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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 5 - Témoignages du 25 février 2014


OTTAWA, le mardi 25 février 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 21, pour poursuivre son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliment et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

Je m'appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. Je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant par notre vice-président.

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

Le sénateur Rivard : Michel Rivard, Québec.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le président : Le comité continue son étude sur l'importance des pollinisateurs en agriculture et sur les mesures à prendre pour les protéger.

[Traduction]

Voici notre ordre de renvoi :

Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliment et de graines au Canada. Plus particulièrement, le comité sera autorisé à étudier l'importance des abeilles dans la pollinisation pour la production d'aliments au Canada, notamment des fruits et des légumes, des graines pour l'agriculture et du miel.

[Français]

En plus, reconnaître l'état actuel des pollinisateurs, des mégachiles et des abeilles domestiques et indigènes au Canada.

[Traduction]

Nous nous attardons aussi à la santé des abeilles domestiques, y compris les maladies, les parasites et les pesticides, au Canada et dans le monde.

[Français]

En plus, les stratégies à recommander au gouvernement, aux producteurs et à l'industrie en général pour assurer la santé des abeilles.

[Traduction]

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous recevons deux témoins aujourd'hui. Nous écouterons le témoignage de M. Dan Davidson, président de l'Association des apiculteurs de l'Ontario.

Au nom du comité, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Dan Davidson, président, Association des apiculteurs de l'Ontario : Merci de m'avoir invité.

[Français]

Le président : Nous recevons aussi M. Jean-Pierre Chapleau, apiculteur et co-responsable du comité Santé des abeilles/pesticides, Fédération des apiculteurs du Québec.

Monsieur Chapleau, merci d'avoir accepté notre invitation.

[Traduction]

Je vais demander aux témoins de présenter leur exposé, après quoi les sénateurs leur poseront des questions.

Le greffier m'avise que c'est M. Davidson qui va commencer, puis ce sera au tour de M. Chapleau.

[Français]

Monsieur Davidson, la parole est à vous.

[Traduction]

M. Davidson : Bonsoir. L'Association des apiculteurs de l'Ontario, ou OBA, remercie le président et les sénateurs de l'avoir invitée à comparaître devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

L'OBA est une association agricole constituée aux termes de la Loi sur les organisations agricoles et horticoles du gouvernement de l'Ontario. Nous avons pour mission d'assurer la prospérité et la durabilité de l'industrie apicole en Ontario. À cet effet, nous soutenons la santé des abeilles domestiques et les recherches à ce chapitre, mettons en valeur le miel de l'Ontario, et offrons des formations pratiques et de l'information aux apiculteurs de la province.

Même si la production ontarienne de miel, qui s'élève à 20,4 millions de dollars, ne représente qu'environ 12 p. 100 de la valeur totale du miel produit au Canada, l'industrie apicole de l'Ontario joue un rôle déterminant dans la pollinisation des fruits et des légumes du Canada. En effet, pas moins de 37 p. 100 des produits agricoles canadiens viennent de l'Ontario, une proportion supérieure à celle de toute autre province. En plus d'être responsable d'une bonne partie des aliments frais que mangent les Canadiens, l'industrie apicole de l'Ontario rapporte près de 750 millions de dollars à l'économie canadienne grâce aux services de pollinisation que nous offrons aux producteurs de fruits et de légumes de l'Ontario, ainsi qu'aux régions cultivatrices de bleuets et de canneberges du Québec, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard.

Or, l'industrie apicole de l'Ontario présente aussi un autre point caractéristique : la mesure dans laquelle elle a été touchée par l'utilisation aveugle à des fins agricoles de pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes. En 2012, tout le sud de la province a subi des pertes importantes d'abeilles et de colonies. Une enquête de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, ou ARLA, de Santé Canada a révélé que les semences de maïs traitées aux néonicotinoïdes avaient joué un rôle dans la majeure partie des mortalités.

Selon L'ARLA, le phénomène serait largement attribuable à la poussière qui se dégage des semences, et les conditions météorologiques inhabituelles en seraient un facteur contributif. Mais au printemps et à l'été 2013, le déclin des abeilles a été au moins aussi marqué que l'année précédente malgré des conditions atmosphériques plus clémentes et d'une mise au point des pratiques de semailles. À la suite d'une enquête approfondie en 2012 et en 2013, l'ARLA est arrivée à la conclusion que « les pratiques agricoles actuelles ayant trait à l'utilisation de semences de maïs et de soja traitées aux néonicotinoïdes ne sont pas viables. »

OBA est d'accord avec les conclusions de l'agence. Depuis 2007, année qui correspond au début de l'usage répandu des néonicotinoïdes pour le soja et le maïs, les apiculteurs de l'Ontario ont perdu en moyenne 30 p. 100 de leurs colonies chaque hiver, comparativement à une perte moyenne de 18 p. 100 avant 2007. Mais c'est loin d'être tout. Le fait est que les colonies affaiblies par l'exposition aux pesticides toxiques n'arrivent pas à se remettre des dommages survenus pendant l'hiver. L'exposition continue, même à des doses non mortelles, entraîne le déclin des colonies tout au long du printemps, de l'été et de l'automne. Les pertes doivent donc désormais être évaluées à l'année.

Malgré ces pertes, les apiculteurs ontariens ont réussi à préserver les colonies grâce à l'élevage de reines et à la division des colonies survivantes. Ces ruches sont toutefois toujours moins populeuses et moins productives pendant la saison, et les coûts supplémentaires de cette pratique minent la capacité de survie des apiculteurs. Cette année, la récolte de miel en Ontario a chuté de 32,6 p. 100, soit deux fois plus que la moyenne nationale. Des apiculteurs, dont certains de troisième ou de quatrième génération, nous disent que leur entreprise ne survivra peut-être pas une année de plus.

Les néonicotinoïdes sont désormais la classe d'insecticides la plus répandue au monde, et leur utilisation ne cesse d'augmenter. Même si on les a présentés comme étant plus sûrs pour les insectes utiles que les anciens insecticides, l'expérience prouve le contraire. Puisque les néonicotinoïdes sont systémiques, les pollinisateurs peuvent y être exposés de multiples façons. La poussière résultant de la plantation des semences enrobées peut directement entraîner la mort des abeilles, mais moins de 2 p. 100 des ingrédients actifs du produit sont libérés sous cette forme au moment des semailles. Le reste se retrouve dans le pollen et le nectar, et aussi dans l'eau et le sol; on sait d'ailleurs que le produit s'accumule sur une longue période.

Même de faibles concentrations peuvent mettre les abeilles en péril. Les néonicotinoïdes sont des milliers de fois plus destructeurs pour les abeilles que les anciens insecticides comme le DDT. Les recherches démontrent que les abeilles qui en ressentent des effets sublétaux présentent des complications, comme une modification à la quête de nourriture ou un retard du développement. Aussi, il est important de souligner que les néonicotinoïdes ne sont pas étrangers à d'autres problèmes qui touchent les abeilles domestiques, comme le varroa, les virus et la nutrition. En effet, l'exposition à ces pesticides empire les autres problèmes des abeilles en affaiblissant leur système immunitaire, en les désorientant et en détruisant leur habitat.

Pourquoi l'effet est-il aussi démesuré en Ontario? C'est surtout attribuable à la structure des terres agricoles ontariennes et à l'utilisation aveugle de ces pesticides. Le maïs et le soja, avec leurs 2,7 millions d'acres, représentent plus de 50 p. 100 des grandes cultures de la province. Or, on utilise au moins quatre fois plus de pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes actifs par acre dans ces cultures que dans celle du canola, principal produit de l'Ouest canadien. En Ontario, c'est en raison de la culture intensive de variétés pour lesquelles on utilise beaucoup de néonicotinoïdes que les apiculteurs commerciaux ont du mal à éviter l'exposition à ces pesticides.

Même si nos homologues de l'Alberta n'ont pas encore signalé de mortalités d'abeilles directement attribuables aux néonicotinoïdes, nous croyons que les abeilles de l'Ontario sont comme le proverbial canari dans la mine de charbon. Des recherches de l'Université de la Saskatchewan ont décelé la présence répandue de traces du produit sur des millions d'acres d'un bout à l'autre des Prairies.

Pendant que les apiculteurs d'autres provinces apprennent à reconnaître les signes de l'empoisonnement aux néonicotinoïdes, et que ces substances chimiques persistantes s'accumulent dans le sol et contaminent les eaux de surface, on peut s'attendre à une multiplication des signalements de mortalités d'abeilles partout au pays.

Mais les répercussions ne se limitent pas aux abeilles domestiques. En effet, les néonicotinoïdes représentent aussi un risque pour les bourdons, les abeilles sauvages, les oiseaux et les invertébrés aquatiques. Étant donné son usage répandu et sa persistance dans l'environnement, les néonicotinoïdes menacent toute une faune bénéfique dans l'ensemble des provinces. En plus, ces produits sont néfastes pour les arthropodes, qui constituent un moyen biologique de lutte contre les organismes nuisibles aux cultures, et pour les invertébrés de la terre si essentiels à la santé du sol.

Si les néonicotinoïdes continuent d'être utilisés aux dépens des pollinisateurs, des insectes utiles et des invertébrés de la terre, nous croyons qu'ils menaceront l'écosystème dont dépend la production agroalimentaire canadienne. Nous demandons donc au comité de recommander aux organismes de réglementation de suspendre immédiatement toute homologation conditionnelle des produits de la catégorie des néonicotinoïdes jusqu'à ce que nous comprenions comment gérer les risques qu'ils présentent.

La décision de la Commission européenne de restreindre l'an dernier l'utilisation des pesticides néonicotinoïdes pendant deux ans faisait suite au rapport scientifique de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, qui confirmait leur risque majeur pour les abeilles, d'après plus de 150 études scientifiques. Nous aussi croyons que c'est la seule façon efficace de protéger les abeilles domestiques et les autres pollinisateurs. Sauf erreur, l'ARLA a le pouvoir de suspendre immédiatement l'utilisation de pesticides lorsque les recherches justifient une telle décision. Or, nous croyons que les preuves scientifiques de leur effet sur les pollinisateurs et sur notre écosystème sont suffisamment convaincantes pour justifier un tel geste.

Nous avons pour chacun d'entre vous une clé USB contenant de l'information sur les ressources et les recherches qui seront utiles à vos délibérations. Vous y trouverez aussi une vidéo de quatre minutes de l'OBA qui illustre les répercussions des néonicotinoïdes sur une famille d'apiculteurs ontariens de troisième génération.

Au nom de l'Association des apiculteurs de l'Ontario, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au comité, et je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Davidson.

[Français]

Monsieur Chapleau, la parole est à vous.

Jean-Pierre Chapleau, apiculteur, co-responsable du comité Santé des abeilles/pesticides, Fédération des apiculteurs du Québec : Je vous remercie de nous avoir invités. Nous sommes également reconnaissants du fait que votre comité, honorables sénateurs, se penche sur la question des abeilles. À mon avis, c'est très important, et cela permet de reconnaître qu'il y a un problème, que ça ne tourne pas rond, vous l'avez tous constaté.

Je représente la Fédération des apiculteurs du Québec. Au Québec, il y a une cinquantaine de milliers de ruches. Personnellement, j'ai été apiculteur toute ma vie. Je suis en fin de carrière, j'ai beaucoup moins de ruches qu'auparavant. Quand j'étais en pleine opération, j'avais environ 1 000 ruches et j'avais une spécialité qui était l'élevage des abeilles reines, qui étaient vendues à mes confrères apiculteurs à travers le Canada et même à l'exportation. J'ai eu 2 200 ruchettes de fécondation pour pratiquer l'élevage de reines.

J'ai été aussi impliqué dans la formation en apiculture, dans le syndicalisme — j'ai assumé la présidence de la Fédération des apiculteurs, la vice-présidence du Conseil canadien du miel — et j'ai été impliqué également, en fin de carrière, en recherche. J'ai mené des projets de recherche sur les méthodes de contrôle alternatives du varroa, dont vous avez beaucoup entendu parler, de concert avec l'Université Laval.

Je suis content d'arriver en fin de parcours, parce que vous avez entendu parler de plusieurs aspects de la problématique de la santé des abeilles et, d'emblée, on doit reconnaître que les causes des problèmes liés aux abeilles sont multiples.

C'est avec raison qu'on a invoqué le manque de diversité végétale comme étant une cause de la malnutrition de l'abeille.

On a invoqué des problèmes de santé, notamment le varroa. Tout cela est juste. Vous avez aussi entendu parler des pesticides et posé beaucoup de questions sur ce sujet, sur le rapport entre les abeilles et les pesticides, plus particulièrement les fameux néonicotinoïdes, qui sont si difficiles à prononcer, et qu'on pourrait familièrement appeler « néonics », comme plusieurs le font — ce que je ferai, avec votre permission.

Le manque de biodiversité et les problèmes de varroa sont en partie sous le contrôle de l'apiculteur. En revanche, le problème des pesticides, cela a été mentionné par certains témoins avant moi, est complètement hors du contrôle de l'apiculteur. J'aimerais concentrer ma présentation sur cet aspect, si vous le voulez bien, en essayant d'éclairer des zones de la problématique qui n'ont pas été éclairées jusqu'à maintenant par vos témoins précédents.

La première prise de conscience qu'il faut avoir à ce sujet, c'est qu'il faut se rendre compte de l'ampleur des changements qui sont survenus dans les années 1990 dans la manière de faire la phytoprotection, c'est-à-dire la manière de protéger les plantes contre les insectes ravageurs. On a du même coup vu deux innovations arriver. On a vu arriver une nouvelle famille de molécules, les fameux « néonics », qui ont un mode d'action complètement différent, qui agissent à très faible dose. En même temps on a créé une nouvelle façon d'appliquer le pesticide. Traditionnellement, un pesticide était appliqué par une pulvérisation faite de l'extérieur. À partir des années 1990, on a vu l'émergence des insecticides systémiques, c'est-à-dire intégrés au fluide même de la plante. C'est une prouesse technologique qui paraissait pleine de promesses. De fait, il y a beaucoup d'aspects positifs liés à cette technologie. Mais on n'a pas pris conscience, au moment où on a mis en œuvre ces changements technologiques, des impacts qu'il pouvait y avoir à plusieurs niveaux.

Cela fait longtemps que les pesticides existent, et depuis toujours les apiculteurs composent avec les pesticides. Alors comment se fait-il que tout d'un coup nous ayons ces problèmes? Ce n'est pas seulement à cause de la nouvelle famille de molécules. Tous les pesticides sont toxiques, tous sont faits pour tuer des insectes. L'abeille est un insecte. L'explication, il faut la chercher dans la manière dont l'abeille est exposée à ces pesticides. Traditionnellement, l'abeille recevait la douche ou ne la recevait pas, elle en mourrait ou n'en mourrait pas. Maintenant, l'abeille est exposée de multiples façons. Elle peut être exposée aux poussières qui sont en suspens dans l'air; être exposée par l'intermédiaire du nectar des plantes, soit les plantes cultivées elles-mêmes, soit les plantes de succession, car les molécules ont une longue rémanence dans le sol et les cultures de succession vont continuer d'absorber le pesticide qui est imprégné dans le sol. Ces molécules ont la particularité d'avoir une longue rémanence dans les sols, qui peut s'étendre sur plusieurs années.

Les abeilles sont exposées par l'eau aussi. Les pesticides vont aussi dans l'eau; en effet ce sont des molécules hydrosolubles car, pour monter dans les plantes, il faut qu'elles soient hydrosolubles. Ainsi, elles se diffusent dans l'eau, y compris dans les eaux de surface. Les abeilles sont exposées au moment où elles s'abreuvent, ou encore quand elles vont s'abreuver sur les gouttes à la pointe des feuilles — ce qu'on appelle le phénomène de guttation.

Les voies d'exposition des abeilles ont été multipliées et, en même temps, s'étalent sur toute la saison, alors qu'auparavant c'était une exposition ponctuelle et que l'agriculteur avait tendance à utiliser un insecticide lorsqu'il constatait la présence d'insectes ravageurs qui menaçaient sa culture. Donc c'était en réaction à une problématique réelle. La technologie des insecticides systémiques invite l'agriculteur à utiliser l'insecticide au cas où, et ça fait partie du problème. À partir de ce moment-là, on s'est mis à utiliser les insecticides automatiquement, en mettant la culture en terre.

Ainsi, le problème des abeilles c'est qu'on a multiplié les voies d'exposition, et qu'on a étendu les superficies sous traitement insecticide. C'est la surdose, tout simplement. Il n'y a pas un pesticide qui soit bon, mais dans le contexte actuel, on place les abeilles en situation de surdose.

Que faire avec ça? Cela a des impacts, évidemment, sur la santé des abeilles. Ces impacts ont été assez bien décrits par mes prédécesseurs. Néanmoins, des doutes ont été émis, notamment, par les utilisateurs de ces produits. C'est de bonne guerre de vouloir minimiser les problèmes quand ça fait notre affaire d'utiliser le produit, je le comprends. Mais la science est là, énormément de données scientifiques sont disponibles, et je peux comprendre que cela puisse être intimidant d'aller à la bibliothèque et d'aller fouiller dans tout le corpus scientifique. J'ai ici une méta-analyse qui comprend 160 références et qui concerne seulement les effets sur les pollinisateurs. Il y a 160 références en bibliographie à la fin. C'est un travail énorme que de parcourir tout ça.

En revanche, il y a des méta-analyses, et je vous suggère, à la fin du document que je vous ai fait parvenir, trois méta- analyses : une qui couvre les effets sur les pollinisateurs domestiques et sauvages; une autre qui traite des effets globaux sur l'environnement; et une dernière qui examine les effets sur les insectes auxiliaires, les insectes utiles à l'agriculture — car il n'y a pas seulement les pollinisateurs, il y a des insectes qui mangent les insectes ravageurs, comme les coccinelles.

La science est là et on a des données scientifiques qui viennent du Québec aussi, je vous en parlerai à la période des questions si cela vous intéresse. Des recherches au Québec nous ont permis de vérifier sur le terrain les effets sur les abeilles.

Parmi ceux-ci, les effets de toxicité aiguë sont bien connus, ce sont les plus visibles. On peut prendre les abeilles mortes qui se trouvent en tas, on peut les analyser, on trouve le pesticide dans leurs corps, on a ainsi une preuve. Ce qui est plus compliqué, ce sont les effets chroniques, les effets sous-létaux. Malheureusement ce sont les plus nombreux. Ces effets font que les abeilles se développent moins bien. Il y a des abeilles qui se perdent dans les champs et ne reviennent pas, les facultés cognitives sont affectées, la mémoire olfactive, le système immunitaire; les glandes hypopharyngiennes — je suis désolé pour nos traducteurs — diminuent de volume et font que les abeilles nourrices dans nos ruches sont de moins bonnes nourrices. Cela se traduit par une longévité moindre pour nos larves et, plus tard, pour nos abeilles adultes. Ce sont tous des problèmes extrêmement difficiles à mesurer, mais beaucoup de recherches ont vérifié ces effets.

Je vous parlais des problèmes pour les abeilles, mais un point très important dont il faut prendre connaissance, et mon confrère l'a évoqué, est qu'on parle des néonics comme d'un problème d'abeilles. À mon avis ce n'est pas un problème d'abeilles. L'abeille est l'indicateur d'une problématique beaucoup plus vaste. On a un problème environnemental, à mon avis, qui a une portée beaucoup plus vaste.

La chose que l'on doit examiner en premier lieu, c'est la question de l'eau. Ces molécules étant hydrosolubles, elles sont très mobiles dans l'eau, dans l'environnement. Partout où on vérifie, dans les milieux agricoles, dans l'eau, on trouve les néonicotinoïdes. Au Québec, on a cherché, on a vérifié dans 16 rivières; on les a trouvés dans les 16 rivières. On a regardé dans les puits, dans les régions de culture de pommes de terre, et on fait un suivi depuis plus d'une dizaine d'années. À chaque nouvel échantillonnage on les retrouve dans des proportions de plus en plus importantes. On est rendu à au-delà de 60 p. 100 de puits dans lesquels on retrouve l'imidaclopride, l'une des molécules actives. Ce n'est pas seulement au Québec; mon confrère a évoqué le fait qu'on l'avait vérifié en Saskatchewan, dans les marais, où on les avait trouvés. De même, partout ailleurs où on vérifie, on les trouve. Encore une fois, ce sont des données qui sont appuyées par la science.

Un point qui est revenu à plusieurs reprises à la suite de vos questions aux représentants des associations de fermiers que vous avez reçus, c'est la justification agronomique de l'utilisation des néonics. Ces gens ont insisté sur l'importance de fonder nos pratiques et nos décisions sur la science. Quant à vos questions concernant la base scientifique pour l'utilisation des néonicotinoïdes, d'après les transcriptions que j'ai lues, vous n'avez pas obtenu de réponse. Il existe cependant des données scientifiques là-dessus. Je connais trois études que je peux mettre à votre disposition. L'une d'entre elles vient du Québec. Elle a été effectuée par le Centre de recherche sur les grains. Elle vérifiait la prévalence des insectes ravageurs dans 14 champs divisés en parcelles traitées/non traitées. Un suivi des récoltes a été fait et la conclusion, pour être succinct, c'est qu'on n'a pas constaté de différences importantes de rendement dans les études. Une autre étude a été faite au Minnesota, je crois, par un M. Krupke, étalée sur trois années au lieu de deux. La conclusion est la même. Une troisième étude a été faite sur le soja. On n'a pas trouvé d'augmentation de rendement. On essayait de traiter les pucerons. On n'a pas eu d'impact sur les pucerons parce que la dose d'insecticide était minime au moment où les pucerons sont arrivés. Par contre, on a réduit de 25 p. 100 les populations de coccinelles qui sont des prédateurs de pucerons.

À mon avis, on doit insister auprès des utilisateurs des néonics sur le fait que les pratiques doivent se fonder sur la science. Dans le moment, les indications que nous avons ne prouvent pas qu'on n'a jamais besoin des néonicotinoïdes, mais elles prouvent qu'on est loin d'en avoir besoin tout le temps. C'est la partie problématique dans la situation actuelle : l'importance de l'usage qui ne correspond pas aux besoins.

La Fédération des apiculteurs du Québec a déployé beaucoup d'efforts auprès des agriculteurs depuis trois ans. Je vous en reparlerai. Cela a donné lieu à des guides de dépistage des insectes du sol. On a parlé avec les agriculteurs, on a fait toutes sortes de démarches au sein d'un comité de concertation pour essayer d'inciter les agriculteurs à revenir à ce qu'on appelle la lutte intégrée. À l'heure actuelle, on est obligé de constater qu'il y a des forces énormes qui empêchent l'atteinte de nos objectifs. Les ventes de grains non traités chez les semenciers sont très basses, malgré tous les efforts qu'on fait. L'Union des producteurs agricoles, qui avait quand même des moyens importants à sa disposition, a été l'un de nos partenaires. Le ministère de l'Agriculture de la province de Québec a envoyé une lettre à tous les agriculteurs pour les inviter à faire un usage rationnel des pesticides. Cela n'a pas changé le volume de ventes. Il y a un problème important lié à la structure de l'industrie, au marketing de ces produits et je dirais à l'espèce de dépendance que l'on a créée chez les agriculteurs face aux pesticides.

Je vais traiter d'un autre point avant de terminer ma présentation : l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA). Elle a beaucoup été invoquée par les témoins que vous avez entendus avant moi. On a souvent dit que l'on appréciait le fait que l'ARLA prenait des décisions fondées sur la science. Je vais vous présenter un point de vue différent. À mon avis, il y a eu des problèmes majeurs dans le traitement du dossier des néonics par l'ARLA. On s'attend à ce qu'une agence comme la nôtre agisse comme un filtre et vérifie, mesure les risques inhérents à l'usage d'une substance insecticide avant d'autoriser sa commercialisation. Normalement, ces données sont basées sur la science effectivement. Malheureusement, cela n'a pas fonctionné dans le cas des néonicotinoïdes et il y a eu des irrégularités. Je vous en mentionne les principales.

Le cas du produit le plus utilisé est la clothianidine. Le nom de commerce, c'est Poncho. À peu près tout le maïs est traité au Poncho. Ce produit n'a jamais été complètement évalué; il a reçu une homologation qu'on appelle provisoire. Je l'ai mentionné dans le document que je vous ai remis et qui a probablement été traduit. Les informations que je vous rapporte sont tirées du rapport d'homologation du Poncho. On n'a pas pu lui attribuer une homologation permanente parce que les données relativement à plusieurs aspects étaient manquantes; on les a demandées au fabricant, Bayer. Ces données sont les données sur la sécurité pour les pollinisateurs, sur l'immunotoxicité, sur le lessivage. Malgré cela, on a une homologation octroyée sur une base temporaire depuis dix ans. Dans ma compréhension, une homologation temporaire conviendrait dans une situation d'urgence et serait révoquée si on constate des problèmes. Malgré le fardeau de la preuve, cette homologation n'a pas été retirée.

C'est avec plaisir que je vous en dirai plus si vous avez des questions.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Merci d'être avec nous. Vos exposés étaient très instructifs, comme toujours.

Monsieur Davidson, vous avez parlé d'abeilles expédiées en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et au Québec, ainsi que d'abeilles produites pour le marché ontarien lui-même. Combien de colonies exportez-vous? Expédiez-vous seulement les reines?

M. Davidson : Ce sont des colonies d'abeilles qui sont envoyées à la côte Est. L'an dernier, je pense que l'Ontario y a expédié environ 26 000 ruches. Si vous me permettez de distribuer les clés USB — tous les sénateurs devraient aussi avoir reçu une feuille des questions les plus fréquemment posées —, les chiffres exacts devraient s'y trouver. Je pense qu'on parle d'environ 26 000 ruches.

Le sénateur Mercer : Bien des gens nous ont déjà dit que le manque de communication entre les apiculteurs et les agriculteurs quant à l'emplacement des ruches et le moment de la pulvérisation est un des problèmes. Selon une étude récente du gouvernement australien :

[...] les insecticides ne posent pas un très grand problème, même s'ils sont de toute évidence toxiques pour les abeilles lorsqu'ils sont mal utilisés. Il arrive qu'un apiculteur perde des colonies d'abeilles en raison d'un insecticide, mais c'est généralement attribuable à l'absence de communication entre l'agriculteur et l'apiculteur touché.

À quel point cette affirmation de l'Australie est-elle vraie au Canada? D'autres nous ont dit que l'agriculteur ignore parfois où est la ruche, ou encore qu'il pulvérise son champ au mauvais moment. Nous avons déjà reçu des agriculteurs nous disant qu'ils font bien attention et que, si le vent souffle en direction des ruches, ils attendront avant de pulvériser. Ils veulent autant que vous que vos ruches soient en santé. Dans quelle mesure cette affirmation s'applique-t-elle à la situation canadienne?

M. Davidson : L'affirmation est tout à fait vraie pour l'application foliaire d'insecticides. Mais comme M. Chapleau l'a très bien expliqué, le traitement des cultures aux néonicotinoïdes n'a rien à voir. Le pesticide est employé, peu importe la situation — que l'agriculteur en ait besoin ou non. Dans le cas de l'application foliaire de pulvérisations, il s'agit d'une lutte antiparasitaire intégrée où la communication est présente. De mon expérience, tout s'est toujours très bien passé avec les agriculteurs qui devaient avoir recours à une pulvérisation foliaire. Mais ce genre de pesticide n'a rien à voir avec les néonicotinoïdes, qui iront dans le sol quoi qu'il arrive.

Le sénateur Mercer : Monsieur Chapleau, vous avez parlé d'eaux de surface. J'aimerais simplement vérifier que vous parlez bien de l'eau qui se trouve sur la plante, et non pas à la surface des eaux souterraines. Il s'agit de l'eau de ruissellement à laquelle les abeilles sont exposées lorsqu'elles butinent, n'est-ce pas?

M. Chapleau : Je parlais de l'eau à la surface du sol.

Le sénateur Mercer : Ah oui?

M. Chapleau : Oui. Les flaques d'eau contiennent différentes concentrations de néonicotinoïdes. Il faut comprendre que l'enrobage de la semence se dissout lorsque la graine est au sol. Entre 1 et 20 p. 100 du produit est absorbé par la plante, mais le reste se répand dans le sol. Puisqu'il y demeure longtemps, on l'y retrouve pendant des années, et il s'écoule avec l'eau. Les grandes pluies font remonter le produit à la surface et acheminent les substances toxiques jusqu'aux abeilles qui s'abreuvent à cette eau.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup. J'avais vraiment une fausse impression. Vos réponses ont été des plus utiles.

Nous savons tous que l'Union européenne a interdit l'utilisation des néonicotinoïdes pendant deux ans; nous en sommes à la première année. Ne devrions-nous pas attendre de voir ce qu'il arrivera après deux ans sans néonicotinoïdes? L'Europe a elle aussi été touchée par de grandes pertes d'abeilles. Elle pourrait découvrir que le phénomène n'est pas uniquement attribuable aux néonicotinoïdes, mais aussi à d'autres facteurs environnementaux, comme les changements climatiques et le reste.

M. Davidson : Pour répondre à la question, nous pouvons prendre l'exemple de l'Italie, qui a banni l'utilisation de néonicotinoïdes pour la culture du maïs en 2008. Les pertes des apiculteurs ont plafonné à ce moment. Autrement dit, la situation a cessé de se dégrader, contrairement à ici. Puisque les agriculteurs n'ont pas constaté une importante baisse de rendement du maïs, je dirais que tout le monde y gagne, en quelque sorte. Pour ce qui est de patienter jusqu'à la fin des deux années, je crois qu'il existe suffisamment de recherches et de données scientifiques pour ne pas attendre aussi longtemps.

Le sénateur Mercer : Monsieur Chapleau?

M. Chapleau : Je suis d'avis que c'est une urgence. La situation de l'Ouest n'est pas la même que celle de l'Est. Bien sûr, je ne suis pas trop au courant de ce qui se passe là-bas. Je ne connais ni le canola, ni les concentrations de pesticides utilisées, ni les pratiques de rotation. Au Québec, je sais que le maïs est bien souvent traité à des concentrations élevées, et que le soja qu'on cultive l'année suivante est lui aussi traité aux néonicotinoïdes, après quoi on revient au maïs la troisième année. Nous sommes aux prises avec un problème qui gagne en importance et qui ne fera qu'empirer, selon moi.

Je le répète : ce n'est pas un problème d'abeilles, mais bien un problème plus généralisé.

Le sénateur Mercer : Merci.

[Français]

Le sénateur Rivard : Nous traitons du sujet depuis quelques mois. Il y a quelques semaines, un témoin d'une province à l'ouest du Québec nous parlait d'un programme d'assurance-vie, qui existe dans sa province, pour les ruches. Ce témoin a indiqué qu'étant donné le coût prohibitif, très peu de gens prenaient cette assurance.

Je ne me souviens pas avoir lu dans aucune présentation quelle était la durée de vie moyenne d'une ouvrière et d'une reine. Étant donné les problèmes, la durée de vie est-elle plus courte qu'elle ne l'était avant?

M. Chapleau : Votre question comporte plusieurs aspects. Vous parliez d'une assurance pour la perte de ruches?

Le sénateur Rivard : Pour la perte d'une ruche.

M. Chapleau : Cette question est différente de celle de la durée de vie d'une ouvrière et d'une reine.

Le sénateur Rivard : Tous les témoins qui sont venus ont parlé de problèmes de santé. Toutefois, je n'ai jamais entendu ni lu quelle était la durée de vie moyenne d'une ouvrière et d'une reine. On dit que c'est différent.

M. Chapleau : Oui, c'est différent.

Le sénateur Rivard : Or, nous vivons présentement des problèmes. Dans le passé, la durée de vie était-elle deux ou trois fois plus longue?

M. Chapleau : La durée de vie normale d'une abeille ouvrière est de 45 jours en saison active. En hiver, elle vivra beaucoup plus longtemps, soit cinq ou six mois, parce que son niveau d'activité, comme nourrice ou comme butineuse, raccourcit sa vie. La reine peut vivre assez facilement deux ou trois ans en conditions normales. Elle peut même excéder cette période.

On constate qu'un des effets chroniques des néonics est l'abrégement. J'y ai fait allusion rapidement, il s'agit d'un raccourcissement de l'espérance de vie des larves et des abeilles adultes.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Merci infiniment d'être ici ce soir.

Monsieur Davidson, pourriez-vous nous parler en général de la gestion des abeilles en Ontario? D'autres apiculteurs de partout au pays nous ont parlé de la lutte contre le varroa. Parlez-nous de certains des produits que vous utilisez dans vos ruches.

M. Davidson : Le varroa a essentiellement causé la perte de la plupart des mauvais apiculteurs de l'Ontario lors de son arrivée dans la province au milieu des années 1990. Il est très difficile de conserver des abeilles infestées de varroa sans outils presque parfaits pour tuer les mites. Nous trouvons que les bandes sont la solution la plus efficace. Elles contiennent un pesticide et sont placées entre les rayons de miel des ruches. Le pesticide tue les mites, mais pas les abeilles.

Bon nombre des apiculteurs ontariens utilisent diverses méthodes de gestion, entre autres la reproduction des abeilles et la vente de nucléus et de ruches. Je n'utilise des amorces de cire que tous les 18 mois environ. J'essaie d'en utiliser le moins possible — c'est encore là une question de lutte antiparasitaire intégrée.

Cela ne vaut rien, et c'est lié à votre question et à la question précédente — nous avons toujours perdu des abeilles. Avant que nous ayons d'autres problèmes, notre seul souci était l'hiver ontarien. La perte moyenne était alors de 5 à 10 p. 100. Le varroa a fait son apparition au milieu des années 1990. À partir de ce moment, et ce, jusqu'à 2007, notre perte moyenne était de 18 p. 100. Depuis 2007, année de l'arrivée des insecticides systémiques, nos pertes sont d'au moins 30 p. 100, et cela va dépendre de la façon dont l'année en cours se passe. Les choses semblent empirer. La meilleure façon de le dire, c'est qu'il n'y a pas que les néonicotinoïdes qui tuent les abeilles, et personne ne dit cela. Cependant, ces produits rendent la situation plus difficile et il s'agit du seul facteur sur lequel les apiculteurs n'ont aucun contrôle, comme M. Chapleau l'a dit.

[Français]

M. Chapleau : Il y a un lien à examiner entre les néonics et la varroase, et entre les néonics et les pertes hivernales d'une façon plus générale.

Un certain nombre d'études ont mis en évidence des problèmes causés aux systèmes immunitaires des abeilles par les néonics. Une étude au Québec vient d'être complétée, et j'ai le rapport final qui vient juste de sortir. Il nous montre qu'on a une plus forte prévalence de virus lorsque les abeilles sont exposées aux néonics même à des faibles quantités. On a également une plus forte prévalence de varroa. Ce fait est relativement nouveau. À ma connaissance, cette donnée n'était pas sortie dans la littérature scientifique jusqu'à maintenant. Elle avait seulement été évoquée comme une possibilité, du fait de la capacité de thermorégulation des abeilles.

Les abeilles gardent leurs nids à couvain au chaud. Autrement dit, elles couvent leurs bébés. La chaleur qu'elles appliquent sur le nid à couvain fait qu'il faut 21 jours pour que naisse une abeille. Les néonics affectent la capacité de thermorégulation, ce qui fait qu'il faut souvent plus de 21 jours avant l'éclosion. Ceci favorise le développement des populations de varroa qui, eux, se développent dans les cellules de couvain.

Les néonicotinoïdes affectent la capacité de thermorégulation, ce qui fait qu'il faut plus de 21 jours avant l'éclosion. Cela favorise le développement des populations de varroa qui se développent dans les cellules de couvain. Les cellules de couvain prenant plus de temps, la femelle varroa se reproduit davantage dans ces cellules. Ce serait une explication plausible, et c'est à mettre en lien avec ce que des intervenants précédents vous ont mentionné, notamment M. Rob Currie, qui vous disait qu'on avait constaté depuis une dizaine d'années une hausse des pertes hivernales qu'on n'expliquait pas vraiment. C'est une voie à explorer. Même si les apiculteurs des provinces de l'Ouest disent que tout va bien avec les néonics, à ma connaissance, ils n'ont pas vérifié du côté du système immunitaire de leurs abeilles et du lien potentiel entre l'exposition aux néonics et leurs pertes hivernales anormales.

[Traduction]

La sénatrice Buth : M. Chapleau, vous accordez beaucoup d'importance aux néonics et à certains des effets sublétaux. J'ai de nouveau parcouru certains des rapports sur les bassins hydrographiques qui démontrent que les néonics ont des conséquences sur les abeilles. Entre autres, ce qui m'a frappée, c'est que les abeilles se trouvent exposées d'une façon qui ne se produit pas naturellement. L'abeille qui se trouve dans un champ peut être exposée par contact avec l'eau, le nectar ou le pollen, mais dans le cadre de certaines des études, on applique les néonics directement sur les abeilles, et les taux sont assez élevés. D'après ce que je comprends, on cherche à établir les effets sublétaux.

Mais j'aimerais revenir à ce que M. Cutler a dit, et il s'agit là de quelqu'un qui réalise une partie des études sur les abeilles. Il a dit qu'on trouve des niveaux se situant autour de trois parties par milliard dans le canola, ce qui est extrêmement faible, et d'environ une partie par milliard dans le nectar. Cependant, le niveau sans effet sur les abeilles est de 20 parties par milliard. Là où je veux en venir, c'est que c'est la dose qui fait le poison. J'aimerais que vous nous parliez de cela.

M. Chapleau : C'était vrai.

[Français]

Il y a un vieil adage qui remonte à 500 ans : la dose fait le poison. C'est Paracelse qui avait dit cela. On a la preuve maintenant que la dose ne fait pas le poison, entre autres, avec certains types de pollution comme les perturbateurs endocriniens. Si la mauvaise molécule se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment, cela provoque un avortement, par exemple, parce qu'il y a un dérèglement des processus induits par la molécule. Il ne s'agit pas d'une intoxication, comme une brûlure.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Mais il n'en reste pas moins que la dose est pertinente, même pour les effets sublétaux.

[Français]

M. Chapleau : Oui, il y a toujours un rapport, mais on constate que les néonics agissent à très faible dose, et le dérèglement d'immunosuppression arrive à très faible dose. Les néonics interrompent les connexions entre les neurones dans le cerveau. On peut perdre quelques neurones et être encore capable de parler et de fonctionner, mais on est un peu moins intelligent et un peu moins apte à remplir ses fonctions courantes. C'est la même chose pour les abeilles. C'est tout le débat, et les fabricants de pesticides insistent beaucoup là-dessus. Ils insistent pour dire que cela prend des études dans les champs. Quand quelque chose est prouvé en laboratoire, ils disent que ce n'est pas recevable.

Je ne comprends pas d'où vient cette exigence de dire qu'ils l'ont prouvé en laboratoire, mais que dans le champ, ils ne le vérifieront pas. Dans le champ, cela devient beaucoup plus difficile, parce que plein de facteurs interagissent, et l'environnement amène une complexité dans la conception des protocoles de recherche. Normalement, les protocoles qu'on établit sont faits sur de trop petites parcelles et avec une quantité insuffisante de ruches. De plus, nos abeilles butinent sur 1 000 hectares et pas sur 4 hectares comme dans le protocole. C'est cela le protocole de Bayer qui sert à prouver que les néonics ne font pas de tort sur le plan du butinage.

On a quatre hectares de canola devant cinq ruches, et des abeilles qui butinent sur des centaines d'autres hectares. Si vous comprenez comment fonctionnent les statistiques d'un point de vue scientifique, quand vous avez seulement cinq ruches, il faut de nombreux problèmes énormes pour trouver une différence significative entre les traitements.

Regardez comment on développe les médicaments; on les développe d'abord en laboratoire. On ne penserait pas dire qu'on a trouvé que ce médicament causait des problèmes de santé et des problèmes secondaires, mais on va l'essayer en réalité. On arrêterait tous les tests à ce moment-là.

On doit le voir de la même façon pour les abeilles. Commençons par les études de laboratoire. S'il y a un problème avec les études de laboratoire à des doses qui correspondraient à un niveau d'exposition naturel, à mon avis, on en a assez. On a clairement un problème qui pourrait être masqué par d'autres facteurs, mais on a clairement un problème.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Je comprends cela, mais je dirais simplement que sur le plan de la réglementation des pesticides au Canada et ailleurs dans le monde, on se penche effectivement sur les études réalisées en laboratoire et dans le champ. Je suis d'accord avec vous : les deux types d'études sont très importants.

M. Davidson : Des gens ont parcouru toutes les études utilisées en Europe et ont fait un tri. Ils ont constaté que, selon 4 p. 100 des études, ces produits n'étaient pas dangereux pour les abeilles. Je pense que ces études avaient été réalisées par les fabricants d'insecticides.

Les « trois parties par milliard » me frappent toujours, car si vous regardez la réglementation, la dose létale, ou DL 50, de clothianidine prise oralement est de 3,68 parties par milliard pour les abeilles. Les doses que vous avez citées sont liées à l'exposition dermique. Le problème, c'est qu'on en trouve dans l'alimentation des abeilles — le nectar et le pollen —, et qu'il n'en faut que 3,68 parties par milliard. Les abeilles pèsent 100 nanogrammes. Je pense donc que la dose létale est de 36 parties par milliard, oralement, et ce qu'ils ont trouvé, cette année en Ontario, dans le pollen du maïs s'en approchait. N'oublions pas qu'il ne faut pas beaucoup de ces composés pour tuer les abeilles.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Chapleau, bienvenue. Merci de vous être déplacé pour nous apporter votre expertise. Rassurez-vous, je ne suis pas un scientifique, mais intéressé à la cause, parce que, au Canada, il n'y a ni de petites ni de grandes causes, il n'y a que des causes, et la cause du miel, c'est quand même 2,5 milliards de chiffres d'affaires au Canada. C'est donc une cause très importante, surtout qu'il s'agit souvent de compléments de revenu chez les agriculteurs. Il est très important que le gouvernement se penche sur cette question.

Vous avez dit une chose dans votre mémoire qui m'a frappé : les pesticides, on n'en a pas besoin tout le temps. Malheureusement, les fabricants et les vendeurs ont convaincu les agriculteurs que cela en prend du mois de mai au mois d'août. Comme vous l'avez si bien dit, si c'était mis par petites quantités une fois par année, peut-être que les abeilles se porteraient mieux, mais les fabricants et vendeurs de pesticides ont convaincu nos agriculteurs qu'ils en ont besoin tout le temps. Ce qui fait que les terrains de butinage des abeilles sont minés à la grandeur du territoire. On a reçu des témoins du Saguenay-Lac-Saint-Jean qui nous disaient que c'était un peu moins grave dans leur région — je viens de la Côte-Nord, au Québec, où il y a beaucoup de bleuetières, plus qu'au Saguenay-Lac-Saint-Jean, dit-on maintenant —, et qu'ils n'ont pas ce problème encore. Je ne sais pas si c'est une question de climat ou si la bactérie n'a pas pu se rendre là. Effectivement, dans le nord, il n'y a pas autre chose que des bleuets.

Quel est le rayon d'action d'une abeille par rapport à sa ruche?

M. Chapleau : Le gros du butinage d'une ruche, quand les ressources ne manquent pas autour, se fait dans 1 ou 2 kilomètres.

Si les ressources se font un peu rares, si les conditions de sécrétion du nectar ne sont pas très bonnes ou encore s'il manque un peu de fleurs ou que la qualité des sols est pauvre, l'abeille peut aller plus loin pour trouver les fleurs dont elle a besoin. Elle peut aller jusqu'à 8, 9 kilomètres surtout si elle y trouve une culture qui la récompense fortement comme la culture de framboises qui donne une grande abondance de nectar très concentré en sucre. Les abeilles vont faire des kilomètres pour aller butiner une production de framboises.

Le sénateur Maltais : Si cela cause du tort aux abeilles, et si, comme M. Davidson l'a dit, il s'agit quand même d'une proportion importante de décès ou de pertes des abeilles, quand cela va-t-il arriver à l'être humain?

M. Chapleau : On commence à peine à avoir des résultats scientifiques là-dessus. Une étude au Japon montre que le cerveau des mammifères réagit aux néonics. Des études sur des souris ont été effectuées et un retard de développement cérébral chez les mammifères a été constaté. Nous savons des choses plutôt théoriques et là, je me base sur une présentation qui nous a été faite par Onil Samuel, au Québec, du ministère de l'Agriculture, spécialiste en pesticides.

Les néonics ont, pour certains, un potentiel de cancérogénicité et ils ont aussi pour certains un potentiel de perturbation endocrinienne. La question, c'est l'exposition. Et là, comme nous n'avons pas évalué les changements, les impacts que l'implantation et l'utilisation à grande échelle des insecticides systémiques apportaient, nous ne les avons pas évalués pour les humains.

Une chose importante est qu'auparavant, on considérait la présence d'insecticides sur les aliments comme accidentelle. Dorénavant, le pesticide est dans l'aliment. La présence n'est plus accidentelle. La présence est toujours dans l'aliment. Donc, on travaille avec des LMR, ce qu'on appelle des limites de résidu maximal. Comment les a-t-on établies? Avec les seules données du fabricant. Il y a donc des questions à se poser.

Maintenant il y a des traitements de néonics sur à peu près tous les fruits et légumes, les amandes, les céréales, pratiquement tout. À mon avis, il y a quelque chose à creuser de ce côté aussi pour se rassurer.

Le sénateur Maltais : Au tout début de notre étude en comité, trois grands spécialistes des ministères de la Santé et de l'Agriculture ont comparu. Il y avait plus de docteurs autour de la table que dans certains hôpitaux du Québec.

M. Chapleau : C'est pourquoi vous êtes aussi connaissant maintenant.

Le sénateur Maltais : Je leur ai demandé quels étaient les gros consommateurs de bleuets, particulièrement dans l'Est du Canada qui comprend le Nord, l'Est et l'Ouest du Québec et les Maritimes. Je leur ai dit que c'était l'ours noir. Beaucoup de gens ont ri de moi.

Deux semaines plus tard, un professeur éminent de l'Université Dalhousie a dit que les ours noirs avaient des problèmes de santé et que cela pouvait même aller jusqu'à l'ours blanc. Je ne sais pas comment ils peuvent traiter cela. Ma question était pertinente, car dans le Nord du Québec, le gros consommateur de bleuets, c'est l'ours. Si cela a des effets chez les animaux, peut-être que cela en aura chez les humains un jour. L'alarme va sonner pour la protection des êtres humains un jour. C'est très important pour l'avenir.

M. Chapleau : Je n'ai pas vu les données auxquelles vous référez pour ce qui est des ours. Je serais peut-être un peu surpris d'un effet des néonics sur les ours.

Le sénateur Maltais : C'est un éminent professeur de l'Université de Dalhousie.

Le président : Donc, pas de réponse.

[Traduction]

Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Davidson?

M. Davidson : Oui. J'en ai pour une minute.

En ce qui concerne les conséquences des néonics sur les humains, nous sommes manifestement bien plus gros que les abeilles, mais nous sommes plus petits au départ. Je pense qu'il ne faut pas négliger la question du développement des embryons et tout cela.

C'est au Japon qu'on a le plus étudié cela. Ils viennent de retourner un chargement de sarrasin du Manitoba parce que les tests ont révélé un taux de néonics trop élevé. Il semble que le champ de provenance n'a eu aucun traitement depuis deux ans alors, cela vous en dit un peu sur la persistance des insecticides.

Le sénateur Ogilvie : Monsieur Davidson, quel est le pourcentage d'apiculteurs de votre organisation qui récoltent également le nectar des ruches, plutôt que de ne l'utiliser que pour la pollinisation?

M. Davidson : C'est un pourcentage très élevé. Je pense qu'un seul d'entre eux n'extrait pas de miel — un sur 3 000.

Le sénateur Ogilvie : En Ontario, à votre connaissance, il n'y a pas de production apicole sérieuse ou de ruches dont on ne retirerait pas du tout de nectar au cours d'une année?

M. Davidson : Non. La proportion est faible. Les abeilles produisent du miel et on ne peut les arrêter. S'il y a du nectar, elles vont en faire du miel. Cependant, les apiculteurs multiplient les abeilles à l'aide du miel. Ils divisent les ruches; quand elles sont pleines, ils prennent les abeilles et créent de nouvelles ruches.

Le sénateur Ogilvie : En pareils cas, a-t-on tiré des conclusions sur la perte annuelle d'abeilles des producteurs dont le but est de produire des abeilles, par rapport à ceux qui retirent délibérément du nectar en vue d'une production extérieure?

M. Davidson : Comme je l'ai mentionné précédemment, c'est un moyen de produire rapidement des abeilles. On divise la colonie en deux pour augmenter le nombre d'abeilles. C'est un bon moyen de contrôler le varroa.

Ces apiculteurs observent toujours les effets des néonics sur leurs abeilles. Ce n'est pas quelque chose d'évitable. C'est utile en ce qui concerne le varroa, mais cela ne change rien sur le plan des insecticides systémiques.

Le sénateur Ogilvie : Vous dites qu'ils accusent les mêmes pertes que les autres apiculteurs, dans les mêmes conditions météorologiques?

M. Davidson : Oui. Leur pourcentage de pertes attribuables à l'hiver est un peu inférieur parce qu'il y a moins de varroas, mais l'effet des néonics est toujours là. Est-ce que je m'explique bien?

Le sénateur Ogilvie : Je comprends ce que vous dites. Je suis prêt à accepter l'existence possible de facteurs additionnels.

Ce que j'essaie de dire, c'est que les abeilles n'ont pas créé une société industrielle où elles auraient décidé de produire du nectar destiné à la consommation humaine; elles le produisent pour elles-mêmes, pour leur survie, leur reproduction, la défense de leurs colonies, et cetera. Donc, je cherche à savoir s'il est possible que le retrait délibéré de nectar d'une colonie en santé puisse en réduire la viabilité.

M. Davidson : En tant qu'apiculteurs, nous prenons tout leur miel, puis avant l'hiver, nous le leur en redonnons...

Le sénateur Ogilvie : Je comprends cela, mais ils ne le font pas.

Je ne pense pas réussir à aller bien plus loin avec cela. J'ai posé ma question et vous avez répondu. J'expliquais simplement pourquoi je posais cette question, parce que je voulais voir si retirer délibérément du nectar avait des incidences sur la viabilité de la colonie, par rapport à simplement laisser la colonie tranquille et la gérer de cette façon.

Dans vos observations, vous avez mentionné les pertes dans la population sauvage. Est-ce qu'on a observé délibérément ou systématiquement le déclin des pollinisateurs sauvages au cours de la même période?

M. Davidson : En Ontario, nous apportons nos abeilles dans de nombreuses fermes de toutes sortes. Le printemps dernier, deux types du coin qui cultivent des bleuets en corymbe m'ont demandé d'apporter plus de ruches parce qu'ils ne voyaient pas de pollinisateurs indigènes. Je ne sais pas si quelqu'un s'occupe de faire le compte, mais cela en fait partie. Personne ne prête attention à bien des choses qui se passent.

Les apiculteurs prêtent attention aux abeilles parce que c'est leur gagne-pain. Quelqu'un nous a fait remarquer, à l'une de nos réunions, que nous n'avons plus besoin comme avant de frotter notre parebrise pour en retirer les insectes écrasés quand nous arrêtons pour faire le plein. Ce n'est plus le cas, maintenant.

Le sénateur Ogilvie : Vous avez répondu à la question. Je me demandais simplement si l'on réalisait des analyses, mais il s'agit d'information observationnelle.

M. Davidson, j'ai une dernière question. Est-ce que la façon dont les apiculteurs gèrent leurs ruches depuis 10 ans a beaucoup changé?

M. Davidson : Je dirais que non. L'apiculture n'a vraiment pas beaucoup changé depuis 100 ans, et même depuis plus longtemps.

Le sénateur Ogilvie : M. Chapleau, vous semblez très au courant des études détaillées et vous en avez mentionné certaines. Si je me rappelle bien, des témoins entendus précédemment nous ont dit qu'avant les néonics, on utilisait des insecticides, et ce, depuis des dizaines d'années. On nous a aussi dit que certains de ces insecticides étaient très toxiques, selon des études, par comparaison aux néonics. En ce qui concerne les études que vous avez mentionnées, pouvez-vous expliquer pourquoi les néonics, prétendument plus doux, ont soudainement causé ce problème?

Je sais que vous avez mentionné la façon dont ils atteignent les neurones de l'insecte, mais avez-vous personnellement trouvé, dans les études, les raisons pour lesquelles les néonics causent tant de problèmes par rapport aux composés qui étaient prétendument beaucoup plus toxiques?

M. Chapleau : C'est la surexposition. Il y en a partout, et l'exposition s'étale sur toute la saison, par comparaison à une très courte exposition aux pesticides traditionnellement utilisés dans le passé.

Je ne pense toutefois pas que les néonics sont moins toxiques. Nous avons une base de données sur les pesticides au Québec, et elle indique que les néonics sont très toxiques pour les abeilles.

Le sénateur Ogilvie : Je n'ai pas utilisé la bonne terminologie. J'aurais dû dire qu'en réalité, ils pourraient très bien être plus toxiques étant donné qu'on peut les utiliser en plus petites doses dans certains cas.

Ce que vous dites, c'est qu'ils sont présents bien plus longtemps.

M. Chapleau : Sur de plus grandes surfaces, et pendant de plus longues périodes.

Le sénateur Ogilvie : Nous revenons à la façon dont vous avez dit qu'on les appliquait. Il y en avait une certaine dose, puis ils disparaissaient.

M. Chapleau : Il y a toujours eu des insecticides.

Le sénateur Ogilvie : Vous nous avez tous les deux donné beaucoup d'information. Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Vous semblez tous deux être de vrais experts. Depuis combien de temps tient-on des statistiques sur la façon dont les abeilles survivent et sur les raisons pour lesquelles nous perdons des abeilles chaque année? Depuis combien de temps? Dix ans? Vingt ans? Trente ans?

J'essaie juste de voir si c'est récent. Est-ce qu'on le fait depuis 100 ans?

M. Chapleau : Au Québec, je dirais que nous tenons des statistiques annuelles sur les pertes hivernales seulement.

[Français]

La sénatrice Eaton : Depuis combien de temps?

[Traduction]

M. Chapleau : Je dirais depuis 25 ans environ.

La sénatrice Eaton : L'hiver n'a pas tant changé que cela au Canada. Ne pensez-vous pas que les statistiques auraient été plutôt... Il y a 100 ans, il devait bien y avoir des pertes hivernales.

M. Chapleau : Nous avons des chiffres pour les années antérieures, mais il n'y a pas eu d'enquête chaque année sur les pertes hivernales. Nous avons des données qui remontent aux années 1940 et qui portent sur cette période aussi.

La sénatrice Eaton : Le varroa était-il présent en 1940?

M. Chapleau : Non. Le varroa a fait son apparition... Quand était-ce?

M. Davidson : Au milieu des années 1990 en Ontario.

La sénatrice Eaton : Qu'est-ce qui nous a amené le varroa, d'après vous?

M. Davidson : Nous vivons dans un village planétaire. Les espèces exotiques envahissantes sont partout.

La sénatrice Eaton : Vous avez dit au sénateur Ogilvie que l'apiculture n'a pas beaucoup changé en 100 ans. Cependant, est-ce que l'agriculture, l'intensité des cultures et l'absence de biodiversité dont vous avez tous les deux parlé vous ont amenés à discuter entre vous de la façon dont il faudrait changer l'apiculture, ou l'adapter à la monoculture et au manque de biodiversité?

Des agriculteurs et des apiculteurs nous ont dit ce qu'ils essaient de faire pour qu'il y ait des bandes d'herbages naturels le long de chaque champ. Ils nous ont fait part de nouvelles approches, mais vous ne l'avez pas fait; je trouve cela intéressant.

M. Davidson : Ce sont des choses que les apiculteurs font depuis toujours. Choisir un rucher demande beaucoup de réflexion. Nous essayons de nous tenir loin du maïs, car nous savons que le maïs est mauvais pour les abeilles. Il ne produit pas de nectar; ce n'est pas bon du tout pour nous.

Nous faisons cela depuis toujours, essayer de choisir le meilleur endroit possible pour les abeilles, où l'on trouve une grande diversité de plantes, des arbustes, des forêts. Il peut s'agir du champ de foin qu'il faut à un propriétaire de chevaux. Nous faisons ça depuis toujours, choisir les meilleurs endroits.

La sénatrice Eaton : Si les néonics ne faisaient pas partie de l'équation, quel serait d'après vous le pourcentage de perte que vous auriez quand même?

M. Davidson : Comme vous le dites, nous avons invariablement l'hiver, qui n'a pas changé beaucoup. Au cours de l'hiver, avant le varroa et les insecticides systémiques, nous perdions de 5 à 10 p. 100 des abeilles en Ontario.

Les pertes ont augmenté beaucoup avec l'arrivée du varroa, pour atteindre en moyenne 18 p. 100, juste à cause du varroa et de l'hiver. Mettez tout cela ensemble, l'hiver et le varroa, et nous en sommes à plus de 30 p. 100.

Donc, si on calcule en gros, les néonics, s'ajoutant à l'hiver, ont fait grimper la proportion de...

La sénatrice Eaton : Encore 10 ou 12 p. 100?

M. Davidson : Oui. Nous reviendrions probablement à 18 p. 100.

La sénatrice Eaton : C'est constant d'année en année?

M. Davidson : Non. C'est en dents de scie. C'était aussi le cas à l'époque où les seuls facteurs étaient l'hiver et le varroa. C'est la moyenne sur toutes ces années.

Tout le monde ici semble chercher ce qui est différent, ce qui a changé, et il n'y a pas vraiment lieu de chercher plus loin que l'effet des insecticides. Ils sont systémiques. Ils se retrouvent dans l'alimentation des abeilles; c'est là la différence.

Que ferions-nous si, pour passer l'hiver, nous devions nous mettre à l'abri, collés les uns contre les autres, et manger des aliments empoisonnés?

La sénatrice Eaton : Nous sommes très intéressés, car nous avons parlé à des gens d'autres endroits où les néonics ne sont pas en jeu.

M. Davidson : Je pense qu'il y a de la politique là-dedans.

La sénatrice Eaton : Il y a de la politique partout.

M. Davidson : Oui.

Le sénateur Oh : On dirait qu'il n'y a pas de consensus chez les scientifiques concernant le lien possible entre les néonics et la mortalité des abeilles. L'Autorité européenne de sécurité des aliments et l'autorité américaine estiment qu'il y a un lien entre les néonics et la mortalité des abeilles, mais une agence gouvernementale du Royaume-Uni estime qu'il n'y a pas de lien.

Est-ce que d'autres pays imposent des contrôles réglementaires sur l'utilisation d'insecticides pour les abeilles?

M. Chapleau : Je ne suis pas certain de comprendre la dernière phrase.

Le sénateur Oh : Est-ce que d'autres pays ont banni complètement l'utilisation d'insecticides?

M. Davidson : Je crois qu'aucun pays n'a interdit complètement l'utilisation des néonicotinoïdes. L'Union européenne a banni leur utilisation sur le maïs, le soja et le canola, si je ne me trompe pas. En 2008, l'Italie a interdit l'utilisation de néonicotinoïdes sur le maïs. Je pense que la France a fait de même depuis, mais je n'en suis pas certain.

Le sénateur Oh : C'est donc dire que les scientifiques d'un peu partout dans le monde n'ont pas nécessairement la même vision des choses — il n'y a pas de consensus sur ce qui arrive.

M. Davidson : Je ne pense pas qu'il soit question de science à ce stade-ci. C'est plutôt la politique qui entre en jeu.

[Français]

M. Chapleau : Si vous regardez les méta-analyses publiées sur la question, vous constaterez le consensus. Là où il n'y a pas consensus, c'est en ce qui touche les autorités réglementaires et le domaine politique. Je vous dirais que les seules notes discordantes dans le discours scientifique proviennent de la recherche qui émane des compagnies fabricantes.

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités.

Ma première question s'adresse à M. Chapleau. Je vous ai écouté attentivement et je comprends que vous effectuez une lutte intégrée en vous appuyant sur une philosophie de développement durable.

Selon vous, quelle serait la meilleure façon d'aborder les maladies qui s'attaquent aux abeilles et dans quelle perspective faut-il envisager cette lutte? On a beaucoup parlé du passé, mais il faut aussi penser à l'avenir.

M. Chapleau : Si on ne parle que des maladies des abeilles en faisant abstraction des liens potentiels avec les autres facteurs aggravants, dont les pesticides, les connaissances existent pour permettre un bon contrôle de ces maladies. À mon avis, ce qui peut manquer dans certains cas, c'est du transfert technologique; donc des programmes d'accompagnement des producteurs pour les aider.

Le suivi de la varroase est tout à fait critique. Il faut des dépistages et il faut faire des dépistages dans le cadre de fenêtres très précises dans le temps et il faut suivre des seuils. C'est de la vraie lutte intégrée comme tout le monde devrait en faire et il faut agir quand les seuils sont atteints. Ça ne pardonne pas. Si on ne le fait pas, c'est le hasard; parfois on est chanceux et ça passe, parfois les pertes sont énormes. Il y a des producteurs qui ont du mal à intégrer ça dans leur entreprise; quelqu'un parlait de la nécessaire adaptation de l'apiculture, l'apiculture n'a pas tout à fait fini de s'adapter à la réalité du varroa. Nos entreprises qui sont énormes ont un peu de difficulté à gérer le varroa qui demande un suivi très méticuleux. Il ne faut pas le nier : la varroase est un problème et la varroase en elle-même cause des pertes dans des régions du Québec où il n'y a pas d'usage de pesticides, et on a aussi des pertes anormales qui sont irrégulières.

Le sénateur Dagenais : J'aimerais poser une dernière question très courte à M. Davidson. Selon vous, à quelles priorités de recherche le gouvernement fédéral devrait-il s'intéresser si on devait choisir une priorité de recherche?

[Traduction]

M. Davidson : Parlez-vous des priorités de recherche concernant la santé des abeilles?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Oui, tout à fait. On a parlé de recherche technique et tout cela; j'imagine qu'il y a une priorité à laquelle on devrait s'attarder et s'intéresser. C'est d'ailleurs pour cela qu'on est ici. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.

[Traduction]

M. Davidson : Oui, mais en excluant les pesticides, je ne sais vraiment pas. Je pense que M. Chapleau y a fait allusion. Nous ne savons pas comment interagissent les néonicotinoïdes et certains des autres agents problématiques, alors cela pourrait peut-être faire l'objet de recherches.

J'ai bien aimé la question que vous avez posée à M. Chapleau, en ce qui concerne l'avenir, car j'essaie toujours de le faire moi-même. Les apiculteurs sont très doués pour trouver des solutions. Quand il y a des solutions, ils les trouvent. Ils s'échangent leurs secrets pour y arriver.

Il y a des manques et des choses que nous ne savons pas. Selon nos observations, même s'il est assez certain que nous ignorons encore si les néonicotinoïdes empirent la situation avec les varroas et les virus... Il nous faudrait peut-être seulement des preuves concrètes que c'est bel et bien le cas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Chapleau, avez-vous des commentaires?

M. Chapleau : Il y a un lien très étroit entre l'apiculture et l'agriculture. L'aspect des pesticides nous montre à quel point cela peut être d'une grande importance. La sénatrice Eaton a posé une question à savoir ce que fait l'apiculture pour s'adapter à la nouvelle réalité de l'agriculture. Il y a des changements majeurs en agriculture qui ont des impacts, comme la concentration des cultures et la réduction de la diversité des cultures pratiquées.

La sénatrice Eaton : La demande également.

M. Chapleau : Oui. Oui, on peut poser la question en termes de ce que font les apiculteurs pour s'adapter à cela, mais on peut aussi se poser la question à savoir si notre agriculture, si le sens dans lequel notre agriculture évolue est viable. Je pense à la biodiversité. On connaît l'importance de la biodiversité et, oui, on s'adapte; on quitte les régions où nos abeilles ne peuvent plus vivre. Mais est-ce normal que l'apiculture doive fuir l'agriculture? Je vous pose la question.

[Traduction]

La sénatrice Buth : J'aimerais revenir sur le fait que vous craigniez qu'on ne fasse marche arrière en ce qui a trait à la question des pesticides, mais je note que l'étude actuelle porte essentiellement sur la santé des abeilles. Nous entendons des témoins de toutes les sphères. On nous a également parlé de quelques-unes des études menées aux États-Unis sur les pollinisateurs indigènes.

Je veux revenir sur les intoxications aiguës aux néonicotinoïdes que vous avez constatées chez les abeilles. On nous a dit qu'il n'y avait pas ce genre de problème aux États-Unis. Je me demandais si vous étiez au courant. On y cultive des millions et des millions d'acres de maïs. Avez-vous entendu parler de tels problèmes aux États-Unis?

M. Davidson : Oui, c'est sans aucun doute un problème aux États-Unis aussi. Les apiculteurs américains ont un peu peur de signaler ces incidents, car ils utilisent des traitements non indiqués sur leurs ruches. Ils craignent de se mettre dans le pétrin en le signalant, alors ils ne le font pas.

Aux États-Unis, les apiculteurs ont la possibilité d'envoyer leurs abeilles en Floride pour passer l'hiver. Quand leurs abeilles sont en Floride et qu'elles ne sont pas là pour produire du miel ou polliniser les cultures, certains des plus grands apiculteurs remplacent la totalité de leurs essaims pour se débarrasser complètement des insecticides. Les apiculteurs américains savent très bien ce qui se passe. Ils peuvent profiter du climat de l'extrême Sud du pays pour passer l'hiver.

La sénatrice Buth : Nous avons posé la question suivante à d'autres associations d'apiculteurs : Comment êtes-vous financés? Est-ce que vous percevez des droits? Que financez-vous avec l'argent que vous recueillez?

M. Davidson : Nous avons une subvention du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation de l'Ontario. Nous prélevons également des droits. La majeure partie de l'argent reçu du ministère est investi dans un programme de transfert de technologie. Ce programme consiste à mener des recherches pratiques et à transmettre cette technologie aux apiculteurs.

La sénatrice Buth : À combien s'élèvent les droits que vous prélevez? Est-ce calculé en fonction du nombre de ruches?

M. Davidson : Oui, c'est calculé en fonction du nombre de ruches, jusqu'à une certaine limite. Au-delà d'un nombre X de ruches, les frais restent les mêmes.

La sénatrice Buth : Savez-vous combien cela coûte par ruche?

M. Davidson : Je devrais le savoir, n'est-ce pas?

La sénatrice Buth : Vous ne faites que payer la facture.

M. Davidson : Oui.

La sénatrice Buth : Et au Québec, monsieur Chapleau?

[Français]

M. Chapleau : Au Québec, il n'y a pas de système de prélèvement, il n'y a pas de plan conjoint. Malgré nos efforts pour en mettre un en place, on n'a jamais réussi à faire passer cela au vote. Donc, ce sont des adhésions volontaires payées par les producteurs à la Fédération des apiculteurs du Québec. Et nous recevons une aide gouvernementale de 66 000 $ par année. Donc c'est un modeste budget en tout et partout.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Une dernière question. Monsieur Davidson, travaillez-vous en collaboration avec le groupe de travail sur la santé des abeilles de l'Ontario, qui se penche sur la question?

M. Davidson : J'ai manqué une réunion, mais je travaille de très près avec ce groupe de travail.

Le sénateur Ogilvie : Monsieur Davidson, vous avez laissé entendre que nous examinions très attentivement certains aspects de ce problème, et c'est effectivement le cas. Ce sont vos intérêts qui sont directement touchés. Dans votre dernier commentaire concernant les Américains, vous nous avez démontré pourquoi nous devons nous montrer sceptiques — ou à tout le moins demander des précisions — concernant les réponses que nous donnent les différentes parties concernées, car c'est un problème très grave.

Vous avez donné une réponse curieuse, j'ai trouvé, à la question sur les différences entre la situation dans l'Ouest et dans l'Est. Vous avez dit que la politique entrait en jeu à ce niveau-là. Laissiez-vous entendre que les résultats qu'on nous a transmis ne sont pas exacts?

M. Davidson : Il y a quelques différences, mais les compagnies qui fabriquent ces produits ont différents intérêts à protéger, et il y a un énorme...

Le sénateur Ogilvie : Mais les résultats qu'on nous a donnés provenaient des producteurs, qui nous ont dit que les néonicotinoïdes avaient eu moins de répercussions sur leurs ruches que sur les vôtres pendant l'hiver. C'est la question qui a été posée, et pour y répondre, vous avez parlé de politique. Vouliez-vous dire par là que les producteurs de l'Ouest nous ont mal renseignés sur les répercussions que cela a sur leurs ruches?

M. Davidson : J'ose espérer que non, mais je précise que quelques-uns d'entre eux font la pollinisation de canola hybride pour les mêmes compagnies qui fabriquent ces produits.

Ce qui est aussi différent — et je peux me tromper concernant les chiffres —, c'est que le maïs absorbe une plus grande quantité de ces insecticides que le canola. Donc, si on combine cela à une dose moins importante, il est bien possible que ce soit vrai. Je ne fais pas l'élevage d'abeilles dans les Prairies, et nous devrions pouvoir croire ce qu'ils disent à votre comité.

Le sénateur Ogilvie : À ce sujet, ils nous ont clairement dit qu'il y a une grande différence en ce qui a trait à la dose utilisée et à la méthode d'application, à la forme des semences, à la nature de l'ensemencement et à divers facteurs.

Si nous posons toutes ces questions, monsieur Davidson, c'est que nous allons produire un rapport à l'issue de cette étude, et nous voulons comprendre l'importance de tous les commentaires qui nous sont formulés.

Le président : Avant de lever la séance, je signale aux membres du comité que M. Davidson nous a transmis de l'information sur son industrie.

M. Davidson : Oui, il s'agit de recherches et de quelques ressources pour vous aider, au besoin, dans votre étude.

Le président : Merci. Comme la documentation n'est pas fournie dans les deux langues officielles, je vous demande votre accord pour la distribuer.

Des voix : D'accord.

Le président : Merci.

Monsieur Chapleau et monsieur Davidson, merci de nous avoir fait part de vos opinions, de votre vision et aussi de vos recommandations. Le comité vous en est reconnaissant.

(La séance est levée.)


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