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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 18 - Témoignages du 30 octobre 2014


OTTAWA, le jeudi 30 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 9 h 2, pour poursuivre son étude sur l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous allons présenter officiellement notre témoin dans quelques instants.

Je suis Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et le président du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je demanderais aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Robichaud : Je suis Fernand Robichaud, de Saint-Louis-de-Kent, province du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Merchant : Je suis Pana Merchant, de la province de la Saskatchewan.

La sénatrice Tardif : Bonjour madame, je suis Claudette Tardif, de la province de l'Alberta dans l'Ouest canadien.

Le sénateur Maltais : Bonjour madame, Ghislain Maltais, sénateur du Québec, à Québec.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Bonjour. Je suis la sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Bonjour. Je suis le sénateur Victor Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Bonjour. Je suis Betty Unger, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, de la province de Québec, ville de Montréal.

Le sénateur Ogilvie : Bonjour madame, Kelvin Kenneth Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci, honorables sénateurs. Mme Chauzat est directrice adjointe du Laboratoire de référence européen sur la santé des abeilles. Au nom du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation afin de partager avec nous vos opinions, vos recommandations et aussi votre vision.

Le comité poursuit son étude sur l'importance des pollinisateurs dans le domaine de l'agriculture et sur les mesures à prendre pour les protéger. Madame Chauzat, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a été autorisé par le Sénat du Canada à étudier, pour en faire rapport, l'importance des abeilles et de leur santé dans la production de miel, d'aliments et de graines au Canada.

Selon le Conseil canadien du miel, on peut quantifier à plus de 2 milliards de dollars par année le rôle des abeilles dans la pollinisation des cultures, plantes, fruits et légumes. Nous accueillons officiellement ce matin, honorables sénateurs, par vidéoconférence, de l'Organisation mondiale de la santé animale, Mme Marie-Pierre Chauzat, directrice adjointe du Laboratoire de référence européen sur la santé des abeilles. Je vous remercie, madame Chauzat, d'avoir accepté notre invitation à comparaître aujourd'hui.

Je vous invite maintenant à faire votre présentation, et à la suite de cela, les sénateurs vous poseront des questions. Sur ce, comme on dirait en Acadie, au Nouveau-Brunswick et au Canada, si vous visitez le Canada, vous serez chez vous, chez nous, au Canada. Vous avez la parole.

Marie-Pierre Chauzat, directrice adjointe, Laboratoire de référence européen sur la santé des abeilles, Organisation mondiale de la santé animale : Merci, bonjour à tous. Je vous remercie de m'accueillir dans votre comité, j'en suis très honorée. C'est une grande première pour moi, et je suis ravie d'être avec vous. Je vais parler français; je comprends l'anglais également. J'ai un petit support de vidéo pour faire une présentation assez courte et, après, on pourra ouvrir la conversation.

L'importance des abeilles, comme vous l'avez mentionné dans votre introduction, est effectivement liée à la production des produits apicoles, le miel en particulier, la gelée royale et le pollen. Mais l'importance des abeilles est liée aussi à la production d'aliments, que ce soit pour les animaux ou pour les humains, et aussi au maintien de ce qu'on appelle la biodiversité au sein des différents écosystèmes.

Un dernier intérêt est, bien sûr, l'intérêt scientifique et poétique que dégagent les abeilles. Quand on commence à étudier les abeilles, on ne peut plus s'arrêter, parce que c'est un animal social et fascinant à beaucoup d'égards, et particulièrement en ce qui a trait à cet aspect social et à la répartition des tâches dans la colonie.

Il ne faut pas oublier que, souvent, l'abeille mellifère, l'abeille que l'on élève dans les ruches, est un animal qui représente l'ensemble des pollinisateurs. Or, on oublie souvent ce fait. L'ensemble des pollinisateurs, ce sont les papillons, les coléoptères, les diptères, les hyménoptères, des petits moucherons, qui ne sont pas forcément très parlants pour le grand public, mais qui assurent, eux aussi, la pollinisation d'une grande partie des plantes.

Comme vous l'avez mentionné, au Canada, l'abeille représente un service de 2 milliards de dollars par an. Il y a plusieurs études qui ont été menées et, en Europe, la pollinisation représente 153 milliards d'euros par an. Le service de pollinisation a été estimé aux États-Unis à 14,6 milliards de dollars par an. Ce sont des données qui sont publiées par des études scientifiques, et qui sont très bien connues. À l'écran, on ne peut pas passer de photos, mais il y a des photos très connues de fraises pollinisées ou pas, où on voit, par exemple, le volume de la fraise et où l'on peut constater que la pollinisation augmente à la fois la qualité et la quantité des récoltes.

Bien sûr, les abeilles sont soumises à plusieurs facteurs de stress. Aujourd'hui, je vais présenter très rapidement les trois grands stress auxquels sont soumises les abeilles, mais il ne faut pas oublier d'autres facteurs comme les saisons, la génétique, la physiologie, des choses assez connues et très étudiées. Dans le temps imparti, on ne va pas aller dans les détails. J'ai entendu dire, dans la présentation, que vous aviez visité un apiculteur; il y a également les techniques apicoles qui influencent la santé des colonies d'abeilles.

Le premier facteur — est-ce qu'on propose une hiérarchisation? Ce sera à discuter. Le premier facteur dont je vais parler est lié aux pathogènes qui affectent les abeilles. Donc, il y a plusieurs types de pathogènes qui sont rassemblés dans de grands groupes et qui sont plus ou moins délétères pour la santé des abeilles. Le plus connu, et celui sur lequel on a beaucoup étudié, est le varroa, un petit acarien qui vient d'Asie, et qui a changé d'hôte; de l'abeille asiatique, il est passé à l'abeille mellifère, l'abeille européenne, et ravage les pays du monde entier, à l'exception de l'Australie et de quelques vallées très profondes et de quelques îles.

Il y a d'autres pathogènes, et le plus réglementé, c'est la loque américaine, maladie provoquée par une bactérie très contagieuse et très virulente. Les échanges commerciaux sont réglementés en fonction de cette bactérie.

Il existe d'autres bactéries, et également un protozoaire (la Nosema), dont on entend beaucoup parler. Bien sûr, il y a les virus provoquant plus ou moins des symptômes identifiés qui affectent les abeilles. On retrouve aussi des pathogènes exotiques dans certains pays, notamment chez nous. Ces pathogènes sont d'ailleurs un sujet d'actualité brûlante en Europe.

Jusqu'au mois dernier, le petit coléoptère de la ruche était encore exotique à l'Europe, alors qu'il ne l'est pas au Canada. Comme pour la loque, des mesures de restriction très sévères ont été imposées à l'importation des produits apicoles, particulièrement l'importation des abeilles reines en provenance des pays affectés par ce parasite exotique. Un autre type de parasite portant le nom d'acarien Tropilaelaps, qui est exotique pour l'instant à l'ensemble de la planète, à l'exception de l'Asie où il est endémique, fait aussi l'objet de mesures de contrôle très rigoureuses pour éviter sa propagation à travers le monde. Je viens de brosser un portrait très rapide du stress pathogène qui affecte les abeilles.

Le deuxième grand groupe de stress comprend les pesticides regroupés en catégories : les fongicides, les acaricides, les insecticides et les herbicides.

Là, je vais uniquement aborder une certaine catégorie d'insecticides. Il s'agit des insecticides systémiques, dont on parle le plus, parce qu'ils entrent dans le système de la plante. Ils sont, en général, appliqués à la plante soit en enrobage de semences, soit en application foliaire. L'idée, c'est que les insectes piqueurs-suceurs, qui se nourrissent de la sève des plantes, sont empoisonnés par l'insecticide qui passe à l'intérieur du système de la plante. Ce mode de diffusion a été inventé par les firmes agrochimiques pour réduire la dérive des pesticides, qui est un problème important. Lorsqu'on pulvérise des pesticides sur une culture, une brume se forme et celle-ci peut se répandre en dehors des cultures et sur les plantes environnantes, ce qui comporte des risques d'intoxication. Pour éviter cette brume de dérivation, on a inventé les insecticides systémiques. Ceux-ci posent problème, puisqu'on n'avait pas prévu à quel point ils peuvent se retrouver dans des matrices importantes pour l'abeille, telles que le nectar et le pollen. Les abeilles se nourrissent de nectar et de pollen, et les insecticides peuvent se répandre partout sur la plante jusqu'au nectar et au pollen, qui sont ensuite récoltés par les abeilles et ramenés à la ruche. Cela a divers impacts sur la ruche. D'abord, toutes les classes d'abeilles sont exposées aux pesticides, de la reine par l'intermédiaire des nourrices à l'ensemble des ouvrières de la ruche, y compris les mâles et, ensuite, ils peuvent être stockés dans les réserves de la ruche, soit le miel et le pain d'abeille. Le pain d'abeille est le pollen amalgamé avec une addition d'enzymes, de miel et de nectar. C'est l'une des manières dont les abeilles sont exposées aux pesticides systémiques.

La deuxième façon, ce sont les poussières, et cela concerne uniquement les insecticides systémiques utilisés en enrobage de semences. Les semences sont enrobées de ces insecticides et, lorsque les graines sont semées, souvent à l'aide de semoirs pneumatiques qui utilisent la pression de l'air pour injecter la graine dans le sol, il y a une abrasion de la graine. Ainsi, de nombreux insecticides passent dans des poussières, qui peuvent se déposer directement sur les colonies d'abeilles placées à côté des champs semés ou sur les fleurs adjacentes et les semis, notamment au printemps. C'est le début du développement des colonies. Pendant le début de la période de floraison au printemps, les abeilles sont à la recherche de fleurs qui sont assez rares à ce moment-là. Lorsque les poussières tombent sur ces fleurs qui bordent les champs, il y a d'importants risques d'intoxication aiguë. Bref, ce sont les deux grands types d'exposition aux insecticides systémiques. Il en existe d'autres.

Le troisième grand facteur qui influence la santé des abeilles, c'est l'environnement. Je vais brièvement aborder deux points : la détérioration de l'environnement, soit la pratique de l'agriculture intensive qui modifie les paysages en leur donnant une allure monotone, et qui affecte la qualité alimentaire et la diversité alimentaire des abeilles. À l'heure actuelle, l'Europe, les États-Unis et le Canada favorisent le développement de jachères fleuries pour pallier ce manque de diversité.

Pour ce qui est de l'environnement, il y a également un autre volet : la destruction des habitats, qui affecte plus particulièrement les espèces sauvages d'abeilles, puisqu'elles ont besoin de toute une panoplie végétale et de milieux propices à leur reproduction. Ainsi, certaines abeilles font leur nid dans des tiges creuses de végétaux ou dans des terriers. Pour permettre ce développement normal, celles-ci ont besoin d'une diversité de paysages souvent mise à mal par l'agriculture industrielle qui uniformise les paysages.

Voilà les trois grandes sources de stress qui, bien sûr, interagissent. Il s'agit de nouvelles hypothèses, qui sont testées au cours d'expérimentations. Les premiers résultats remontent à 2010. On a fait des tests. Lorsque je dis « on », je fais référence à la communauté scientifique. Les tests ont porté sur notamment, les associations des pathogènes et des pesticides, la diversité des régimes alimentaires et les pesticides. Tous ces facteurs ont été testés en laboratoire dans des cagettes. On a obtenu divers résultats avec ce qu'on appelle des potentialisations et des synergies entre les différents facteurs. Cela signifie que l'action néfaste des facteurs peut s'additionner selon les conditions expérimentales. Ce qui est très difficile à mesurer, c'est l'ensemble de ces facteurs en conditions naturelles du terrain. On commence à voir des résultats, notamment une étude française publiée dans Science, qui a fait beaucoup de bruit sur les résultats d'un pesticide employé sur le terrain. Cette étude a fourni des éléments de réponse intéressants.

J'aimerais terminer ma présentation en disant que les causes et les conséquences du déclin des abeilles sont liées. L'augmentation de la population humaine sur la Terre a conduit les pays à développer une agriculture de masse pour produire de la nourriture à la grandeur de la planète, ce qui a mené à une plus grande utilisation des pesticides et à la dégradation de l'environnement. Cette façon de faire pourrait contribuer à la mortalité des abeilles mellifères et des pollinisateurs sauvages, ce qui provoquerait une baisse de la production des denrées alimentaires. Donc, on boucle la boucle avec un impact important sur la population humaine, puisqu'elle pourrait être in fine, si tout s'emballait, moins bien nourrie.

J'espère que j'ai été assez claire et assez rapide; j'attends maintenant vos questions.

La sénatrice Tardif : Merci beaucoup, madame, pour votre excellente présentation. Si je comprends bien, l'Europe a imposé un moratoire d'une durée de deux ans sur l'utilisation des néonicotinoïdes. Avez-vous remarqué un changement dans la santé des abeilles depuis l'imposition de ce moratoire? Si oui, quels ont été les effets?

Mme Chauzat : Il y a plusieurs sujets dans votre question. Le moratoire a été mis en place en Europe, effectivement, depuis quelques mois. Il faut savoir que le moratoire concerne uniquement les cultures mellifères, c'est-à-dire les cultures que les abeilles peuvent butiner. Pour d'autres cultures, comme celles de type céréalier, et puisque les abeilles ne vont pas butiner les céréales, ces néonicotinoïdes peuvent être utilisés. Donc, je brosse ce tableau pour vous donner la vue la plus complète de ce qui se passe en Europe. C'est un premier point.

Le deuxième point c'est que, actuellement, au niveau européen, il n'y a pas d'étude dédiée à l'évaluation de ce moratoire. C'est-à-dire que, pour l'instant, il n'y a pas d'étude coordonnée à l'échelle européenne pour évaluer ce moratoire. Il y a peut-être des études qui sont nationales, mais pas d'étude au niveau européen.

Ensuite, ce moratoire a été mis en place il y a quelques mois, et il faut, bien entendu, avoir en tête que la santé des abeilles est aussi très dépendante du climat. Pour l'instant, on n'en est pas encore à une année complète d'application du moratoire et, en général, la mortalité des abeilles s'observe à deux grands moments de l'année : à la sortie de l'hiver et en saison pendant l'été.

Donc, pour répondre à votre question et dire quel a été l'impact du moratoire, il est difficile de répondre au niveau européen, puisqu'il n'y a pas de programme qui collecterait l'information au niveau européen de manière standardisée sur ce point-là. En Italie, par exemple, ce moratoire a été observé depuis plus longtemps, parce que, au niveau national, ils avaient interdit l'utilisation de certains néonicotinoïdes sur certaines cultures. L'Italie dit particulièrement que la mortalité liée aux poussières diffusées lors de semis a largement diminué. Donc, ce sont des exemples nationaux qu'il est difficile d'étendre à toute l'Europe, puisqu'on n'a pas les données rassemblées pour l'instant à l'échelle de l'Europe.

La sénatrice Tardif : Merci beaucoup, madame. Des témoins nous ont indiqué le manque de recherches scientifiques sur les effets chroniques et cumulatifs des pesticides sur la santé des abeilles. Avez-vous réalisé des avancées scientifiques dans ce domaine?

Mme Chauzat : C'est la grande question qui se pose sur les effets des pesticides. Il y a deux expositions possibles : l'exposition aiguë et l'exposition chronique. L'exposition aiguë des abeilles aux pesticides est très réglementée; on n'observe plus de très gros accidents d'intoxication aiguë dus à l'usage des pesticides, et c'est grâce à la réglementation, à la fois européenne et nationale, de l'usage des pesticides. Bien sûr, il y a des mésusages, il y a encore des accidents, mais ils sont très peu fréquents.

Par contre, l'autre type d'exposition est l'exposition chronique. Plusieurs études ont été menées, à la fois en Europe, aux États-Unis et au Canada, montrant l'exposition des abeilles à un bruit de fond de pesticides toute l'année, que ce soit dans le nectar, dans le pollen, dans le miel, dans les cires. Pour l'instant, les études publiées montrent l'impact des pesticides sur les abeilles, s'agissant d'études menées en laboratoire, en cagettes. Encore une fois, il est très difficile de mesurer l'impact de ces pesticides et de cette exposition chronique sur le terrain. Notamment, comme je le disais tantôt, on observe la mortalité posthivernale des colonies; il est très difficile pour l'instant de mesurer l'impact de cette exposition chronique sur cette mortalité posthivernale. De plus, il est difficile de distinguer, sur le terrain, la part de l'exposition chronique des pesticides, par exemple, de celle d'une exposition à des pathogènes. On commence à obtenir des données sur des résultats de laboratoire, mais sur les expérimentations de terrain, cela reste très difficile partout au monde, si j'ose dire, que ce soit en Europe ou Amérique du Nord.

La sénatrice Tardif : Merci, madame.

Le sénateur Dagenais : Bonjour, madame. Le comité a entendu plusieurs témoins au cours de son étude, que ce soient des témoins américains, européens ou australiens. Certains pays, notamment l'Australie, semblent avoir moins de problèmes liés à la santé des abeilles. Je vous dirais, de plus, que l'état de santé des abeilles varie d'un pays à l'autre comme d'une région à l'autre; entre autres, on peut parler du Canada, des États-Unis, de l'Union européenne. Selon vous, est-ce que la santé des abeilles est affectée partout dans le monde, et pourrait-on même parler d'un déclin de l'état de la santé des abeilles au niveau mondial?

Mme Chauzat : C'est une question à laquelle il est difficile de répondre, parce qu'il faut se baser, bien sûr, sur des chiffres. La situation que je connais le mieux, c'est, bien sûr, la situation européenne. Pour remédier à ce manque de données, la Commission européenne a demandé au Laboratoire de référence européen de mener une étude standardisée (EPILOBEE) sur plusieurs pays européens, 17 au total, et de mesurer la mortalité des abeilles dans ces pays. L'idée était de comparer les chiffres de mortalité. La difficulté, quand on compare des chiffres de mortalité, c'est de comparer, si je peux dire, des pommes avec des pommes, c'est-à-dire de comparer des données issues de protocoles de recueil de données comparables.

Les données de mortalité recueillies, par exemple, au Canada ou aux États-Unis, sont très difficilement comparables avec les données de mortalité européennes, parce que les protocoles de recueil de ces données sont très différents. Qu'est-ce qu'une colonie morte? Pour la définition du cas d'une colonie morte, il faut que cette définition soit commune à l'ensemble des pays pour qu'on puisse en comparer les données. Ce travail a été fait pendant deux ans en Europe, et on est en train d'analyser les données pour la deuxième année.

Je suis en contact avec les personnes qui mènent un programme similaire aux États-Unis (Bee Informed Partnership — Dennis VanEngelsdorp), un programme de mesure de la mortalité, mais le protocole est légèrement différent. Nous sommes en train de voir comment nous pouvons comparer nos données pour, justement, déterminer s'il y a, par exemple, plus de mortalité en Europe qu'aux États-Unis, mais en veillant à comparer des chiffres qui soient bien comparables.

Ainsi, pour ce qui est de me prononcer sur le déclin mondial des abeilles, c'est un peu difficile, comme je viens de vous le dire, sur la base des chiffres disponibles. Il est certes vrai que les abeilles souffrent sur la planète et qu'il y a de nombreux rapports, de nombreuses données qui montrent que la mortalité des abeilles est supérieure à ce que les anciens ont pu connaître — quand je parle d'anciens, je parle de la mémoire apicole de tous les pays qui ont une activité apicole. En général, il y a cette science, cette connaissance ancestrale de ce qui est une mortalité de colonie naturelle.

Le sénateur Robichaud : Merci pour votre présentation qui était très intéressante et complète.

Vous avez mentionné brièvement les abeilles sauvages. Est-ce qu'on a des données qui peuvent comparer les effets des stress que vous avez mentionnés, soit les pathogènes et les pesticides, et la façon dont ils peuvent affecter l'abeille sauvage par rapport à l'abeille mellifère. Est-ce qu'on a des données?

Mme Chauzat : On commence à avoir des données à ce sujet. Il s'agit vraiment de travaux très récents. Le problème, c'est qu'on commence à avoir des données sur les abeilles sauvages qui sont tout de même utilisées par l'homme. C'est- à-dire, notamment, les Bombus, les bourdons qu'on utilise en pollinisation dans les serres pour les tomates, par exemple. On commence à recevoir aussi des données sur les abeilles utilisées au Canada pour la culture de la luzerne. Par contre, les abeilles sauvages sont surtout solitaires, et il est très difficile d'obtenir des données sur elles, parce que, pour les élever au niveau expérimental, ce n'est pas facile et, si on veut les regarder dans la nature, puisqu'elles sont solitaires, elles sont moins nombreuses.

Quant aux autres abeilles qui sont sauvages, mais qui vivent quand même un peu en communauté, sur lesquelles on a plus de matière pour faire des expérimentations, on commence à avoir des données, à la fois sur l'effet des pesticides et la présence des pathogènes. Il y a, notamment, des études anglaises qui ont montré l'effet des néonicotinoïdes sur les colonies de bourdons sauvages. On sait qu'il y a une réduction de la taille et des colonies, on sait qu'il y a une réduction de la ponte de la reine quand elles sont exposées à des doses assez faibles de néonicotinoïdes. On a également recherché si ces populations d'abeilles sauvages pouvaient être des réservoirs de pathogènes d'abeilles mellifères, ce qui est le cas. Il est plus difficile d'apprécier l'impact de ces pathogènes sur ces populations, mais on sait qu'ils sont présents.

Toutes ces études sont en cours. Il est vrai que c'est un nouveau sujet. Il y a peu d'études conduites sur les abeilles sauvages comparées aux études notées sur les abeilles mellifères. Cependant, il y a des équipes de recherches maintenant qui se penchent sur ce sujet, et les résultats commencent à sortir dans la littérature scientifique et nous aident à mieux voir ce problème. Il est assez logique que ce soit un problème commun à ces espèces, puisque c'est un problème environnemental qui touche l'ensemble des espèces. Nous sommes très concentrés sur les abeilles mellifères, parce que c'est notre sujet d'étude. Il y a d'autres abeilles, évidemment, mais il y a aussi l'ensemble des autres animaux. C'est très connu. Les autres espèces animales sont également étudiées par d'autres équipes, comme les oiseaux, les vers de terre, et cetera, y compris l'impact des pesticides sur ces autres animaux.

Le sénateur Robichaud : Je vous remercie, madame.

Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame. Merci beaucoup de votre exposé.

Quelle est la durée moyenne d'hivernation des ruches en France?

Mme Chauzat : La France a le privilège d'avoir deux types de climat, un climat assez chaud au Sud et un autre plus froid au Nord. Donc, en Provence, par exemple, la période hivernale est assez réduite et va dépendre des années; on peut dire qu'elle est de deux ou trois mois. On définit par « période hivernale » souvent un arrêt de ponte, c'est-à-dire que la reine arrête de pondre. On a un couvain soit très réduit soit absent. Il arrive qu'il y ait des années au Sud de la France où il n'y a pas de période sans couvain, ce qui entraîne d'autres problèmes par rapport au développement de varroa. Ce sont des périodes assez réduites, donc de deux ou trois mois, par exemple, avec un couvain réduit ou sans ponte.

Quand on passe au Nord de la France, ces périodes peuvent être beaucoup plus longues. Par exemple, j'ai visité des colonies près de Paris qui étaient déjà en rupture de ponte au mois d'octobre, alors que, dans le Sud, elles ne le sont pas encore et cela peut continuer jusqu'au mois de février ou de mars. Il s'agit plutôt de quatre ou cinq mois. Cela dépend aussi de l'altitude. Par exemple, en montagne, il fait plus froid. Donc, les périodes sans ponte peuvent être plus longues.

Le sénateur Maltais : Quel est le taux moyen de perte pour l'ensemble des apiculteurs en France? Le taux moyen de perte d'abeilles pendant la saison.

Mme Chauzat : La saison hivernale?

Le sénateur Maltais : Oui, la saison d'hibernation.

Mme Chauzat : Le programme EPILOBEE qu'on a mené l'année dernière, dont je parlais au niveau européen, a montré un taux de mortalité hivernal de 15 p. 100 en France, donc de 15 p. 100 de mortalité de colonies, si on compare les colonies qui sont entrées dans l'hiver et celles qui sortent vivantes à la sortie de l'hiver.

Le sénateur Maltais : Vous avez le même phénomène. Nous avons reçu des spécialistes de la Suisse; souvent, en Suisse, il n'y a pas assez de floraisons pour que les abeilles puissent tirer le pollen nécessaire à la fabrication du miel. Ils nous ont indiqué qu'ils sont obligés de leur donner du sucre pour qu'elles puissent fabriquer un semblant de miel, un miel de poteau, qui n'est pas un miel pur à 100 p. 100, puisqu'on y a ajouté des additifs. Est-ce que cela peut arriver en France?

Mme Chauzat : Oui, tout à fait. C'est-à-dire que les apiculteurs vivent de la vente du miel. Donc, ils ont tout intérêt à récolter le plus possible de miel pour assurer leur commerce.

Il y a toujours un conflit entre l'activité apicole commerciale et l'activité de la colonie. C'est-à-dire que la colonie, elle, a besoin de réserves de miel pour passer l'hiver. Si on leur prend tout le miel, il faut bien qu'elles aient des réserves pour passer l'hiver. Donc, à ce moment-là, soit on ne les nourrit pas, et il y a un souci pour passer l'hiver par rapport à la quantité de réserves de nourriture, soit on les nourrit avec un sirop de sucre pour qu'elles aient des réserves, mais à ce moment-là, le sirop de sucre est bien différent du miel. Il n'y a évidemment pas toutes les composantes dans le sirop de sucre qu'il y a dans le miel et, pour hiverner, cela crée des situations moins bonnes que le miel qu'elles auraient récolté. On ne va pas dire que c'est la situation la plus courante en France, mais ce sont des situations qui peuvent arriver. Un bon apiculteur va bien soigner ses colonies et va faire en sorte que ses colonies hivernent, pour la plupart, sur du miel. Mais, bien sûr, ce n'est pas toujours le cas.

Le sénateur Maltais : Cela augmente le taux de mortalité, car, si l'abeille n'a rien à manger, la perte sera plus grande. Est-ce que le miel que vous fabriquez et qui est mis sur le marché est étiqueté « 100 p. 100 miel pur »?

Mme Chauzat : Étiqueté « 100 p. 100 miel pur », je ne pourrais pas vous répondre, parce que je ne voudrais pas m'avancer, mais étiqueté « miel », c'est sûr. La France et l'Europe font des analyses, parce que le miel doit être un produit « pur », donc le miel adultéré, additionné de sirop, est interdit en France et en Europe. Il y a des analyses qui sont menées pour détecter ces fraudes. C'est de la fraude, lorsque le miel n'est pas « pur ». Le miel est un produit qui est normalement « pur », c'est-à-dire qu'on ne doit pas lui ajouter d'autres produits, sinon cela ne s'appelle plus du miel; c'est un aspect qui est très contrôlé en Europe et en France.

Le sénateur Maltais : J'aurais une dernière question, madame, et je vous remercie de vos réponses. Est-ce que la monoculture en France est un facteur du déclin de l'abeille?

Mme Chauzat : Je ne peux pas vous répondre par oui ou non. Il y a des études qui montrent que, effectivement, la monoculture entraîne une perte de diversité quant à l'apport nutritif des colonies. Il y a des études très intéressantes qui ont été menées par l'INRA, situé dans l'Ouest de la France, dans un endroit de la France où il y a beaucoup de cultures de tournesol et de colza. Cette équipe de l'INRA a montré que, en gros, entre la floraison du colza qui a lieu au printemps et celle du tournesol qui a lieu aux mois de juillet-août, il y a un creux pendant lequel l'environnement n'est pas capable de fournir aux abeilles une alimentation diversifiée et en quantité, et les abeilles sont souvent en souffrance pendant ces semaines de creux, parce que, entre l'apport alimentaire très fort du colza et l'apport alimentaire très fort du tournesol, il y a une période pendant laquelle les abeilles se retrouvent dépourvues d'un apport en quantité et en qualité de nourriture.

Encore une fois, il est très difficile de pointer du doigt une cause unique. Dire que, oui, c'est à cause de ce manque de nourriture que l'ensemble des abeilles meurt en France, il serait très difficile de faire cette affirmation, parce qu'il faudrait exclure les autres facteurs. Il faudrait exclure l'exposition chronique aux pesticides, exclure les pathogènes, et cela, au niveau du terrain, ce sont des expérimentations qu'on a encore du mal à mener. Mais, certainement, ce manque de diversité et de qualité de nourriture entre deux très fortes miellées est un facteur de stress.

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup. Venez nous voir au Canada, cela nous ferait du bien; nous pourrions avoir des discussions plus profondes.

Mme Chauzat : Avec plaisir.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Bonjour, madame. Merci de l'excellente déclaration que vous avez faite.

La santé des abeilles est très importante pour l'humanité. Avec la population mondiale qui augmente, pouvez-vous imaginer les conséquences qu'entraînerait la disparition des abeilles domestiques? Quelles sont les priorités en matière de recherche des scientifiques européens? Quelle recommandation feriez-vous au comité pour préserver la santé des abeilles au Canada?

Mme Chauzat : Lorsque vous parlez de la « santé des abeilles », le mot « abeilles » signifie les « abeilles domestiques » et tous les autres types d'abeilles, dont les abeilles sauvages. Par conséquent, si toutes les abeilles disparaissaient de la planète, ce serait catastrophique.

Habituellement, lorsque les gens parlent de la disparition des abeilles, ils font allusion aux abeilles domestiques. De toute évidence, ce serait très dangereux pour l'humanité mais aussi pour l'environnement. Il faut donc empêcher que cela se produise. Surtout, si nous voyons que les populations d'abeilles sous la responsabilité d'humains sont en déclin, cela signifie que les abeilles sauvages — qui sont plus fragiles puisque ce sont des abeilles solitaires dont la survie dépend d'une seule plante —, sont beaucoup plus en danger que les abeilles domestiques sous la responsabilité d'humains.

Il est très important de garder à l'esprit que si les abeilles domestiques souffrent, les abeilles sauvages souffrent encore plus. Il ne faut pas l'oublier, et nous devons protéger toutes les abeilles, y compris les abeilles sauvages, et non pas seulement les abeilles domestiques.

Il est beaucoup plus difficile de protéger les abeilles sauvages que les abeilles domestiques, et il faut beaucoup plus de connaissances, car il y a des milliers d'espèces d'abeilles sauvages qui ont leurs propres caractéristiques. Pour protéger ces abeilles, il faut connaître les particularités de chaque espèce. Il faut avoir des connaissances poussées.

Si nous protégeons l'environnement en laissant de côté la complexité du secteur agricole et la biodiversité afin qu'il y ait de la nourriture pour toutes les espèces d'abeilles, alors nous protégeons toutes les espèces, y compris les abeilles domestiques.

La protection de toutes les espèces d'abeilles passe par la protection de tout l'environnement. Il s'agit là d'un problème mondial.

Je ne sais pas si j'ai répondu aux deux questions. Quelle était la seconde question?

Le sénateur Oh : La deuxième question était la suivante : que recommandez-vous au comité de faire pour préserver la santé des abeilles au Canada?

Mme Chauzat : Toute la question du secteur agricole, le manque de diversité, nuit également à la santé de toutes les abeilles, tant les abeilles domestiques que les abeilles sauvages. Pour les abeilles domestiques plus particulièrement, nous devons prendre soin de l'environnement puisque la diversité et la qualité de la nourriture sont importantes, tout comme les pathogènes.

Nous en savons maintenant beaucoup sur les pathogènes, qui ont été introduits dans les colonies d'abeilles domestiques par l'humain. L'augmentation des échanges commerciaux dans le monde importe différents pathogènes dans les colonies d'abeilles domestiques. Nous le savons. Nous savons comment les contrôler et nous devons protéger la santé des abeilles en combattant les pathogènes qui affectent les abeilles domestiques.

La sénatrice Unger : Ma question a trait à une meilleure gestion des ruches. Des pratiques exemplaires à cet égard pourraient réduire les effets négatifs de certains facteurs sur la santé des abeilles.

La France et d'autres pays aident-ils les pays membres à élaborer des normes et des méthodes pour améliorer les pratiques de gestion des ruches? Le cas échéant, pouvez-vous en décrire quelques-unes?

Mme Chauzat : Le laboratoire pour lequel je travaille se concentre sur les pathogènes et la santé des abeilles en général, l'exposition aux pesticides et des questions connexes telles que les OGM. Pour ce qui est de la gestion des ruches, nous savons comment il faut gérer une colonie, mais cela relève davantage du secteur et des associations apicoles. Il y a une organisation européenne d'apiculteurs. Il y a des organisations nationales d'apiculteurs dans chaque pays, et elles savent ce qui est bon pour la gestion des colonies.

Bien entendu, dans les pays du Sud de l'Europe où il fait très chaud comme la Grèce, l'Italie et l'Espagne, les colonies doivent être gérées différemment de celles dans les pays du Nord comme l'Angleterre, la Finlande et la Suède. Par conséquent, il est presque impossible d'établir un niveau européen qui dicterait comment les colonies devraient être gérées.

Toutefois, les associations nationales le savent et fournissent de bonnes pratiques de gestion au niveau régional. Cela signifie habituellement d'offrir aux colonies de la bonne nourriture à longueur d'année, d'éviter qu'elles soient exposées aux pathogènes, de les traiter contre le varroa, de prendre des mesures draconiennes en cas de loque américaine, et de maintenir le rucher et le matériel très propres. Le secteur apicole fait généralement la promotion de toutes ces mesures prophylactiques. Si vous appliquez toutes ces mesures, vous aurez une colonie en pleine forme pour produire du miel, du pollen et des abeilles.

La sénatrice Beyak : Vous avez mentionné au début que les techniques utilisées dans les exploitations apicoles influent grandement sur la santé des abeilles. La sénatrice Unger vient de poser une question à ce propos. Que savez- vous au sujet de la division des ruches et de l'insertion de reines dans différentes divisions? Bien des gens en ont parlé, mais personne n'a pu fournir de précisions. Il faudra peut-être poser la question à l'association des apiculteurs, comme vous l'avez recommandé, mais j'aimerais entendre votre opinion.

Mme Chauzat : La division des ruches est une grande question que l'on étudie en Europe. On peut le faire à différents moments de l'année. Si vous le faites au printemps et au début de l'été, c'est habituellement pour augmenter le nombre de colonies. Nous voulions utiliser ces critères pour mesurer le travail supplémentaire qu'un apiculteur doit accomplir pour maintenir le nombre de colonies en raison des pertes qu'il subit au cours de l'année. Cela fait partie des mesures additionnelles qu'un apiculteur doit prendre pour maintenir ces colonies à un certain niveau.

Les apiculteurs se plaignent de la longévité et du rendement des reines. Les apiculteurs chevronnés vous diront que les reines vivaient autrefois trois ou quatre ans. De nos jours, si vous parlez à des apiculteurs professionnels parmi les meilleurs de l'industrie en France, ils vous diront que certains d'entre eux changeront de reine chaque année car elle doit pondre une grande quantité d'œufs pour produire des abeilles étant donné qu'elles meurent plus rapidement qu'auparavant. La colonie compense pour les abeilles qui meurent en faisant en sorte que la reine produise plus d'abeilles ouvrières et, par conséquent, la reine serait de bonne qualité et pondrait des œufs en peu de temps. C'est ainsi que les colonies doivent être renouvelées.

La qualité des reines fait l'objet d'une étude à l'heure actuelle, mais on en sait toujours très peu à ce sujet. Certains signalent que l'exposition aux pesticides pourrait également nuire à la longévité et à la fertilité des reines, de même qu'à la fertilité des mâles. Les reines sont fertilisées par les faux-bourdons, et si le sperme n'est pas de bonne qualité, alors la qualité des reines peut en être affectée.

Pour revenir aux divisions, la façon de faire habituelle, c'est de fractionner la colonie pour augmenter le nombre d'abeilles au printemps. Le code des bonnes pratiques de production dans le secteur de l'apiculture recommande de fusionner la colonie avant l'hiver pour qu'elle soit très grosse afin d'augmenter ses chances d'hiverner dans de bonnes conditions. La colonie serait divisée au printemps suivant pour récupérer les pertes. C'est ce que l'on considère comme étant une bonne pratique dans certains pays.

Il faut vraiment faire la différence entre les bonnes pratiques qui sont annoncées dans le pays et celles qui sont appliquées pour maintenir les colonies. Nous avons eu ce problème dans le cadre du programme dont j'ai parlé plus tôt pour mesurer la mortalité dans les colonies en Europe. Nous voulons mesurer les pratiques pour qu'elles soient assorties de critères permettant d'évaluer le travail supplémentaire que les apiculteurs doivent accomplir pour maintenir leurs colonies. Nous nous sommes retrouvés avec différentes évaluations dans différents pays d'Europe pour ce qui est des meilleures pratiques en matière d'apiculture et celles pour garder les abeilles en vie pendant l'hiver.

C'est une question complexe. Je suis certaine que la réponse sera complexe si nous comparons ce qui se fait au Canada et ce qui se fait en France, par exemple, car les pratiques, la température, la culture et les habitudes sont différentes. Il est généralement impossible de fournir une réponse brève. Il faut se pencher sur la raison pour laquelle on prend cette mesure pour pouvoir comparer les deux pays ou les deux continents.

La sénatrice Beyak : Vous nous avez fourni une excellente réponse qui nous a beaucoup éclairés.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Madame Chauzat, est-ce que le nombre d'apiculteurs en Europe, ou particulièrement en France est en diminution ou est-ce qu'il se maintient?

Je vous pose la question, parce qu'un témoin américain nous disait que, aux États-Unis, le nombre diminuait et qu'ils approchaient un point critique quant à savoir s'il y en avait suffisamment pour polliniser toutes les cultures.

Est-ce que vous observez ce phénomène en Europe également?

Mme Chauzat : Il y a deux sujets dans votre question. D'abord, le nombre d'apiculteurs, et ensuite, celui de savoir s'ils sont suffisamment nombreux pour polliniser.

Le nombre d'apiculteurs en France et en Europe diminue, pour diverses raisons. L'une des raisons qu'il faut bien avoir en tête, c'est que les apiculteurs sont souvent des personnes âgées.

Le sénateur Robichaud : Comme moi.

Mme Chauzat : Quand on regarde la courbe d'âge des apiculteurs, c'est ainsi, ce sont des personnes âgées et elles cessent leur activité au bout d'un moment. C'est un phénomène reconnu. Il y a aussi le fait que l'apiculture a bien changé. Concernant l'apiculture professionnelle, quand vous interrogez les anciens, les apiculteurs d'un certain âge vous diront que leur métier a complètement changé et qu'il requiert maintenant beaucoup plus de technicité, beaucoup plus de connaissances, beaucoup plus de temps, beaucoup plus d'implication dans leur métier que ce n'était le cas auparavant.

Cela signifie que les apiculteurs professionnels qui se lancent dans la partie doivent être particulièrement formés et informés. Il est difficile pour le simple quidam d'être apiculteur : avoir des ruches, poser les hausses, retirer les hausses avec le miel et opérer tout simplement de cette façon. Ça ne fonctionne plus comme ça.

Donc, la démission des apiculteurs vient aussi du fait de la difficulté à pratiquer l'apiculture qui augmente de nos jours. Pourquoi, le métier devient-il plus difficile, est-ce parce qu'il y a des pathogènes qui sont là maintenant, notamment le varroa, qui n'y étaient pas il y a 30 ans? Est-ce parce que l'environnement change et qu'il y a ces manques de nourriture à certains moments qui entraînent forcément un besoin de transhumance des ruches qu'il n'y n'avait pas auparavant? Est-ce le changement climatique qui fait que les saisons ne sont plus ce qu'elles étaient? Il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène.

Est-ce qu'on est à la limite du manque de pollinisation? Ce sont des études qu'il faudrait mener pour le déterminer. Pour l'instant, je n'ai pas vu d'études qui rapportaient le fait qu'on était au point de rupture quant au manque de pollinisation par les abeilles mellifères. Je ne pense pas que ce soit le cas pour l'instant en Europe ou ailleurs. Il est sûr qu'il y a un déclin des abeilles, notamment mellifères, mais aussi des abeilles sauvages. Il y a une étude qui a montré en Angleterre la diminution de la diversité des espèces de Bombus très nette, à la fois en Angleterre et dans les Pyrénées, à la frontière de l'Espagne et de la France. Il y a des choses qui sont très nettes, qui sont très connues. Mais, pour l'instant, il n'a pas été montré qu'on était en manque de pollinisateurs, et que cela allait mettre en danger la pollinisation des espèces sauvages ou des espèces cultivées.

Le sénateur Robichaud : Merci, madame. Étant la personne la plus âgée de ce comité, je crois que je vais abandonner l'idée de me lancer en apiculture. Je vous remercie.

Mme Chauzat : Par contre, ce que vous pouvez faire, c'est avoir trois ou quatre colonies au fond du jardin pour votre usage personnel. En fin de journée, allez voir les abeilles, car cela détend, c'est très zen, c'est bon pour la santé.

Le président : Je n'ai aucun doute qu'avec votre habileté de nos deux langues officielles au Canada, vous seriez chez vous, chez nous, au Canada et en Acadie aussi.

Sur ce, merci beaucoup, et avant de terminer la réunion, honorables sénateurs, avons-nous un consensus?

[Traduction]

Trois témoins ont demandé de comparaître à notre réunion dans le dernier ordre de renvoi : les Producteurs d'œufs du Canada, les Producteurs de poulet du Canada et les Éleveurs de dindon du Canada. Avons-nous un consensus pour que le personnel les invite à comparaître dans le cadre de l'étude sur le libre-échange? Oui?

Merci.

(La séance est levée.)


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