Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule no 19 - Témoignages du 6 novembre 2014
OTTAWA, le jeudi 6 novembre 2014
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 4, afin d'examiner les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire en matière d'accès aux marchés internationaux.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je m'appelle Percy Mockler; je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité. J'aimerais demander à tous les sénateurs de se présenter, s'il vous plaît.
La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.
Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Bonjour, je m'appelle Fernand Robichaud, sénateur du Nouveau-Brunswick, à Saint-Louis- de-Kent.
[Traduction]
La sénatrice Merchant : Bonjour et bienvenue. Je m'appelle Pana Merchant; je représente la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bonjour, je m'appelle Ghislain Maltais, sénateur du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Bonjour, je m'appelle Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Chers témoins, avant de vous présenter de manière officielle, j'aimerais d'abord profiter de l'occasion pour vous remercier d'avoir accepté l'invitation du comité de présenter vos opinions, vos idées et vos recommandations.
Le comité poursuit aujourd'hui son examen des priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire en matière d'accès aux marchés internationaux. Le secteur agricole et agroalimentaire du Canada occupe une place importante dans l'économie du pays.
[Français]
En 2012, un travailleur sur huit au pays (représentant plus de 2,1 millions de personnes) était employé dans le secteur agricole, qui a d'ailleurs contribué près de 6,7 p. 100 au produit intérieur brut.
[Traduction]
Le secteur agricole et agroalimentaire canadien a été responsable de 3,6 p. 100 des exportations mondiales de produits agroalimentaires en 2012. Cette année-là, le Canada a été le cinquième exportateur de produits agroalimentaires à l'échelle internationale.
Ce matin, de CropLife Canada, nous accueillons Dennis Prouse, vice-président, Affaires, et Stephen Yarrow, vice- président, Biotechnologie. CropLife Canada représente les fabricants, les concepteurs et les distributeurs de solutions phytoscientifiques.
Nous accueillons également Clyde Graham, le président intérimaire de l'Institut canadien des engrais. Nous sommes heureux de vous avoir comme témoin, tout comme les représentants de CropLife Canada, et de pouvoir entendre vos recommandations.
On me dit que M. Prouse fera la première déclaration. Ce sera ensuite au tour de M. Graham. Monsieur Prouse, vous avez la parole.
Dennis Prouse, vice-président, Affaires gouvernementales, CropLife Canada : Merci, monsieur le président.
Comme l'a dit le président, CropLife Canada est l'association professionnelle qui représente les fabricants, les concepteurs et les distributeurs de solutions phytoscientifiques, y compris des produits antiparasitaires et des biotechnologies végétales utilisés en agriculture, en milieu urbain et dans le domaine de la santé publique. Nous sommes déterminés à protéger la santé humaine et l'environnement et à offrir aux Canadiens un approvisionnement alimentaire abondant et sûr.
Notre mission est de permettre à l'industrie phytoscientifique de faire profiter les agriculteurs et le public des avantages de ses technologies. Ces avantages se présentent sous plusieurs formes, y compris la hausse des exportations agricoles, la création d'emplois, le renforcement de l'économie rurale et l'augmentation des recettes fiscales des gouvernements.
Nous sommes extrêmement fiers de ce que les technologies phytoscientifiques ont fait pour accroître l'approvisionnement alimentaire au Canada. Le Canada continue d'être un grand exportateur d'aliments, et environ 65 p. 100 du surplus alimentaire du pays est attribuable aux meilleures récoltes des agriculteurs qui ont eu accès à nos technologies.
Comme vous pouvez le voir, nos membres sont de fervents partisans du libre-échange, tout comme les groupes de producteurs qui participent à notre conférence intitulée Cultiver le Canada. Comme eux, nous savons que le commerce et l'innovation représentent deux piliers de la croissance et de la prospérité au Canada. Cette étude sur l'accès aux marchés arrive donc à point nommé.
D'un bout à l'autre du Canada, neuf producteurs sur dix sont tributaires des exportations, ce qui représente 210 000 exploitations agricoles et la majorité des fermes de chaque province. Le secteur de la transformation alimentaire emploie quant à lui 290 000 Canadiens. Ensemble, ces deux industries exportent pour plus de 44 milliards de dollars de marchandises et représentent 11 p. 100 du produit intérieur brut du Canada.
J'aimerais centrer mes observations sur deux marchés qui sont très importants pour l'agriculture canadienne, mais auquel l'accès présente encore des obstacles. Je parle des marchés européens et chinois.
Commençons par le marché européen. À l'heure actuelle, nos exportations agroalimentaires vers l'Union européenne sont de 2,4 milliards de dollars par année. Lorsque l'AECG sera pleinement mis en œuvre, il éliminera les droits de douane de pratiquement tous les produits agricoles et agroalimentaires du Canada. L'Alliance canadienne du commerce agroalimentaire croit que l'AECG permettrait d'augmenter la valeur des exportations agroalimentaires vers l'Union européenne jusqu'à concurrence de 1,5 milliard de dollars par année.
Notre industrie et les producteurs canadiens sont toutefois constamment aux prises avec des difficultés liées aux approbations en matière de cultures et d'importations d'aliments issus du génie génétique, ce qui s'explique tout simplement par la surveillance politique entourant ce qui, à notre avis, devrait être une décision réglementaire fondée sur la science. L'Union européenne continue d'appuyer une approche scientifique même si les demandes d'approbation font l'objet d'un arriéré depuis 37 années consécutives. Il s'agit encore une fois de produits dont la salubrité a été approuvée, mais qui n'ont pas reçu d'approbation finale.
Soyons clairs : il ne s'agit pas d'une interdiction de facto visant ces produits, ce qui aurait pour effet de créer un obstacle aux échanges commerciaux des marchandises agricoles canadiennes. Pour attirer l'attention sur cet enjeu, il serait grandement utile que l'OMC examine la question.
De plus, la nouvelle Commission européenne a annoncé qu'elle reverra tout le système d'approbation au cours des six prochains mois, ce qui entraînera probablement l'approbation de nouveaux produits jusqu'au milieu de 2015. Le nouveau commissaire, Jean-Claude Juncker, a signalé que recourir à l'approche scientifique pour l'approbation des produits n'est pas une priorité de la nouvelle commission, comme en témoignent des déclarations comme celle-ci :
La Commission devrait être en mesure d'accorder au point de vue de la majorité des gouvernements démocratiquement élus au moins la même valeur que celle accordée aux avis scientifiques [...]
Autrement dit, les approbations et le commerce reposeront sur les tendances politiques à la mode plutôt que sur une réglementation axée sur des données scientifiques et sur un commerce fondé sur des règles.
Ce genre de discours est préoccupant à bien des égards, car il rend très difficile pour les producteurs canadiens et les négociateurs de marchandises de déterminer ce qui sera ensemencé au printemps; ce qu'ils devront entreposer l'hiver; et vers quels marchés mondiaux ils devront transporter leurs marchandises, et de quelle façon.
Nous avons également de sérieuses réserves au sujet du cadre réglementaire de la protection des cultures. L'approche adoptée par l'Union européenne à l'égard du processus d'homologation des pesticides n'est pas fondée sur la science. Elle aura une incidence non seulement sur le commerce des pesticides — actuel et futur —, mais aussi sur le commerce des aliments, des aliments de bétail et des semences pour lesquels on utilise ces pesticides. L'Union européenne a une politique de tolérance zéro en ce qui a trait à l'importation de ces produits, de sorte que la présence d'une teneur négligeable ne présentant aucun danger pourrait empêcher leur entrée sur le marché européen.
L'utilisation de seuils fondés sur les dangers, contrairement à l'approche du Canada qui est axée sur les risques, s'appliquera désormais à des composés qu'on qualifie de perturbateurs endocriniens. Le recours à ce critère de seuils risque d'avoir des conséquences négatives et très importantes pour le commerce mondial. Nous estimons que cette approche va à l'encontre de l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires de l'Organisation mondiale du commerce, dont l'Union européenne est signataire.
Nous sommes inquiets des répercussions que cela pourrait avoir sur les agriculteurs canadiens. Les horticulteurs et les producteurs de céréales, d'oléagineux et de légumineuses et d'autres aliments destinés aux marchés européens ne pourront possiblement plus utiliser bon nombre des pesticides sécuritaires et efficaces évalués par Santé Canada. Les producteurs doivent pouvoir se servir de tous les outils à leur disposition ainsi que des dernières innovations qui permettent de lutter contre les parasites et de nourrir une population mondiale croissante. Les mesures de l'Europe à cet égard pourraient avoir des effets négatifs sur l'innovation et l'introduction de nouvelles technologies.
Nous croyons que le succès du secteur agricole et du commerce au Canada repose sur une réglementation fondée sur la science et sur des échanges commerciaux axés sur des règles. Pour que l'AECG profite véritablement au secteur agricole canadien, nous devons insister pour que les pays membres de l'Union européenne respectent des normes claires fondées sur des données scientifiques.
Le marché chinois pour les céréales et les oléagineux du Canada est extrêmement important pour la viabilité de la relation commerciale bilatérale entre le Canada et la Chine de même que pour l'économie agricole du pays. En 2013, la valeur des exportations canadiennes de produits du canola et du soja vers la Chine était d'environ 3,2 milliards de dollars, ce qui représente plus de 15 p. 100 des exportations du Canada vers la Chine. Ces exportations ont plus que doublé entre 2008 et 2013 et elles se chiffrent maintenant à environ 20,5 milliards de dollars. La Chine a d'ailleurs dépassé la Grande-Bretagne en devenant la deuxième destination des exportations canadiennes. Au cours des cinq dernières années, le canola est devenu le premier produit d'exportation canadien vers la Chine.
Au moment où l'exportation de céréales et d'oléagineux vers la Chine affichait une croissance, les producteurs canadiens adoptait une nouvelle technologie pour rendre leurs exploitations et l'ensemble de l'industrie plus rentables, plus efficaces et plus écologiques. Dans ce contexte, la biotechnologie agricole revêt pour eux une grande importance. Plus de 90 p. 100 des surfaces utilisées pour la culture du canola en 2014 étaient d'ailleurs consacrées à des variétés transgéniques.
À l'heure actuelle, un des grands défis associés à la chaîne de valeur des produits agricoles consiste à effectuer des échanges commerciaux prévisibles et stables avec la Chine. L'incapacité à obtenir rapidement des approbations pour les importations de nouveaux produits biotechnologiques et la préoccupation grandissante attribuable aux facteurs non scientifiques qui servent à justifier le rejet de demandes font en sorte que les exportations canadiennes risquent d'être refusées par la Chine. En plus des risques commerciaux qui s'y rattachent, cette situation limitera l'accès aux nouvelles technologies au pays. Cela nuit à la recherche et au développement au Canada et réduit le nombre de technologies à la disposition des agriculteurs.
L'approbation réglementaire efficace, transparente et scientifique des cultures du Canada par la Chine est une grande priorité de notre secteur et permettrait d'assurer la poursuite des exportations vers la Chine de produits agricoles cultivés à l'aide de biotechnologies modernes, sûres et approuvées.
Pour conclure, monsieur le président, je vais brièvement parler de la politique sur la présence de faibles quantités. Dans le contexte de la mondialisation des échanges commerciaux, la présence de faibles quantités de produits de la biotechnologie dans les cargaisons est inévitable. Autrement dit, il serait impossible de respecter une norme voulant qu'il n'y en ait aucune trace. Bien que la sécurité de ces produits fasse l'objet d'un solide consensus à l'échelle mondiale, cette politique sur la présence de faibles quantités risque de perturber inutilement les échanges commerciaux et de restreindre l'accès aux marchés. Une approche mondiale de gestion du commerce moderne est donc nécessaire et cruciale pour les négociateurs de marchandises et les producteurs du Canada afin de les aider à expédier ces produits partout dans le monde.
CropLife Canada félicite le gouvernement du Canada de son travail dans l'élaboration d'une politique nationale sur la présence de faibles quantités. Nous sommes impatients d'en lire la version finale, que nous nous attendons à voir avant 2015. Le Canada s'est également comporté en chef de file mondiale en faisant avancer les discussions dans ce dossier et a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de la déclaration internationale sur la présence de faibles quantités, qui a été signée par 15 pays. La déclaration engage ces pays à collaborer en vue de faciliter les échanges internationaux de denrées agricoles en élaborant des approches pratiques en matière d'approbation des produits et d'évaluation des risques de même que des seuils concernant la présence de faibles quantités qui seraient appliqués à l'échelle internationale.
Le Canada est un des pays à l'origine de la politique sur la présence de faibles quantités, qui améliore à l'échelle internationale la compréhension des connaissances liées aux approbations asynchrones, à l'évaluation des risques et aux seuils. La Chine a assisté en tant qu'observatrice à la dernière réunion qui a eu lieu en Afrique du Sud. Il est important que le Canada demeure un chef de file dans ce dossier et qu'il continue d'exercer des pressions en faveur de l'adoption d'approches raisonnables axées sur les risques afin de protéger les marchés d'exportation canadiens contre les obstacles techniques au commerce.
Merci, monsieur le président. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.
Le président : Merci, monsieur Prouse. Monsieur Graham, vous avez la parole.
Clyde Graham, président intérimaire, Institut canadien des engrais : Bonjour. Je m'appelle Clyde Graham; je suis président intérimaire de l'Institut canadien des engrais. L'ICE représente les fabricants d'engrais à l'azote, au phosphate, à la potasse et au soufre, de même que de grands détaillants et grossistes d'engrais au Canada.
Nos membres produisent plus de 25 millions de tonnes d'engrais par an, dont 75 p. 100 sont exportées vers plus de 60 pays. Le Canada assure environ 33 p. 100 de la production mondiale de potasse et 45 p. 100 du commerce mondial de potasse. La valeur de l'engrais acheté chaque année par les agriculteurs canadiens est d'environ 4 milliards de dollars.
J'aimerais souligner trois points dans ma déclaration d'aujourd'hui. Premièrement, sur les marchés mondiaux, on demande de plus en plus souvent aux agriculteurs de démontrer que leurs produits ont été cultivés de manière durable. Deuxièmement, les engrais sont essentiels pour nourrir la planète, mais nous devons nous en servir plus efficacement afin d'améliorer les retombées économiques, environnementales et sociales. Troisièmement, conformément à notre système Nutrient Stewardship, l'utilisation de la bonne dose du bon engrais au bon moment et au bon endroit est cruciale pour garantir une production agricole durable.
La production durable est devenue de plus en plus importante pour obtenir un accès aux marchés et augmenter la part du marché pour les céréales, les oléagineux, les légumineuses et les cultures spéciales du Canada. De plus en plus souvent, les pays importateurs et les transformateurs d'aliments ajoutent des facteurs environnementaux et sociaux à leur politique commerciale nationale ou des exigences liées aux spécifications des produits. Ils veulent savoir si l'aliment est sain et s'il a été produit de façon durable. Dans certains cas, on demande ou on demandera bientôt à divers intervenants des chaînes de valeur de démontrer qu'ils respectent les normes de durabilité s'ils veulent avoir accès aux marchés internationaux, aux transformateurs d'aliments ou aux détaillants.
Le secteur agricole canadien doit relever les défis et mettre à profit les possibilités associées à la demande mondiale croissante de produits alimentaires cultivés de manière durable. Pour rendre possible le dialogue intersectoriel, l'échange de renseignements et la collaboration dans le but d'atteindre l'objectif, la table ronde canadienne sur la production durable des cultures a été créée en 2013. Formée de producteurs, de membres de l'industrie, de clients et de représentants de l'industrie alimentaire, la table ronde est une tribune nationale dirigée par l'industrie pour que les intervenants des chaînes de valeur évaluent la demande du marché et pour qu'ils y répondent en mettant en valeur le bilan du Canada dans le domaine de l'agriculture durable, un bilan qui, à vrai dire, est excellent. L'Institut canadien des engrais participe à cette table ronde.
Ces exigences en matière de durabilité peuvent constituer des obstacles à l'accès aux marchés, mais ils offrent également des possibilités intéressantes. Le Canada est en mesure d'en profiter. Nous en faisons déjà beaucoup pour faciliter l'adoption de pratiques de production durable et pour mesurer les résultats obtenus afin de remplir les exigences des clients.
Par exemple, l'année dernière, les dirigeants de Walmart, le plus grand détaillant d'aliments au monde, ont considérablement retenu l'attention des médias en annonçant qu'ils voulaient réduire de 30 p. 100 l'utilisation d'engrais sur 10 millions d'acres aux États-Unis d'ici 2020. Le lancement de leur centre de durabilité comprenait la mise en place d'un système à deux vitesses pour la documentation sur les pratiques exemplaires des fournisseurs. On peut se douter que notre industrie n'appuyait pas ce genre d'approche de la part de Walmart, mais nous nous sommes montrés ouverts et nous avons engagé le dialogue avec ses représentants. Aujourd'hui, Walmart continue de travailler avec l'industrie des engrais pour en arriver à une utilisation plus efficace des engrais, plutôt qu'une utilisation réduite, dans le but d'obtenir des résultats plus écologiques. En fait, Walmart a intégré le système 4R Nutrient Stewardship à son système à deux vitesses.
Le système 4R Nutrient Stewardship est une approche novatrice pour accroître les profits, protéger l'environnement et atteindre les objectifs de la société visant les terres cultivées. L'objectif du système est simple : voir à ce que les producteurs utilisent la bonne dose du bon produit au bon moment et au bon endroit.
La population mondiale devrait dépasser le cap des 9 milliards d'habitants d'ici 2050; nous devons donc produire plus de nourriture sur une superficie limitée de terres agricoles, et ce, sans nuire à l'environnement ni appauvrir les agriculteurs. C'est tout un défi. Il faudra davantage d'engrais, mais nous devons les utiliser judicieusement. Les données scientifiques indiquent que la mise en œuvre du système 4R dans les exploitations agricoles canadiennes peut réduire de plus de 25 p. 100 les émissions de gaz à effet de serre causées par les engrais azotés.
Il a été démontré que le système 4R réduit les pertes d'engrais dans les rivières, les lacs, les eaux souterraines et l'air. Cela se traduit aussi par de meilleurs rendements et plus d'argent dans les poches des agriculteurs.
Le programme de gérance des nutriments 4R est mis en œuvre dans toutes les provinces du pays. Ces deux dernières années, l'Institut canadien des engrais a créé des programmes régionaux dans le cadre de partenariats avec des associations d'agriculteurs, les gouvernements provinciaux et des groupes environnementaux à l'Île-du-Prince- Édouard, en Ontario, au Manitoba et en Alberta. Nous prévoyons le faire aussi en Saskatchewan et au Nouveau- Brunswick au cours de la prochaine année.
L'Institut canadien des engrais verse également un financement de 200 000 $ par année pour soutenir des projets de recherche scientifique en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta afin de vérifier l'efficacité du système 4R dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. D'autres sommes sont prévues. Un montant supplémentaire de 1 million de dollars a été affecté à des projets canadiens dans le cadre du nouveau fonds de recherche nord-américain sur le système 4R pour les cinq prochaines années.
L'ICE collabore étroitement avec plus de 20 organismes relativement au système de gérance des nutriments 4R à l'échelle nationale, y compris avec des partenaires agricoles tels que Keystone Agricultural Producers, au Manitoba, le Conseil de la pomme de terre de l'Île-du-Prince-Édouard, des organismes financés par le gouvernement comme Alberta Innovates Bio Solutions, et des ONG comme Conservation de la nature. Nous sommes extrêmement fiers des résultats de nos recherches et de nos travaux avec tous ces partenaires.
Nous devons continuer de travailler de façon proactive et collaborative pour consolider ces assises afin d'accroître la part de marché du Canada à l'échelle mondiale, notamment en travaillant avec tous les maillons de la chaîne de valeur à la sensibilisation, au transfert des connaissances, ainsi qu'à l'évaluation et à la promotion de pratiques durables comme la gérance des nutriments 4R. En effectuant des recherches, en élaborant des outils pour mesurer la conformité aux indicateurs du marché et en positionnant bien l'industrie sur le marché, nous maximiserons nos possibilités.
Le succès de cette démarche nécessite de solides partenariats entre l'industrie et le gouvernement et l'affectation de ressources durables à long terme. Sans partenariat industrie-gouvernement et sans ressources affectées à cette fin, nous ne pourrons atteindre nos objectifs pour préserver et accroître la part du Canada sur le marché des produits agroalimentaires. Cela aura de lourdes conséquences sur l'économie nationale, provinciale et rurale.
Je remercie les membres du comité de m'avoir donné l'occasion de leur présenter notre point de vue et je me ferai un plaisir de répondre aux questions.
Le président : Avant que les sénateurs ne posent leurs questions, pourriez-vous nous dire, monsieur Prouse, à des fins de clarté, ce que vous entendez par « présence de faibles quantités »? J'aimerais également que vous définissiez le terme « légumineuses » pour les gens qui nous regardent et nous écoutent.
M. Prouse : Je vais essayer de répondre à la question relative à la présence de faibles quantités, monsieur le président, et je demanderai à M. Yarrow d'intervenir si je me trompe.
La « présence de faibles quantités » est la présence d'une culture issue de la biotechnologie à l'intérieur de la cargaison d'une culture conventionnelle. Il existe maintenant du matériel qui peut en détecter des niveaux minimes, presque de la poussière dans la paroi d'un conteneur — si nous expédions du blé, par exemple, et que le conteneur a déjà servi à l'expédition de canola GM. Des cargaisons ont déjà été refusées dans le passé. Je crois que c'est arrivé dans le cas du lin Triffid, il y a quelques années; on avait cessé le commerce avec le Canada parce qu'on avait décelé la présence de faibles quantités d'une culture issue de la biotechnologie à l'intérieur d'une culture conventionnelle.
Les pays ont le droit de décider de ce qu'ils souhaitent importer. Les quantités minimes d'une culture issue de la biotechnologie ne représentent pas une menace pour la sécurité, mais la détection de ces quantités minimes sert de barrière commerciale de facto. Il nous faut une norme mondiale relativement à la présence de faibles quantités afin de faciliter le commerce. C'est ce que nous voulons. Lorsqu'on tente d'appliquer une norme « zéro », il va de soi que le commerce est paralysé. C'est une question liée à un problème technique, pas à un problème de sécurité.
Stephen Yarrow, vice-président, Biotechnologie, CropLife Canada : « Légumineuse » est un terme utilisé dans le milieu agricole; il comprend les lentilles, les pois et certains haricots. Voilà ce que c'est, en gros; mais les gens ne s'entendent pas nécessairement sur ce que cela comprend.
Le président : Merci, monsieur.
Le sénateur Robichaud : Ma première question s'adresse à M. Prouse et elle concerne l'Union européenne. Nous voulons tous que les évaluations des produits ou des processus que nous utilisons soient fondées sur des données scientifiques. Vous avez dit que l'Union européenne ne fonctionne pas de cette façon. Comment fonctionne-t-elle?
M. Prouse : Les évaluations de sécurité dont font l'objet les produits dans les pays de l'Union européenne ne sont pas très différentes des nôtres. Il y a la Commission européenne de sécurité des aliments. Les principes scientifiques utilisés sont semblables. Les produits reçoivent une approbation de sécurité, mais maintenant, ils doivent recevoir l'approbation de la commission. On passe maintenant par un processus politique, de sorte que ces approbations sont retardées.
Cela a des répercussions concrètes. Il y a des produits qui ne sont pas approuvés, les agriculteurs européens n'ont pas accès à certaines technologies, et les consommateurs européens n'ont pas accès à certains produits. Il y a donc le processus d'évaluation de la sécurité, et il y a le volet politique.
Nous croyons qu'il doit y avoir une réglementation fondée sur la science. Ici, au Canada, il n'y a pas de relation de dépendance. L'ACIA est un organisme indépendant et autonome qui utilise des normes scientifiques. Si elle approuve un produit, il n'y a pas d'autre point de passage politique. C'est différent en Europe. C'est un enjeu politique, et le nouveau président de la commission ne s'en excuse aucunement. Pour nous, c'est un problème.
Le sénateur Robichaud : Vous n'aimeriez pas que le comité recommande la mise en place d'une telle commission?
M. Prouse : C'est une excellente question. Selon nous, le système canadien de réglementation fondé sur des données scientifiques donne d'excellents résultats. Les Canadiens ont accès à l'un des systèmes d'approvisionnement alimentaire les plus sûrs, abondants et abordables du monde, et nous pensons que c'est grâce à la réglementation fondée sur des données scientifiques. Qu'ont généralement en commun les pays agro-exportateurs prospères? Une réglementation fondée sur la science.
Cela a un lien avec la présence de faibles quantités. Nous voulons former ce que nous appelons une « coalition de pays volontaires » parmi les pays agro-exportateurs qui croient en une réglementation fondée sur la science, afin de mettre un peu de pression sur ceux qui ne l'utilisent pas toujours.
Le sénateur Robichaud : Cette commission a-t-elle le dernier mot?
M. Prouse : Oui, la Commission européenne a le dernier mot. Il y a habituellement un arriéré d'approbations qui ne sont pas traitées. C'est une interdiction de fait, car les nouveaux produits ne reçoivent tout simplement pas son approbation. Elle ne les interdit pas catégoriquement; elle ne les approuve tout simplement pas.
M. Yarrow : Permettez-moi d'ajouter qu'il y a une certaine contradiction, et nous n'avons pas dressé un tableau entièrement fidèle de la situation. On pourrait dire que l'Union européenne est l'un des principaux marchés ouverts aux produits biotechnologiques, mais c'est pour l'alimentation animale. Les pays de l'Union européenne achètent tout le soja et le maïs qu'ils peuvent obtenir pour approvisionner leur industrie des aliments pour animaux, car ils ne peuvent en produire suffisamment eux-mêmes. Ils achètent du soja et du maïs des États-Unis et du Canada. Actuellement, en Amérique du Nord, une grande proportion provient de variétés qui ont été améliorées par la biotechnologie. Leur système de réglementation les approuve, mais en ce qui concerne les semences pour la culture, il n'en est pas question.
M. Prouse : Les pays de l'UE importent 30 milliards de tonnes métriques d'aliments pour animaux chaque année, des aliments génétiquement modifiés, car s'ils ne le font pas, ils ne pourront tout simplement pas nourrir leurs animaux. Il y a cette contradiction, et nous trouvons cela frustrant, évidemment.
Le sénateur Robichaud : J'en suis sûr.
Monsieur Graham, vous avez parlé à quelques reprises des 4R — le bon moment, le bon endroit, la bonne quantité. Où en sommes-nous dans la mise en place de ce système? Vous avez dit que Walmart n'a pas aimé le programme lorsqu'il a été mis en place, mais est-ce parce que selon l'entreprise, nous sommes encore trop loin des objectifs?
M. Graham : Je pense que Walmart croit que le système 4R est une solution pratique pour améliorer la durabilité des fermes canadiennes.
Les agriculteurs canadiens sont efficaces. Ils font du bon travail. Ils se soucient de l'environnement et de l'utilisation judicieuse des engrais. Nous sommes très près des 4R. Cela varie selon les fermes et selon les régions. Nous tentons de mobiliser tous les agriculteurs, et je pense que nous avons presque réussi. Nous devons évaluer l'incidence positive des 4R, déterminer dans quelle mesure nous pouvons réduire les émissions de gaz à effet de serre d'un champ de blé et dans quelle mesure nous pouvons réduire les rejets de phosphore dans le lac Érié en améliorant les pratiques déjà existantes.
La vérification est une partie de la solution. Au Manitoba, nous avons un programme dans lequel des agronomes déterminent si les programmes d'épandage d'engrais des agriculteurs dans le cadre du système 4R sont suffisants; s'ils le sont, nous considérons ces acres comme étant sous gérance environnementale.
Il nous faut également des données scientifiques. Nous devons pouvoir mesurer les émissions et l'amélioration du rendement afin que les gens de Walmart et les Canadiens puissent se rendre compte que les agriculteurs font du bon travail.
Voilà les principaux défis que nous devrons relever. Dans certaines parties du pays, on utilise un peu trop d'engrais, et dans d'autres, pas assez.
Le sénateur Robichaud : Quelle quantité de potasse du Nouveau-Brunswick est utilisée dans vos engrais?
M. Graham : Les sols du Canada sont naturellement riches en potasse; la quasi-totalité de la potasse produite au Canada, soit 95 p. 100, est envoyée aux États-Unis et dans une soixantaine d'autres pays. Nous n'utilisons pas beaucoup de potasse au Canada. Cela fait partie d'une fertilisation équilibrée, mais une grande partie de notre industrie est mue par les marchés d'exportation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question concerne la gestion de l'offre. Vous savez que certains secteurs de la production agricole bénéficient de la gestion de l'offre que le gouvernement s'engage à maintenir. C'est une bonne décision, d'ailleurs. Ceci fait que des produits sont vendus à un prix plus élevé que dans certains autres pays producteurs. Comment cette situation va-t-elle jouer dans la progression de nos exportations de produits agricoles?
[Traduction]
M. Prouse : Nous avons tendance à faire comme la Suisse sur la question de la gestion de l'offre, tout simplement parce que nous sommes dans le secteur des sciences végétales et que la gestion de l'offre concerne le secteur des produits laitiers, notamment; nous ne sommes donc pas enclins à intervenir sur cette question. Disons que nous n'avons pas d'intérêts défensifs en matière de commerce. Nos membres s'occupent d'exportations. Comme vous l'aurez remarqué, nous mettons davantage l'accent sur la biotechnologie, son innocuité et son utilisation comme barrière commerciale.
La gestion de l'offre est donc, en fin de compte, une question de nature politique dont s'occupe le gouvernement. Mon président dirait que nous avons suffisamment de chats à fouetter et que nous n'avons pas besoin de nous occuper de cette question.
M. Graham : Effectivement, la production animale, et en particulier la gestion de l'offre, n'est pas de notre ressort, bien que toute la production animale dépende des cultures agricoles. De plus, bien des agriculteurs dont la production est soumise à la gestion de l'offre utilisent aussi des engrais pour faire pousser les cultures sur leurs propres terres afin de nourrir leurs animaux. Les gains d'efficacité sur le plan des cultures destinées à la consommation animale sont bons pour la gestion de l'offre et pour toute la production animale. Quant à savoir si la gestion de l'offre est le meilleur système, je laisserai à d'autres le soin de le déterminer.
La sénatrice Merchant : Lorsque vous avez parlé de la présence de faibles quantités, le président vous a demandé une définition du terme. Est-ce cela qui s'est produit, il y a quelques années, quand on a trouvé du triticale dans des cargaisons de grains? Cela a eu une incidence importante sur les exportations, je crois; mais j'ignore combien cela fait de temps.
M. Yarrow : Vous parlez sans doute du lin Triffid et non du triticale, qui est apparenté au blé.
La sénatrice Merchant : Cela remonte à quelques années.
M. Yarrow : Il y a eu toute une histoire concernant le lin; c'est un excellent exemple de la présence de faibles quantités.
Le lin est l'une des meilleures cultures au Canada. Nous avons connu d'excellentes possibilités d'exportation vers les pays de l'UE. Ils achetaient notre lin. Ils le considéraient comme étant de très bonne qualité. Toutefois, comme vous le savez, ils éprouvent une certaine aversion pour le lin issu de la biotechnologie. Il y a plusieurs années, une variété de lin issu de la biotechnologie a été conçue. Cela remonte à 15 ou 20 ans. Cette variété a franchi le processus de réglementation au Canada et a été entièrement approuvée ici et dans plusieurs autres pays. Malheureusement, l'industrie du lin, consciente des sensibilités de l'UE, a insisté pour que ce lin ne soit pas commercialisé. Il n'a donc pas été cultivé de façon importante, et les choses ont continué à bien aller.
Hélas, pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires, les pays de l'Union européenne, qui sont très chatouilleux à propos de la biotechnologie, comme je l'ai dit, et qui procèdent à beaucoup d'analyses des importations, pour le lin ou d'autres grains, ont trouvé de très petites quantités — la présence accidentelle, pourrait-on dire — de ce lin génétiquement modifié. Cela a essentiellement mis fin aux exportations de lin du Canada vers les pays de l'Union européenne et a eu des conséquences dévastatrices sur l'industrie du lin.
On s'est intéressé de plus près à la nécessité d'une politique générale sur ce qu'il convient de faire dans ce genre de situation, étant donné que cette variété de lin avait franchi le processus de réglementation, du moins au Canada, et avait été jugée parfaitement sûre. Je ne me rappelle pas trop ce qui s'est passé dans le système de l'UE, mais il n'y a jamais eu d'approbation dans ces pays. C'est un exemple classique de présence de faibles quantités.
La sénatrice Merchant : Avons-nous trouvé un moyen de régler cette question?
M. Yarrow : L'industrie du lin a fait beaucoup d'efforts pour s'assurer que toutes les cargaisons expédiées dans les pays de l'UE respectaient leurs normes très strictes. D'après ce que je comprends, et je ne suis pas un expert de l'industrie du lin, le marché d'exportation canadien du lin vers les pays de l'UE s'est redressé dans une certaine mesure. Toutefois, cela signifie à coup sûr que lorsqu'il y a approbation asynchrone — lorsque des produits sont approuvés dans un pays mais pas dans un autre, et que certains de ces produits peuvent néanmoins être expédiés dans les cargaisons de grains d'un pays à un autre —, les envois de grains sont extrêmement vulnérables. On peut imaginer ces énormes navires remplis de grains qui attendent dans le port de Frankfort. Aussitôt qu'il est question de la présence en faibles quantités d'une culture dite génétiquement modifiée, nous avons un problème. Cela coûte extrêmement cher aux manutentionnaires de grains et revient toujours nuire à notre économie.
La sénatrice Merchant : Vous avez dit, je crois, que le Manitoba était l'une des provinces que vous aviez choisies pour le système 4R. L'Alberta est-elle aussi du nombre?
M. Graham : Oui.
La sénatrice Merchant : Et la Saskatchewan?
M. Graham : Nous concentrons habituellement nos programmes là où les besoins sont les plus pressants. Au Manitoba, le lac Winnipeg a des problèmes de phosphore et de prolifération d'algues. En Ontario, le lac Érié connaît aussi des problèmes relativement à la charge en phosphore. Vous savez sans doute ce qui s'est passé dans la ville de Toledo, en Ohio, près du lac Érié. De plus, l'Île-du-Prince-Édouard est aux prises avec des nitrates dans les eaux souterraines.
Évidemment, tous les enjeux environnementaux sont importants. Nous pensons que le sentiment d'urgence en Saskatchewan n'est pas aussi grand qu'ailleurs au pays, mais nous mettrons en œuvre le programme en Saskatchewan.
Je vous rappelle que ce sont des programmes. Toute notre industrie collabore en vue d'offrir chaque jour aux agriculteurs des conseils judicieux sur l'utilisation efficace de nos produits. Chaque printemps, des recommandations sont faites concernant l'utilisation la plus efficace des engrais. C'est motivé par des considérations économiques. Les agriculteurs doivent acheter de l'engrais, et ils veulent en avoir le plus pour leur argent. L'utilisation efficace de l'engrais est rentable, et c'est bénéfique pour l'environnement.
La Saskatchewan est une zone agricole moderne et efficace. Nous nous sommes donc concentrés ailleurs. Nous vendons plus d'engrais en Saskatchewan que dans toute autre province. Nous tenons donc évidemment à mettre en œuvre notre programme dans la province.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, messieurs. Je vous remercie de votre participation au comité.
Monsieur Graham, je vais revenir sur la discussion que vous avez eue avec la sénatrice Merchant. Vous dites que vous concentrez vos efforts dans les Prairies et l'Ontario en ce qui concerne la recherche sur les engrais. Est-ce que cela veut dire que les terres de l'Est du Canada sont plus productives et ont moins besoin d'engrais que celles du Centre du Canada?
[Traduction]
M. Graham : Nous considérons que chaque exploitation agricole est différente. Il faut donc faire des recommandations concernant les engrais selon les régions.
La production agricole est moindre au Québec qu'ailleurs. Cela varie en fonction des terres arables et de la capacité de production. Nos ventes d'engrais varient d'une région à l'autre, par exemple. Le Québec est évidemment un marché important pour les engrais, et la production agricole y est bien entendu considérable. Nos entreprises membres au Québec, comme La Coop fédérée et Synagri, collaborent aussi très étroitement avec les producteurs en vue de veiller à une utilisation efficace des engrais.
[Français]
Le sénateur Maltais : D'après ce que vous dites, le Québec ne se nourrit pas et n'a pas assez de terres arables. Pourtant, le Québec est un grand exportateur. Je ne parle pas des cultures du Centre du Canada. Le Québec n'est pas une terre à soja et ne s'adonne pas aux monocultures. Mais nous nourrissons assez bien nos porcs, nos bœufs et nos moutons, et nous produisons assez de légumes pour nourrir 9 millions de personnes, ce qui n'est pas si mal. Vous menez de nombreuses recherches avec les universités à hauteur de 200 000 $ par année. Combien en faites-vous avec les universités du Québec?
[Traduction]
M. Graham : Je n'ai pas les chiffres exacts. Nous avons un projet au Québec qui se trouve dans le prochain cycle de financement; il s'agit d'un projet d'envergure en collaboration avec Agriculture et agroalimentaire Canada.
[Français]
Le sénateur Maltais : Est-ce que cela signifie que les agriculteurs du Québec se procurent des engrais qui ne viennent pas nécessairement des entreprises dont vous parlez?
[Traduction]
M. Graham : Nous représentons environ 97 ou 98 p. 100 de l'industrie canadienne des engrais. C'est donc très probable qu'un agriculteur québécois achète de l'engrais de l'une de nos entreprises membres ou d'une entreprise qui se procure l'engrais chez l'une de nos entreprises membres.
Le Québec est un marché très important pour notre industrie et représente une part considérable de l'industrie agricole au Canada. Si nous regardons seulement les statistiques et la superficie de terres arables, le Québec en a moins que certaines autres provinces, mais chaque acre au Canada est importante à nos yeux. Comme je l'ai dit, nos entreprises membres sont très actives au Québec.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je ne parle pas uniquement du Québec, mais bien de l'Est du Canada, jusqu'à Terre-Neuve. Revenons aux recherches que vous menez avec les universités. Par exemple, combien en faites-vous avec les Universités Dalhousie, Moncton et Laval? L'enveloppe de 200 000 $ que vous consacrez à la recherche par année, pour tous les fabricants d'engrais, quelle portion de votre chiffre d'affaires représente-t-elle?
[Traduction]
M. Graham : Je dirais tout d'abord que nous avons d'autres projets de programmes. Nous avons un projet en partenariat avec l'Université Dalhousie. Nous essayons de conclure une entente avec le Nouveau-Brunswick. Nous espérons en faire l'annonce incessamment. Nous avons des fermes de démonstration à l'Île-du-Prince-Édouard où des agriculteurs mettent en pratique le système des 4R; nous en examinons les résultats.
J'aimerais mentionner qu'il y a peu de pédologues au Canada qui ont les ressources pour faire ce que nous faisons. Si nous avions 50 millions de dollars à investir dans la pédologie, il n'y aurait probablement pas suffisamment de chercheurs ayant un doctorat qui pourraient faire ce que nous faisons. Selon moi, dans le domaine scientifique, c'est souvent la qualité du travail et de son intégration qui l'emporte sur la quantité.
Le président : Monsieur Graham, pourriez-vous nous faire parvenir par l'entremise du greffier la liste de vos installations de recherche au Canada qui fonctionnent en collaboration grâce à des ententes en ce qui concerne ce dont vous venez de parler à l'Île-du-Prince-Édouard ou ailleurs?
M. Graham : Certainement. Nous pouvons bien entendu vous transmettre la liste de nos projets de travaux scientifiques et de nos fermes de démonstration que supervisent des agronomes. Nous ne pourrons probablement pas tout vous divulguer en ce qui concerne notre demande de subvention auprès du gouvernement du Canada, parce que ce sont encore des renseignements confidentiels, mais nous pouvons certes vous transmettre l'information disponible.
[Français]
Le sénateur Maltais : J'ai une dernière question à vous poser. Est-il possible que les agriculteurs de l'Est du Canada achètent une partie de leur engrais du côté américain?
[Traduction]
M. Graham : En ce qui concerne le fonctionnement du marché canadien des engrais, le Canada est dans l'ensemble autosuffisant en matière d'engrais, mais c'est en fait plus rentable dans l'Est du Canada d'acheminer de l'engrais par la voie des mers en raison du transport et de la logistique. Certains engrais sont acheminés par rail des États-Unis, mais une grande partie des engrais sont importés par navire, au lieu d'être transportés par rail de l'Ouest canadien. C'est un choix économique que font les agriculteurs pour obtenir le meilleur prix.
Notre industrie se compose de fabricants et de distributeurs canadiens, mais aussi d'entreprises qui importent de l'engrais au Canada. Cela explique en partie la robustesse de notre industrie. Les agriculteurs peuvent se procurer à leur guise l'engrais le plus rentable.
Le président : Bref, dans l'Est canadien et aux États-Unis, cela se fait en fonction de l'analyse du coefficient de coût.
M. Graham : Oui. Les entreprises et les agriculteurs décident de l'endroit où ils veulent acheter leurs engrais. De l'engrais de l'Ouest canadien est envoyé dans l'Est canadien, mais l'engrais est grandement importé dans l'Est canadien, tout simplement parce que la voie maritime est un moyen de transport très efficace sur le plan logistique.
Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, de vos exposés. Il ne fait aucun doute que les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire sont importants dans notre économie. Ils créent des emplois et stimulent l'économie.
Selon ce que j'en comprends, parmi les raisons qui expliquent le grand succès de nos exportations, il y a les multiples accords de libre-échange qu'a conclus le Canada avec d'autres pays. Certains ont été signés, et d'autres sont actuellement en vigueur. Pourriez-vous nous expliquer les avantages de ces accords de libre-échange sur les secteurs canadiens de l'agriculture et de l'agroalimentaire?
M. Prouse : Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, nous sommes très favorables aux initiatives du gouvernement du Canada en vue d'accroître les échanges commerciaux. Selon moi, le plus important actuellement, ce n'est pas seulement l'élimination des tarifs douaniers, mais bien le caractère exhaustif des accords. Prenons par exemple l'AECG; cet accord est beaucoup plus complet que l'était il y a 20 ans l'accord de libre-échange Canada-États-Unis.
Pour vous donner une idée, à notre avis, il est important d'avoir un mécanisme de règlement des différends concernant les questions liées à la biotechnologie et de nous entendre sur des définitions communes. Comme je l'ai expliqué plus tôt, nous sommes aux prises avec de nombreuses barrières non tarifaires, et c'est très important d'avoir un mécanisme de règlement au sujet de ces barrières non tarifaires, de les reconnaître et de reconnaître également la règlementation fondée sur des données scientifiques. Nous avons de plus en plus d'accords commerciaux et économiques exhaustifs, ce que nous voyons d'un très bon œil.
Le sénateur McIntyre : En consultant la liste des accords commerciaux, il semble que les entreprises asiatiques, en particulier au Japon et en Chine, sont des marchés essentiels pour les secteurs canadiens de l'agriculture et de l'agroalimentaire, tandis que des marchés dans d'autres pays ne sont pas aussi actifs à cet égard. Pourquoi? Est-ce, parce que la Chine, par exemple, a une plus grande population que d'autres pays?
M. Yarrow : Oui. La taille du pays influe grandement sur la demande, et la Chine doit répondre aux besoins de sa population. Les Chinois se rendront littéralement partout dans le monde pour acheter ce dont ils ont besoin.
J'étais en Chine en juin dernier, et quelque chose m'a frappé en discutant avec des représentants chinois. Je ne crois pas qu'ils ont dit cela pour être polis, mais ils n'arrêtaient pas de parler de la qualité du produit canadien. Ils trouvent nos produits très attrayants. Ils ont mentionné la qualité supérieure de l'eau utilisée pour fertiliser les champs, ainsi que les engrais, et bien entendu le canola, entre autres choses. Ils comparaient la situation canadienne aux conditions en Chine, où il y a une pollution élevée, et cetera. J'ai été surpris d'entendre à quel point c'était un facteur déterminant pour ce qui est de la qualité.
Le sénateur Enverga : Merci, messieurs, des renseignements pertinents dont vous nous avez fait part. Nous avons entendu dire que certains de nos produits nous sont retournés en raison de la présence de faibles quantités d'OGM. Voici ma question. Est-il possible que des Canadiens retournent des produits à d'autres pays en raison de la présence de faibles quantités d'OGM?
M. Prouse : Stephen, corrigez-moi si je me trompe, mais je ne crois pas. Le Canada est un exportateur net d'aliments. Lorsqu'il est question de la présence de faibles quantités d'OGM, il s'agit principalement de grains et d'oléagineux. Le Canada est producteur et exportateur de grains et d'oléagineux, mais il n'en importe pas vraiment. Vous soulevez toutefois un bon point. Il importe d'élaborer une politique nationale sur la présence de faibles quantités d'OGM, ce que nous sommes en train de faire. Nous pourrons ensuite essayer de former la coalition de pays volontaires, dont j'ai parlé, pour inciter d'autres pays à adhérer à cette politique. Ce processus en cours.
Le sénateur Enverga : Vous avez mentionné que la présence de faibles quantités d'OGM pose problème à l'UE. Avons-nous essayé de conclure une entente avec d'autres fabricants de l'UE en vue de réduire les conséquences commerciales des problèmes et de la confusion?
M. Yarrow : Eh bien, nous avons parlé de l'Accord économique et commercial global Canada-Union européenne. Au début des discussions, notre industrie avait très bon espoir que la biotechnologie constituerait une partie importante de cet accord ou serait au moins incluse, mais l'Union européenne et la commission n'ont pas réussi à s'entendre sur la question.
Cela étant dit, dans la proposition, il est fait mention de la possibilité d'avoir un dialogue approfondi en vue de permettre des discussions sincères entre les organismes de réglementation et les décideurs du Canada et de l'Union européenne au sujet des enjeux liés à la biotechnologie, c'est-à-dire de discuter des problèmes liés à la présence de faibles quantités d'OGM. Ce que l'avenir nous réserve en la matière est difficile à prévoir. Honnêtement, nous ne sommes pas très optimistes à cet égard.
Le sénateur Enverga : Vous avez dit que nous exportons en gros 95 p. 100 de notre production dans l'Est. Compte tenu de tous ces accords commerciaux, avons-nous suffisamment d'engrais?
M. Graham : C'est une bonne question, ce qui veut normalement aussi dire que c'est une question difficile à répondre.
Notre industrie et l'industrie de la potasse ont investi plus de 15 milliards de dollars au cours de la dernière décennie en vue d'accroître leur capacité de production d'engrais, principalement en Saskatchewan, mais également au Nouveau-Brunswick, ce qui entraîne une augmentation considérable de notre production. C'est très avantageux pour l'économie canadienne. La Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick profitent de l'infrastructure provenant de ces milliards de dollars investis et de l'augmentation constante de la production dans les collectivités où se trouvent les mines. De plus, nous investissons beaucoup d'argent dans les chemins de fer, les installations portuaires et les navires. L'infrastructure globale en vue d'exporter de l'engrais dans le monde est extrêmement bénéfique à l'économie canadienne, et ce n'est qu'un début. L'industrie des engrais azotés a également réussi à accroître sa production.
Actuellement, on produit suffisamment d'engrais dans le monde. Par contre, la population mondiale augmente et atteindra les 9 milliards d'habitants. On devra donc continuer de produire plus d'engrais, parce qu'on ne peut pas faire pousser plus de nourriture sans avoir plus d'engrais. Nous devrons utiliser encore plus efficacement les engrais, mais la production d'engrais devra continuer de s'accroître.
L'un des éléments positifs en ce qui concerne la potasse, c'est que nous avons des gisements que nous pourrons encore exploiter durant des centaines d'années en Saskatchewan. Bref, notre capacité de maintenir notre production actuelle à long terme n'est pas vraiment en danger.
La sénatrice Beyak : La séance est très instructive, et vous avez répondu à la majorité de mes questions sur la gestion de la présence de faibles quantités d'OGM dans nos cultures. Le gouvernement fédéral est en train de rédiger un projet de politique. Croyez-vous que les bonnes personnes y participent et qu'elles posent les bonnes questions? La manière dont les problèmes sont abordés vous satisfait-elle?
M. Yarrow : En gros, oui à toutes vos questions. Nous sommes très heureux des discussions. Ces pourparlers sont très productifs. Les représentants canadiens se montrent respectueux et demandent l'opinion de l'industrie, dont la nôtre, soit les concepteurs du secteur de la biotechnologie qui créent les cultures génétiquement modifiées. Il s'agit de vastes discussions; les autorités consultent bon nombre de nos partenaires, y compris les Producteurs de grains du Canada et l'Association canadienne des producteurs de semences. Je crois que c'est très positif.
M. Prouse : Je ne crois pas que nous pouvons trop insister sur l'importance des discussions; nous sommes très reconnaissants que le Canada prenne les rênes dans ce dossier sur la scène internationale. C'est difficile. Personne ne veut se lancer en premier. Tout le monde espère qu'une autre grande nation exportatrice de produits agricoles assumera le leadership dans ce dossier. Le Canada le fait, et nous sommes reconnaissants des initiatives du Canada en la matière.
La sénatrice Beyak : Dans un tout autre ordre d'idées, notre comité étudie la santé des abeilles et les répercussions des pesticides sur les abeilles. Une étude française a essayé de jeter le blâme sur les néonicotinoïdes, mais les autorités n'ont constaté aucune différence considérable après deux ans sans utiliser le produit. Avez-vous obtenu ces renseignements en vue de les intégrer à vos travaux sur les mythes et les réalités?
M. Prouse : Oui. Il y a beaucoup de données scientifiques disponibles. Étant donné que ce dossier retient beaucoup l'attention de la population, on investit maintenant grandement dans la recherche. Comme on investit grandement dans la recherche, vous constaterez la publication d'un flot constant de travaux scientifiques en la matière. Certains seront plus utiles que d'autres.
Nous croyons que c'est la raison d'être de notre organisme de réglementation indépendant. Le travail de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire sous l'égide de Santé Canada est de passer en revue toutes les données scientifiques et non seulement les données scientifiques que l'organisme choisit ou préfère. Le travail de l'organisme est de passer en revue toutes les données scientifiques. Nous croyons que la présence d'un organisme de réglementation indépendant qui se fonde sur les données scientifiques sert mieux les intérêts des Canadiens. Voilà le rôle de l'organisme, et il le joue bien.
La sénatrice Unger : Merci, messieurs. J'ai beaucoup appris au sujet des enjeux en question. La majorité de mes questions ont été répondues, mais je ne sais pas si vous venez de répondre à ma question, monsieur Prouse. Nos données scientifiques ne sont pas acceptées dans cette soi-disant partie de bras de fer. L'OMS joue-t-elle un rôle dans tout cela?
M. Prouse : En toute honnêteté, nous soulignons toujours que l'Organisation mondiale de la santé a affirmé que les cultures issues de la biotechnologie peuvent être consommées sans danger. L'OMS a donné son sceau d'approbation. Il en va de même pour l'Autorité européenne de sécurité des aliments. Les autorités ont confirmé que les cultures issues de la biotechnologie peuvent être consommées sans danger. Voilà pourquoi notre frustration est telle. L'opposition à ce sujet est de nature politique. Ce n'est pas une question de sécurité, parce que chaque grande autorité en matière de santé dans le monde et chaque grand organisme de réglementation des pays développés ont confirmé la sécurité de ces cultures. En toute justice, l'OMS a affirmé que les cultures issues de la biotechnologie sont sans danger pour la consommation humaine, et nous tenons à le souligner.
La sénatrice Unger : Ce n'est pas vraiment une coalition de pays volontaires.
M. Prouse : Par coalition des pays volontaires, j'entends les grandes nations exportatrices de produits agricoles. Et je placerais en tête de liste le Canada, les États-Unis, le Brésil, l'Argentine et l'Australie.
La sénatrice Unger : Ma dernière question concerne la Commission sur la réduction de la paperasse. À votre avis, est-ce que les travaux sont terminés ou pas? Ces travaux concernent la réduction de la réglementation.
M. Prouse : Il y aura toujours des progrès à faire dans ce dossier. Je vais demander à M. Yarrow d'intervenir à ce sujet, parce que nous menons en ce moment des travaux tout à fait particuliers avec l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Par rapport au processus auquel nous avons pris part, nous avions des demandes et des recommandations très précises à faire, surtout en ce qui concerne l'Agence canadienne d'inspection des aliments et nous essayons de trouver le moment de vérité.
M. Yarrow : Par rapport à ce à quoi fait allusion mon collègue, j'aimerais revenir sur la façon dont sont réglementées les cultures issues de la recherche en biotechnologie pour s'assurer qu'elles sont sécuritaires pour l'alimentation humaine et animale. On procède à une évaluation environnementale et à une évaluation des aliments du bétail. Ces deux évaluations sont faites par l'Agence. Santé Canada procède ensuite à une évaluation de la salubrité des aliments.
Sans trop aller dans les détails, un certain nombre d'éléments sont communs aux trois et quelquefois aux deux types d'évaluation. Nous essayons de faire valoir auprès des responsables de la réglementation que ces cultures sont réglementées depuis maintenant 20 ans et que les nouvelles cultures sont en général très semblables aux anciennes. N'est-il donc pas temps d'améliorer l'efficacité de la réglementation et de s'occuper des chevauchements? Dans ce dossier, nous avons actuellement des discussions très prometteuses avec l'Agence et Santé Canada.
La sénatrice Unger : Merci. Monsieur Graham, on a déjà répondu à la plupart des questions que je voulais vous poser, mais j'en ai une assez brève. Est-ce qu'il y a de la potasse en Alberta?
M. Graham : Je ne suis ni géologue, ni prospecteur, mais je crois, sous toutes réserves, qu'il pourrait y avoir certains gisements au-delà de la frontière. Les principaux gisements se trouvent en Saskatchewan, mais comme les Albertains sont très forts pour trouver et exploiter les ressources du sous-sol, je suis sûr qu'ils les trouveront, s'il y en a.
Le président : Chers témoins, votre message est on ne peut plus clair : il faut une réglementation et des normes fondées sur la science et le système 4R. Des témoins précédents ont parlé des quatre éléments que sont l'alimentation, les forêts, les combustibles et les fertilisants. Le pays qui intègre ces quatre éléments montrera le chemin. Nous vous demandons de continuer à montrer le chemin pour le Canada. Merci.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre le deuxième groupe de témoins.
[Français]
Nous accueillons Mme Johane Séguin, vice-présidente, Extraction et Ressources, d'Exportation et développement Canada, et M. Marc Deschenes, directeur des comptes stratégiques, Exportation et développement Canada.
[Traduction]
Merci d'avoir accepté notre invitation et de nous faire part de vos commentaires. On me dit que Mme Séguin fera un exposé, qui sera suivi des questions des sénateurs.
[Français]
Johane Séguin, vice-présidente, Extraction et Ressources, Exportation et développement Canada : Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que tous les membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous apprécions l'intérêt que vous portez à EDC et au rôle que nous jouons dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire, et surtout, à l'appui que nous apportons aux entreprises de ces secteurs en ce qui a trait à leurs activités sur les marchés internationaux.
[Traduction]
Je vais prendre quelques instants pour vous parler d'Exportation et développement Canada, de son principal mandat et de son action. À titre de société d'État, EDC a pour mandat d'aider les exportateurs et les investisseurs canadiens à l'étranger en appuyant les activités qu'ils y mènent. Ce mandat nous a été confié il y a plus de 70 ans par le gouvernement du Canada.
Nous sommes une institution financière et travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires bancaires ainsi qu'avec les banques internationales. Permettez-moi de vous donner des exemples de produits et services que nous offrons.
Premièrement, l'un des produits très populaires auprès des exportateurs canadiens est l'assurance comptes-clients. Idéalement, ils demanderaient un paiement d'avance, ce qui n'est pas toujours possible. Pour être concurrentiels, ils offriraient des conditions de paiement. Après la prestation, un acheteur dira : « Je vous paierai dans 30 ou 90 jours, ou plus tard ». Pour atténuer ces risques, nous protégeons les comptes-clients internationaux contre le non-paiement.
Deuxièmement, nous finançons les entreprises canadiennes qui ont des projets d'expansion de leurs exportations. Ce financement prend la forme de garanties bancaires canadiennes. Il vise également des entreprises canadiennes qui ont d'importants contrats à l'exportation ou qui ont des investissements à l'étranger.
Troisièmement, nous finançons des acheteurs étrangers qui achètent de l'équipement et des services canadiens. Nous avons bien d'autres services, mais je parlerai de ces trois principaux-là. Je suis par ailleurs tout à fait disposé à répondre aux questions que vous pourriez avoir sur d'autres produits.
Nous croyons que votre étude est menée au bon moment. Des témoins précédents vous l'ont dit, et c'est l'avis d'EDC, que le secteur agricole et agroalimentaire canadien est très bien placé pour tirer profit de la demande croissante au niveau international.
Selon plusieurs études, dont une de l'OCDE et de la FAO, les causes principales de l'accroissement de la demande au niveau international sont l'augmentation de la population, et celle des revenus de la classe moyenne dans les pays émergeant. On constate également un changement des régimes alimentaires caractérisé par une augmentation de la demande de produits protéinés ou de viande, de même qu'une utilisation plus poussée des cultures agricoles destinées aux biocarburants et aux biomatériaux.
[Français]
Les intervenants agricoles et agroalimentaires s'accordent pour dire que l'un des facteurs clés pour obtenir du succès sur la scène internationale et pour saisir l'occasion de la croissance de la demande au niveau de ce secteur, c'est d'avoir accès au crédit et de réduire les risques financiers lorsqu'on travaille à l'étranger.
J'aimerais vous donner une idée globale de notre participation à ce secteur au niveau international. Je vais donner des chiffres et, pour faire une petite parenthèse, lorsque je donne les chiffres, c'est par rapport au secteur des produits de consommation agricoles, qui inclut aussi l'élevage et les pêches. Les chiffres comprennent tout ce qui concerne la nourriture qui est transformée, ainsi que les équipements et la technologie.
En 2013, nous avons octroyé plus de 6,5 milliards de dollars d'appui à l'exportation et aux investissements à l'étranger, seulement dans ce domaine. Cela représente environ 7 p. 100 du chiffre global, tous secteurs confondus de l'EDC en 2013. Donc, cet appui est apporté aux entreprises situées dans toutes les provinces canadiennes, et certaines sont plus productives que d'autres. Je pourrai en parler plus tard. Les marchés principaux visés par ces exportateurs et ces investisseurs se chiffrent à 40 p. 100 aux États-Unis, à 20 p. 100 en Asie, à 15 p. 100 en Europe et, en Amérique latine, à 10 p. 100.
Nous avons présentement plus de 800 clients canadiens qui œuvrent dans ce domaine, dont 80 p. 100 sont des PME. Nous ne nous limitons pas seulement aux produits financiers. Au-delà de cela, avec nos partenaires tels que le MAECD, les provinces et les associations canadiennes du secteur, nous organisons aussi des activités clés avec des clients internationaux potentiels pour faire connaître la capacité canadienne. Nous participons à des foires et à des forums pour faire connaître la capacité canadienne dans le secteur agricole et agroalimentaire.
[Traduction]
Je tiens à signaler que nous sommes une institution financière. Il y a des éléments que je préférerais ne pas aborder, tels que les politiques, et éventuellement certains renseignements techniques relatifs à l'industrie agricole et agroalimentaire. Les gens qui sont venus témoigner ces derniers jours ou ces dernières semaines étaient en bien meilleure position pour en parler.
Pour finir, nous constatons certainement un accroissement de la demande de produits agricoles et agroalimentaires à l'étranger. Nous croyons que le Canada a de grands atouts dans ces secteurs, notamment de vastes terres et de l'eau en abondance, ainsi qu'un équipement et des technologies de calibre mondial. Nous avons la réputation d'offrir des aliments sécuritaires et de haute qualité. Enfin, nous avons d'excellentes infrastructures qui nous permettent d'accroître la production.
Ainsi, nous avons augmenté nos ressources et notre effectif pour appuyer ces secteurs. Nous nous réjouissons à la perspective d'appuyer encore davantage le secteur agricole et agroalimentaire. Nous vous remercions beaucoup de nous avoir écoutés. Mon collègue, Marc Deschenes, et moi serons ravis de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Séguin et monsieur Deschenes.
La sénatrice Merchant : J'espère que vous pourrez répondre à mes questions concernant notre capacité à livrer des produits alimentaires et à commercer davantage avec les pays de l'Union européenne et de l'Asie, tout cela pour accroître nos exportations.
Premièrement, comment conciliez-vous l'accroissement de la demande de nos produits et notre capacité de livraison vers ces marchés? Avons-nous la capacité de livrer en temps opportun? Pourriez-vous répondre à cette question?
Deuxièmement, si nous ne sommes pas en mesure de livrer rapidement nos exportations — par exemple, nos agriculteurs de l'Ouest n'auront pas d'argent pour ensemencer la récolte de l'an prochain — est-ce que l'assurance que vous offrez couvrirait ce genre de risques.
[Français]
Marc Deschenes, directeur des comptes stratégiques, Exportation et développement Canada : Je tenterai de répondre aux questions posées. En ce qui concerne la capacité du Canada à exporter, j'aimerais répondre à la question de façon un peu indirecte en comparant les avantages compétitifs du Canada par rapport à d'autres pays.
On parlait tantôt de l'infrastructure et du transport. Oui, je comprends que certains fermiers et intervenants dans le secteur ont des problèmes à expédier leurs produits à temps. Cependant, j'examine les autres grands pays exportateurs, tel le Brésil. Ils ont des problèmes dans une mesure beaucoup plus grande. Je vous donnerai un exemple pour caractériser le problème. Au Brésil, ce printemps, pour les récoltes céréalières, il y avait au port, à côté de São Paulo, qui s'appelle Santos, une queue de 80 kilomètres de camions chargés de marchandises agricoles qui attendaient. Les problèmes existent. Ils doivent être résolus par des investissements majeurs en faveur des infrastructures, autant au Canada qu'ailleurs. En comparaison, le Canada est bien positionné. On a tout de même des infrastructures modernes. On a des systèmes d'entreposage efficaces. La plupart des pays dans le monde n'ont pas ce type d'infrastructures modernes pour l'entreposage des céréales et doivent attendre que les moyens de transport soient disponibles. De ce côté, on a un avantage compétitif énorme. N'oubliez pas qu'on a le marché asiatique de la côte ouest, et tout ce qui touche l'Europe et l'Afrique du côté est. D'un point de vue compétitif, notre pays est très bien positionné.
[Traduction]
La sénatrice Merchant : Qu'en est-il de l'assurance? Vous avez parlé de l'assurance que vous offrez. Est-ce qu'elle pourrait aider les agriculteurs et je ne parle que d'eux pour l'instant, car ils ont besoin d'argent pour ensemencer la prochaine récolte. Ou encore ont-ils d'autres sortes d'assurance auxquelles ils peuvent recourir?
Mme Séguin : EDC couvre leurs comptes débiteurs, quelle que soit la taille de l'entreprise ou bien qu'il s'agisse d'un agriculteur ou d'une autre entité. L'entreprise ne peut pas être trop petite pour ne pas profiter de l'assurance des comptes débiteurs et de la couverture du risque de non-paiement. Qu'ils soient modestes ou importants, nous assurons leurs comptes débiteurs. Cette couverture est à leur disposition, quel que soit par ailleurs le type de produits agricoles. Nous pouvons couvrir tous les produits.
La sénatrice Merchant : Mais ils doivent livrer leurs produits à l'acheteur. C'est leur incapacité d'expédier qui pose problème. Ce n'est pas que l'acheteur ne paie pas, c'est que les capacités ferroviaires ne sont pas suffisantes. Et je ne parle pas seulement des céréaliers, mais aussi des producteurs de potasse qui ont besoin d'un certain nombre de wagons, tout comme d'ailleurs les producteurs pétroliers. Je parle du transport de tous ces produits que nous recevons et que nous expédions, des conteneurs qui nous viennent d'Asie.
Mme Séguin : L'assurance ne couvre pas l'impossibilité de transporter les produits, si c'est ce que vous demandez.
La sénatrice Unger : Ma question concerne les risques. Essentiellement, vous garantissez les montants que les banques prêtent aux gens. Auriez-vous un commentaire à ce sujet? Par ailleurs, est-ce qu'EDC a eu à radier des prêts?
Mme Séguin : S'agissant des risques, prenons le scénario d'un prêt accordé à une entreprise étrangère qui nous achète de l'équipement ou des services. Les risques sont variés. Comme pour tout autre banque, le premier risque serait financier, de sorte que nous procédons toujours à une analyse financière, mais il y a bien d'autres risques, par exemple ceux qui sont associés au pays où se trouve l'emprunteur et à la situation politique de ce pays. Nous examinons toujours également les risques associés à la responsabilité sociale des entreprises, à la réputation et à l'environnement, le cas échéant. Pour être honnête, dans le secteur agricole et agroalimentaire, les risques associés à la responsabilité sociale des entreprises et à l'environnement sont moins importants que lorsqu'il s'agit d'un projet minier, ou d'un projet pétrolier et gazier. Voilà les principaux risques que nous examinons. Il y a enfin le risque associé à la capacité de l'exportateur de livrer les produits. Voilà donc les principaux risques que nous étudions.
Quelle était la deuxième question?
La sénatrice Unger : Est-ce que vous avez eu à radier des prêts?
Mme Séguin : Je ne peux pas vous répondre, je ne sais pas, mais nous pouvons vérifier s'il y a eu des radiations dans le secteur. Ce n'est pas évident. Nous avons quelquefois des radiations, mais dans d'autres secteurs. Nous pouvons vérifier cette information, si vous voulez.
Le président : Oui, auriez-vous l'obligeance de la vérifier et de la transmettre au greffier?
Mme Séguin : Absolument.
La sénatrice Unger : Comment procédez-vous à l'évaluation des risques dans un pays étranger? Comment cela se passe-t-il?
Mme Séguin : EDC a plus de 1100 employés, dont un bon pourcentage s'occupe de garantir les transactions. On examine donc tous les risques. Nous avons accès à diverses sources, outre la surveillance régulière que nous faisons du pays. Sur les sites web, nous examinons les risques associés à la responsabilité sociale des entreprises et à l'environnement. Je veux parler des sites web de l'entreprise. Nous nous entretenons avec les représentants de l'entreprise et il nous arrive quelquefois de faire appel à un tiers, comme des banques avec lesquelles nous travaillons. Nous travaillons très souvent en partenariat avec les banques locales, ce qui est utile, parce qu'elles connaissent mieux le marché que nous et qu'elles peuvent nous fournir de l'information sur un client donné.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Si je veux faire affaire avec vous, dois-je, dans un premier temps, avoir été refusé par une banque canadienne?
Mme Séguin : Non. La plupart du temps, surtout en ce qui concerne l'appui aux entreprises canadiennes pour les comptes clients, ou lorsqu'elles ont besoin d'un financement, nous collaborons avec les banques. Donc, la réponse, c'est non. S'il s'agit de l'assurance, ce sont des compagnies d'assurance canadiennes qui offrent les couvertures de comptes clients; s'il s'agit de financement, ce sont les banques. Ainsi, il n'est pas question d'être refusé par une autre banque. La majorité du temps, nous travaillons avec les banques canadiennes pour partager le risque, tout simplement.
Le sénateur Robichaud : Alors, pourquoi ferais-je appel à vous plutôt qu'à une banque canadienne?
Mme Séguin : Dans le cas d'un gros contrat à l'exportation, l'exportateur doit avoir accès au financement. La banque canadienne va souvent lui proposer de travailler avec EDC pour avoir un contrat à l'exportation. C'est d'ailleurs la banque canadienne qui demandera à EDC d'intervenir. Si nous communiquons directement avec l'exportateur, nous lui demandons avec quelles banques canadiennes il fait affaire, et nous travaillerons avec la banque canadienne. C'est la façon de procéder d'EDC.
Le sénateur Robichaud : Vous travaillez avec les exportateurs, mais j'ai cru comprendre dans votre exposé que, si je suis d'un autre pays et que je veux importer des biens canadiens — même si je viens d'un pays étranger —, vous allez m'aider à financer cette transaction. Est-ce que j'ai besoin d'être associé à une compagnie canadienne?
Mme Séguin : Je peux vous donner un exemple concret. Je suis revenue en juillet à Ottawa, mais auparavant, je travaillais comme représentante en chef d'EDC à Mexico. Nous avons 16 représentations internationales et elles sont toutes dans les ambassades canadiennes. Mon rôle était de maintenir des relations avec des acheteurs potentiels, qui sont souvent de grandes entreprises intéressées à connaître les capacités canadiennes. Avec les représentants des Affaires étrangères et des provinces, nous vendons les capacités canadiennes. Lorsqu'ils souhaitaient connaître ce que nous pouvions offrir comme financement — quand il y a un angle canadien d'acheter au Canada —, c'est là qu'EDC intervenait et mentionnait la possibilité d'offrir du financement.
Comme toute banque, il fallait que la compagnie étrangère ait des états financiers solides. S'ils demandent un prêt d'un million de dollars et qu'ils ont des ventes de 2 millions de dollars, l'équation ne fonctionne pas. Cependant, lorsque ce sont des entreprises qui jouissent d'une bonne situation financière et que tous les autres risques que j'ai mentionnés sont acceptables, c'est notre rôle d'offrir du financement à l'international.
Il y a aussi des demandes qui viennent directement de l'exportateur qui souhaite connaître ce que nous pouvons offrir à son acheteur comme financement. On entre alors en communication avec eux directement, c'est-à-dire avec les entreprises étrangères.
Le sénateur Robichaud : J'ai un peu de difficulté avec ce que vous avez dit concernant les exportateurs qui demandent votre aide pour financer l'importateur à l'autre bout. Pourquoi ne pas faire toute la transaction avec l'exportateur canadien dans un premier temps?
Mme Séguin : Il y a différents besoins : si l'exportateur a besoin d'un fonds de roulement pour livrer son contrat, le financement peut se faire ici. Souvent, il s'agit d'un financement à plus court terme. Un acheteur d'équipement de 10 millions de dollars peut demander un financement sur quatre ou cinq ans, par exemple. L'exportateur ne veut pas prendre en charge ce financement. Il demande donc à EDC d'intervenir directement auprès de son acheteur pour ne pas tenir cette obligation dans ses livres. Lorsque l'exportateur envoie sa marchandise, c'est payé, tout est réglé avec l'exportateur et il reste le financement avec EDC.
Le sénateur Robichaud : Vous prenez le risque que lui ne veut pas prendre.
Mme Séguin : Exactement.
Le sénateur Robichaud : Est-ce que vous avez une idée du pourcentage d'affaires que vous faites avec les exportateurs canadiens et les exportateurs étrangers?
Mme Séguin : Dans toute transaction, il y a un acheteur et un exportateur, donc, c'est plutôt pour les produits de l'assurance et, en fait, je n'ai pas les chiffres. Le plus populaire, c'est l'assurance des comptes clients. Quant aux prêts que nous faisons aux entreprises étrangères, je n'ai pas les données, mais je pourrais vous transmettre cette information plus tard. Vous voulez les données pour le secteur agricole uniquement ou pour EDC en général?
Le sénateur Robichaud : Actuellement, c'est le secteur agricole qui nous intéresse.
Mme Séguin : Parfait.
Le sénateur Maltais : Bienvenue à vous deux. Pour faire suite à ce que mon honorable collègue du Nouveau- Brunswick, le sénateur Robichaud, a dit, il y a deux problèmes majeurs à l'exportation pour les PME. D'abord, c'est le client, et de l'autre côté, c'est le transporteur, l'armateur, parce que, souvent, le transport se fait par bateau; on parle de l'Est du Canada à partir des Maritimes et de l'Ontario jusqu'à Halifax et à St. John's, de Terre-Neuve. L'exportateur doit payer le transport au départ, et l'armateur ne fait pas de crédit; si vous n'êtes pas payé, le bateau reste accroché au quai. C'est un facteur pour une petite entreprise qui va envoyer, par exemple, 20 conteneurs et que le bateau a une capacité de 100 conteneurs, car le bateau doit attendre que son chargement soit complet. C'est un petit problème. Il peut y avoir des retards; le producteur, l'exportateur n'est pas payé, mais il a dû débourser de l'argent.
L'autre problème, c'est le receveur à l'autre bout. Les petites PME font surtout affaire, en majorité, avec des pays en voie de développement, et ces pays ne peuvent pas garantir le paiement lorsque la marchandise arrive dans leur pays. Cela demeure un point d'interrogation.
Je vais vous donner l'exemple d'un secteur particulier qui fait affaire avec les pays étrangers : la Beauce. C'est un coin du Québec qui exporte énormément. Les exportateurs y font de l'argent, mais cela demeure un point d'interrogation, car ils se demandent s'ils seront payés au débarquement. C'est cette garantie d'être payé, souvent, qui empêche leurs petites PME de se développer. Qu'est-ce que vous pouvez faire pour ces PME pour leur assurer une stabilité financière?
M. Deschenes : Merci pour votre question. Ce que vous décrivez est la situation pour laquelle notre entreprise a été créée. Donc, le but d'EDC, c'est de favoriser l'exportation canadienne. Les risques auxquelles une petite entreprise fait face par rapport à un non-paiement d'une entreprise étrangère sont des risques que nous couvrons. Nous couvrons aussi des risques de type politique. Ainsi, c'est par l'intermédiaire de notre gamme de services d'assurance que nous pouvons rassurer un exportateur canadien et le protéger. Il sera payé, soit par son client, et si celui-ci ne le paie pas, EDC couvrira son compte client normalement jusqu'à concurrence de 90 p. 100 du montant dû.
Le sénateur Maltais : Je vais vous donner un exemple bien concret : le Canada a toujours continué à faire des affaires avec Cuba. On sait que Cuba a besoin de beaucoup de produits alimentaires. L'un des principaux problèmes auxquels les entreprises canadiennes se heurtaient, à l'époque, c'était la capacité d'être payées. Il faut qu'elles soient payées en d'autres devises que la devise cubaine, et vous comprendrez que la devise cubaine, au Canada, n'est pas très forte. Même les transporteurs ont toujours été prudents.
Je vais à Cuba assez régulièrement, je rencontre le gouvernement et les PME canadiennes, mais cela demeure un frein pour elles. Jusqu'à quel point on peut affirmer que l'on va faire affaire avec ce pays sans problème? Les autres pays qui sont pauvres veulent bien faire affaire, mais ils veulent être payés en devises aussi, et on sait que, à Cuba, les devises de valeur sont tout de même limitées. Le Canada est le client le plus important de Cuba, il importe pour 250 millions de dollars de nickel, ce qui représente 98 p. 100 de la production de nickel de Cuba. Toutefois, on n'exporte pas tant que cela à Cuba. Il y a un déséquilibre.
Je voudrais savoir si, dans ce pays en particulier, on peut faire quelque chose de plus solide pour nos petits exportateurs, qui ont besoin d'aide.
Mme Séguin : Exportation et développement Canada est active à Cuba. Il y a un mécanisme en place avec des lettres de crédit. Ce sont des lettres de crédit où l'exportateur reçoit sa confiance de paiement, parce qu'une banque cubaine émet une lettre de crédit, qui est reçue par une banque canadienne, et nous garantissons ces lettres de crédit. Il y a un portefeuille maximum et de nombreux exportateurs sont impliqués. C'est l'un des services que nous offrons. Donc, nous garantissons ce paiement par cette lettre de crédit.
Le sénateur Maltais : Vous parlez de la compagnie d'assurance de Cuba, Securitas de Cuba.
Mme Séguin : Ce sont plusieurs banques, je n'ai pas les noms, mais ce sont quelques banques cubaines qui peuvent émettre ces lettres de crédit pour garantir le paiement à la livraison, qui est reçu par une banque canadienne, et cette banque canadienne nous demande de garantir ces lettres de crédit.
Le président : Pour faire un suivi, madame Séguin, c'est la même chose avec la pomme de terre; lorsqu'on vend des pommes de terre à Cuba, c'est par lettre de crédit garantie.
Mme Séguin : Oui.
Le sénateur Dagenais : J'aimerais aborder la question des accords de libre-échange Canada-Europe, ce qui intéressera les entreprises agricoles et agroalimentaires. Comment pouvez-vous aider les petites entreprises dans ce marché qui sera relativement élargi?
M. Deschenes : Les accords de libre-échange sont passablement complexes. Dans le cadre de notre rôle à titre de fournisseur de services financiers, ceux-ci nous affectent sur le plan collatéral. Ces ententes ont pour but de faciliter le commerce. Si ces ententes proposent des conditions de vente de leurs produits égales à d'autres pays, cela devient intéressant pour les entreprises canadiennes. Si cela produit un effet concurrentiel, c'est-à-dire des avantages par rapport à d'autres pays, c'est encore plus favorable. Dans la majorité des pays, ce sont souvent des barrières tarifaires et réglementaires qui freinent les exportations canadiennes. De toute évidence, ces accords de libre-échange favorisent les échanges commerciaux, mais on constate que plusieurs pays mettent des barrières importantes qui ralentissent les échanges.
Le sénateur Dagenais : Dans un autre ordre d'idées, le gouvernement avait mis en place la stratégie de la marque Canada. Vous êtes sans doute au courant. À votre avis, comment cette stratégie va-t-elle améliorer les produits canadiens sur le marché international?
Mme Séguin : J'ai vécu cinq ans au Mexique au sein de l'ambassade. J'ai pu constater sur le terrain la promotion qui a été faite. Par exemple, les publicités à la télé de produits pharmaceutiques mentionnaient qu'il s'agissait de produits de qualité canadienne. À l'épicerie, on retrouvait des produits de marque canadienne très populaires ayant une excellente réputation. Il y a avait aussi une initiative visant la tenue d'évènements qui attiraient de nombreuses personnes. La confiance régnait. Je l'ai vécu et je l'ai vu. Au Mexique, et je dirais même dans l'ensemble de l'Amérique latine, les produits canadiens sont considérés comme une très bonne marque.
Le sénateur Dagenais : Donc, c'était une bonne initiative de la part du gouvernement.
Mme Séguin : Exactement. C'est ce que j'ai observé.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Merci. J'ai appris bien des choses aujourd'hui. J'étais au courant des services financiers que vous offrez, mais je ne savais pas que vous prêtiez à des investisseurs étrangers qui achètent nos produits. Est-ce que cela a toujours fait partie de votre mandat depuis 70 ans? Est-ce que c'est quelque chose de nouveau? Est-ce que vous faites des démarches auprès d'eux? Est-ce qu'ils en font auprès de nous? Est-ce que nous imposons un taux d'intérêt concurrentiel? Est-ce que cela représente pour nous un gain ou une perte nette, ou bien cela n'a pas d'importance?
Mme Séguin : En fait, je ne me rappelle pas comment cela se passait il y a 70 ans, mais j'imagine que notre principal secteur d'activité était l'assurance-crédit. Mais cela fait très longtemps que nous offrons des services financiers aux acheteurs étrangers, je ne pourrais pas vous dire depuis quand exactement, mais c'est probablement plus de 40 ans.
Par rapport à ce que nous offrons, cela ressemble beaucoup aux modalités commerciales courantes. Nous offrons ce que les autres banques offrent. Toutefois, nous avons un grand appétit, quelquefois plus que les banques commerciales, d'autres fois nous nous contentons de travailler avec les banques commerciales. Il n'y a pas de subventions. Nous nous finançons sur les marchés des capitaux pour accorder des prêts. C'est un élément profitable de nos activités. Grâce à cela nous avons pu, en fait, ces dernières années, rembourser des dividendes au gouvernement du Canada. C'est dire que la situation très rentable.
Le sénateur Enverga : Merci de vos présentations. Pour en revenir au sujet abordé par la sénatrice Beyak, EDC est une société de la Couronne. Est-ce qu'elle reçoit un financement quelconque du gouvernement du Canada?
Mme Séguin : Non, nous ne recevons pas de crédit du gouvernement du Canada. Au départ, il y a de cela 70 ans, le capital avait été réinvesti, mais d'une année à l'autre, nous levons nos propres fonds grâce à des obligations qui sont cotées AAA et nous les prêtons. Nous ne recevons pas de crédit du gouvernement. Notre situation est très différente de la plupart des agences de crédit à l'exportation dans les marchés des pays de l'OCDE. Dans ces pays, nombre de ses agences reçoivent des crédits. Ce n'est pas le cas d'EDC.
Le sénateur Enverga : Compte tenu de toutes les ententes de libre-échange qui ont été conclues avec divers pays, quelles sont vos attentes relativement à la croissance d'EDC? Vous êtes-vous préparés à cette croissance à venir?
M. Deschenes : Oui. Habituellement, nous constatons un accroissement de nos volumes lorsque des ententes de libre-échange sont signées. L'exemple le plus évident serait probablement l'entente que nous avons avec notre plus important partenaire, les États-Unis. Nous avons constaté une augmentation marquée de nos échanges avec ce partenaire particulier, qui était déjà notre plus important partenaire. Si l'on pense à la circulation des marchandises, à la proximité géographique et au fait qu'il n'y a pas de barrière à l'entrée, tout cela facilite beaucoup cette circulation.
Il est intéressant de noter que même si les États-Unis sont notre partenaire le plus proche et probablement l'un des pays qui est le plus ouvert aux échanges avec le Canada, certaines entreprises décident quand même d'y ouvrir une succursale pour mieux desservir leur marché. Elles préfèrent en fait avoir une présence locale afin de mieux desservir le marché. On constate ce phénomène dans d'autres grands marchés. Je dis toujours que nous ne sommes que 30 millions d'habitants alors que d'autres pays ont des villes qui ont cette population. La taille est toujours un problème pour une entreprise canadienne. Les débouchés sont immenses. Comment une compagnie habituée à desservir un marché de 30 millions d'habitants se débrouille pour desservir un marché de 250 millions? La taille est donc quelquefois un problème.
Le sénateur Enverga : Je sais que vous vous associez quelquefois avec des banques, mais que quelquefois vous opérez seul. Comment comparez-vous vos services à ceux des grandes banques que nous avons? Sont-ils meilleurs que les leurs?
M. Deschenes : Essentiellement, EDC opère de façon commerciale et sa force vient du fait qu'elle met à profit tous ses actifs. Nos banques et nos entreprises canadiennes, les intermédiaires financiers, sont bons pour obtenir des produits situés en territoire canadien. Notre spécialité, c'est tout ce qui se fait en dehors du Canada. C'est là essentiellement que nous trouvons nos débouchés, en collaborant avec des partenaires canadiens pour aider les entreprises canadiennes qui ont des actifs à l'étranger ou, je le répète, les débiteurs ou les investisseurs étrangers. Il y a toute une gamme de situations possibles. C'est dans ce secteur que nous jouons notre plus grand rôle. La capacité supplémentaire que nous avons est de nous occuper des actifs ou des débiteurs étrangers.
Le sénateur Enverga : Merci.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Je suis exportateur. Toute mon entreprise se retrouve ici, au Canada. Or, je souhaite aller m'installer dans le pays qui achète le plus les produits que j'exporte. Si je décide de déménager mon entreprise aux États-Unis, est-ce que je pourrai compter sur votre aide? Quelle attention portez-vous aux bénéfices nets? Il y aura des pertes d'emplois ici et certaines personnes seront déplacées, ailleurs, dans un autre pays.
Mme Séguin : C'est une bonne question. Il est très important, avant de faire quelque appui pour un investissement à l'étranger, qu'EDC détermine les assises au Canada. Il faut que cette entreprise soit fonctionnelle et qu'elle ait sa maison mère, son marché et ses employés au Canada. La vision que l'on voit, c'est une extension de cette économie. Il y a un marché à servir au Canada. Si c'est un producteur de fromage, par exemple, qui veut exporter au Mexique, parce qu'il y a un très bon marché, il est difficile d'exporter ce fromage compte tenu des conditions. Cette entreprise songe peut-être, pour procéder à l'extension de l'entreprise canadienne, d'aller au Mexique et d'y investir. Avec cette assise canadienne importante, qui doit demeurer pour obtenir notre appui, ensuite, pour ouvrir une nouvelle usine à l'étranger, acheter de l'équipement, toujours en fonction de sa capacité financière, c'est de cette façon que l'on peut intervenir et offrir du financement à cette entreprise.
Le sénateur Robichaud : Elle doit maintenir ses opérations; vous dites qu'elle doit avoir des assises au pays.
Mme Séguin : Absolument.
M. Deschenes : Les bénéfices pour le Canada sont l'un des critères qui sont les plus importants pour Exportation et développement Canada. C'est ce qui nous oriente dans nos décisions. Si, dans votre exemple, il n'y avait pas de bénéfice pour le Canada, EDC, par définition, ne serait pas intéressée à participer à cette transaction. C'est l'un des critères importants. Cela fait partie des premières questions que l'on se pose; il faut qu'il y ait des bénéfices supplémentaires pour le Canada pour que nous soyons impliqués dans une transaction.
Le sénateur Robichaud : Oui, mais vous visez les exportations. S'il peut exporter plus, il peut déménager une grande partie de ses opérations dans l'autre pays et, dans certains cas, on pourrait y perdre, n'est-ce pas? C'est pour cela que je parle des bénéfices nets liés aux emplois.
Mme Séguin : Il faut des assises au Canada, il faut que les profits reviennent au Canada, il faut une base au Canada. On a un modèle à suivre et des questions à poser. Notre économiste en chef, Peter Hall, vous dirait que, présentement, le Canada exporte par l'intermédiaire de ses filiales canadiennes presque davantage que par des exportations directes à partir du Canada. Il y a des secteurs flagrants, comme le secteur automobile, où il faut être à côté des grands producteurs automobiles. Avec l'exportation, cela ne suffirait pas. Il faut que les entreprises soient situées tout près de la production. Il reste que l'assise canadienne existe aussi.
Le président : Avec les bénéfices, ici, au Canada.
Mme Séguin : Absolument.
M. Deschenes : Simplement pour vous donner un exemple, il y a certains marchés à l'étranger pour lesquels les tarifs à l'entrée sont de 80 à 100 p. 100. Pour une entreprise canadienne, vendre dans ce marché signifie des tarifs qui sont punitifs. Donc, dans certains marchés, la seule solution est de s'installer localement pour bénéficier de ces ventes supplémentaires. Cela fait partie des décisions qu'un entrepreneur doit prendre. Cela fait partie des réalités des marchés, car certains pays se protègent de cette façon.
Le président : En tenant compte de votre analyse des risques.
M. Deschenes : Bien sûr, c'est à la base.
[Traduction]
Le président : Vous aviez une question, sénatrice Merchant?
La sénatrice Merchant : Oui, une très brève. Quel pourcentage de demandes rejetez-vous ou, pour être plus positive, acceptez-vous? Avez-vous des statistiques? Avez-vous également des statistiques sur les taux d'échec?
M. Deschenes : Il y a plusieurs éléments dans votre question. Pour ce qui est de la dernière partie, je n'ai pas de statistiques sous la main, mais nous les transmettrons au greffier. Elles figurent dans nos états financiers et nous en faisons un rapport annuel. Nous sommes tout à fait disposés à vous communiquer nos pertes découlant des produits d'assurance.
Mme Séguin : S'agissant des transactions que nous sommes en mesure d'appuyer et de nos réussites en la matière, il est très difficile de répondre à la question parce que, quelquefois, une transaction, un simple contrat commercial prennent très longtemps à conclure. Le financement prend beaucoup de temps, il peut prendre des mois, voire des années. Souvent, c'est une question de temps. Quelquefois, c'est en fait, fonction d'une capacité financière, par exemple, ou d'une contrainte par rapport à la responsabilité sociale des entreprises. Il est donc très difficile de rassembler ce type de données.
[Français]
Le président : Madame Séguin, est-ce que les taux d'intérêt chargés par EDC sont compétitifs par rapport à ceux des banques, ou bien êtes-vous la source de dernière heure pour le financement?
Mme Séguin : C'est une question typique posée par tous nos emprunteurs et clients. On a deux modèles, un basé sur le consensus de l'OCDE, je n'irai pas dans les détails, mais toutes les agences de crédit à l'exportation peuvent offrir ces taux, donc il y a des minimums à respecter. On est en compétition avec les autres agences à l'exportation. L'autre modèle, qui est le plus utilisé, c'est le modèle commercial où nous sommes complètement compétitifs par rapport aux taux des grandes banques. On peut appuyer un client à l'aide des taux les plus compétitifs pour le client.
Le président : J'écoutais un reportage venant des États-Unis, parce que je demeure juste à côté des États-Unis, au Nouveau-Brunswick. Étant donné que le Canada a déjà cette entente avec l'Europe, ils disaient que...
[Traduction]
Nous voyons des entreprises européennes s'installer au Canada pour pénétrer les marchés américains et mexicains. Est-ce que ces entreprises pourraient se prévaloir des services d'EDC?
Mme Séguin : C'est exact, mais il s'agit d'un tout autre scénario. Si elles ont des activités de production au Canada, mettent sur pied une usine et exportent à partir de cette usine, c'est tout à fait possible. Mais si elles se contentent de faire venir des produits d'Asie ou d'Europe et se servent de leurs installations comme entrepôt d'où expédier ces produits ailleurs, nous ne pourrions pas les appuyer.
[Français]
Le président : Madame Séguin, monsieur Deschenes, nous avons souvent l'occasion de jaser avec les PME du secteur agricole, et nous parlons du rôle que vous jouez. Ce matin, je n'ai aucun doute que les questions qui ont été posées montrent davantage le rôle que vous jouez dans le secteur agricole canadien. On vous demande de continuer. Merci d'avoir partagé votre savoir-faire avec nous.
(La séance est levée.)