Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 18 - Témoignages du 21 octobre 2014
OTTAWA, le mardi 21 octobre 2014
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 25, pour poursuivre son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
[Traduction]
Je m'appelle Percy Mockler. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis président du comité. J'aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Messieurs, bonsoir. Je suis le sénateur Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
La sénatrice Tardif : Bonjour. Je m'appelle Claudette Tardif, et je suis une sénatrice de l'Alberta.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bonjour; sénateur Ghislain Maltais, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Je suis la sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.
Le sénateur Enverga : Je suis Tobias Enverga, de l'Ontario.
Le sénateur Oh : Je suis Victor Oh, de l'Ontario.
Le sénateur Ogilvie : Je suis Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Je tiens à dire à l'intention des témoins que le comité poursuit son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a reçu de la part du Sénat un ordre de renvoi l'autorisant à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada. Comme nous le savons tous, les abeilles sont essentielles pour la pollinisation des plantes, des fruits et des légumes de culture commerciale. Selon le Conseil canadien du miel, on peut quantifier à plus de 2 milliards de dollars par année le rôle des abeilles dans la pollinisation des cultures.
Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui, par vidéoconférence, MM. Jerry Bromenshenk et Colin Henderson, de l'Université du Montana à Missoula.
Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation à formuler vos observations et à témoigner de votre expérience à l'intention du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts dans le cadre de son étude sur les abeilles.
Je vais demander à M. Bromenshenk et à M. Henderson de présenter leurs exposés, et ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs.
Le greffier nous a indiqué que les témoins prendront tous les deux la parole, alors je vais demander à M. Bromenshenk de commencer, et ensuite M. Henderson pourra continuer.
Jerry J. Bromenshenk, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs. J'ai un doctorat en entomologie et j'étudie les abeilles domestiques depuis plus de 40 ans. Je vous présente mon collègue, Colin Henderson.
Colin B. Henderson, à titre personnel : Je possède un doctorat en interactions biochimiques plantes-animaux.
M. Bromenshenk : Nous avons pensé aujourd'hui vous faire part des données que nous possédons concernant une certaine catégorie de produits chimiques dont les médias, les apiculteurs et les scientifiques ont beaucoup parlé. À nous deux, nous comptons de nombreuses années d'expérience. Nous possédons une entreprise privée de recherche qui respecte la norme des BPL. Au fil des ans, nous avons travaillé avec l'Agence pour la protection de l'environnement des États-Unis, le département américain de l'Énergie, le département américain de la Défense, diverses sociétés privées et des apiculteurs. Nous avons travaillé aux États-Unis et dans bien d'autres pays dans le monde.
Nous sommes connus notamment parce que nous avons développé la capacité d'entraîner des abeilles à repérer des choses. On les appelle parfois les abeilles démineuses. Elles repèrent des bombes, des explosifs et des produits chimiques. Il y a de nombreuses années, lorsque je travaillais avec l'Agence pour la protection de l'environnement, j'ai été à l'origine de l'utilisation des abeilles domestiques comme source de renseignements sur des produits toxiques pour l'environnement, non seulement des pesticides, mais aussi des polluants. Le mémoire que nous vous avons transmis en fait état.
J'aimerais parler aujourd'hui d'un problème contemporain, à savoir l'exposition alimentaire des abeilles domestiques aux traitements de semences aux néonicotinoïdes. J'aimerais parler précisément de deux produits chimiques utilisés couramment en Amérique du Nord, le clothianidine et l'imidaclopride.
En 2010, mes collègues et moi-même avons entrepris une série de projets de recherche. Nous avons échantillonné du nectar et du pollen collectés par des colonies d'abeilles. Dans certains cas, nous avons échantillonné des végétaux dans deux grandes régions : la Ceinture de maïs des États-Unis et les champs de canola de la région de Lethbridge, au Canada.
À notre connaissance, il s'agit probablement jusqu'à maintenant de la plus importante série d'études réalisées, compte tenu du nombre de champs étudiés, de l'ampleur des régions examinées et du nombre d'échantillons prélevés. Ces études nous permettent d'en apprendre au sujet de la santé des abeilles, car elles nous donnent des données précises sur les degrés réalistes d'exposition alimentaire des abeilles domestiques.
Les médias et la littérature nous présentent toute une gamme de chiffres. Les données que nous avons recueillies démontrent que ces chiffres sont parfois exagérés et que la situation typique révèle une réalité bien différente. Je ne vais pas lire le mémoire que nous vous avons remis, mais je vais en aborder les principaux points.
En 2011, j'ai personnellement organisé l'étude dans les champs de canola au Canada. Dans la région de Lethbridge, nous avons choisi des champs de canola relativement isolés géographiquement, dans tous les coins de la région. Dans ces champs de canola, dont les semences avaient été traitées au clothianidine, nous avons prélevé des échantillons tout juste avant, pendant et à la fin de la floraison. Nous avons aussi échantillonné du nectar que les abeilles avaient collecté. Nous avons échantillonné du pollen en ayant recours à des pièges à pollen. Il s'agissait de nouveaux pièges, alors il n'y avait aucun risque de contamination croisée. Chacun de ces pièges a été précisément placé dans une colonie d'abeilles. Nous avons donc prélevé des échantillons à trois moments durant la période de floraison.
Dans le document que nous vous avons transmis, le tableau 1 présente les résultats d'une analyse d'environ 90 échantillons. Lors de chacune des trois périodes de floraison, 30 échantillons ont été prélevés. Vous remarquerez que dans le pollen collecté par les abeilles, la moyenne de la concentration de clothianidine s'élevait à 1,69, 1,39, 1,83 et 1,86. Autrement dit, tous les résultats se situaient en deçà de deux parties par milliard. Nous avons envoyé les échantillons à deux laboratoires différents pour pouvoir comparer les résultats. La concordance s'est avérée bonne. Ces laboratoires, dotés d'un équipement moderne, peuvent détecter des concentrations allant jusqu'à environ une à deux parties par milliard de façon fiable. Dans ces champs, au moment de l'année où le canola libère du pollen que les abeilles collectent, les niveaux de résidus de clothianidine se situent légèrement au-dessus des limites de détection des instruments des laboratoires.
Les niveaux maximums se situaient entre 4,06 et 4,14. Ce sont les niveaux les plus élevés que nous avons observés. Ils se situent bien en dessous des valeurs à partir desquelles on s'attend à voir un effet observable.
Nous avons échantillonné du nectar dans ces régions parce que les abeilles s'emploient activement à collecter du nectar et du pollen des fleurs de canola. Les abeilles sont très attirées par le canola. Elles aiment collecter le pollen, comme source de protéine, et le nectar, comme source de glucide, c'est-à-dire de sucre.
Les valeurs pour le nectar étaient encore moins élevées. La valeur moyenne s'établissait à 0,84 et, pour chaque période, les valeurs atteignaient 0,82, 0,85 et 0,84. Ces chiffres se situent légèrement en dessous du niveau de détection fiable des instruments des laboratoires.
Les niveaux maximums s'établissaient à 1,71 en moyenne. Pour chaque période, ils se situaient à 1,44, 1,71 et 1,49. Ils étaient tout juste au niveau des deux parties par milliard.
Je dois mentionner qu'il y a cinq ans, ces mêmes laboratoires n'étaient pas en mesure de détecter des résidus en deçà de cinq parties par milliard. Si ces échantillons avaient été analysés il y a cinq ans, nous n'aurions pu observer rien de tout ce que je viens de vous dire. Cela nous démontre à quel point les instruments ont été perfectionnés.
À titre de comparaison, nous avons également étudié des champs de maïs dans la région qu'on appelle la Ceinture de maïs aux États-Unis. En 2010, nous avons échantillonné du pollen récolté sur les panicules du maïs. À l'aide du même type de piège, nous avons prélevé du pollen que les abeilles avaient collecté. Le maïs ne produit pas de nectar, alors nos analyses concernent uniquement le pollen. Nous avons essentiellement prélevé des échantillons dans des champs de maïs un peu partout dans l'Illinois, de l'est à l'ouest. En 2010, nous avons également prélevé des échantillons dans l'est de l'Indiana. L'année suivante, nous avons prélevé au Nebraska des échantillons dans une trentaine de champs à trois reprises, comme nous l'avons fait dans les champs de canola. Nous avons en fait prélevé des échantillons dans les champs de canola et dans les champs de maïs du Nebraska au cours de la même année. Au lieu de m'attarder sur ce point, je vais vous inviter à examiner le tableau 3 dans le document que nous vous avons remis, qui résume les résultats obtenus pour les 53 champs où nous avons prélevé des échantillons durant cette période de deux ans.
Encore une fois, nous avons établi que la quantité moyenne de clothianidine dans le pollen collecté par les abeilles s'élevait à 1,15 partie par milliard. Le maximum s'établissant à quatre parties par milliard. Le minimum indiqué ici est 0,44. C'est ce que nous avons calculé, car l'instrument peut détecter des concentrations de résidus allant jusqu'à environ une partie par milliard, mais en deçà de ce niveau, il devient assez bruyant. L'instrument ne peut pas détecter un niveau zéro de résidus. Il y aurait lieu de présumer que tous ces échantillons ne contenaient aucune trace de résidus. Pour certaines des statistiques, nous avons utilisé 0,44 comme limite de détection minimale.
Pour chaque producteur, nous avons aussi mesuré les concentrations de clothianidine dans le pollen collecté par les abeilles. Il y avait plusieurs producteurs différents. Certaines variations ont été observées, mais les valeurs se situaient entre 0,5 et 1,78. Encore une fois, les niveaux étaient très bas.
Le tableau 5 présente la comparaison la plus simple de toutes les données, y compris celles portant sur les 53 champs de maïs situés dans les trois États que j'ai mentionnés et les 30 champs de canola de la région de Lethbridge. Vous pouvez voir que la concentration moyenne de clothianidine, exprimée en parties par milliard, s'élevait à 1,1, dans le cas du maïs, et à 1,7, dans le cas du canola. Pour le pollen de maïs, le maximum se situait dans le 95e centile, c'est-à-dire que 95 p. 100 des échantillons s'établissaient en deçà des 2,8 parties par milliard, dans le cas du maïs, et des 3,9 parties par milliard dans le cas du canola. La concentration dans le nectar était plus faible que dans le pollen, s'établissant à 0,8 pour le canola, et 95 p. 100 des valeurs s'établissaient en deçà de 1,4.
Dans l'ensemble, on peut affirmer que les résultats démontrent une exposition minimale à ces pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes pour les colonies d'abeilles qui se trouvent aux abords de ces champs. Ces abeilles ne collectent pas beaucoup de pollen de maïs, mais elles collectent du pollen de canola. Nous avons observé que si les abeilles sont libres de collecter le pollen qu'elles veulent, elles en collecteront de diverses sources.
Lors de ces études, nous avons prélevé des échantillons de pollen collecté par les abeilles. En plus de les faire analyser pour déterminer leur teneur en pesticides, nous les avons également analysés pour déterminer quelle quantité de pollen de maïs ils contenaient par rapport à la quantité de pollen provenant d'autres plantes. Pour les échantillons prélevés dans les champs de canola, nous avons vérifié quelle quantité de pollen de canola ils contenaient par rapport à la quantité de pollen provenant d'autres plantes. Nous avons observé que tous les échantillons contenaient du pollen de canola. Un des échantillons contenait presque exclusivement du pollen de canola, le pourcentage s'élevant à 99 p. 100. Dans l'ensemble, 95 p. 100 des échantillons contenaient du pollen, mais moins de 80 p. 100 des échantillons contenaient du pollen de canola. Ce ne sont pas toutes les abeilles qui collectaient du pollen de canola. Certaines d'entre elles collectaient du pollen d'autres plantes même si elles étaient entourées de canola.
Nous avons observé une faible corrélation entre la présence de canola dans les échantillons et la teneur en clothianidine. Nous n'avons pas été en mesure d'observer une corrélation accrue à mesure que la période de pollinisation avançait. Nous avons cependant remarqué que lorsqu'il y a beaucoup de pollen de canola, on trouve des traces du pesticide. Ce qui était totalement clair, c'est que les abeilles collectaient librement du pollen de canola, mais bien souvent, elles collectaient en même temps du pollen provenant d'autres sources.
La situation s'est révélée différente dans le cas du maïs, comme vous vous y attendez peut-être. Habituellement, dans le cas du maïs, la pollinisation s'effectue grâce au vent. Les abeilles ne collectent pas le pollen de maïs à moins qu'elles ne trouvent aucun autre pollen. Nos données démontrent d'ailleurs que dans les champs de maïs, le pollen contenu dans les pièges représentait moins de 16 p. 100 de la quantité totale de pollen. Autrement dit, les abeilles ne collectaient pas beaucoup de pollen de maïs. La quantité maximale de pollen de maïs s'élevait à 74 p. 100, comparativement à la proportion de 100 p. 100 que nous avons observée pour le canola, et 95 p. 100 des échantillons contenaient moins de 48 p. 100 de pollen de maïs, ce qui signifie que moins de la moitié était du pollen de maïs. Dans environ 40 p. 100 des champs, les échantillons contenaient une quantité minimale ou pratiquement aucune quantité de pollen de maïs. Je pense que mon collègue vous parlera brièvement des préférences des abeilles.
Pour ce qui est des échantillons prélevés dans les champs de maïs, nous n'avons pas établi de corrélation en tant que telle entre la concentration de pesticide et la quantité de pollen de maïs présente dans l'échantillon et nous n'avons pas observé non plus de réelle corrélation entre la quantité de pesticide dans le pollen de maïs et celle présente dans les panicules mêmes. Je parle ici des échantillons prélevés dans les champs de maïs de l'Illinois et de l'Indiana.
La situation était semblable au Nebraska. Le pollen de maïs représentait moins de 25 p. 100 du pollen collecté par les abeilles, et 16 p. 100 des échantillons ne contenaient aucun pollen de maïs. Le pourcentage maximal de pollen de maïs s'élevait à 89 p. 100, et 95 p. 100 des échantillons contenaient moins de 77 p. 100 de pollen de maïs. Dans ce cas-là, nous avons par contre observé une légère corrélation entre la teneur en clothianidine et le pourcentage de pollen de maïs présent dans l'échantillon. Cela tient probablement au fait que la concentration du pesticide utilisé au Nebraska était plus élevée parce que le taux d'application était supérieur.
Je vous ai lancé bien des chiffres, alors permettez-moi de faire un bref résumé. Étant donné que les abeilles collectent du nectar et du pollen de canola, l'exposition alimentaire des colonies qui se trouvaient près des champs de canola est plus élevée que celle des colonies situées près des champs de maïs puisque les abeilles ne sont pas vraiment attirées par le maïs. Dans la Ceinture de maïs, les abeilles domestiques collectaient du pollen de maïs moins souvent que si elles avaient butiné aléatoirement.
Essentiellement, 72 p. 100 des champs qui se trouvaient autour des 53 champs de maïs où nous avons prélevé des échantillons étaient des champs de maïs. Ainsi, moins du tiers était des champs où poussaient d'autres cultures, mais le pourcentage moyen de pollen de maïs présent dans les échantillons s'élevait seulement à 19 p. 100. C'est donc dire que les colonies ont collecté moins de pollen de maïs qu'on s'y attendait étant donné le nombre de champs de maïs qui se trouvent dans la région. Pour dire les choses autrement, on peut affirmer qu'il y avait 3,8 fois plus de maïs dans l'environnement des abeilles que la quantité de pollen de maïs qu'elles ont collecté, ce qui donne à penser encore une fois que les abeilles ne sont pas attirées par le pollen de maïs.
À l'inverse, ce qui n'est pas étonnant, les abeilles ont collecté beaucoup de pollen de canola. En moyenne, le pourcentage de pollen de canola s'élevait à 72 p. 100, et 41 p. 100 des échantillons étaient composés entièrement de pollen de canola.
Il y a un autre aspect dont j'aimerais parler. On se demande souvent si ces pesticides, particulièrement les néonicotinoïdes, s'accumulent dans le sol. Même si une étude, à laquelle nous n'avons pas participé, donne à penser qu'il n'y a pas de corrélation avec le nombre d'années d'utilisation ou la quantité de pesticide employée dans le traitement des semences, M. Henderson et moi-même avons effectué une étude dans 10 champs du Sud de la Californie. Il s'agissait de champs de melons. La Californie voulait obtenir des données au sujet des champs cultivés depuis plus de deux ans et où on avait planté des semences traitées avec, dans ce cas-ci, un néonicotinoïde différent appelé imidaclopride. Il s'agissait de déterminer si le sol a une incidence sur l'exposition des abeilles. Il fallait ventiler les données selon le type de sol. Le gouvernement californien aurait voulu obtenir des données pour les sols sablonneux, mais nous avons découvert que les melons ne poussent pas bien dans des sols sablonneux, alors nous avons évalué les sols lourds et les sols moyens.
Pour nous assurer que nous prélevions des échantillons provenant de melons cultivés dans des champs utilisés depuis au moins deux ans, et pour vérifier si des résidus s'accumulaient, nous avons installé des tentes au-dessus des rangées de melons. Les tentes mesuraient 100 pieds de long et 10 pieds de hauteur, et elles couvraient plusieurs rangées. Nous avons ensuite mis une colonie d'abeilles dans les tentes.
Nous avions l'intention de prélever des échantillons au début, au milieu et à la fin de la floraison. Cependant, nous avons constaté qu'il était extrêmement difficile d'obtenir suffisamment de nectar au sein de la colonie et suffisamment de pollen dans les pièges pour être en mesure d'effectuer une analyse chimique. Nous avons alors envoyé les échantillons à un seul laboratoire d'analyse chimique, car ces échantillons étaient très petits. Nous devions tous les jours aller prélever du pollen avec des pinces sur les abeilles et dans les pièges et prélever du nectar à l'aide de seringues dans les colonies.
Nous avons observé les colonies qui se trouvaient à l'extérieur des tentes et qui avaient été amenées pour la pollinisation des melons. Nous avons constaté que, si elles étaient venues avec une bonne quantité de nourriture, leurs réserves avaient diminué deux ou trois semaines après la pollinisation des melons. Si elles n'avaient pas au départ beaucoup de nourriture, les apiculteurs devaient les nourrir. Ce que cela indique, c'est qu'il y avait peu de nectar et de pollen de melon.
Le tableau 5 présente les valeurs du pesticide imidaclopride présent dans le nectar et le pollen de melon. Pour ce qui est du nectar, les valeurs s'établissent à 1,2 et 1,6 partie par milliard, ce qui est un peu plus élevé que ce que nous avions observé pour le clothianidine dans le canola. Quant au pollen collecté par les abeilles, la moyenne s'établissait à moins de 10 pour tous les champs, dans les deux cas.
Je dois préciser que nous n'avions pas pensé que les tentes allaient bloquer ou ralentir le passage de l'air ou du vent. La vallée Imperial, où l'étude a été effectuée, est une région très venteuse, où il y a de très forts vents. Lorsqu'il ventait dans les champs lors des journées chaudes et ensoleillées, les vents emportaient la poussière qui se trouvait à la surface des champs. Lorsque les vents passaient dans les tentes, le tissu ralentissait la vitesse des vents et la poussière se déposait sur les plants de melon. Dans certaines de ces tentes, on pouvait à peine voir que les plants étaient verts. Les résultats que je vous présente ne témoignent pas simplement du passage du pesticide de la semence à la plante, du nectar au pollen, puis à la ruche à la suite de la collecte par les abeilles, mais aussi de la quantité de poussière qui s'est déposée sur le pollen.
Il s'agit d'un des pires scénarios, et pourtant, dans cette plus grande quantité de poussière que nous ayons vue, la valeur s'établissait en deçà de 10 parties par milliard. Je dois dire que, dans un cas, il s'agissait de 13 parties par milliard, mais ce que nous faisons valoir concerne les effets observables de ces deux pesticides. D'autres études ont révélé des chiffres différents, mais ils se situent généralement entre 20 et 30 parties par milliard, qui est le niveau qu'il faut atteindre avant de s'attendre à observer des effets. Toutes ces données sont considérablement en deçà de ce niveau.
Voilà ce que disent nos données, et nous croyons qu'il est important de vous les faire connaître pour que vous ayez des exemples tirés de ce qui est probablement la plus importante étude menée dans les plus grandes régions géographiques, à la fois pour le canola au Canada et le maïs aux États-Unis, du moins à notre connaissance.
Les données ont été présentées à la Society of Environmental Toxicology and Chemistry of North America en novembre 2013. M. Henderson les a présentées à l'American Beekeepers Conference, à Hershey, en Pennsylvanie, l'année précédente, et je les ai présentées à l'American Honey Producers Association. Il s'agit des deux associations nationales d'apiculteurs, basées en Californie.
C'est une partie de ce que nous voulions dire. Mon collègue, M. Henderson, voudra peut-être donner plus de détails à ce sujet.
M. Henderson : Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous suis reconnaissant d'avoir l'occasion d'être ici.
Je pense que M. Bromenshenk a présenté beaucoup de détails, et je préférerais vous présenter nos conclusions. Pendant plusieurs années, sur un large territoire, nous avons prélevé des échantillons des cultures préférées des abeilles, comme le canola, et aussi dans les cultures qui deviennent des sources d'alimentation accessoires pour les abeilles. En particulier, on peut considérer le maïs comme représentatif de ce qui serait une culture non ciblée ou un aliment non privilégié pour les abeilles. Or, elles y sont parfois exposées.
Même si nous avons prélevé des échantillons de deux catégories distinctes de ressources en pollen et en nectar, les résultats ont été relativement constants. Premièrement, la teneur des résidus de pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes est très faible dans le nectar et le pollen collecté par les abeilles. Deuxièmement, les résidus ne semblent pas s'accumuler dans les sols. Dans l'étude sur le melon menée dans le sud de la Californie, on aurait cru que les résidus s'accumuleraient dans ces sols limoneux-sableux — des sols lourds — en raison de leur capacité de rétention d'eau et de nature de la teneur et de la lourdeur des sols. Ce ne sont pas des sols argileux; ils ne sont donc pas saturés en tout temps. Toutefois, dans la zone de culture, il s'agissait de sols raisonnablement denses qui pourraient retenir les résidus sur une plus longue période. Or, dans tous les cas, nous avons constaté qu'il n'y avait pas d'accumulation importante de résidus.
Parmi les échantillons que nous avons prélevés, un seul échantillon présentait une concentration comparable à la concentration de pesticides qui, selon les essais en laboratoire, entraîne des effets physiologiques observables, qui est d'environ 20 parties par milliard. L'échantillon qui présentait une concentration plus élevée — un échantillon de pollen de la panicule du maïs — avait un taux d'environ 24 parties par milliard, et 95 p. 100 de nos échantillons présentaient des concentrations deux fois moins élevées, voire plus faibles encore.
Or, nous avons observé que lors d'une application directe, les abeilles qui sont exposées directement à ces pesticides subissent des effets directs. Ce sont des pesticides qui sont conçus pour tuer des organismes.
À notre connaissance, d'après nos études, lorsque les produits étaient utilisés conformément au mode d'emploi figurant sur l'étiquette pour le traitement des semences des cultures que nous avons étudiées, les concentrations auxquelles les abeilles étaient exposées par l'intermédiaire de leurs ressources alimentaires étaient minimes. Environ 30 p. 100 des échantillons que nous avons recueillis ne présentaient aucune concentration détectable de pesticides.
Dans les études que nous avons réalisées jusqu'à maintenant, nous avons constaté que pendant la saison habituelle de floraison, lorsque les colonies d'abeilles butinent activement et utilisent les ressources de pollen et de nectar, les effets réels sur les abeilles sont au moins 10 fois plus faibles que les niveaux les plus faibles prévus relativement aux effets physiologiques.
Le président : Merci, messieurs. Nous commençons les questions avec la sénatrice Tardif.
La sénatrice Tardif : Merci de cet exposé très intéressant et complet. Il y avait beaucoup d'informations d'ordre technique. Je ne suis pas certaine d'avoir tout retenu, mais j'ai compris que les abeilles préfèrent le canola au maïs comme source d'alimentation et qu'il semble subsister dans le sol peu de résidus lorsque l'on a fait usage de néonicotinoïdes. Voilà en général ce que j'ai retenu. Si je fais erreur, je vous prie de me corriger.
J'aimerais revenir à la question de la présence de résidus et de néonicotinoïdes dans le sol, parce que dans le cadre de nos délibérations, d'autres témoins ont laissé entendre que la question de la présence de néonicotinoïdes dans le sol et sous forme de résidu est un problème.
Vous avez mentionné que le type de sol dans lequel on cultivait les melons était un sol limoneux-sableux. Le type de sol est-il un facteur qui peut avoir une incidence sur les résultats que vous avez obtenus?
De plus, les melons ont été cultivés dans un sol qui n'avait pas été utilisé depuis plus de deux ans, je pense, ou qui avait été utilisé pendant deux ans. Si l'étude avait porté sur un sol qui avait été utilisé pendant cinq ou 10 ans, par exemple, cela aurait-il eu une incidence sur vos résultats?
M. Henderson : Permettez-moi de vous corriger. L'étude sur les sols portait sur des sols qui ont été utilisés de façon continue au cours des trois années précédentes, dont au moins deux ans avec le même résidu. Notre objectif était de déceler les accumulations de résidus dans le sol.
La sénatrice Tardif : Ce que je veux savoir, c'est que si le sol avait été utilisé pendant cinq ou 10 ans, la période d'utilisation des néonicotinoïdes aurait-elle été un facteur important par rapport à vos conclusions?
M. Henderson : Je pense que c'est sans doute ce que nous aurions découvert si nous avions eu l'occasion de mener une étude sur des terres qui ont été utilisées pendant plus longtemps.
Nous avons notamment tenu compte du fait que dans les essais en laboratoire, les pesticides ont une demi-vie de 180 jours, ce qui signifie essentiellement que la moitié du produit se dégrade en six mois. En situation de travail du sol, tous ces produits se dégradent sous l'effet des ultraviolets, c'est-à-dire qu'une photoréaction se produit lorsqu'ils sont exposés à la lumière du soleil; leur dégradation est alors plus rapide.
En fait, lorsqu'il est exposé à la lumière, l'un des pesticides — le Poncho est de la clothianidine —, en particulier l'imidaclopride, se dégrade très rapidement, soit en 30 à 40 minutes, lorsqu'il est mélangé à de l'eau. Dans les paramètres de l'étude, qui ont été fixés par l'État de Californie et le fabricant, il a été déterminé que la période de trois ans convenait pour une étude sur les accumulations de résidus dans ces conditions.
C'est possible. Je ne peux dire ce qu'il en est, car je n'ai pas de données à cet égard. Je dois donc faire preuve de prudence. Un sol plus lourd ou un sol plus argileux pourrait accumuler davantage de résidus. Or, ces sols argileux ont une plus grande capacité de rétention d'eau et l'on constate que ces produits se dégradent plus rapidement dans un environnement propice à la solubilité. Je devrais m'en remettre à d'autres études pour chercher à savoir quelles étaient les conditions de sol et à connaître le nombre d'années de dépôts et le taux de dépôt.
M. Bromenshenk : D'après les données que nous avons ici et d'autres données auxquelles nous avons accès, il semblerait que pour l'année de l'épandage, en fonction de la quantité de l'ingrédient actif — par exemple, pour le champ de maïs que nous avons étudié, on parle de l'utilisation du Poncho 500 et du Poncho 1250 — les chiffres varient en fonction des concentrations de pesticides utilisés sur les semences ou en fonction de la quantité de l'ingrédient actif. Si la quantité de l'ingrédient actif augmente, durant l'année d'ensemencement, au cours des 180 premiers jours, ou plus, on pourrait s'attendre à une augmentation.
En fait, je souligne au passage que pendant la première année de l'étude sur les champs de maïs de l'Illinois et de l'Indiana, lorsque nous avons recueilli des échantillons de pollen des panicules, il y a un champ pour lequel les échantillons présentaient des concentrations de plus de 20 parties par milliard, comme M. Henderson l'a indiqué. Lorsque nous avons parlé au producteur, nous avons découvert que le champ avait été ensemencé plusieurs fois en raison des précipitations. En un sens, on trouvait sur le terrain une quantité beaucoup plus élevée de l'ingrédient actif parce que divers secteurs du champ avaient été ensemencés deux ou trois fois, ce qui aurait doublé ou triplé la quantité du produit.
Les données de notre étude sur le melon que nous voyons ici et les données préliminaires d'une autre étude que nous avons pu consulter pour le compte du CTAC indiquent qu'il n'y a aucune corrélation avec le nombre d'années d'utilisation ou avec l'utilisation d'une plus grande quantité de clothianidine ou de Poncho 1250 comparativement au Poncho 500. Les données n'ont tout simplement pas révélé d'accumulation à long terme.
À titre d'exemple, il y a un certain nombre d'années, je me suis penché sur des situations, au Canada, où l'on avait signalé des problèmes liés aux abeilles par rapport à des champs traités avec des néonicotinoïdes, mais dans ce cas, les producteurs avaient creusé des tranchées pour enfouir les pesticides dans le sol; ils utilisaient littéralement de la machinerie pour les injecter dans le sol.
En ce qui concerne les taux d'application, cela tend à donner des concentrations beaucoup plus élevées que lorsque l'on traite les semences, car elles sont vraiment minuscules, en particulier celles du canola. Donc, la quantité de pesticides que l'on met dans le sol est minime. Enfouir le produit plutôt que de l'utiliser selon la conception d'origine — soit pour le traitement des semences ou pour l'utilisation sur la semence d'une petite quantité de produits chimiques, qui se dissipe pendant la croissance de la plante — peut faire une énorme différence. À ma connaissance, il n'existe pas vraiment de données probantes au sujet des autres méthodes d'application. Il s'agit là d'exemples de cas où des problèmes ont été signalés.
La sénatrice Tardif : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie nos deux invités. J'ai deux questions relativement courtes concernant la santé des abeilles.
Qu'est-ce que les chercheurs américains considèrent comme prioritaire pour faire une recherche plus approfondie? Pouvez-vous me parler des projets qui ont été mis en œuvre, à l'heure actuelle, pour donner suite aux priorités de vos recherches?
[Traduction]
M. Bromenshenk : Je répondrai d'abord à la deuxième question. Les résultats que nous avons présentés sont largement connus du milieu de la recherche et de nos organismes de réglementation. Nous rédigeons actuellement un article qui sera publié sur le site Open Press.
Il s'agissait d'études sur les BPL, les bonnes pratiques de laboratoire. On a donc porté une attention particulière aux analyses plus poussées et à la façon dont elles étaient menées pour assurer la précision des résultats.
L'an dernier, M. Henderson et moi avons participé à d'importants ateliers à Washington D.C. et en Virginie. M. Henderson a participé à un atelier où étaient réunis des acteurs du milieu, des chercheurs, des apiculteurs et des représentants de l'USDA, tandis que j'ai assisté à un atelier présenté par l'Environmental Protection Agency. C'est dans ce contexte que nous avons présenté ces résultats.
Dans les deux cas, en ce qui concerne les pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes — même si certains chercheurs pourraient manifestement ne pas être d'accord là-dessus —, la majorité des participants ont indiqué dans leur rapport sur l'atelier que les pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes étaient l'un des problèmes les moins prioritaires, à l'exception du risque de problèmes liés à la poussière pendant la période d'ensemencement du maïs. Il s'agit d'une situation très différente de celle qui se produit lorsque les abeilles collectent du pollen et du nectar pendant la floraison ou la libération du pollen.
L'an dernier, en Amérique du Nord, le Corn Dust Research Consortium a financé des études à Guelph, en Ohio et en Iowa pour étudier ce problème. Cette année, on a ajouté le Nebraska. Cette étude a été réalisée ce printemps.
Nous n'avons pas encore reçu les résultats des analyses chimiques, mais nous pouvons vous présenter deux de nos observations. La première concerne la période d'ensemencement. Pendant la première partie, le temps était frais et pluvieux, tandis que pendant la deuxième, le temps était ensoleillé et sec. La poussière était transportée par le vent, mais nous avions installé des pièges devant les colonies pour savoir si le taux de mortalité des abeilles était plus élevé en raison de la poussière soulevée dans les champs lors des activités d'ensemencement. Tout résidu présent sur les semences était expulsé des semoirs qui étaient utilisés. Nous n'avons décelé aucun effet observable sur la mortalité des abeilles, même durant les périodes où la poussière était très dense. Je n'ai pas encore reçu les résultats des analyses chimiques.
Nous avons certes observé que des abeilles ont été tuées sur deux sites, mais cela s'est produit deux semaines avant l'ensemencement du maïs. Donc, un apiculteur qui aurait laissé des ruches dans ce champ aurait découvert des abeilles mortes au sol et au fond des ruches à son retour, après l'ensemencement, et il serait porté à dire que la mort de ces abeilles a été causée par la poussière de maïs. Or, en réalité, nous n'avons observé aucun effet pendant la période d'ensemencement du maïs.
M. Henderson : Permettez-moi d'ajouter qu'il existe une grande variété d'opinions à ce sujet dans la littérature scientifique américaine. Si vous en faites la lecture, vous verrez que cela demeure un sujet assez controversé. Même nos collègues qui tentent de tirer diverses conclusions des effets des néonicotinoïdes sur les insectes et qui ont réalisé des études longitudinales similaires à d'autres fins ont recueilli une grande quantité d'échantillons dans lesquels ils n'ont décelé que peu ou pas de pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes. Donc, la seule constante que nous avons découverte, c'est la faible prévalence de l'absorption ou de la présence de néonicotinoïdes. Ils ont prélevé des échantillons dans les colonies d'abeilles et nous avons fait des études sur l'exposition en champs. Ils ont trouvé très peu de néonicotinoïdes dans les colonies d'abeilles.
Quant à la marche à suivre à cet égard, il existe à ma connaissance deux préoccupations, que nous avons commencé à étudier. L'une serait une étude longitudinale sur l'exposition chronique et répétée des abeilles dans des contextes environnementaux et sur les effets possibles. À cela s'ajoute la question de savoir si l'exposition cumulative à de faibles doses entraîne des effets.
Nous avons entrepris des études sur l'exposition à de faibles doses sur de longues périodes. Je pense que nous aurons ces données sous peu. Évidemment, ces études doivent être menées sur une longue période et nous savons que certains de nos collègues étudient ce que l'on pourrait appeler l'exposition sublétale à long terme pour savoir s'il existe des effets cumulatifs.
Pour illustrer les propos tenus par Jerry à l'instant, l'un des problèmes qui se posent concerne les effets de l'exposition directe à ces pesticides et des diverses pratiques agricoles. Jerry a parlé du fait que nous avons observé d'importants cas de mortalité d'abeilles attribuables aux cultures de couverture dans des zones de culture sans travail du sol dans le nord du Minnesota, où les plantes à floraison hâtive ont attiré les abeilles vers des champs que l'on préparait pour la culture du maïs, de sorte que les abeilles ont été exposées directement. Je pense que les études doivent porter davantage sur l'application, les pratiques agricoles et l'exposition directe que sur l'exposition indirecte, qui a déjà fait l'objet d'études exhaustives en ce qui a trait aux sources élémentaires que sont le pollen et le nectar.
Le sénateur Robichaud : Si j'ai bien compris, vous pourriez dire que par rapport aux éléments que vous avez étudiés dans votre recherche — les divers champs et les divers taux —, les pesticides n'ont eu aucun effet sur la santé des abeilles.
M. Henderson : Oui, c'est exact.
M. Bromenshenk : Oui.
Le sénateur Robichaud : C'est tout ce que je voulais savoir. Merci.
[Français]
Le sénateur Maltais : Donc, les pesticides étudiés dans vos champs ne sont pas nocifs pour les abeilles. Avez-vous remarqué un taux de mortalité plus élevé chez les abeilles dans les champs que vous avez étudiés comparativement aux autres champs qui existent aux États-Unis, où il y a des graminées, des fruits, des bleuets ou des poires, par exemple, ou tout ce qui a besoin d'être pollinisé? Le taux de mortalité est-il plus bas que dans les autres champs aux États-Unis?
[Traduction]
M. Bromenshenk : Nous avons étudié les deux cultures sur lesquelles l'Environmental Protection Agency fonde ses décisions. Nous les avons choisies en raison de leur importance, du risque que pose leur utilisation répandue et de la superficie cultivée. Il y a d'abord le maïs; ensuite, il y a le canola, qui est la culture pour laquelle on a le plus souvent recours au traitement des semences.
M. Henderson : Il circule en outre chez les apiculteurs américains l'idée selon laquelle le maïs a un effet dévastateur sur les colonies d'abeilles. Aux États-Unis, les apiculteurs transhumants qui se déplacent de la côte Ouest à la côte Est placent souvent des colonies d'abeilles dans des champs de maïs pendant le stade de formation de la panicule dans l'espoir que le pollen supplémentaire améliore la croissance des colonies mises à mal par les déplacements et d'autres activités. Ils ont perdu beaucoup d'abeilles. Le maïs est donc un important sujet d'étude. Cela semble être un secteur, un endroit ou une culture qui a été particulièrement nuisible aux abeilles. Voilà pourquoi nous l'étudions.
[Français]
Le sénateur Maltais : J'aimerais vous entendre à nouveau nous dire que les produits chimiques qu'on emploie n'ont aucun effet sur le taux de mortalité des abeilles; c'est bien ce que vous avez répondu plus tôt?
[Traduction]
M. Bromenshenk : Ce que nous avons indiqué, c'est que nous avons étudié les deux pesticides de la catégorie des néonicotinoïdes les plus utilisés, l'imidaclopride et la clothianidine. L'étude a porté sur les deux cultures qui soulèvent les plus grandes préoccupations aux États-Unis quant au risque qu'elles présentent pour les abeilles, en particulier le maïs. L'étude a lieu pendant la floraison. Voilà les données que nous avons présentées. Nous avons étudié l'utilisation de la clothianidine au Nebraska pendant la période d'ensemencement, mais nous n'avons pas encore reçu toutes les données.
Rien n'indiquait une toxicité aiguë, qui aurait pu se manifester par la présence d'abeilles mortes dans les pièges. Nous n'avons constaté aucun changement notable dans la viabilité des colonies étudiées au Nebraska, par exemple, une étude que nous venons de terminer. Nous avons même observé le contraire. Toutes les reines étaient encore en place. Les colonies avaient en fait pris du poids. Dans les études sur les champs de melon, les colonies peinaient à survivre, car il n'y avait pas suffisamment de nourriture dans ces tentes, mais nous n'en avons perdu aucune.
M. Henderson : Est-ce suffisant, monsieur?
Le sénateur Maltais : Merci.
Le sénateur Ogilvie : Merci, messieurs. C'est très intéressant d'entendre vos commentaires sur des études qui ont été menées de façon ciblée et qui s'appuient sur des méthodes entièrement scientifiques pour répondre à une question précise. Cela nous change de la plupart des témoignages que nous avons entendus jusqu'à maintenant, qui portaient sur l'état général des abeilles et les pertes hivernales dans les colonies. Vous nous avez plutôt parlé d'un point bien précis, soit la période de floraison.
Pour que tout soit limpide concernant l'étude scientifique, qui a commandité les recherches sur les champs de canola et de maïs?
M. Henderson : Il s'agit de Bayer CropScience.
Le sénateur Ogilvie : Et vous n'avez pas, ni l'un ni l'autre, d'intérêts financiers dans Bayer CropScience?
M. Henderson : Non, outre les fonds de subvention qui ont financé l'étude.
Le sénateur Ogilvie : Je vois, donc pas de parts dans la compagnie. Vous comprendrez que les données que vous avez présentées sont des données très importantes dans ce domaine, et je voulais qu'il soit clair que vos intérêts personnels n'ont en rien influencé les résultats.
J'aimerais que vous puissiez prolonger votre étude pour vous pencher, avec la même méthode scientifique, sur toute la période de 12 mois et la survie hivernale des abeilles. Cela nous serait extrêmement utile, mais merci beaucoup pour cette belle présentation de votre étude. C'était très clair.
M. Henderson : Avec plaisir.
M. Bromenshenk : Si je peux me permettre un commentaire concernant la survie hivernale des abeilles, il y a quelques points à signaler. Premièrement, nous n'affirmons pas que l'utilisation de pesticides n'a pas d'autres ramifications, comme la vulnérabilité aux parasites et aux maladies, particulièrement lorsque l'utilisation s'étend sur de longues périodes et que des résidus finissent par s'accumuler dans les colonies ou que les colonies sont affaiblies par l'exposition aux pesticides.
Nous avons largement étudié la santé de l'abeille domestique, notamment la présence de pathogènes chez les colonies. Nous avons également examiné de près l'acarien de l'abeille et, plus récemment, ce qu'on appelle techniquement la microsporidie. Pour le commun des mortels, ce sont des champignons. Dans ce cas-ci, on parle de Nosema ceranae, et le milieu scientifique est divisé à son sujet. Certains disent qu'il est problématique, d'autres non. Nous avons publié nos résultats, qui laissent croire qu'une combinaison de Nosema ceranae et de virus peut s'avérer fatale pour les abeilles, particulièrement lors des périodes hivernales humides.
Nous avons vu des échantillons recueillis il y a deux ans — ou peut-être trois maintenant, mais je pense bien que c'était il y a deux ans — dans la région de Peace River, où des apiculteurs élèvent leurs colonies dans de grands hangars. Certains avaient perdu presque toutes leurs colonies dans les hangars. Quand nous avons examiné ces colonies, nous avons constaté qu'elles contenaient une très grande quantité de ces champignons. J'ai fait enquête sur la prétendue mort d'abeilles provoquée par la poussière durant la période de plantation. N'allez pas croire qu'il n'y en a pas, car il y en a. Si la poussière contient du poison et que les abeilles y sont exposées en grande quantité, cela peut poser problème. Il y a un moyen technique de régler ce problème. On travaille à l'élaboration d'adhésifs et de semoirs plus efficaces afin de retenir les particules au sol. Il y a des signalements légitimes en ce sens aux États-Unis. Je ne saurais dire pour le Canada, car je n'en ai pas vu. Je n'étais pas sur le terrain. Mais aux États-Unis, des apiculteurs ont rapporté des problèmes lorsque la plantation printanière a été effectuée lors de journées chaudes et poussiéreuses. Les abeilles ont été sévèrement exposées à des pesticides. Certaines colonies en ont souffert.
J'ai aussi examiné un cas qui a fait les manchettes nationales aux États-Unis. Un apiculteur bien connu a signalé la mort de ses colonies au printemps, supposément, durant la période de plantation. La première chose curieuse que nous avons constatée en arrivant sur place, c'est qu'il pleuvait. La deuxième est que certains des champs à proximité n'avaient pas été ensemencés.
À tous ceux comme vous qui s'interrogent concernant la survie hivernale et les pertes printanières, j'avais l'habitude de répondre que s'il y a un tas d'abeilles mortes à l'entrée de la colonie, ce sont les effets des pesticides. Je fais ce métier depuis 40 ans et j'ai vu l'utilisation de toutes sortes de pesticides, et c'est ce que certains ont comme répercussions. Mais je ne peux plus dire cela, parce que la combinaison d'acariens, de Nosema et de virus — de quelques virus touchant les abeilles, nous sommes passés à près de 30 —, dans des conditions difficiles, les effets de ces pathogènes peuvent s'additionner. Il faut prélever des échantillons et tâcher de déceler les pathogènes, parce que dans le cas en question — et l'apiculteur est toujours en profond désaccord avec moi —, sur la trentaine d'échantillons prélevés, seuls deux présentaient des traces détectables de pesticide. Mais tous contenaient une énorme quantité de champignons et d'acariens. Je sais que vous éprouvez des difficultés au Canada, mais si vous prélevez des échantillons pour ne déceler que la présence de pesticides, vous pourriez passer à côté de ce qui se passe vraiment. Il est possible que ce soit un mélange des deux, mais on ne peut plus se permettre d'examiner une seule partie de l'équation.
Le sénateur Enverga : Merci pour votre exposé. C'est incroyable d'apprendre que les néonicotinoïdes ne tuent pas vraiment les abeilles selon votre rapport. Vous avez rédigé ensemble un article montrant que le virus iridovirus, combiné au Nosema, est un autre facteur de stress. Est-ce que vous l'avez vu dans vos études?
M. Henderson : Dans les études que nous vous avons résumées, notre financement ne couvrait pas l'étude de pathogènes. Dans nos travaux de départ, nous avons échantillonné plus de 200 colonies migratoires, si je me souviens bien, en Californie, dans les États du sud-est et au Midwest. Nous n'avons pas fait d'études de suivi sur le terrain, mais nous avons réinfecté les échantillons avec les deux pathogènes pour démontrer que la combinaison pouvait effectivement tuer des colonies. Nous venons de terminer ces recherches et nous espérons pouvoir publier nos conclusions. Nous avons mené des essais environnementaux en milieu clos avec de petites colonies et nous les avons infectées pour voir si cette combinaison de pathogènes est mortelle.
Pour ce qui est de la pathogénicité, M. Bromenshenk disait vrai : différents pathogènes, pas seulement ces deux-là, sont des facteurs de stress importants pour les abeilles domestiques.
Le sénateur Enverga : Je crois que vous avez fait des essais sur différents champs. Utilisez-vous la même espèce d'abeille que l'on retrouve partout en Amérique du Nord?
M. Bromenshenk : Une seule espèce d'abeille utilisée pour la pollinisation provient d'Europe, c'est-à-dire l'Apis mellifera, l'abeille domestique européenne. Dans les États plus au sud, une autre sous-espèce a envahi certaines régions, soit l'abeille africanisée. L'abeille domestique n'est pas une espèce indigène de l'Amérique du Nord. Elle a été importée d'Europe. Elle est arrivée avec les premiers colonisateurs. C'est celle qui est utilisée pour la pollinisation à l'échelle de l'Amérique du Nord. Il s'agit de la même espèce.
Le sénateur Oh : Messieurs, vous êtes tous deux copropriétaires de Bee Alert Technology. D'autres témoins ont parlé au comité de DriftWatch, un programme de géolocalisation qui permet aux apiculteurs de transmettre l'emplacement de leurs ruches aux agriculteurs. Quels outils innovateurs Bee Alert Technology a-t-elle conçus pour aider les apiculteurs à mieux gérer leurs colonies?
M. Bromenshenk : C'est une question intéressante. Je viens tout juste de terminer mon mandat à titre de président de la Western Apiculture Society. Nous avons tenu la conférence nationale annuelle de la société à Missoula, au Montana, du 17 au 20 septembre. Dans le cadre de la conférence, nous avons tenu le deuxième atelier international sur la surveillance des abeilles et des ruches.
Grâce au travail militaire qui se fait depuis 1995, nous avons pu suivre à distance toutes sortes de variables à l'intérieur des ruches. Nous avions une cinquantaine de colonies sous surveillance à proximité de sites d'enfouissement de déchets toxiques : on notait leur poids, les entrées et sorties des abeilles, la température et l'humidité (à l'aide de stations météorologiques complètes). Nous avons par la suite conçu les toutes premières ruches électroniques aux fins de la surveillance à distance. La commercialisation de ces outils s'est avérée frustrante, car les technologies de base — les ordinateurs et les processeurs — coûtaient trop cher ou étaient trop énergivores.
Il y a environ deux ans, une innovation a changé radicalement la donne partout dans le monde. Il est aujourd'hui possible d'acheter à très bon prix des ordinateurs qui ont la taille d'une carte de crédit, mais tout aussi puissants, et qui peuvent être configurés à l'aide de programmes conventionnels. Grâce à ces ordinateurs, pas seulement nous, mais je crois que huit autres entreprises tentaient il y a deux ans de mettre en marché des ruches électroniques afin de suivre des colonies sentinelles. Si des pesticides tuaient des colonies, on recevait par téléphone un rapport indiquant ce qui était arrivé et où c'était arrivé. Nous n'attendons pas un rapport de l'apiculteur; la colonie envoie elle-même un signal pour dire qu'il y a un problème. Il y a deux ans, environ huit entreprises innovaient dans ce secteur. Aujourd'hui, plus d'une trentaine offrent ce produit à l'échelle mondiale. Nous en avions un échantillon représentatif à Missoula. Plusieurs entreprises ont présenté des données réelles tirées de ruches électroniques utilisées entre autres pour des recherches sur les pesticides.
Nous avons commercialisé notre propre produit. Il s'adresse davantage aux apiculteurs commerciaux qui ne cherchent pas seulement à détecter les incidents liés aux pesticides — cela peut arriver, et un système sentinelle peut s'avérer pratique quand l'apiculteur doit parcourir 100, 200 ou 500 milles pour se rendre à ses ruches —, mais aussi à savoir ce qui se passe réellement à l'intérieur de leurs colonies, si elles sont exposées à des pesticides ou à des pathogènes.
Nous sommes les premiers à mettre en marché ce type de système. En ce moment, nous mettons à l'essai un système de la taille d'une palette pour les apiculteurs commerciaux, et nous travaillons en partenariat avec une entreprise européenne qui avait un système semblable pour les apiculteurs amateurs.
De plus, nous avons breveté et développé l'utilisation des signaux sonores des abeilles pour détecter la présence d'acariens, de maladies et de produits chimiques toxiques. Ce projet était initialement financé par le département de l'Armée des États-Unis, qui voulait un canari. Autrement dit, la Sécurité intérieure et l'armée voulaient pouvoir détecter rapidement toute attaque terroriste au gaz toxique, et elles voulaient quelque chose de « jetable », alors nous avons opté pour le modèle du canari, mais avec des abeilles. La façon la plus rapide de savoir si une colonie est exposée à des produits chimiques toxiques est de reconnaître les sons qu'elles émettent. Elles modifient leur façon de communiquer. Tous les apiculteurs savent comment reconnaître une colonie qui a perdu sa reine, car elle émet un bourdonnement particulier.
Un dénommé Eddie Woods, un Britannique, a breveté et développé un simple détecteur de fréquence à bande passante, il y a 20 ou 30 ans déjà. Plus récemment, un ingénieur du Oak Ridge National Laboratory a conçu un système de son en capsule pour reconnaître les abeilles. Le son que fait le battement des ailes est différent selon qu'il s'agit d'une abeille africaine ou d'une abeille européenne. Il pensait avoir trouvé un moyen économique de distinguer les abeilles européennes des soi-disant abeilles tueuses dont on entend parler.
Nous avons poussé le principe beaucoup plus loin. Premièrement, nous avons découvert qu'il était possible de détecter la présence de produits toxiques en moins d'une minute, pas en 30 ou 60 minutes, mais parfois en une minute ou deux. À partir de là, nous nous sommes dit qu'il ne fallait pas s'énerver avec des résultats faussement positifs, alors qu'il ne s'agit peut-être que d'une colonie malade. Nous avons donc obtenu une subvention à l'innovation pour petites entreprises du département de l'Agriculture des États-Unis, qui nous a permis d'élaborer un scanneur portatif qui enregistre un clip audio, à partir duquel il détermine les probabilités pour que la colonie soit en santé ou infectée d'acariens. Si elle est infectée, de quels acariens s'agit-il et quelle est la gravité de l'infection? La reine est-elle présente? La colonie présente-t-elle des signes de Nosema? Du syndrome d'effondrement des colonies? Nous procédons à des tests beta aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et en Australie depuis deux ans. Nous en avons même fourni à des apiculteurs.
Cette année, nous avons reçu une nouvelle subvention du département de l'Agriculture des États-Unis. L'objectif est de déterminer si nous pouvons utiliser les sons émis par les colonies pour donner un premier signal d'alarme indiquant que les abeilles sont exposées à des pesticides à base de néonicotinoïdes. Les microphones sont assez bon marché. Nous les branchons aux ruches électroniques, et si quelque chose arrivait aux colonies situées dans les secteurs à haut risque, elles enverraient un message signalant qu'elles ont été exposées à quelque chose. Nous espérons pouvoir déterminer à quoi elles ont été exposées en fonction des sons qu'elles émettent.
M. Henderson a étudié le profil des sons émis lors de l'exposition aux néonicotinoïdes, car nous préparons actuellement un rapport d'étape à présenter au département de l'Agriculture.
M. Henderson : Pour ce qui est des néonicotinoïdes, nous prenons une empreinte sonore de la colonie et nous sommes en mesure de faire la différence entre une exposition chronique et une exposition aiguë, qui se distinguent par de faibles quantités sur une longue période et une forte dose sur une courte période. Chacune produit une empreinte distincte. Notre appareil la détecte et la signale.
L'autre technologie que nous avons présentée permet de transmettre par satellite les données recueillies par les ruches automatiques ou électroniques, parce que bien des apiculteurs travaillent dans des secteurs qui ne sont pas couverts par la technologie cellulaire. Pendant plusieurs années, nous avons utilisé un système abordable de détection précoce par communication satellite.
Le vol d'abeilles était un grave problème en Californie. Des camions complets d'abeilles pouvaient disparaître, alors nous avons utilisé des micropuces pour suivre le déplacement des colonies. Si les colonies s'éloignaient à plus de tant de mètres de leur emplacement, un message téléphonique était envoyé par satellite à l'apiculteur pour l'avertir que quelqu'un était en train de voler ses colonies.
Notre grande percée scientifique, qui n'est pas tellement commerciale, a été la conception du LIDAR, un appareil laser capable de faire la représentation cartographique de la distribution des abeilles dans leur habitat. Nous commençons à utiliser cette technologie en contexte agricole pour voir comment se nourrissent les abeilles, dans le but de trouver des emplacements plus efficaces pour les colonies pollinisatrices. Cela s'accompagne d'un système de formation automatisé qui nous permet de pratiquer la pollinisation dirigée. Nous l'avons fait avec les cultures d'oignon. Nous explorons cette possibilité avec les carottes et les kiwis cette année, pour voir si nous pouvons diriger les pollinisateurs de façon à ce qu'ils s'alimentent plus exclusivement dans certains secteurs agricoles. Ce sont les innovations technologiques auxquelles nous travaillons.
Pour les apiculteurs, les outils les plus importants sont l'appareil de diagnostic acoustique et la ruche électronique, pour surveiller les colonies à distance.
M. Bromenshenk : Nous avons été les premiers à présenter la technologie du LIDAR. Si on veut former les abeilles pour qu'elles détectent les mines terrestres, personne ne va traverser un champ de mines pour voir où elles sont rendues. Il nous a fallu trouver un moyen de faire la représentation cartographique du déplacement des abeilles, et de façon précise, car les personnes qui utilisaient la carte voulaient savoir exactement où creuser.
Les systèmes LIDAR que nous avons maintenant pèsent environ 35 livres. Il est possible de les prendre et de les transporter. On peut les apporter à bord d'un avion. Ils peuvent nous suivre facilement un peu partout. Ils sont construits de façon robuste. Ils peuvent nous indiquer à quelques centimètres près où se trouve chacune des abeilles détectées au-dessus d'un champ.
Cela nous donne beaucoup d'autres possibilités de recherches nouvelles. Par exemple, si les abeilles sont à proximité d'un secteur où on soupçonne un problème de pesticide et que le problème est récurrent, on peut activer le système LIDAR pour voir si les abeilles utilisent réellement ces champs ou quelle partie des champs elles utilisent. Nous pouvons en apprendre beaucoup sur les déplacements des abeilles qui partent se nourrir, et nous pourrions utiliser ces données pour mieux protéger la santé des abeilles.
La sénatrice Beyak : Merci, messieurs, de nous faire part de vos connaissances. La discussion d'aujourd'hui est très intéressante.
Compte tenu de vos 40 années d'expérience, j'aimerais connaître votre opinion. Vous avez répondu à la question supplémentaire du sénateur Ogilvie, mais pourriez-vous aussi me dire si, en 40 ans, vous avez déjà vu une disparition de colonies de cette ampleur étalée sur autant d'années? Je sais que nous avons de nouveaux problèmes maintenant, avec le varroa, Nosema et les pesticides — du moins c'est que nous pensions. Avez-vous déjà été témoin de quelque chose de cette ampleur?
M. Bromenshenk : Absolument. Au milieu des années 1970, tout autant d'États ont été touchés par une maladie dont la symptomatologie ressemblait à celle du SEC. Cela s'appelait le mal passager. J'en ai moi-même été témoin. D'après moi, ce que nous avons vu en 2006 était une répétition de ce que nous avons vu dans le passé. Cela a attiré beaucoup plus d'attention de la part des médias, alors les médias sont devenus conscients du problème, mais pendant deux ou trois ans dans les années 1970, il y a eu un énorme problème du fait que de très grandes régions ont été touchées. À l'époque, un chercheur du ministère de l'Agriculture des États-Unis qui s'intéressait aux abeilles a fait le suivi de beaucoup de colonies en difficulté, qui se trouvaient dans les États du nord, notamment le Montana, les États du Dakota et le Wyoming. Il a découvert que les stocks de reines de ces colonies provenaient d'éleveurs dont les stocks étaient le fruit d'une expérience menée par certaines de nos universités et un des laboratoires du ministère de l'Agriculture. Ces gens avaient fait venir des spermes d'abeilles africanisées et ont mis au point une abeille hybride. Ils les ont ensuite mises à l'essai sur une île et ont déclaré avoir réussi à en éliminer le caractère méchant. Ils ont dit qu'il s'agirait d'une abeille formidable, mais, en fin de compte, il paraît que cette abeille n'hivernait pas bien. Le chercheur croyait qu'il s'agissait d'un défaut génétique. Maintenant, nous savons que le problème pourrait être attribuable à ces stocks et au fait que certaines de ces maladies peuvent être transférées par l'abeille ou par le sperme.
Peut-être que le chercheur avait raison de dire que le problème était causé par l'introduction, mais peut-être que c'était causé par un des premiers agents pathogènes à avoir été utilisés.
Quant aux anciens pesticides, je donne un cours en ligne et j'exige que tous mes étudiants achètent un livre des années 1990, qui a été rédigé par trois hommes ayant mis à l'essai plus de pesticides aux États-Unis que n'importe qui d'autre; ils y ont consacré leur carrière. Le livre s'intitule Pollinator Protection et, maintenant, en raison de notre cours, il a été réimprimé et est disponible en version électronique et en version papier. Le livre parle de toutes sortes de choses que les auteurs ont constatées au sujet des pesticides. Le livre décrit notamment comment minimiser les incidents causés par les pesticides et comment protéger les abeilles quand on les transporte et qu'on les couvre. Toutefois, le livre définit aussi ce à quoi correspond des pertes d'abeilles, ce qui est très intéressant. En effet, on apprend que, dans une colonie d'abeilles, une reine peut pondre de 1 000 à 3 000 œufs par jour. Cela veut dire que, pendant la saison estivale, la population peut croître de 1 000 à 3 000 abeilles par jour. S'il n'arrivait rien aux abeilles, elles nous envahiraient. Les abeilles ont une durée de vie d'environ deux semaines quand elles fourragent. Par conséquent, chaque jour, de 1 000 à 3 000 abeilles doivent mourir seulement pour maintenir le statu quo. Il est normal de voir quelques abeilles répandues par terre, même devant les colonies d'abeilles les plus en santé.
Chaque jour, nous avons enregistré un taux de retour d'environ 95 p. 100, mais l'autre 5 p 100 des abeilles disparaissaient. Certaines abeilles ont été frappées par des voitures, d'autres sont tombées et d'autres encore sont mortes de vieillesse ou étaient malades.
Dans le cas des anciens pesticides, quand on trouvait 100 abeilles mortes devant la ruche, tout allait encore bien. Toutefois, ce sont les cas où on en trouvait des centaines de milliers devant la ruche que les auteurs ont qualifiés de pertes d'abeilles.
D'après ce que j'ai vu pendant mes 40 années d'expérience, de nos jours, si quelqu'un voit cinq abeilles mortes devant une colonie d'abeilles, il va en parler au bulletin de nouvelles nationales et dire qu'il s'agit de pertes d'abeilles. Notre définition de pertes d'abeilles a changé.
Cela ne veut pas dire que d'autres pesticides ne créent pas de problèmes ou qu'un incident de poussière contaminée ne risque pas de tuer des tas d'abeilles. De temps en temps, je vois encore des tas d'abeilles mortes, et certains de ces décès sont liés aux pesticides, mais la plupart d'entre eux résultent du fait que quelqu'un s'est trompé au moment de l'application.
J'ai peur que l'on refuse d'utiliser les produits qui ont des consignes comme « si le produit est appliqué et utilisé de la bonne façon » — c'est-à-dire que les semences sont traitées avec une très petite quantité de produits chimiques, qui se dissipent avant que la plante ne commence à pousser — et que l'on soit obligé de retourner aux produits qui, j'en ai été témoin, laissent des tas d'abeilles mortes devant les colonies. J'ai bien peur que c'est ce qui va arriver.
M. Henderson : J'aimerais ajouter que, dans le passé, nous avons été témoins de pertes catastrophiques, où une colonie entière ou une série de colonies sont disparues. Maintenant, les apiculteurs semblent tolérer une perte annuelle de colonies pouvant aller de 20 à 25 p. 100, ce qui, en moyenne, représente un taux de perte de colonies d'abeilles plus élevé qu'avant.
Une des raisons pour lesquelles nous croyons que cela arrive aux États-Unis, c'est que les exploitations d'apiculture de petite ou de moyenne taille sont consolidées en très grandes exploitations, qui sont transhumantes. Les apiculteurs parcourent des milliers de milles pour se rendre à des colonies. Nous blaguons que les colonies d'abeilles ont évolué : elles sont passées de la situation de devoir rester dans un tronc d'arbre à celle d'aujourd'hui où, nous les plaçons dans une boîte, les transportons dans des camions semi-remorques pour les faire parcourir 3 000 milles chaque semaine. Cela finit par avoir des répercussions négatives. Du point de vue épidémiologique, une colonie qui est transportée d'un endroit à un autre va être exposée à beaucoup plus de maladies et aussi à un stress physiologique. Il est évident que l'exposition des abeilles à des produits chimiques, conjuguée à l'exposition à des pathogènes et au simple stress d'être transportées doit occasionner d'énormes pertes d'abeilles.
M. Bromenshenk : Je suis d'accord avec lui.
Le sénateur Robichaud : Dans votre étude, vous avez parlé de deux traitements de semences aux néonicotinoïdes, qui sont la clothianidine et l'imidaclopride. Qu'en est-il du troisième néonicotinoïde, qui est le thiaméthoxame? Est-il différent, ou s'agit-il simplement d'un autre nom pour le même ingrédient actif?
M. Henderson : À mon avis — et Jerry me corrigera si j'ai tort —, lorsque le thiaméthoxame est métabolisé, il est transformé en clothianidine. Il s'agit d'un composé complexe qui se transforme en clothianidine dans l'insecte quand celui-ci commence à le métaboliser; il s'agit donc essentiellement de clothianidine.
Le sénateur Robichaud : Pourquoi alors établir une distinction entre trois traitements de semences?
M. Bromenshenk : Nous avons analysé les décompositions chimiques, et dans la région où nous faisions des analyses, c'est la clothianidine qui était utilisée.
Nous avons également analysé le thiaméthoxame, qui se décompose de la même façon que l'imidaclopride se décompose en trois autres produits. Cependant, les produits de dégradation que nous avons vus avaient les mêmes concentrations que celles qui sont utilisées ici. Nous avons tenu compte de cela.
M. Henderson : À titre d'information, le thiaméthoxame et la clothianidine sont deux appellations de fabricants différents pour le même produit.
Le sénateur Robichaud : C'est pour cette raison que vous ne l'avez pas analysé. Merci.
Le président : Je remercie beaucoup les témoins d'avoir fait part aux membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de leur expertise, de leurs connaissances scientifiques et aussi des fruits de leurs recherches. Messieurs les témoins, si vous souhaitez ajouter autre chose, n'hésitez pas à communiquer avec notre greffier.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à huis clos pour nous pencher sur un autre ordre de renvoi.
(La séance se poursuit à huis clos.)