manches et s'est dit qu'il fallait s'attaquer au problème. La collaboration a été notable.

Mais, encore une fois, pour tout vous dire, il y a eu un empêcheur de tourner en rond, un groupe pour qui la seule solution, pas de discussion, c'était l'interdiction des pesticides. Je sais que c'est son objectif; il ne se soucie pas de la santé des abeilles. Honnêtement, c'est ce que j'ai observé ces 18 derniers mois.

Mais, dans son ensemble, l'industrie essaie de voir le problème dans son ensemble. Chacun comprend son rôle et il le joue.

M. Schneckenburger : Notre organisation, les Beef Farmers of Ontario, est en contact avec les membres de cette coalition. Elle ne fait pas vraiment partie du comité, mais elle y est écoutée. C'est un cas exemplaire de la façon de réagir de l'industrie à l'ensemble du problème. Par la collaboration et avec un peu de chance, nous trouverons une solution.

Le sénateur McIntyre : Les règlements qu'on imposera aux agriculteurs deviendront-ils de plus en plus sévères au fil des ans?

M. Schneckenburger : Tant que leur fondement sera scientifique et qu'ils reposeront sur les faits, nous pourrons nous adapter. Nos décisions doivent faire abstraction des émotions, des tripes et ne négliger aucune donnée scientifique. Le contraire serait des plus inquiétants pour nous.

Le sénateur Oh : L'utilisation de pesticides et de néonicotinoïdes entraîne-t-elle des répercussions économiques pour nos exportations de produits finis? Beaucoup de pays appliquent des normes très rigoureuses de salubrité alimentaire. Elles en tiennent énormément compte.

M. Schneckenburger : Voilà pourquoi nous aimons pouvoir compter sur une organisation comme l'ARLA, qui teste tous nos produits avant que les producteurs ontariens ne puissent, légalement, s'en servir. Nous savons que nos produits sont inoffensifs. De plus, le ministère du Commerce international, et cetera, essaie d'en persuader les pays étrangers, pour que nous puissions poursuivre nos activités. C'est pourquoi nous espérons que la solution sera scientifique, ce qui maintiendra la confiance de nos partenaires commerciaux dans les produits que nous utilisons.

Le sénateur Oh : Qu'en est-il de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis? Éprouvent-ils des problèmes semblables?

M. Cowan : Chose intéressante, les néonicotinoïdes sont utilisés à une grande échelle en Australie, l'une des régions dans le monde où les abeilles éprouvent peu de problèmes de santé; mais, aux États-Unis, ces problèmes existent. Je dirai que, au Canada, nous avons reconnu plus tôt l'existence de ces problèmes et pris des mesures pour y remédier.

Nous avons collaboré avec une coalition constituée d'universitaires de Purdue et de l'Université de l'État du Michigan, qui s'intéressait à la santé des abeilles. Nous avons eu des relations avec les États-Unis pour examiner le problème dans son ensemble, mais je dirais que les agriculteurs canadiens sont pas mal en avance sur ceux des États- Unis.

Pourquoi, en Australie, n'existe-t-il pas de problèmes de santé chez les abeilles? Je l'ignore. Je n'ai pas vraiment beaucoup réfléchi à la question. Comme j'ai dit, les problèmes en Europe sont indéniables. C'est un sujet général de préoccupation.

Le sénateur Oh : Merci.

Le sénateur Robichaud : Vous avez souvent dit que l'information ou ce qu'on vous proposera devrait se fonder sur la science. J'aurais tendance à l'appliquer à l'interdiction des pesticides ou à n'importe quoi d'autre.

Vous avez dit que vous constatiez une diminution évidente du rendement quand vous n'utilisiez pas de semences traitées et que vos chiffres datent d'il y a 10 ans. Ces chiffres ont-ils été scientifiquement éprouvés ou obtenus par de la recherche scientifique ou bien, encore, vous ont-ils été fournis par ceux qui produisent les semences enrobées ou traitées?

M. Schneckenburger : Ce sont des études du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation de l'Ontario.

Le sénateur Robichaud : Êtes-vous convaincu que ces études ont été menées convenablement et êtes-vous convaincus des résultats?

M. Cowan : J'aimerais qu'on fasse plus d'études, mais, pour obtenir une homologation par le truchement de l'ARLA, il faut présenter à l'organisme compétent des données scientifiques indépendantes. Je suis convaincu que l'on a procédé ainsi par le passé, mais j'aimerais qu'on effectue plus d'études d'actualisation, en collaboration entre le MAAO et l'ARLA. Pour cela, l'industrie doit travailler de concert.

Le sénateur Robichaud : Les études ont porté sur le rendement et l'innocuité des produits pour l'environnement en général et pour l'espèce humaine.

Le président : Mesdames et messieurs, comme le temps commence à manquer, je demanderai au greffier de faire parvenir aux témoins quelques questions. Ils pourront lui répondre par écrit.

Je tiens à préciser aux témoins et aux auditeurs que notre comité ne jouera pas le jeu de la distribution de reproches aux différents joueurs du secteur de l'agriculture. Notre mission est plutôt de produire un rapport et de formuler des recommandations pour le Sénat et les joueurs du secteur et de nous doter d'une stratégie concertée pour protéger la santé des abeilles du Canada.

Merci beaucoup aux témoins d'avoir comparu.

Nous passons maintenant au deuxième groupe de témoins. Accueillons les représentants de la Manitoba Corn Growers Association : le président, M. Myron Krahn, et un agriculteur et directeur, M. Dennis Thiessen.

[Français]

Nous recevons également M. William Van Tassel, premier vice-président de la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec, accompagné de M. Salah Zoghlami, conseiller aux affaires agronomiques.

Merci d'avoir accepté notre invitation et d'être présents ce matin.

[Traduction]

Le greffier m'informe que le premier témoin, qui représente la Manitoba Corn Growers Association est M. Thiessen et qu'il sera suivi par M. Van Tassel.

Monsieur Thiessen, veuillez nous livrer votre exposé.

Dennis Thiessen, agriculteur et directeur, Manitoba Corn Growers Association : Bonjour.

Ma femme et moi cultivons 850 acres dans la région de Steinbach, dans le sud-est du Manitoba. Je suis directeur de la Manitoba Corn Growers Association et aussi membre du conseil d'administration des Producteurs de grains du Canada. Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous.

La Manitoba Corn Growers Association représente plus de 1 000 producteurs de maïs au Manitoba. Nos membres cultivent plus de 400 000 acres de maïs. Dans notre exploitation, nous cultivons du maïs, du canola, du soja et soit du blé, soit de l'orge. Il m'apparaît important de connaître parfaitement bien toutes les pratiques optimales pour faire pousser les cultures que nous avons choisies. Nous faisons de même pour le traitement de nos semences de maïs, pour que la culture parte du bon pied et qu'elle soit exempte de maladies et d'insectes. Dans le même esprit, nous demandons à un apiculteur local d'installer ses ruches dans nos champs de canola. Ses abeilles pollinisent notre canola, qui, en retour, offre une nourriture saine aux abeilles, dont profite l'apiculteur pour la production de miel.

Au printemps 2013, il m'a dit qu'il avait subi au cours de l'hiver des pertes plus lourdes que la normale. Selon lui, c'est parce que l'hiver avait duré six semaines de plus que d'habitude et que ses ruches étaient infestées par des varroas. Il m'a par la suite indiqué, à l'automne, que ses ruches s'étaient entièrement rétablies et qu'il s'attendait à une excellente production l'année suivante.

Au fil de mes discussions avec lui, il m'a indiqué qu'il considérait que les néonicotinoïdes fonctionnaient mieux et étaient plus sécuritaires pour ses ruches que les produits qu'il utilisait auparavant. Il m'a également appris qu'il avait alimenté ses abeilles avec un produit du soya au début du printemps pour les renforcer et pour parfois les empêcher de partir, puisque cela pourrait leur être plus nuisible si c'est le temps de semer le maïs. Il importe que nous ayons à cœur la santé des abeilles sur nos fermes.

Je crois comprendre que seulement quatre cas de morts d'abeilles ont été répertoriés au Manitoba, dont deux seulement pourraient être liés à l'effet des néonicotinoïdes. Je crois que vous avez déjà entendu le témoignage du Conseil canadien du miel; vous savez donc qu'il s'agit d'une question très complexe.

En tant qu'agriculteur, je m'inquiète du fait que, pour rivaliser avec mes homologues des États-Unis, je dois avoir accès aux mêmes outils de production qu'eux. Comme vous le savez, la saison de culture du maïs est plus longue, et le maïs doit saisir tous les avantages possibles pour arriver à maturité sous le climat du Manitoba. Je traite mes semences lors des semailles pour les protéger de prédateurs comme le ver gris et le ver fil-de-fer, et ainsi produire une plante saine dès le début de sa vie, ce qui lui permet d'arriver à maturité plus tôt et de produire une bonne récolte.

L'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada a précisé dans son avis d'intention qu'elle considérait que mes pratiques agricoles ne sont pas viables. Cependant, cela ne veut pas dire pour autant qu'elle comprend ces pratiques. En outre, elle ne mentionne pas clairement quelles pratiques agricoles elle trouve non viables.

Au cours de la dernière année, on a travaillé fort pour élaborer des pratiques de gestion optimales en ce qui concerne les questions entourant la santé des abeilles. Notre association a communiqué ces pratiques à nos membres et continuera à les tenir au courant. Je demanderais qu'on nous laisse le temps de savoir si celles-ci vont donner des résultats. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est un repère de l'ARLA, de façon que nous puissions mesurer l'amélioration

Il nous faut également un processus formel nous permettant de rencontrer l'ARLA pour lui communiquer nos pratiques agricoles écologiques, et, si les études en cours prouvent qu'un changement s'impose, nous devons travailler ensemble pour élaborer ce changement. Les agriculteurs sont prêts à collaborer avec l'ARLA et les apiculteurs afin de chercher des améliorations à apporter. Néanmoins, comme je crains que les changements proposés par l'ARLA ne soient pas viables financièrement pour mon exploitation agricole, nous devons concevoir ensemble des pratiques qui sont bonnes à la fois pour les agriculteurs et pour les abeilles, car les agriculteurs et leurs cultures ont besoin des abeilles, et les abeilles ont besoin des agriculteurs et de leurs cultures.

Il serait aussi très utile aux agriculteurs de voir les données recueillies par l'ARLA jusqu'à présent afin de pouvoir les analyser. La différence réside parfois dans le simple fait d'apporter des modifications mineures aux planteuses ou d'améliorations aux produits d'écoulement, sur lesquelles on travaille actuellement pour les mettre en marché au printemps prochain. Mon exploitation prendrait un dur coup financièrement si je ne pouvais plus traiter mes semences pour les protéger, car l'adoption d'autres solutions me coûterait beaucoup plus cher, serait moins sécuritaire tant pour les humains que pour la faune, et pourrait aussi certainement s'avérer moins écologique.

Les néonicotinoïdes ont été présentés la première fois dans les années 1990 puisque, selon les données recueillies, ils étaient beaucoup plus sûrs pour les agriculteurs et la faune que ce qui était utilisé à l'époque. En fait, l'ARLA les a évalués et les a homologués parce que sa solide approche scientifique, qui comprenait une évaluation des risques et des avantages, a démontré qu'ils étaient plus respectueux de l'environnement. Ces traitements sont utilisés depuis, et, jusqu'à tout récemment, on a très peu parlé de leurs effets secondaires indésirables. Nous avons donc peine à comprendre comment on peut conclure que les néonicotinoïdes sont entièrement responsables de la mort des abeilles.

Par conséquent, nous exhortons votre comité à encourager l'ARLA à terminer la réévaluation qu'elle a entreprise, conjointement avec l'EPA, de cette classe de pesticides et à en déterminer la valeur grâce à des mesures scientifiques éprouvées. Nous demanderions également qu'elle soit encouragée à collaborer avec Agriculture et Agroalimentaire Canada et à attendre les résultats de la table ronde sur la chaîne de valeur de la santé des abeilles, qui est sur le point d'être créée. Ce travail important, qui consiste à examiner la question dans son ensemble, doit pouvoir être réalisé. Ce n'est que lorsque ces études seront terminées que nous pourrons savoir de façon plus précise ce qui se passe. Manitoba Corn Growers Association continuera de collaborer avec les apiculteurs et les autres parties concernées afin de mettre au point le meilleur plan pour progresser ensemble.

Encore une fois, je vous remercie de m'avoir donné le privilège de discuter avec vous de cette importante question. N'hésitez pas à me poser toutes vos questions.

[Français]

William Van Tassel, premier vice-président, Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec : Bonjour, je suis producteur de céréales du lac Saint-Jean, au Québec. On produit, entre autres, du blé, de l'orge, du canola, du soya, du maïs. La Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec est affiliée à l'Union des producteurs agricoles. On représente 11 000 producteurs au Québec. La fédération compte 11 syndicats régionaux, puisque nous sommes basés dans toutes les régions qui produisent des céréales. Nous participons aux différents comités et groupes de travail sur l'environnement et, particulièrement, à celui qui nous intéresse aujourd'hui, les pollinisateurs.

Les néonicotinoïdes représentent une classe d'insecticides couramment utilisés en agriculture depuis les années 1990. Leur usage dépasse le seul secteur des grains, parce qu'il faut aussi inclure l'horticulture. L'utilisation d'insecticide dans le traitement des semences réduit les dommages aux graines et aux plantules et garantit un meilleur rendement ainsi qu'une réduction de l'utilisation de l'énergie pour d'autres interventions contre les ravageurs, parce qu'on peut prévenir la perte des semences lorsqu'elles sont arrosées avec un insecticide, particulièrement dans le cas du canola.

À la page suivante, on voit des racines de maïs saines, à gauche, et celles qui sont attaquées, à droite. On peut voir que les racines de droite ne donneront pas un bon rendement. Dans d'autres productions comme celles des pommes de terre, l'apparition de vers les rend impropres à la consommation et on doit les jeter.

Maintenant, abordons l'état des connaissances et les constats sur les pollinisateurs, les abeilles et autres insectes, ainsi que sur les néonicotinoïdes. Les pollinisateurs sont importants pour la production agricole. La mortalité est constatée à la suite de l'exposition à une forte concentration des néonicotinoïdes dans la poussière lors des semis. C'est le seul aspect scientifiquement documenté, et des solutions sont en cours, entre autres, dont les lubrifiants pour le traitement des semences, pour le maïs spécialement. Il y a donc modification des semoirs pour que la poussière descende au lieu de se répandre dans l'air.

Les projets menés au Québec portent sur deux ans; pourtant, les études rapportent que les néonicotinoïdes peuvent prendre effet après trois ans seulement. C'est l'une des raisons pour lesquelles il faut prévoir des projets à plus long terme. Parce que si le traitement des semences agit dans le sol pendant trois ans, des études de deux ans pourraient amener à conclure que le traitement n'a pas d'effet.

L'étude de l'effet des néonicotinoïdes découle initialement de la constatation du syndrome de l'effondrement des colonies. C'est un phénomène multifactoriel : virus, mites, gestion des ruches, aliments, , et cetera. Le Québec rapporte à l'ARLA les cas de mortalité causés par les néonicotinoïdes, mais on ne connaît pas leur importance par rapport à la globalité des cas de mortalité. Le maïs et le soja sont les seules productions visées, mais qu'en est-il des autres cultures? On parle également des mégachiles. Je suis producteur de canola, et même lorsqu'il y a traitement des semences avec insecticide, il arrive que les plantules meurent quand même.

La fédération est sensible à la mortalité des abeilles et a eu de multiples échanges avec les apiculteurs. La fédération a été favorable à l'adoption d'une résolution au Congrès général de l'UPA, en décembre dernier, qui encourage le déploiement de plus d'efforts pour réduire la mortalité des abeilles. La Fédération participe au comité provincial sur la protection des pollinisateurs, dont les participants sont le MAPAQ, les apiculteurs, la FPCCQ, l'AMSQ, l'ARLA, le MEDDEFP, l'UPA et l'ISPQ, et réalise des mandats découlant de ce comité : la publication des avis de l'ARLA, des communiqués de disponibilité de semences non traitées, l'appui aux projets de recherche, la promotion de la lutte intégrée, et cetera.

Notre position par rapport aux enjeux consiste à continuer activement les campagnes de sensibilisation pour réduire les risques des pesticides : encourager les producteurs à bien mener les projets en cours (dépistage et comparaison de parcelles avec et sans traitement de semence); se référer aux résultats rigoureux basés sur la science, ce qui est important; développer les connaissances nécessaires pour l'évaluation du risque sur les abeilles et, aussi, la viabilité économique du secteur.

Pourquoi cette position? Un changement de pratique devrait être progressif. L'agriculture est appelée à être compétitive, et le secteur des grains opère dans un marché ouvert où la concurrence des partenaires commerciaux est féroce, ce qui crée un impact économique majeur pour le secteur des grains au Québec et au Canada.

À l'autre page, on peut voir la justification des pertes et l'impact économique. Les chiffres viennent de l'Ontario, parce que, au Québec, on n'avait pas de chiffres. On a fait une simulation pour le Québec à partir de ces données à la page suivante. On a indiqué des pertes, par exemple, pour l'avoine, le blé et le canola, de 50 p. 100, parce que le canola est réellement affecté. Il ne s'agit pas seulement du ravageur des crucifères. Le potentiel de pertes est de 336 millions de dollars annuellement.

En conclusion, les pollinisateurs sont importants pour l'agriculture. L'enjeu de l'utilisation des néonicotinoïdes est majeur pour le secteur des grains. Il est nécessaire de développer les connaissances scientifiques et agronomiques permettant de prendre la meilleure décision. C'est un enjeu intrinsèque à l'agriculture, et les instances gouvernementales devraient se baser sur la science pour prendre leurs décisions et non sur l'avis de groupes de pression. Il faut donc de bonnes données scientifiques pour prendre les bonnes décisions. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Van Tassel.

[Traduction]

Nous laisserons le sénateur Mercer poser la première question, après quoi nous entendrons le sénateur Maltais, du Québec.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup, messieurs, de comparaître. Vous avez tous deux fait d'excellents exposés.

Monsieur Thiessen, votre description de vos échanges avec l'apiculteur local était fort intéressante. D'autres témoins nous ont indiqué qu'il serait utile que nos apiculteurs puissent se déplacer en hiver afin d'installer leurs ruches sous des climats du Sud et profiter de leur présence aux États-Unis pour faire de la pollinisation. Les apiculteurs du Manitoba ont-ils évoqué cette possibilité? Des producteurs et des transformateurs du Canada atlantique nous ont indiqué que cela leur serait d'un grand secours. Qu'en est-il au Manitoba?

M. Thiessen : D'après ce qu'on m'a dit, et je ne peux en être absolument certain, le transport de ruches par-delà la frontière s'accompagne d'un coût prohibitif en raison des maladies qu'on peut ramener des États-Unis. Les agriculteurs font donc hiverner leurs propres abeilles, ce qu'ils ne faisaient pas il y a 15 ou 20 ans. Il serait impossible d'envoyer nos abeilles passer l'hiver dans le Sud.

Quelqu'un a posé une question au groupe précédent au sujet du fait qu'il n'y a pas de perte d'abeilles en Australie. Je me demande si c'est parce que ce pays n'a pas le genre d'hivers que nous subissons. L'hiver de 2012 à 2013 a duré six semaines de plus que d'habitude. Les abeilles affrontent l'hiver déjà infestées par les varroas. Quand l'hiver dure six semaines de plus, les abeilles sont affaiblies. Les pertes d'abeilles sont probablement davantage attribuables aux varroas et à l'hiver extrêmement long.

Le sénateur Mercer : Vous avez encouragé l'ARLA à collaborer avec Agriculture et Agroalimentaire Canada et à attendre les résultats de la table ronde sur la chaîne de valeur de la santé des abeilles, qu'on s'emploie à mettre sur pied. Dites-moi en plus à ce sujet. Qui participe à cette table ronde?

M. Thiessen : On m'a dit qu'il y aura des apiculteurs, des représentants d'Agriculture et Agroalimentaire Canada et de l'ARLA, ainsi que des agriculteurs. Je ne suis pas certain de connaître la composition exacte de la table ronde, mais je suis certain que ces groupes en feront partie.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Je suis heureux de vous accueillir, monsieur Van Tassel, vous qui venez d'une région frontière à la mienne; région très agricole sur le plan de la production laitière, céréalière et des bleuets au Québec.

Nous sommes pris dans un dilemme. Nous devons absolument utiliser des engrais et des pesticides pour avoir une récolte de céréales convenable et compétitive. Nous n'avons pas le choix. En même temps, il faut des pesticides moins dommageables pour les abeilles, mais qui combattent efficacement les responsables, en partie, de la destruction des ruches, appelons-les « mouches noires des abeilles ».

En ce qui touche la recherche, l'UPA travaille beaucoup avec l'école d'agriculture de Saint-Hyacinthe, l'Université Laval et l'Université McGill. Ils font beaucoup d'essais sur le terrain avec de nouveaux produits qui permettront d'obtenir une bonne production céréalière et de réduire les effets nocifs sur les abeilles.

Le recteur de l'Université Laval m'a dit, il y a peu de temps, qu'il y avait du progrès et que l'UPA fait un excellent travail avec les chercheurs de l'Université Laval.

J'avais oublié de vous dire que c'est la région qui produit le meilleur cheddar au monde : le Perron de Saint-Félicien.

Le président : Je suis sûr qu'il y a une question qui s'en vient.

Le sénateur Maltais : Il n'y a pas 36 solutions. On vient de nous dire que promener les abeilles n'est pas très concluant, qu'il peut y avoir des maladies inconnues sur les terres. À part la science, y a-t-il d'autres solutions pour régler le problème?

M. Van Tassel : Je ne crois pas. Il faut attendre pour avoir des résultats basés sur la science. Avec des ouï-dire, on peut penser n'importe quoi. Quand on remplace un produit, il faut observer ce qui change. Les néonicotinoïdes étaient là, mais auparavant, il y avait un autre produit dans le maïs, le DLC, qui était nocif. Il faut toujours analyser le produit de remplacement. Nous devons attendre encore avant de pouvoir affirmer que nous avons des résultats probants.

Salah Zoghlami, conseiller aux affaires agronomiques, Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec : De plus, dans le domaine de la science, la base d'une solution est la pratique et certaines modifications ou des ajustements de pratique dans le cadre d'une cohabitation qui permet de réduire les risques. Il ne faut pas oublier que plusieurs activités économiques ou agricoles comportent un certain risque. La science vient en appui pour aider à choisir les meilleures pratiques possibles avec le déploiement d'intrants, chimiques ou autres, qui peuvent être moins dommageables pour tout ce qui est dans l'environnement.

Le sénateur Maltais : Le taux de contamination des ruches dans la région du lac Saint-Jean est-il à peu près le même que dans les autres régions du Québec?

M. Zoghlami : Aucune contamination n'a été rapportée dans la région du lac Saint-Jean. Celle qui a été constatée était en Montérégie et en Estrie principalement.

Le sénateur Maltais : C'est près de l'Ontario.

M. Zoghlami : Non. C'est le constat. Nous devons avoir un portrait complet de la mortalité dans les différentes régions. On parle de néonicotinoïdes uniquement dans le maïs et le soya, alors que dans Chaudière-Appalaches et au Saguenay-Lac-Saint-Jean où il y a de fortes populations d'abeilles, il y a présence d'utilisation de traitement de semences, mais on ne rapporte pas de mortalité.

Il faudrait un portrait plus exhaustif pour tirer des conclusions. On a demandé ces données à quelques reprises, mais malheureusement, une seule information nous a été communiquée pour ce qui est des mortalités constatées.

M. Van Tassel : J'ai des ruches sur ma ferme. Il faut savoir que les ruches font le tour du Québec. Elles vont aux bleuets pour commencer et ensuite, elles se retrouvent ailleurs. J'en ai tout l'été depuis quelques années, je parle aux propriétaires des ruches et je n'ai jamais eu de problème. J'utilise le produit. Je sème aussi du canola qui a des néonicotinoïdes juste à côté et il n'y a pas eu de problème pour les ruches qui étaient sur ma ferme.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : J'ai une brève question à poser à M. Thiessen. Dans votre exposé, vous avez indiqué ce qui suit :

Ce qu'il nous faut maintenant, c'est un repère de l'ARLA, de façon que nous puissions mesurer l'amélioration.

Pourriez-vous préciser votre pensée? Quel genre de repère souhaitez-vous et quelles sont vos attentes?

M. Thiessen : Je répondrai à cette question en disant qu'il nous est difficile d'évaluer la viabilité de nos pratiques par rapport à ce que l'agence attend de nous, à moins que nous sachions quelles sont ces attentes; commençons donc par avoir un repère. Notre association tient des réunions en hiver. Nous avisons nos agriculteurs de faire attention au moment où ils appliquent un insecticide, que ce soit sur du soya ou une autre culture. Le rapport risque-avantage est tel que quand on utilise un insecticide pour tuer les sauterelles sur le soya, on peut aussi tuer des insectes bénéfiques qui attaquent les pucerons et contribuent à en réduire le nombre. C'est ce genre de chose.

Un confrère agriculteur qui avait l'intention de répandre de l'insecticide s'est ravisé après avoir travaillé avec son agronome, car l'analyse des avantages et les risques indiquaient que ce ne serait pas une bonne idée. Nous en parlons au cours des réunions.

Pour ce qui est du maïs, il y a énormément de facteurs qui peuvent avoir une influence sur la mort des abeilles, comme les longs hivers et les varroas. Ce sont là les principaux facteurs, mais il y a aussi la nutrition, l'acclimatation et la préparation adéquate des abeilles en vue de l'hiver. Ont-elles eu une saine nutrition et de l'eau pendant les périodes de sécheresse? L'apiculteur avec lequel je travaille et d'autres avec lesquels j'ai parlé fournissent de l'eau à leurs abeilles en cas de sécheresse; elles peuvent ainsi s'abreuver à la ruche et repartir.

De nombreux facteurs interviennent dans la mort des abeilles, et nous devons comprendre la contribution de chacun au problème. Actuellement, je ne crois pas qu'on connaisse vraiment les effets totaux de chacun.

La sénatrice Tardif : Ne recevez-vous pas de renseignements de l'ARLA au sujet de certains des facteurs que vous avez énumérés?

M. Thiessen : Pour l'instant, je dirais que non.

La sénatrice Tardif : Vous indiquez également dans votre exposé que l'ARLA de Santé Canada vous a fait savoir qu'elle considérait vos pratiques non viables. Dans quel contexte a-t-elle émis cet avis? Je ne comprends pas très bien. A-t-elle pour habitude de réaliser de telles études?

M. Thiessen : J'aurais de la difficulté à vous répondre. Quand nous rédigions notre document, notre directeur général est tombé sur le site web où cet avis est diffusé, et c'est ce que je peux vous dire pour l'instant. Nous ne connaissons pas le fond de leur pensée.

J'ai parlé avec d'autres apiculteurs que celui avec lequel je collabore. Il y a beaucoup de mésinformation. Un agriculteur louera une parcelle de terre à un exploitant de ferme laitière qui y cultive la luzerne. Ce dernier a informé l'apiculteur de son intention de changer de culture et de faire pousser du maïs sur l'ensemble de sa terre pendant trois ans, quelque chose que je ne fais habituellement pas. Il craignait que les néonicotinoïdes demeurent dans le sol et nuisent ultérieurement aux cultures.

Nous ignorons à quelle vitesse les néonicotinoïdes se désintègrent. Tous les pesticides se désintègrent dans l'environnement. À mesure qu'ils se dispersent, les concentrations qui peuvent avoir un effet sur les insectes diminuent, mais les agriculteurs l'ignorent. Mais l'ARLA et peut-être d'autres personnes du secteur agricole le savent; je crois qu'on est mal informé. Le problème prend une telle ampleur dans les médias que même les apiculteurs sont nerveux parce qu'ils ne connaissent les réponses, pas plus que nous, les agriculteurs, ne les avons. Le comité sur la santé des abeilles doit réaliser une étude exhaustive et donner des réponses aux apiculteurs et aux agriculteurs pour qu'ils sachent ce qu'il en est.

[Français]

La sénatrice Tardif : Monsieur Van Tassell, désirez-vous répondre à votre tour?

[Traduction]

M. Van Tassel : Oui. Je crois que l'ARLA indique qu'on ne peut utiliser le même insecticide année après année parce qu'une résistance se développera. Un agriculteur n'emploiera jamais le même insecticide parce qu'il pratique la rotation des cultures. Je cultive cinq plantes; j'effectue donc une rotation de cinq ans. J'utilise les néonicotinoïdes deux ans sur cinq. Quand on fait la rotation avec d'autres produits, on n'a normalement pas de problème de résistance; mais si on emploie le même produit année après année, c'est un problème qu'on peut rencontrer. On ne peut utiliser le même produit année après année. C'est la raison; ce n'est pas viable.

Le sénateur Robichaud : Vous dites que vous alternez entre cinq cultures et que vous n'utilisez les néonicotinoïdes que deux ans. Vos pratiques sont-elles très différentes de celles de M. Van Tassel, monsieur Thiessen?

M. Thiessen : Je cultive du maïs en grain sur environ 40 p. 100 de mes acres, et je cultive aussi une bonne quantité de canola et d'oléagineux, comme le soya, ainsi qu'une céréale pour rompre le cycle. Mon cycle de rotation est probablement un peu plus court que le sien, mais j'alterne moi aussi entre différentes cultures. La résistance ne se limite pas aux néonicotinoïdes, mais touche aussi le glyphosate. Je recours au canola et au groupe céréalier pour rompre le cycle afin d'éviter que la résistance ne se développe.

Il y a 15 ou 20 ans, j'ai rencontré une résistance aux produits du groupe 1, et il m'a fallu 5 à 10 ans pour en venir à bout. J'ai fini par m'en débarrasser, mais la victoire s'est révélée coûteuse et a demandé un effort considérable. Voilà pourquoi la rotation entre diverses cultures est importante.

La sénatrice Buth : Merci beaucoup de témoigner ce matin.

Monsieur Thiessen, vous avez indiqué que vous cultivez du maïs et du canola. Certains témoins nous ont affirmé que c'est un problème pour le maïs, mais pas pour le canola. Nous avons évidemment entendu parler du matériel de semis utilise pour le maïs. Pouvez-vous décrire les différences entre ce que vous utilisez pour semer le canola et semer le maïs afin que nous comprenions ce qui diffère dans l'équipement de semis?

M. Thiessen : En fait, j'embauche mon voisin, qui possède un semoir à maïs. Il sème mon maïs à ma convenance avec un semoir à vide, comme je l'ai indiqué précédemment.

Pour mon canola, j'utiliser un semoir pneumatique. Comme les semences passent par le tube, il n'y a pas de particules comme telles qui s'échappent quand on sème du canola.

La sénatrice Buth : La principale différence viendrait donc du fait que quand on sème du maïs, il s'échappe des particules et de la poussière qui s'en vont dans l'environnement, alors que ce n'est pas le cas pour le canola.

M. Thiessen : Oui.

La sénatrice Buth : Monsieur Van Tassel, vouliez-vous répondre vous aussi à la question?

M. Van Tassel : Mon matériel est probablement semblable. Salah voudra probablement en parler. J'utilise un semoir à vide pour mon maïs et un semoir pneumatique pour mon canola. J'observe effectivement une poussière bleue sur mes semences de canola, mais comme vous l'avez indiqué, vous n'avez pas eu vent de problème avec cette culture. Pour ce qui est du maïs, il se peut que des particules s'échappent. Il est possible d'obtenir un diagramme pour faire en sorte que la poussière entre dans le sol au lieu de se répandre dans l'environnement quand on sème. Il existe des plans permettant aux agriculteurs de modifier leurs semoirs à maïs.

La sénatrice Buth : C'est relativement récent, n'est-ce pas?

M. Van Tassel : J'en ai vu pour la première fois en 2012.

La sénatrice Buth : Monsieur Van Tassel, collaborez-vous avec d'autres provinces? Vous avez présenté un modèle de ce qui se fait au Québec. Nous avons également entendu dire que l'Ontario est au travail et qu'il faut agir à l'échelle nationale. Qu'en est-il de la collaboration du Québec avec d'autres provinces?

M. Van Tassel : Salah pourra vous en dire davantage à ce sujet parce qu'il suit la situation de plus près que moi. Un groupe provincial s'attaque à la question, et des discussions sont en cours avec l'Ontario. Comme nous sommes un groupe d'agriculteurs, nous parlons beaucoup avec les Grain Farmers of Ontario.

[Français]

M. Zoghlami : Nous avons établi des contacts avec les autres provinces et, comme William vient de le mentionner, particulièrement avec l'association Grain Farmers of Ontario. Nous discutons régulièrement du plan, de la production d'informations et de la collaboration avec les partenaires, comme en ce qui touche le gouvernement fédéral lorsqu'on répond à des demandes de l'ARLA ou d'autres organisations. On suit cela de près et on échange surtout sur certains équipements développés pour la promotion des bonnes pratiques ou pour minimiser le risque. Nous essayons donc de travailler conjointement.

Il y a aussi eu des communications avec les apiculteurs de l'Ontario qui sont venus assister au groupe de travail sur la protection des pollinisateurs dont je fais partie; donc, il y a une communication étroite.

De manière générale, si on souligne l'aspect national de la situation, cela implique nécessairement le gouvernement fédéral comme partenaire d'accompagnement en ce qui touche l'exercice, et particulièrement l'ARLA qui est notre référence pour tout ce qui concerne les règlements et les décisions scientifiques qui doivent s'appliquer. On s'en remet toujours avec confiance aux instances gouvernementales pour nous jalonner en ce qui concerne les décisions que le secteur devrait prendre.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie de vos exposés.

Monsieur Thiessen, je crois comprendre que votre association s'affaire comme une abeille, travaillant notamment dans les domaines du développement de marché, de la recherche, de la promotion et de l'éducation. Il me semble en outre qu'elle gère plusieurs programmes fédéraux relatifs au maïs, à la luzerne porte-graine, au seigle fourrager, aux légumineuses, au tournesol et au miel. Votre association s'occupe-t-elle davantage de la promotion, de la recherche, de l'éducation et du développement de marché que de la gestion des programmes fédéraux?

M. Thiessen : Notre association gère les programmes d'avances en espèces pour le maïs et d'autres cultures. Nous intensifions vraiment nos recherches sur le maïs et ses variétés. Comme vous le savez peut-être, DuPont Pioneer et Monsanto ont tous deux décidé de faire passer les terres destinées à la culture du maïs de 8 à 10 millions d'acres dans l'Ouest canadien. C'est un objectif ambitieux, mais je crois que ces sociétés se dirigent dans cette voie.

Notre association s'implique de plus en plus dans la recherche avec d'autres groupes, comme les Grain Farmers of Ontario et des parties intéressées du Québec. Nous effectuons donc beaucoup plus de recherches. La semaine dernière, nous avons engagé un adjoint pour travailler dans le cadre de ces recherches. Une part substantielle de notre budget est affectée à la recherche.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Ma deuxième question s'adresse au représentant de la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec.

Je comprends que votre fédération a été constituée en 1975, qu'elle regroupe plus de 11 syndicats agricoles, et qu'elle représente 10 000 producteurs de grain de toutes les régions du Québec.

Ma question est la suivante : étant donné que votre fédération représente un nombre important de producteurs de grain, comment voyez-vous la relation entre ces producteurs et l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire — l'ARLA? Plus précisément, comment vos producteurs de grain réagissent-ils aux mesures préventives imposées par l'ARLA? Prennent-ils en considération les intérêts, les différentes réalités de ces producteurs et de ces fermiers?

M. Van Tassel : Je ne suis pas certain de pouvoir répondre à cette question. M. Zoghlami pourra peut-être mieux le faire.

Le sénateur McIntyre : Pouvez-vous préciser la relation entre les producteurs de grain et l'agence?

M. Van Tassel : Il y a 11 000 producteurs de grain, et je ne sais pas s'ils connaissent tous l'ARLA. Il y a toujours certains producteurs qui sont plus au courant que d'autres.

Je ne peux pas parler pour les 11 000 producteurs, mais le système réglementaire au Canada est un système respecté par la Fédération, par les producteurs, partout dans le monde. Donc, on le respecte. Et la raison pour laquelle on le respecte, c'est parce que ce système est basé sur la science, sur des décisions scientifiques. C'est donc ma position sur l'ARLA, à titre de producteur, tout comme celle de la Fédération, et je pense que c'est aussi la position de la plupart des producteurs qui sont passés par là.

M. Zoghlami : Pour compléter la réponse, il y a un exercice qu'on prend en charge comme fédération, du point de vue de la transmission de tout ce qui est décision ou communication de l'ARLA, pour que ce soit communiqué au plus grand nombre de producteurs, par les différents moyens à notre disposition, électroniques et autres.

C'est sûr que c'est une agence réglementaire. C'est un règlement, et du moment où on parle de règlement, cela mérite d'être respecté, sinon on ne respecte pas les règles et lois, et rien ne fonctionnera. Et étant donné que la notion de règlement incite les producteurs à le suivre et à le respectent, on a donc foi en l'ARLA. On croit fortement que si l'ARLA recommande ou met en place des règlements, ce n'est pas sur un coup de tête. C'est sûr qu'il y a de la documentation solide qui a permis de mettre en place le règlement et qui permet de guider les producteurs. Cela nous ramène au fait que ce n'est pas un groupe de pression ou une perception de la réalité qui permet de mettre en place ou de modifier les règlements. Sinon, je pense que tout organisme fédéral ou réglementaire perdrait sa crédibilité s'il changeait ses pratiques sur la base de perceptions.

Le sénateur Dagenais : Merci à nos témoins. Ma question s'adresse à M. Thiessen. Depuis qu'on entend des témoignages sur les abeilles, on a beaucoup parlé de l'influence de l'hiver sur la vie et la survie des abeilles. J'aimerais vous entendre sur le printemps. Est-ce qu'un printemps hâtif ou tardif peut avoir une influence sur la survie des abeilles?

[Traduction]

M. Thiessen : Il est certain que si les hivers sont plus courts, le taux de survie des abeilles sera meilleur. Les abeilles butinent dans les champs à l'époque des semailles. C'est à ce moment qu'elles sont le plus exposées au risque que présentent les insecticides. Le nouvel agent de fluidité, en réduisant les émanations de particules, atténuera également ce risque, mais si les apiculteurs peuvent garder leurs abeilles dans les ruches pendant qu'on sème le maïs et le soya, on peut réduire le risque. C'est une autoroute à deux directions. Si on conduit sur une route où on circule dans les deux sens, on respecte la loi et on espère que le conducteur qui arrive dans le sens inverse fait de même.

Si les apiculteurs et les cultivateurs de maïs et de soya peuvent collaborer pour réduire le risque, tous y gagneront. Nous avons tous un intérêt direct à l'égard des abeilles et nous voulons qu'elles prospèrent. Les cultivateurs de maïs veulent également que leurs cultures démarrent bien. Nous avons donc besoin d'une bonne quantité de plants uniformes. Voilà pourquoi nous avons besoin des néonicotinoïdes, qui font des merveilles pour nous à titre préventif. Nous n'avons pas à utiliser de vaporisateurs topiques, lesquels sont beaucoup plus toxiques et sont bien plus dommageables que ce que nous utilisons pour traiter les semences. Ainsi, si nous travaillons ensemble, nous pouvons résoudre ce problème.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous êtes dans une région qui n'est pas tout à fait le Nord du Québec, mais presque, et vous dites qu'il y a moins de mortalité des abeilles dans votre région que dans d'autres régions du Québec.

Est-ce que vous utilisez autant de ruches productrices de miel chez vous qu'ailleurs au Québec? Parce que vous êtes dans une région productrice de bleuets, n'est-ce pas?

M. Van Tassel : C'est en raison du temps de l'année. Il n'y a pas assez de ruches au Québec pour les bleuets du lac Saint-Jean. Il y a des ruches qui viennent de l'Ontario, mais il en manque parce que ça en prend énormément.

Quand je suis en train de semer, les ruches sont aux bleuetières. Il n'y a donc pas de ruches sur ma ferme, à ce moment de l'année. Elles sont aux bleuetières parce qu'elles sont en période de pollinisation. Donc, je n'ai pas réellement de problème. Est-ce que c'est la raison? Je ne suis pas un expert scientifique, je suis agriculteur. Il n'y a pas de ruche. Les ruches viennent chez nous vers le 20 juin, quand elles ont fini de polliniser les bleuets. Il n'y a pas de problème de semis dans ce temps-là, parce que les ruches sont au nord du lac.

C'est sûr que dans ma région, au printemps, au mois de mai, au début juin, toutes les ruches du Québec y sont. Mais les terres à bleuets sont des terres de sable et il n'y a pas de producteurs de grain à proximité.

Le président : Merci à nos témoins de leur présence ici ce matin et d'avoir partagé leurs opinions et leurs recommandations avec nous.

[Traduction]

Au nom du comité sénatorial, nous remercions les témoins de nous avoir fait part de leurs opinions et de leurs recommandations.

(La séance est levée.)


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