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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 16 - Témoignages du 30 septembre 2014


OTTAWA, le mardi 30 septembre 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 5, pour étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous accueillons deux témoins par vidéoconférence. La première heure sera consacrée à Mme Victoria Wojcik, que je présenterai officiellement plus tard. Je veux demander à Mme Wojcik si elle nous entend.

Victoria Wojcik, directrice de recherche, Pollinator Partnership : Oui, je vous entends. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Je suis Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial de l'agriculture et des forêts. Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Tardif : Bonjour. Je suis Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta.

Le sénateur Enverga : Je suis Tobias Enverga, de Toronto, en Ontario, d'où vous venez.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bonjour, Ghislain Maltais, sénateur du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Allô. Je suis Lynn Beyak, sénatrice de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Allô. Je suis le sénateur Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Bonjour. Je suis Betty Unger, d'Edmonton, en Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le président : Le comité poursuit son étude sur l'importance des pollinisateurs dans le domaine de l'agriculture et sur les mesures à prendre pour les protéger.

[Traduction]

Merci beaucoup, madame Wojcik, d'avoir accepté notre invitation à comparaître par vidéoconférence de la Californie. Comme vous le savez peut-être, le comité sénatorial permanent a reçu un ordre de renvoi du Sénat du Canada pour l'autoriser à étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada, et à en faire rapport. Plus particulièrement, le comité a reçu l'autorisation d'examiner le sujet sous divers angles, à savoir : l'importance des abeilles dans la pollinisation pour produire des aliments, surtout des fruits et des légumes, des graines pour l'agriculture et du miel au Canada; l'état actuel des pollinisateurs, des mégachiles et des abeilles domestiques indigènes au Canada; les facteurs qui nuisent à la santé des abeilles, notamment les maladies, les parasites et les pesticides au Canada et à l'étranger; et enfin, des stratégies pour les gouvernements, les intervenants, les producteurs et l'industrie en général pour assurer la santé des abeilles.

Mme Victoria Wojcik est directrice de recherche au Pollinator Partnership, en Californie. Je crois que c'est à San Francisco. La mission du Pollinator Partnership consiste à promouvoir la santé des pollinisateurs au moyen de la conservation, de l'éducation et de la recherche.

Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Je vous demanderais de faire votre exposé, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Je tiens à préciser que même si vous êtes en Californie, vous êtes une citoyenne canadienne. Cela dit, je vous cède maintenant la parole.

Mme Wojcik : Merci beaucoup. J'ai décidé de vous fournir quelques renseignements généraux sur le Pollinator Partnership et de vous présenter quelques-uns de nos programmes qui viennent en aide aux pollinisateurs, pour vous donner une meilleure idée de mon expertise personnelle et institutionnelle. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions et préoccupations au sujet des façons dont nous pouvons promouvoir la conservation des pollinisateurs et la santé des abeilles au Canada. Je vais lire la déclaration que j'ai préparée.

Le Pollinator Partnership est la plus importante organisation qui se consacre uniquement à la protection et à la promotion des pollinisateurs et des services de pollinisation. Cela inclut l'éventail complet des services écosystémiques qu'offrent les abeilles, les papillons, les chauves-souris, les papillons de nuit, les coléoptères et d'autres animaux pollinisateurs. Le Pollinator Partnership travaille depuis presque deux décennies un peu partout en Amérique du Nord pour contribuer à régler les enjeux liés à la conservation des pollinisateurs. Nos travaux au Canada s'échelonnent sur à peu près la même période, où nous sommes officiellement devenus un organisme sans but lucratif en 2013. Le Pollinator Partnership gère la Campagne pour la protection des pollinisateurs en Amérique du Nord, qui est un effort concerté entre le Canada, les États-Unis et le Mexique visant à régler les enjeux liés aux pollinisateurs. Les intervenants de la Campagne pour la protection des pollinisateurs en Amérique du Nord comprennent des représentants de tous les ordres de gouvernement, des chercheurs, des universités, des entreprises publiques et privées, des gestionnaires fonciers, des propriétaires fonciers et des membres du public.

Cet effort diversifié s'est traduit par des changements positifs pour les pollinisateurs au cours des 10 dernières années, dont des politiques, des solutions de gestion pratiques ainsi que des initiatives de sensibilisation et de conservation.

Cependant, les pollinisateurs, sauvages et domestiques, montrent des signes de déclin et de stress, ce qui menace notre accès à leurs services. Ce que nous et bien d'autres intervenants dans le domaine de la conservation et de la gestion des pollinisateurs savons, c'est que la principale menace pour les pollinisateurs, y compris les abeilles, est l'absence d'un habitat approprié. Les maladies, l'utilisation non conforme des pesticides, la pollution environnementale et les changements climatiques sont tous des facteurs qui ont une incidence sur les pollinisateurs. S'il n'y a pas d'espace disponible, nous n'avons aucune solution.

L'approche que nous adoptons pour assurer la santé des abeilles et la santé générale des pollinisateurs, que j'encourage le comité à suivre, comporte trois volets. Premièrement, nous soutenons l'habitat des pollinisateurs en augmentant les hectares et en améliorant la connectivité et la qualité des habitats. Nous pouvons y parvenir en mettant à contribution les initiatives gouvernementales existantes en matière de gestion des terres, en exploitant les ressources des entreprises publiques et privées qui gèrent le territoire pour soutenir les pollinisateurs, en appuyant la création d'habitats bénéfiques aux abeilles domestiques et indigènes situés sur des terres agricoles ou à proximité, et en faisant participer les citoyens et les jardiniers à des activités liées à l'habitat des pollinisateurs.

Deuxièmement, pour qu'on accorde plus d'importance au problème, il faut sensibiliser les gens à la conservation des pollinisateurs, notamment au sujet de divers aspects de politiques locales, régionales et nationales; augmenter la compréhension des intervenants des industries clés qui traitent avec les pollinisateurs — prenons l'exemple du Corn Dust Research Consortium qui a été géré par le Pollinator Partnership, dont je pourrai parler plus en détail plus tard; et sensibiliser les citoyens et les intervenants clés, notamment ceux qui ont accès aux terres qui peuvent être des habitats pour les pollinisateurs.

Troisièmement, on ne peut pas faire de recherches sur la protection des pollinisateurs ni de gestion des services des pollinisateurs sans avoir de données de référence. La recherche pour élaborer des pratiques exemplaires en matière de gestion des exploitations agricoles, des parasites, des bordures de route, des services publics et des paysages est nécessaire puisque ce sont des facteurs clés qui peuvent avoir des répercussions importantes sur la santé des pollinisateurs. Il y a peu d'information sur les façons précises de mieux gérer les pollinisateurs pour assurer la conservation dans les divers écosystèmes au Canada. Il existe également peu d'information sur les liens entre les pollinisateurs essentiels et les cultures au Canada. Il faut effectuer des recherches de base.

Dans le cadre de cette approche en trois volets, j'aimerais mentionner certains des projets que nous avons menés à bien avec succès en Amérique du Nord. Je répondrai ensuite à vos questions. Nous avons élaboré des lignes directrices sur l'habitat des pollinisateurs pour les emprises de services publics et appuyé l'aménagement d'habitats pour les pollinisateurs le long des corridors de services publics. Nous avons réalisé des études sur les terrains forestiers gérés en tant que sites pour les abeilles domestiques et sur les avantages additionnels que les abeilles apportent aux systèmes forestiers. Nous avons obtenu la reconnaissance de l'industrie pour cette innovation particulière.

Nous avons élaboré des modules éducatifs pour enseigner aux épandeurs de pesticides comment tenir compte de la santé des pollinisateurs dans les scénarios d'application de pesticides. Nous nous sommes penchés sur les répercussions des pesticides et des poussières de maïs contenant des néonicotinoïdes sur les abeilles domestiques. Nous avons passé en revue les pratiques de gestion exemplaires dans les scénarios de protection des cultures pour l'EPA des États-Unis et l'USDA afin de pouvoir mieux comprendre leurs mandats. Nous avons passé en revue les pratiques et politiques en matière de conservation financées au moyen de la part du budget gouvernemental consacrée à l'USDA. Nous avons examiné et mis au point différentes aires de butinage pour améliorer la santé et la nutrition des abeilles domestiques. Nous avons établi des partenariats avec une entreprise privée pour augmenter les aires de butinage des abeilles domestiques disponibles dans des champs cultivés où les coûts ne sont pas partagés avec le gouvernement. Nous avons collaboré avec les agriculteurs et les jardiniers pour accroître le nombre d'hectares disponibles pour les abeilles domestiques et indigènes par l'entremise de programmes tels que Bee Friendly Farming et SHARE. Nous avons sensibilisé les gens par l'entremise de la Semaine des pollinisateurs et le Prix de la conservation des pollinisateurs.

À défaut d'autre chose, je recommanderais d'inclure des messages sur les pollinisateurs dans les programmes et les mandats pour favoriser la réflexion et promouvoir la conservation, ce qu'on a déjà commencé à faire dans les médias et l'actualité. Prenons l'exemple de la Semaine des pollinisateurs, une célébration communautaire portant sur les pollinisateurs et sur leurs bienfaits. Le Pollinator Partnership appuie cette initiative qui existe depuis 2006. Aux États- Unis, le Pollinator Partnership a demandé que les États et les municipalités reconnaissent officiellement l'importance des pollinisateurs dans le cadre de cette semaine. Cette initiative communautaire a été qualifiée d'importante contribution à la note présidentielle de 2014 sur les pollinisateurs signée aux États-Unis, dans laquelle on indique que les pollinisateurs doivent être une priorité au sein de tous les ministères gouvernementaux. On déploie maintenant des efforts accrus pour rétablir et favoriser la santé des abeilles domestiques et des pollinisateurs.

Je crois que le Canada a une occasion unique d'être proactif pour régler quelques-uns des problèmes liés aux pollinisateurs qui se présentent ou qui se présenteront dans le futur. La santé des abeilles domestiques est essentielle à l'industrie agricole canadienne, générant des retombées directes d'environ 1 milliard de dollars. Les abeilles sauvages indigènes et les abeilles domestiquées indigènes peuvent également jouer un rôle important qui n'a pas été exploré ou exploité suffisamment.

Il est possible de gérer le butinage des abeilles domestiques et d'accroître les possibilités pour les abeilles de trouver de la nourriture à l'extérieur des contrats de pollinisation par des moyens pratiques. Les habitats situés à proximité de terres agricoles ou d'aires ensemencées qui peuvent être bénéfiques aux pollinisateurs peuvent offrir des avantages nutritionnels aux abeilles domestiques et contribuer à soutenir l'industrie apicole. Jusqu'à maintenant, les pénuries d'abeilles domestiques et de nourriture n'ont pas été graves au Canada et n'ont pas limité les capacités de l'industrie apicole, mais l'augmentation des superficies de cultures, la réduction des habitats d'alimentation et les difficultés financières peuvent exercer des pressions sur l'industrie apicole et les apiculteurs. Nous recommandons d'explorer la possibilité de gérer les paysages tels que les bordures de route, les terrains forestiers, les services publics et les terres industrielles, pour contribuer à la santé des abeilles domestiques au moyen de la nutrition et du butinage.

Le président : Madame Wojcik, merci beaucoup. Nous entamerons les questions avec la sénatrice Tardif, suivie du sénateur Maltais.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie de votre excellent exposé et de vos nombreuses propositions concrètes. Je sais qu'elles seront très utiles à notre comité dans le cadre de notre étude.

Je sais que l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire du Canada travaille en collaboration avec l'Agence américaine de protection de l'environnement et le California Department of Pesticide Regulation pour réévaluer trois produits chimiques néonicotinoïdes. Où en sommes-nous dans cette évaluation? Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe avec les néonicotinoïdes? Des témoins nous ont dit il y a quelques semaines qu'il y a actuellement 7 011 pesticides enregistrés au Canada, dont 35 contiennent des néonicotinoïdes. Quelle est la situation aux États-Unis concernant les néonicotinoïdes et leur utilisation?

Mme Wojcik : Pour ce qui est des répercussions sur les pollinisateurs, les problèmes que nous avons constatés aux États-Unis se rapportaient surtout à la poussière de maïs, aux effets non ciblés des poussières de maïs générées par l'abrasion des semences traitées — des incidents de la sorte survenus dans le sud de l'Ontario ont causé des interactions entre les ruches et les produits chimiques qui n'étaient pas censés être en suspension dans l'air. Un programme de recherche a été mis sur pied après qu'un nouveau lubrifiant pour semences a été élaboré.

Si vous avez besoin de plus d'information, je peux revenir en arrière et vous donner plus de précisions sur cette question particulière. Le lubrifiant pour semences original, qui était de la poudre de talc, causait l'abrasion de l'enduit chimique des semences, qui était alors libéré dans l'air. La semence devenait comme un pesticide épandu par voie aérienne. Cependant, du point de vue de celui qui ensemençait, il ne s'agissait pas d'une application de pesticides, si bien qu'aucune précaution n'était prise. En fait, aucune précaution n'existe à cet égard.

Par conséquent, Bayer Crop Science a mis au point un nouveau produit, que l'EPA et l'ARLA s'emploient à réglementer, qui réduirait la quantité de néonicotinoïde libérée dans l'air par abrasion lors de la plantation des semences de maïs. Un programme de recherche de deux ans financé en partie par les fabricants Bayer Crop et Syngenta, mais également par l'USEPA et l'ARLA, s'est penché sur la façon dont ce nouveau produit se comporte et a formulé des recommandations pour continuer d'utiliser des semences traitées.

Je peux donc en parler puisque des recherches actives sont réalisées sur la façon de mieux gérer ce produit particulier à l'échelle pangouvernementale et dans le système fédéral d'enregistrement. Comme au Canada, les pesticides aux États-Unis sont enregistrés au fédéral pour veiller à leur utilisation légale, mais la mise en œuvre des politiques et des pratiques se fait au niveau des États. Certains États ont activement pris des mesures pour empêcher ou restreindre l'utilisation de certains produits, mais ils sont surtout utilisés dans les foyers et à des fins esthétiques plutôt qu'à des fins agricoles à grande échelle.

La sénatrice Tardif : Êtes-vous au courant si des restrictions sur l'utilisation des néonicotinoïdes ont été imposées dans certains États?

Mme Wojcik : Oui, pas dans les cadres agricoles, mais des néonicotinoïdes ont été utilisés pour traiter des plantes de jardin ornementales. On utilise fréquemment ces produits dans le traitement des plantes de jardin ornementales pour lutter contre les parasites, si bien que dans quelques États, dont le Minnesota, on a imposé une interdiction sur les néonicotinoïdes vendus au public pour le traitement des plantes ornementales, et principalement dans les pépinières.

Le U.S. Fish and Wildlife Service a également imposé une interdiction, à l'échelle de l'organisme, sur l'utilisation prophylactique des néonicotinoïdes sur ses terres. Le U.S. Fish and Wildlife Service gère des terres pouvant être utilisées à des fins agricoles et sur lesquelles on pourrait avoir recours à des pesticides pour lutter contre des espèces envahissantes. L'utilisation prophylactique de néonicotinoïdes pour traiter les semences n'est plus autorisée au U.S. Fish and Wildlife Service.

La sénatrice Tardif : Dans vos recherches, avez-vous établi des liens entre les néonicotinoïdes et la santé des pollinisateurs? Avez-vous découvert que ces produits nuisent à la santé des pollinisateurs?

Mme Wojcik : Mes recherches portent plus directement sur l'habitat et les ressources florales, mais je connais bien les recherches qui ont été réalisées sur les pesticides et la santé des pollinisateurs, et il y a certainement des liens entre la fréquence d'utilisation des pesticides, l'accumulation et la santé des pollinisateurs.

La plupart des chercheurs diront que les principales préoccupations sont les effets synergiques entre tous les pesticides qui sont utilisés et auxquels les abeilles sont exposées, la liste complète des produits enregistrés et la santé des pollinisateurs.

Je ne ciblerais pas un produit en particulier, mais les néonicotinoïdes ont fait l'objet de beaucoup d'attention dans les médias et sont certainement plus toxiques pour les abeilles. Il y a également un vaste éventail de pesticides moins directement toxiques mais couramment utilisés qui ont une incidence sur la santé des abeilles.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, madame, pour votre exposé. Vous vivez actuellement en Californie, et la Californie est un État qui produit énormément de fruits. J'imagine que les apiculteurs profitent de nombreux terrains pour la pollinisation dans la production de miel. Est-ce que la Californie est un État important pour les apiculteurs en ce qui concerne la production de miel?

[Traduction]

Mme Wojcik : Non, la Californie n'est pas considérée à l'heure actuelle comme étant l'un des principaux États producteurs de miel. Le miel commercial — ce qui exclut les miels artisanaux, par exemple, les miels à l'orange, qui sont produits en grandes quantités en Californie et dans des États comme la Floride et la Géorgie —, l'équivalent de la marque Billy Bee qui se trouve sur les étagères d'épiceries, est privilégié par rapport au miel de trèfle. On trouve des superficies cultivées de trèfles principalement dans le Haut-Midwest des États-Unis, dans le Dakota du Nord et le Dakota du Sud, un peu au Montana et en Iowa.

La principale source de préoccupation liée à la pollinisation en Californie est d'assurer le service des abeilles pour polliniser les cultures. Le miel n'est pas un sous-produit ou un facteur important dans la situation actuelle des pollinisateurs en Californie.

J'aimerais ajouter, et ma collègue, Gabriele Ludwig, vous dira probablement la même chose lorsqu'elle prendra la parole sous peu, que l'alimentation pour les abeilles, grâce à laquelle elles peuvent produire du miel, est extrêmement limitée en Californie en raison d'une augmentation de la superficie pour les cultures et d'une diminution de la superficie pour le butinage — les abeilles ne se nourrissent pas toujours de la culture qu'elles pollinisent — ainsi que d'un décalage dans la phénologie, la période de floraison des cultures et de pollinisation des abeilles, par rapport aux plantes naturelles.

[Français]

Le sénateur Maltais : La Californie n'a pas le même climat que le Canada; quel est le taux de perte des apiculteurs et des abeilles pollinisatrices en Californie? J'imagine que le chiffre est inférieur à celui du Canada.

[Traduction]

Mme Wojcik : Les pertes d'abeilles au Canada sont dans l'ensemble un peu inférieures à celles enregistrées aux États- Unis. Cette année, les pertes étaient très élevées en Ontario, ce qui a fait augmenter considérablement les pertes totales. Les pertes aux États-Unis étaient d'environ 20 p. 100, si je ne m'abuse. Au Canada, elles étaient d'environ 15 p. 100. La Californie n'est pas une région qui a une grande incidence sur les colonies d'abeilles domestiques. De façon générale, c'est l'élevage de reines qui constitue un facteur important en Californie dans la pollinisation et l'industrie apicole.

Le nord de la Californie, où il y a beaucoup plus d'eau et de fleurs, est une région où l'on élève des reines pour la production partout aux États-Unis.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Dans votre présentation, vous nous avez parlé de l'habitat.

[Traduction]

Vous avez parlé de la protection des habitats. Vous avez élaboré des lignes directrices sur ce que l'on pourrait faire. Avez-vous eu du succès avec les différents organismes ou groupes qui peuvent contribuer à vos efforts en matière de protection des habitats?

Mme Wojcik : Absolument. Nous travaillons avec divers partenaires, notamment des propriétaires gouvernementaux, des citoyens et des entreprises et institutions privées. Je dirais que pour ce qui est d'accroître les superficies cultivées et de transformer l'habitat pour les pollinisateurs, nous avons énormément de succès avec l'industrie privée qui mène des activités de gestion des terres, où nous avons été en mesure de lui fournir des renseignements pour l'influencer dans sa technique de gestion. C'est ce que nous faisons en tant qu'organisation.

Depuis le projet de loi sur les exploitations agricoles en 2008, on exerce des pressions aux États-Unis pour partager les coûts associés aux pratiques agricoles avec le gouvernement, si le propriétaire, l'agriculteur ou le producteur déploie des efforts pour assurer la conservation. Le partage des coûts comprend le coût des mélanges de semences qui sont bénéfiques aux abeilles ordinaires, domestiques et indigènes.

Ces mesures ont été adoptées à certains égards. Les superficies cultivées sont substantielles, soit environ 43 000 acres, mais par rapport à d'autres pratiques de conservation des habitats, c'est peu. La conservation des oiseaux chanteurs, la préservation de la faune et la restauration des cours d'eau et des berges sont mieux acceptées dans le milieu agricole.

Je crois que c'est en raison de la différence de coûts avec les mélanges de semences. Les semences qui nourrissent le mieux les pollinisateurs à l'heure actuelle sont disponibles en quantités à un prix unitaire élevé. Les sociétés qui ont un budget qui ne dépend pas de la production de cultures ont une plus grande marge de manœuvre pour prendre une mesure qui ne sera peut-être pas rentable, mais qui présentera un avantage sur le plan environnemental.

Le sénateur Robichaud : L'habitat que vous examinez est principalement pour les pollinisateurs sauvages et non pas pour les abeilles domestiques? Il servirait également aux abeilles domestiques, mais certainement à tous les autres pollinisateurs. Vous avez mentionné à la fin de votre exposé que les abeilles indigènes et d'autres pollinisateurs pourraient jouer un rôle plus important. Pourriez-vous nous en dire plus longuement à ce sujet, je vous prie?

Mme Wojcik : Oui, tout à fait. Je vais répondre à la première question. L'habitat qui est conçu pour les pollinisateurs répondrait certainement aux besoins des abeilles domestiques, aux abeilles indigènes et aux divers autres pollinisateurs qui sont une source de préoccupation — papillons, coléoptères, colibris. Cependant, les cibles visant à améliorer la santé et la nutrition des abeilles domestiques exigeraient de sélectionner certains milieux et certaines espèces de plantes que préfèrent les abeilles domestiques, qui produisent plus de nectar et les pollens qu'elles aiment.

Elles ont une biologie assez différente de celle des abeilles indigènes, si bien que les plantes indigènes ne leur conviennent pas nécessairement dans toutes les situations. Il faut mettre au point des mélanges de semences générales si l'on veut appuyer tous les aspects également. Les recherches progressent de manière positive dans cette direction, mais il y a encore du travail à faire.

Quand je parle du rôle que les pollinisateurs indigènes peuvent jouer dans le secteur agricole, c'est un sujet qui m'intéresse, mais je pense qu'on peut l'approfondir beaucoup plus. Les pollinisateurs indigènes pourraient être gérés; certains le sont. Il y a diverses mégachiles qui sont gérées commercialement, tel qu'énoncé dans le mandat du comité. Il y a également l'autre sous-groupe de pollinisateurs indigènes qui sont gérés au moyen d'habitats qui sont adjacents à des terres cultivées pour que des colonies d'abeilles indigènes assurent la pollinisation de ces cultures.

Ce qui est compliqué avec les pollinisateurs indigènes, c'est leur émergence saisonnière et leur cycle de vie court, sans compter la période de floraison des cultures qui ont besoin de la pollinisation. C'est la même chose pour les travaux partout dans le monde. Aux États-Unis et en Europe, il n'y a pas autant d'information sur la relation des pollinisateurs indigènes et les variétés de plantes que nous choisissons de cultiver pour avoir les meilleures pratiques de gestion dans ces scénarios. Je crois que c'est un secteur où l'on pourrait prendre des mesures proactives au Canada pour comprendre comment les ressources indigènes pourraient être utilisées pour contribuer à la pollinisation des cultures.

Je ne crois pas que ce sera le cas pour toutes les variétés car certaines cultures ne sont pas indigènes de l'Amérique du Nord, si bien qu'il pourrait être plus difficile de trouver une correspondance indigène, mais je suis certaine qu'il y aura un sous-groupe qui pourrait bénéficier d'une meilleure compréhension du système des pollinisateurs indigènes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, madame. Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que votre groupe a participé à la recherche d'endroits pour nicher les abeilles. Il s'agissait même de créer des hôtels d'abeilles, si je peux m'exprimer ainsi.

En 2013-2014, le taux moyen de mortalité des abeilles au Canada était de 25 p. 100 en moyenne. En Ontario, il s'agissait de 58 p. 100. On a beaucoup parlé des néonicotinoïdes, mais est-ce qu'on pourrait attribuer le taux de mortalité au fait que les abeilles n'avaient pas de niches pour s'abriter?

[Traduction]

Mme Wojcik : Pour ce qui est des données sur la mortalité que vous avez mentionnées, elles sont plus particulièrement associées aux abeilles domestiques, qui sont gérées, et elles sont tirées uniquement des stocks gérés. Il ne s'agit pas de données sur les abeilles domestiques sauvages, qui sont très peu nombreuses au Canada et aux États- Unis, car c'est une espèce non indigène que l'on a importée pour contribuer à la pollinisation des cultures agricoles qui est principalement gérée.

Les colonies sauvages d'abeilles domestiques ne survivent pas facilement en Amérique du Nord en raison de maladies et de pathogènes tels que le varroa, dont vous avez peut-être déjà entendu parler. C'est un acarien qui a une incidence sur la survie de l'abeille, étant un parasite externe, et qui affaiblit les colonies.

Pour ce qui est des facteurs qui contribuent à la perte de colonies au Canada, pour les abeilles domestiques, ce ne serait certainement pas lié à des sites disponibles où elles peuvent vivre car ils ne sont pas fournis par les apiculteurs dans le cas de colonies gérées. Les ruches des abeilles domestiques sont souvent si rigoureusement gérées qu'elles sont divisées en deux ou en trois. Si une ruche se porte très bien, un apiculteur fera trois ruches avec cette ruche pour sauver celles qui se portent moins bien après la saison.

Lorsque je demande qu'on crée des habitats pour les abeilles, lorsqu'il s'agit d'abeilles domestiques, c'est principalement pour l'alimentation, et lorsqu'il s'agit d'abeilles indigènes, c'est pour l'alimentation et la nidification. Je suis ravie d'apprendre que vous connaissez le Bee Condo Program. C'est un excellent programme de sensibilisation du public dont nous sommes très fiers, et nous remercions nos partenaires.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Effectivement, c'est un marché qui fonctionne bien, mais pour ce qui est des condos, on repassera. Je vous remercie, madame.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Merci de votre exposé, qui était excellent et instructif. À l'heure actuelle au Canada, nous limitons l'importation des abeilles domestiques des États-Unis, sauf celles provenant de la Californie et d'Hawaï, et je me demande s'il ne serait pas bénéfique pour vos apiculteurs de lever ces restrictions. On n'arrive pas à s'entendre à ce sujet. Certains témoins disent que les protections doivent demeurer en place pour assurer la santé des abeilles. D'autres disent qu'elles devraient être levées, que les deux colonies sont semblables et qu'il n'y aurait donc aucun problème. Qu'en pensez-vous?

Mme Wojcik : C'est un point auquel j'ai peu réfléchi car je sais que la restriction est principalement attribuable au fait que les incidences de varroa et de Nosema sont plus élevées aux États-Unis. À titre de mesure de prévention pour empêcher ces maladies de proliférer, l'importation d'abeilles américaines au Canada n'est pas autorisée. Toutefois, l'importation d'abeilles canadiennes aux États-Unis est autorisée.

Je m'adresserais aux spécialistes de l'apiculture. Vous avez probablement raison de dire que les deux régions sont très liées car j'imagine qu'une colonie d'abeilles dans le nord du Dakota du Nord et une autre dans le sud du Manitoba peuvent interagir dans une certaine mesure, puisque les abeilles domestiques peuvent voler dans un rayon de 50 kilomètres de leur ruche. Je ne peux personnellement pas me prononcer là-dessus, mais je conviendrais probablement qu'il y a des interactions entre les deux colonies.

La sénatrice Beyak : Ces renseignements sont très utiles. Vous avez mentionné que les États-Unis importent des abeilles du Canada. Savez-vous s'ils en importent d'autres pays également?

Mme Wojcik : Je crois qu'ils ont cessé récemment de les importer de la Nouvelle-Zélande, mais je ne me rappelle plus pour quelle raison. La première chose que les apiculteurs vont faire cependant, ce n'est pas d'importer les abeilles ouvrières, mais les reines. Elles sont en grande partie élevées à Hawaï et en Californie pour le marché américain, mais elles peuvent être exportées vers d'autres régions dans le monde. Les abeilles ouvrières d'autres colonies accepteront une nouvelle reine et augmenteront leur stock de cette façon.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

Le sénateur Enverga : Merci de votre déclaration, Victoria. Elle était excellente. Soit dit en passant, on dirait que les États-Unis sont plus sensibilisés à la situation des abeilles car vous avez la Semaine des pollinisateurs et même une note présidentielle. C'est une bonne nouvelle. Nous devrions peut-être faire de même au Canada

Mes questions donnent suite à la question de la sénatrice Beyak sur l'importation des abeilles. Lorsque vous parlez des abeilles américaines, sont-elles purement américaines? Ici au Canada, nous importons des abeilles de l'Europe. Vos abeilles sont-elles habituellement plus américaines qu'européennes, ou avez-vous les deux?

Mme Wojcik : Non, la nature du stock génétique des abeilles aux États-Unis serait très semblable à celui du Canada. On préfère les abeilles provenant de certaines régions de l'Italie. Elles sont considérées comme étant plus dociles et de meilleures productrices de miel. Les abeilles russes ont la réputation d'être plus vigoureuses. Il revient à l'apiculteur de décider la lignée génétique qu'il préfère pour les espèces d'abeilles — Apis mellifera, les abeilles domestiques.

Les déplacements des abeilles dépendent de la ruche, des alvéoles qui sont remplies d'ouvrières, des restrictions liées à des problèmes épidémiologiques et de la santé de la ruche. Une reine peut être en santé, mais les ouvrières peuvent attraper une maladie. Les restrictions découlent de cet aspect particulier, des déplacements des abeilles d'un endroit à un autre. Nous n'aurions pas exactement le même type d'abeilles, mis à part les préférences des apiculteurs pour des espèces précises.

Le sénateur Enverga : Je remarque également que l'une des raisons pour lesquelles nous interdisons les abeilles domestiques des États-Unis, c'est à cause des abeilles africanisées. Malgré les similitudes, sauf pour les abeilles africanisées, vous avez un pourcentage de pertes plus faible. Pensez-vous que les abeilles africanisées vous aident aux États-Unis, ou n'est-ce pas un facteur?

Mme Wojcik : Je ne considérerais pas que c'est un facteur important. Peu d'apiculteurs gèrent des abeilles africanisées. Certains apiculteurs dans le sud des États-Unis, dans le sud de l'Arizona, et peut-être dans le sud de la Californie, gèrent des abeilles domestiques qui sont certes des abeilles africanisées et européennes. Ces apiculteurs m'ont raconté des histoires intéressantes. Ils doivent avoir une gestion plus agressive. Ils se font piquer davantage. Produisent-elles plus de miel? En théorie, les abeilles africanisées produisent plus de miel. Toutefois, la production de miel se fait principalement dans le nord des États-Unis, pour le miel commercial que nous aimons, et les abeilles africanisées ne s'adaptent pas bien aux climats plus froids.

Je ne crois pas qu'il y ait des apiculteurs du Nord qui veulent essayer l'hybridation et favoriser les abeilles africanisées. En fait, dans beaucoup de régions, les apiculteurs qui trouvent des abeilles africanisées détruisent ces ruches simplement pour éviter que le personnel ait à travailler avec ces abeilles.

La sénatrice Unger : Merci, madame Wojcik. C'est très intéressant. J'ai une question complémentaire par rapport à votre commentaire sur le varroa et sur le fait que la résistance à ce traitement est vraiment élevée. J'aimerais savoir combien de temps s'écoule avant qu'une résistance se développe, et aussi savoir si de nouveaux traitements sont en voie d'élaboration aux États-Unis. Lorsqu'un traitement n'est plus efficace, il faut le remplacer par autre chose. J'aimerais donc avoir vos commentaires à ce sujet.

Mme Wojcik : Mes commentaires seront fonction du travail que j'ai effectué dans les domaines de l'apiculture et de la santé des colonies d'abeilles. Je dois admettre que ce sont les volets les moins développés de mon expertise dans la conservation des pollinisateurs.

L'Université du Minnesota travaille à la création de lignées d'abeilles génétiquement prédisposées à adopter de meilleurs comportements sur le plan de l'hygiène. Les individus de ces lignées ont tendance à se laver plus souvent. Par conséquent, ils sont plus susceptibles d'enlever ces acariens, ce qui est directement lié à une prévalence plus faible de la varroase. Le laboratoire de l'Agricultural Research Service, à Tucson, en Arizona, mène aussi des travaux dans ce domaine. Le laboratoire se spécialise dans la santé des colonies d'abeilles, la nutrition et les agents pathogènes en plus de la recherche sur les solutions de rechange et d'autres traitements chimiques contre le varroa. Le varroa est traité à l'aide de produits chimiques, soit un acaricide.

On y travaille aussi au développement de traitements non chimiques et de traitements substitutifs. L'un de ces traitements est un dérivé du houblon. Il s'agit d'un produit très collant qui rejette des émanations sous forme gazeuse dans la ruche, et le varroa ne tolère pas la présence d'éléments du houblon dans la ruche.

Si vous voulez plus de renseignements sur le varroa et les traitements, je vous recommande de communiquer avec Mme Marla Spivak, à l'Université du Minnesota, de même qu'avec Mme Gloria DeGrandi-Hoffman, au laboratoire de recherche sur les abeilles de Tucson. Elles pourront vous donner une réponse plus complète que la mienne.

Le sénateur Oh : Victoria, vous avez fait beaucoup de recherches sur le problème des colonies d'abeilles. Savez-vous si les pays asiatiques sont confrontés au même problème que nous? Je crois comprendre que l'utilisation des pesticides n'est pas bien gérée, là-bas. Sont-ils aux prises avec le grave problème que nous avons ici?

Mme Wojcik : Non. En Asie, les problèmes auxquels l'industrie des pollinisateurs d'élevage et des pollinisateurs indigènes est confrontée sont très différents, mais aussi très difficiles à cerner en raison des lacunes en matière d'uniformisation des rapports. Toutefois, ils sont liés à l'usage intensif de pesticides dans certaines régions non réglementées, ce qui a manifestement une incidence sur la santé des abeilles, mais pas autant sur celle des abeilles d'élevage. Dans un contexte d'élevage, il est possible d'assurer la santé et la survie des abeilles domestiquées en divisant les colonies. Pour redonner des forces à une colonie qui ne se porte pas bien, on peut la diviser et la nourrir d'un sucre synthétique ou de miel provenant d'une autre colonie.

À cet égard, nous n'avons pas connaissance de données de pays d'Asie qui indiqueraient que des colonies d'abeilles d'élevage souffrent considérablement. Nous savons cependant qu'il existe des problèmes quant à l'acceptation par d'autres pays des produits de la ruche en provenance d'Asie en raison de l'usage connu de pesticides qui pourraient contaminer le miel et la cire. Voilà un des secteurs touchés de l'industrie apicole asiatique.

Il y a aussi des problèmes dans le cas des abeilles indigènes. Comme je l'ai indiqué, l'abeille domestique n'est pas une espèce indigène à l'Amérique du Nord. Les populations sauvages sont peu nombreuses. En Asie, il y a une espèce indigène. C'est une espèce distincte appelée Apis cerana. C'est une abeille de plus grande taille que l'on retrouve souvent dans les endroits à découvert. En Asie, au lieu de pratiquer l'apiculture, on pratique la chasse au miel de l'Apis cerana. Je dirais que les populations sauvages seraient plus touchées par l'usage non réglementé ou intensif de pesticides parce que personne ne s'en occupe.

Je sais que dans certaines régions d'Asie, le recours intensif aux pesticides a décimé les populations indigènes de pollinisateurs au point où l'on procède manuellement à la pollinisation de certaines cultures de fruits. Voilà une chose que je ne voudrais voir dans quelque région que ce soit, parce que nous ne pouvons pas être aussi efficaces que les abeilles.

Le président : Nous passons au deuxième tour, sénateurs.

La sénatrice Tardif : Vous avez parlé de l'importance de l'habitat — et d'un habitat diversifié — pour la santé les pollinisateurs. Au Canada et aux États-Unis, nous pratiquons la monoculture à grande échelle. Par exemple, dans ma région, d'immenses territoires sont consacrés à la culture du canola. Ailleurs au Canada, cela pourrait être le soja ou le maïs. Essentiellement, l'alimentation des pollinisateurs se limite à un seul aliment.

Selon vous, cela a-t-il un effet sur la santé des abeilles? Si oui, que pouvons-nous dire aux agriculteurs concernant leurs pratiques agricoles pour les sensibiliser davantage à la nécessité d'un habitat diversifié afin de promouvoir la santé des abeilles?

Mme Wojcik : C'est une excellente question. C'est certainement une question que mon organisation et moi-même avons entendue maintes fois. Lorsqu'une monoculture représente l'unique source de pollen pour les abeilles sur une longue période, cela risque certainement d'avoir une incidence sur la santé de ces abeilles. Le pollen est une source de protéines; il se compose de divers acides aminés et toutes les espèces ont besoin d'un certain équilibre. Les abeilles qui tirent leur alimentation de diverses espèces végétales — comme les abeilles domestiques, des généralistes qui se sont adaptées pour s'alimenter à diverses sources — ont besoin de pollen provenant de diverses sources pour obtenir un équilibre nutritionnel adéquat. D'autres espèces, comme les abeilles indigènes qui ont une relation avec une variété végétale unique, sont habituellement adaptées à la valeur nutritionnelle de ce pollen.

Donc, pour donner une longue réponse à votre question, avoir comme alimentation une seule source de pollen peut absolument avoir un effet négatif sur un régime alimentaire équilibré. Je ne dis pas pour autant que cela vaut pour tous les pollens. Par exemple, le pollen de l'amandier est très complet sur le plan nutritif. Cela va donc à l'encontre du commentaire selon lequel les monocultures sont nuisibles, mais dans l'ensemble, il serait préférable d'offrir aux abeilles une source de pollen équilibrée.

Comment pouvons-nous y parvenir? Je crois comprendre que les exploitations agricoles sont structurées ainsi pour des raisons d'efficacité. Je connais très bien l'agriculture et j'ai aussi cultivé mes propres aliments dans mon jardin. Je comprends donc pourquoi l'agriculture commerciale n'est pas pratiquée sur de petites superficies. Toutefois, il est possible d'intervenir sur les grandes exploitations agricoles pour favoriser l'alimentation équilibrée des pollinisateurs comme les abeilles domestiques qui peuvent s'installer dans ces endroits pour une plus longue période. La plantation dans la zone fourragère de fleurs sauvages nutritives ou d'autres cultures de couverture comme source d'alimentation complémentaire est une solution appuyée par beaucoup d'autres biologistes spécialistes des pollinisateurs.

Il arrive que les producteurs soient réticents à le faire si la floraison de la culture de couverture ou de la culture nutritive survient à la même période que celle de la culture qu'ils exploitent, car ils s'attendent à ce que les abeilles ne s'attardent qu'aux variétés cultivées qui doivent être pollinisées. À mon avis, c'est un problème qui peut être résolu par l'offre de conseils techniques, mais nous n'avons pas toujours un ensemble complet de données nous permettant de donner des directives en matière de gestion.

À titre d'exemple, un producteur d'amandes en Californie ne voudra pas que d'autres plantes soient en floraison pendant les deux semaines de la floraison de l'amandier pour éviter qu'une variété nuise au travail des abeilles, qui sont affairées à la pollinisation des amandiers, parce que cela réduira les profits qu'ils pourront tirer de cette culture. Donc, dans un tel scénario, il faudra trouver une solution plus créative.

La sénatrice Beyak : Les Canadiens d'un océan à l'autre regardent la diffusion de nos délibérations et la question qui m'est posée le plus souvent, c'est de savoir pourquoi le comité sénatorial se soucie de la santé des abeilles. Étant donné vos vastes connaissances, je ne peux penser à une personne mieux qualifiée que vous pour expliquer la corrélation entre l'habitat, la pollinisation, la santé des abeilles et l'ensemble de notre culture vivrière. Pourriez-vous nous donner des explications à ce sujet?

Mme Wojcik : Avec plaisir. Je suis heureux d'avoir l'honneur de le faire, mais j'ai omis d'en parler dans mon exposé, car j'avais présumé que vous aviez déjà été submergés de faits et de données en raison du temps que vous avez consacré à cet enjeu.

La santé des abeilles et des pollinisateurs est essentielle à notre santé, et ce, pour diverses raisons. L'une des principales raisons, c'est que la grande majorité des plantes — cela inclut les cultures, mais commençons d'abord par les plantes — a besoin de pollinisateurs pour produire une graine. Sans cette graine, avoir une prochaine génération de la plante est impossible. Il en est ainsi pour beaucoup d'arbres feuillus, mais pas pour les pins. Toutes les variétés de feuillus, toutes les fleurs sauvages qui façonnent nos paysages, la diversité que nous voyons d'est en ouest d'un océan à l'autre, jusque dans les régions boréales... Ces plantes ont besoin de pollinisateurs. Près de 80 p. 100 des variétés en dépendent. Donc, lorsque vous regardez par la fenêtre, imaginez que 80 p. 100 des variétés ont disparu. C'est ce qui se produirait si les pollinisateurs disparaissaient, car les plantes ne pourraient se reproduire.

En ce qui concerne les aliments que nous consommons, les chiffres sont un peu différents. Cela concerne 80 p. 100 des cultures que nous cultivons, mais cela représente environ 30 p. 100 de notre alimentation réelle. Nous avons un régime alimentaire à très forte teneur en grains. Or, le blé, le maïs et le riz n'ont pas besoin de pollinisateurs.

Sans pollinisateurs, nous ne pourrions profiter des avantages nutritionnels et des bienfaits pour la santé que nous procurent bon nombre de propriétés des aliments comme les antioxydants, d'autres vitamines et minéraux que l'on retrouve dans les fruits, qui sont une partie très importante dans notre alimentation.

La raison pour laquelle les gens devraient s'en préoccuper, peu importe l'endroit où ils habitent, c'est qu'ils perdraient les aliments qu'ils aiment. Certes, ils auraient encore des aliments, mais pas d'aliments dignes d'intérêt ou particulièrement diversifiés et savoureux. De plus, cela entraînerait la perte des paysages et des écosystèmes dont vous dépendez. C'est aussi un élément culturel très important lorsque l'on pense à ce qui définit une collectivité ou une région. C'est votre paysage, et les abeilles y jouent un rôle essentiel.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

Le président : Comme vous le savez, madame Wojcik, les abeilles n'ont pas besoin d'une carte NEXUS ou d'un passeport lorsqu'elles sont à proximité des villes frontalières des États-Unis et du Canada. J'aimerais avoir un bref commentaire sur quelque chose.

On nous a maintes fois parlé des pratiques exemplaires de gestion visant à améliorer la santé des abeilles. Vous en avez parlé aussi. D'autres acteurs ont dit au comité que le transport des abeilles pourrait nuire à leur santé. Étant donné votre expérience et votre expertise, savez-vous comment le transport pourrait être amélioré afin de réduire ses effets sur la santé des abeilles, dans le contexte de notre mandat?

Mme Wojcik : Je vais répéter la question brièvement. Vous parlez du transport ou du déplacement des abeilles et de l'incidence que cela a sur leur santé.

Je crois que les commentaires que vous avez entendus sont liés au transport des abeilles domestiques ou d'autres pollinisateurs d'élevage aux fins de services de pollinisation, mais il s'agit principalement du déplacement de pollinisateurs d'élevage vers des régions qui manquent de pollinisateurs et qui ont besoin d'un plus grand nombre d'abeilles pour la pollinisation. Ma réponse à cette question comporte deux volets. Oui, sans aucun doute, si vous étudiez la vie d'une abeille que l'on transporte aux fins de services de pollinisation. Je travaille avec des apiculteurs du centre des États-Unis. À titre d'exemple, un apiculteur de l'Iowa charge ses abeilles en paquets dans un camion et les transporte jusqu'à la Sierra Nevada. C'est un périple de trois jours. Là, elles sont placées en attente à un poste d'inspection de l'État de la Californie pour s'assurer qu'elles sont saines. Ensuite, on les transporte jusqu'au site où elles polliniseront les amandiers. Pourquoi procède-t-on ainsi? C'est simplement parce que la superficie des habitats en Californie n'est pas assez grande pour assurer la subsistance des abeilles jusqu'à ce qu'on en ait besoin pour la pollinisation des cultures comme les amandes, les oranges, et cetera. On transporte les abeilles là où l'on en a besoin, parce que leur densité par fleur est insuffisante. Oui, le transport leur cause un stress.

La solution n'est pas simple parce qu'actuellement, dans beaucoup de cas, le secteur de l'agriculture commerciale n'a pas l'habitude de procéder ainsi pour trouver une solution afin d'avoir recours le plus possible à des abeilles d'une région donnée pour la pollinisation dans cette région. Cela signifie que lorsqu'elles ne pollinisent pas, elles doivent trouver de la nourriture ailleurs. À moins de vouloir leur donner du sucre, ce qui est possible, elles ont besoin d'un habitat. Qui dit habitat plus grand dit moins de transport.

Le président : Madame Wojcik, merci de ces renseignements.

Mme Wojcik : Il n'y a pas de quoi; ce fut un plaisir.

Le président : Chers collègues, nous avons reçu un document dans une seule langue officielle. La traduction a été demandée. Me permettez-vous de le distribuer?

Des voix : D'accord.

Le président : Chers collègues, le deuxième témoin que nous accueillons par vidéoconférence est Mme Gabriele Ludwig, qui est codirectrice aux affaires environnementales au sein de l'Almond Board of California. Mme Ludwig travaille à Washington et les membres de son association utilisent 1,4 million de ruches. Étant donné le mandat qui nous a été donné par le Sénat du Canada, son témoignage sera certainement très utile et très instructif.

Madame Ludwig, je vous demanderais de faire votre exposé. Ensuite, les sénateurs poseront des questions.

Gabriele Ludwig, codirectrice, Affaires environnementales, Almond Board of California : Honorables sénateurs, merci beaucoup de m'avoir invitée à témoigner et d'avoir pris le temps d'essayer d'en savoir plus sur la complexité de la santé des abeilles domestiques et des pollinisateurs en général. Mon exposé sera fondé sur le point de vue des États-Unis et de la Californie. Comme un des sénateurs l'a indiqué, l'environnement de la Californie est quelque peu différent de celui de la plupart des régions du Canada. Je vais commencer par vous brosser un tableau de l'industrie californienne de la culture des amandes.

Essentiellement, les amandes sont cultivées dans l'ensemble de la vallée centrale de Californie, et cela représente environ 80 p. 100 de la production mondiale d'amandes. On compte actuellement environ 328 000 hectares. Le nombre de ruches dont nous avons besoin est d'environ 1,6 million et non 1,4 million, parce qu'il nous faut deux ruches par acre.

La question soulevée était la suivante : pourquoi les amandiers ont-ils besoin d'abeilles et pourquoi les apiculteurs ont-ils besoin d'amandes? C'est là qu'intervient la biologie de base. Il se trouve que le pollen d'une variété d'amandier n'est pas compatible avec une plante de la même variété. Chaque amandaie compte au moins deux variétés distinctes, mais habituellement trois. Donc, essentiellement, il ne s'agit pas d'une monoculture à proprement parler parce qu'il y a différentes caractéristiques génétiques. Les abeilles ne servent pas seulement à déplacer le pollen dans la fleur, mais aussi à le transporter d'une plante ou d'une de rangée d'amandiers à une autre rangée, ce qui permet la fécondation. Dans mon document, j'ai essayé de montrer les deux variétés distinctes. Vous pouvez voir que la floraison des arbres de droite est terminée, tandis que les arbres de gauche sont encore en pleine floraison.

Comme Vicky l'a indiqué, nous avons besoin de services de pollinisation de la mi-février à la mi-mars. En Californie, les amandiers comptent parmi les premières variétés à fleurir. Nous avons besoin de deux ruches par acre. Le bon côté, du moins aux États-Unis, c'est que la relation entre les producteurs d'amandes et les apiculteurs est une relation de réciprocité. Comme Vicky l'a mentionné, le pollen de l'amandier est très nutritif pour les abeilles. Elles sont donc en meilleure santé parce qu'elles se nourrissent de pollen et de nectar d'amandier tout au long de l'hiver. Essentiellement, la taille des colonies augmente pendant la période de pollinisation des amandiers.

Pour les apiculteurs américains, la réalité financière, c'est que jusqu'à tout récemment, le miel n'était pas rentable, et ils se sont rendu compte que les services de pollinisation pouvaient être payants. La plupart des apiculteurs commerciaux offrent des services de pollinisation partout au pays. La prochaine image, qui est tirée du magazine Scientific American, nous donne un aperçu du déplacement des abeilles aux États-Unis à divers moments de l'année. Encore une fois, cela concerne ce que nous appelons les apiculteurs commerciaux.

Comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup de déplacements vers la Californie; en fait, cela commence dès maintenant, à l'automne, et cela se poursuit tout au long de l'hiver pour que tout soit prêt pour la pollinisation des amandiers en février. Ensuite, certains apiculteurs remontent la côte ouest vers le nord pour offrir d'autres services ou retournent sur la côte est pour la saison des bleuets. D'autres se rendent dans le Haut-Midwest en été pour la production de miel, comme Vicky l'a mentionné. Elle a aussi indiqué que pour la production de certaines sortes de miel, ils aiment les citrus que l'on trouve en Floride ou en Californie.

Du point de vue des producteurs d'amandes, on constate que le nombre de ruches commerciales sur le marché est demeuré relativement stable ces deux ou trois dernières années. Vous vous demandez probablement pourquoi il en est ainsi étant donné que nous entendons tous parler du déclin des populations d'abeilles domestiques. La réalité, c'est que les pertes hivernales moyennes des six ou sept dernières années sont d'environ 30 p. 100, et la plupart des apiculteurs vous diront que le taux acceptable de pertes hivernales est de 15 p. 100 tout au plus. La stabilité de la chaîne d'approvisionnement est attribuable aux investissements accrus que consacrent les apiculteurs commerciaux à la croissance et la division des ruches. Ils utilisent plus de produits — aliments ou pesticides — pour maintenir la santé de leurs ruches. Essentiellement, l'apiculture nécessite plus de main-d'œuvre et coûte plus cher, ce qui se reflète dans le prix que doivent payer les producteurs d'amandes pour les ruches. Il y a 10 ans, le prix était d'environ 60 ou 70 $ par ruche, tandis qu'aujourd'hui, la moyenne se situe probablement autour de 150 $ par ruche. Donc, pour le producteur d'amandes, cela représente 300 $ l'acre. Je ne peux calculer rapidement le prix par hectare, mais c'est simplement pour vous donner une idée. C'est pour eux un coût annuel important.

Je sais qu'un autre aspect vous pose problème : c'est celui de l'usage répandu des pesticides en agriculture. Il faut savoir que les pollinisateurs et les pesticides ne font pas nécessairement bon ménage. C'est un problème auquel notre industrie est aux prises depuis très longtemps parce que nous avons à la fois besoin d'abeilles pour la pollinisation et de fongicides pour prévenir certaines maladies qui touchent les fleurs pendant la floraison. Ces maladies ont les effets suivants : elles empêchent la formation des noix, ou elles endommagent ou tuent les branches. Je souligne, dans ce tableau provenant du site web du Statewide Integrated Pest Management Program de l'Université de Californie, que le moment optimal pour l'application de fongicides pour certaines des maladies principales coïncide avec la pleine floraison.

Depuis plus de 20 ans, l'industrie de la production d'amandes essaie d'établir un équilibre entre la nécessité de recourir aux abeilles et la nécessité d'utiliser des fongicides. Je dirais qu'en Californie, en février, pour une année normale, le temps est habituellement pluvieux et humide, ce qui explique pourquoi nous avons ces problèmes de maladies. Il y en a moins l'été, lorsqu'il fait 100 degrés Fahrenheit et que le temps est sec.

La principale stratégie que nous pouvons trouver, comme je le dis parfois, consiste à savoir si nous pouvons éviter la pulvérisation pendant la floraison. Non. Nous finançons la recherche de l'Almond Board of California. Nous n'avons pas trouvé de façon d'éviter l'application de fongicides pendant la floraison; je dois aussi vous dire que les pertes sont importantes. La difficulté de contrôler les maladies est l'une des raisons pour lesquelles les amandes biologiques sont si chères.

Nous avons découvert — cela s'applique aux amandes, mais je ne dis pas qu'il en est ainsi pour toutes les cultures — que le pollen de l'amandier se dissémine le matin. Les abeilles butinent le matin ou l'après-midi. Donc, dans la mesure où l'on peut appliquer les fongicides en fin d'après-midi et la nuit, on se trouve essentiellement à les appliquer lorsque les abeilles ne sont pas sur place pour butiner et aussi lorsqu'il n'y a pas de pollen.

L'autre problème qui est survenu, c'est que nous avons récemment constaté que divers producteurs ont découvert qu'ils pouvaient utiliser certains des nouveaux insecticides. Il ne s'agit pas des néonicotinoïdes, qui ne conviennent pas pour les problèmes propres aux amandes. Les producteurs se sont rendu compte qu'ils pouvaient faire des mélanges en cuve, ce qui consiste à mélanger les insecticides et les fongicides. Ce sont des insecticides qui agissent aux divers stades de développement des insectes, mais pas chez les adultes. Nous pensons qu'ils peuvent avoir nui à la santé des abeilles domestiques.

En conséquence, nous menons actuellement une campagne auprès des producteurs et des spécialistes de la lutte antiparasitaire pour leur rappeler les pratiques exemplaires en matière de gestion, dont une meilleure communication, qui est un aspect essentiel. En ce qui concerne les apiculteurs, les courtiers en abeilles, les propriétaires, les locataires, les gestionnaires d'exploitation agricole et les spécialistes de la lutte antiparasitaire, le principe est de leur donner une idée de la complexité des communications requises dans certaines activités. Pour d'autres activités, cela peut simplement se résumer à une discussion entre l'apiculteur et le producteur, en réalité. Essentiellement, il s'agit de s'assurer que tous les acteurs de la chaîne de communication savent où se trouvent les abeilles, savent quels pesticides peuvent être utilisés ou non et sont au courant des accords qui ont été conclus, entre autres choses.

Nous nous sommes rendu compte qu'il faut vraiment mettre l'accent sur la communication. D'après ce que j'entends d'autres groupes de producteurs qui s'intéressent aux enjeux liés à la santé des abeilles domestiques aux États-Unis, qu'il s'agisse des producteurs de coton ou des producteurs d'agrumes de la Floride, je dirais que le simple fait d'avoir pris conscience qu'ils doivent communiquer a fait une énorme différence.

De notre côté, l'autre problème, c'est que nous n'avons pas besoin d'effectuer des traitements insecticides pendant la floraison. Nous rappelons donc aux producteurs et aux spécialistes de la lutte antiparasitaire de ne pas le faire. Pour ce qui est des fongicides, qui doivent être appliqués pendant la floraison, nous leur rappelons de le faire en fin d'après- midi et en soirée. Mes collègues assistent actuellement aux réunions des spécialistes de la lutte antiparasitaire et participeront à notre conférence annuelle, en décembre, pour faire connaître ces pratiques exemplaires de gestion concernant les abeilles domestiques.

Quelles sont les autres réalisations de l'Almond Board of California? L'Almond Board est un organisme fédéral de commercialisation financé par les producteurs à hauteur de trois cents par livre d'amandes vendues sur le marché. La majeure partie de cette somme est utilisée pour la commercialisation, mais une partie est versée à la recherche. Nous investissons l'argent des producteurs d'amandes dans la recherche sur les abeilles domestiques depuis 1976. Nous mettons l'accent sur la recherche liée à la santé des abeilles domestiques depuis 1995, bien avant, pour être franche, que les abeilles domestiques soient un sujet à la mode et qu'on en parle dans les médias.

Actuellement, plus de 1,6 million de dollars sont consacrés à la recherche sur la santé des abeilles domestiques. Cela ne concerne pas seulement la Californie, mais l'ensemble des chercheurs de ce domaine aux États-Unis. Nous avons établi des partenariats avec d'autres organismes sans but lucratif, dont NAPSI et des instituts de recherche aux États- Unis.

Je sais que c'est l'une des questions que vous avez posées, et je pense que cela concorde avec ce que Vicky a dit : l'un des aspects clés est l'amélioration de la nutrition et des sources d'alimentation de l'abeille domestique tout au long de l'année. Dans le cas de l'industrie des amandes, comme Vicky l'a indiqué, la Californie n'a pas suffisamment de sources d'alimentation. Ce n'est pas seulement attribuable à la quantité d'amandes; cela tient aussi du fait que la Californie s'assèche pendant l'été. Essentiellement, les plantes fleurissent au printemps, puis s'assèchent. Peu de variétés fleurissent pendant l'été.

En raison du climat, la quantité de plantes fourragères en Californie et limitée. Comme nous dépendons de la santé des abeilles domestiques, nous avons pris conscience que nous ne devons pas seulement améliorer les sources d'alimentation pendant la période où les abeilles sont en Californie, à l'hiver et au printemps, mais que nous devons aussi commencer à collaborer avec nos partenaires à l'amélioration des sources d'alimentation dans d'autres régions importantes des États-Unis où l'on garde les abeilles.

On ne peut trop insister sur le lien entre les plantes fourragères et la nutrition des abeilles. À cela s'ajoute l'aspect suivant : beaucoup d'abeilles migrent vers la Californie à l'automne pour éviter l'hiver du Dakota du Sud. Elles passent l'hiver en Californie avant la floraison des amandiers et on les nourrit de sucre et de divers mélanges de protéines. Nous avons financé des recherches sur les meilleurs aliments à fournir aux abeilles domestiques. D'une certaine façon, c'est en tout point semblable aux aliments pour chiens. Ce qui convient aux chiens convient aux abeilles.

Vous avez aussi beaucoup entendu parler du varroa. Plus tôt, je vous ai montré la diapositive où l'on indique que les pertes hivernales moyennes sont d'environ 30 p. 100 aux États-Unis. Environ le tiers de ces pertes peuvent être attribuables au varroa. Je décrirais le varroa comme un croisement entre un vampire et le sida. J'en suis venue à conclure qu'il ne s'agit pas seulement du sida; il transmet diverses maladies en mordant l'hôte ou en aspirant son sang. C'est un parasite extrêmement nuisible et difficile à éliminer.

Une partie de la recherche porte sur l'amélioration génétique. Vicky a mentionné certaines de ces choses. Nous aidons à l'importation de sperme d'abeilles en provenance d'Europe afin d'améliorer la qualité des reines sélectionnées aux États-Unis. Nous n'importons pas d'abeilles.

Nous mettons à l'essai de nouveaux produits et de nouvelles techniques de gestion pour voir si nous pouvons trouver d'autres façons d'aider les apiculteurs à mieux lutter contre le varroa, car cela a des répercussions importantes sur les abeilles domestiques.

Pour l'essentiel, les autres priorités sont la reproduction d'abeilles domestiques, le germoplasme, la conservation et l'amélioration des populations. Nous finançons la recherche sur les effets sur les abeilles des produits de lutte contre les organismes nuisibles que nous utilisons pour les amandes, et sur les façons de gérer cet aspect.

Il convient aussi de prendre conscience qu'une meilleure communication et une meilleure coordination sont des éléments clés. Je dois reconnaître le rôle de NAPSI à cet égard, car ces gens ont réussi à réunir divers groupes de partout en Amérique du Nord pour discuter non seulement de la santé des abeilles, mais de la santé des pollinisateurs en général.

Nous avons également remarqué qu'aux États-Unis — et cela vient d'une industrie qui a véritablement tiré des avantages de la recherche et d'un solide régime consultatif de développement agricole — les apiculteurs n'ont pas vraiment profité des avantages de ce système. Nous appuyons des projets que l'on appelle des Tech Transfer Teams, ou équipes de transfert de la technologie, qui offrent aux apiculteurs une forme de prolongement.

J'aimerais que vous sachiez que les producteurs d'amandes s'intéressent à la question des plantes fourragères. À certains endroits, des plantes fourragères ont été plantées entre des arbres nouvellement plantés. Vicky a indiqué que nous ne voulons pas nécessairement nuire aux amandiers. J'ai constaté que ce n'est pas un problème si important, parce que les abeilles aiment beaucoup les amandes. Toutefois, le problème se pose lorsque la floraison est terminée, parce que nous devons pulvériser des insecticides. Donc, lorsque vous devez lutter contre les parasites, avoir des plantes en floraison dans votre champ ou votre verger vous complique la tâche.

Je suis plus favorable à l'idée d'utiliser les zones à proximité des champs ou les zones où rien ne pousse, pour une raison quelconque. L'idée est d'y planter des plantes fourragères qui conviennent aux abeilles ou aux pollinisateurs en général.

Voici certains des efforts que nous avons menés pour lutter contre le varroa, et sur l'image, on voit la taille du varroa comparativement à celle de l'abeille domestique. Nous avons aussi mené des recherches sur la lutte contre d'autres maladies comme la nosémose, sur le petit coléoptère des ruches — un autre parasite des ruches — et sur l'élevage, notamment.

Voilà un aperçu des activités de l'Almond Board. Certaines des questions clés que nous posons ressemblent beaucoup aux enjeux sur lesquels on vous a demandé de vous renseigner. Comment pouvons-nous veiller à ce que les abeilles et les autres pollinisateurs aient accès à des sources d'alimentation et des cultures fourragères adéquates à l'échelle nationale, d'abord, et aussi, dans le cas des amandes, tant avant qu'après la floraison des amandiers en Californie? Comment pouvons-nous nous assurer que des travaux de recherche appropriés sont menés afin de trouver des solutions concrètes? Je ne saurais trop insister sur le fait que nous dépendons du financement que le gouvernement américain verse au département de l'Agriculture des États-Unis pour les laboratoires. Nous pouvons ensuite financer leurs travaux, mais nous avons à tout le moins cette infrastructure avec laquelle établir des liens.

Comment mettre en balance le besoin de pesticides avec le besoin simultané de pollinisation? Cela pose certainement problème dans le cas des amandes. Et comment faire en sorte que la pollinisation des amandes plaise aux apiculteurs, mais qu'elle soit offerte à un prix que les producteurs d'amandes trouvent raisonnable?

À la base, notre programme complet vise à garantir qu'il y ait suffisamment de ruches en santé pour assurer la pollinisation des amandes et faire en sorte que les amandes continuent d'être bonnes et sécuritaires pour les abeilles.

La sénatrice Tardif : Merci pour votre présentation très instructive.

Vous y avez fait allusion dans votre conclusion lorsque vous avez dit que vous aviez du financement pour la recherche. Ma question, avant que vous souleviez ce point, était celle de savoir d'où provenait le financement pour les travaux de recherche que vous entreprenez. Vous avez mentionné quelques sources pendant votre présentation. Vous insistez sur l'importance de la recherche, alors quelles sont vos sources de financement?

Mme Ludwig : L'Almond Board of California est une agence fédérale de commercialisation; en gros, il y a plus d'une cinquantaine d'années, les producteurs se sont réunis et ont décidé, essentiellement, de s'imposer eux-mêmes une taxe; ils paient donc 3 cents la livre, et ils se placent ensuite sous la supervision de l'USDA. Nous recevons le financement pour notre recherche directement des producteurs d'amandes.

Cependant, nous avons besoin de disposer de l'infrastructure dans laquelle notre financement de recherche peut porter fruit, c'est-à-dire que nous nous en remettons à une Université de la Californie pour embaucher un spécialiste des abeilles dont nous pourrons financer la recherche. Nous comptons sur l'USDA ou l'argent des contribuables aux États-Unis pour avoir un laboratoire de recherche sur les abeilles à Tucson.

Voilà pourquoi je dis que nous finançons la recherche, mais nous nous fions aussi à une infrastructure déjà en place dans laquelle notre financement peut être utile.

La sénatrice Tardif : Le deuxième point que vous avez soulevé portait sur la façon de veiller à ce que des travaux de recherche pertinents soient menés pour trouver des solutions réelles. A-t-on l'impression que certains des travaux de recherche passés n'ont peut-être pas fourni de solutions réelles? Que vouliez-vous dire au juste?

Mme Ludwig : Je vais soulever certains points. À franchement parler, une bonne partie de la recherche actuelle porte sur les néocotinoïdes. Comme Vicky disait, nous constatons qu'ils ne sont ni meilleurs ni pires que tout autre pesticide ou insecticide. C'est clair.

J'estime que l'on a beaucoup mis l'accent sur cette question sans avoir nécessairement réussi à la placer dans un contexte plus large. Mon travail porte sur les questions de réglementation, et selon moi, la majorité des recherches qui ont été menées sur les pesticides et les abeilles mellifères ne peuvent être utilisées dans un contexte réglementaire parce qu'elles ne fournissent pas tous les paramètres nécessaires.

Parallèlement, il en est question dans les médias. C'est ce qui se passe aux États-Unis; alors l'EPA ou, en Californie, le département chargé de la réglementation des pesticides, est pressé d'agir. Cependant, les données ne répondent pas aux besoins en matière de réglementation — elles n'ont pas la qualité voulue.

J'aimerais voir plus de projets raisonnés de grande envergure afin d'utiliser ce financement à bon escient pour nous aider à répondre à des questions très complexes sur les pesticides et la santé des abeilles mellifères.

Encore une fois, ce n'est pas facile, mais pour donner suite à ce que Vicky disait, je pense que la deuxième question est celle de savoir comment mettre en balance les différents types d'aliments que l'on peut faire pousser — déterminer leur valeur commerciale potentielle ou simplement les types de plantes que l'on peut faire pousser —, avec les besoins des abeilles mellifères ou des agents pollinisateurs autochtones. Encore une fois, au plan de la recherche, ce ne sont pas les questions les plus faciles à poser, mais tous nos efforts en ce sens nous aideraient à utiliser plus efficacement les ressources dont nous disposons pour leur permettre de butiner.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci, madame Ludwig, pour votre exposé.

Pour rester dans le domaine des amandes, vous avez dit, au début, que, pour éviter la monoculture, vous semez dans différentes rangées trois sortes d'amandiers, afin que les abeilles puissent polliniser différentes fleurs.

Est-ce que cette méthode pourrait être applicable, par exemple, aux cultures de maïs ou à d'autres grandes cultures de ce genre? Est-ce que ce genre de semence serait applicable au Canada? En fait, ce sont trois sortes d'amandes différentes qui sont plantées et qui poussent à trois étapes différentes. Est-ce que ce serait applicable chez nous?

[Traduction]

Mme Ludwig : Merci. Permettez-moi de vous donner des précisions. La réponse courte est non, cela ne s'applique pas aux autres cultures parce que, dans le cas de la plupart des autres cultures, il est possible de faire pousser une seule variété au même endroit, et dans le cas du maïs, les abeilles ne sont pas nécessaires pour la pollinisation : le vent fait l'affaire. Dans le cas des pommes qui n'utilisent pas d'agents pollinisateurs ou qui n'en bénéficient pas, il est simplement besoin d'utiliser le pollen dans une seule fleur. Il n'est pas nécessaire de le transporter d'une variété à l'autre pour avoir des groupes de fruits. C'est là où les amandes diffèrent grandement, et c'est la raison pour laquelle nous dépendons autant des agents pollinisateurs, en particulier des abeilles mellifères, car nous avons besoin que le pollen circule d'une rangée d'arbres à l'autre.

Du point de vue de la culture, la question des monocultures est complexe. Je peux vous donner différentes perspectives. Bien des gens disent que la culture des amandes est une monoculture car, comme je l'ai mentionné, je pense qu'il y a maintenant 320 000 hectares d'amandes dans la vallée centrale californienne. Par contre, lorsque je retourne à mes racines dans le Midwest et que je regarde le terrain en Indiana ou en Ohio, où l'on cultive habituellement le maïs et le soya, et que je le compare à celui de la Californie, où l'on cultive des amandes, des noix, des pistaches, du coton et du canola, je constate la diversité des cultures que nous produisons, car le climat est unique. Pour être honnête, cela me frustre lorsque l'on décrit la Californie de cette façon.

Je pense que l'autre question concernant les monocultures ne porte pas tant sur ce qu'il y a dans les champs — et je crois que c'est là où Vicky voulait en venir — que sur le fait que nous avons trouvé des moyens très efficaces de combattre les mauvaises herbes. Avant, il y avait des bordures autour des champs ou des mauvaises herbes qui servaient par inadvertance d'habitat aux agents pollinisateurs, et nous avons mis au point des techniques agricoles très efficaces pour ne pas avoir à composer avec ces problèmes d'un point de vue concurrentiel mais, ce faisant, nous avons perdu des habitats.

L'autre question que nous avons observée aux États-Unis dans la partie supérieur du Midwest est une hausse du prix du maïs — pas cette année — si marquée entre le marché mondial et notre politique en matière d'éthanol que les terres qui n'étaient plus utilisées pour la production ont recommencé à l'être. Cela a entraîné la perte d'un nombre considérable d'acres d'habitat, qui sont redevenus des prairies dans la partie supérieure du Midwest.

Voilà d'où jaillissent les tensions. D'un côté vous avez les forces du marché, la capacité de cultiver de façon très écologique, et de l'autre, le besoin d'habitat.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Nous avons entendu dire qu'un problème au Canada est celui des abeilles hivernantes et qu'il est causé par un manque de nourriture pendant certains mois. Je vois dans votre présentation que vous faites de la recherche pour mettre au point des suppléments alimentaires pour abeilles. Dans quelle mesure vos efforts ont-ils été fructueux? Êtes- vous prêts d'avoir ces suppléments?

Mme Ludwig : L'un des suppléments pour abeilles s'appelle MegaBee, et il a été mis en marché. Mais le fait est que les apiculteurs sont des agriculteurs très individualistes, si vous vous voulez les qualifier ainsi, alors ils vont tenter de trouver tout ce qu'ils peuvent à meilleur marché. Je vois que les apiculteurs californiens utilisent des résidus de levure de bière, qui contiennent de la protéine et d'autres éléments, et cela semble leur fournir des éléments nutritifs au cours de l'hiver.

En gros, la réponse rapide à votre question est que nous avons en fait contribué à la mise au point d'un bon supplément qui se trouve sur le marché. C'est probablement une question de prix pour les apiculteurs et la question de décider s'ils veulent ou non l'utiliser.

Le sénateur Robichaud : Est-ce que cela coûte cher aux apiculteurs?

Mme Ludwig : Je suis désolée, je n'en sais rien.

Le sénateur Robichaud : Mais cela pourrait minimiser leurs pertes au cours de l'hiver jusqu'à un certain point, n'est- ce pas?

Mme Ludwig : Oui, cela aiderait certainement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, madame Ludwig, pour votre présentation.

Vous avez travaillé dans le domaine de la sécurité alimentaire et des pesticides avant de vous joindre au Conseil des amandes. Vous avez développé des approches de lutte intégrée et des stratégies de lutte alternative qui ont réduit l'utilisation des insecticides les plus à risque. Maintenant, plusieurs recherches sont menées pour tenter de trouver une solution globale. Ne devrions-nous pas travailler plutôt vers une base plus régionale?

Vous avez mentionné plusieurs États des États-Unis, et c'est pareil au Canada. On cherche toujours une solution globale. Ne devrions-nous pas essayer de trouver une solution plus régionale? On sait que, en ce qui concerne la mortalité des abeilles, leur survie n'est pas la même dans chaque région.

[Traduction]

Mme Ludwig : Comme j'essayais de l'expliquer tout à l'heure, et pour ajouter à ce que Vicky a dit au sujet de la Californie, la façon dont l'environnement fonctionne, c'est que l'hiver, il pleut et il neige dans les montagnes, tandis que l'été il fait chaud et sec. Si vous regardez l'écosystème naturel, tout devient sec. Par conséquent, en Californie, il y a des arbres qui perdent en fait leurs feuilles pendant l'été et pas à l'automne, comme nous avons l'habitude de le voir dans les climats plus froids. Essentiellement, on les appelle des feuilles décidues sèches, qui tombent l'été pour éviter que l'arbre perde de l'eau.

L'autre question, c'est que la Californie ne peut absolument pas fournir assez d'aliments — même avec davantage d'habitats — pour toutes les abeilles à miel dont les amandes ont besoin. Voilà la réalité de la situation actuelle. Par conséquent, ce que vous êtes en train de dire, c'est que si nous devenions complètement autonomes, il y aurait moins d'amandes. Je ne fais qu'être honnête avec vous. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres mesures qui pourraient être prises pour améliorer l'habitat des abeilles en Californie — raison pour laquelle nous encourageons les cultivateurs d'amandes à planter des fleurs dont la floraison a lieu avant, après ou pendant la floraison des amandiers. Essentiellement, nous savons qu'un tiers de la pollinisation des amandiers est effectuée par des abeilles de la Californie. C'est pendant cette période que nous trouvons toutes les abeilles en Californie. Essentiellement, nous reconnaissons que nous devons leur fournir de la nourriture pendant la période de pollinisation des amandiers et que les apiculteurs qui habitent en Californie sont aux prises avec des problèmes similaires; ils ont besoin d'avoir plus d'habitats ou d'avoir accès à plus d'habitats. Nous collaborons donc avec NAPSI pour essayer de trouver des façons d'améliorer cela. Toutefois, je vous dis qu'il s'agit de la troisième année consécutive de sécheresse. Il n'y a tout simplement pas de nourriture dans la région. Il n'y en a pas.

Le sénateur Robichaud : Vous dites qu'il n'y a pas de nourriture à l'heure actuelle. Dans les médias, nous entendons parler des incendies de forêt en Californie. Détruisent-ils les abeilles? Les incendies détruisent leur habitat, mais est-ce que les abeilles se font aussi prendre dans ces incendies?

Mme Ludwig : Elles pourraient très bien se faire prendre, parce que les apiculteurs qui restent en Californie — nous les appelons « The California Beekeepers », d'ailleurs Victoria a aussi mentionné le fait que beaucoup d'éleveurs de reines sont basés en Californie. Environ 50 p. 100 des reines des États-Unis proviennent de la Californie. En Californie, nous avons beaucoup de microclimats à cause du fait que nous avons la partie la plus au sud des États-Unis, mais aussi la partie la plus au nord, comparativement à 48 États.

Les apiculteurs suivent les fleurs. Ils iront dans les montagnes pendant l'été pour suivre les fleurs. Récemment, la plupart des incendies de forêt ont eu lieu dans cette région boisée. Dans certains de ces endroits, il pourrait y avoir eu des abeilles. Quand les apiculteurs ont le temps, ils déménageront leurs ruches.

J'ajouterais que, dans la foulée d'un incendie qui n'a pas été trop chaud, beaucoup de fleurs vont pousser dans cet endroit au cours de l'année qui suit et l'année suivante. En fait, l'habitat deviendra peut-être encore meilleur pendant quelques années, en supposant qu'il y a assez d'eau et que l'incendie n'a pas été trop chaud et qu'il n'a pas tout brûlé sur son passage.

Oui, si les apiculteurs n'ont pas eu le temps de déménager leurs ruches, des ruches pourraient avoir été détruites cette année.

Le sénateur Enverga : Merci pour ce merveilleux exposé, madame Ludwig. Il y a quelques instants, vous avez mentionné que les abeilles aiment les fleurs d'amandiers. Comparativement à d'autres fleurs, dans quelle mesure est-ce vrai? Est-ce que les fleurs d'amandiers ont une meilleure valeur nutritive pour les abeilles?

Mme Ludwig : Je ne prétends pas connaître tous les faits, mais voici ce que je sais à ce sujet. Comme Victoria l'a mentionné plus tôt, différentes fleurs ont différentes valeurs nutritives pour les abeilles à miel. La valeur nutritive se trouve dans le pollen, qui contient différentes protéines et différents acides aminés. Je parle vraiment comme une diététicienne : mangez ceci, ne mangez pas cela et mangez de façon plus diversifiée. C'est très semblable. Ensuite, il y a le nectar, qui est l'eau sucrée que les fleurs produisent pour aider à attirer les pollinisateurs.

Nous avons appris qu'un régime de pollen d'amandier est très complet. Or, nous savons aussi que le fait de consommer seulement du pollen d'amandier tout le temps n'est pas une bonne chose. Les apiculteurs vous diront également que les abeilles sont un peu paresseuses. Les abeilles iront là où il y a plus de nourriture et où elle est plus facile d'accès. Un amandier en pleine floraison facilitera leur tâche, comparativement à ce qu'elles seraient obligées de faire pour trouver des fleurs par terre et en tirer quelque chose. Voilà comment j'expliquerais cela. Toutefois, je ne pourrais pas dire exactement quelles fleurs les abeilles à miel préfèrent à tous les coups.

Le sénateur Enverga : Vous avez dit que la culture d'amandiers ressemble plutôt à une monoculture. Associez-vous certaines espèces précises d'abeilles à la culture d'amandiers? Existe-t-il des espèces d'abeilles que vous aimeriez attirer sur vos fermes? En existe-t-il une en particulier?

Mme Ludwig : Non. Essentiellement, les cultivateurs d'amandiers concluent des contrats avec des apiculteurs commerciaux qui prévoient : « Vous fournirez X nombres de ruches d'ici telle date et ensuite, des ruches de telle ou telle qualité. » Quand nous parlons de « qualité », en général cela veut dire que, si l'on ouvre une ruche, on trouve un certain nombre donné de planches d'abeilles. Typiquement, le contrat prévoit qu'il faut avoir des ruches d'au moins huit cadres. Essentiellement, le salaire de l'apiculteur est fonction du nombre de cadres.

Cependant, en ce qui concerne les espèces d'abeilles, nous ne faisons aucune distinction, parce que, du point de vue du cultivateur d'amandiers, une abeille à miel est une abeille à miel. Là où les apiculteurs établissent une distinction, comme Victoria le disait, c'est que certaines souches d'abeilles à miel sont considérées plus ou moins amicales ou plus résistantes à certaines maladies. Dans ce sens, c'est très semblable aux espèces de plantes. Chaque espèce présente des avantages et des inconvénients. Par conséquent, les apiculteurs doivent faire certains choix. Toutefois pour nous, tout ce qui compte, c'est qu'il y a des abeilles.

J'ajouterais que nous avons aussi fait certaines recherches pour voir si nous pouvions utiliser certaines abeilles indigènes. Nous nous sommes penchés sur l'abeille maçonne des vergers, qui est une abeille solitaire. Elle peut servir à polliniser. En fait, quand cette abeille est présente, cela pousse les abeilles à miel à travailler plus fort et elles deviennent plus productives. Le problème, c'est que, puisqu'il s'agit d'abeilles solitaires, il est difficile de les pousser à mettre leur nid dans un endroit où les humains pourraient le trouver et le gérer. Nous n'avons pas encore compris comment faire cela. Nous essayons de voir s'il n'existerait pas d'autres espèces d'abeilles que nous pourrions utiliser pour suppléer aux abeilles à miel. Il ne serait pas question de remplacer les abeilles à miel, mais seulement d'en ajouter de nouvelles pour que les cultivateurs d'amandes aient accès à une plus grande diversité dans le bassin de pollinisateurs.

Le président : Madame Ludwig, en juin dernier, le président Obama a rendu publique une note de service portant sur la création d'une stratégie nationale américaine visant à promouvoir la santé des abeilles à miel et d'autres pollinisateurs. Entre autres, il a dit que l'initiative comprend la création d'un groupe de travail sur la santé des pollinisateurs, qui sera chargé de mettre au point une stratégie nationale. Cela dit, en tant qu'intervenante, comment avez-vous réagi à cette annonce?

Aussi, toujours selon cette note de service, la stratégie recommanderait d'établir des partenariats public-privé. Auriez-vous des remarques à faire à ce sujet?

Mme Ludwig : J'aimerais faire quelques remarques à ce sujet. Encore une fois, j'accorderais à NAPSI, l'organisation de Victoria, une bonne part du mérite pour avoir permis à ce mémorandum de voir le jour. Nous avons pris part à cet effort et nous avons donné notre avis au gouvernement quand il a été sollicité. Nous avons mis beaucoup d'accent sur les besoins en matière de recherche ainsi que les besoins en matière de fourrage.

Voici où nous en sommes à l'heure actuelle. Comme vous le savez, il faut un certain temps pour que le gouvernement aille de l'avant dans ces dossiers, surtout quand on demande à différents organismes de travailler ensemble. D'après ce que je comprends, au cours des deux derniers mois, les représentants des organismes ont commencé à se rencontrer et à se parler, mais nous n'avons pas encore vu de résultats.

À notre avis, c'est une bonne idée. Comme vous pouvez le voir, il s'agit d'une question très complexe, qui concerne les besoins de beaucoup d'organismes. Aux États-Unis, le gouvernement possède et gère beaucoup de terres. Par conséquent, dans quelle mesure pouvons-nous encourager les divers organismes gouvernementaux à gérer les terres différemment et à adopter des méthodes qui améliorent l'habitat et la santé des pollinisateurs. Voilà donc un des domaines clés où nous espérons que l'initiative donnera de bons résultats. L'autre chose, c'est que nous aimerions que les gens soient plus sensibilisés aux abeilles et aux pollinisateurs. Voilà l'autre aspect positif de cette initiative.

En ce qui concerne les partenariats privé-public, d'une certaine manière, l'Almond Board of California est déjà semi- gouvernemental du fait que nous sommes régis par l'USDA. Toutefois, mon salaire n'est pas payé par les contribuables. Ce sont les cultivateurs qui me paient.

Nous estimons que les partenariats privé-public sont très importants parce qu'ils contribueront à créer des incitatifs. Toutefois, je tiens aussi à être claire : il y a des domaines où c'est le gouvernement qui devra agir et il y a des domaines où, à mon avis, les partenariats privé-public pourront être très utiles. Encore une fois, NAPSI prend les devants à cet égard, ce qui, selon moi, donne de bons résultats.

Le président : Nous entendons beaucoup de gens comparer la production de miel en ville à la production de miel à la campagne. D'après votre expérience aux États-Unis, est-ce que les gens de la Californie font aussi cette comparaison, compte tenu de tous les problèmes rencontrés sur le plan de la santé des abeilles dans les régions rurales?

Mme Ludwig : Je serai brève du fait que je n'ai pas entendu parler d'une grande différence entre les apiculteurs urbains et les apiculteurs ruraux. La principale différence entre les deux, c'est que la plupart des apiculteurs urbains sont ce que l'on appelle des « apiculteurs artisanaux ». Les gens de l'industrie de l'amande n'interagissent pas vraiment beaucoup avec les apiculteurs artisanaux compte tenu du fait que nous dépendons des apiculteurs qui sont prêts à déplacer leurs ruches un peu partout dans l'État, voir même au pays. Donc, essentiellement, nous n'interagissons pas beaucoup avec eux. Cependant, je comprends la différence qui existe entre les deux.

Je devrais vous signaler que nos bureaux sont situés à 75 milles à l'est de San Francisco. Sur le plan culturel, dans la baie de San Francisco, les gens considèrent que la nourriture devrait être cultivée d'une certaine façon, tandis qu'à Modesto — là où nos bureaux sont situés —, les gens pensent qu'elle devrait être cultivée d'une façon complètement différente. Il existe des différences culturelles fondamentales entre les gens de la ville et les gens de la campagne sur le plan de la production alimentaire.

Le président : Madame Ludwig, d'après votre expérience et vos connaissances — dont vous nous avez fait part dans votre exposé, qui était fort instructif —, quelles recommandations feriez-vous au comité concernant la préservation de la santé des abeilles au Canada?

Mme Ludwig : J'examinerais deux aspects. Premièrement, je vous recommanderais de vous pencher sur les façons d'appuyer les infrastructures de recherche au Canada et de voir comment former des partenariats avec des infrastructures de recherche d'autres pays du monde, lorsque ce sera pertinent. En fin de compte, il est vraiment difficile de convaincre les gens à faire quelque chose si on ne peut pas leur prouver que cela va faire changer les choses. Deuxièmement — et je crois qu'on a posé une question à Victoria à ce sujet —, je vous recommanderais de trouver des façons de motiver les cultivateurs en particulier et d'autres propriétaires fonciers à envisager de gérer un habitat de pollinisateurs sur leurs terres. Lors d'une réunion que nous avons tenue en Californie, qui réunissait des gestionnaires fonciers privés, comme Nature Conservancy et d'autres propriétaires fonciers, les fournisseurs de services publics ou de droits de passage, des apiculteurs et des organismes gouvernementaux qui gèrent des terres, j'ai fini par jouer le rôle de maître de cérémonie. La première partie de la réunion a été passée à simplement écouter ce que les autres avaient à dire, parce que nous n'étions pas au courant de tous les différents problèmes auxquels les autres sont confrontés. Tout ce que vous pourriez faire dans ce sens pour favoriser la communication serait utile.

Je peux dire qu'un des domaines a certainement donné de bons résultats du côté des cultivateurs : le Natural Resources Conservation Service de l'USDA offre des incitatifs financiers visant à créer des habitats pour les pollinisateurs. Par conséquent, un autre domaine sur lequel vous pourriez vous pencher, serait de voir ce que le gouvernement pourrait faire pour offrir des incitatifs, tout particulièrement dans le secteur agricole ou le secteur privé. Je n'ai pas suffisamment de connaissances sur les avoirs fonciers du Canada pour donner de tels conseils, mais essayez de voir jusqu'à quel point les terres gérées par le gouvernement pourraient être gérées de façon à favoriser les pollinisateurs.

Le président : Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir fait part de vos connaissances et de ces renseignements. Aimeriez-vous dire autre chose?

Mme Ludwig : Je tiens simplement à vous remercier de m'avoir invitée et d'avoir pris le temps de m'écouter pendant votre heure du dîner. J'aimerais aussi vous dire que j'apprécie le fait que vous m'avez posé des questions beaucoup plus éclairées que d'autres auditoires ne l'ont fait jusqu'à présent. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Ludwig. Honorables sénateurs, je déclare que la séance est levée.

(La séance est levée.)


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