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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 16 - Témoignages du 2 octobre 2014


OTTAWA, le jeudi 2 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 9 h 4, pour étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je vais vous présenter notre témoin dans un instant.

Je m'appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. Je demanderais aux sénateurs de se présenter à leur tour.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Claudette Tardif, Edmonton, Alberta.

La sénatrice Merchant : Je m'appelle Pana Merchant, de la Saskatchewan.

La sénatrice Johnson : Janis Johnson, Manitoba.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, Edmonton, Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, Ontario.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, Ontario.

Le président : Avant de céder la parole à M. Tim Tucker, de Tulsa, en Oklahoma, je répète que le comité poursuit son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a eu l'autorisation de faire une étude et de présenter un rapport sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada. Nous le savons, les abeilles jouent un rôle crucial dans la pollinisation des cultures commerciales de plantes, de fruits et de légumes. Selon le Conseil canadien du miel, la pollinisation des cultures par les abeilles domestiques rapporte plus de 2 milliards de dollars par année.

Nous recevons aujourd'hui par vidéoconférence, de Tulsa, en Oklahoma, M. Tim Tucker, président de l'American Beekeeping Federation. L'American Beekeeping Federation, ABF, représente quelque 1 200 apiculteurs aux États- Unis. Merci d'avoir accepté de nous faire part de vos connaissances et de votre opinion.

Je vous invite donc à faire votre déclaration préliminaire. Nous poursuivrons avec les questions des sénateurs. Sur ce, nous vous écoutons, monsieur. Merci encore d'avoir accepté notre invitation.

Tim Tucker, président, American Beekeeping Federation : Merci. C'est un honneur pour moi d'être ici et de répondre aux questions du comité.

Je m'appelle Tim Tucker et j'assume actuellement la présidence de l'American Beekeeping Federation. Notre organisation est le plus grand groupe apicole aux États-Unis.

Je suis apiculteur depuis 23 ans maintenant et j'ai exploité jusqu'à 800 colonies depuis que je pratique l'apiculture commerciale. Aujourd'hui, il est plus difficile de maintenir notre nombre total de colonies d'abeilles. Il y a d'importantes fluctuations. Au début du printemps, il y a deux ans, nous avions 240 ruches, et actuellement, nous en avons 500. Nous subissons de lourdes pertes hivernales chaque année, et je ne crois pas que les États-Unis soient les seuls touchés; la situation est la même au Canada et à l'échelle mondiale.

Pendant l'année, de nombreuses reines ne réussissent pas à produire suffisamment de jeunes abeilles pour faire croître les colonies à des niveaux qui leur permettraient d'être prospères, comme c'était le cas dans les années 1980 et 1990. Ces colonies à risque représentent toujours une proportion importante de nos unités de production et, durant l'année, elles sont soit combinées à d'autres colonies, soit tout simplement détruites, car elles n'ont pas une production suffisante.

Il est maintenant presque impossible de revenir au nombre de colonies que nous exploitions il y a 10 ans, parce que nous passons notre temps à remplacer les colonies perdues. Aujourd'hui, le secteur de l'apiculture commerciale est en crise. Il nous faut trouver des solutions avant que davantage d'apiculteurs commerciaux renoncent à leurs activités.

Lorsqu'on parle de la santé des abeilles domestiques, il y a plusieurs variables. Cependant, la plupart des apiculteurs commerciaux des États-Unis estiment qu'il y a trois facteurs principaux auxquels s'attarder. Par ordre d'importance, il y a d'abord les pesticides.

Il ne fait maintenant aucun doute que les pesticides sont impliqués dans la détérioration de l'état de santé de nombreuses espèces. Nos abeilles ne font pas exception. Le récent Groupe de travail international sur les pesticides en est arrivé à la conclusion, après avoir examiné plus de 800 rapports de scientifiques, que la quantité de pesticides utilisés et la manière dont ceux-ci le sont ont des répercussions sur l'environnement. Des études individuelles réalisées par l'Université de Guelph démontrent que, lorsque les abeilles sont exposées à long terme aux pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes, leur recherche de pollen est beaucoup moins efficace.

Nigel Raine, titulaire de la chaire de la famille Rebanks en préservation des pollinisateurs, a noté dans une étude que les abeilles doivent apprendre à se retrouver dans leur région et utiliser les sources de pollen là où elles se trouvent et au moment auquel elles sont disponibles. Elles doivent en outre s'adapter aux changements dans leur environnement. Voici la conclusion qu'il a tirée de cette récente étude : « L'exposition à ce pesticide semble empêcher les abeilles d'acquérir ces aptitudes essentielles » et de s'adapter rapidement à leur environnement.

Ce n'est pas qu'une simple coïncidence si, depuis 20 ans, l'utilisation accrue de tels produits a entraîné le déclin de nombreuses espèces, des invertébrés marins aux insectes en passant par les oiseaux. Certaines espèces sont gravement compromises et atteignent des nombres qui peuvent permettre de douter de leur survie.

Vient ensuite le varroa. C'est un problème qui fait beaucoup parler dans notre domaine. Le sud du Kansas et le nord de l'Oklahoma sont aux prises avec le varroa depuis près de 20 ans maintenant. Ce parasite est responsable du déclin continu de la santé de l'abeille domestique, tant à cause du tort qu'il cause à l'abeille en soi en s'accrochant à elle, qu'en raison des nombreux virus qu'il transmet.

Les virus peuvent sérieusement empêcher les abeilles domestiques de prospérer comme elles le faisaient auparavant, dans les années 1980 et au début des années 1990, pour les apiculteurs qui sont dans le domaine depuis ce temps. Une fois infectées par un ou par plusieurs de ces virus, les colonies d'abeilles domestiques deviennent plus susceptibles de contracter d'autres maladies et plus sensibles aux tensions environnementales qui peuvent considérablement aggraver l'effet global sur leur santé.

Troisièmement, il y a la destruction des habitats. Une grande partie du Midwest américain a été transformée : composé autrefois de petites fermes qui comptaient un cheptel et des récoltes diversifiés, il est maintenant affecté à des mégafermes monoculturales employant des variétés qui sont des OGM et traitant les champs à l'aide d'herbicides qui détruisent la plupart des espèces concurrentes qui poussaient autrefois parmi les cultures de maïs, de soja ou d'autres, et qui fournissaient les fleurs que les abeilles domestiques pouvaient butiner.

Avant que l'herbicide Roundup soit largement utilisé, de nombreuses espèces de plantes poussaient, faisant concurrence aux cultures, et nourrissaient les abeilles domestiques et d'autres pollinisateurs. La plupart des cultures sont aujourd'hui parfaites, et l'on ne trouve rien d'autre dans les champs que la culture plantée, qui fleurira pendant très peu de temps.

Le temps est sans contredit venu d'évaluer méticuleusement les mesures que l'on peut prendre pour rétablir les stocks des espèces touchées et leur santé. Quiconque a des ruches depuis 20 ou 30 ans, voire depuis plus longtemps encore, vous dira que les abeilles ne disposent plus des ressources nécessaires pour afficher la vitalité et la vigueur qu'elles avaient il y a de nombreuses années.

Il est temps que toutes les parties visées travaillent avec le gouvernement pour en arriver à des stratégies prévoyant des pratiques agricoles plus durables. Il faut une participation gouvernementale, car la production alimentaire est vitale pour la sécurité nationale et la croissance économique.

Le gouvernement doit contribuer à découvrir des moyens plus sûrs d'évaluer le risque lié aux nouvelles technologies. Les abeilles domestiques sont des super organismes en ce sens qu'elles ne survivent pas en tant qu'individus; elles doivent survivre en colonies. De bonnes données scientifiques permettront d'explorer les répercussions à long terme sur les colonies et pas seulement sur chaque abeille domestique. Des études sur le terrain constituent une étape cruciale de l'évaluation des effets à long terme qui peuvent ne pas être mortels pour les abeilles à court terme.

Il doit aussi fournir de meilleures stratégies de gestion pour la protection des cultures selon lesquelles il faudrait aussi examiner des moyens autres que l'application préventive de pesticides chaque année sur les mêmes champs, qui entraîne l'accumulation de pesticides et de leurs composés de dégradation. Il est crucial d'utiliser des techniques de lutte intégrée suivant lesquelles toutes les parties devraient avoir comme objectif commun de déployer moins de pesticides dans l'environnement, tout en maintenant l'intégrité économique de l'agriculteur ou de l'éleveur.

Le gouvernement peut nous aider en fournissant des stratégies d'amélioration de l'habitat de sorte que les abeilles domestiques disposent de zones sûres où elles peuvent butiner du nectar et du pollen tout au long de la saison en utilisant diverses sources de floraison. Il faudra un programme clair qui permettra d'offrir aux agriculteurs des incitations économiques à créer des refuges pour tous les types d'insectes pollinisateurs.

Les pratiques agricoles modernes produisent de grandes terres désertiques qui n'ont rien à offrir aux pollinisateurs une fois que la floraison de la culture est terminée. On doit planter dans les zones sûres des fleurs qui fourniront des sources de nectar tout au long de la saison à tous les pollinisateurs. Les abeilles bénéficieront du retour de la diversité des sources de nourriture; il est primordial pour la santé de l'abeille domestique d'avoir une variété de sources de nectar.

Le gouvernement devrait encourager les chercheurs à trouver une solution à long terme aux acariens varroa ou à d'autres ennemis des abeilles domestiques et des espèces bénéfiques. La recherche coûte cher et ne produit pas le rendement économique nécessaire pour encourager le secteur privé. Depuis 10 ans, l'industrie lutte contre les acariens varroa avec très peu d'outils, et il s'agit de pesticides, ce qui nous oblige à appliquer davantage de contaminants à nos ruches. Il nous faut d'autres stratégies de lutte qui minimisent le problème de la contamination de l'environnement des abeilles.

Nous devons aussi tous aspirer à de meilleures communications entre les agriculteurs, les opérateurs antiparasitaires et les apiculteurs. Nous devrions tous chercher à travailler ensemble à trouver des solutions à nos problèmes. Le gouvernement devrait amorcer une tribune permettant d'en discuter régulièrement pour essayer de régler les problèmes qui dépassent le niveau des apiculteurs qui ne sont pas des scientifiques ou des toxicologues.

Il est dans l'intérêt de tous de protéger les abeilles domestiques et toutes les espèces présentes dans l'environnement. Le rôle des gouvernements partout dans le monde est de protéger les citoyens.

Je vous remercie de m'avoir accordé de votre temps ce matin. Je vais tenter de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci, monsieur Tucker. Nous allons entamer la séance de questions.

La sénatrice Tardif : Merci, monsieur Tucker, pour votre présentation très informative.

Des témoins ont dit au comité que plusieurs régions étaient touchées par le manque de cultures pour fournir aux abeilles la nourriture et l'habitat dont elles ont besoin, et pas seulement aux États-Unis, mais aussi au Canada. Cette semaine, nous avons entendu le témoignage du Almond Board of California. Ses représentants nous ont parlé de l'importance de diversifier l'habitat pour l'alimentation et la santé des abeilles. Dans votre présentation, vous avez également dit que le gouvernement devait contribuer à mettre en place des stratégies visant à améliorer la santé des abeilles. Pouvez-vous nous parler des initiatives qui sont en cours à cette fin? Comment les agriculteurs réagissent-ils face à ces initiatives?

M. Tucker : Récemment, le département de l'Agriculture des États-Unis a offert du financement aux agriculteurs pour accroître la qualité de la nourriture dans leurs champs. Les agriculteurs ont pu utiliser ces fonds pour acheter des mélanges de semences de légumineuses et de fleurs qui vont fleurir tout au long de la saison et ainsi fournir de la nourriture aux abeilles domestiques, mais aussi aux papillons et à toutes les espèces qui occupent les champs et leurs alentours pendant la saison de floraison.

C'est un programme offert dans cinq États pour le moment, soit au Dakota du Nord, au Minnesota, au Nebraska et en Iowa. Les agriculteurs peuvent compter sur les ressources que le département de l'Agriculture leur a fournies pour replanter leurs pâturages et améliorer l'habitat et la nourriture des abeilles.

Cette année, j'ai notamment pu participer à une initiative présidentielle. Notre président a ordonné à absolument tous les organismes gouvernementaux de tenter de diminuer l'exposition aux pesticides et d'améliorer les zones de culture, afin de réduire les dommages causés à l'environnement et d'améliorer l'habitat de tous les pollinisateurs autour des immeubles gouvernementaux; cela comprend les sites du Corps of Engineers, qui occupent de grands barrages et d'importants réservoirs aux États-Unis, mais aussi les immeubles à bureaux, où on peut planter des variétés de plantes qui offriront de la nourriture tout au long de la saison.

Les villes ont beaucoup de variétés de plantes qui fleurissent toute la saison et des arbustes en fleurs. Les pollinisateurs peuvent donc trouver leur compte dans les villes, parce que les cultures sont variées. Les efforts peuvent même aller d'immeuble en immeuble.

La sénatrice Tardif : Je veux être certaine de bien comprendre. Vous dites qu'un mémoire présidentiel a été déposé pour créer une stratégie nationale visant à promouvoir la santé des abeilles. Est-ce bien cela?

M. Tucker : Oui, c'est exactement cela.

La sénatrice Tardif : L'autre chose est que les agriculteurs reçoivent des subventions pour acheter des semences qui permettront de diversifier l'habitat des abeilles dans cinq États. C'est exact?

M. Tucker : Oui, dans cinq États. Il s'agit d'un programme expérimental. Cette année, je crois que 2 millions de dollars ont été accordés pour l'achat de semences. Je ne sais pas dans quelle mesure les agriculteurs ont utilisé ces ressources. Les résultats ne se feront voir que dans un an ou deux, mais nous espérons que les agriculteurs en ont profité, car nous aimerions que le programme prenne de l'expansion. Nous voulons qu'il porte ses fruits.

La sénatrice Unger : Ma première question fait suite à ce qui vient d'être dit. J'aurai autre chose à vous demander ensuite.

L'État de l'Arizona est principalement désertique. Dans bien des endroits, on fait l'irrigation pour établir de nouvelles collectivités et de nombreux terrains de golf. Est-ce une option viable pour améliorer l'habitat des abeilles domestiques ou est-ce que cela coûterait trop cher? Est-ce une initiative qu'il est envisageable d'entreprendre en collaboration?

M. Tucker : Vous voulez savoir si les terrains de golf et les zones aérées pourraient fournir la nourriture nécessaire aux abeilles?

La sénatrice Unger : Je me demande si l'irrigation, qui fonctionne si bien pour la création de nouveaux terrains de golf, pourrait s'avérer une solution pour aménager des plates-bandes fleuries. Est-ce que cela coûterait trop cher?

M. Tucker : L'irrigation est toujours une entreprise coûteuse. La plupart des initiatives dont on parle sont situées dans des zones naturellement vertes et qui ne nécessitent pas d'irrigation. Je ne sais pas comment les apiculteurs font pour élever des abeilles en Arizona; c'est le désert.

Cependant, on a aménagé des zones irriguées au Nouveau-Mexique, comme vous le dites, et on y plante beaucoup de luzerne. Il y a des apiculteurs qui réussissent à élever des abeilles dans ces zones irriguées du désert.

Nos deux pays ont tant de terres à offrir qui ne nécessitent pas d'irrigation, alors il serait probablement plus sage de concentrer nos efforts et nos ressources ailleurs.

La sénatrice Unger : C'est vrai.

Ma prochaine question porte sur le varroa. Les abeilles domestiques et les autres pollinisateurs peuvent éventuellement développer une immunité à ces produits chimiques. Depuis combien de temps utilise-t-on les traitements actuels et combien de temps faut-il pour qu'une résistance se développe? Y a-t-il des solutions de rechange à ces produits chimiques? Peut-être qu'on en élabore de nouveaux?

M. Tucker : C'est une bonne question. Au cours des 15 dernières années, nous avons utilisé toute une gamme de traitements et d'acaricides. Les acariens sont rapidement immunisés contre les acaricides, parce que leur concentration est assez faible pour ne pas causer de dommages aux abeilles. Il est difficile de trouver l'équilibre, mais les acariens développent rapidement une résistance aux traitements. À l'heure actuelle, seuls deux ou trois traitements sont efficaces, et il y a lieu de se demander s'ils le sont autant qu'il y a un an ou deux.

Il est absolument nécessaire de varier les traitements. Comme vous le savez, si on utilise le même pesticide au printemps et à l'automne pendant deux ou trois ans de suite, les acariens développent une résistance plus rapidement que si on varie les traitements. Il serait peut-être utile de recourir à différentes méthodes de lutte antiparasitaire intégrée ou à différents outils, autres que les pesticides en tant que tels, pour combattre les acariens et ralentir le taux de résistance dont vous parlez.

La sénatrice Unger : Il y a un laboratoire de recherche à Tucson. Je crois qu'il se spécialise dans ce domaine.

M. Tucker : Oui.

La sénatrice Unger : Savez-vous si des avancées ont été réalisées à cet égard?

M. Tucker : Non, je ne suis pas au courant. On y travaille continuellement, et le laboratoire de recherche sur les abeilles à Tucson compte sur plusieurs chercheurs spécialisés dans ce domaine pour trouver des solutions, mais c'est un enjeu complexe. C'est un long processus et les acaricides utilisés par les apiculteurs constituent un petit marché, alors les grands producteurs sont plus ou moins intéressés à investir d'importantes sommes dans ces recherches. Le travail se fait dans des laboratoires gouvernementaux, et il semble que cela prend du temps.

La sénatrice Unger : Merci beaucoup.

La sénatrice Merchant : Ces pesticides ne sont pas seulement utilisés sur les cultures; les agriculteurs et les producteurs de fleurs ornementales les emploient également. Vous avez parlé de l'utilisation du produit Roundup pour éliminer les mauvaises herbes. On dirait que l'utilisation de pesticides est partout.

D'abord, que peuvent faire les gouvernements? C'est le gouvernement fédéral qui a le pouvoir d'imposer différentes restrictions concernant l'utilisation des pesticides. Par où commencer, puisque ces produits sont partout?

M. Tucker : Une des premières choses à faire est de sensibiliser la population. Les utilisateurs de pesticides, les agriculteurs, doivent absolument comprendre qu'il est préférable d'utiliser ces produits le moins possible pour contrôler les problèmes.

Les nouvelles semences traitées aux pesticides qui sont de nature systémique sont utilisées de façon préventive. Autrement dit, toutes les tiges de maïs et tous les champs de soja sont entièrement traités aux pesticides, même si aucun traitement n'est nécessaire les années où il n'y a pas d'infestation.

L'American Beekeeping Federation n'a pas réclamé l'interdiction de ces pesticides, parce qu'elle reconnaît l'importance de protéger les cultures. Avant d'être apiculteur, j'ai travaillé dans le secteur de la lutte antiparasitaire pendant une douzaine d'années, dont huit à mon propre compte. Nous savons qu'il est impossible de s'en passer complètement, mais nous devons les utiliser judicieusement. Nous devons sensibiliser les utilisateurs et leur enseigner comment les employer efficacement et avec parcimonie, plutôt que de traiter toutes les pousses qui sortent de la pépinière avec des pesticides qui offriront une protection pendant un an ou deux. C'est exagéré, selon nous. Nous devons revenir à des applications plus saines et pratiques pour réduire les effets sur toutes les espèces présentes dans l'environnement, car ces pesticides sont libérés par le pollen et le nectar, et c'est une grande partie du problème à notre avis.

La sénatrice Merchant : Deuxièmement, vous avez parlé de certaines des études qui ont été menées. La semaine dernière, nous avons reçu une sous-ministre adjointe de la province de la Saskatchewan, et elle a fait mention d'une étude menée par des chercheurs à Saskatoon et à l'Université de la Saskatchewan. Elle a rejeté leurs conclusions. Ils ont constaté que les terres humides de l'Ouest canadien étaient contaminées par des néonicotinoïdes, et le déclin de la population d'insectes qui en est résulté n'annonçait rien de bon pour les oiseaux qui s'en nourrissent. Ils ont même constaté que les néonicotinoïdes ont des effets négatifs sur les vers de terre. Toutes les espèces, tous les animaux semblent éprouver des difficultés en raison de l'utilisation généralisée des néonicotinoïdes. Elle a rejeté les résultats de l'étude, parce qu'elle disait qu'elle aurait dû s'échelonner sur quatre ans, mais les conclusions ont été publiées après une année ou deux seulement.

Quant aux études auxquelles vous avez fait référence, sur combien de temps doivent-elles s'échelonner pour qu'on accepte leurs conclusions?

M. Tucker : C'est un bon point. Je pense que vous faites allusion à l'étude Main, Headley et Peru, qui portait sur les terres humides du Canada. Avec tous les facteurs environnementaux, je suis d'accord pour dire qu'un an c'est peu pour examiner les effets des néonicotinoïdes, mais c'est un début. Ce genre de chose doit être examiné sur une longue période.

Ce qui pose notamment problème, c'est que l'industrie apicole ne peut pas se permettre d'attendre longtemps. Nous perdons des apiculteurs professionnels chaque année. Je pense qu'à long terme, les abeilles et la plupart de ces espèces vont survivre au déluge de pesticides, à la perte de l'habitat et aux changements climatiques. Il y a des dizaines de variables en cause. Ce sont des espèces qui savent s'adapter et elles vont survivre à long terme, mais ce qui ne survivra pas, c'est l'industrie commerciale de l'apiculture. Si nous perdons cette industrie, ce sera très difficile de polliniser toutes les amandes de la Californie. Ce sera très difficile de produire les graines dont le monde a besoin pour se nourrir.

Nous avons besoin des apiculteurs commerciaux pour fournir les colonies d'abeilles nécessaires pour assurer notre source de nourriture, et nous ne pouvons pas rester les bras croisés pendant que l'industrie s'effondre. Nous devons tenir compte des études qui ont été menées sur un an, et nous devons compter sur les chercheurs pour reproduire ces résultats. C'est un bon point.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, monsieur Tucker. Vous me corrigerez si je me trompe, mais je crois que le département américain de l'Agriculture a mis en place un programme d'aide, entre autres, pour les apiculteurs en cas de catastrophe. Je crois qu'ils avaient jusqu'au 30 septembre 2014 pour s'inscrire. Savez-vous si certains de vos apiculteurs ont profité de ce programme d'aide et en quoi ce programme consiste?

[Traduction]

M. Tucker : Eh bien, c'est un excellent programme pour les apiculteurs qui ont des pertes à compenser. C'est un peu comme un programme d'assurance, et si je n'en ai pas profité personnellement, je connais plusieurs apiculteurs qui l'ont fait et qui ont eu recours aux ressources offertes. Cela leur a permis de remplacer et de reconstruire les ruches perdues. C'est un autre bon outil que le département de l'Agriculture offre aux apiculteurs. Certaines régions du pays traversent une période de sécheresse extrême cette année, les températures atteignant des sommets qui compliquent la reproduction des abeilles. Les sources de miel ont besoin d'aide. C'est sans contredit un bon programme.

Je ne sais pas combien d'apiculteurs ni même quel pourcentage d'entre eux en ont profité au total, mais un grand nombre d'apiculteurs commerciaux ont recours à ce programme.

Le sénateur Enverga : Merci pour votre exposé. Je sais que votre gouvernement offre ce programme. Avez-vous vu des résultats dernièrement, juste une petite indication que le programme fonctionne ou qu'il pourrait en faire davantage pour la santé des abeilles? Y a-t-il eu des retombées positives ou des résultats particulièrement encourageants qui sont attribuables au programme?

M. Tucker : J'aimerais pouvoir vous répondre un « oui » bien senti, mais la réalité est que la plupart de ces initiatives ont été offertes à très court terme. Je pense que l'ELAP, le programme d'aide d'urgence, est aussi offert pour d'autres catégories de produits et c'est un programme efficace. Je pense qu'il sera utile également pour les apiculteurs.

Le programme d'amélioration des pâturages, le programme de semences qui va permettre aux agriculteurs de réaménager des champs de trèfles et de légumineuses dans leurs pâturages, sera d'une grande aide pour notre industrie, et même pour le bétail. Je ne vois pas comment on pourrait y perdre au change avec ce programme.

Le sénateur Enverga : D'accord. Je sais qu'on trouve des abeilles sauvages aux États-Unis, mais pas au Canada. En gros, nos abeilles sont comme des travailleurs étrangers temporaires, parce qu'elles ne sont que de passage.

Chez vous, avez-vous vu une différence dans les pertes d'abeilles sauvages et d'abeilles domestiques, les abeilles commerciales? Y a-t-il eu des analyses comparatives là-dessus?

M. Tucker : Dans les années 1990, le varroa et l'acarien de l'abeille ont pratiquement éliminé l'abeille sauvage aux États-Unis. Il reste très peu de colonies sauvages, mais dans les dernières années, nous avons constaté qu'il y en a encore quelques-unes, alors qu'il n'y en avait presque plus au début des années 2000, de 2001 à 2005. Beaucoup plus de gens nous appellent aujourd'hui pour nous dire qu'ils ont des essaims dans leur cour ou dans leur immeuble. Bien plus qu'il y en a eu pendant une dizaine années. On remarque donc un petit regain de ce côté. Je ne sais pas à quoi c'est attribuable.

Dans notre élevage, l'acarien de l'abeille a pratiquement disparu. Nous en voyons très peu par rapport à ce qu'il y avait dans les années 1990. Nous constatons également que le varroa n'est pas aussi virulent ou destructeur qu'il l'était. On l'appelle « varroa destructor », parce que dans les années 1990, à ses premières manifestations, il détruisait des ruches tout entières. À ce temps-ci de l'année, des ruches en pleine santé pouvaient s'effondrer une fois touchées par le varroa. Ce n'est plus aussi grave d'année en année maintenant.

On voit peut-être un regain parmi les ruches qui se sont échappées des cultures commerciales et des cultures d'agrément. Et les abeilles domestiques essaiment au printemps et ont peut-être une meilleure chance de survie vu la disparition de l'acarien de l'abeille et le fait que le varroa est moins virulent qu'il l'était.

Le sénateur Enverga : Puis-je en conclure que les abeilles sauvages se sont en quelque sorte adaptées aux infestations d'acariens?

M. Tucker : En quelque sorte. Il est difficile de prévoir si les abeilles seront là l'an prochain. Ce sont des organismes très fragiles, et les abeilles qui ont essaimé cette année ne seront peut-être plus là l'an prochain. Des études ont démontré qu'à long terme, si on ne traite pas les abeilles et qu'on n'en prend pas soin, elles seront toutes mortes dans trois à cinq ans. Cela nécessite beaucoup de travail.

Le sénateur Enverga : Merci. J'ai une dernière question qui porte davantage sur les acariens. Avez-vous essayé de tuer les acariens à l'aide de pesticides biologiques? Avez-vous eu recours à des armes biologiques contre ces acariens?

M. Tucker : Non. Ce serait cependant une avenue intéressante à explorer. Je ne sais pas si des recherches sont en cours à ce sujet. Certains utilisent des huiles essentielles et des techniques de lutte antiparasitaire intégrée qui consistent entre autres à utiliser un plancher grillagé, à peindre les ruches d'une certaine couleur, et à élever la température pour ralentir le taux de reproduction des acariens. Il existe de nombreuses théories qui semblent fonctionner pour les apiculteurs selon la région.

Un des principes qui ne ment pas à propos de l'apiculture est que tout dans l'apiculture est local; ce qui fonctionne en Indiana peut ne pas fonctionner en Arizona, au Utah ou en Floride. Les différents environnements et la disponibilité des sources de nectar et de pollen varient dans un rayon de 50 miles. Nous cultivons des abeilles sur une distance de 70 à 80 miles, et nous pouvons voir une différence dans la santé des abeilles, la couleur du miel et la quantité de pollen dans les ruches sur aussi peu que 30 à 50 ou 60 miles.

C'est un problème très complexe, et ce qui convient à certains apiculteurs aux États-Unis ne fonctionnerait peut-être pas dans l'Est ou l'Ouest canadien. C'est très précis.

Le sénateur Enverga : Êtes-vous en train de dire que ce n'est pas une bonne idée de déplacer les abeilles d'un endroit à l'autre parce qu'elles appartiennent à une région? J'ai entendu parler d'abeilles qu'on déplaçait d'un État à l'autre ou d'un endroit à l'autre. Ce n'est pas viable ou utile de le faire?

M. Tucker : Un déplacement est source de stress pour les abeilles. Il est évident que cela pose problème pour les reines et les abeilles, qui ont du mal à se réorienter lorsqu'elles arrivent à un nouvel endroit. Il est clair que c'est un stress. En fait, cela fait 50 ans que nous déplaçons les abeilles pour polliniser les cultures et les problèmes que nous voyons aujourd'hui sont seulement apparus au cours des 10 à 14 dernières années, alors quelque chose a changé et ce n'est pas un facteur. Vous avez soulevé un argument intéressant, mais c'est un élément qui n'entre pas beaucoup en ligne de compte.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, monsieur Tucker. Je ne m'y connais pas beaucoup en apiculture, et les personnes à qui j'ai parlé m'ont dit qu'il y avait, grosso modo, deux méthodes : vous pouvez hiverner les abeilles ou laisser mourir la colonie et en acheter une nouvelle tous les ans.

Vous qui êtes un expert, après 23 ans dans le domaine, est-ce que l'une des deux méthodes est meilleure que l'autre? Est-ce que l'une ou l'autre contribue au déclin de la santé des abeilles?

M. Tucker : Vous avez parlé d'une stratégie que l'on emploie surtout au Canada, mais peu aux États-Unis. Il est très coûteux d'hiverner les abeilles au Canada. Il faut de grandes réserves de miel pour ce faire. Pour l'apiculteur, c'est principalement une question de coûts. Si vous devez garder 80 livres de miel sur une ruche pour la conserver pendant l'hiver, la valeur en gros de ce baril se situerait actuellement entre 160 et 180 $, alors que vous pourriez récolter ce miel et peut-être remplacer cette ruche au printemps pour 125 $.

C'est une question d'économie et de situation géographique. La plupart de nos apiculteurs au Dakota du Nord, au Dakota du Sud et au Minnesota hivernent leurs abeilles ou ils les déplacent vers le sud, au Texas, en Louisiane et en Alabama. Ils utilisent aussi une technique vieille de 50 ans qui, selon nous, aide aussi à lutter contre les mites et à prévenir les pertes pendant l'hiver. Certains apiculteurs accusent peu de pertes pendant l'hiver en combinant trois ruches en une seule. Alors vous prenez trois unités individuelles et vous les placez ensemble dans une boîte, ce qui vous donne une ruche très saine, robuste et productive pour l'hiver. Ensuite, au printemps, vous divisez à nouveau la ruche en trois. On appelle cela le « Minnesota split ». Je pense que cette méthode est pratiquée depuis longtemps.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup. C'était très instructif.

Le sénateur Robichaud : Je pensais, monsieur, qu'il était impossible de combiner les ruches parce qu'il ne peut y avoir qu'une seule reine, mais vous dites que c'est une pratique courante et qu'on peut ensuite refaire trois ruches au printemps avec une reine dans chacune d'entre elles, c'est bien cela?

M. Tucker : Oui, vous avez raison. Il ne peut y avoir qu'une seule reine par ruche. Alors lorsque vous combinez trois ruches, il vous faut trouver les reines, choisir la plus forte des trois et éliminer les deux autres; normalement, les abeilles devraient s'adapter à elle. Ou vous pouvez simplement mettre les trois reines dans la même ruche et les laisser se disputer le trône, car peu de temps après, il n'y en aura plus qu'une seule dans la ruche.

Au printemps, lorsque l'on refait trois ruches, il nous faut trouver des cellules de reine pour que chaque unité ait la sienne. En réalité, on remplace presque toujours ces reines de toute façon. Alors lorsque l'on refait les ruches au printemps, on remet trois nouvelles reines qui seront jeunes et productives.

Le sénateur Robichaud : Vous avez mentionné que le nombre d'apiculteurs diminue chaque année. Dans quelle mesure cette baisse est-elle évidente ou importante?

M. Tucker : Il s'agit du nombre d'apiculteurs commerciaux. En fait, aux États-Unis, on a observé une hausse très marquée du nombre de personnes pour qui l'apiculture est un loisir ou qui ont seulement entre une et dix ruches. Le nombre d'apiculteurs commerciaux qui ont dû cesser leurs activités au cours des 20 dernières années est très dramatique. Je dirais qu'il y a aujourd'hui deux fois moins d'apiculteurs que lorsque j'ai commencé dans le domaine en 1991.

Dans l'État du Kansas, au début des années 1990, nous avions entre 15 et 20 apiculteurs commerciaux qui vivaient exclusivement de leur production de miel et qui géraient entre 500 et 3 000 ruches. Il n'y en a plus que trois maintenant, alors dans certains États, la situation est très dramatique. Il se peut que certains États aient connu une hausse, mais j'en doute.

Les apiculteurs commerciaux fusionnent leurs entreprises. Certains quittent le domaine parce qu'ils ont mon âge ou sont plus âgés. La majorité d'entre nous vieillit et il n'y a personne pour nous remplacer. C'est un domaine dans lequel il est très coûteux de se lancer, comme tous les secteurs agricoles. L'investissement de base est important, le travail est très exigeant et il est difficile de garder ses abeilles.

Comparativement au travail que nous faisions dans les années 1990 pour garder les abeilles, il nous faut redoubler d'efforts. Je ne sais pas si je pourrais gérer 800 ruches aujourd'hui. Au départ, mon but était d'en avoir mille; je n'y suis jamais arrivé parce que j'ai essayé de le faire à une époque où la santé et la vitalité des abeilles étaient en déclin comparativement à ce qu'elles avaient été au milieu et à la fin des années 1990, où il n'était pas rare de récolter 100 livres de miel au Kansas. Notre production mellifère a baissé : elle se situe maintenant entre 40 et 50 livres, alors la viabilité économique de l'entreprise est discutable, et les apiculteurs trouvent qu'il est très difficile d'investir les ressources nécessaires et d'embaucher d'autres apiculteurs pour rester aux mêmes nombres. Nous sommes de moins en moins nombreux.

Le sénateur Robichaud : En sommes-nous presque à un point critique où il faudrait prendre des mesures draconiennes pour pouvoir garder les apiculteurs et les abeilles?

M. Tucker : Oui, nous traversons une crise aux États-Unis.

Le sénateur Robichaud : En sommes-nous déjà rendus là?

M. Tucker : Oui.

Le sénateur Robichaud : Je suppose que la même situation pourrait survenir au Canada.

M. Tucker : Oui, et je crois qu'au cours des dernières années, si certains facteurs environnementaux n'étaient pas entrés en ligne de compte — en particulier la sécheresse — il n'y aurait probablement pas eu suffisamment d'abeilles pour polliniser les amandes en Californie au printemps. Nous approchons dangereusement du point où nous ne pourrons pas fournir au marché suffisamment d'abeilles pour produire cette culture.

Le sénateur Robichaud : Un certain nombre de témoins ont mentionné la protection de l'habitat et même la création de nouveaux habitats. Dans ma région au Nouveau-Brunswick, on vaporise de l'herbicide, ou quelque chose du genre, pour débroussailler le long des lignes électriques d'un bout à l'autre de la province.

M. Tucker : Oui.

Le sénateur Robichaud : Est-ce aussi une pratique courante aux États-Unis?

M. Tucker : Oui, je pense que c'est le cas. Nous utilisons beaucoup d'herbicides que nous aurions peut-être intérêt à ne pas utiliser autant. Je crois que les applicateurs et les utilisateurs devraient en tenir compte. Ceux qui les utilisent ne sont pas toujours agriculteurs. Comme vous dites, ce sont les sociétés de service public et les personnes qui entretiennent les zones sur lesquelles certains ont le droit de passage le long de nos routes.

Oui, c'est une question très complexe et tout le monde a intérêt à bien se renseigner sur la façon de mieux utiliser les herbicides et les pesticides que nous vaporisons un peu trop librement et si aisément partout au pays.

Le sénateur Robichaud : Vous avez mentionné l'éducation. Il faut du temps pour que les gens reçoivent l'information et qu'ils la croient.

M. Tucker : Oui.

Le sénateur Robichaud : Une interdiction d'utiliser des herbicides le long, par exemple, des lignes électriques ne serait-elle pas la meilleure façon d'agir en attendant que les gens soient sensibilisés au problème?

M. Tucker : Cela dépend probablement à qui vous posez la question, car je suis certain que les sociétés de service public vous donneraient une autre réponse que les apiculteurs.

Nous devons envisager une utilisation plus raisonnée et plus saine de tous les produits que nous mettons dans notre environnement. Voilà ce qui compte. Vous avez bien raison : il faut des années pour que l'éducation devienne un facteur dans cette équation, mais nous devons commencer sans délai à informer les gens sur la meilleure façon d'utiliser non seulement les pesticides, mais aussi nos emprises.

Un des programmes que nous avons au Kansas que les États utilisent vise les endroits où l'on avait coutume de tondre les emprises le long des routes; le long des routes américaines, il y a 22 millions d'acres d'emprises qui pourraient servir d'habitat aux pollinisateurs si nous ne les traitions pas constamment avec des pesticides. Oui, c'est un bon argument.

Le sénateur Ogilvie : Merci. Monsieur Tucker, lorsqu'il a été question des néonicotinoïdes — sujet qui a été soulevé indirectement ce matin — on a habituellement fait allusion aux grandes plantations dans lesquelles les semences étaient traitées au préalable avec des néonicotinoïdes lorsqu'elles sont plantées.

Connaissez-vous des cas où des colonies d'abeilles ont été élevées près de cultures auxquelles l'on n'appliquait pas de néonicotinoïdes par le truchement de semences prétraitées, mais par pulvérisation foliaire? Autrement dit, avez-vous déjà vu des colonies d'abeilles qui ont été élevées près de cultures auxquelles des pesticides étaient appliqués par une autre méthode que celle des semences enrobées?

M. Tucker : Oh, oui. Quiconque œuvre dans l'industrie apicole depuis 25 ans s'est trouvé dans cette situation précise avant environ 2003, 2004 et 2005 lorsque l'on a commencé à utiliser l'imidaclopride à grande échelle au Kansas ainsi que la clothianidine. Nous gardions les abeilles près des champs, surtout de soya et de coton, du moment qu'on nous avertissait qu'on allait procéder à une pulvérisation foliaire pour que nous puissions déplacer les abeilles ou ne pas rester sur place, ou peut-être reporter le traitement jusqu'après la floraison et déplacer ensuite nos abeilles. Nous travaillions très bien avec les agriculteurs et les grands éleveurs.

Il est quasi impossible d'échapper à l'enrobage des semences dans le Midwest. Au printemps dernier, pendant les semences de maïs, les plants ont poussé jusqu'à trois ou quatre pouces et ont gelé. Nous avons eu un gel tardif, alors il a fallu recommencer les semences de maïs. Près de 80 p. 100 de nos ruches ont été touchées de façon dramatique par ces deuxièmes semences.

Le sénateur Ogilvie : D'accord. Je sais ce qui s'est passé pendant les 20 dernières années, mais je faisais allusion à la dernière décennie, en particulier à l'application de néonicotinoïdes. Avant ce produit, les pesticides étaient généralement vaporisés, mais je m'intéresse aux différentes applications des néonicotinoïdes.

Autrement dit, la raison pour laquelle je pose la question — et je n'entrerai pas dans les détails — est qu'il existe une méthode unique qui consiste à appliquer de la poudre de talc aux semences enrobées et il est prouvé que la poudre de talc transporte des concentrations élevées de néonicotinoïdes à partir des semences. Je ne vais pas entrer dans cet aspect de la question avec vous. J'attendrai de poser la question aux spécialistes qui viendront témoigner devant nous.

Ce que j'aimerais savoir c'est si, au cours des 10 dernières années, vous avez élevé des colonies d'abeilles près de cultures importantes auxquelles des néonicotinoïdes étaient appliqués par le truchement d'une autre méthode que celles des semences enrobées?

M. Tucker : Non. Je ne sais pas où cette condition existe au Kansas ou en Oklahoma, où nous élevons des abeilles.

Le sénateur Ogilvie : Merci beaucoup.

Le sénateur Oh : Monsieur Tucker, ma question revient probablement sur certaines de celles qui ont été posées. Vous avez 23 années d'expérience comme apiculteur professionnel. Lorsque l'on déplace les colonies d'abeilles, l'on entend souvent dire que c'est d'un État ou d'une province à l'autre. On a aussi parlé de la nutrition et de la variété du régime alimentaire des abeilles comme étant un facteur de stress. Pouvez-vous nous donner un complément d'information sur le stress que représente pour les abeilles la perte de leur abri et de ressources? Évidemment, la gestion du déplacement de la colonie d'un endroit à un autre fait aussi partie des facteurs de stress.

M. Tucker : Oui, il est clair que c'est stressant pour les abeilles. Cependant, nous le faisons depuis longtemps et nous avons été capables de les garder en santé en leur donnant des suppléments comme du sirop de sucrose et du pollen ou des suppléments protéinés. Évidemment, lorsque nous déplaçons les abeilles, nous perdons un pourcentage de reines, alors les apiculteurs qui le font doivent se dépêcher d'examiner leurs ruches après coup pour voir si les reines ont survécu et veiller à ce que le cycle de reproduction ne soit pas interrompu en remplaçant très rapidement celles qui n'ont pas survécu. La pollinisation de différentes cultures demande beaucoup de gestion, mais certaines des cultures, comme les amandes, fournissent amplement de pollen et de nectar certaines années pour permettre aux abeilles de se rétablir très rapidement.

Lorsque je suis passée à la culture des amandes en 2007, nos abeilles étaient resplendissantes de santé. Quand nous les avons ramenées au Kansas, nous avons divisé nos ruches en deux et en trois. Elles étaient très saines cette année-là.

Mais encore une fois, c'est la saison. Nous avons entendu dire que certaines abeilles sortaient des amandiers en très bonne forme cette année, mais d'autres pas, alors les déplacements représentent un facteur de stress pour elles.

Le sénateur Oh : Quelle est la distance la plus élevée sur laquelle vous avez déplacé les ruches?

M. Tucker : J'ai un ami qui prend des abeilles en Floride et qui parcourt plus de 3 000 miles avec elles pour qu'elles pollinisent des amandes. Je crois qu'elles sont sur la route pendant trois ou quatre jours.

Le sénateur Oh : C'est beaucoup. C'est une assez grande distance.

M. Tucker : C'est un long voyage pour n'importe qui.

Le président : Monsieur Tucker, en terminant, le président aimerait souligner la contribution du sénateur Dagenais.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Tucker, je crois comprendre que les pesticides contenus dans les semences ne sont pas toujours nécessaires en aussi grande quantité. Sur une base économique, est-ce que les agriculteurs favorisent l'utilisation des semences qui contiennent moins de produits chimiques? Si ce n'est pas toujours une question de coûts, est-ce qu'il s'agit de la disponibilité de ces semences?

Le sénateur Robichaud : Vous posez là une bonne question.

Le sénateur Dagenais : Merci, sénateur Robichaud.

[Traduction]

M. Tucker : Pour autant que je sache, la grande majorité — bien au-delà de 80 à 90 p. 100 — des semences que nous vendent aujourd'hui les fournisseurs sont des semences traitées. Il est très difficile de trouver des semences qui ne l'ont pas été, mais il faut que l'on puisse le faire, car, comme vous le constatez maintenant au Canada, les néonicotinoïdes qui s'accumulent dans le sol pourraient suffire à protéger les semences de la saison sans qu'il soit besoin de semences enrobées.

Il faut que la question soit étudiée et que l'on détermine dans quels types de sols et dans quelles conditions ces pesticides durent et dans quels cas ils offriraient une protection adéquate sans avoir recours aux semences enrobées et à l'utilisation de pesticide par-dessus pesticide.

C'est une question qui doit être prise en compte. Combien de temps durent-ils et dans quels types de sols? Dans quelles régions de votre pays et du nôtre? Il faudrait aussi procéder à des tests pour déterminer si ces traitements sont même nécessaires, et les fournisseurs de semences doivent vendre des semences non traitées.

Le président : On nous dit, monsieur Tucker, qu'il y a un scientifique aux États-Unis du nom de Noah Wilson-Rich qui étudie les maladies qui frappent les abeilles et qui a suggéré une solution potentielle au déclin de leur santé — l'apiculture urbaine.

Le comité aimerait savoir si vous pensez que c'est possible qu'aux États-Unis et au Canada, l'on crée une industrie apicole urbaine et si cela nous permettrait de compenser nos pertes. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Tucker : Si je comprends bien votre question, vous dites que l'apiculture urbaine serait la solution à nos pertes, c'est-à-dire garder plus d'abeilles en milieu urbain?

Le président : C'est exact.

M. Tucker : Dans des secteurs non agricoles?

Le président : Selon un scientifique américain du nom de Noah Wilson-Rich.

M. Tucker : Je ne connais pas M. Wilson-Rich. Je peux seulement vous dire qu'il faut formuler des stratégies qui permettront de remplacer toutes les ruches que l'on perd chaque année, et le faire de façon plus économique. En raison de la demande, nous ne pouvons fournir suffisamment de colonies pour remplacer toutes celles que l'on perd. Une partie de notre industrie doit s'attacher à cette question et remplacer ces ruches, que nous le fassions en milieu urbain ou sur des terres sauvages. Notre gouvernement possède beaucoup d'espaces verts non agricoles.

Le président : Au nom du Sénat du Canada, du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir témoigner; le greffier m'informe qu'il vous a fallu plus de deux heures — vous êtes à une heure de chez vous et vous avez dû mettre une autre heure pour vous installer. Merci beaucoup d'avoir partagé avec nous votre point de vue et vos connaissances.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, la séance est levée.

(La séance est levée.)


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