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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 17 - Témoignages du 9 octobre 2014


OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, pour étudier l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Français]

Mon nom est Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et le président du comité. À ce moment-ci, je demanderais aux sénateurs de se présenter individuellement, s'il vous plaît.

Le sénateur Robichaud : Bonjour. Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Tardif : Bonjour. Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Maltais : Bonjour. Ghislain Maltais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Bonjour. Lynn Beyak, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Bonjour. Betty Unger, de l'Alberta.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je vous remercie infiniment d'avoir accepté notre invitation. Nous présenterons chacun de vous sous peu.

Le comité poursuit son étude sur l'importance des pollinisateurs en agriculture et les mesures à prendre pour les protéger. Le Comité permanent de l'agriculture et des forêts a été autorisé par le Sénat du Canada à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

[Français]

Selon le Conseil canadien du miel, on peut quantifier à plus de 2 milliards de dollars par année le rôle des abeilles dans la pollinisation des cultures, plantes, fruits et légumes.

[Traduction]

Les abeilles jouent un rôle crucial dans la pollinisation des plantes, des fruits et des légumes cultivés à des fins commerciales.

Honorables sénateurs, nous accueillons M. Scott Kirby, de Santé Canada.

[Français]

Il est directeur de la Direction de l'évaluation environnementale, à l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire.

[Traduction]

Nous recevons également Margherita Conti, directrice générale, Direction de l'évaluation de la valeur et de la gestion des réévaluations, Agence de la réglementation de la lutte antiparasitaire.

Le représentant d'Agriculture et Agroalimentaire Canada est Frédéric Seppey, négociateur en chef agricole et directeur général, Direction des accords commerciaux et des négociations, Direction générale des services à l'industrie et aux marchés.

Le représentant de l'Agence canadienne d'inspection des aliments est le Dr Ian Alexander.

[Français]

Il est directeur exécutif, Direction des sciences de la santé des animaux.

[Traduction]

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à nous faire part de vos opinions et à répondre aux questions des sénateurs.

J'invite maintenant les témoins suivants à faire leur déclaration préliminaire en suivant les instructions du greffier. Le représentant d'Agriculture et Agroalimentaire Canada passera en premier, et sera suivi par le représentant de Santé Canada. Ensuite, M. Kirby et Mme Conti donneront un exposé ensemble. Nous entendrons à la fin le témoignage du Dr Alexander, directeur exécutif de la Direction des sciences de la santé des animaux.

[Français]

Cela dit, la parole est à vous. Je demanderais maintenant à M. Frédéric Seppey de faire sa présentation.

Frédéric Seppey, négociateur en chef agricole et directeur général, Direction des accords commerciaux et des négociations, Direction générale des services à l'industrie et aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, mon nom est Frédéric Seppey. Je suis le négociateur en chef agricole et le directeur général pour les accords commerciaux et les négociations au sein d'Agriculture Canada. C'est donc à titre de représentant du ministère que je m'adresse à vous aujourd'hui.

Agriculture et Agroalimentaire Canada vous est fort reconnaissant de lui donner l'occasion d'apporter de plus amples renseignements sur le rôle majeur que jouent les abeilles domestiques dans le secteur agricole canadien et sur l'important travail qui est en cours et qui vise à améliorer la santé des abeilles au pays.

Les abeilles domestiques jouent un rôle crucial en tant qu'agent principal de la pollinisation dirigée, c'est-à-dire dirigée par un apiculteur qui installe une ruche directement dans les champs au moment où la culture visée est en floraison. La pollinisation dirigée accroît considérablement la valeur de l'agriculture canadienne. Par exemple, on peut multiplier par huit la récolte des bleuets en plaçant un nombre suffisant de ruches d'abeilles domestiques près des bleuetières pendant la période de floraison.

La totalité de la production canadienne de graines de canola pour l'ensemencement est imputable à la pollinisation dirigée, principalement au moyen d'abeilles domestiques. On estime que cette activité augmente le rendement d'environ 10 p. 100. Les fruits de verger et un grand nombre de légumes de plein champ, qui représentent une valeur à la ferme de plus de 1,6 milliard de dollars, sont également favorisés par la pollinisation dirigée.

Comme vous l'avez mentionné, monsieur le président, dans l'ensemble, la pollinisation dirigée au moyen d'abeilles domestiques accroît d'environ 2 milliards de dollars notre production agricole dans les secteurs de l'horticulture, des céréales et des oléagineux. De plus, les pollinisateurs dirigés influent sur la qualité et la quantité des cultures fourragères, comme le trèfle et la luzerne, qui servent à nourrir les animaux d'élevage.

En soi, l'apiculture est également une industrie agricole importante. La valeur de sa production de miel et d'autres produits de l'abeille s'élève à plus de 200 millions de dollars. Nous devons donc préserver la santé des abeilles domestiques si nous souhaitons préserver la santé de l'agriculture canadienne.

[Traduction]

Les pesticides sont également essentiels à l'agriculture. Ils jouent un rôle crucial dans l'élimination des organismes nuisibles et contribuent à protéger le rendement et la qualité des récoltes. Ils aident les producteurs canadiens à maintenir leur position concurrentielle et la rentabilité de leurs activités. Les producteurs du Canada se soucient de l'utilisation judicieuse des pesticides. Les pesticides sont un outil précieux, tant que leur utilisation est soumise à des directives réglementaires sévères et qu'ils s'intègrent dans un régime de pratiques exemplaires.

Par exemple, selon un rapport du Conference Board du Canada, des études sur le terrain ont démontré que l'utilisation d'insecticides de la classe des néonicotinoïdes — qui sont utilisés depuis le début des années 1990 — a amélioré considérablement le rendement des récoltes de maïs et de soja. Selon les estimations de l'industrie, l'imposition d'une restriction au traitement des semences avec un néonicotinoïde pourrait nuire à la superficie, au rendement et à la qualité des récoltes, ce qui pourrait entraîner des pertes relatives de 630 millions de dollars par année pour les industries ontariennes du maïs et du soja à elles seules.

Toujours selon les estimations de l'industrie, l'interdiction d'utiliser des néonicotinoïdes pourrait priver les industries du maïs et du soja de 5 à 20 p. 100 de leur production. Dans l'Ouest canadien, les néonicotinoïdes sont utilisés sur pratiquement tout le canola ensemencé, qui couvre à plus de 20 millions d'acres.

Comme vous l'ont expliqué de nombreux témoins au cours des derniers mois, un grand nombre de facteurs peuvent avoir une incidence négative sur la santé et la survie des abeilles domestiques : les organismes nuisibles comme le varroa; les virus qui attaquent les abeilles domestiques — transmis et aggravés par le varroa; les infections bactériennes ou fongiques; la malnutrition; la qualité inférieure des reines; les conditions météorologiques extrêmes; l'utilisation inadéquate de pesticides —, ceux utilisés par les agriculteurs et ceux utilisés par les apiculteurs pour protéger leurs abeilles des organismes nuisibles; et les pratiques apicoles inadaptées.

Nous devons mobiliser un large éventail d'intervenants si nous voulons nous attaquer aux divers obstacles à la santé des abeilles : il faudra faire appel à différents ministères fédéraux et provinciaux, ainsi qu'à des intervenants de plusieurs secteurs agricoles et industries connexes. Au moyen d'un forum national, AAC travaille de concert avec l'industrie et d'autres ministères à trouver des solutions efficaces aux problèmes complexes touchant la santé des abeilles.

Afin d'explorer les problèmes relatifs à la santé des abeilles et de mettre au point un plan d'action visant à les résoudre, AAC a réuni les autorités gouvernementales fédérales et provinciales, les apiculteurs, les producteurs de miel, les producteurs de céréales et de graines oléagineuses, les producteurs de fruits et légumes, les producteurs de semences, les fabricants d'équipement, les entreprises de produits chimiques, les spécialistes des abeilles et d'autres intervenants pertinents.

Le premier Forum national sur la santé des abeilles a eu lieu le 25 mars 2014, et ses participants ont distingué des mesures visant à favoriser la pérennité de l'apiculture et de l'agriculture au Canada.

Lors de la plus récente rencontre, tenue le 3 octobre dernier, les participants au forum se sont entendus sur un plan d'action national et ont procédé au lancement de ce plan coordonné par l'industrie et le gouvernement, qui s'articulera autour des thèmes suivants pour s'attaquer à l'éventail de problèmes liés à la santé des abeilles : la nutrition et le soin des abeilles, par exemple, les organismes nuisibles et les agents pathogènes, l'utilisation de pesticides à l'intérieur et à l'extérieur de la ruche, l'environnement et la nature ambiante, et les besoins agricoles.

Le groupe s'est engagé à travailler sur un certain nombre de projets, dont une stratégie nationale de pollinisation dirigée, une stratégie nationale de surveillance de la santé des abeilles, un plan d'action régissant l'utilisation des pesticides ayant un effet sur les abeilles à l'intérieur et à l'extérieur de la ruche, des outils de prévision des ravageurs visant à mieux renseigner les agriculteurs sur leurs besoins en matière de traitement de semences en fonction des parasites auxquels ils sont confrontés, l'amélioration des pratiques exemplaires de gestion pour les agriculteurs, y compris les apiculteurs, à l'échelle du pays, l'élaboration d'une stratégie de recherche sur la santé des abeilles, et la création d'une stratégie de communication dans le cadre du forum. Un des piliers du Forum national sur la santé des abeilles consiste à réduire les risques liés aux pesticides agricoles tout en tenant compte du besoin de protéger les récoltes.

L'engagement et le leadership dont font preuve les organisations participant au forum sont très encourageants. Les représentants des différents groupes ont assumé des rôles de premier plan dans les projets mentionnés. Le groupe en entier a pris des engagements concernant la communication d'information et de messages clés afin que tous les intervenants comprennent mieux les questions à l'étude et les solutions en cours d'élaboration. Il est également encourageant de voir les gouvernements provinciaux participer activement au forum. Ils en reconnaissent la valeur et l'utilisent pour étendre leurs propres activités et en tirer parti.

Le Forum sur la santé des abeilles a réuni un vaste éventail de groupes qui s'intéressent à la santé des abeilles et ainsi a mis au point un programme vaste et complet. Les membres du forum ont mis au point un programme ambitieux et exhaustif; ils travailleront d'arrache-pied au cours des prochains mois et des prochaines années, et nous continuerons à appuyer leurs efforts pour mettre en œuvre ce plan d'action visant l'amélioration de la santé des colonies d'abeilles domestiques dans tout le Canada.

AAC a également contribué de façon importante à l'atténuation des risques à la santé des abeilles domestiques. M. Stephen Pernal, de la Direction générale des sciences et de la technologie d'AAC, a exposé dans leurs grandes lignes une grande part des travaux que mènent nos scientifiques, y compris l'examen de l'interaction entre les facteurs qui touchent la santé des abeilles domestiques dans tout le pays. Cet examen permettra de recenser les principaux facteurs de risque qui ont une incidence sur la survie des colonies et, ainsi, de formuler des recommandations pratiques à l'intention des apiculteurs. Les scientifiques d'AAC et d'autres organisations prennent part à diverses activités de réseautage aux échelons provincial, national et international, y compris des réunions avec le Conseil canadien du miel et avec APIMONDIA — la Fédération internationale des associations apicoles —, afin de se tenir au courant des nouveautés nationales et internationales relatives aux problèmes de santé des abeilles, à la surveillance et aux solutions connexes.

De plus, AAC a récemment annoncé qu'il investirait un million de dollars pour financer la création d'un projet de surveillance de quatre ans visant à documenter l'état de santé des colonies d'abeilles domestiques au pays. Ce projet va s'aligner sur le projet de stratégie de surveillance de la santé des abeilles du Forum national sur la santé des abeilles. Comme promoteur du projet, la Beekeepers Commission of Alberta a retenu les services du National Bee Diagnostics Center à Beaverlodge, en Alberta, qui aura pour mandat de mener le projet de surveillance afin d'améliorer la consignation d'information sur la nature, l'étendue et la prévalence des maladies, des organismes nuisibles et des résidus chimiques dans les colonies canadiennes d'abeilles domestiques.

AAC reconnaît que les producteurs canadiens évoluent dans un environnement très complexe; en effet, les contextes commercial, réglementaire et biologique ne sont pas statiques : de nouvelles découvertes scientifiques, de nouvelles politiques, des modifications réglementaires, des mouvements mondiaux accrus et les changements climatiques peuvent occasionner des problèmes liés aux organismes nuisibles dans l'écosystème agricole.

En conséquence, le ministère a mis l'accent sur l'élaboration d'approches de protection des récoltes et de pratiques exemplaires afin de mettre à la disposition des producteurs du Canada une gamme d'outils à utiliser dans le cadre de leurs activités. Par exemple, les scientifiques d'AAC travaillent à la conception d'outils de lutte antiparasitaire intégrée, dont des systèmes de lutte antiparasitaire intégrée ciblés élaborés et mis en œuvre dans le cadre du Programme de réduction des risques liés aux pesticides du Centre de la lutte antiparasitaire d'AAC — une initiative entreprise conjointement par notre Centre de la lutte antiparasitaire et l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada. Ce programme mobilise les producteurs agricoles et d'autres intervenants afin de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies de réduction des risques de l'utilisation de pesticides pour la santé humaine et pour l'environnement.

Par exemple, afin de réduire au minimum l'application inutile d'insecticides, d'intégrer un certain nombre d'approches de lutte antiparasitaire et de réduire l'utilisation des pesticides et la dépendance aux pesticides des producteurs agricoles, tout en les aidant à lutter contre les organismes nuisibles et à maintenir leur niveau de rentabilité, on a mis au point une stratégie de réduction des risques liés aux insectes foliaires nuisibles dans les cultures de plein champ.

[Français]

Nous croyons que l'établissement d'une trousse d'outils polyvalents pour lutter contre les insectes nuisibles pourrait réduire au minimum les impacts négatifs sur les espèces non visées, comme les abeilles domestiques, atténuer l'apparition de la résistance aux pesticides et accroître la viabilité économique et environnementale du système de production.

Le programme des pesticides à usage limité du gouvernement, avec l'appui de l'organisme de réglementation, à savoir l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada, des producteurs des provinces et des fabricants de pesticides, travaille à accroître l'accès aux pesticides à usage limité pour les producteurs agricoles, ainsi qu'à la conception et à la mise en œuvre de nouveaux outils et de nouvelles technologies efficaces en matière de lutte contre les organismes nuisibles. Il s'agit, par exemple, de solutions de rechange aux méthodes classiques de production chimique de culture et de l'utilisation de biopesticides et d'appareils mécaniques pour limiter les organismes nuisibles tout en réduisant au minimum les effets sur l'environnement.

Pour conclure, monsieur le président, je tiens à vous remercier de cette occasion de venir vous parler aujourd'hui de cet enjeu important et du travail que nous avons entrepris, avec nos collègues gouvernementaux, au sein de l'industrie. Nous serons heureux de répondre à toutes questions que vous pourrez avoir.

Merci.

Le président : Maintenant, nous entendrons M. Kirby et Mme Conti.

Scott Kirby, directeur, Direction de l'évaluation environnementale, Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, Santé Canada : Je vous remercie, monsieur le président. Je m'appelle Scott Kirby. Nous vous remercions de nous permettre de vous présenter un compte rendu des mesures que prend Santé Canada afin de protéger les insectes pollinisateurs contre les risques possibles qui découlent de l'utilisation de pesticides. Cet automne, nous prévoyons publier, à ce sujet, un rapport écrit qui reflétera la présentation d'aujourd'hui.

Comme vous en avez déjà entendu parler, les populations d'abeilles au Canada et partout sur la planète continuent d'être menacées. Je tiens à vous assurer que Santé Canada reconnaît l'importance de la santé des populations d'insectes pollinisateurs, et ce, tant pour l'environnement que pour la production agricole.

Depuis notre dernière présentation devant le comité, nous avons poursuivi l'évaluation des risques potentiels que représentent les néonicotinoïdes pour les abeilles. Au moment de l'homologation initiale des pesticides de la classe des néonicotinoïdes pour l'utilisation au Canada et dans d'autres pays, rien dans les renseignements scientifiques consultés n'indiquait qu'ils causeraient des risques inacceptables pour les abeilles ou d'autres pollinisateurs.

Comme vous le savez, récemment, certains travaux de recherche scientifique ont montré que les insectes pollinisateurs pouvaient subir les effets d'une exposition sublétale à ces pesticides.

Toutefois, ces résultats ont été observés dans des conditions de laboratoire ou à des doses qui ne seraient peut-être pas observées dans l'environnement. Il est important de noter qu'il subsiste de nombreuses incertitudes scientifiques quant à savoir si ces abeilles peuvent survivre dans des conditions réelles ou aux doses d'expositions observées dans l'environnement.

De plus, les pesticides de la classe des néonicotinoïdes sont utilisés dans plusieurs cultures qui nécessitent des activités de pollinisation. Jusqu'à ce jour, hormis les cas ayant trait au maïs et au soya, très peu d'incidents, voire aucun, n'ont été déclarés pour leur culture. Par exemple, dans l'Ouest canadien, même si la majorité des champs de canola sont traités avec les néonicotinoïdes, les apiculteurs n'ont encore signalé aucun effet néfaste chez les abeilles qui les pollinisent. Quoi qu'il en soit, des données indiquent que, en Ontario et au Québec, les abeilles sont exposées à la poussière libérée durant la plantation des semences traitées de maïs et de soya à des niveaux qui provoquent des effets néfastes.

Cela ne veut pas dire que les néonicotinoïdes ne peuvent pas avoir d'effets néfastes sur les insectes pollinisateurs, mais seulement que les renseignements disponibles ne justifient pas le besoin de restreindre l'utilisation existante de ces produits chimiques.

[Traduction]

Afin de remédier aux répercussions des semences de maïs et de soja traitées sur les pollinisateurs, nous avons annoncé, à l'automne 2013, la mise en œuvre de plusieurs mesures visant à réduire l'exposition des abeilles pendant la saison des semis de 2014. Ces mesures comprenaient l'emploi d'un lubrifiant favorisant un écoulement des semences à faible émission de poussière, l'adoption de pratiques exemplaires de gestion visant à rendre les semis plus sécuritaires, ainsi que l'ajout de mises en garde et directives révisées au mode d'emploi inscrit sur les étiquettes des pesticides et des emballages de semences, lesquelles expliquent comment protéger les abeilles.

Avant le début des semis en 2014, Santé Canada, de concert avec les partenaires provinciaux et les intervenants de l'industrie, a apporté son aide dans le but de veiller à ce que les mesures d'atténuation des risques soient communiquées aux agriculteurs de l'ensemble du Canada et à ce que le lubrifiant à faible émission de poussière soit facilement accessible. Cette campagne de sensibilisation a été couronnée de succès, et les données disponibles suggèrent que ce nouveau lubrifiant a été abondamment utilisé. Nous n'avons pas terminé l'analyse complète des incidents survenus cette année, mais les résultats préliminaires indiquent que le nombre d'incidents déclarés ayant trait à l'utilisation de pesticides de la classe des néonicotinoïdes pendant le semis de 2014 a connu une baisse de 70 p. 100 par rapport à 2013, et que ces incidents sont moins graves.

Nous ne pouvons pas établir de corrélation directe avec les mesures de réduction des risques instaurées durant la saison des semis parce que, en raison du printemps froid et humide, le maïs a été ensemencé plus tard et de façon moins intensive qu'au cours des années précédentes, ce qui a possiblement influencé la réduction du nombre d'incidents.

De plus, nous recevons de plus en plus de déclarations d'incidents en fin de saison. En règle générale, ces incidents ne signalent pas de forts taux de mortalité; ils font plutôt état de ruches à piètre rendement, de reines non productives et de faible production de miel. Contrairement aux incidents survenus pendant les semis, nous n'avons pas encore établi l'existence d'un lien évident entre les incidents survenus en fin de saison et l'exposition aux néonicotinoïdes.

Comme en 2012 et en 2013, les incidents déclarés en 2014 ont fait l'objet d'une enquête menée conjointement par Santé Canada et les provinces. Chaque examen comporte l'évaluation sanitaire de la ruche, le prélèvement d'échantillons aux fins de l'analyse des résidus de pesticides et la collecte du plus grand nombre de renseignements possibles sur les pratiques d'élevage du rucher et sur l'agriculture environnante. L'évaluation de ces incidents est en cours, et les échantillons recueillis sont analysés en vue de déceler des résidus de pesticides et des virus pour les abeilles. Nous continuerons d'effectuer une étroite surveillance de l'efficacité des mesures d'atténuation des risques qui ont été mises en œuvre. De plus, nous travaillons activement avec les intervenants afin de mettre en place d'autres mesures pour réduire davantage l'émission de poussière pendant l'ensemencement du maïs.

Par ailleurs, les agriculteurs sont encouragés à observer les pratiques de lutte antiparasitaire intégrée, et Santé Canada appuie le travail actuel des provinces visant à mettre au point des outils et des renseignements afin de mieux comprendre les conditions où l'utilisation des semences traitées est nécessaire afin d'assurer la protection des cultures, de même que les conditions où elles ne le sont pas, afin de réduire leur utilisation.

Santé Canada participe aussi à plusieurs nouvelles initiatives dont le but est de mieux protéger les abeilles et les autres insectes pollinisateurs. L'ARLA collabore avec plusieurs provinces à la surveillance des ruches d'abeilles pour toute la durée de la période de croissance du maïs et du soja en 2014. Cette surveillance a pour but de nous aider à comprendre s'il y a des différences entre les ruchers où surviennent des incidents et ceux où il n'y en a pas lorsqu'ils se situent à proximité de champs de maïs ou de soja.

Les ruchers d'abeilles font l'objet d'une surveillance en Ontario, en Colombie-Britannique, au Manitoba, au Québec et dans la région de l'Atlantique. Notre réévaluation scientifique globale de l'ensemble des utilisations des pesticides dont il est question ici progresse de façon satisfaisante. Les résultats de notre évaluation préliminaire sont prévus en 2015. Dans le cadre de la réévaluation, les entreprises de pesticides sont tenues de produire des études additionnelles en suivant de nouveaux protocoles scientifiques rigoureux, et il est fort probable que les résultats de ces études seront déterminants pour rendre une décision définitive au sujet de ces pesticides.

Santé Canada participe au Forum sur la santé des abeilles, dont mon collègue d'Agriculture et Agroalimentaire Canada a déjà fait mention, car nous croyons qu'il est important pour tous les intervenants de travailler ensemble afin de trouver des solutions globales qui permettront d'améliorer la santé des pollinisateurs au Canada.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, la science ne permet pas de tirer des conclusions concernant l'exposition sublétale à ces produits chimiques. Nos partenaires de la communauté internationale sont d'avis qu'il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous prenons part activement, que ce soit à titre de participants ou de responsables de dossier, aux efforts déployés à l'échelle internationale en vue de déceler et de réduire les risques pour les insectes pollinisateurs, notamment en assurant la coprésidence du Groupe de travail de l'OCDE sur les effets des pesticides chez les insectes pollinisateurs et en participant au Groupe sur la protection des abeilles de l'International Commission for Plant-Pollinator Relationships. De plus, nous appuyons la production de données expérimentales et de données de surveillance par les autres ministères fédéraux, les provinces, la communauté universitaire et l'industrie.

Monsieur le président, chers membres du comité, j'espère que vous avez trouvé mon compte rendu instructif et, si vous le voulez bien, j'aimerais maintenant céder la parole à ma collègue, Mme Marguerita Conti.

Margherita Conti, directrice générale, Direction de l'évaluation de la valeur et de la gestion des réévaluations, Agence de la réglementation de la lutte antiparasitaire, Santé Canada : Monsieur le président, chers membres du comité, bonjour. J'occupe, à titre intérimaire, le poste de directrice générale de la Direction des homologations de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada. Je sais que des questions au sujet des homologations conditionnelles ont été soulevées auprès de votre comité, et je suis heureuse d'avoir l'occasion de vous apporter des précisions à ce sujet aujourd'hui.

J'aimerais commencer par vous assurer que toutes les décisions liées aux homologations, que celles-ci soient conditionnelles ou complètes, sont fondées sur des évaluations scientifiques rigoureuses des risques que pose un produit antiparasitaire pour la santé et l'environnement. Une homologation conditionnelle n'est jamais autorisée avant qu'une évaluation confirme que les risques sont acceptables; cela signifie que le produit répond aux normes actuelles de sécurité sanitaire et environnementale. Une homologation conditionnelle est seulement envisagée dans les cas où il faut obtenir des données de confirmation afin d'appuyer certaines des conclusions tirées au cours de l'évaluation des risques. Par ailleurs, les États-Unis et les pays d'Europe ont également recours aux homologations conditionnelles.

Après la comparution de l'ARLA devant votre comité, dans le cadre d'une discussion portant sur l'innovation en agriculture, une recommandation a été formulée concernant la réduction du nombre d'homologations conditionnelles de produits antiparasitaires. Je suis heureuse de déclarer qu'à l'heure actuelle 88 produits antiparasitaires font l'objet d'une homologation conditionnelle, ce qui représente seulement 1 p. 100 de l'ensemble des homologations. Il s'agit là d'une diminution substantielle comparativement à 2006-2007, où ce chiffre atteignait 13 p. 100, selon le Rapport de la vérificatrice générale du Canada de 2008.

En outre de la baisse importante du nombre de nouvelles homologations conditionnelles au cours des cinq dernières années, des mesures sont également prises afin de voir à diminuer le nombre de prolongations sur de longues périodes. Ce changement est attribuable a' un certain nombre de facteurs mis en place par l'ARLA comme un cadre de présélection plus rigoureux, une meilleure aide fournie aux fabricants dans le but de présenter une trousse de données plus complète, de même qu'un meilleur suivi.

À l'heure actuelle, les utilisations en milieu agricole de trois matières actives de la classe des néonicotinoides, soit la clothianidine, l'imidaclopride et le thiamethoxam, font l'objet d'une homologation conditionnelle, ce qui représente 36 produits. Nous attendons des données de confirmation qui consistent en une étude sur les ruches et un essai sur les résidus, pour chacune des matières actives. Fait à noter, les matières actives de la classe des néonicotinoïdes font également l'objet d'une homologation conditionnelle aux États-Unis.

Au cours de la période de ces homologations conditionnelles, la science a évolué et des protocoles plus modernes concernant les exigences existantes en matière de données ont été établis. Afin de se conformer aux exigences en matière de données dans le cadre d'une homologation conditionnelle, les fabricants ont déjà présenté plusieurs études menées en suivant ces protocoles modernes. Les études présentées jusqu'ici n'ont indiqué aucun risque inacceptable. Toutefois, les résultats ne permettaient pas de tirer des conclusions, et des études plus récentes doivent être menées.

Il est important de souligner qu'une nouvelle étude sur les ruches menées selon les protocoles modernes a été présentée à I'ARLA en 2013, et que cette étude est en cours d'examen. L'ARLA reçoit régulièrement, de la part des fabricants, des comptes rendus provisoires sur les essais sur les résidus, qui sont désormais menés en conformité au nouveau cadre d'évaluation des risques pour les pollinisateurs.

[Français]

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'apporter des précisions concernant les homologations conditionnelles, et c'est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, madame Conti.

[Traduction]

Je demanderais maintenant à M. Alexander de bien vouloir faire sa présentation. Nous serons indulgents et vous donnerons le temps de le faire.

[Français]

Dr Ian Alexander, directeur exécutif, Direction des sciences de la santé des animaux, Agence canadienne d'inspection des aliments : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Nous sommes très heureux que l'ACIA soit invitée à comparaître de nouveau, alors que vous achevez votre étude sur l'importance des abeilles et de la santé des abeilles dans la production de miel, d'aliments et de semences au Canada, en particulier en ce qui concerne les facteurs qui influent sur la santé des abeilles domestiques.

[Traduction]

La dernière fois que nous avons témoigné en décembre, nous avons expliqué que l'approche que privilégie l'ACIA pour assurer la santé des abeilles s'appuie sur de solides fondements scientifiques. Nous évaluons de façon exhaustive les risques de maladies et les autres facteurs qui influent sur la santé des abeilles. Nous collaborons ensuite avec des partenaires à élaborer et à mettre en œuvre des options de gestion des risques.

Bien que la gestion de la santé des abeilles soit une responsabilité partagée entre les gouvernements fédéral et provinciaux, l'ACIA travaille surtout à l'échelle nationale. Elle détermine que certaines maladies propres aux abeilles sont réglementées et doivent obligatoirement être déclarées, ce qui signifie qu'il est nécessaire d'appliquer des mesures précises de contrôle des maladies. Elle donne aussi des directives aux intervenants de l'industrie apicole par le truchement des normes nationales de biosécurité à la ferme.

En collaboration avec les producteurs, les associations de l'industrie, le milieu universitaire et les gouvernements provinciaux, l'Agence canadienne d'inspection des aliments a mis au point la Norme nationale de biosécurité à la ferme pour l'industrie apicole. Cette norme vise à formuler une approche pancanadienne cohérente à l'égard de la mise en œuvre des pratiques en matière de biosécurité tant pour les opérations à petite qu'à grande échelle. Elle jette les bases d'un programme volontaire exhaustif conçu pour offrir des conseils plus pratiques en vue de prévenir l'introduction et la propagation de parasites dans les trois principales espèces d'abeilles au Canada : les abeilles mellifères, les découpeuses de la luzerne et les bourdons. Les provinces travaillent en étroite collaboration avec l'industrie pour instaurer des programmes de gestion de la santé des abeilles à l'échelle provinciale. L'ACIA s'efforce aussi de limiter au maximum les risques d'introduction de maladies au Canada.

Il y a environ 8 400 apiculteurs chez nous. Moins de la moitié d'entre eux gèrent des exploitations apicoles commerciales. La nature de ce type d'exploitation diffère d'un endroit à l'autre au pays. Certains apiculteurs se spécialisent dans la production de miel, d'autres dans les services de pollinisation, et nombreux sont ceux qui combinent les deux activités.

L'ACIA est toujours résolue à maintenir un secteur apicole fort et sain dans un système agricole sain et concurrentiel. Nous continuerons de poursuivre cet objectif en collaboration avec l'industrie et d'autres partenaires gouvernementaux.

L'une des principales façons dont l'Agence offre du soutien est en prévenant l'importation d'animaux ou de produits connexes s'ils mettent à risque la santé des animaux domestiques canadiens.

L'ACIA est responsable de surveiller l'état de santé des animaux des partenaires commerciaux afin de protéger les abeilles du Canada et de prévenir les maladies et parasites susceptibles de se propager d'un pays à l'autre par l'entremise du commerce international des abeilles, notamment des paquets d'abeilles. Les apiculteurs utilisent ces paquets pour fonder de nouvelles colonies et remplacer les abeilles qu'ils ont perdues pendant l'hiver. Vous savez déjà que le Canada interdit l'importation des paquets d'abeilles mellifères en provenance des États-Unis depuis 1987 et qu'il le fait pour une raison valable : une flambée d'acariens parasites, d'acariens de l'abeille Acarapis woodi, de varroa et de varroa destructor aux États-Unis.

L'ACIA a réévalué la situation en 1994, en 2003 et plus récemment en 2013. Les seules abeilles dont l'Agence permet l'importation des États-Unis sont les reines et leur entourage — les abeilles ouvrières qui s'occupent de la reine. Cette mesure est appliquée depuis l'évaluation des risques de 2003.

Vous vous demandez peut-être pourquoi l'importation des reines est soumise à une autre règle que celle des paquets d'abeilles. Les mesures actuelles permettent l'inspection individuelle des reines pour la détection de maladie avant leur importation au Canada, mais il est impossible de le faire dans le cas des paquets. Un paquet d'abeilles pèse entre 1 et 5 kilogrammes, 2 ou 3 livres. Le paquet de 2 livres contient environ 8 000 abeilles, alors que celui de 3 livres en contient environ 12 000. Les abeilles sont expédiées dans une boîte dont les côtés sont en bois et l'avant et l'arrière sont recouverts de moustiquaires.

L'ACIA a entamé sa dernière évaluation des risques en 2003 et en a fait part aux apiculteurs ou aux apiculteurs professionnels. L'Agence a aussi tenu un processus de consultation d'un mois sur la question des abeilles mellifères. Elle a reçu un total de 174 réponses de la part de particuliers canadiens, d'associations nationales et régionales d'apiculteurs et de représentants provinciaux, et elle a aussi reçu deux réponses d'apiculteurs étatsuniens; 28 p. 100 des répondants étaient en faveur de l'ouverture de la frontière canado-américaine aux paquets d'abeilles contre 72 p. 100 qui s'y opposaient.

L'ACIA a fondé sa décision d'importer des abeilles des États-Unis sur les témoignages d'intervenants, un examen de l'évaluation scientifique des risques la plus récente et des discussions portant sur l'analyse de mesures d'atténuation des risques. L'ACIA a communiqué sa décision de maintenir la frontière fermée à l'importation de paquets d'abeilles mellifères au Conseil canadien des médecins vétérinaires en chef, à l'Association canadienne des professionnels de l'apiculture et à d'autres intervenants en mars dernier.

Je veux dire bien clairement que les dernières évaluations des risques ont permis de cerner des dangers précis qui mettaient en péril les colonies d'abeilles canadiennes : les acariens varroa résistants, la loque américaine résistante, les abeilles africanisées et les petits coléoptères des ruches. Les maladies et les menaces sont en constante évolution et, dans le contexte de mondialisation actuel, le Canada doit demeurer vigilant pour protéger la santé de nos abeilles.

Bien que l'ACIA soit favorable au maintien de l'interdiction d'importer des paquets d'abeilles des États-Unis, nous resterons ouverts aux discussions avec les intervenants. Nous continuerons de travailler avec l'Association canadienne des professionnels de l'apiculture à trouver d'autres sources d'abeilles mellifères.

À l'heure actuelle, le Canada permet l'importation de reines et de paquets d'abeilles d'Australie, de Nouvelle-Zélande et du Chili.

[Français]

Je vous remercie encore une fois de m'avoir donné l'occasion d'expliquer plus en détail la position de l'ACIA sur la question de la santé des abeilles au Canada.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup aux témoins. J'ai remarqué que vous aviez fait allusion à notre recommandation no 4 sur l'innovation en agriculture, élément clé pour nourrir des populations croissantes. Il est clair que les questions seront très succinctes.

La sénatrice Tardif : Merci d'être venus ce matin. Je veux en revenir à la question de l'enregistrement temporaire des néonicotinoïdes. Je vous remercie de nous avoir fourni un complément d'information et d'avoir confirmé une partie des renseignements que nous avons reçus de la commissaire à l'environnement et au développement durable.

Selon votre exposé et ce que la commissaire avait signalé, je crois comprendre que 88 pesticides sont « homologués conditionnellement », dont 35 — et vous avez dit 36 — ont une néonicotinoïde comme ingrédient chimique actif.

La commissaire a fait remarquer que la durée de ces homologations conditionnelles est problématique — il en a aussi été question dans des rapports et aussi en 2003 et 2008. Par exemple, je crois comprendre que 28 de ces 88 pesticides ont reçu une homologation conditionnelle ou temporaire il y a plus de cinq ans et, huit d'entre eux, il y a plus de 10 ans. L'un d'entre eux, un ingrédient chimique actif, l'imidaclopride, est homologué conditionnellement depuis 1995. Pourquoi si longtemps? Qu'attendez-vous? Quels processus doit-on suivre pour que ces pesticides soient enlevés de cette liste ou se voient accorder une homologation permanente?

Mme Conti : Merci d'avoir posé la question. Il est clair que des 88 pesticides, comme vous l'avez mentionné, 36 contiennent une néonicotinoïde comme ingrédient chimique actif. Nombre d'entre eux ont été homologués conditionnellement pendant une assez longue période.

Cela étant dit, dans le cas de l'imidaclopride, par exemple, il est vrai qu'elle a été homologuée conditionnellement pour la première fois en 1995. À l'époque, elle a été homologuée pour le traitement des semences ainsi que d'autres usages industriels et sociétaux, mais depuis 1995, on a reçu des données en 1996, 2001 et 2002. Ces données ont été examinées, après quoi l'imidaclopride s'est vu accorder son homologation complète en 2009. Je voulais clarifier ce point. Vous avez tout à fait raison; c'était pendant une longue période, environ neuf ans.

En 2001, l'imidaclopride a été homologuée conditionnellement pour l'injection d'arbres, un autre usage agricole, sous réserve de la présentation des données environnementale à l'ARLA. Elles l'ont été en 2013 et 2014 et font actuellement l'objet d'un examen.

Là où je veux en venir est que, oui, nombre de ces homologations conditionnelles de longue durée visaient les néonicotinoïdes dont il est question aujourd'hui. Les 36 produits se rapportent principalement à trois ingrédients actifs. Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, nous attendons des données de confirmation provenant d'une étude sur les ruches et un essai sur les résidus pour chacun de ces ingrédients actifs. Nous avons maintenant reçu une quantité assez exhaustive d'informations des fabricants, et Santé Canada en fait actuellement l'examen.

Si vous prenez les homologations conditionnelles les plus récentes qui ont été accordées au cours des cinq dernières années, il faut en moyenne entre deux et cinq ans à l'heure actuelle pour qu'une homologation conditionnelle devienne permanente.

La sénatrice Tardif : Merci pour votre réponse.

Je crois comprendre que les trois néonicotinoïdes que vous avez mentionnés, qui sont très actifs et qui se trouvent dans ces 36 produits, font l'objet d'une réévaluation, mais tient-on compte des effets de l'exposition chronique? Lorsque vous procédez à une réévaluation, étudiez-vous cette question? Je remarque qu'une autre étude vient juste d'être publiée — je crois qu'elle a fait l'objet d'un rapport au Québec, où l'on a trouvé des néonicotinoïdes dans 20 rivières. Il s'agit de matières actives de la classe des néonicotinoïdes, soit l'imidaclopride.

Étudiez-vous les effets à long terme de ces produits dans le cadre de votre réévaluation?

Mme Conti : Oui. Je vais demander à mon collègue de répondre à cette question.

M. Kirby : Tout à fait. Nous étudions les effets chroniques à long terme des néonicotinoïdes. Les études que nous attendons toujours ont été demandées précisément pour examiner leurs effets sur les pollinisateurs.

Pour ce qui est de l'imidaclopride en tant que telle, qui est l'ingrédient chimique dont vous avez parlé, elle fait l'objet d'une réévaluation complète, alors non seulement nous étudions ses effets sur les pollinisateurs, mais aussi sur les oiseaux, les poissons, tous les organismes ainsi que la santé humaine. Nous observons les niveaux dans l'eau et les comparons à ceux qui ont des effets sur ces organismes, tant chroniques qu'aigus. Alors pour vous donner une réponse courte, oui, nous étudions les effets chroniques. Absolument.

Le sénateur Robichaud : Lorsque vous dites « nous étudions », à qui faites-vous allusion?

M. Kirby : Lorsque je dis « nous », je parle de la Direction de l'évaluation environnementale. Nous sommes un groupe de scientifiques qui étudions précisément les impacts environnementaux, mais comme l'imidaclopride fait l'objet d'une réévaluation complète, nos scientifiques de la Direction de l'évaluation sanitaire se pencheront aussi sur les questions de santé humaine.

Le sénateur Robichaud : Vous ne vous en remettez pas aux fabricants de ces produits?

M. Kirby : Dans le cadre de la réévaluation, nous étudions tous les renseignements dont nous disposons. Les fabricants ont l'obligation de produire des informations qui répondent à nos normes strictes du point de vue scientifique. Nous les passons en revue. Nous examinons la littérature scientifique publiée par les chercheurs, les universités, et cetera. Nous lisons aussi les conclusions d'autres agences à l'étranger — en Australie, en Europe, aux États-Unis — concernant ces données. Il s'agit d'une réévaluation très vaste dans le cadre de laquelle nous étudions toutes les informations disponibles, dont celles qui nous sont fournies par les requérants.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup, mesdames et messieurs, de votre témoignage. Nous vous attendions. Je crois que vous avez livré, dans votre présentation, beaucoup de réponses à nos questions. Je l'apprécie, et je suis sûr que tous mes collègues l'apprécient également. Nous travaillons sur cette question depuis maintenant quelques mois et nous avons encore beaucoup de questions.

La santé des abeilles, c'est un peu la quadrature du cercle. Les agriculteurs ont besoin des pollinisateurs. Les agriculteurs ont besoin de pesticides pour combattre les maladies. Au bout de la chaîne, c'est l'environnement qui en subit les conséquences.

Si on n'employait rien du tout, quel serait l'impact sur les récoltes de soja, de maïs et d'autres granulés dans l'Ouest canadien? Quel en serait l'impact si on n'employait rien, quitte à laisser la nature à ses propres moyens?

M. Seppey : C'est une question très importante. Lorsqu'on parle du canola dans l'Ouest canadien, c'est pratiquement l'ensemble de la production qui nécessite ce type de pesticides. Quand on pense que la surface cultivée de canola représente environ 20 millions d'acres, c'est énorme. Il serait tout à fait impossible de maintenir la production sans utiliser ces pesticides.

Le même phénomène se retrouve dans l'Est du Canada pour la production de maïs et de soja. Les estimations de l'industrie et de différents organismes montrent que, sans l'utilisation de pesticides, il y aurait sans doute une perte de rendement, donc une perte économique. La perte pourrait aller jusqu'à 20 p. 100 de la production. Ce n'est donc pas négligeable.

Ceci étant dit, le gouvernement compte parmi ses partenaires les provinces et l'industrie. Ce forum sur la santé des abeilles domestiques regroupe plusieurs intervenants. C'est un effort collectif, et tout le monde le reconnaît. Développeurs, industrie, producteurs agricoles, producteurs d'abeilles et de miel, le Conseil du miel, tous essaient de trouver une façon de traiter cette question de la santé des abeilles, notamment en faisant plus d'études sur l'impact des pesticides sur la santé des abeilles. Existe-t-il d'autres types de pesticides et de pratiques qui pourraient être utilisés afin de réduire les risques associés aux pesticides, d'une part, et pour préserver la santé des abeilles? C'est un enjeu extrêmement complexe. Je dois dire que nous sommes très satisfaits du sérieux dont fait preuve l'ensemble de la filière et les parties intervenantes dans leurs démarches pour explorer ces éléments.

Au niveau économique, on peut difficilement se passer de l'utilisation des pesticides.

Le sénateur Maltais : Votre réponse est très claire et nous l'apprécions, car nous cherchons également la clarté.

Ma prochaine question s'adresse au Dr Alexander. Nous importons des abeilles des États-Unis, les États-Unis le font à partir de l'Australie, l'Australie le fait à partir de l'Afrique. On fait le tour du monde avec les abeilles. On importe des reines et des larves ici. Ce faisant, n'a-t-on pas développé une sorte d'abeille qui n'est pas adaptée au climat canadien?

Dr Alexander : Je ne suis pas un expert de la génétique des abeilles. M. Seppey pourrait peut-être répondre à cette question pour ce qui est de la génétique.

Le sénateur Maltais : Je comprends. Avant que vous répondiez, j'aimerais savoir s'il existe une comparaison entre les abeilles domestiques, soit les travailleuses, et la durée de vie, la perte ou la survie des abeilles.

M. Seppey : Malheureusement, nos collègues scientifiques au sein du ministère seraient plus aptes à répondre à cette question. Je crois que vous avez entendu le témoignage, en décembre dernier, de mon collègue, le Dr Pernal, qui est l'expert canadien en matière de santé des abeilles et en matière d'abeilles en général. Il est situé à notre centre de recherche en Alberta. Il nous fera plaisir de répondre à cette question et d'en faire le suivi.

Le sénateur Maltais : Ce serait apprécié, monsieur le président.

Le président : On pourra faire le suivi par l'intermédiaire du greffier.

Le sénateur Robichaud : Vos propos sont réconfortants. À vous entendre, on pourrait dire que tout est sous contrôle. On n'a qu'à attendre les résultats de certaines études que vous avez faites. Toujours est-il que le problème persiste et qu'on ne semble pas vraiment avoir trouvé les éléments d'une solution durable.

Je vous félicite pour tout votre travail et pour votre présentation, mais la question qui me tracasse un peu, c'est l'ampleur de l'utilisation des pesticides.

Monsieur Seppey, vous avez mentionné qu'on encourageait les agriculteurs à en employer moins. Avec toute l'application de ces pesticides au cours des dernières années, on a tout de même pu contrôler certains insectes.

Doit-on faire cette application chaque année? Ne pourrait-on pas le faire aux deux ans pour voir si la production en serait très réduite par rapport à ce que cela nous coûte pour appliquer ces pesticides et, surtout, ce que cela coûte à l'environnement?

Des agriculteurs qui ont comparu devant le comité nous ont dit qu'ils aimeraient, à l'occasion, avoir des graines qui ne sont pas traitées, mais qu'elles étaient très difficiles à obtenir.

Que faites-vous pour aider les gens à s'éloigner un peu — pas complètement, mais au moins un peu — de ces traitements aux pesticides?

M. Kirby : En ce qui concerne l'ampleur de l'utilisation des pesticides, c'est définitivement un sujet qui concerne l'ARLA et aussi les provinces. Les provinces sont beaucoup mieux placées pour aider les producteurs à déterminer si les agriculteurs ont besoin d'utiliser des semences traitées.

Vous avez peut-être entendu dire que la province de l'Ontario travaille à obtenir un tel résultat. Elle va travailler avec les agriculteurs pour mettre en place des outils qui aideront à déterminer s'il y a un problème.

Au Forum sur la santé des abeilles, Frédéric a dit que plusieurs projets visaient cette question pour développer des outils qui aideront les agriculteurs à déterminer s'il y a véritablement un problème dans leurs champs. Des études ont démontré, comme vous l'avez dit, que la pression des insectes n'est pas aussi élevée dans les champs des agriculteurs.

Le problème, c'est que les insectes, dans ce cas-ci, sont dans le sol. Or, il est plutôt difficile de déterminer s'il y a un problème dans le sol, alors que c'est plus facile si le problème est sur la plante elle-même. Il y a donc du travail à faire sur ce plan.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Seppey?

M. Seppey : J'aimerais ajouter un point bref. Un des piliers de notre approche, lorsqu'il s'agit de questions réglementaires au sein du gouvernement, est de nous assurer, entre autres, que les agriculteurs puissent avoir un véritable choix. S'ils décident d'utiliser des semences non traitées, par exemple, qu'ils aient la possibilité de le faire. La question que vous soulevez sur la disponibilité des produits a été soulevée au sein du forum. À ce titre, l'Association canadienne du commerce des semences, un des partenaires actifs au sein du forum, a indiqué que, s'il y avait, dans certaines parties du pays, une préoccupation par rapport à la disponibilité de semences non traitées, elle pouvait travailler avec les développeurs pour les rendre plus disponibles.

Je ne veux pas laisser l'impression que tout est sous contrôle. Loin de là. Il y a un énorme programme de travail, et il est complexe. Les différents joueurs qui ont peut-être tous une partie de l'identification du problème en mains, ainsi qu'une partie de la solution, peuvent travailler ensemble. Cette question, tout comme d'autres questions — par exemple, sur la façon de développer des meilleures pratiques en matière d'utilisation de pesticides, parce qu'un des problèmes peut être lié à une mauvaise utilisation des pesticides hors des principes directeurs réglementaires énoncés par l'ARLA —, tous ces éléments, la communication, l'information, le partage des bonnes pratiques, font partie de l'équation de la solution.

Le sénateur Robichaud : J'aimerais enchaîner sur ce que vous dites. Un producteur de semences a dit que, s'il y avait une demande de graines non traitées, celles-ci seraient probablement disponibles. Cependant, si j'étais un vendeur de graines traitées et qu'un agriculteur venait me voir, je lui dirais qu'il prend des chances et qu'il vaudrait mieux qu'il continue d'utiliser des graines traitées. Toutefois, l'agriculteur qui doit travailler 18 heures par jour, et ce, sept jours par semaine, n'a pas toujours le temps de s'arrêter et de quantifier le risque. Il choisira des graines traitées. C'est là que je trouve qu'on n'encourage pas suffisamment.

Vous avez parlé de tous les programmes de recherche qui existent. A-t-on les ressources humaines suffisantes pour mener à bien ces recherches dans un temps assez bref? Il faut bien le dire, il faut aboutir à quelque chose à un moment donné.

M. Seppey : C'est toujours un défi. Il y a tellement d'enjeux qui pourraient nécessiter une solution scientifique, et les ressources sont limitées. Cependant, dans cet esprit, en mettant ensemble les efforts des différents partenaires et gouvernements qui jugent que l'enjeu a une importance telle qu'elle nécessite un examen urgent, ces efforts permettront de faire certaines économies d'échelle.

À ce titre, le financement qu'Agriculture et Agroalimentaire Canada a rendu disponible et a octroyé au Conseil du miel de l'Alberta permet, par l'intermédiaire de ce mécanisme, de faire des recherches, de mettre à contribution l'expertise scientifique qui existe au sein de notre ministère, de travailler avec les spécialistes de l'industrie, les apiculteurs et les producteurs de miel, afin, justement, de mettre en commun les ressources et d'essayer de trouver des solutions.

Je dois aussi dire que le Canada n'est pas seul à avoir ce problème. Vous l'avez entendu dans les témoignages, c'est de nature globale. Donc, les partenariats étrangers sont très importants. À ce titre, le ministre de l'Agriculture, dans le cadre d'une récente conversation avec son homologue américain, a souligné l'importance d'établir une collaboration, de partager l'information entre le Canada et les États-Unis.

Les États-Unis ont un groupe de travail similaire au forum qui existe au Canada, et nous avons un participant au processus américain dans notre forum. Donc, tous ces éléments permettent de mettre ensemble les ressources et de bénéficier des résultats de recherches qui se font à l'étranger pour voir s'ils peuvent s'appliquer au type de problèmes que nous avons ici. Cependant, c'est une tâche importante et large, et tous les efforts sont déployés pour trouver une solution.

Le sénateur Robichaud : Je n'ai pas vraiment obtenu de réponse à ma question. On aurait besoin de plus de recherches, n'est-ce pas? Vous pouvez le dire même si des représentants du ministère sont présents.

Le président : Sénateur Robichaud, je crois que M. Kirby voudrait ajouter quelque chose.

M. Kirby : Vous avez absolument raison. Il y a beaucoup de recherches qui restent à faire, mais en ce qui concerne la réglementation des pesticides et de notre réévaluation, nous aurons, en 2015, un rapport intermédiaire qui dirigera des actions, et des données seront soumises par les compagnies de pesticides qui nous aideront aussi à prendre une décision en ce qui a trait aux néonicotinoïdes.

En ce qui concerne la santé des abeilles en général, il y a beaucoup de recherches à faire.

Le président : Est-ce suffisant pour vous, sénateur Robichaud?

Le sénateur Robichaud : Oui, merci.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Il y a beaucoup de questions que j'aimerais vous poser. Vous avez donné une vaste quantité de renseignements, mais je vais essayer de vous poser des questions qui m'éclaireront en fonction de ce que nous savons aujourd'hui grâce à des développements récents.

Pour commencer, c'est la première année que l'interdiction majeure d'utiliser les néonicotinoïdes en Europe pourrait avoir une incidence sur les récoltes. Qu'est-ce que vos consultations avec vos collègues en Europe ont révélé concernant les récoltes de cette année? Je crois comprendre qu'elles sont bien moins abondantes dans certaines régions.

M. Kirby : Je ne peux pas vous donner de chiffres exacts que j'aurais obtenus en parlant directement à des représentants de l'Union européenne, mais les renseignements que nous avons reçus montrent que dans certaines parties de l'UE, notamment en Grande-Bretagne et au Royaume-Uni, on a observé une recrudescence de la puce terrestre dans les champs de colza et la production a baissé considérablement à certains endroits.

Le sénateur Ogilvie : C'est l'un des rapports importants dont j'ai aussi pris connaissance, mais là où je veux en venir est qu'il s'agit d'une expérimentation majeure. Si nous collaborons vraiment avec nos collègues de l'étranger dans ce dossier, il doit s'agir de la plus grande expérimentation jamais entreprise sur l'utilisation des néonicotinoïdes — dans ce cas, leur retrait — et ses résultats devraient nous en dire beaucoup sur son incidence sur l'agriculture.

Je veux en revenir à l'allusion que vous avez faite, monsieur Kirby, aux changements que vous avez mis en place au début de la période des semences cette année au Canada; ils m'intéressent grandement. Je veux commencer par parler du pelliculage des semences avec des néonicotinoïdes. Je crois comprendre que le polymère dont on recouvre les semences au départ laisse la surface très collante et qu'on enrobe ensuite cette surface de poudre de talc pour qu'elle soit sèche, pour ainsi dire, pour qu'elle soit facile à manipuler dans la machinerie dont on se sert pour semer; cependant, la poudre de talc ne reste pas sur les semences pendant qu'on les sème. Je pense que vous avez fait allusion à la poussière pendant les semailles. J'en déduis que la poussière provient en grande partie de la poudre de talc ou d'un autre revêtement semblable qu'on utilise pour assécher les semences. De plus, je crois comprendre que les analyses ont montré que la poudre de talc contient des niveaux très élevés de néonicotinoïdes dans certaines conditions et que c'était l'un des principaux éléments en faveur d'une interdiction en Europe.

Je crois comprendre, en outre, que la différence entre l'application foliaire, à laquelle M. Seppey a fait allusion dans certains de ses commentaires, et le système de semences traitées est telle que les pays européens n'ont pas interdit l'utilisation des néonicotinoïdes dans les applications foliaires; je pense en particulier à l'Italie.

Dans cette optique, pourriez-vous élaborer sur la réglementation ou les essais qui ont été mis en place cette année au Canada — la première année où vous redéployez des efforts pour régler le problème des néonicotinoïdes — et plus particulièrement sur les différences entre l'application foliaire et les semences enrobées? Vous avez par ailleurs parlé d'incidents — un terme neutre à souhait — à propos des ruches. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « incident »?

M. Kirby : Avec plaisir. S'agissant des mesures en place après la saison de croissance de 2014, la principale innovation a consisté à remplacer le talc dont vous parliez, talc qui est très poussiéreux et qui contient des résidus de néonicotinoïdes — facteurs qui à notre avis ont beaucoup contribué aux incidents de 2013 — par un lubrifiant beaucoup moins poussiéreux, à base de cire. Dans le cadre des premiers essais, on a constaté une réduction significative du volume de poussière. Et c'est donc l'un des moyens dont nous nous sommes servis pour réduire l'exposition des abeilles.

On a en outre beaucoup amélioré l'étiquetage par lequel on avertit les producteurs des risques et on les encourage à suivre des pratiques de gestion exemplaires. Il y a toute une série de lignes directrices fournies aux apiculteurs, par exemple l'application du produit lorsque le vent ne souffle pas en direction des ruches, l'évacuation en direction du champ plutôt qu'à l'extérieur de celui-ci, et cetera.

Ces mesures ont donc été appliquées et, comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, nous avons constaté cette année une diminution significative des incidents. Il y a eu toutefois un facteur aggravant, le printemps a été très froid et très humide. Normalement, le maïs est planté sur une très courte période et de façon intensive. Cette année, il l'a été sur une période beaucoup plus longue et de façon sporadique, ce qui pourrait expliquer la diminution. Nous n'irions pas jusqu'à dire que nos mesures ont donné un déclin de 70 p. 100, mais nous espérons qu'elles y ont au moins contribué.

Par rapport au traitement foliaire, tous les néonicotinoïdes dont on se sert sont évalués et leur utilisation est restreinte. Par exemple, nous ne les utilisons pas pendant la floraison des cultures qui attirent les abeilles. Nous nous basons sur ce facteur pour décider d'appliquer ou non un traitement foliaire. Les restrictions indiquées sur l'étiquette visent à protéger les pollinisateurs de l'exposition aux produits de traitement foliaire ou à la poussière qui en résulte.

Le sénateur Ogilvie : Je comprends qu'un été ne suffise pas pour vous donner des résultats définitifs. C'est pourquoi je voulais savoir si les résultats préliminaires étaient positifs, quel qu'en soit le fondement. Je vous ai posé une question au sujet d'un incident. Je suppose qu'il s'agit d'un facteur qui a des conséquences sur le taux de mortalité dans la colonie d'abeilles.

M. Kirby : Il y a une large gamme d'effets et d'incidents, dont la mortalité aiguë. On en a vu beaucoup en 2012. Durant l'été très chaud de cette année, on a trouvé des milliers d'abeilles mortes devant les ruches. Ce serait considéré comme un incident, mais nous avons en outre constaté d'autres effets sur la colonie, comme je l'ai dit, par exemple, une faible production des ruches, des reines qui ne pondent pas convenablement, une production de miel faible. Ces exemples sont considérés comme des incidents et font l'objet d'enquêtes. Nous pensons qu'il y a un lien net établi entre les incidents aigus. Nous cherchons toujours à établir si les effets au niveau de la colonie sont liés ou non à l'exposition aux pesticides, parce que cela n'est pas clair.

Le président : Vous vouliez intervenir, monsieur Seppey?

M. Seppey : Très brièvement, je pense que la réponse de M. Kirby montre bien à quel point il est très difficile d'établir des liens de cause à effet. Par exemple, vous avez mentionné au début de votre question la situation dans l'Union européenne et l'interdiction. Nous savons que la mortalité des abeilles a des causes différentes dans les divers pays et la situation peut varier beaucoup dans le même écosystème. Elle peut varier beaucoup d'une année à l'autre. Je ne suis pas un scientifique, mais à titre d'économiste, je pense que le même principe s'applique, à savoir qu'il est quelquefois difficile d'établir qu'un seul changement dans une politique est la cause du résultat constaté. Mais il s'agit certainement d'un élément d'information qui fait partie de l'examen auquel nous procédons au Canada.

Le sénateur Ogilvie : Nous constatons finalement que dans le monde entier, on souhaite interdire les néonicotinoïdes dans l'agriculture. On pense que cette mesure sauvera les abeilles et que les choses iront mieux. Toutefois, ce n'est pas sans raison qu'on utilise des pesticides et cela aura des conséquences sur les rendements des récoltes.

Certains diront qu'avant les néonicotinoïdes, on utilisait de très puissants pesticides. Pourriez-vous nous dire ce qui arriverait à l'agriculture au Canada s'il y avait une interdiction immédiate des néonicotinoïdes. Par quels produits seraient-ils remplacés et que savons-nous de ces produits de substitution?

M. Kirby : Je pourrais vous parler des produits de substitution que l'on pourrait utiliser, mais pas vraiment des baisses de rendement qui pourraient en découler. Les néonicotinoïdes ont remplacé plusieurs produits chimiques dont certains avaient des caractéristiques très nuisibles, tels que les composés organochlorés et organophosphorés. Ces pesticides étaient très toxiques pour les mammifères, de même que pour les oiseaux et certains autres organismes. Ils n'avaient pas des usages aussi ciblés et comme ils étaient la plupart du temps pulvérisés, les possibilités d'exposition étaient grandes.

Les néonicotinoïdes étaient considérés comme un nouveau produit dont l'usage pouvait être beaucoup plus ciblé, notamment pour traiter la semence, de sorte qu'il en restait une quantité beaucoup plus faible dans l'environnement. À l'époque, on pensait qu'ils resteraient dans la plante et qu'ils s'attaqueraient aux parasites. Dans cette optique, ils étaient beaucoup moins toxiques pour les agriculteurs et les risques d'exposition étaient moindres. Leur usage était plus ciblé. Si on les retirait, il faudrait revenir aux anciens produits, s'ils existent encore, car beaucoup d'entre eux ont été retirés en raison de leurs effets sur l'environnement. Les agriculteurs n'ont pas beaucoup d'options autres que celle d'utiliser à nouveau ces vieux produits, s'ils existent encore.

Le président : Qu'en est-il de l'aspect économique, monsieur Seppey?

M. Seppey : Merci, monsieur le président. Les conséquences n'en sont pas les mêmes d'une région à l'autre. J'ai mentionné les Prairies où est cultivé le canola sur une superficie de 20 millions d'acres. Comme le canola est un de nos produits vedettes à l'exportation, les conséquences en seraient significatives. Encore une fois, nous n'avons pas de données nationales, seulement des estimations de l'industrie. En Ontario seulement et s'agissant du maïs et du soya, si l'on s'en tient aux estimations, l'utilisation restreinte de ces produits chimiques pourrait faire baisser les rendements de 5 à 20 p. 100 dans certains cas. Les rendements varient. La qualité pourrait en souffrir. Au niveau économique, cela pourrait se traduire par des pertes maximales de 630 millions de dollars. Ce sont des estimations de l'industrie.

C'est un facteur à considérer. Dans ce forum sur la santé, nous voulons éviter des situations où l'on déshabille Paul pour habiller Pierre. La question est très importante étant donné la contribution de la pollinisation à l'agriculture. Comment pouvons-nous régler les questions de santé des abeilles sans restreindre de façon marquée les possibilités de rendement des cultures?

La sénatrice Tardif : J'aimerais revenir à la réponse que vous avez donnée au sénateur Ogilvie. Vous disiez que vous cherchiez de meilleures pratiques de gestion des néonicotinoïdes. Vous avez mentionné des lignes directrices réglementaires strictes. Vous avez amélioré l'étiquetage des produits pour que les agriculteurs sachent mieux à quel moment les utiliser et qu'ils aient ainsi moins d'effets négatifs sur la santé des abeilles. Quels mécanismes de contrôle avez-vous pour vous assurer que ces lignes directrices sont respectées et, qu'en fait, on suit les instructions indiquées sur l'emballage des 36 produits qui contiennent des néonicotinoïdes?

M. Kirby : Nous avons des agents d'application régionaux. Dans tout le pays, ils collaborent avec les agriculteurs pour s'assurer que les instructions figurant sur les étiquettes sont suivies. Et cela ne concerne pas seulement les néonicotinoïdes, mais tous les pesticides. Ces agents interviennent en cas d'incident. Si un produit est utilisé de façon inappropriée, l'agriculteur en est avisé, et ces agents peuvent même imposer des amendes au besoin.

Pour être tout à fait franc, le problème est bien connu et les producteurs s'y intéressent, parce que, comme nous l'avons dit, les pollinisateurs sont importants pour l'agriculture. Tout le monde travaille d'arrache-pied pour trouver des solutions. D'après mon expérience personnelle, les gens vont tout faire pour respecter la réglementation parce qu'ils savent que si les choses tournent mal, ils pourraient avoir des pertes de produits, des pertes de pollinisateurs et je ne pense pas que personne ne veuille en arriver là.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup de vos exposés. Outre les néonicotinoïdes, on a parlé de bien d'autres facteurs qui stressent les abeilles et qui sont par exemple liés à l'habitat, à la santé des reines et aux acariens varroa. Aux États-Unis et également dans les Maritimes, on a parlé de diviser des colonies et d'y introduire de nouvelles reines. En avez-vous parlé au forum? Est-ce que cela pourrait être bénéfique à long terme pour les apiculteurs?

Dr Alexander : Je le redis, je ne suis pas expert en la matière, mais nous voyons l'intérêt qu'il peut y avoir d'importer des abeilles d'autres pays pour diversifier les colonies et peut-être les renforcer. Cet apport peut être intéressant pour la diversité génétique et peut contribuer à la santé des colonies au Canada.

La sénatrice Unger : Vous avez presque entièrement répondu à ma question, docteur Alexander. Je sais que les apiculteurs albertains sont en faveur de la levée de l'interdiction des importations d'abeilles des États-Unis. Ils font valoir que les États-Unis s'intéressent beaucoup aux régions et ils ont un organisme national qui surveille les abeilles domestiques. Vous avez mentionné en outre que les paquets d'abeilles sont vraiment difficiles à examiner. J'ai du mal à imaginer quelqu'un essayant d'examiner les quantités dont vous avez parlé. S'agissant de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Chili, quels sont les paramètres distinctifs qui permettraient l'importation des abeilles et de quelle façon les étudieriez-vous?

Dr Alexander : Comme vous le dites, il est difficile d'examiner des abeilles quand il s'agit d'en importer des milliers. Je dirais que cela n'est pas très faisable. Quand nous négocions l'importation d'abeilles, nous nous intéressons à la santé de ces abeilles dans leur pays d'origine.

Dans le cas de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie et du Chili, nous avons évalué les infrastructures de ces pays et nous avons mené une évaluation du risque associé à la situation sanitaire de leurs abeilles. Nous en sommes arrivés à la conclusion que nous pouvons faire confiance à ces pays lorsqu'ils certifient que les abeilles qu'ils destinent au Canada n'ont pas de maladie.

La situation est un peu différente aux États-Unis où certaines maladies, comme les acariens varroa, ainsi que la loque et les abeilles africaines nous inquiètent. Il nous faut alors recueillir suffisamment d'informations sur une région donnée pour nous assurer de ne pas importer de maladies au Canada, en particulier lorsque ces maladies présentent des résistances aux traitements connus.

Il y a certainement des lacunes dans la recherche. Il y a des choses que nous ne comprenons pas et je suis ravi d'apprendre qu'AAC va augmenter la surveillance au Canada. À ce que je sache, c'est la même chose aux États-Unis. On doit être mieux informé de l'origine de ces maladies avant de faire quoi que ce soit qui ressemble à la régionalisation. S'agissant de l'importation des reines, la situation est meilleure, car celles-ci peuvent être examinées et nous pouvons obtenir un certificat attestant qu'elles n'ont pas de maladie.

La sénatrice Unger : Je ne voudrais pas mal interpréter vos propos, mais je trouve intéressant que vous considériez l'information provenant de notre voisin, les États-Unis, moins fiable que celle d'autres pays, en particulier le Chili.

Dr Alexander : Ce ne sont pas les normes ou l'information qui nous inquiètent, c'est le fait que ces maladies existent aux États-Unis contrairement aux autres pays d'où nous importons. Nous examinons la situation sanitaire et aux États-Unis, même s'il y a un programme national, les mêmes niveaux de contrôle n'existent pas. Et le fait qu'il y ait de telles maladies aux États-Unis présenterait un risque en cas d'importations d'abeilles de ce pays. J'espère avoir clarifié les choses.

La sénatrice Unger : Oui, c'est clair, merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse au Dr Alexander. On a mentionné plus tôt, que de nombreuses recherches étaient menées; les conclusions sont peut-être longues à venir. Le ministère a-t-il analysé les problèmes économiques associés à la question de la santé des abeilles, en ce qui a trait au varroa et à l'abeille africanisée?

Ce sont deux problèmes actuellement très dévastateurs aux États-Unis. Selon vous, quel serait le coût pour le Canada si ces deux parasites infestaient le Canada?

Dr Alexander : Concernant le volet économique, je pense que le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire est mieux à même de répondre à la question.

M. Seppey : Je vais donner ma réponse en complément de ce que le Dr Alexander vient de mentionner. Compte tenu de la dépendance du Canada sur les exportations — nous sommes un exportateur agricole très important et très attentif —, notre capacité, notre compétitivité et notre prospérité dépendent d'une bonne santé animale et phytosanitaire.

À la lumière de l'analyse faite par l'agence, et du fait de la détermination du risque suffisamment important d'importation de maladies parasitaires et animales associées à la présence endémique de certaines maladies aux États-Unis, nous n'avons pas fait d'étude économique en tant que telle par rapport à cet élément, à savoir si on devait lever cette interdiction. Ceci, tout simplement, parce que l'interdiction du point de vue du ministre est pleinement justifiée sur la base de l'analyse de l'agence. Toutefois, on peut imaginer, en se basant sur des exemples arrivés dans d'autres secteurs, que cela pourrait faire très mal s'il y avait une propagation de ces maladies au Canada. Quand on pense aux effets économiques, par exemple, de la vache folle ou d'autres maladies animales, on sait que cela peut faire très mal. Dans cet esprit, on peut simplement spéculer que l'impact pourrait être assez important si ces maladies étaient introduites au Canada par l'entremise d'importations.

[Traduction]

La sénatrice Seth : Désolée d'être en retard, je suis nouvelle et je remplace le sénateur Enverga.

Récemment, certains scientifiques et certaines entreprises d'insecticides ont rapporté que ces abeilles sont probablement infestées par des tiques, un parasite qui suce le sang. Est-ce la cause de la mortalité des abeilles? C'est ce qui se passe au Canada, d'après ce que je comprends. A-t-on fait quoi que ce soit dans ce dossier?

M. Kirby : Parlez-vous des incidents mortels survenus en Ontario et au Québec, ou...

La sénatrice Seth : En général, est-ce la raison de la mort de ces abeilles?

M. Kirby : S'agissant de ces incidents, nous avons déterminé, en fonction de l'enquête qui a été menée en 2012 et 2013, que les pesticides en sont la cause. Lorsqu'on enquête sur ces incidents, on examine la santé des abeilles, le volume d'acariens et la présence de virus. L'analyse permet d'établir si les abeilles ont été infestées par les acariens varroa. Ce que nous avons constaté en 2012, puis en 2013, c'est que les abeilles les plus touchées par ces incidents graves étaient des abeilles saines, qui ne présentaient pas de charge énorme.

Je ne peux pas parler de la question plus générale de la mortalité dans l'ensemble du pays et du rôle que pourraient jouer les acariens varroa ou d'autres maladies. Je laisserai le Dr Alexander ou Frédéric vous en parler.

La sénatrice Seth : Je voulais savoir si l'on a fait des recherches ou des études sur l'infestation des abeilles par des tiques ou des acariens.

Dr Alexander : La santé des abeilles au Canada est un sujet très complexe. Il y a divers facteurs à considérer. On a parlé des néonicotinoïdes, du problème que pourrait présenter l'hibernation et d'autres maladies. Nous avons parlé des acariens varroa. Il y a la loque américaine et le petit coléoptère des ruches. Tous ces facteurs existent, dont certains sont plus courants au Canada que d'autres et l'industrie examine avec vigilance la situation.

Nous avons entendu le témoignage de M. Seppey ce matin, qui veut peut-être revenir sur ce sujet et parler des mesures qui seront prises pour surveiller ces maladies. Lorsqu'on étudie la santé des abeilles, il y a de nombreux facteurs qui entrent en jeu, et vous avez tout à fait raison lorsque vous dites qu'il y a des maladies comme les mites qui infectent les abeilles, mais que c'est un enjeu multifactoriel au Canada. Il n'y a pas qu'une seule cause.

Ce que nous avons fait avec l'industrie au Canada, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration liminaire, c'est d'élaborer des lignes directrices en matière de biosécurité qui aident l'industrie à trouver des moyens de mieux prévenir l'introduction de maladies dans les colonies, de lutter contre ces maladies et de déployer des efforts pour les enrayer. L'industrie est en train de mettre en œuvre ces lignes directrices en matière de biosécurité dans les exploitations agricoles pour qu'elles puissent gérer les maladies.

Le sénateur Unger : Docteur Alexander, pourriez-vous nous expliquer comment les acariens varroa développent une résistance au traitement, ce qui se produit apparemment tous les cinq à sept ans? Le Canada effectue-t-il des recherches pour trouver un traitement qui pourrait remplacer ceux qui existent déjà contre les acariens?

Dr Alexander : Cela ne relève pas du mandat de l'ACIA, mais nous comprenons, et c'est pourquoi nous sommes inquiets de ce que nous importons au Canada. Ces résistances surviennent de façon sporadique au Canada; c'est plus fréquent dans d'autres pays comme les États-Unis. On aurait certainement raison de s'inquiéter si l'on importait des abeilles infectées par des acariens qui sont résistants aux traitements. Nous demeurons vigilants lorsque nous envisageons d'importer des abeilles pour nous assurer qu'elles ne sont pas infectées par une maladie résistante aux divers traitements qui sont disponibles.

M. Pernal n'est pas ici malheureusement. Je ne sais pas si mon collègue du ministère de l'Agriculture peut vous en dire plus à ce sujet, ou encore mes collègues de l'ARLA.

M. Seppey : Je pense que cela rejoint la question de la sénatrice Seth. Il y a toutes sortes de causes.

L'une des mesures que nous prenons dans le cadre du plan d'action du Forum sur la santé des abeilles consiste à mettre au point un programme ou une stratégie de surveillance nationale des abeilles qui nous permettrait de travailler en étroite collaboration avec les apiculteurs dans les différentes provinces, les gouvernements provinciaux et les professionnels de l'apiculture pour surveiller la santé des abeilles et obtenir plus de données et de preuves afin de cibler plus facilement les problèmes précis qui se présentent. Nous pouvons ensuite guider les travaux de recherche et mieux comprendre s'il y a certains facteurs prédominants. Je répète que c'est un enjeu très complexe. Je pense que la mortalité est attribuable à un ensemble de facteurs différents. L'un des volets du Forum sur la santé des abeilles vise à assurer un meilleur suivi et une meilleure surveillance ainsi qu'à recueillir des données.

[Français]

Le sénateur Robichaud : La semaine dernière, nous avons reçu des représentants de Terre-Neuve-et-Labrador qui nous ont dit que les abeilles étaient en bien bonne santé dans leur coin de pays. C'est pour cette raison, d'ailleurs, qu'ils sont venus, ici, demander notre aide dans le but d'établir un poste d'inspection en Nouvelle-Écosse afin de préserver la santé de leurs abeilles. On a comparé cette situation à celle de la pomme de terre à Terre-Neuve, afin qu'une tellement situation ne se reproduise pas. Selon vous, qui pourrait prendre en charge la mise en œuvre d'un tel site?

Dr Alexander : Je vous remercie de cette question. En général, c'est l'Agence canadienne d'inspection des aliments qui se charge de l'inspection des aliments.

[Traduction]

Pour ce qui est des abeilles, c'est un dossier que les provinces gèrent avec l'industrie. Les provinces ont assumé la responsabilité de cet enjeu pour empêcher que les abeilles se déplacent d'une province à l'autre, le cas échéant. En ce qui concerne les importations d'abeilles d'autres pays, cela relève de l'ACIA. Des ressources n'ont pas été allouées pour gérer les déplacements au sein des provinces. Nous nous sommes entendus avec les provinces pour qu'elles assument le leadership en ce qui concerne les déplacements interprovinciaux des abeilles.

Le sénateur Robichaud : Il incomberait donc à Terre-Neuve-et-Labrador de mettre sur pied une unité d'inspection à la gare maritime de la Nouvelle-Écosse?

Dr Alexander : Si c'est pour des déplacements à l'intérieur du Canada, alors je crois que la province assumerait le leadership. Elle l'a d'ailleurs fait.

Le sénateur Robichaud : Je croyais qu'elles demandaient de l'aide en ce sens.

Dr Alexander : Je ne suis pas au courant. Il faudrait assurer un suivi auprès des provinces à cet égard.

Le président : Nous pourrions peut-être demander à nos attachés de recherche d'examiner les observations qui ont été faites, sénateur Robichaud, et de les communiquer au Dr Alexander pour qu'il puisse répondre, ou à n'importe quel autre témoin.

Dr Alexander : Oui.

[Français]

Le sénateur Maltais : La monoculture peut-elle également être responsable du taux de mortalité élevé des abeilles? Dans certaines régions du Québec, où il y a peu ou pas de monoculture — à part quelques bleuetières où les abeilles n'y sont que quelques jours —, on a constaté que le taux de mortalité était beaucoup moins important. On a constaté que, là où les abeilles peuvent butiner les fleurs sauvages, le long des rivières et du fleuve, ainsi que dans d'autres champs où les cultures sont de moindre densité, le taux de mortalité est beaucoup moins important. La monoculture pourrait-elle être responsable de la mortalité des abeilles?

M. Kirby : Je peux intervenir sur les pesticides, parce qu'il y a d'autres facteurs que la disponibilité de fleurs sauvages pour les abeilles. Dans la région de l'Ontario et du Québec, en ce qui concerne le maïs et le soja, l'endroit où l'on retrouve le plus d'incidents causés par les pesticides, c'est dans le sud-est de l'Ontario. En ce qui concerne le maïs et le soja, c'est à cet endroit que l'agriculture est la plus dense.

C'est seulement une constatation. Je ne peux pas dire si c'en est la cause.

Le sénateur Maltais : C'est un hasard.

M. Kirby : C'est ce qui se passe présentement.

Le sénateur Maltais : Il y a une semaine ou deux, dans le cadre de l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Europe, nous nous sommes entretenus, par vidéoconférence, avec des apiculteurs de la Suisse, un très petit pays qui a des productions de moins grande envergure qu'ici. La Suisse connaît tout de même un taux de mortalité des abeilles assez important. À notre grande surprise, on nous apprenait que la quantité de fleurs accessibles aux abeilles n'était pas suffisante et que le pays s'est vu obligé de donner du sucre aux abeilles, ce qui contamine le miel. Savez-vous si d'autres pays européens font appel à ce qu'on appelle ici du sirop de poteau? Aurons-nous du miel de poteau également? Dans le cadre de l'accord de libre-échange, y a-t-il eu des discussions concernant la possibilité de dumping, par exemple?

M. Seppey : Pas spécifiquement. La Suisse ne fait pas partie de l'Union européenne, mais vous faites le lien avec les pays de l'Union européenne. Je ne sais pas si cet enjeu est présent dans d'autres pays européens. Ceci étant dit, dans le cadre de négociations de libre-échange, on ne traite pas d'enjeux de qualité en tant que telle. L'accord vise à favoriser les échanges, à faciliter la reconnaissance et l'équivalence des normes entre les pays. Cependant, il reste que, en dépit de l'accord de libre-échange, la législation sur la salubrité alimentaire ou la santé animale s'appliquera pleinement et relèvera de l'agence. En Europe, il y a un système d'indication géographique très fort. La préoccupation, en Europe, c'est de pouvoir exporter, de devoir reconnaître la qualité et le cahier des charges. Il y a seulement quelques appellations qui portent sur le miel en Europe. Le cahier des charges est assez strict sur ce qui peut être employé. C'est un problème, il me semble, qui est relativement mineur avec l'Union européenne.

Le sénateur Maltais : Qu'en est-il des autres pays?

M. Seppey : Dans d'autres pays avec lesquels on n'a pas d'accord de libre-échange, il y a des préoccupations en ce qui concerne ce que vous avez appelé le « sirop de poteau », pour reprendre l'expression consacrée. C'est un enjeu dans certains pays, à savoir qu'ils utilisent de façon très libre les expressions comme « sirop d'érable », et ceci n'est pas traité dans les accords de libre-échange. Dans les instances internationales où on établit des normes alimentaires, comme la Commission du Codex Alimentarius qui relève de l'OMS et de la FAO, ce sont des questions qui peuvent être explorées et abordées.

Le président : Je vous remercie. Cependant, vous suivez tout de même ce processus chez vous?

M. Seppey : Oui, notre équipe est spécialiste de l'horticulture et de ces produits, et nous sommes conscients des préoccupations qui ont été exprimées, notamment par les producteurs acéricoles du Québec et d'autres provinces également.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Le commissaire à l'environnement a signalé qu'il existe actuellement 7 011 pesticides homologués au Canada. Je pense que les membres du comité ont été surpris d'apprendre qu'il y en avait autant. Plus de 7 000, c'est énorme.

La Loi sur les produits antiparasitaires renferme un principe très important. Il s'agit d'un principe de précaution. Je vais le lire, pour les gens qui nous écoutent :

En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard la prise de mesures effectives visant à prévenir toute conséquence néfaste pour la santé ou la dégradation de l'environnement.

Pouvez-vous me dire dans quelle mesure et, concrètement, comment le principe de précaution s'applique lorsque vous évaluez les pesticides et, plus particulièrement dans ce cas-ci, les néonicotinoïdes?

M. Kirby : Le principe de précaution est appliqué à l'ARLA. À mon avis, nous en avons l'exemple parfait avec ce qui se passe avec la production de maïs et de soja en Ontario et au Québec à l'heure actuelle. Une menace a été décelée, et on a des preuves à l'appui. Il existe des incertitudes quant à savoir s'il s'agit d'une menace pour l'environnement dans son ensemble et d'une menace pour d'autres régions du pays. Nous ne le savons pas. Nous ignorons si cela a une incidence sur les pollinisateurs indigènes, mais nous avons pris des mesures et continuons d'en prendre pour minimiser cette menace. À mon avis, cet exemple illustre bien le principe de précaution. Nous ne sommes pas absolument certains de ce qui se passe, mais nous agissons. C'est ainsi que nous menons nos principales activités.

Le président : À titre de précision, s'agit-il du nombre de produits chimiques ou du nombre de produits différents? Pourriez-vous répondre à cette question, s'il vous plaît?

Mme Conti : Les 7 000 représentent le nombre de pesticides, totalisant environ 600 ingrédients actifs.

Le président : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, j'ai écouté les témoignages de nos témoins attentivement, je les en remercie. J'en viens à la question suivante : à la vitesse où sortent les renseignements recueillis, même avec un site national, n'avez-vous pas peur que, en cas d'une grave épidémie, on en soit victime et qu'on n'ait pas la chance de voir venir cette épidémie?

Parce que je comprends que les conclusions tardent toujours à venir.

Le président : Peut-être pour conclure, monsieur Seppey?

M. Seppey : Oui, brièvement. Là où l'agence joue un rôle important en matière de biosécurité, c'est dans la pierre d'assise pour anticiper les problèmes par l'intermédiaire de l'action du vétérinaire en chef du Canada, soit la participation des liens très étroits qui existent avec les autres agences sanitaires dans les autres pays.

Il y a un réseau qui nous permet, justement, d'anticiper les possibilités. J'aimerais revenir à votre question précédente qui concernait l'importance de se doter des mécanismes de contrôle des importations. Le Canada étant un pays très ouvert sur le commerce, il veut exporter dans les autres pays et doit, en contrepartie, être prêt à importer, mais pas au prix de mettre à risque la santé animale ou phytosanitaire.

C'est pour cette raison qu'une stratégie en matière de biosécurité et que l'action des régulateurs, que ce soit l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire ou l'Agence canadienne d'inspection des aliments, sont importantes, non seulement pour anticiper les menaces avant qu'elles arrivent, mais aussi pour y faire face une fois qu'elles sont arrivées, si c'est malheureusement le cas, et pour être en mesure de les résorber en prenant les mesures nécessaires.

[Traduction]

Le président : Je tiens à dire aux représentants de Santé Canada, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada et de l'Agence canadienne d'inspection des aliments qu'ils ont fait preuve d'un grand professionnalisme. Leurs témoignages ont été très instructifs et éclairants. Si vous voulez nous communiquer des renseignements additionnels avant que nous déposions notre rapport, n'hésitez pas à le faire. Soyez assurés que nous ne sommes pas ici pour jeter le blâme sur qui que ce soit. Nous savons que le Canada veut continuer de produire les meilleurs aliments au monde. C'est notre objectif. Je reconnais également qu'avec l'information que vous nous avez fournie ce matin, il faut un processus d'éducation, de communication et d'échange quant aux pratiques de gestion exemplaires.

[Français]

Le sénateur Maltais : J'aimerais faire une dernière observation. Lorsque le comité aura terminé son rapport, d'ici juin, est-ce qu'il ne serait pas indiqué, avant d'imprimer le rapport final, de tenir une séance avec ces gens pour s'assurer que le rapport concorde avec les politiques qu'ils veulent développer et pour s'orienter vers quelque chose de meilleur pour l'avenir?

Le président : Sénateur Maltais, on portera cela à l'attention du sous-comité.

Le sénateur Maltais : Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Un gros merci aux témoins.

Nous ferons une petite pause, puis poursuivrons à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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