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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 11 - Témoignages du 8 mai 2014


OTTAWA, le jeudi 8 mai 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 32, pour étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je m'appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. Je demanderai aux sénateurs de se présenter, en commençant par le vice-président.

Le sénateur Mercer : Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Merchant : Bonjour. Je suis la sénatrice Pana Merchant, de la Saskatchewan. J'allais ajouter que c'est dans l'Ouest canadien, mais je pense que vous savez où se trouve la Saskatchewan. Merci.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Je suis Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick. Bonjour.

Le sénateur Maltais : Bonjour. Sénateur Maltais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, Québec.

[Traduction]

La sénatrice Buth : JoAnne Buth, du Manitoba.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la baie de Fundy, en Nouvelle-Écosse.

Le président : Le comité poursuit son étude de l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Conformément à l'ordre de renvoi du Sénat du Canada, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts est autorisé à examiner, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada. Le comité est notamment autorisé à étudier les éléments suivants :

[Français]

(a) l'importance des abeilles dans la pollinisation pour la production d'aliments au Canada, notamment des fruits et des légumes, des grains pour l'agriculture, et du miel;

[Traduction]

b) l'état actuel des pollinisateurs, des mégachiles et des abeilles domestiques indigènes au Canada;

c) les facteurs qui influencent la santé des abeilles, y compris les maladies, les parasites et les pesticides, au Canada et dans le monde;

d) les stratégies que peuvent adopter les gouvernements, les producteurs et l'industrie pour assurer la santé des abeilles.

Nous recevons ce matin M. Dennis vanEngelsdorp, professeur adjoint d'entomologie à l'Université du Maryland. Merci d'avoir accepté notre invitation à comparaître par vidéoconférence pour nous faire part de vos opinions et de votre vision sur les questions figurant dans l'ordre de renvoi.

Je vous demanderais de faire votre exposé, Monsieur vanEngelsdorp, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Dennis vanEngelsdorp, professeur adjoint d'entomologie, Université du Maryland : J'aimerais d'abord vous remercier de cette invitation. À titre de Canadien, je suis enchanté de pouvoir vous aider.

Pour le meilleur ou pour le pire, je me trouve maintenant dans une position qui fait que j'étudie la mortalité des abeilles aux États-Unis et dans le monde depuis sept ans. Dans l'exposé d'aujourd'hui, j'aimerais traiter plus particulièrement des facteurs qui, croyons-nous, contribuent à la mortalité des abeilles.

Comme vous le savez, les taux de mortalité des abeilles sont très élevés aux États-Unis. Le même phénomène est observé au Canada et dans le reste du monde également.

Aux États-Unis, on perd une colonie sur trois chaque hiver depuis sept ans. Cet après-midi, je terminerai l'analyse des pertes de cet hiver pour qu'elle soit publiée la semaine prochaine. Il est clair que nous perdons chaque année deux fois plus de colonies que ce que les apiculteurs considèrent normal ou viable. Il nous faut comprendre ce qui cause ces pertes.

Je me suis intéressé très tôt à la question en raison du syndrome d'effondrement des colonies, un phénomène que nous n'avons pas observé aux États-Unis depuis trois ans dans le sens strict du terme, car il se définit par un certain ensemble de conditions que nous ne détectons plus. Il est toutefois évident que les colonies continuent de disparaître à des taux alarmants.

Nous pensons que trois facteurs entrent en jeu ici. Il y a évidemment l'acarien varroa, ainsi que les pesticides, tant ceux que les apiculteurs appliquent dans la ruche que ceux que les agriculteurs répandent dans les champs et que les abeilles ramènent à la ruche. Nous considérons enfin que la mauvaise nutrition joue probablement un rôle dans ces pertes.

Ces facteurs n'agissent pas indépendamment les uns des autres, mais probablement en interaction. Une combinaison de facteurs peuvent intervenir, comme c'est le cas pour la cardiopathie, qui n'est pas causée par un seul facteur, comme la prédisposition génétique ou la mauvaise alimentation. Tous ces facteurs peuvent intervenir ensemble.

J'aimerais parler brièvement de l'acarien varroa, parce que je pense que si nous voulons prioriser les efforts, il faut contrôler cet acarien, qui est le tueur numéro un à l'échelle mondiale. C'est un acarien vampire de grande taille si on le compare aux abeilles. C'est comme si un être de la taille d'une assiette se nourrissait de notre substance. Il transmet également des virus aux abeilles et affaiblit ainsi leur système immunitaire; elles sont donc plus vulnérables aux autres maladies. Comme vous pouvez l'imaginer, on est bien plus vulnérable aux autres problèmes si on est malade et envahi de parasites.

Les apiculteurs eux-mêmes jugent que l'acarien varroa est chaque année la première ou la deuxième cause de mortalité des abeilles au pays depuis cinq ans. C'est un fait notable, particulièrement chez les apiculteurs commerciaux. Selon eux, les deux principales causes sont l'insuccès des reines et l'acarien varroa.

De fait, dans le cadre d'une étude nationale sur les maladies des abeilles réalisée aux États-Unis pour évaluer la situation, nous avons constaté que pendant 3 mois sur 12, les quantités d'acariens sont si élevées que nous pensons même que le traitement n'empêcherait pas les colonies de décliner. De toute évidence, les infestations d'acariens sont hors de contrôle, sans parfois que les apiculteurs le sachent, et les plans de gestion du traitement en place semblent perdre de leur efficacité. Il faut agir de façon bien plus agressive que par le passé.

En outre, les populations d'acariens se comportent de façon inattendue. Habituellement, elles doublent chaque mois. Cela tend à être vrai, mais nous avons maintenant la preuve qu'elles peuvent parfois tripler. Il faut mieux comprendre ces dynamiques.

L'autre problème est évidemment celui des pesticides. Dans le cadre de l'étude nationale sur les abeilles, nous avons effectué une vaste analyse d'échantillons recueillis aux quatre coins du pays et nous avons été étonnés par le nombre de pesticides que nous avons trouvés. En moyenne, nous trouvons cinq pesticides différents par échantillon de pollen. Jamais nous n'avons trouvé d'échantillon exempt de pesticide. On ne s'étonnera pas que les substances que nous trouvons le plus souvent sont des produits servant à lutter contre les acariens varroa, dont les effets néfastes sur les abeilles sont connus. Mais à l'instar de la chimiothérapie, ce n'est pas un traitement qu'on applique parce qu'il est bénéfique pour la santé, mais parce qu'il est moins pire que l'alternative. Les apiculteurs se retrouvent dans une position délicate, car ils doivent tuer un insecte sur un insecte. C'est un problème en soi, et il faut trouver d'autres méthodes pour lutter contre les acariens.

Nous avons également été étonnés de trouver quantité de fongicides dans le pollen. Évidemment, ces produits ne sont pas étiquetés pour en interdire l'application pendant la floraison, comme les insecticides. Les fongicides sont souvent considérés inoffensifs pour les abeilles, et une abeille adulte peut effectivement traverser un nuage de fongicide et sembler en parfaite santé. Mais les preuves tendent de plus en plus à montrer que l'exposition aux fongicides peut avoir des effets sublétaux qui rendent les abeilles beaucoup plus vulnérables aux maladies par la suite. Il faut, selon moi, porter attention aux fongicides.

Il faut également revoir la formulation. Rien ne réglemente les ingrédients inertes dans les pesticides, et il semble que les recherches menées de par le monde démontrent de plus en plus que ces composantes « inertes » pourraient en fait amplifier les effets des insecticides ou être elles-mêmes mortelles. Il faut se pencher sur les ingrédients non homologués qui entrent dans la composition de pesticides.

Je devrais faire remarquer qu'on trouve peu de néonicotinoïdes dans le pollen. C'est peut-être, et même probablement, parce qu'ils sont appliqués en doses et en quantités très faibles, ce qui les rend indétectables. En outre, ces produits se dégradent rapidement à la lumière ultraviolette. On ne devrait pas s'attendre à en trouver s'ils sont exposés au soleil.

Le problème des néonicotinoïdes est grave et préoccupe de nombreux apiculteurs. Les preuves ne manquent pas pour montrer que quand on sème des graines couvertes de néonicotinoïdes, le nuage de poussière qui peut se former et envelopper les pissenlits ou d'autres plantes en fleur où les abeilles peuvent butiner pose un risque grave pour ces dernières. De toute évidence, il faut mettre au point des technologies de semis différentes pour empêcher la formation de ces nuages.

Le problème, c'est que les néonicotinoïdes sont systémiques; ils sont donc absorbés par la plante et se retrouvent non seulement dans les feuilles afin de tuer les chenilles et les autres insectes qui les mangent, mais aussi dans le nectar et le pollen. Les effets de ces produits sur les colonies d'abeilles ne sont pas clairs. Je considère toujours qu'il manque d'informations à ce sujet. Je ne pense pas qu'il existe des preuves probantes indiquant qu'ils ont des effets néfastes ou qu'ils n'ont aucune incidence. Il y a encore beaucoup de travail à faire à cet égard.

Sachez toutefois qu'il a clairement été établi que lorsque des néonicotinoïdes ont été appliqués à des tilleuls d'Amérique en fleurs, des plantes ornementales, donc, un grand nombre de bourdons sont morts. Il y a lieu de se demander s'il convient d'utiliser un produit chimique aussi toxique à des plantes ornementales alors que la sécurité alimentaire ou humaine n'est pas en jeu.

Le dernier problème est la nutrition. Aux États-Unis, les pratiques agricoles ont considérablement changé en raison du prix du maïs et du soya, particulièrement dans le Midwest. C'est dans le Dakota du Nord et du Sud que la plupart des apiculteurs amènent traditionnellement leurs abeilles pendant l'été. Aux États-Unis, la plupart des abeilles se trouvent dans ces États, où elles font le plein de miel et de pollen pour en quelque sorte s'engraisser avant que les apiculteurs ne déplacent leurs colonies en Californie pour la pollinisation des amandes au début de l'année suivante.

Cependant, en raison du prix du maïs et du soya et de la loi fédérale sur la préservation des terres, des millions d'acres autrefois occupées par des prairies propices au butinage ont été labourées pour cultiver le maïs et le soya, même si ces cultures ne sont pas très productives dans ces régions. C'est ainsi qu'a disparu un immense territoire où les abeilles domestiques et sauvages pouvaient s'alimenter.

En conclusion, trois facteurs entrent en jeu. On ne peut ignorer l'acarien varroa, qui constitue clairement un gros problème pour les apiculteurs des États-Unis et, j'imagine, du Canada. Mais si nous pouvions éliminer cet acarien, nous réduirions certainement les pertes, mais des problèmes subsisteraient encore.

Je pense que les pesticides posent un problème, mais nous ne pouvons faire fi de facteurs comme les fongicides et certains produits inertes qui pourraient contribuer au problème. Il nous faut certainement comprendre l'effet des néonicotinoïdes sur abeilles exposées au pollen et au nectar.

Enfin, il y a la nutrition. Nous devons veiller à laisser dans les paysages agricoles et urbains des endroits où les abeilles sauvages et domestiques peuvent butiner.

Le président : Merci beaucoup, monsieur vanEngelsdorp.

Le sénateur Mercer : Je vous remercie beaucoup, monsieur. Je suis toujours heureux de voir qu'un Canadien dirige des recherches à l'étranger et au Canada. Je vous en félicite.

Vous nous avez exposé un certain nombre de problèmes, notamment le syndrome d'effondrement des colonies, les acariens varroa, les pesticides et la nutrition.

Comme j'ai plus de 65 ans et que j'accuse un surplus de poids, la première chose que mon médecin me dit quand je le consulte, c'est de faire attention à la nutrition ou au moins de trouver une façon de prendre moi-même ma santé en main au lieu de venir le voir constamment.

Vous ne vous êtes pas attardé longtemps à la question de la nutrition, même si vous avez parlé des différentes plantes qui se trouvent à proximité des abeilles. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet et nous indiquer ce que les agriculteurs devraient faire pour permettre aux abeilles d'être en meilleure santé et d'avoir une meilleure nutrition?

M. vanEnglesdorp : C'est une excellente remarque. Nous sommes parfaitement conscients que nous ne comprenons pas bien les besoins nutritionnels des colonies d'abeilles. Les apiculteurs américains dépensent certainement une petite fortune pour leurs fournir des protéines et divers nutriments afin de les renforcer. Cette pratique toute nouvelle n'existe que depuis cinq ans.

Nous pouvons toutefois tenter d'incorporer des zones propices au butinage dans le paysage agricole. Selon ce que disent souvent les ONG, le Fonds mondial pour la nature et diverses organisations, il faudrait réserver 10 p. 100 du paysage agricole aux plantes pollinisatrices. J'ignore s'il existe beaucoup de preuves montrant que c'est le pourcentage exact qui convient, mais je pense que c'est un bon point de départ. Nous devrions chercher à réserver 10 p. 100 du paysage à la culture de plantes pollinisatrices. Ce serait bénéfique non seulement pour les abeilles domestiques et sauvages, mais aussi pour les canards et la faune. Les prés fourmillent d'activités. Il s'agit là d'une approche bien pensée pour favoriser l'établissement d'un agrosystème adéquat et sain.

Le sénateur Mercer : Pourriez-vous nous dire de quelles plantes il pourrait s'agir ou est-ce que cela varie d'une région à l'autre?

M. vanEnglesdorp : Cela varie effectivement de région en région. Chaque région sait quelles plantes pollinisatrices lui convient vraiment. On ne s'entend pas pour dire s'il faudrait utiliser uniquement des plantes indigènes ou si on peut en incorporer de nouvelles, mais je pense que c'est une question de sémantique. Habituellement, les plantes bonnes pour les abeilles conviennent aux abeilles sauvages et domestiques, et je crois qu'on peut utiliser les deux.

De plus, les gouvernements fédéraux des États-Unis et du Canada peuvent penser aux autoroutes et aux chemins qui relèvent de leurs compétences. Pourquoi tondre le gazon? Pourquoi ne pas semer des plantes que les abeilles sauvages et domestiques peuvent butiner? Pourquoi ne pas laisser ces terres fédérales habituellement manucurées devenir des prés où butineraient les pollinisateurs?

Le sénateur Mercer : Quand je parcours les routes des États-Unis, je remarque que dans certains États, on plante beaucoup de plantes à fleurs sur le terre-plein central. Est-ce le genre de mesure dont vous parlez qui pourrait être très utile?

M. vanEnglesdorp : Oui. On peut le planifier directement. Au Maryland, les narcisses devaient foisonner il y a quelques temps. On peut aussi créer des prés de plantes indigènes, qu'ils soient très ornementaux ou simplement composés de plantes à fleurs. Ils sont bien plus attrayants que ces tapis verts uniformes.

Le sénateur Mercer : En effet.

Ma dernière question concerne votre observation sur les néonicotinoïdes. Vous avez dit qu'un nuage de poussière se forme quand on procède aux semis. Que pensez-vous des déflecteurs à poussière sur les semoirs? Les jugez-vous efficaces? Nous savons que certains fabricants en installent maintenant sur leur matériel, mais est-ce que cela vaut la peine d'investir pour en faire installer sur les semoirs existants?

M. vanEnglesdorp : Je considère que c'est absolument essentiel de le faire quand on sème. Il faut réduire ces nuages de poussière. L'industrie agricole cherche activement des idées en ce qui concerne non seulement les déflecteurs à poussière, mais aussi des lubrifiants qui permettent de semer les graines sans produire de nuages de poussière.

Souvenez-vous que ces enrobages contiennent suffisamment d'ingrédients actifs pour tuer des dizaines de milliers d'abeilles. Il y aura toujours un certain risque à semer des graines traitées, un risque qu'il nous faut réduire le plus possible. On peut y parvenir en n'utilisant les semences traitées que lorsqu'on en a besoin. Il est très difficile de se procurer des semences non traitées, aux États-Unis, du moins; on ne sème dont que des graines traitées. Il semble qu'en ce qui concerne la santé des abeilles et la viabilité à long terme de ces produits, on ne voit pas plus loin que le bout de son nez.

La sénatrice Buth : Je vous remercie de témoigner aujourd'hui et de nous exposer aussi clairement les problèmes relatifs à la santé des abeilles.

J'ai une question d'ordre technique pour commencer. Vous avez indiqué que vous n'observiez plus le syndrome d'effondrement des colonies, qui constitue un tout autre problème. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce syndrome et pourquoi il ne se manifeste plus?

M. vanEnglesdorp : J'étais là quand nous avons découvert le premier cas de syndrome d'effondrement des colonies. Je travaillais en Pennsylvanie à l'époque. Un apiculteur m'a appelé après avoir constaté que la moitié de ses 3 000 colonies avaient complètement disparu. Pourtant, il ne tarissait pas d'éloges sur ses abeilles en novembre. Il les a installées en Floride, comme il le fait chaque année, et il m'a appelé pour me dire qu'il s'était rendu à son rucher et qu'il n'entendait pas le moindre bruit. C'était comme une ville fantôme. Il s'est mis à quatre pattes pour jeter un coup d'œil à l'intérieur des ruches, et elles étaient vides. Il n'y avait pas d'abeilles mortes; elles étaient toutes parties, ce qui est très inhabituel.

Nous sommes allés prélever des échantillons de ces abeilles et des abeilles voisines, et il était évident que le phénomène se manifestait à de nombreux endroits. Nous avons donc établi une définition de cas, c'est-à-dire l'absence totale d'abeilles mortes dans la colonie du rucher. L'effondrement de la colonie survenait rapidement, en deux semaines. C'est très important. C'est une preuve, parce qu'habituellement, on trouve de jeunes abeilles laissées derrière; la colonie devait donc être prospère quelque temps auparavant. Si l'effondrement était encore en cours, la colonie contenait encore de jeunes abeilles et la reine. Les abeilles n'avaient rien volé. Il y avait là des colonies pleines de miel et les abeilles du voisinage n'y entraient pas pour voler le miel, ce qui est très inhabituel.

Nous avons soumis ces abeilles à des tests exhaustifs, et nous savions qu'elles étaient très malades. Elles avaient essentiellement attrapé tous les virus qui passent. Nous pensons que ce sont les virus qui ont causé le symptôme. C'est une manifestation de ce que nous appelons le suicide altruiste, car les abeilles sont des insectes fort sociaux. Elles devaient savoir qu'elles étaient malades et ont voulu fuir la ruche pour mourir. C'est un comportement que nous observons chez les termites, par exemple. Si des termites contractent une infection fongique, elles quittent la colonie et frappent sur le sol pour indiquer aux autres termites de ne pas les toucher. Nous pensons donc que les abeilles ont quitté la colonie en pensant qu'elles sauvaient leurs compagnes de la maladie, mais c'est arrivé si rapidement qu'elles sont toutes parties.

Historiquement, quand on étudie la documentation, on constate que ce phénomène s'est produit au moins 17 fois au cours des 200 dernières années dans le monde. Chaque fois, le phénomène s'est résorbé au bout de quelques années. Le problème habituel se manifestait, un peu comme l'éclosion d'une maladie. L'épisode atteignait un paroxysme pour ensuite diminuer petit à petit. Je pense que ce phénomène a attiré notre attention sur les pertes de colonies. Quand nous avons commencé à nous intéresser au problème, nous nous sommes aperçus que même en l'absence de ces symptômes très précis, un grand nombre de colonies disparaissaient.

Le public et la presse parlent de syndrome d'effondrement des colonies pour désigner toutes les formes de mortalité des abeilles, mais pour nous, ce syndrome correspond à une définition très stricte.

La sénatrice Buth : De nombreux témoins nous ont parlé des acariens varroa. De toute évidence, c'est un problème qu'on cherche à éradiquer dans toutes les régions du monde. Que nous recommanderiez-vous de faire pour lutter contre cet acarien?

M. vanEnglesdorp : Je suis responsable d'une enquête sur la gestion dans le cadre de laquelle nous interrogeons les apiculteurs de toutes les régions du pays pour leur demander quelles sont les pratiques exemplaires qu'ils ont utilisées ou délaissées au cours de la dernière année. Nous comparons les pratiques qui ont donné les meilleurs résultats avec celles qui ont moins bien réussi, selon le meilleur taux de survie des abeilles. Nous constatons que les apiculteurs qui réussissent le mieux traitent leurs ruches quatre fois par année. C'est bien plus que ce que nous faisions traditionnellement.

Il a été également très étonnant de constater que 70 p. 100 des apiculteurs n'emploient aucun produit contre l'acarien varroa. Ce ne sont pas des apiculteurs commerciaux. Tous les apiculteurs commerciaux qui vivent de leur métier appliquent un traitement, mais nombre de petits apiculteurs ne le font pas en se disant qu'il vaut mieux faire l'élevage de survivantes. Ils ne réalisent pas que quand ces colonies meurent, les abeilles infestées d'acariens vont semer la mort dans les colonies voisines, où les apiculteurs maîtrisaient peut-être le nombre d'acariens. Voilà où le bât blesse.

Nous devons faire comprendre que tout le monde doit appliquer un plan de lutte contre les acariens varroa et que nous devons cesser de réagir. Nous avons toujours un nouveau produit quand le dernier cesse de faire effet. Il faut que notre arsenal comprenne immédiatement divers produits et nous devons collaborer avec les organismes de réglementation pour que ces produits soient mis en marché rapidement et pour veiller à ce que la résistance ne se développe pas. Il faut mettre en place des plans pour évaluer la résistance dans les champs et disposer d'un éventail de produits.

Les apiculteurs doivent intervenir énergiquement et avoir un plan de gestion qui comprend divers produits qu'ils appliquent plusieurs fois par année. En outre, il faut surveiller la situation à l'échelle nationale afin de vérifier que les produits donnent des résultats et aviser rapidement les gens quand ils ne fonctionnent peut-être plus aussi bien.

La sénatrice Merchant : Vous n'avez pas mentionné ce facteur parmi les causes, mais comme je viens de la Saskatchewan, je me demande quel rôle les hivers très froids jouent, le cas échéant, dans la survie ou la mortalité des abeilles.

M. vanEnglesdorp : C'est une excellente question. Mais je pense qu'en Saskatchewan et en Alberta, où on élève beaucoup d'abeilles et où il fait très froid, les apiculteurs ont trouvé des moyens de protéger leurs abeilles. Ils leurs font habituellement passer l'hiver dans des abris ou ils isolent beaucoup des ruches.

En Ontario ou dans les régions plus près de la frontière américaine, le froid joue probablement un rôle plus important parce que les apiculteurs ne sont pas nécessairement prêts à affronter les rigueurs de l'hiver. Les abeilles restent dans la ruche toute l'année et produisent de la chaleur; voilà pourquoi elles ont du miel. Elles le gardent au chaud. Si le froid sévit pendant une longue période, elles ne peuvent sortir pour accomplir des vols de nettoyage. Il faut bien qu'elles aillent aux toilettes, et elles ne peuvent pas sortir de la ruche pour le faire, ce qui peut entraîner des maladies. De plus, elles ne permettent pas au groupe de se diviser et d'aller chercher d'autres sources de miel. Même s'il y a du miel dans la colonie, les abeilles peuvent mourir de faim au cours des hivers très froids parce qu'elles ne peuvent sortir pour en chercher du nouveau.

Le froid joue certainement un rôle. Dans les régions où les hivers sont très longs, les apiculteurs savent bien mieux faire face aux périodes hivernales prolongées parce qu'ils prévoient en conséquence et installent leurs abeilles dans des abris.

La sénatrice Merchant : En outre, comme notre saison de végétation est bien plus courte, la floraison ne commence qu'à la fin de juin. Cela pourrait avoir une incidence également.

M. vanEngelsdorp : Cela pourrait jouer un rôle, mais quand les étés sont longs, les abeilles peuvent travailler plus longtemps parce que les jours durent plus longtemps.

La sénatrice Merchant : Nous avons parfois de longs et agréables automnes.

Notre mandat consiste en partie à évaluer le rôle que le gouvernement peut jouer. Aux États-Unis, le gouvernement fait des choses que nous ne faisons pas, comme une enquête nationale. Existe-t-il des mesures que notre gouvernement peut prendre? Vous avez parlé des accotements. Est-ce que le comité pourrait recommander d'autres démarches?

M. vanEngelsdorp : J'ignore si l'assurance agricole relève du gouvernement fédéral. Nous encouragerions le gouvernement américain à chercher des moyens d'encourager les agriculteurs à réserver un certain pourcentage de leurs terres pour en faire un habitat propice aux pollinisateurs. Ils peuvent utiliser des terres peu productives; il n'est pas nécessaire que ce soit la meilleure parcelle de terre. Les preuves abondent pour montrer que le soya peut être semé à côté de prés où poussent des plantes à fleurs. Les plants situés en bordure des prés produisent plus de soya que ceux qui se trouvent au milieu du champ en raison de l'effet bénéfique des pollinisateurs. Il faut que ces terres profitent aux agriculteurs. Le gouvernement ferait quelque chose de formidable en les incitant à faire pousser des plantes pollinisatrices sur 10 p. 100 de leur terre.

Le gouvernement pourrait également étudier activement des moyens d'évaluer les produits, particulièrement la nouvelle génération de produits à effets sublétaux. Pour l'homologation de tous les produits, on évalue habituellement la DL50, c'est-à-dire la dose nécessaire pour tuer une abeille adulte, mais c'est plus compliqué que cela. Une exposition prédispose parfois un individu à une maladie dont il mourra plus tard au cours de sa vie. Il faut réévaluer la manière dont on homologue les produits pour tenir compte des effets sublétaux. Les principales mesures consisteraient donc à encourager l'intégration de zones de butinage dans le paysage et la revue de la méthode d'homologation des produits pour contrôler les effets sublétaux.

Au bout du compte, si les apiculteurs peuvent faire de l'argent, ils peuvent garder les abeilles en vie. Tout dépend des sommes qu'ils peuvent gagner, car c'est cet argent qu'ils investiront dans leurs ruches. Il faut examiner la situation économique des apiculteurs et tout faire pour les aider à demeurer viables.

Le sénateur Ogilvie : Merci, monsieur, d'avoir fait un exposé très clair.

Je m'intéresse à la question des études de contrôle. Pratiquement tous les témoins qui ont comparu devant nous ont décrit les pertes subies dans les colonies exploitées pour recueillir du miel. Les abeilles ont deux utilités : polliniser de grandes zones cultivées et produire du miel à des fins commerciales.

Personne n'a pu parler d'une colonie qui existerait pour le simple bénéfice des abeilles. Les colonies peuvent être installées à proximité d'une culture qui doit être pollinisée, mais jamais on ne nous a parlé d'une colonie qui ne servirait qu'aux abeilles. Les abeilles n'ont pas commencé à produire du miel pour les gens; elles le font parce que cela leur est utile, comme vous l'avez souligné dans votre exposé.

Savez-vous s'il existe une étude dans le cadre de laquelle on a exercé un contrôle direct pour établir une comparaison avec une colonie normale utilisée à des fins commerciales dans la même région?

M. vanEngelsdorp : Je suppose qu'à strictement parler, la réponse à votre question est non. Je voudrais cependant expliquer une des raisons qui viennent compliquer les choses, même si cette idée est excellente.

Il faut considérer une colonie non pas comme un groupe de 10 000 à 40 000 individus, mais comme un superorganisme. Ce dernier se reproduit en de divisant en deux essaims. Quand cela se produit, on perd sa récolte de miel parce que ce sont les abeilles supplémentaires qui produisent le miel. On perd beaucoup d'argent, car on perd ses abeilles et sa production de miel.

Mais quand ce processus naturel se manifeste, la population d'abeilles malades se divise en deux; c'est particulièrement le cas pour les acariens varroa quand on interrompt le cycle. Si on divise activement les colonies, on n'a pas à appliquer de traitement contre les acariens varroa, car la prévalence de certaines maladies décroit de façon naturelle.

Si vous voulez établir une comparaison, la colonie laissée à elle-même essaimera beaucoup; elle pourrait ainsi mieux survivre, mais elle sera bien plus petite et ne sera pas productive. La prévalence des maladies augmentera dans la colonie qu'on exploite, mais c'est parce qu'il y a de la production.

En Europe, d'où viennent les abeilles mellifères, les colonies sauvages peuvent survivre de diverses manières. En outre, les colonies d'abeilles à l'état sauvage sont séparées de trois kilomètres. Si une colonie meurt, la maladie qui y sévit ne peut se répandre au nid voisin. La pression évolutive fait que les maladies qui touchent des colonies sauvages évolueront et ne seront pas aussi virulentes. Si l'hôte meurt, le parasite ou le virus meurt également. Mais dans un contexte commercial, quand une colonie meurt, la maladie se répand à la colonie suivante, et la virulence augmente en raison du processus de sélection.

C'est un bon point, mais ce sont des animaux ou des plantes qu'on exploite, dépendamment de la manière dont vous définissez « abeilles ». C'est en exploitant ces organismes qu'on aggrave les problèmes associés aux parasites.

Le sénateur Ogilvie : Voilà qui est très utile. Ce que je souhaite, c'est obtenir un échantillon de contrôle permettant de mieux comprendre les effets réels des quatre autres caractéristiques que vous avez énumérées, notamment la cause sous-jacente qui nous intéresse dans la présente étude : les néonicotinoïdes et les pesticides. Voilà d'où vient ma question.

Ma deuxième question concerne le problème des résidus de néonicotinoïdes dans le sol. Des témoins ont affirmé que les quantités de néonicotinoïdes dans les terrains cultivés continuellement tendent à atteindre un certain niveau qui demeure relativement stable au fil du temps. Est-ce que l'étude des données vous a permis de tirer les mêmes conclusions?

M. vanEngelsdorp : Je ne prétendrai pas être expert en la matière; je vous conseillerais donc de poser la question à Christian Krupke, de l'Université Purdue. Je pense qu'il maîtrise bien le sujet et qu'il est un des cracks dans ce domaine. Je ne voudrais pas vous induire en erreur.

En ce qui concerne votre première question sur les néonicotinoïdes, je vous conseillerais de parler aux Suédois. Ingmar Friess, de l'Université d'Uppsala, a réalisé une étude d'envergure. J'ignore si les résultats en ont déjà été publiés, mais je pense qu'ils le seront bientôt. Les auteurs ont étudié des champs de canola isolés où se trouvaient des ruches, contrôlant ainsi la zone de butinage plutôt que les colonies. Je suis impatient de connaître les résultats de ces travaux pour voir ce qui se passe. Cela pourrait répondre à votre question sur le contrôle.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur le professeur, vous n'êtes pas sans savoir que, jusqu'à présent, l'agence américaine de protection de l'environnement a refusé de prendre des mesures en ce qui concerne les pesticides, qui sont toxiques pour les abeilles, et qu'elle envisage de poursuivre son examen au cours des cinq prochaines années. À mon avis, les pollinisateurs ne peuvent pas attendre cinq ans. Selon vous, comment pourrait-on, entre-temps, améliorer le système de gestion agricole pour mieux préserver la santé des abeilles domestiques?

[Traduction]

M. vanEngelsdorp : Il y a des mesures que nous pouvons prendre, et j'en ai déjà mentionné une. Nous devons nous assurer que le paysage agricole comprend des zones de butinage pour les abeilles. Nous devrions aménager 10 p. 100 du paysage de manière à permettre aux abeilles domestiques et sauvages d'y butiner. Le gouvernement offre des programmes incitatifs à cette fin.

Pour ce qui est des néonicotinoïdes, il importe de comprendre que si on ne les utilise pas, par quoi les remplacera-t- on? Nous pensons souvent à ce qui s'est passé il y a environ 10 à 20 ans quand les apiculteurs ont subi de lourdes pertes en raison des pesticides. La différence, c'est qu'ils ont trouvé des tas d'abeilles mortes devant leurs ruches; ils savaient donc que les pesticides étaient en cause.

Mais aujourd'hui, nous devons découvrir si les néonicotinoïdes jouent bel et bien un rôle dans la densité des colonies, car les abeilles meurent plusieurs mois plus tard. Ce n'est pas clair, car d'autres facteurs contribuent au problème, à moins que le coupable ne soit le nuage de poussière dont vous avez parlé.

Nous devons veiller à n'utiliser les produits que lorsque nous en avons besoin et éviter l'emploi de produits prophylactiques. Plutôt que de toujours traiter les graines, on ne devrait le faire que quand on sait qu'il y a un problème ou qu'on en prévoit un cette année-là. À l'heure actuelle, dans la plupart des régions des États-Unis, on ne peut trouver la moitié des organismes nuisibles contre lesquels on applique un traitement parce que ces produits sont tellement utilisés qu'il n'y a pas le moindre organisme nuisible à traiter dans l'environnement. Doit-on appliquer ce traitement continu tout le temps?

Il faut encourager les cultivateurs à utiliser ces produits seulement si nécessaire. Nous devons les utiliser intelligemment, au lieu de les interdire.

Le sénateur Robichaud : Avez-vous bien dit que nous devons réévaluer l'effet sublétal des pesticides que nous utilisons? Avons-nous commencé à le faire?

M. vanEngelsdorp : Vous devriez en parler avec les experts, qui discutent beaucoup de la question. Je crois que la SETAC a organisé un symposium international auquel bon nombre de représentants de l'EPA et de son équivalent canadien ont participé. Le gouvernement du Canada collabore étroitement avec l'EPA de la Californie et l'EPA fédérale pour trouver des façons de réévaluer l'effet sublétal et pour établir des normes internationales très claires. Des discussions portent là-dessus, mais je ne pense pas qu'elles se traduisent déjà par des politiques. Je dois dire que je ne suis pas expert dans ce domaine.

Le sénateur Robichaud : Nous devrions faire une recommandation là-dessus dans notre rapport.

M. vanEngelsdorp : Oui. Nous devons réévaluer l'enregistrement des pesticides et tester les ingrédients actifs, mais aussi les ingrédients inertes pour calculer les facteurs de risques des effets sublétaux.

Le sénateur Robichaud : Testons-nous seulement les ingrédients actifs des pesticides, pas les autres ingrédients?

M. vanEngelsdorp : Je pense que c'est le cas au Canada, et je sais que c'est vrai aux États-Unis. Les ingrédients inertes constituent des secrets commerciaux. Les pesticides sont composés de ces ingrédients à 99 p. 100. Les preuves s'accumulent quant à leur synergie potentielle avec les ingrédients actifs ou à leur propre effet nocif direct ou sublétal sur les abeilles domestiques.

Le sénateur Robichaud : Vous accordez beaucoup d'attention à la nutrition des abeilles. Vous avez dit que des apiculteurs expérimentent diverses méthodes. Le milieu scientifique se penche-t-il sur la bonne nutrition des abeilles, qui serait un facteur important de leur hivernation dans les ruches?

M. vanEngelsdorp : Nous avons besoin de financement pour renforcer nos connaissances là-dessus.

Le sénateur Robichaud : Ce serait une autre recommandation.

M. vanEngelsdorp : Oui.

Le sénateur Robichaud : Merci, monsieur le professeur.

La sénatrice Eaton : Monsieur vanEngelsdorp, nos notes d'information indiquent qu'en 2013, vous avez cosigné une étude avec le département de l'Agriculture des États-Unis et l'Université de la Caroline du Nord selon laquelle les colonies d'abeilles domestiques au profil génétique divers affichent de meilleurs taux de survie que les colonies plus homogènes. Pouvez-vous nous parler davantage de cette étude?

M. vanEngelsdorp : Bien sûr, je vais vous donner une petite leçon de biologie.

Une colonie est un super organisme qui se divise en deux. L'essaim produit la reine, qui sort de la ruche dans les deux premières semaines de sa vie pour s'accoupler avec environ 16 faux-bourdons. La reine emmagasine le sperme dans une poche appelée spermathèque. C'est la seule fois où elle s'accouple. La reine va utiliser ce sperme sa vie durant pour fertiliser tous les œufs qui deviennent des ouvrières. Sa poche contient des millions de spermatozoïdes.

Sur le plan biologique, quel est l'avantage à ce que toutes ces demi-sœurs vivent dans la même colonie? Nous pensons que les abeilles sont des organismes sociaux, précisément parce qu'une même famille comporte divers membres, dont certains sont meilleurs pour faire le ménage et d'autres pour jardiner. Cette variété permet à la colonie d'effectuer toutes les tâches avec efficience.

Nous sommes entre autres préoccupés par le goulot d'étranglement que représentent la vingtaine de producteurs qui génèrent plus de deux millions de reines aux États-Unis. Certaines reines d'Hawaï sont même envoyées au Canada. Si le bassin de faux-bourdons manque de diversité, la variété de sous-familles dans les colonies sera réduite.

Dans cette étude, nous avons constaté que les colonies dirigées par des reines qui ne s'étaient pas accouplées avec une variété suffisante de faux-bourdons survivaient moins bien que les colonies dont les reines s'étaient accouplées avec des faux-bourdons très divers. C'est une question biologique intéressante qui a des conséquences pour les producteurs de reines. Heureusement, la plupart d'entre eux réussissent à accoupler leurs reines avec des faux-bourdons variés.

Cependant, les produits que nous utilisons pour contrôler le varroa posent un problème. Surtout grâce au travail que le département de l'Agriculture réalise tout près d'ici, les preuves montrent de plus en plus que certains produits tuent le sperme après un ou deux mois. La reine peut être en parfaite santé et en avoir beaucoup, mais le sperme commence à mourir. Les reines n'arrivent plus à produire d'abeilles. Les problèmes liés aux reines sont une autre cause importante des pertes, qui résultent sans doute directement de l'exposition aux pesticides que les apiculteurs appliquent sur les abeilles pour contrôler le varroa.

La sénatrice Eaton : C'est très intéressant.

Nous avons parlé de pesticides, du varroa et de nutrition. Devrions-nous étudier davantage les monocultures et les pratiques d'apiculture industrielle, ainsi que leur effet sur les abeilles domestiques qui butinent?

M. vanEngelsdorp : Les monocultures constituent 10 p. 100 du milieu. Notre enquête continue indique clairement depuis cinq ans que les grands apiculteurs commerciaux qui déplacent leurs colonies régulièrement en perdent moins que ceux qui les laissent sur place.

La sénatrice Eaton : L'apiculteur qui transporte ses millions d'abeilles de l'Est des États-Unis à la Californie dans d'immenses camions va mieux réussir que celui qui ne se déplace jamais.

M. vanEngelsdorp : C'est exact.

Même si le transport peut engendrer un certain stress pour les abeilles, les meilleures techniques de gestion permettent sans doute de l'atténuer. Ces gens vivent de l'apiculture et ils investissent beaucoup pour garder leurs colonies en vie. Nous devons en savoir plus là-dessus. C'est une question intéressante, mais je doute que nous ayons des preuves scientifiques.

Je pense que c'est vrai en Europe, où on fonctionne de la même façon, mais je connais les statistiques au Canada. Les preuves montrent clairement que les apiculteurs et les grands apiculteurs commerciaux qui déplacent leurs colonies d'abeilles ont tendance à en perdre moins que ceux qui les laissent sur place. Rien ne prouve que l'apiculture à grande échelle nuise aux abeilles.

Le sénateur Oh : Merci de témoigner ici aujourd'hui, monsieur le professeur. Comme bien des témoins, vous avez beaucoup parlé du varroa. Vous avez dit aujourd'hui qu'il est la principale cause de l'effondrement des colonies. Les témoins nous ont très peu parlé des recherches sur le varroa et de la façon de s'en débarrasser efficacement. Pouvez- vous commenter la question?

M. vanEngelsdorp : Je dirais que nous avons une certaine compréhension de la biologie du varroa. Mais nous avons besoin d'en savoir plus sur la biologie et la reproduction des varroas et sur la façon dont ils se répandent dans une colonie, un rucher et une région. Nous devons parfaire nos connaissances à cet égard. Pour savoir comment intervenir, c'est très important de comprendre la propagation et la dynamique des populations de varroa, qui sont sans doute très différentes au Nouveau-Brunswick par rapport à la Colombie-Britannique.

Le problème, c'est que le varroa développe une résistance à certains produits que nous employons. Nous devons concevoir une nouvelle génération de produits pour lutter contre ces problèmes, en nous servant de ce que nous avons appris dans les programmes sur le contrôle des moustiques. Certains agents chimiques ont été élaborés pour surmonter le problème de résistance de ces populations. De nouvelles technologies comme l'ARN peuvent aussi attaquer le varroa, sans attaquer les abeilles. Nous devons fabriquer de nouveaux produits et réfléchir à la prochaine génération, au lieu de nous servir des produits conventionnels.

Nous pouvons aussi examiner les agents biologiques. Certaines huiles essentielles fonctionnent très bien pour les abeilles. Il y a des produits sur le marché pour ces usages. Cela dit, il reste difficile de savoir comment utiliser ces produits dans un contexte commercial.

Je dois aussi parler de l'acide formique, un produit biologique. Une entreprise de l'Ontario est un chef de file dans la fourniture sûre et efficace d'acide formique aux apiculteurs. Cet acide fonctionne très bien, mais c'est un fumigant qui comporte des problèmes et qui dépend de la température. Il peut tuer les abeilles. Les autres méthodes de contrôle du varroa ne sont pas toujours aussi efficaces. Les apiculteurs ont parfois un peu de mal à les adopter.

Le sénateur Mercer : Je remercie tout d'abord le professeur de témoigner ici. Ses commentaires sont très instructifs et très utiles.

Selon vous, il faut mieux gérer l'utilisation des pesticides. Les agriculteurs ne devraient pas simplement présumer qu'ils ont toujours besoin d'utiliser les néonicotinoïdes. Ils devraient s'en servir seulement en cas de problème.

Comment les cultivateurs, qui sont devenus un peu dépendants aux semences traitées et aux néonicotinoïdes, peuvent-ils en venir à se dire qu'ils n'en ont pas besoin pour une culture, une année, une région ou un champ en particulier? Je pense qu'il sera très difficile de changer les mentalités sur l'utilisation des pesticides si c'est ce qu'il convient de faire, car les cultivateurs sont rendus très dépendants.

M. vanEngelsdorp : C'est une excellente question. Par contre, je pense que la plupart des agriculteurs se préoccupent de la terre. Pour la première fois cette année, les agriculteurs ont le choix. Avant, ils ne pouvaient malheureusement pas choisir d'acheter des semences traitées ou non. Il faut leur offrir ce choix.

Pour répondre à votre autre question même si je ne suis pas expert dans ce domaine, des programmes peuvent dépister les taux de maladie ou d'organismes nuisibles dans les champs de la région pour une année donnée. Selon les résultats, on peut prévoir s'il y aura un problème ou non l'année suivante et décider d'utiliser des semences traitées ou non.

Le problème, à tout le moins aux États-Unis, c'est que ces consultants sont souvent payés, parce qu'ils vendent des produits chimiques aux cultivateurs. Ils se privent de revenus s'ils déconseillent d'utiliser des produits chimiques. Nous devons trouver comment dissocier ces intérêts divergents pour que la vente de produits se fonde sur les besoins réels.

Le sénateur Mercer : En Europe, il y a un moratoire sur l'utilisation des néonicotinoïdes depuis un certain temps. Recommandez-vous de les interdire durant quelques années pour étudier leur effet sur les populations d'abeilles et les récoltes, ou devons-nous continuer de mener des études et de chercher la prochaine génération de produits chimiques qui n'auront pas d'effet négatif sur les abeilles?

M. vanEngelsdorp : Je craignais qu'on me pose la question. Il importe de souligner que les néonicotinoïdes sont interdits en Europe depuis janvier de cette année, c'est-à-dire depuis moins d'un an.

Les pertes en Europe varient énormément selon les États membres. Je ne vois pas de corrélation entre les champs traités et ceux qui ne le sont pas. Les pertes ne s'expliquent pas simplement par l'utilisation ou non des néonicotinoïdes.

Il faut se demander quel autre choix s'offre à nous. Par exemple, le maïs GM est interdit pour la consommation humaine. Le maïs vendu au marché est aspergé neuf fois de pyréthroïdes, tandis que le maïs BT est cultivé pour les bovins. Tous ces pyréthroïdes aspergés sont-ils vraiment mieux pour l'environnement que les cultures GM? Je pense qu'il faut équilibrer les risques.

Aucune preuve n'indique qu'il faut tout simplement interdire les néonicotinoïdes. Bien des preuves montrent que nous pouvons mieux les utiliser et prolonger leur usage à long terme. Je pense que c'est ce que nous devons viser, au lieu d'envisager une interdiction complète.

Le sénateur Buth : J'ai une question simple. Où prenez-vous ces 10 p. 100?

M. vanEngelsdorp : Ces données nous sont fournies par les ONG. Il ne s'agit pas de preuves scientifiques, et il y a un manque à combler. L'important, c'est de savoir quel pourcentage des champs permet de maintenir les pollinisateurs en santé. Les 10 p. 100 sont un chiffre avancé par un certain groupe de gens et que nous répétons dans nos discussions. C'est le pourcentage demandé par l'Église. Nous devrions peut-être en faire autant pour les pollinisateurs.

Le sénateur Buth : Merci beaucoup de votre réponse, monsieur le professeur.

Le président : Monsieur le professeur, les techniques d'ensemencement et le matériel se sont améliorés dans d'autres secteurs agricoles partout au Canada et aux États-Unis. Vous avez fait des commentaires sur l'innovation. Êtes-vous au courant d'améliorations dans la construction des ruches, comme pour l'efficience des maisons au Canada et aux États-Unis? Y a-t-il des recherches sur l'efficience des ruches pour améliorer la santé des abeilles?

M. vanEngelsdorp : Oui, des améliorations ont été apportées aux ruches pour améliorer la santé des abeilles, comme le fond grillagé. En général, le plateau au fond de la ruche est plein, mais si on y place un grillage, les varroas qui tombent de la ruche vont se retrouver au sol et ne pourront pas infester la ruche à nouveau. C'est le genre de modifications qui ont été apportées.

Je pense que le coffre lui-même est utilisable. Les apiculteurs s'en servent depuis plus de 100 ans. Je ne sais pas comment nous pouvons réinventer la ruche, si je puis dire.

Le président : Monsieur le professeur, avant de mettre fin à votre témoignage, j'aimerais savoir de quelle région du Canada vous venez.

M. vanEnglesdorp : J'ai grandi en Ontario, mais toute ma famille vit maintenant à Whistler et à Delta, en Colombie- Britannique.

Le président : D'accord.

En terminant, même si vous habitez au Maryland, monsieur le professeur, vous allez sûrement suivre la confrontation de l'Amérique du Nord entre le Canadien de Montréal et les Bruins.

M. vanEnglesdorp : Bien sûr.

Le président : En tant que Canadiens, nous pourrions remporter la coupe Stanley.

Sur ce, merci beaucoup, monsieur le professeur.

M. vanEnglesdorp : Merci.

Le président : Chers collègues, avant de lever la séance, j'indique que le comité de direction s'est réuni hier. Nous voulons vous informer sur le programme des prochaines semaines et sur l'ébauche de rapport.

[Français]

Nous ferons l'ébauche du rapport sur l'innovation en agriculture, pour nous assurer que le rapport soit déposé au Sénat avant la fin du mois de juin.

[Traduction]

Nous allons passer à huis clos, puis nous lèverons la séance.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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