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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 5 - Témoignages du 27 février 2014


OTTAWA, le jeudi 27 février 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 2, pour poursuivre son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliment et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite ce matin la bienvenue au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Traduction]

Je m'appelle Percy Mockler. Je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et président de ce comité. J'aimerais maintenant que tous mes collègues se présentent, en débutant par le vice-président.

Le sénateur Mercer : Je m'appelle Terry Mercer et je suis de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour, Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, sénateur du Québec.

Le sénateur Rivard : Bonjour, Michel Rivard, Les Laurentides, Québec.

[Traduction]

La sénatrice Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.

Le sénateur Ogilvie : Kenneth Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci beaucoup.

Le comité poursuit son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

[Français]

Nous avons reçu un ordre de renvoi du Sénat canadien selon lequel le Comité permanent de l'agriculture et des forêts est autorisé à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliment et de graines au Canada. Plus particulièrement, le comité sera autorisé à étudier les éléments suivants.

[Traduction]

L'importance des abeilles dans la pollinisation pour la production d'aliments au Canada, notamment des fruits et des légumes, des graines pour l'agriculture et du miel; l'état actuel des pollinisateurs, des mégachiles et des abeilles domestiques indigènes au Canada; les facteurs qui influencent la santé des abeilles, y compris les maladies, les parasites et les pesticides, au Canada et dans le monde; et les stratégies que peuvent adopter les gouvernements, les producteurs et l'industrie pour assurer la santé des abeilles.

Ce matin, honorables sénateurs, nous recevons trois témoins. Nous souhaitons la bienvenue à M. Paul Kittilsen, membre de la Nova Scotia Beekeepers Association.

[Français]

Nous avons également l'honneur de recevoir M. Paul Vautour, délégué des Maritimes au Conseil canadien du miel, de l'Association des apiculteurs du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

De plus, de l'Alberta, Michael Paradis, propriétaire exploitant de Paradis Honey Ltd.

Au nom du comité, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à comparaître pour nous présenter votre vision, vos points de vue et vos recommandations dans le contexte de l'ordre de renvoi que nous avons reçu du Sénat du Canada.

Le greffier m'a indiqué que nous allions fonctionner d'est en ouest pour les déclarations préliminaires. Nous commençons donc par la Nouvelle-Écosse avant de passer au Nouveau-Brunswick puis à l'Alberta.

Monsieur Kittilsen, vous avez la parole.

Paul Kittilsen, membre, Nova Scotia Beekeepers Association : Merci beaucoup, monsieur le président. Au nom de la Nova Scotia Beekeepers Association, je vous remercie de m'avoir invité à vous parler de l'apiculture pratiquée en Nouvelle-Écosse.

Permettez-moi tout d'abord de vous donner un aperçu de mon expérience. Je me suis initié à l'apiculture à l'âge de 16 ans quand j'ai accepté un emploi d'été chez un ami de la famille. C'était il y a 32 ans. Depuis ce temps, j'élève des abeilles chaque année; j'ai commencé avec trois ruches et j'en possède maintenant plus 1 200.

À mes débuts, on trouvait près de 800 apiculteurs en Nouvelle-Écosse. L'apiculture était relativement facile à cette époque. Même s'il s'agissait d'un travail physiquement exigeant, les sources de miellée nécessaires à la production de miel étaient nombreuses et la population d'abeilles était en santé, sa seule menace étant les maladies bactériennes et, à l'occasion, l'ours noir. Les pertes hivernales pouvaient être compensées par l'importation d'abeilles en paquets des États-Unis.

La situation a commencé à changer en 1987 quand la frontière canadienne a été fermée à l'importation d'abeilles domestiques à la suite de la découverte de l'acarien de l'abeille dans le Sud des États-Unis.

La fermeture de la frontière a obligé les apiculteurs de la Nouvelle-Écosse à faire hiverner toutes les colonies, et les pertes hivernales ont été compensées par la division des ruches ou la confection de ruches pour essaimage à partir des colonies ayant survécu à l'hivernage. Cela a donné naissance à une nouvelle industrie. Les apiculteurs dont les ruchées avaient survécu à l'hivernage pouvaient vendre des colonies pour essaimage à d'autres apiculteurs. Toutefois, de nombreux apiculteurs ont abandonné cette activité parce qu'ils n'arrivaient pas à trouver la bonne façon de faire hiverner les abeilles domestiques. C'était une très sage décision et le temps leur a donné raison.

Pendant que les apiculteurs des autres provinces luttaient contre ce nouveau parasite, ceux de la Nouvelle-Écosse connaissaient une situation prospère. L'acarien de l'abeille est apparu en Nouvelle-Écosse en 1990 dans une petite exploitation. Il s'agissait d'un petit rucher isolé dont les ruches ont été éradiquées. Cette région a été surveillée en permanence au cours des cinq années subséquentes, et l'acarien de l'abeille a disparu jusqu'en 2012. Cette année-là, le parasite est apparu dans une exploitation plus grande et s'y est bien établi.

L'autre grande menace pour les producteurs apicoles de la Nouvelle-Écosse a été la découverte du varroa au Nouveau-Brunswick. On présume que le varroa est arrivé dans une bleuetière canadienne à la faveur d'un essaim d'abeilles en provenance des États-Unis. Ce parasite s'est révélé le plus grand fléau pour les abeilles et les apiculteurs du monde entier. Encore une fois, les restrictions frontalières ont été favorables aux apiculteurs de la Nouvelle-Écosse. Le varroa n'y est apparu que huit ans après son apparition au Nouveau-Brunswick. Entretemps, on a homologué des produits antiparasitaires et approuvé leur utilisation. Ce temps a permis aux apiculteurs de la Nouvelle-Écosse d'apprendre de ceux des autres provinces comment lutter contre ce nouveau parasite.

En 2009, il y avait 156 apiculteurs en Nouvelle-Écosse et 19 800 ruches en hivernage. On en comptait 17 800 en 2011. À l'hiver 2013-2014, 21 200 ruches ont été préparées à l'hivernage par 245 apiculteurs. À quoi attribue-t-on cette augmentation? Parmi les éléments qui y ont contribué, mentionnons l'utilisation accrue d'Apivar pour lutter contre le varroa, les mesures financières incitatives du programme d'amélioration de la pollinisation en Nouvelle-Écosse, le rendement légèrement supérieur offert par les contrats de pollinisation et les ventes de miel.

L'Apivar est un antiparasitaire récemment homologué au Canada pour lutter contre le varroa. Il est en train de perdre son efficacité aux États-Unis, mais il demeure pour l'instant très performant au Canada.

En 2012, la Nova Scotia Beekeepers Association, en collaboration avec le département de formation continue de la faculté d'agriculture de l'Université Dalhousie, a mis sur pied un cours en quatre modules intitulé « L'apiculture moderne — notions de base », afin de répondre à la demande croissante pour des apiculteurs et apprentis-apiculteurs. Le cours s'est donné pour la première fois l'an dernier avec un contingent complet de participants, lesquels ont fait des commentaires élogieux. Le cours commence de nouveau cette semaine avec le nombre maximal possible de participants.

En Nouvelle-Écosse, le taux de pertes hivernales se situe parmi les plus bas au Canada année après année, à l'exception de 2009-2010. Il est moins élevé que le taux moyen canadien et beaucoup plus faible que le taux moyen enregistré dans les ruches des États-Unis.

Les services de pollinisation ont gagné en popularité dès les premières années de leur création, ce qui nous ramène dans les années 1950 et 1960. Il était possible de se procurer des paquets d'abeilles, mais les apiculteurs souhaitaient de plus en plus pratiquer l'hivernage en raison des coûts grandissants des paquets et de la facilité à préparer des abeilles pour l'hiver et à les faire hiverner en Nouvelle-Écosse.

Les abeilles en hivernage se développaient en général plus rapidement que les abeilles en paquets. Durant les premières années où l'on a commencé à offrir des abeilles pour la pollinisation, les apiculteurs et les producteurs de bleuets ont convenu que le prix des services de pollinisation serait égal au prix d'achat des abeilles en paquets destinées à former une nouvelle ruche. Certains producteurs de bleuets ont acheté des abeilles pour les apiculteurs en échange de l'utilisation de leurs ruches pour la pollinisation. À cette époque, les revenus des apiculteurs de la Nouvelle-Écosse provenant des services de pollinisation étaient les plus élevés en Amérique du Nord.

Le prix des services de pollinisation a chuté en deçà du seuil préalablement établi, malgré la hausse des coûts liés au contrôle des nouveaux organismes nuisibles, les pertes grandissantes des abeilles domestiques et des sources de miellée où elles peuvent butiner, la demande croissante des producteurs de bleuets pour des services de pollinisation et l'explosion de la population d'ours noirs. Les producteurs de bleuets hésitent à payer davantage pour la location de ruches en raison de l'incertitude quant au prix qu'ils obtiendront pour leurs fruits bien après qu'ils seront livrés aux acheteurs.

La production de la majorité des bleuetières ne peut justifier la location de sept ou huit ruches par acre. La plupart estiment qu'un ratio d'une ruche par 2 000 livres de fruits, soit l'équivalent de deux ou trois ruches par acre, est une charge acceptable en colonies pour la pollinisation.

La campagne d'achat local menée dans la province a contribué à y faire augmenter les ventes de miel produit localement. Il s'agit d'une source importante de revenus pour nos apiculteurs.

En conclusion, j'aimerais souligner que l'apiculture en Nouvelle-Écosse est toujours considérée comme un art subtil. L'interdiction d'importer des abeilles des États-Unis a protégé nos apiculteurs des nombreux parasites qui infectent les ruches situées à l'extérieur de notre province et leur a donné le temps d'apprendre de quelle façon on lutte contre les parasites ailleurs en Amérique du Nord, de sorte qu'ils seront prêts à combattre une éventuelle infestation sur leur territoire. Au cours des quatre dernières années, il y a eu une augmentation du nombre de ruches et du nombre d'apiculteurs en Nouvelle-Écosse.

Il ne faut pas oublier que les pomiculteurs de la Nouvelle-Écosse ont besoin de nos ruches pour la pollinisation. J'aimerais également vous souligner que les statistiques fournies témoignent d'une stabilité relative quant au nombre de ruches louées pour la pollinisation en Nouvelle-Écosse. On note actuellement une légère croissance, mais ce nombre a chuté en 2010 lorsqu'une grande entreprise de transformation a annulé à la mi-avril tous ses contrats de pollinisation avec des apiculteurs.

Voilà qui termine l'exposé que j'avais à vous présenter; je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Kittilsen.

Monsieur Vautour?

[Français]

Paul Vautour, délégué des Maritimes au Conseil canadien du miel, Association des apiculteurs du Nouveau-Brunswick : Malheureusement, je ne parle pas beaucoup français mais je peux tout comprendre et parfois m'exprimer comme il faut. Étant originaire de la ville de St. John, une ville loyale à l'Angleterre, j'ai eu de la difficulté à apprendre le français.

Le président : Vous parlez bien français.

[Traduction]

M. Vautour : Je ne suis pas aussi organisé que Paul. Je suis un peu ici par défaut. Le président de l'Association des apiculteurs du Nouveau-Brunswick m'a demandé de venir prendre la parole devant vous. Les gens de l'association ne croyaient pas avoir l'expertise nécessaire pour le faire, et vous comprendrez sans doute pourquoi lorsque j'aurai terminé mon bref exposé.

Au Nouveau-Brunswick, on pourrait dire de la majorité des apiculteurs commerciaux, qu'ils fournissent des services de pollinisation ou qu'ils recueillent le miel, qu'ils exercent une « activité d'appoint sérieuse ». En effet, ils sont incapables de survivre financièrement sans une autre source de revenus pour la famille. Il n'existe pas de formation spécialisée en agriculture, pas de services d'information, ni de mentorat organisé.

L'organisme provincial est totalement bénévole. Les succursales régionales organisent des séances éducatives sur le terrain. On ne dispose pas de fonds pour aider les nouveaux apiculteurs, dont la coûteuse expérience comporte son lot d'échecs et de découragement. Les tentatives de la province en vue de stimuler la survie et la croissance des apiculteurs existants grâce à des incitatifs financiers, bien que bénéfiques au cours des dernières années, n'ont pas permis d'augmenter le nombre de colonies. La peur de l'échec et le coût des emprunts étouffent l'expansion.

Alors que l'apiculture est mieux établie dans les provinces à l'ouest du Nouveau-Brunswick, qui possèdent plus de ressources de vulgarisation, chez nous, nous souffrons d'inertie. Grâce à son influence, ce comité pourrait être en mesure de convaincre Agriculture et Agroalimentaire Canada ou notre province de se lancer dans un quelconque projet de mentorat ou d'éducation des nouveaux apiculteurs, qui pourrait les aider à assumer les coûts de démarrage.

Nous croyons savoir que la question des néonicotinoïdes, des pesticides, des herbicides, des fongicides et des parasites internes a fait l'objet de discussions approfondies, alors nous laissons les experts de la communauté scientifique la résoudre au lieu de nous adonner au militantisme politique.

De même, nous laissons la question de l'approvisionnement en abeilles et de la frontière des États-Unis entre les mains des organismes de réglementation, qui ont déterminé que le risque d'introduire au pays des abeilles ayant des maladies indésirables est élevé. La Maritime Beekeepers Association, que je représente au sein du Conseil canadien du miel, vote systématiquement contre l'importation de paquets d'abeilles des États-Unis continentaux.

D'après nous, un autre risque grave pour l'Apis mellifera et la pollinisation au Nouveau-Brunswick est lié à la famine. La grande majorité du territoire de la province est constituée de boisés qui contiennent peu de fleurs d'été. Une fois la pollinisation complétée — et c'est celle du bleuet sauvage qui est la plus importante au Nouveau-Brunswick —, nous sommes soumis au bon vouloir des agriculteurs locaux, espérant qu'ils nous permettent d'installer nos colonies sur leurs terres, à l'écart.

Nous sommes inquiets entre autres de la transition de l'agriculture à l'ère moderne. L'augmentation du nombre de plantations de maïs n'est pratiquement d'aucune utilité pour les abeilles domestiques. Il semblerait toutefois, d'après ce que m'a dit un agriculteur lors d'une autre réunion hier matin, que la production de maïs diminue en raison de la chute des prix. Voilà sans doute une bonne nouvelle pour les apiculteurs.

En outre, les agriculteurs ont tendance à tondre leur luzerne et leur trèfle lorsque ceux-ci fleurissent, alors qu'ils atteignent le point culminant de leur valeur nutritive, privant ainsi les abeilles du pollen et du nectar essentiels dont elles dépendent pour survivre à l'hiver.

Un autre facteur de risque est le fait que les cultivateurs de bleuets ont découvert la valeur économique des abeilles et que certains commencent à placer une charge excessive de colonies dans leurs champs. Il en résulte une production exceptionnelle de bleuets. Cependant, l'aspect négatif, c'est que, alors que jadis, nous pouvions compter sur un surplus de miel de bleuets, maintenant, lorsque nous récupérons nos colonies, celles-ci sont plus légères qu'à leur arrivée.

Les cultivateurs de bleuets risquent aussi de perdre des pollinisateurs à cause de la baisse des approvisionnements en miel en Amérique du Nord, qui fait monter le prix. Le mouvement « acheter local » est également un des facteurs de risque. À mesure que le prix du miel augmente en raison d'une baisse généralisée de la production de miel, il devient plus rentable, plutôt que d'apporter les abeilles aux cultivateurs pour qu'elles pollinisent leurs cultures, de profiter des récoltes de miel de fleurs sauvages du début de l'été. Le prix normal pour la pollinisation tourne autour de 140 $ par colonie. Bien des agriculteurs et des apiculteurs sont souvent réticents à parler de prix, mais je peux pas mal vous assurer qu'il se situe en moyenne à environ 140 $.

Les colonies qui se trouvent dans les régions où abondent des fleurs sauvages florissant tout l'été peuvent facilement produire 100 livres de miel, lequel peut se vendre à plus de 5 $ la livre sur les marchés locaux. Peut-être que M. Paradis pourrait vous le dire mieux que moi, car je ne suis pas dans l'industrie du miel, mais dans celle de la pollinisation, mais le prix de gros se situe généralement à un peu plus de 2 $ la livre cette année, ce qui est excellent. C'est même un record pour le prix de gros. Si l'on considère 100 livres de miel à 2 $ la livre, c'est plus rentable que la pollinisation. Ce scénario n'est pas tiré par les cheveux. On dit même que les apiculteurs de l'Ontario soupèsent déjà cette solution.

Le Nouveau-Brunswick dépend dans une large mesure des abeilles provenant de l'Ontario, car nous n'arrivons pas à répondre à la demande dans notre province pour la pollinisation des bleuets sauvages. Nous avons entre 7 000 et 8 000 colonies qui sont affectées à cette activité. Un contingent supplémentaire de 20 000 colonies nous arrive par camions de l'Ontario et du Québec. C'est malheureux, car il serait bon que ces sommes d'argent demeurent dans la province.

L'occasion nous est peut-être fournie de régler le problème de la famine des abeilles. Pour ce faire, tous les projets routiers du gouvernement devraient comporter un volet d'ensemencement des accotements avec des semences de fleurs vivaces normalement considérées comme des mauvaises herbes. Je suggère pour cela le pissenlit, la vesce pourpre foncé, le trèfle rampant et d'autres fleurs qui fleurissent à différentes époques de l'année. Cette proposition permettrait non seulement de procurer de la nourriture aux abeilles, mais aussi de stabiliser les terres et de nourrir la petite faune granivore.

Des étendues de terres agricoles abandonnées commencent à être envahies par les buissons d'aulnes. Les cultures mentionnées ci-dessus pourraient aussi être semées sur ces terres, de même que du mélilot.

Le mélilot peut atteindre cinq à six pieds de haut, soit près de deux mètres. Il représente malheureusement un risque à proximité des routes du Nouveau-Brunswick, car le cerf peut en surgir et se retrouver sur la chaussée sans que l'on ait eu le temps de l'apercevoir. Le mélilot est donc tondu d'assez près sur l'accotement des routes de la province. Comme le mélilot comporte trois feuilles, il s'agit d'une variété de trèfle, même si son apparence est totalement différente.

On pourrait planter ce mélilot fort prisé des abeilles sur les terres en friche dont je vous parlais.

Il y a donc le mélilot, et peut-être aussi certaines cultures commerciales. La bourrache se prêterait bien à la culture commerciale, mais la plupart des agriculteurs la considèrent comme une mauvaise herbe. La bourrache peut bien sûr servir à l'alimentation, et l'huile extraite de ses graines est également utilisée à des fins médicinales.

Nous avons déjà dû commencer à donner des substituts de pollen et du sirop de sucre à nos abeilles, avec des résultats moins que probants pour les aider à passer l'hiver.

C'était mon exposé.

Le président : Merci, monsieur Vautour.

Nous arrivons maintenant en Alberta, avec M. Paradis.

Michael Paradis, propriétaire-exploitant, Paradis Honey Ltd. : Merci.

Je suis producteur de miel commercial à Girouxville dans la région de Peace River, au nord de l'Alberta. J'ai 3 500 ruches et je possède le matériel nécessaire pour en exploiter 6 000. J'ai donc une bonne quantité d'équipement inutilisé. Je suis aussi la septième génération d'apiculteurs dans ma famille; nous sommes ainsi, à ma connaissance, la plus ancienne famille d'apiculteurs au Canada. J'offre également des services de pollinisation dans la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique.

Voici les questions et les préoccupations émergentes pour l'apiculture en Alberta et au Canada : le varroa et la résistance de ce parasite; la résistance à la loque américaine; l'importation d'abeilles en paquets; l'instauration d'une boîte à outils plus saine pour les apiculteurs; un traitement un peu plus rapide par l'ACIA et l'ARLA; le problème des néonicotinoïdes; et les différentes occasions qui se présentent à nous.

Le varroa n'est pas un nouvel animal. Il s'agit du même acarien, mais il résiste maintenant aux produits chimiques que nous utilisons. Nous savons tous que les insectes de tout genre finiront par développer une résistance aux produits chimiques si l'on utilise continuellement ces produits.

Comme Paul le mentionnait, nous utilisons un produit à base d'amitraze depuis quatre ans au Canada. Généralement, il faut s'attendre à ce que le parasite développe une résistance au bout de cinq ou six ans.

Je sais que la loque américaine représente un délicat problème pour bien des apiculteurs dans les différentes provinces. Vous avez devant vous l'homme qui a été victime du premier cas recensé au Canada. C'est problématique mais, en même temps, ça ne l'est pas véritablement. Il faut comprendre que la loque américaine existe depuis qu'il y a des abeilles. La seule différence, c'est que l'invention de la ruche Langstroth à cadre amovible lui permet de passer d'une ruche à la suivante. Auparavant, la ruche paysanne ne permettait pas cela. Les abeilles ont toutefois un mécanisme qui leur permet de résister à ce parasite.

Pour ce qui est de l'importation des paquets, je crois que les abeilles devraient pouvoir être importées de n'importe quel endroit où le profil de maladies ne dépasse pas ce qui existe déjà au Canada. Il devrait donc être interdit d'importer des abeilles souffrant de maladies qui ne sévissent pas encore ici, mais je ne vois aucune raison pouvant nous empêcher d'avoir accès à des abeilles dont les maladies sont déjà présentes au Canada.

Le Canada et les États-Unis ont eu une relation symbiotique jusqu'en 1988. De vastes travaux ont été menés afin d'améliorer le stock génétique. Les Américains nous envoyaient leurs paquets. À l'automne, nous leur retournions nos reines. Ils réutilisaient ces gènes avant de nous les renvoyer.

Monsieur le président, vous me semblez perplexe. Si je saute quelques éléments pour en ajouter d'autres, c'est parce que les messieurs qui m'ont précédé ont déjà soulevé toutes ces questions.

Le président : Merci.

M. Paradis : Je ne vois pas pourquoi je vous ferais perdre votre temps en abordant des sujets dont on a déjà traité.

Nous avions donc de bonnes relations avec les États-Unis. Nous importons maintenant des paquets d'abeilles de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Ces abeilles nous sont envoyées à la fin de leur saison là-bas. Nous importons donc de vieilles abeilles qui ne se prêtent pas à une exploitation optimale pour nous. Elles arrivent au Canada en piètre état à cause de la chaleur, de la pluie et des retards dans le transport.

Il y a une autre chose dont il faut tenir compte lorsqu'on transporte des abeilles vivantes. Qu'arriverait-il si des abeilles s'échappaient de la soute à bagages d'un avion pour se retrouver dans la cabine des passagers à plus de 40 000 pieds au-dessus du Pacifique? Je peux vous assurer que cela mettrait fin à tout transport d'abeilles par avion. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'une telle chose se produise. Plus on pousse l'audace en ce sens, le plus tôt cela arrivera.

C'est de la pure folie que de penser que les maladies vont s'arrêter à la frontière entre le Canada et les États-Unis, ou celle de la Saskatchewan, de l'Alberta ou du Manitoba. Les 20 dernières années auraient dû nous l'apprendre. En 1988, la frontière devait être fermée temporairement à cause de l'acarien trachéen. Cependant, la mentalité irréaliste a pris le dessus et, en moins de deux ans, cet acarien s'est répandu presque partout au pays.

À peu près à la même époque, l'acarien varroa est apparu aux États-Unis. Voilà une deuxième raison pour fermer la frontière Canada-États-Unis. En moins de cinq ans, l'acarien varroa s'était également répandu presque partout au Canada. J'ai mes propres théories quant à la raison pour laquelle nous nous sommes retrouvés dans cette situation, mais il est évident que ce protectionnisme fut un échec total.

Je suis ici aujourd'hui pour parler de la santé des abeilles, mais il faut comprendre qu'au Canada, leur santé des abeilles passe par l'importation de paquets d'abeilles, et c'est ce que nous faisons.

Voici ce qu'il faut faire : effectuer de la recherche pratique; sortir des sentiers battus; donner accès à d'autres produits chimiques, durs et doux; peut-être exercer un meilleur contrôle sur l'utilisation des produits chimiques dangereux, les utiliser pendant deux ans, puis changer de produits, par exemple, passer de l'amitraze à des acides; exercer une pression sur les grandes sociétés, comme Bayer et Monsanto, pour qu'elles mettent au point des produits pour les apiculteurs, et les aider à commercialiser ces produits, plutôt que d'adopter des mesures législatives pour les en décourager.

En ce qui concerne l'évaluation du risque, nous croyons qu'elle est très déficiente. J'ignore quelles sont les personnes qui ont critiqué ce document, mais, à mon avis, elles ne comprennent pas les abeilles domestiques ou leurs maladies. Il est illogique de prétendre que les abeilles américaines ne sont pas en bonne santé et, quelques pages plus tard, d'avancer que le nombre de ruches aux États-Unis aurait augmenté de plus de 100 000. Il faut plus d'abeilles en santé, pas plus d'abeilles malades.

Les fonds pour la recherche sont injectés dans de nombreux projets qui s'échelonnent sur une période de 5 à 10 ans. Nous devons accroître la surveillance, apporter des ajustements majeurs et encourager les universitaires à changer leur processus de réflexion. Si le projet ne se déroule pas comme prévu, cessons d'y injecter des fonds et passons à un projet plus censé.

Si les apiculteurs n'ont pas d'abeilles en santé et que leurs affaires ne sont pas plus saines, la recherche ne sert à rien. Sans nous, la recherche est inutile. C'est aussi simple que cela.

En fait, si le gouvernement laissait l'industrie de l'apiculture faire ce qu'elle doit faire, sans intervenir, et qu'il laissait les gouvernements régionaux et provinciaux soutenir l'industrie, celle-ci serait prospère.

Il ne fait aucun doute que les néonicotinoïdes sont mauvaises pour tous les insectes, les insectes bénéfiques comme les insectes nuisibles. Il reste à le prouver scientifiquement d'une façon ou d'une autre et à déterminer dans quelle mesure cela touche les abeilles. Ce qui est clair, c'est que l'ensemencement et les nuages de poussière qui en découlent ne fonctionnent pas. Il faut y remédier le plus rapidement possible.

La question qu'il faut se poser est la suivante : les grandes exploitations agricoles pratiquent-elles même la lutte antiparasitaire intégrée? Chaque semence est enrobée de produits néonicotinoïdes. Pourquoi?

Les possibilités de pollinisation des bleuets sur la côte Est et la côte Ouest ne feront qu'augmenter en raison de la demande et des bienfaits des baies sur la santé. Je pense que la demande pourrait bientôt atteindre plus de 70 000 ruches pour la pollinisation. Cette activité pourrait facilement prendre la relève de la pêche dans ces régions.

Dans les Prairies, cela prendra la forme d'une augmentation de la production du canola hybride, du canola et du trèfle. Dans ma région, il y a des dizaines de milliers d'acres de canola où l'on ne retrouve pas d'abeilles, qu'elles soient indigènes ou domestiques, et tout ce nectar et cette production potentielle de miel sont gaspillés.

Si le nombre de ruches a grimpé en Alberta, ce n'est que grâce à la pollinisation et à la suite de pertes hivernales et en raison de la nécessité de devancer la courbe de perte qui se monte à un nucleus pour la récolte de miel de l'année suivante.

À mon avis, la façon dont les pertes hivernales sont comptabilisées aux fins des données provinciales est incorrecte. Dans mon exploitation, le calcul des pertes est directement lié au nombre de palettes et des caisses que je dois remplir. Cela n'a rien à voir avec ce qui entre ou qui sort de l'édifice, ou ce qui entre en septembre et ressort en avril. C'est ce qui est perdu dans le cadre de l'élimination sélective à l'automne, notamment. Mes pertes hivernales peuvent être de 25 p. 100, mais les pertes réelles cumulées sont davantage de 40 p. 100.

En Colombie-Britannique, il est peu probablement que l'on puisse élever de reines. La province a eu 25 ans pour se perfectionner dans ce domaine, et ça ne s'est jamais concrétisé, car ce secteur dépend beaucoup du climat. Nous n'avons pas un climat propice à ce genre d'élevage au pays, pas pour satisfaire la demande des sociétés dans les délais souhaités. Nous pouvons produire beaucoup d'abeilles — cela a déjà été fait —, mais pas des reines.

Il ne faut pas oublier que les abeilles ne sont pas originaires de l'Amérique du Nord. Elles ont été importées. On croyait auparavant qu'il y avait deux sortes d'abeilles, les africaines et les européennes. Cependant, cette année, grâce au profil d'identification génétique, on a confirmé que toutes les abeilles viennent d'Afrique et qu'elles possèdent toutes un génome et des marqueurs similaires.

En terminant, ce qu'il faut retenir, c'est que nous vivons au Canada — il fait -22 ºC chez moi en ce moment. Hier et avant-hier, alors que nous travaillions avec les abeilles, il faisait -36 ºC. Nous étions à les préparer en vue de la pollinisation. Le Canada est le meilleur endroit pour la production de miel, mais le pire pour l'hivernage des abeilles. Les températures peuvent passer de -60 ºC à plus de 10 ºC en l'espace de deux semaines pour redescendre ensuite à -40 ºC. Ce n'est pas du tout idéal pour les abeilles.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Paradis.

Le sénateur Mercer : Merci beaucoup, messieurs. Nous continuons d'en apprendre dans le cadre de cette étude.

Évidemment, monsieur Kittilsen, puisque je suis de la Nouvelle-Écosse, je vais d'abord m'adresser à vous. Vous avez répondu à la question que beaucoup se posent au sujet d'un panneau que l'on voit sur l'autoroute transcanadienne entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse sur lequel il est écrit « Aucune importation d'abeilles », un panneau étrange pour une autoroute.

Avec tout le respect que je dois à M. Paradis, selon qui il est inévitable que les maladies entrent au pays, si on peut éviter d'avoir des maladies ou des parasites pendant encore cinq ans, ce serait une victoire.

Vous dites, monsieur Kittilsen, que le principal utilisateur des services de pollinisation a soudainement annulé des contrats au cours de la même année. Pourquoi?

M. Kittlesen : Nous ne faisons pas affaire avec cet agriculteur. Je connais de nombreux apiculteurs qui ont transigé avec lui, mais je ne suis pas au courant de leurs conversations. Selon la rumeur, la cause serait le faible prix ou le faible prix prévu pour la pollinisation des bleuets. À la dernière minute, l'agriculteur en question a décidé qu'il avait besoin d'abeilles, et certains apiculteurs ont pu lui fournir quelques ruches. La plupart avaient déjà préparé leurs ruches pour la production estivale de miel plutôt que pour la pollinisation des champs de bleuets. Cela a donc créé certains problèmes pour les apiculteurs de la Nouvelle-Écosse. Si je ne m'abuse, la Nouvelle-Écosse a connu, en moyenne, une de ses meilleures années en matière de production de miel.

Le sénateur Mercer : Vous avez souligné un autre problème qui, même s'il n'est pas propre à la Nouvelle-Écosse, demeure un problème. J'habite dans une région rurale de la province. Je suis donc au courant de l'explosion de la population de l'ours noir. De quel ordre est ce problème?

M. Kittilsen : À l'époque où j'ai commencé en apiculture — j'ai encore des abeilles domestiques dans bon nombre des mêmes régions —, les clôtures électriques n'étaient pas nécessaires; nous n'avions pas de problème avec les ours. Aujourd'hui, nous devons continuellement installer des clôtures électriques pour protéger les abeilles domestiques contre les ours noirs.

Les champs de bleuets sont également une source de problèmes, car ils sont situés dans les forêts ou en bordure de celle-ci. Certains producteurs de bleuets aimeraient élargir la superficie couverte par les abeilles, mais, puisqu'ils sont responsables des colonies d'abeilles domestiques lorsque celle-ci travaille dans leurs champs de bleuets, il serait très dispendieux pour eux de clôturer chaque champ et chaque ruche.

M. Vautour : Au sujet des ours noirs, encore une fois, c'est une question économique. Auparavant, de nombreux Américains venaient chasser l'ours chez nous. Mais, en raison de la crise économique qui sévit aux États-Unis, ils ne viennent plus. Donc, la population de l'ours noir a beaucoup augmenté.

J'ai été confronté au problème des ours noirs dans les champs de bleuets, notamment parce que, comme l'a souligné mon collègue, les producteurs veulent installer leurs ruches dans différents secteurs, mais ils ne réalisent pas toujours que les abeilles peuvent parcourir jusqu'à deux miles. Donc, je ne crois pas que cela leur serait utile.

J'ai perdu beaucoup d'abeilles, mais c'est en grande partie parce que les producteurs faisaient appel à des bourdons — ils arrivent en boîtes que l'on appelle des quads, car il y a quatre nids —, mais les abeilles domestiques sont beaucoup plus efficaces que les bourdons pour la pollinisation. Il est vrai qu'un seul bourdon est un meilleur pollinisateur en raison de la façon dont il butine les fleurs, mais dans une nichée, un de ces quads, il y a peut-être 75 bourdons, comparativement à peut-être 20 000 abeilles domestiques dans une ruche. C'est pourquoi les abeilles domestiques sont plus efficaces. Elles sont beaucoup plus efficaces que les bourdons pour la pollinisation.

Nous avons découvert que les ours préfèrent les bourdons aux abeilles domestiques, et c'est pourquoi ils s'y attaquent. Cela nous a permis d'installer des clôtures électriques.

M. Paradis : Les ours noirs ne sont pas un problème uniquement dans l'est du pays. Ils sont partout. Nous utilisons environ 120 clôtures, des clôtures électriques et des clôtures permanentes. Personnellement, je m'attends à ce que les ours détruisent 250 de mes ruches. Les ours noirs constituent un problème important. Comme l'a souligné M. Vautour, auparavant, beaucoup d'Américains venaient les chasser.

Le plus gros problème avec les ours noirs, c'est qu'ils se reproduisent beaucoup. Une femelle peut avoir jusqu'à cinq oursons. Tous les chasseurs veulent tuer un gros ours noir, mais personne ne veut tuer ceux qui causent les problèmes, soit les petits. Ils veulent tous un gros trophée, pas un petit.

Le sénateur Mercer : À ce moment-là, il est déjà trop tard. Une des solutions serait peut-être de faire une chasse sélective de l'ours noir.

Monsieur Vautour, dans votre exposé, vous avez dit qu'un autre risque lié à la perte des pollinisateurs pour les producteurs de bleuets, c'est que l'approvisionnement en miel en Amérique du Nord est en baisse, ce qui entraîne une hausse du prix. Je croyais qu'une hausse du prix était une bonne chose. Si j'étais producteur de miel et que l'approvisionnement était en baisse, en raison du principe de l'offre et de la demande, ce serait profitable pour moi d'avoir plus de miel qu'un autre producteur, non?

M. Vautour : Vous avez raison, mais le problème, c'est que ce sont les producteurs de bleuets qui ont besoin de la pollinisation. Ils vont cesser de faire appel à la pollinisation du bleuet pour ne pas surcharger leur champ; ils n'obtiendront pas de récolte de la fleur du bleuet, elle qui est idéale pour la production de miel. Le miel produit avec le pollen de la fleur du bleuet a un goût totalement différent des autres miels.

Ils ne se tourneront plus vers la pollinisation du bleuet. Ils garderont leurs abeilles chez eux, dans leur propre champ, et économiseront les coûts de transport. Aussi, les abeilles supportent mal les déplacements. Il pourrait donc y avoir une baisse du nombre de colonies d'abeilles disponibles pour la pollinisation.

M. Paradis : Le prix du miel augmente, mais à quel moment cela aura-t-il une incidence sur le prix à consommation? C'est là la principale question. Il viendra un temps où le consommateur n'achètera plus de miel.

Vous dites que l'offre et la demande fera augmenter le prix du miel, mais il fera aussi augmenter le nombre d'importations. À une certaine époque, on croyait que le Canada comptait beaucoup de bovins, mais aujourd'hui, nous importons des bovins, car il y a un manque au pays. C'est une situation très délicate.

La sénatrice Buth : Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.

Un des problèmes, et vous en avez déjà parlé, c'est qu'on doit déterminer s'il faut limiter l'importation de paquets d'abeilles. Nous comprenons le dilemme : cette solution n'a pas toujours fonctionné où il a fallu attendre quelques années.

Que conseilleriez-vous? Si vous aviez une recommandation à faire, croyez-vous que les associations d'apiculteurs ou les apiculteurs eux-mêmes accepteraient de permettre l'importation d'abeilles en provenance des États-Unis? Que peut faire le comité ou même, que peuvent faire les apiculteurs pour régler la situation?

M. Vautour : Je vais répondre. J'ai siégé au Conseil canadien du miel qui représente les apiculteurs à l'échelle nationale. Paul m'a remplacé, mais j'y siège de nouveau.

Nous nous posons cette question depuis de nombreuses années, même depuis 20 ans. Il est difficile de s'entendre à ce sujet, car dans certaines provinces, l'industrie se porte bien, notamment en Ontario, dans la région du Niagara. Les apiculteurs y font de bonnes affaires et n'ont pas besoin d'importer des paquets d'abeilles. Le climat dans cette région leur permet d'être autonomes.

Je crois qu'en Nouvelle-Écosse, dans la région de la vallée de l'Annapolis, le climat est propice à la production initiale d'abeilles. C'est la même chose en Colombie-Britannique où la température est clémente. Les apiculteurs peuvent donc accroître leur population d'abeilles.

Dans d'autres régions, comme celle plus au nord où il fait très froid, il est difficile de garder les abeilles en vie. Les producteurs doivent donc importer des abeilles d'ailleurs.

Les opinions divergent d'une province à l'autre et nous n'avons pas réussi à trouver un terrain d'entente. Paul pourra vous en dire davantage à ce sujet, puisqu'il a vécu cette situation.

M. Kittilsen : C'est une question intéressante. Le problème existe depuis 1987 au pays. Selon moi, ce n'est pas demain la veille que nous le réglerons.

Dans notre exploitation, nous avons créé des techniques de gestion qui nous permettent d'accroître notre population d'abeilles au mois de juillet après la pollinisation des bleuets. Nous avons des ruches bien garnies, ce qui nous permet de les subdiviser. Ensuite, nous les préparons pour l'hivernage et les utilisons ensuite dans notre propre exploitation ou les vendons à des apiculteurs qui veulent se lancer en affaires. Nous avons aidé deux ou trois apiculteurs dans la région des maritimes à démarrer leur entreprise, alors, c'est possible. C'est plus facile à petite échelle.

Un des problèmes, c'est le prix de la pollinisation. Doit-on vendre la ruche où la louer pendant un an? Il y a plusieurs années, le prix de la pollinisation a lentement commencé à augmenter, mais, à mon avis, pas au même rythme que les dépenses des apiculteurs. C'est un peu problématique, surtout maintenant avec l'augmentation du prix du miel qui ajoute à la pression. M. Paradis a raison de dire que, par le passé, le prix du miel a fluctué. Je crois qu'il faut se préparer à cette éventualité. Il est clair qu'une augmentation du prix de la pollinisation serait énormément bénéfique pour l'industrie.

Pour le moment, en Nouvelle-Écosse, les abeilles sont importées de l'Ontario pour la pollinisation en vertu d'un permis; les importations sont limitées, mais pas interdites. Il est possible d'importer des abeilles dans la province en vertu d'un permis, pourvu que les profils de maladie soient les mêmes. Je crois que la Nouvelle-Écosse permettrait l'importation de ruches ou d'abeilles si leur profil de maladie est le même que celui qu'on retrouve actuellement dans la province.

M. Paradis : C'est une question litigieuse et, comme l'a souligné Paul, elle fait rage depuis 1988.

La diversité canadienne en matière d'apiculture est immense. Il ne fait aucun doute que, dans certaines régions, l'industrie se porte très bien. Ce n'est pas un hasard si 85 000 ruches de l'Alberta sont transportées dans le sud la Colombie-Britannique. Des ruches sont transportées par camions du Manitoba jusqu'en Colombie-Britannique pour l'hivernage. Toutefois, il n'y a pas suffisamment d'espace en Colombie-Britannique pour accueillir toutes les ruches.

L'hivernage est difficile dans les Prairies. Nous en avons eu un très bon exemple l'an dernier. Si je ne m'abuse, au Manitoba, l'hiver a duré près de sept mois, et ce sera la même chose cette année.

La sénatrice Buth : Merci de me le rappeler.

M. Paradis : La région de Peace River vivra un peu la même chose. Si vous tracez une ligne à travers le pays à partir de ma maison, vous arriverez à Gander, à Terre-Neuve. Vous vous dirigez vers le nord, et il fait froid. Je ne suis pas l'apiculteur le plus au nord en Alberta; quelques-uns sont situés à 200 milles au nord de chez moi.

Mais, comme l'a souligné Paul, les provinces maritimes permettent l'importation limitée d'abeilles, pourvu que le profil de maladie soit le même. Pourquoi est-ce différent pour les paquets d'abeilles? Il a été démontré que nos exploitations ne peuvent pas survivre sans les paquets d'abeilles. Nous les importons de pays tropicaux où il y a des maladies que nous n'avons ni ici, ni aux États-Unis.

Il y a six ans, les États-Unis ont autorisé l'importation de paquets d'abeilles en provenance de l'Australie. Depuis, ils ont interdit ces importations et ont même interdit les importations en provenance du Canada, car nous importons encore des abeilles de l'Australie. Il s'agit d'un problème sérieux sur lequel il faut se pencher.

Donc, si les États-Unis sont d'avis qu'il y a plus de parasites en Australie qu'au Canada, pourquoi notre organisme de réglementation ne jette-t-il pas un regard scientifique sur la question? L'évaluation du risque que j'ai ici ne vaut pas le papier sur lequel elle est imprimée.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bienvenue, il nous fait plaisir de vous voir ici ce matin. Ma question s'adresse à M. Paradis. Et je dois dire à mes collègues, puisque je viens de l'Alberta, que le nom Paradis est très bien connu dans la province comme étant un excellent producteur de miel commercial. Félicitations, vous en êtes à la septième génération d'apiculteurs, c'est formidable.

Monsieur Paradis, lors de votre présentation vous avez fait certaines déclarations sur lesquelles j'aimerais revenir. Vous avez indiqué que les universitaires avaient besoin de changer leur processus de réflexion.

Vous avez également affirmé que le gouvernement laisserait l'industrie de l'apiculture faire ce qu'elle doit faire, sans intervenir, mais que l'industrie recevrait du financement des régions et des provinces et qu'elle pourrait prospérer.

Pouvez-vous nous donner plus de détails par rapport à ces déclarations?

[Traduction]

M. Paradis : Ce que j'ai dit, c'est que les apiculteurs de la province et les soi-disant scientifiques du secteur des abeilles mènent des études. Ils viennent nous voir et nous demandent de participer à des projets. Prenons, par exemple, l'utilisation de l'acide formique pour contrôler les acariens varroa.

On utilise l'acide formique depuis près de 20 ans pour contrôler les acariens varroa. Est-ce nécessaire de mener une autre étude sur l'utilisation de ce produit et la façon la plus efficace de l'utiliser? La roue existe déjà. Est-ce vraiment nécessaire de la réinventer?

Si ce n'est pas avantageux, à quel moment peut-on mettre fin à l'étude? Faut-il la poursuivre jusqu'à ce qu'elle soit terminée? S'il est clair après cinq ans que le produit ne fonctionnera tout simplement pas, peu importe ce qu'on fait, doit-on continuer d'investir dans le projet jusqu'à ce qu'il soit terminé? En affaires, lorsqu'un projet ne fonctionne pas, on s'ajuste, on change d'orientation ou on y met fin.

C'est ce que je voulais dire lorsque j'ai parlé de dépenser judicieusement et de changer le processus de réflexion des universitaires. Les universitaires ont l'habitude de mener leurs projets à terme, parce que s'ils ne dépensent pas les fonds prévus pour leurs projets, ils ne recevront plus de fonds. C'est une pratique courante.

J'ai oublié la deuxième partie de votre question.

La sénatrice Tardif : C'était au sujet de l'intervention des gouvernements.

M. Paradis : L'intervention du gouvernement, en ce sens que les apiculteurs en France peuvent utiliser l'Apivar, les produits que nous utilisons pour contrôler les acariens. La France est un des partenaires commerciaux du Canada. Pourquoi l'ARLA et l'ACIA ont-elles attendu six ans avant de nous permettre d'utiliser ce produit? Pourquoi? Si nos partenaires commerciaux utilisent déjà des produits pour contrôler les acariens, quel est le problème?

La sénatrice Tardif : Vous aimeriez pouvoir utiliser le produit plus tôt.

M. Paradis : C'est exact; plus tôt et de manière efficace. Fournissez-nous plus d'outils que nous pouvons utiliser de façon ponctuelle.

Pour le moment, outre les deux autres produits auxquels les acariens ont développé une résistance, le seul produit que nous pouvons utiliser, c'est l'Apivar. Si nous avions pu utiliser l'Apivar et les deux autres produits simultanément, les acariens n'auraient peut-être pas développé une résistance à ni l'un, ni l'autre des trois produits. Pourquoi devons- nous attendre et être contraints à chercher rapidement un autre produit et à l'utiliser jusqu'à ce qu'il soit épuisé?

La sénatrice Tardif : Que pensez-vous des néonicotinoïdes? Ont-ils une incidence sur les abeilles dans votre région?

M. Paradis : Il ne fait aucun doute que les néonicotinoïdes ont une incidence sur les abeilles, mais dans quelle mesure? La science n'a pas pu le démontrer.

L'ensemencement du maïs est certainement un problème. Cela ne fait aucun doute. Je l'ai moi-même constaté.

Le problème avec les néonicotinoïdes — Paul et moi avons mangé ensemble hier soir. Je viens de lire un document sur l'Australie. Le Sénat australien fait la même chose que vous : il tient des audiences. Selon lui, les néonicotinoïdes ne constituent pas un problème. D'ailleurs, il prétend qu'ils sont avantageux pour les abeilles, puisqu'ils ne nécessitent pas un épandage répéter. Le produit est administré une seule fois.

C'est une arme à double tranchant. Toutes les parties s'y frotteront. La question est de savoir laquelle portera le moins de blessures.

La sénatrice Tardif : Vous avez une façon intéressante de voir les choses.

M. Paradis : C'est la réalité.

La sénatrice Tardif : Vous dites que la semence est enrobée. Pourquoi?

M. Paradis : C'est la question. Pourquoi Bayer, Monsanto et Pioneer doivent-ils enrober la semence d'un néonicotinoïde? Selon des études scientifiques préliminaires, le composé de néonicotinoïdes reste présent dans le sol pendant 10 ou 15 ans. Est-il nécessaire d'enrober chaque semence?

Lorsqu'on traite nos abeilles contre la loque, on ne traite pas chaque ruche. On ne traite que celles qui sont touchées.

Si vous n'avez pas de problème dans votre champ, avez-vous besoin que chaque semence soit enrobée? Les agriculteurs avec lesquels je fais affaire me posent la question. Pourquoi doit-on acheter des semences déjà traitées? Il est impossible de se procurer des semences non traitées.

La sénatrice Eaton : Monsieur Paradis, vous êtes la septième génération d'apiculteurs dans votre famille. Votre famille a donc de l'expérience dans ce domaine. De toute évidence, le métier a été transmis de père en fils et de père en fille.

M. Paradis : Ça fait beaucoup de cinglés.

La sénatrice Eaton : Et c'est nous qui en profitons.

Est-ce que votre grand-père a dû composer avec l'acarien varroa ou la loque américaine? Quels parasites sont apparus au cours des 10 dernières années que votre père, votre grand-père ou même votre arrière-grand-père n'a pas connus? Cette information vous a certainement été transmise.

M. Paradis : Depuis toujours, certaines questions relatives à l'apiculture sont litigieuses. La question de la loque américaine, soulevée au début des années 1950, a probablement été la plus importante. La loque américaine existe depuis que les abeilles existent, je crois.

Selon le cours normal des choses, avant l'intervention humaine et l'apiculture, les abeilles faisaient leur nid dans un arbre, un tronc ou une branche, ou sous une falaise. Elles rassemblaient leurs forces puis essaimaient, c'est-à-dire que la colonie se séparait en deux, trois ou quatre factions, selon le nombre de reines élevées. Une partie des abeilles et la reine quittaient la ruche.

Lorsque le nid d'origine devenait trop sale ou que la loque américaine — un champignon bactérien — y faisait son apparition, toutes les abeilles quittaient le nid. Dame nature prenait le contrôle; c'était ainsi aux États-Unis et dans la majeure partie de l'Europe. La fausse teigne de la cire infestait le nid ou un ours noir le détruisait. L'ancien nid disparaissait.

L'essaimage et l'abandon du nid brisaient le cycle de vie de la loque américaine suffisamment longtemps pour permettre un rajeunissement et la construction d'un nouveau nid.

La sénatrice Eaton : Qu'est-ce qui a changé?

M. Paradis : Nous avons modifié le cycle; c'est l'intervention humaine. J'ai dit que la ruche Langstroth était la mère de toutes les inventions en matière d'apiculture; c'est vrai, mais elle facilite aussi le déplacement des maladies d'une colonie à l'autre.

La sénatrice Eaton : Qu'est-ce que la ruche Langstroth?

M. Paradis : C'est la ruche classique que l'on voit aujourd'hui dans les champs.

La sénatrice Eaton : Ces boîtes blanches que l'on voit.

M. Paradis : Les boîtes blanches, qui contiennent des rayons amovibles.

Pour combler les pertes, on prend des rayons et leurs abeilles et on les place dans une nouvelle boîte. On transfère donc la maladie d'une ruche à l'autre.

La sénatrice Eaton : Que faisait votre grand-père pour l'hivernage?

M. Paradis : Au Québec, les abeilles passaient l'hiver dans un caveau, une installation souterraine, en quelque sorte. Une moitié se trouvait sous le sol et l'autre au-dessus du sol. Un de mes cousins utilise toujours cette pratique vieille de 80 ans.

Au Québec, l'hivernage est une pratique courante; elle l'était même dans les années 1960 et 1970. La raison était simple : les paquets d'abeilles provenaient principalement de la Californie ou de l'extrémité sud des États-Unis, et il coûtait trop cher de les faire venir au Québec. C'était beaucoup plus facile de les mettre en hivernage.

La sénatrice Eaton : Mais cela fonctionnait.

M. Paradis : Cela fonctionnait seulement en raison de la position géographique de la ville de Montréal. Le climat est beaucoup plus chaud qu'à Girouxville, en Alberta.

La sénatrice Eaton : Oui, mais ne pourrions-nous pas faire la même chose en Alberta?

M. Paradis : Nous avons des installations d'hivernage intérieures en Alberta. Nous faisons tout cela. Mais combien de temps dure l'hiver à Montréal?

[Français]

La sénatrice Eaton : L'hiver est long, il dure quand même cinq mois. Je suis Montréalaise et vous n'allez pas me dire que l'hiver est court.

[Traduction]

M. Vautour : Pour répondre à votre question, ce qui se passait au Nouveau-Brunswick — et c'était avant mon temps. Je fais ce métier depuis près de 30 ans seulement. Je fais partie des personnes pour qui il s'agit d'une « activité d'appoint sérieuse », comme je l'ai dit tout à l'heure. Je travaillais dans la fonction publique. J'ai pris ma retraite tôt et je me suis lancé dans ce domaine parce que je voulais poursuivre mes études. Je me suis laissé distraire par les abeilles et je n'ai pas pu m'arrêter.

Autrefois, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse aussi, je crois, on injectait du gaz dans le nid; on tuait les abeilles à l'automne et on recueillait le miel. On faisait venir des paquets des États-Unis. Un paquet coûtait quelque chose comme 5 $, et les apiculteurs pouvaient recueillir environ 150 livres de miel des ruches créées avec ces paquets. C'est ainsi qu'on procédait.

Les rayons et les cadres amovibles des ruches font partie du problème. Les vieux apiculteurs que j'ai rencontrés au début de ma carrière se vantaient de garder très longtemps les nids d'abeilles, lesquels noircissaient après un certain temps. Vous imaginez les maladies qui s'y formaient. Aujourd'hui, nous savons qu'il est bon de changer ces rayons, de les remplacer tous les quatre ans.

La sénatrice Eaton : Il faut parfois revenir aux sources, comme en agriculture. Parfois, les anciennes méthodes étaient justifiées : le compostage et tout le reste. C'est pour cela que je vous pose la question au sujet de l'apiculture. Devrait-on revenir à certaines anciennes pratiques?

M. Paradis : Oui, tout à fait; c'est d'ailleurs là où je voulais en venir. Par exemple, la loque américaine dans les paquets d'abeilles provenant des États-Unis ne résistera pas au transport jusqu'au Canada. C'est ce que beaucoup de gens ne comprennent pas. Les abeilles passent quatre jours dans les paquets; les spores de la loque américaine disparaissent complètement, car les abeilles s'en débarrassent. Il est sûr à 98 p. 100 que la loque américaine ne sera pas introduite au pays. Personne n'en tient compte, mais cela revient au principe de l'essaimage. C'était le mécanisme de défense des abeilles : elles ne peuvent transférer les polluants dans la nouvelle ruche parce qu'elles se sont purifiées.

Dans le Nord de l'Alberta, lorsqu'on faisait venir des paquets d'abeilles et qu'on stockait les boîtes dans le hangar pour l'hiver, on les nettoyait, sans le savoir. On le sait aujourd'hui, mais on ne le savait pas à l'époque.

M. Kittilsen : J'ai appris le métier d'un apiculteur qui a aujourd'hui 91 ans. Il y avait déjà des abeilles sur la ferme lorsqu'il est né. J'ai appris comment faire hiverner les abeilles; cela ne m'a donc jamais posé problème, mais c'était difficile pour les gens qui ne l'avaient jamais fait. Comme l'hivernage était pratique courante dans mon entourage, j'ai appris le métier.

La sénatrice Eaton : Qu'avez-vous appris?

M. Kittilsen : J'ai appris les techniques de gestion des ruches.

Certaines choses ont changé. L'acarien varroa a fait son apparition. Il est évident qu'il est porteur de certains virus que nous ne connaissons même pas chez les abeilles. Nous apprenons à les connaître. C'est nouveau. Nous avons certaines méthodes de traitement, mais l'acarien varroa est comme une sangsue. C'est un insecte sur un insecte. C'est difficile de l'éliminer. L'acarien peut acquérir rapidement une résistance aux formules que nous utilisons pour le tuer. Certaines abeilles ont des problèmes que nous ne pouvons pas nécessairement voir, tandis qu'autrefois, on savait qu'une ruche endommagée par un ours noir ne résisterait probablement pas à l'hiver. Il est cependant plus difficile de détecter les problèmes associés aux acariens.

M. Vautour : À titre d'information, il n'existe aucun traitement contre la loque américaine. On ne peut pas la traiter. Une fois les spores installées, à moins de les irradier — un processus très dispendieux —, on ne peut pas en débarrasser les rayons. Elles sont là pour rester. Si une colonie meurt en raison de la loque américaine, par exemple, d'autres abeilles s'empareront de la ruche, ramasseront les spores et les ramèneront dans leur ruche d'origine. Il n'y a pas de remède contre la loque américaine. La seule façon de s'en débarrasser, c'est de brûler les ruches.

La sénatrice Eaton : À moins de revenir aux anciennes méthodes et de se débarrasser des virus.

M. Vautour : Au fil des ans, d'autres problèmes se sont présentés. Le parasite Acarapis woodi, que nous appelons l'acarien de l'abeille, s'infiltre dans les tubes respiratoires des abeilles. Il a fait son apparition en Angleterre, je crois, mais il a pratiquement anéanti l'ensemble de la population d'abeilles de l'Europe à une époque. Il est présent dans la plupart des régions, mais nous avons réussi à l'éliminer en Nouvelle-Écosse. Aujourd'hui, on n'en trouve plus aucune trace au Nouveau-Brunswick. On utilise un produit chimique organique appelé acide formique.

[Français]

Cet acide provient des fourmis. Lorsqu'une fourmi nous pique, c'est l'acide formique qui nous brûle.

[Traduction]

L'acide formique est présent de façon naturelle dans l'environnement. Nous utilisons cette matière organique pour traiter nos ruches contre le varroa, et nous avons découvert qu'elle tuait également les acariens de l'abeille. Nous avons réussi à les éliminer grâce à l'acide formique. La communauté scientifique a trouvé des solutions au fil des ans.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, messieurs, et merci pour votre expertise. Monsieur Paradis, je vous félicite d'être apiculteur de père en fils. Au Québec, les Paradis sont connus pour être d'excellents politiciens, autant à l'échelon fédéral que provincial.

Vous avez dit quelque chose qui m'a intrigué. Vous avez dit qu'une solution ou une apparence de solution résiderait peut-être dans de nouveaux pesticides qui détruiraient les parasites dont vos abeilles souffrent. J'avais plutôt pensé qu'on pourrait se tourner vers la science pour trouver une solution pour les parasites qui sont, semble-t-il, la principale cause du décès de vos abeilles et de celles du Canada entier.

Si on demandait aux fabricants de pesticides de trouver une solution, dans 15 jours ils en auraient une. Mais si cette solution n'est pas bonne, elle risque de détruire non seulement vos abeilles, mais tout ce qui tourne autour ainsi que l'agriculture.

En ce qui concerne les graines enrobées, vous nous avez expliqué que les molécules peuvent traîner pendant 15 ou 20 ans dans le sol et dans l'eau. À mon avis, on doit remettre en question cette procédure et examiner de près comment on pourrait en arriver à une solution qui n'entraînerait pas un autre désastre écologique quelque part.

Chez nous, on dit que mettre un diachylon sur une jambe de bois, ça ne guérit rien. Je pense qu'il faut trouver une solution qui se situerait entre la science et les apiculteurs et ne pas impliquer immédiatement les fabricants de pesticides. Nous avons d'ailleurs entendu un professeur de Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, qui nous a fait un excellent exposé à ce sujet. Je pense que la solution réside entre vous et la science.

Je reviens aux ours noirs. Il faut se rappeler que l'ours noir dispose de quatre mois dans l'année pour se nourrir, pour s'engraisser. Si on place des clôtures électriques autour des champs de bleuets, on lui enlève son pain quotidien et le tuer n'est pas nécessairement la bonne solution.

Je viens du Nord du Québec, et je peux vous dire que les ours noirs ne vivent que de petits fruits. Il y a des injustices vis-à-vis les producteurs d'abeilles, mais il y a aussi des injustices vis-à-vis les pêcheurs. Par exemple, si je pêche dans une rivière à saumon et qu'à quelques dizaines de mètres de moi il y a un ours noir qui prend le saumon, il le mange. Moi si je le prends, je dois le remettre à l'eau. Il y a donc une injustice.

Le président : Quelle est votre question, sénateur Maltais?

Le sénateur Maltais : On dit vouloir conserver nos cultures de bleuets, mais il faut aussi conserver nos ours noirs. Ma question est la suivante. Est-ce que vous seriez d'accord que les producteurs de chaque province, en collaboration avec les centres de recherche du Canada, travaillent à trouver une solution qui ne détruira pas d'autres choses autour? C'est une question très simple.

Le président : Monsieur Vautour, je crois que la question s'adresse à vous.

[Traduction]

M. Vautour : Je ne veux pas voler la vedette à Mike, mais je suis également apiculteur de troisième génération. Ma grand-mère gardait les abeilles lorsque mon grand-père n'était pas là; elle les gardait en vie, et assurait la survie de la famille. Je ne l'ai pas su avant sa mort. Je n'ai rien appris de mes ancêtres.

En ce qui a trait aux pesticides, il y a environ 10 ans, au milieu de mon parcours d'apiculteur — j'ai tué beaucoup d'abeilles en raison de mon manque de connaissances, ou peu importe; l'apiculture est une entreprise complexe. C'est un art. Les scientifiques ont un rôle à jouer, mais l'apiculture est un art, comme l'a expliqué Paul. Il a dû apprendre à faire hiverner les abeilles, tout comme moi.

Pour ce qui est des ours noirs, je disais à la blague qu'ils doivent eux aussi gagner leur vie. J'ai toutefois perdu 26 des 28 ruches de l'un de mes ruchers, ce qui m'a fait prendre conscience de la nécessité de faire les choses autrement. Nous utilisons maintenant des clôtures électriques, qui ne font pas trop mal aux ours, mais ma femme s'y est accidentellement appuyée une fois et a failli perdre connaissance. Je me suis mis à rire, et elle a menacé de me divorcer sur-le-champ. La clôture donne toute une décharge, mais elle ne blesse pas vraiment l'animal. Elle est efficace. Je n'ai pas perdu une seule ruche l'année dernière, alors que j'en perdais au moins une dizaine chaque année, et je ne suis qu'un petit producteur.

En ce qui a trait à l'hivernage, j'ai recours à une tactique un peu différente. Je n'utilise pas autant de produits chimiques qu'avant. J'utilise beaucoup l'acide formique. Je sais que Paul l'utilisait moins; je ne sais pas s'il y est revenu ou non.

Je mets à l'essai une stratégie d'hivernage actuellement; rien de scientifique, puisque je suis seulement un praticien. L'hiver dernier, j'ai laissé un certain nombre de ruches à l'extérieur, sans y toucher. Ce sera la loi du plus fort. Si Darwin a raison, les abeilles qui survivront me permettront, je l'espère, de créer de nouveaux stocks d'abeilles. C'est la même chose pour le problème de la loque américaine. Certaines abeilles ont la capacité génétique de régler le problème d'elles-mêmes. On peut utiliser des produits chimiques ou injecter des antibiotiques dans les ruches pour un traitement prophylactique au printemps, ce qui préviendra l'apparition de la loque américaine. La larve est vulnérable à la loque pendant trois ou quatre jours seulement au cours de son cycle de vie. Après l'éclosion de l'œuf pondu par la reine, la loque américaine a trois jours pour attaquer la larve.

La reine pond d'abord une petite couvée, puis elle en pond 1 500 à 2 000 par jour. C'est lorsque les œufs éclosent qu'ils sont les plus vulnérables à la loque américaine. Le recours au traitement prophylactique au printemps nous permet de sauver ces jeunes abeilles; la ruche devient donc suffisamment forte pour régler le problème. Certaines abeilles ont la capacité génétique de savoir que les larves se font tuer par la loque américaine; elles les retirent donc de la ruche avant qu'il y ait apparition de spores.

Il est donc possible de lutter contre les risques sans avoir recours à de lourds produits chimiques.

M. Kittilsen : Je tiens à rassurer le sénateur : nous utilisons seulement les clôtures pour protéger la santé de nos abeilles. Les abeilles fécondent beaucoup de bleuets sauvages que les ours mangent dans les bois, et je crois qu'ils se portent très bien, merci.

M. Paradis : La situation est la même en Alberta, c'est pourquoi nous avons beaucoup de clôtures. Nous prenons soin de nos ours, et nous les nourrissons.

Pour revenir à un commentaire, il n'est pas aussi facile qu'on le croirait de trouver une façon d'éliminer les acariens. Les chercheurs tentent de développer un vaccin contre le sida depuis bien plus longtemps, et ils n'ont toujours pas réussi à éradiquer la maladie. Je ne crois pas que l'on puisse éradiquer ce que la nature a créé. On peut le contrôler et s'y adapter, mais on ne peut l'éliminer.

Paul a parlé de l'acide formique. J'aimerais revenir à la période avant 1988; en 1986 environ, on nous interdisait d'utiliser un produit appelé phénol, ou acide carbolique. On mettait le produit sur un couvercle, au-dessus de la ruche, et il éloignait les abeilles des boîtes de miel et des ruches. On pouvait alors sortir les boîtes, sans les abeilles. On utilisait cette méthode quatre ou cinq fois par année dans chaque ruche, tout comme on le faisait aux États-Unis et presque partout ailleurs dans le monde.

Soudainement, en quelques années seulement, le monde a décidé qu'on n'utiliserait plus le phénol parce qu'il s'agit d'un cousin de l'acide formique, mais qui est fabriqué par l'homme. On a quelque peu abusé de ce produit, et on en trouvait des résidus dans le miel. On a donc décidé de l'interdire.

Je disais que j'avais ma propre idée quant à l'apparition des acariens. On utilisait ce produit pour éliminer les acariens bien avant de savoir qu'ils s'attaquaient aux ruches. C'est une relation symbiotique qui existe depuis un million d'années, d'une manière ou d'une autre. Rien de tout cela n'est nouveau; nous avons toutefois aujourd'hui les outils et les connaissances nécessaires pour savoir ce qui se passe et mieux comprendre la situation.

Le sénateur Ogilvie : Merci, messieurs. Je dois vous dire que je trouve la séance d'aujourd'hui fascinante. Je suis issu d'un milieu rural de la Nouvelle-Écosse et j'ai toujours admiré la logique pratique des habitants des régions rurales et leur capacité d'observer la situation telle qu'elle est. Vous avez fait des commentaires très réfléchis, fondés sur de réelles observations.

J'aimerais faire un bref commentaire au sujet du phénol et de l'acide formique. Ce sont deux composés dangereux dont la structure chimique et la composition sont assez différentes. Nous avons appris à utiliser le phénol avec beaucoup de précautions.

Vous avez parlé de sujets importants aujourd'hui; je n'aurai pas le temps de poser toutes mes questions. Je vais donc m'en tenir à quelques courtes questions, à titre d'information.

Monsieur Paradis, vous l'avez déjà dit, mais je ne m'en souviens plus : de combien de ruches vous occupez-vous chaque année?

M. Paradis : Nous tentons d'entretenir 3 500 colonies, mais nous avons suffisamment d'équipement pour 6 000.

Le sénateur Ogilvie : Et vous êtes disposé à en féconder environ 250 pour les ours?

M. Paradis : Tous les printemps, nous essayons d'atteindre ce chiffre magique, mais nous essayons d'éviter les pertes en réservant 2 000 nucléus pour l'année suivante.

Le sénateur Ogilvie : Je cherchais seulement à connaître le pourcentage approximatif investi pour tenir compte des ours.

Monsieur Vautour, d'autres témoins nous ont dit qu'il y avait une grande quantité de terres inutilisées ou sous- utilisées qui pourraient faire des zones d'alimentation formidables pour les abeilles. Des accotements et d'autres terrains naturels ont été entretenus à l'échelle du pays par des apiculteurs et des producteurs, surtout en Alberta. La perte d'une grande quantité de terrains non aménagés est perçue comme un problème. J'ai l'impression qu'il s'agit d'une belle occasion à saisir, car l'entretien des bords de route est un processus très coûteux, comparativement à un abandon pur et simple, du moins, dans les zones sauvages. Il serait logique que les apiculteurs et les provinces envisagent d'ensemencer délibérément ces zones avec des espèces de taille raisonnable, mais capables de se propager pour couvrir beaucoup de terrain, afin de constituer un garde-manger intéressant pour les abeilles et d'autres petits animaux. Cette démarche pourrait être l'un des éléments d'une stratégie à long terme.

M. Vautour : Nous y travaillons.

M. Paradis : Imaginez la quantité de routes qu'il y a en Nouvelle-Écosse. Et que dire de la quantité de concessions de champs de pétrole en Alberta.

Le sénateur Ogilvie : Oui. Je pense que cette option est très sensée.

J'ai une question à poser sur un sujet qui m'intéresse. En réalité, nous ne pouvons pas limiter nos discussions aux seuls agissements de la nature, car dès que vous commencez à récolter à des fins commerciales, vous n'avez plus affaire à cette bonne vieille dame nature dans son sens le plus pur. Il faut recourir à des interventions qui ont été mûrement réfléchies et étudiées de près. Au final, c'est l'expérience qui montrera quelle est la meilleure marche à suivre.

Nous savons qu'il y a une grande variété de pollinisateurs et d'abeilles dans la nature, et pas seulement les abeilles domestiques et les bourdons. À l'heure actuelle, on voit de plus en plus de grands quincailliers — j'y ai porté attention, ou je m'en suis aperçu à cause de l'étude — vendre des ruches pour abeilles sauvages à des personnes qui sont, disons, de parfaits amateurs. On choisit sa ruche parmi les deux ou trois différents types qui sont offerts. L'idée est de suspendre la ruche du côté est ou sud de son bâtiment, dans un arbre ou ailleurs dans son jardin et de se constituer sa propre petite colonie sauvage. Je crois que c'est un peu comme installer des mangeoires à oiseaux sur sa propriété.

L'apiculteur professionnel s'occupe d'une espèce animale qui ne se cantonne pas à la cour de la ferme, comme le ferait une vache. C'est une espèce qui se mêle à tous les autres pollinisateurs sauvages qui sont dans la nature. Y a-t-il un risque que ces essaims de pollinisateurs sauvages constitués par des amateurs deviennent un problème pour les producteurs comme vous, notamment en ce qui a trait au développement de nouvelles maladies?

M. Vautour : Non. J'ai, moi aussi, porté attention à ce nouveau phénomène. Je me décris comme un observateur sérieux et j'ai fait beaucoup de travail à titre bénévole. J'ai déjà remplacé l'inspecteur en chef de la province pendant une année. Nous étions un groupe de bénévoles qui arpentaient la province pour inspecter les ruches. J'étais l'inspecteur en chef et j'ai fait un grand nombre d'exposés sur le sujet. J'ai aussi examiné ces gadgets, et l'espèce qui a retenu mon attention était l'osmie bleue des vergers. J'ai fait quelques exposés là-dessus pour divers clubs de jardinage et d'autres organismes semblables.

Je ne crois pas qu'il y aura de conflit. Il s'agit d'une espèce complètement différente. Ces abeilles sont presque des abeilles solitaires. À part les guêpes, les frelons et les bourdons, la plupart des autres espèces d'abeilles sont solitaires. Elles ne construisent pas de nids. Ce ne sont pas des insectes sociaux. Elles font toutes seules leur propre affaire.

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais les osmies bleues des vergers font leurs nids dans les petits trous que les coléoptères creusent dans le bois pourri; elles se logent dans ces trous et les remplissent de boue. C'est pourquoi on les appelle aussi abeilles maçonnes. Ce sont des abeilles qui ne vivent pas en colonies; alors, elles n'interagissent pas vraiment avec les nôtres.

M. Kittilsen : Je suis d'accord avec le sénateur Ogilvie pour dire qu'il faut faire en sorte que certaines zones soient ensemencées à l'échelle du pays dans le but de nourrir les abeilles. J'ai un exemple. Nous avons travaillé avec une société minière de la Nouvelle-Écosse. Nous avons posté nos abeilles aux abords de leur carrière, et l'entreprise a modifié le mélange de graines qu'elle utilise sur ses déchets miniers. C'est une initiative qui semble bien fonctionner. Quoi qu'il en soit, les abeilles semblent s'y plaire.

De plus, j'ai participé cet hiver à une réunion de l'American Beekeeping Federation, dans le Sud des États-Unis, où l'on a discuté du bien-fondé de parler au gouvernement pour l'inciter à travailler en ce sens, soit à planter du fourrage pour les abeilles dans les zones qui s'y prêtent.

M. Vautour : En fait, c'est ce qu'on a fait dans le Midwest des États-Unis, car la majorité des abeilles passent l'hiver dans les deux Dakota. Le gouvernement américain a lancé un projet d'ensemencement à cette fin. Je ne me souviens pas de l'ampleur exacte du projet, mais je sais qu'il s'agit de millions de dollars.

Le sénateur Mockler sera du reste heureux d'apprendre qu'au Nouveau-Brunswick, on a planté du lotier corniculé aux alentours des mines Minto désaffectées pour réhabiliter ces zones perdues qui n'avaient plus aucune valeur. Le principal objectif était de fournir de la nourriture aux abeilles. Le gouvernement est venu nous demander si nous serions intéressés de mettre des abeilles là-bas. Nous avons sauté sur l'occasion, mais c'est un apiculteur qui a décroché le contrat. Malheureusement, il a échoué deux ans plus tard, peut-être parce qu'il manquait d'expérience.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup à nos trois témoins. Mes questions vont s'adresser à M. Kittilsen. À la grandeur des Maritimes, j'ai entendu dire qu'une étude avait été réalisée concernant l'interaction des pesticides et l'infestation des abeilles. L'étude concernait entre autres le varroa et le noséma.

Pouvez-vous me dire quelles ont été les conclusions de cette étude et si une étude pancanadienne s'est faite dans le même sens?

[Traduction]

M. Kittilsen : Je présume que vous faites allusion à l'étude sur le protozoaire Nosema apis.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Oui.

[Traduction]

M. Kittilsen : Je ne sais pas si cela s'est fait partout au Canada. Dans notre province, c'est un étudiant à la maîtrise — qui est maintenant titulaire d'un doctorat et qui travaille en Suisse, je crois — qui s'en est occupé. L'étude a montré que l'une des causes de maladie chez les abeilles, Nosema apis et, maintenant, Nosema ceranae, survient à différentes époques de l'année. Il s'agit d'une maladie plutôt topique qui sévit surtout durant la saison estivale. Nous disposons d'un remède efficace contre ces protozoaires.

[Français]

Le sénateur Dagenais : L'étude est-elle pancanadienne? Parce que j'ai cru comprendre qu'une étude avait été faite dans les Maritimes.

Monsieur Paradis, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Traduction]

M. Paradis : Cette étude ne s'étend pas encore à l'ensemble du Canada. Certaines provinces le font. Beaverlodge y participe depuis un moment. J'y participe, et ce, depuis 2002, soit dès la découverte des premiers cas d'infection par Nosema ceranae en Alberta.

Il est intéressant de souligner que la majorité des cas antérieurs à 2002 où l'on croyait le protozoaire Nosema apis en cause — du moins, c'est ce que je crois, il faudra vérifier auprès de M. Pernal — étaient en fait attribuables à l'infection par Nosema ceranae. Au microscope, les deux organismes ont des formes différentes, mais tellement proches qu'un œil non averti ne pourrait faire la différence. La seule façon infaillible de les différencier est de procéder à une analyse d'ADN, ce qui demande beaucoup de temps et d'argent.

[Français]

Le sénateur Rivard : Au cours des dernières semaines, des témoins ont comparu au comité et nous ont dit qu'il existait une assurance mortalité hivernale des ruches et que cette assurance était disponible pour les producteurs de l'Alberta, du Manitoba et de la Saskatchewan.

Nous avons la chance aujourd'hui d'avoir un producteur de l'Alberta. Monsieur Paradis, est-ce que cette assurance mortalité hivernale vous intéresse? Est-ce que vous en prenez avantage? Et si non, pourquoi?

[Traduction]

M. Paradis : J'y ai souscrit pendant deux ans, mais elle ne fonctionne pas. La raison, c'est qu'on vient inspecter les abeilles une première fois au printemps au moment où les gens sont en train de déballer leurs ruches ou, dans mon cas, au moment où je suis à les examiner après l'hivernage, mais les pertes attribuables à l'hiver n'arrêtent pas à ce moment précis.

Ces deux derniers jours, lundi et mardi, j'ai examiné certaines des abeilles que j'ai dans mon atelier. Nous en avons examiné bien au-dessus de 1 000. La moyenne jusqu'ici est de 14 p. 100. Selon mon expérience, ce chiffre va doubler d'ici le mois de mai, c'est-à-dire jusqu'au moment où l'on commencera à récupérer nos pertes.

La première inspection ne devrait pas se faire au moment où nous passons nos ruches en revue pour évaluer nos pertes. Le chiffre retenu devrait être fixé juste avant que nous commencions à remonter la pente, puisque la population continuera de diminuer jusqu'à cet instant. À partir de là, nos abeilles seront assez fortes pour compenser nos pertes. C'est à cet instant que nous pouvons constater toute l'ampleur de nos pertes hivernales, et non au moment des évaluations.

[Français]

Le sénateur Rivard : Cette assurance est-elle offerte par une compagnie privée, une coopérative ou par le gouvernement de l'Alberta?

[Traduction]

M. Paradis : C'est une assurance administrée par le gouvernement. Les assurances de l'Alberta et du Manitoba fonctionnent en symbiose.

[Français]

Le sénateur Rivard : Je vais maintenant m'adresser aux représentants de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau- Brunswick. Cette assurance n'est pas offerte chez vous, mais est-ce que vous y verriez un avantage?

M. Vautour : La production au Nouveau-Brunswick est un peu trop limitée pour cela. Il y a peut-être deux apiculteurs qui gagnent leur vie avec la production de miel.

[Traduction]

Je veux dire dont c'est la seule source de revenus. Il n'y en a que deux.

Nous comptons sur le Programme Agri-stabilité d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, mais le problème avec ce programme, c'est qu'il agit avec 18 mois de décalage. Il nous faut donc emprunter pour compenser nos pertes et attendre que l'argent d'Agri-stabilité arrive, mais il y a toujours des retards. Si cet aspect pouvait être corrigé, nous en serions heureux.

M. Kittilsen : Je crois que la Nouvelle-Écosse pourrait bénéficier d'un tel programme, mais il n'y en a pas à l'heure actuelle. Le programme d'assurance-récolte de la Nouvelle-Écosse offre une indemnisation pour les dommages causés par la faune à condition que les abeilles soient clôturées de façon appropriée. Si un ours parvient à franchir cette barrière, nous recevons une indemnisation, et c'est une aide des plus utiles.

Nos ruchers sont installés à environ une heure de route de notre propriété centrale. Il est donc difficile de les surveiller tous. Nous tentons de gérer environ 60 à 65 différents sites, alors n'importe quel programme peut être utile pour un apiculteur. À la fin de la journée, nous devons avoir fait tant d'argent par ruche, alors comment nous y arrivons...

M. Vautour : Nous avons eu l'occasion de nous pencher sur la question au Nouveau-Brunswick, mais l'assurance y était hors de prix. Nous ne pouvions nous permettre d'y souscrire, mais nous avons bel et bien envisagé cette option dans cette province.

M. Paradis : Peut-être que la solution appropriée serait une assurance qui couvrirait toute la ruche et qui tiendrait compte des dommages causés par les ours, les moufettes, les ratons laveurs et l'hivernage — bref, de tout. Une ruche vaut 250 $; en cas de perte, vous nous aidez à assumer ce coût.

[Français]

Le sénateur Rivard : Est-ce que le Canada est autosuffisant? Est-ce que la production suffit à couvrir les besoins du marché canadien ou s'il faut importer le miel? Est-ce que la production annuelle de miel est suffisante pour l'exportation?

[Traduction]

M. Vautour : Nous ne sommes pas autosuffisants en miel. Nous devons en importer — je ne me souviens pas des chiffres, mais Agriculture et Agroalimentaire Canada produit un rapport mensuel sur nos importations et nos exportations. Nous sommes très loin d'être autosuffisants.

Nous faisons un peu d'exportation. Je crois que les États-Unis sont notre principal client, mais nous en importons tellement plus de l'Argentine et de Dieu sait où. Je ne suis pas dans le secteur du miel, mais bien dans celui de la pollinisation.

M. Paradis : J'exporte la majeure partie de ma récolte — 80 p. 100 — aux États-Unis ou à l'étranger.

Je ne crois pas que nous devrions nous préoccuper de nos importations; nous n'en sommes pas encore là. L'Alberta produit assez de miel pour approvisionner tout le Canada, mais la majeure partie est exportée aux États-Unis. Le gros du miel produit en Ontario et au Québec est vendu localement pour répondre à des marchés à créneaux. Alors, je ne dirais pas que l'importation de miel est un problème particulièrement important à l'heure actuelle. Je soutiendrais néanmoins que nous risquons effectivement d'avoir un problème d'ici 10 ans si nous persistons sur la voie actuelle dans le domaine de l'apiculture.

[Français]

Le sénateur Rivard : Sur le plan des exploitations américaines, grâce à l'ALENA, il n'y a pas de barrières qui vous empêchent d'exporter aux États-Unis. Est-ce exact?

[Traduction]

M. Paradis : Oui, il y a une redevance d'un cent la livre pour tout le miel qui entre aux États-Unis. Il y a des tonnes de formulaires à remplir. C'est la même chose lorsque nous envoyons notre miel à l'étranger, en Europe ou en Asie. Il y a des freins et des contrepoids à cette fin.

La sénatrice Eaton : Messieurs, savez-vous s'il y a des croisements qui sont faits au Canada afin de créer une abeille qui résisterait mieux à nos hivers?

M. Paradis : Il y a 30 ans, il y avait un programme dans le nord de l'Alberta, au centre national de recherche de Beaverlodge. Le programme — l'Alberta Bee Project — était dirigé par un boursier, M. Tibor Szabo, qui est maintenant à Guelph, en Ontario. À l'époque, la somme investie dans le projet dépassait largement 1 million de dollars. On est venu chercher des ruches dans notre groupe et dans environ 25 autres groupes, puis on a choisi les meilleures abeilles afin de les croiser entre elles. Le projet qui se voulait permanent vendait des reines et des ressources génétiques et il a duré environ 10 ans. Puis, il a été confié au collège Fairview aux fins de conservation. Mais le collège Fairview a supprimé son programme d'apiculture et a procédé à un encan. Et c'est moi qui ai racheté le projet. Alors oui, pour répondre à votre question, il y a des ressources génétiques qui vont dans ce sens.

En Saskatchewan, il y a un projet qui vise à produire une abeille nordique, mais le problème avec ces abeilles — y compris les miennes —, c'est de trouver comment les livrer aux consommateurs en temps opportun. Pour pouvoir récolter du miel en fin de saison, nous avons tous besoin de nos reines en mars et en avril.

La sénatrice Eaton : Je ne comprends pas tout à fait.

M. Paradis : Il nous faut nos reines à cette période de l'année. Il n'y a aucun moyen d'élever des reines au Canada à temps pour répondre à la demande de cette période de l'année.

La sénatrice Eaton : En d'autres mots, vous vous servez de vos abeilles pour produire du miel, mais il n'existe aucun programme pour sélectionner et croiser les abeilles les plus robustes et tenter de produire une espèce plus résistante, c'est exact?

M. Paradis : Ce sont les producteurs eux-mêmes qui essaient de le faire, car personne ne le fait pour nous sur le plan commercial.

Nous avons bien fait des démarches il y a cinq ans et nous avons envoyé des reines à deux sélectionneurs de reines des États-Unis pour qu'ils renvoient les ressources génétiques résultantes au Canada. Mais la quantité de formulaires à remplir est beaucoup trop imposante; jamais on ne m'y reprendra.

Comprenez-vous ce que j'essaie de dire? Pour que ce stock nous revienne en temps opportun, nous devons l'envoyer à un endroit beaucoup plus chaud que le Canada.

La sénatrice Eaton : Recommanderiez-vous qu'une université comme celle de Guelph ou une université du Manitoba ou de la Saskatchewan reprenne le programme d'élevage d'abeilles d'hiver de manière à améliorer l'offre d'abeilles robustes?

M. Paradis : Non, ce n'est pas du tout ce que je propose. L'argent serait mieux investi s'il servait à acheter une île tropicale où nous pourrions les croiser avant de les ramener au pays.

Le président : Nous allons laisser la parole au sénateur Mercer, mais d'abord, je crois que M. Vautour veut faire une observation.

M. Vautour : Mon approche est plutôt celle d'un amateur que d'un savant. Mais c'est ce que j'essaie de faire moi- même en me servant de mes ruches les plus résistantes, celles où les abeilles ont hiverné sans aucun appui et je les trouve. Au printemps, elles sont en pleine effervescence. Je ferai de la reproduction à partir de cette reine.

Je ne suis pas sûr que vous ayez compris les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas avoir nos propres abeilles au début du printemps. Malheureusement, les pauvres faux-bourdons sont rejetés de la ruche à l'automne. Les faux- bourdons sont des abeilles mâles.

Nous pouvons élever des abeilles, mais nous ne pouvons pas les faire se reproduire assez tôt dans la saison au Canada, parce qu'il n'y a pas de faux-bourdon. Les faux-bourdons n'arrivent que plus tard, lorsque le temps se réchauffe.

La sénatrice Eaton : Ne pourriez-vous pas attendre que les faux-bourdons arrivent et se reproduisent, et vous aviez une entreprise d'élevage...

M. Vautour : C'est problématique, car lorsque les reines quittent la ruche pour effectuer leur vol nuptial, elles vont dans une zone où se rassemblent les faux-bourdons, qui les attendent. Elles s'accoupleront avec une vingtaine d'entre eux et nous ne connaissons pas la race du faux-bourdon. Ainsi, les gènes seront encore mélangés, à moins que vous ne les inséminiez artificiellement, ce qui n'est pas du tout recommandé. Pourtant, cela se fait aux États-Unis et on pourrait probablement le faire dans des universités, mais pour la production de masse, je ne sais pas si ça marcherait.

M. Kittilsen : Je suis d'accord, je pense que l'élevage est une solution possible et éprouvée. On peut améliorer les gènes des abeilles, mais lorsque le varroa arrive, les gènes n'ont plus d'importance, qu'il s'agisse d'une abeille d'hiver ou d'une abeille d'été.

La sénatrice Eaton : Non, mais si l'on pouvait se débarrasser d'un problème, celui de l'hivernage.

M. Kittilsen : Ce serait utile. On l'a fait avec un certain succès en Nouvelle-Écosse. Un éleveur a tenu des dossiers depuis le début des années 1970. Il a réussi à avoir une lignée d'abeilles stable et de bonne qualité pour la Nouvelle- Écosse, mais il ne peut les faire s'accoupler qu'en juillet. Nous en aurions besoin en avril et en mai.

Le sénateur Mercer : Monsieur Kittilsen, dans votre exposé, vous avez parlé d'un cours sur l'apiculture moderne que Dalhousie a développé, par l'entremise, je suppose, du collège agricole et vous dites que depuis deux ans, un maximum d'étudiants s'y était inscrit. Y a-t-il d'autres programmes de ce genre dans le pays? Nous rehaussons ainsi le niveau de perfectionnement. Et je suppose que cela aide d'autres gens qui travaillent dans ce domaine à ne pas répéter les mêmes fautes.

M. Kittilsen : C'est exact. Il y a un autre programme au collège Fairview. Il était offert dans les années 1980; on l'avait interrompu puis repris. Je suis sûr que M. Paradis le connaît.

Un jeune homme avait travaillé pour nous deux ou trois ans, pour ensuite décider d'ouvrir sa propre entreprise d'apiculture. Mais il avait du mal à trouver du financement. Le crédit agricole provincial et les banques hésitaient à offrir des prêts à des jeunes, même s'ils avaient d'excellentes attestations de compétences. Il a tout de même réussi à ouvrir sa propre entreprise, malgré les difficultés de financement.

M. Paradis : Il y a environ cinq ans, nous avons repris le programme de formation en apiculture commerciale au collège Fairview. Les campus fonctionnent en symbiose.

Au moment de la reprise du programme, nous étions en pourparlers concernant le maintien de la station expérimentale de Beaverlodge, que nous souhaitions porter à un autre niveau.

Nous avons maintenant un programme d'apiculture commerciale au collège de Fairview, mais nous avons aussi le centre national de diagnostic en apiculture, qui se trouve à Beaverlodge et qu'il faut voir. Il dispose de tous les outils et gadgets nécessaires pour tester les abeilles domestiques de toutes sortes. On a besoin de quelques autres outils, mais il s'agissait de regrouper en un seul endroit tous les étudiants et travailleurs. La nouvelle génération qui sort de ce centre connaît bien les outils et programmes mis à disposition.

Comme l'a dit Paul, le financement est un vrai défi. Si vous possédez un quart de section en Alberta, vous pouvez le financer pendant 35 ans et ne payer que les intérêts. Mais on ne peut pas le faire en apiculture. Il faut que la dette soit payée en dix ans.

[Français]

Le sénateur Maltais : Les abeilles dont on parle ont été importées d'Afrique, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Vautour : Je peux vous le dire, la grande menace dont tout le monde est conscient au Canada, c'est l'importation d'abeilles africanisées, que l'on trouve déjà dans le Sud des États-Unis.

Je ne sais pas si on vous a parlé de l'expérience qu'a vécue l'Amérique du Sud, où elles sont arrivées pour la première fois. Je pense que c'était au Brésil. Les abeilles ont été relâchées mais n'ont pas pu survivre au sud du 30e parallèle, ce qui veut dire qu'elles ne pourraient pas survivre, disons, au nord du Texas ou dans des régions semblables.

Ces abeilles ont des caractéristiques qui leur sont propres. Lorsqu'elles forment un essaim, qui est leur mode de reproduction, elles essaiment tellement souvent qu'elles ne peuvent stocker suffisamment de miel pour survivre à l'hiver. Voilà pourquoi ces abeilles ne peuvent survivre dans notre région. Peut-être que le matériel génétique pourrait se combiner.

Ces abeilles défendent farouchement leur ruche. Ce serait la plus grave menace pour nos apiculteurs, l'arrivée de cette abeille tueuse.

Dans les pays où il y a des abeilles africanisées, les gens apprennent à vivre avec. Ils recueillent leur miel et travaillent avec ces abeilles.

C'est l'une des menaces que nous envisageons. Nous ne voudrions pas que les médias en fassent tout un plat, mais il y a déjà des abeilles africanisées en Floride. Cela n'empêche pas les Québécois et les gens des Maritimes de s'y rendre chaque année. Ils n'ont donc pas vraiment peur de ces abeilles.

Excusez-moi, j'ai changé de sujet.

[Français]

Le sénateur Maltais : Il y a 600 ans environ, en Amérique, il y avait quand même de la pollinisation? Qu'est-ce qui assurait la pollinisation des fleurs, des bleuets et des framboises? On n'avait quand même pas ces abeilles africaines et aucun Blanc n'avait encore mis le pied en Amérique.

[Traduction]

M. Vautour : Oui, mais en raison des populations qui sont les nôtres aujourd'hui, nous avons des monocultures et la pollinisation est un impératif. Il n'y a plus d'abeilles sauvages.

À propos, les abeilles ont été importées d'Europe. Il n'y en avait pas ici. Il y a des centaines d'années, les exploitations agricoles étaient toutefois modestes et mixtes, et on n'avait pas vraiment besoin de pollinisation ou bien les abeilles sauvages s'en chargeaient.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ces abeilles sont infectées, mais il reste encore quelques abeilles sauvages.

M. Vautour : Oui.

Le sénateur Maltais : Est-ce qu'elles sont infectées?

M. Vautour : Semble-t-il que oui.

[Traduction]

À ce que je sache, les pollinisateurs sauvages sont en voie de disparition et c'est un problème. Certes, on mène des études à ce sujet. On pense que les cultures uniques doivent avoir des centaines, des milliers ou peut-être des millions d'abeilles pour mener à bien la pollinisation. Je ne me souviens pas des chiffres cités pour les champs d'amandiers en Californie, mais je crois savoir qu'on y fait venir 2 millions de ruches pour la pollinisation.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je ne parlerai pas de la Californie, de l'Afrique ou du Brésil. Au Canada, il y avait quand même quelqu'un qui assurait la pollinisation des fleurs avant l'arrivée des Blancs. Il n'y avait pas que les ours qui mangeaient les bleuets, d'autres espèces en mangeaient aussi.

Mais ces abeilles qu'on appellera entre guillemets « indigènes », est-ce qu'elles sont infectées au même titre que les abeilles importées de la Nouvelle-Zélande, de la Floride, de la Californie, du Brésil, du Mexique, du Guatemala et d'ailleurs?

[Traduction]

M. Kittilsen : Là où veut en venir M. Vautour, c'est que nous avons aujourd'hui une monoculture que l'on vaporise d'insecticides qui font fuir les pollinisateurs indigènes. Ces pollinisateurs ne sont donc plus là pour s'occuper des champs de bleuets. Nous avons intensifié la gestion de ces champs de bleuets au point que nous avons aujourd'hui de nombreux millions et peut-être même cent millions de fleurs par acre, ce qui exige un grand nombre d'abeilles domestiques pour la pollinisation.

[Français]

Le sénateur Maltais : Et s'il n'y avait jamais eu de pesticides au Canada, de Victoria à St. John, est-ce que les abeilles seraient quand même en mauvaise santé?

[Traduction]

M. Kittilsen : Probablement pas, mais l'être humain fait ce qu'il peut.

M. Paradis : Je crois comprendre l'inquiétude du sénateur, qui craint la disparition de nos pollinisateurs indigènes, n'est-ce pas?

La réponse à cette question est simple. Effectivement, les pollinisateurs disparaissent en raison des pesticides et de la façon dont nous traitons les terres. Lorsqu'on en arrive à ne semer que du canola ou n'avoir que des cultures de bleuets, l'alimentation n'est plus aussi variée pour les abeilles ou pour les pollinisateurs naturels.

Si vous limitez votre régime au hamburger de McDonald's, vous n'allez pas survivre très longtemps. On a besoin de variété. Si vous venez dans ma région et que, debout au-dessus d'une ruche, vous regardez à l'est, à l'ouest, au nord et au sud, tout ce que vous verrez c'est du jaune à perte de vue, c'est-à-dire rien d'autre que des fleurs de canola pour nos abeilles et les quelques pollinisateurs naturels qui restent. Si vous ajoutez à cela le matériel de vaporisation et les néonicotinoïdes, les pollinisateurs naturels disparaissent. On ne peut pas les déplacer, mais on peut déplacer nos ruches.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur le président, c'est ce que je voulais entendre et enfin, quelqu'un a eu le courage de le dire. Merci, messieurs.

[Traduction]

La sénatrice Buth : Chaque témoin à sa propre opinion et il y a des experts dans divers domaines. Nous avons notamment entendu un chercheur de l'Université de la Saskatchewan dont toute l'étude portait sur les abeilles indigènes. Il faisait remarquer qu'il y a dans tout le pays une grande variété d'espèces d'abeilles indigènes. Et dans l'un de ses tableaux, on pouvait voir que les provinces des Prairies ont une grande diversité de pollinisateurs indigènes.

Je tenais à faire cette précision car on a dit, me semble-t-il, qu'il n'y avait pas d'abeilles indigènes, ce qui est faux. Certes, elles sont menacées, certes, il y a les pesticides et certes, il y a une perte d'habitat et je comprends très bien les commentaires de M. Paradis. Les pratiques agricoles modernes sont en cause, mais ce n'est pas pour autant qu'on va les supprimer du jour au lendemain. En fait, il n'y aurait pas d'abeilles domestiques sans les pratiques agricoles modernes et les cultures qui nous permettent essentiellement d'avoir du miel et de procéder à la pollinisation.

Je voulais faire cet éclaircissement. Les témoins ont chacun leur domaine de compétence particulier et nous avons entendu le point de vue d'un spécialiste des pollinisateurs indigènes.

Le président : C'est une excellente observation, madame.

Avant de lever la séance, j'aimerais dire à nos trois témoins que depuis le début de notre étude, nous avons entendu des scientifiques, des universitaires et de nombreux intervenants de l'industrie ainsi que des représentants de compagnies qui fabriquent de l'équipement. On nous a également parlé des techniques exemplaires de gestion des terres et des sols. Et je dois dire que vous nous avez tous trois impressionnés. Nous vous en remercions beaucoup.

J'ai une question à vous poser avant que vous ne partiez. Vous avez devant vous des dirigeants qui peuvent faire trois recommandations pour améliorer la santé des abeilles. Collectivement et d'après votre expérience, quelles sont les trois recommandations que vous feriez pour améliorer la santé des abeilles au Canada?

M. Vautour : Éduquer les petits apiculteurs dont les pratiques ont une influence sur les grands apiculteurs commerciaux.

Le président : Quelle serait la deuxième recommandation?

M. Kittilsen : Nous devons essayer de lutter contre le varroa par de nouveaux produits, de nouvelles recherches et de nouvelles méthodes de contrôle de cet insecte qui dévaste les colonies d'abeilles.

M. Paradis : Nous devons pouvoir disposer d'abeilles, dans la mesure où leur profil correspond à celui du Canada. Certes, nous ne voulons pas de nouvelle maladie, mais nous ne devrions pas restreindre celles qui existent dans d'autres pays et qui sont semblables à celles que nous avons ici.

Le président : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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