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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 23 - Témoignages du 5 février 2015


OTTAWA, le jeudi 5 février 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, pour poursuivre son étude du projet de loi C-18, Loi modifiant certaines lois en matière d'agriculture et d'agroalimentaire.

[Français]

Kevin Pittman, greffier du comité : Honorables sénateurs, il y a quorum. En tant que greffier du comité, il est de mon devoir de vous informer de l'absence inévitable du président et du vice-président, et de présider à l'élection d'un président suppléant.

[Traduction]

Je suis prêt à recevoir une motion à cet effet. Quelqu'un veut-il proposer des mises en candidature? Sénatrice Unger.

La sénatrice Unger : Le sénateur Maltais.

M. Pittman : Y a-t-il d'autres mises en candidature?

[Français]

L'honorable sénatrice Unger propose que l'honorable sénateur Maltais soit nommé président suppléant de ce comité.

[Traduction]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

[Français]

M. Pittman : Je déclare la motion adoptée.

[Traduction]

J'invite l'honorable sénateur Maltais à prendre place au fauteuil.

Le sénateur Ghislain Maltais (président suppléant) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président suppléant : Nous allons commencer par la présentation des sénateurs.

Je suis le sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Je suis Pana Merchant, de la Saskatchewan.

La sénatrice Tardif : Sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Bonjour. Je suis Don Plett, du Manitoba.

Le sénateur Oh : Bonjour. Victor Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Bonjour. Je suis Betty Unger, de l'Alberta.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, sénateur de l'Ontario.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président suppléant : Nous poursuivons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-18, Loi modifiant certaines lois en matière d'agriculture et d'agroalimentaire.

[Français]

Nous accueillons aujourd'hui la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec, représentée par William Van Tassel, premier vice-président, M. Cam Dahl, président de Cereals Canada, ainsi que Gary Stanford, président des Producteurs de grains du Canada, par téléconférence.

Je vous souhaite à tous la bienvenue. Nous allons commencer par vous, monsieur Van Tassel.

William Van Tassel, premier vice-président, Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, bonjour.

Je suis William Van Tassel, producteur de grains de la région du Lac-Saint-Jean, au Québec. Je livre ce témoignage au nom de ma fédération.

La Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec (FPCCQ) représente plus de 11 000 productrices et producteurs de grains dans les différentes régions de la province. Le secteur des grains génère un revenu à la ferme d'environ 1,1 milliard de dollars.

Le projet de loi C-18 propose des modifications dans plusieurs lois qui sont liées au secteur agricole. Celles qui ont mérité l'attention particulière de mon organisation portent sur les modifications envisagées par la Loi sur la protection des obtentions végétales (LPOV). En effet, la fédération est en faveur de ces modifications grâce auxquelles la loi actuelle deviendrait conforme à la Convention de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) de 1991, couramment appelée UPOV 91, qui encadre les droits des sélectionneurs et protège la propriété intellectuelle rattachée aux résultats de recherche dans la création de nouvelles variétés de cultures.

La fédération est activement impliquée à différents niveaux de la chaîne de valeurs de la production des grains. Elle mobilise des investissements dans la recherche, notamment en ce qui a trait à l'amélioration génétique pour le développement de nouvelles variétés de cultures qui répondent aux besoins des marchés et des consommateurs et qui permettent aux producteurs de demeurer compétitifs en garantissant les niveaux de rendements espérés. Cette implication nous a permis d'effectuer une meilleure évaluation de la dynamique de l'innovation qui entoure la création de nouvelles variétés de cultures qui répondent aux besoins des producteurs.

Un exemple concret qui illustre la raison de notre appui au projet de loi est celui des grappes agroscientifiques d'amélioration génétique dans le secteur des grains par l'intermédiaire de l'Alliance de recherche sur les cultures commerciales du Canada (ARCCC). Comme vous le savez, ces grappes agroscientifiques constituent une contribution conjointe, du gouvernement et de l'industrie, au financement de la recherche. Cette formule a permis d'atténuer l'impact négatif de la réduction des investissements publics en recherche dans le secteur agricole. Elle a permis d'aboutir à des résultats concrets. Cette formule a permis l'enregistrement de 39 nouvelles variétés de cultures pour l'Est du Canada, dans le cadre du programme Cultivons l'avenir 1, de 2010 à 2013. Donc, l'implication de l'industrie dans la recherche promet des résultats. L'industrie à laquelle nous faisons allusion est celle des compagnies et des corporations de recherche qui choisissent un champ d'investissement où les résultats ne sont pas obtenus rapidement et où, dans certaines situations, le retour sur l'investissement est relativement plus faible qu'en biotechnologie, par exemple. L'une des raisons principales qui motivent ces compagnies à s'impliquer dans l'investissement et la création est celle qui est liée aux garanties réglementaires qui entourent la propriété intellectuelle. Ainsi, la modernisation des lois canadiennes et leur conformité à l'UPOV 91 seraient un incitatif majeur pour les sélectionneurs, leur permettant de valoriser leurs découvertes en sachant qu'ils obtiendront compensation pour leurs efforts.

Le Québec compte quelques institutions publiques et privées qui se spécialisent en recherche dans le domaine de l'amélioration génétique. Ces dernières œuvrent dans la sélection génétique et sont les premières à être visées par la section du projet de loi C-18 qui modifie la Loi sur la protection des obtentions végétales. Ces compagnies représentent une faible part du marché des semences comparées aux multinationales qui œuvrent dans la production et la distribution de semences de grains. Ces compagnies visent les marchés de niche et certains besoins spécifiques aux régions qui ne font pas appel aux cultures génétiquement modifiées, ce qui assure une offre additionnelle de semences pour les régions plus au nord de la province et dont la production est à vocation plutôt céréalière. Rappelons que ces productions sont moins attrayantes pour les multinationales spécialisées en production de semences en raison de leur faible retour sur l'investissement et de la petite part de marché.

Ce modèle de compagnies ou de corporations de recherche répond bien aux besoins des producteurs. Une meilleure protection des droits des sélectionneurs de végétaux est donc incontournable pour assurer la présence des petites entreprises sur le marché.

Par ailleurs, la modernisation de la loi actuelle offre une garantie aux fournisseurs de matériel végétal étrangers quant au commerce des semences au Canada. Cette garantie permet la diversification de l'offre et offre des avantages aux producteurs québécois et canadiens.

Certains groupes ont souvent manifesté une réticence au changement et à la modernisation des lois, par crainte de restrictions à l'accès aux semences. Au Québec, la majorité des producteurs de céréales et d'oléagineux utilisent des semences certifiées. Au-delà des exigences de certains programmes d'assurance, soit de l'assurance récolte ou de l'assurance stabilisation du revenu, l'utilisation de semences certifiées est devenue quasi systématique, car le recours à de nouvelles variétés plus performantes et qui répondent aux besoins spécifiques des marchés et des producteurs ne pourrait qu'être appuyé. Donc, la modernisation et l'innovation technologique sont des outils qui permettent de demeurer compétitif. D'ailleurs, cet aspect est aussi l'une des raisons pour lesquelles nous appuyons ce projet de loi.

Finalement, l'instauration de garanties pour les sélectionneurs incite à investir davantage dans le développement de nouvelles variétés, ce qui peut améliorer l'offre en semences en termes de nombre et de performance de variétés. Une diversification et une augmentation de l'offre pourraient avoir une incidence sur les prix des semences et les faire baisser, ce qui est avantageux pour les producteurs. Dans ces circonstances, la fédération estime que la modification à la loi n'occasionnera pas de changement au mode actuel d'approvisionnement en semences au Québec et n'engendra pas un frein à l'offre de semences. Au contraire, une meilleure protection des droits des sélectionneurs serait avantageuse pour les producteurs si elle entraîne une réduction de leurs coûts de production.

Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre attention, et c'est avec grand plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Van Tassel. Nous passons maintenant à M. Cam Dahl.

[Traduction]

Cam Dahl, président, Cereals Canada : Merci, honorables sénateurs, de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui. Au nom de Cereals Canada, je vous remercie sincèrement de cette invitation.

L'une des grandes priorités de Cereals Canada est de créer un environnement dans lequel le Canada occuperait une place de premier choix en matière d'innovation agricole. Le projet de loi C-18, Loi sur la croissance dans le secteur agricole, constitue une avancée importante dans ce sens, puisqu'il permettra de réaliser les investissements requis. Je m'appelle Cam Dahl et je suis président de Cereals Canada. Comme nous sommes une jeune organisation, je ne vais pas passer en revue notre structure pour gagner du temps, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions à cet égard.

Mes observations vont porter essentiellement sur les parties du projet de loi qui concernent les droits des sélectionneurs de plantes. Cereals Canada approuve les mesures proposées et invite tous les partis au Sénat à s'entendre pour les adopter rapidement.

Le Canada s'est forgé une solide réputation en offrant toujours des produits de qualité sur les marchés internationaux. Cereals Canada cherche des occasions de tirer parti de l'image de marque du Canada.

Cette bonne réputation des céréales canadiennes ne peut se bâtir sans le renouvellement des investissements dans la recherche et le développement. Aujourd'hui, l'industrie canadienne a l'occasion d'élaborer et de mettre en œuvre une stratégie d'innovation qui facilitera l'accroissement des investissements pour la recherche dans les caractéristiques de qualité exigées par nos clients.

Il y a un regain d'intérêt pour l'innovation et la recherche dans les cultures céréalières. L'industrie canadienne doit donc attraper la balle au bond et faire du Canada un pays de premier choix pour les investissements en innovation, en contribuant à créer un environnement qui garantisse le rendement du capital investi à tous les intervenants de la chaîne de valeur. Saisir ces occasions permettra d'accroître la valeur de la production céréalière canadienne pour les cultivateurs, les marchands de grains et les entreprises de développement des cultures, tout en offrant des valeurs sûres à nos clients.

Créer un cadre juridique pour la protection de la propriété intellectuelle encourage et favorise l'investissement, l'innovation et la concurrence dans l'intérêt des agriculteurs et des sélectionneurs de plantes canadiens. Cela inclut l'accès à des variétés végétales développées ailleurs dans le monde, mais qui peuvent procurer des avantages aux cultivateurs canadiens. Le projet de loi C-18 permettrait d'atteindre cet objectif en veillant à ce que notre législation se conforme à la convention UPOV 91, la Convention de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales.

Le fait que la législation canadienne ne se conforme pas à la convention UPOV 91 dissuade les compagnies de faire entrer au Canada des variétés développées à l'étranger et incite ces mêmes compagnies à investir ailleurs qu'au Canada. Le projet de loi C-18 contribuerait à régler ces problèmes.

Le projet de loi C-18, même s'il n'a pas encore été adopté, a déjà des effets positifs sur l'environnement de l'investissement en innovation. L'automne dernier, j'ai eu le privilège d'assister à la première pelletée de terre en vue de la construction des nouvelles installations de sélection de blés de Bayer, près de Saskatoon. Bayer a clairement dit que le projet de loi C-18 et la conformité à la convention UPOV 91 ont été les facteurs qui ont convaincu l'Europe d'investir dans la sélection de blé au Canada.

Ce n'est pas le seul exemple d'augmentation des investissements dans la recherche sur les céréales. Canterra et Limagrain ont formé un partenariat pour faire entrer de nouvelles variétés au Canada. KWS, une entreprise établie en Allemagne, a conclu une entente de partenariat avec FP Genetics pour de nouvelles variétés de seigle hybrides destinées au marché canadien. En passant, Bayer, Canterra et FP Genetics sont toutes membres de Cereals Canada.

Il importe de souligner que les avantages de se conformer à la convention de 1991 s'étendront aussi à des organismes publics, comme des universités et des ministères, et à de petits sélectionneurs indépendants. Je tiens à faire remarquer qu'au Canada, près de 50 p. 100 de toutes les demandes de protection des obtentions végétales pour des cultures agricoles proviennent d'organismes publics. Les redevances perçues représentent une source de financement importante de ces programmes de sélection.

Si le Canada ne réussit pas à moderniser son environnement réglementaire, il ne profitera pas de la tendance à la hausse des investissements dans le domaine de l'innovation céréalière. En effet, ce sont d'autres pays, comme l'Australie et les États-Unis, qui en bénéficieront, et ceux qui tireront directement avantage de l'augmentation du rendement et de la résistance accrue aux maladies sont les cultivateurs auxquels nous livrons concurrence sur les marchés internationaux.

J'aimerais parler de certaines perceptions erronées à propos de ce projet de loi. J'ai entendu certaines réserves quant à l'adhésion à la convention UPOV 91. Ces réserves reposent en grande partie sur une mauvaise compréhension des avantages de cette convention pour les cultivateurs et les sélectionneurs de plantes canadiens. J'aimerais donc contredire certains arguments que l'on pourrait vous servir pendant votre processus d'examen du projet de loi C-18.

L'un des mythes qui semblent s'être propagés sur Internet est que l'on empêchera les agriculteurs de conserver leurs semences pour les replanter. C'est tout simplement faux. Dans sa version actuelle, la mesure législative, basée sur la convention UPOV 78, ne dit rien sur la capacité des cultivateurs de garder des semences. En actualisant la Loi sur la protection des obtentions végétales, le projet de loi C-18 permettra de garantir précisément cette protection et de consentir une exception claire aux agriculteurs en leur permettant de conserver et de planter leurs propres semences.

Dans ce cas, est-ce qu'un agriculteur pourrait vendre une partie de ses semences à un voisin pour qu'il les plante aussi? Non, ce ne serait pas permis. Vendre des semences en petites quantités prive les développeurs d'un retour sur le capital investi, décourage les investisseurs et est illégal selon les dispositions actuelles de la loi.

Ce n'est qu'un des mythes entourant la convention UPOV 91 et le projet de loi C-18. Ce n'est pas la seule perception erronée concernant le projet de loi. Par exemple, j'ai entendu des gens déclarer à tort que la loi ne profitera qu'aux grandes entreprises. Il ne faut pas ignorer ces fausses idées qui sont véhiculées, mais il faut plutôt s'efforcer de transmettre la bonne information au public. Les sénateurs peuvent jouer un rôle central à ce chapitre en remettant les pendules à l'heure. Je me ferai un plaisir de corriger d'autres mauvaises perceptions dans la période consacrée aux questions et réponses.

En guise de conclusion, je dirais que Cereals Canada appuie le projet de loi C-18, car le renforcement de la protection des obtenteurs qu'il permet contribuera à créer un environnement plus propice aux investissements dans le domaine de la sélection végétale au Canada. En adhérant à la convention UPOV 91, nous nous conformerons aussi aux lois et aux règlements en vigueur ailleurs dans le monde et nous inciterons les sélectionneurs à mettre leurs variétés en circulation au Canada. Grâce à l'augmentation des investissements, les cultivateurs auront plus de choix parmi les variétés, ce qui leur donnera aussi la possibilité de s'approvisionner en variétés à haut rendement et à valeur élevée qui leur conviennent le mieux. L'augmentation des investissements au Canada permettra le développement de variétés adaptées à nos conditions de croissance et offrant les caractéristiques de qualité qui nous confèrent un avantage concurrentiel sur les marchés internationaux.

L'augmentation des investissements dans l'innovation est essentielle à la prospérité à long terme de notre industrie. Le projet de loi C-18 est l'un des instruments nécessaires à la création d'un environnement propice aux investissements.

Encore une fois, merci beaucoup. Je suis disposé à entendre vos questions ou vos observations.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Dahl.

Je sais qu'il est six heures chez vous, monsieur Stanford, alors je vous remercie de vous joindre à notre comité.

Gary Stanford, président, Producteurs de grains du Canada : Bonjour. Il est très tôt ici, mais je trouvais qu'il était important de faire connaître nos opinions sur ces nouveaux changements proposés dans le projet de loi. Je pratique l'agriculture à Magrath dans le sud de l'Alberta, juste au sud de Lethbridge, où je cultive le blé, l'orge et le canola. Je travaille au Centre de recherches de Lethbridge, qui est l'une des plus importantes stations de recherche au Canada. En été, si l'on compte les étudiants, plus de 500 personnes travaillent au centre. Il est donc très important pour tous les Canadiens de pouvoir avoir cet établissement de recherche.

C'est un honneur pour moi de pouvoir vous parler du projet de loi canadien C-18, Loi sur la croissance dans le secteur agricole. Les Producteurs de grains du Canada représentent 50 000 agriculteurs du Canada, et 14 organisations différentes sont à notre table.

L'industrie agricole et agroalimentaire contribue de façon importante à l'économie canadienne. En 2012, elle a généré 6,7 p. 100 du PIB du Canada, et notre secteur continue de dépendre de la capacité des agriculteurs d'accéder à la nouvelle technologie et à l'innovation et de l'utiliser.

Les modifications proposées dans le projet de loi C-18 à la protection des obtentions végétales feront en sorte que le Canada se conforme à la convention UPOV 91. C'est important pour que les agriculteurs aient accès aux nouvelles variétés afin qu'ils puissent demeurer concurrentiels sur la scène internationale. Mais surtout, cela créera un environnement réglementaire qui favorisera l'investissement et l'innovation dans les nouvelles variétés de cultures.

Dans le cas des céréales, plus de la moitié des variétés qui sont protégées en vertu de la loi actuelle ont été développées dans des établissements publics tels que des universités et des installations de recherche gouvernementales. Cette mesure législative ne change rien à cela. Elle crée un environnement réglementaire qui augmentera les investissements d'entreprises privées dans la recherche, surtout en ce qui a trait à de nouvelles variétés de céréales.

Tout comme l'incidence des brevets sur les inventeurs, la protection des obtentions végétales donnera aux producteurs de semences la capacité de récupérer leurs investissements et de réaliser des bénéfices. Nous croyons fermement que cela donnera lieu à une augmentation des investissements dans le développement de nouvelles variétés, ce qui permettra aux agriculteurs d'avoir de meilleures récoltes et pratiques agronomiques.

Au moment de décider où elles investissent leur argent, les entreprises privées ont de nombreuses options internationales. Il est essentiel pour le succès de l'industrie et pour le secteur des céréales et des oléagineux qu'une bonne partie de ces investissements soient faits au Canada.

L'engagement du gouvernement par l'entremise du projet de loi C-18 a clairement démontré aux entreprises privées que nous sommes ouverts aux investissements, et nous avons déjà constaté les effets positifs de ces changements proposés. En septembre dernier, Bayer CropScience a fait œuvre de pionnier avec son installation à la fine pointe de la technologie au sud de Saskatoon. Comme Bayer vous le dira, cela n'aurait pas été possible sans les changements et l'adhésion à la convention UPOV 91.

L'adoption du projet de loi C-18 harmonisera nos règlements avec les normes internationales. Le Canada est l'un des rares pays à ne pas être couverts par la convention UPOV 91, ce qui a désavantagé nos agriculteurs. Harmoniser nos règlements avec les normes internationales permettra non seulement d'uniformiser les règles du jeu pour nos producteurs, mais on s'attend également que cela encouragera un plus grand nombre d'obtenteurs à vendre leurs variétés au Canada. Nous pourrions ainsi avoir les nouvelles variétés que nos concurrents utilisent déjà.

Il est également important de souligner que la capacité des agriculteurs de garder, de nettoyer et d'entreposer leurs propres semences est clairement enchâssée dans le projet de loi C-18. Les agriculteurs canadiens ont toujours été en mesure de conserver leurs semences, mais il n'y a jamais eu de garantie. Ce projet de loi change cela et toute condition ou restriction future sur le privilège des agriculteurs ne sera imposée que par voie réglementaire après consultation avec les producteurs.

Enfin, j'aimerais prendre un instant pour parler des amendements au projet de loi C-18 avec le programme d'avances en espèces. Les producteurs de grains accueillent favorablement ces changements puisqu'ils allégeront leur fardeau administratif pour obtenir des avances en espèces et augmenteront la valeur globale du programme. Les amendements proposés créeront un guichet unique, ce qui simplifiera le processus pour les agriculteurs, qui pourront obtenir leur avance en espèces en passant par un seul administrateur.

Cela dit, si l'on pouvait augmenter la limite de 400 000 $ pour les avances, on estime que ce serait une importante amélioration au programme. En augmentant la limite, on tiendrait davantage compte de l'inflation, des coûts de production et de la taille des exploitations agricoles, puisque les fermes des producteurs de grains sont de plus en plus grandes.

Pour terminer, nous exhortons le Sénat à adopter le projet de loi C-18. Avec la population mondiale qui devrait atteindre près de 10 milliards d'habitants d'ici 2050, les producteurs de grains du Canada auront besoin des technologies et des variétés les plus novatrices pour maximiser leur production. Pour développer ces variétés, il faudra des investissements publics et privés.

La modernisation de la Loi sur la protection des obtentions végétales stimulera les investissements et fera en sorte que les agriculteurs canadiens soient concurrentiels.

Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Stanford.

Le sénateur Plett : Merci à tous les trois d'être venus ce matin nous faire part de votre opinion sur le projet de loi C-18. Nous avons reçu de nombreux témoins avant vous. J'ai la liste ici. En plus du ministre, 15 autres témoins ont comparu sur ce projet de loi. La sénatrice Tardif et moi avons posé des questions semblables sur ce qui ne va pas avec cette mesure législative et sur comment nous pouvons l'améliorer. À l'exception de trois ou peut-être quatre témoins, la réponse qu'ils ont donnée était sensiblement la même. Vous ne l'avez pas adoptée assez rapidement; accélérez le processus un peu.

Ma première question sera brève. J'aimerais poser la question suivante aux trois témoins d'aujourd'hui : êtes-vous du même avis que les autres témoins?

M. Van Tassel : Oui, absolument. À vrai dire, j'ai été un peu surpris d'apprendre que vous discutiez toujours du projet de loi C-18. Je pense qu'il est temps qu'il soit adopté.

M. Dahl : Pour répondre très rapidement, oui, je suis du même avis. Nous aimerions qu'il soit adopté dans les plus brefs délais.

Après avoir discuté avec certains de mes membres qui investissent dans le développement des cultures, je sais qu'il y a des millions de dollars — et je n'exagère pas — d'investissements qui sont sur les bureaux de direction en attente d'une signature. Ces investissements ne seront pas approuvés avant que le projet de loi reçoive la sanction royale.

M. Stanford : Je comprends. Nous tâchons de faire adopter ce projet de loi depuis un bon moment. Étant donné que je suis agriculteur et après avoir discuté avec d'autres agriculteurs, nous devons améliorer cette situation. Si nous pouvons également amener le secteur privé, qui fait de nouvelles recherches, à collaborer avec nous, ce serait formidable.

Le sénateur Plett : Vous dites que vous êtes agriculteur. Monsieur Van Tassel, je pense que vous avez également dit que vous étiez agriculteur. Vous représentez d'importantes organisations. M. Stanford a dit qu'il représente 50 000 producteurs de grains. Nous avons reçu M. Boehm, du Syndicat national des cultivateurs, avant-hier soir.

Il y a quelques années, j'ai parrainé un projet de loi important, le projet de loi sur la Commission canadienne du blé. M. Boehm avait également comparu dans le cadre de cette étude. Je lui ai demandé à l'époque le nombre de membres que son syndicat comptait. Il ne pouvait pas me fournir une réponse. J'ai cru, puisqu'il a eu quelques années pour y penser, qu'il aurait pu me donner une réponse mardi. La seule réponse qu'il a pu me fournir, c'est qu'il y a au moins 200 membres. C'est tout ce qu'il a pu me dire.

Vous avez parlé de la structure de votre organisation. J'aimerais savoir combien de personnes vous représentez. Monsieur Van Tassel, je crois qu'en plus d'être vous-même un agriculteur, vous représentez une organisation ou un groupe de personnes.

Je voudrais connaître les chiffres, si possible.

M. Van Tassel : Oui. Au Québec, nous représentons 11 000 producteurs de grains qui commercialisent au moins une certaine quantité de leur grain.

Le sénateur Plett : Merci.

M. Dahl : J'ai du mal à donner un chiffre, mais je peux vérifier l'information et vous parler de la représentation des producteurs. Céréales Canada se compose de trois piliers : les organisations agricoles, les entreprises de développement des cultures et les semenciers, ainsi que les entreprises de manutention du grain. Les producteurs représentent 37,5 p. 100 des membres du conseil d'administration; ce chiffre est important parce qu'il correspond aussi à la répartition du budget. Nos membres proviennent des organisations suivantes : l'Atlantic Grains Council, la FPCCQ, Grain Farmers of Ontario, la Manitoba Wheat and Barley Growers Association et l'Alberta Wheat Commission, ainsi que B.C. Grain Producers.

Le sénateur Plett : Monsieur Dahl, selon les témoignages que nous avons entendus mardi, le projet de loi ne profiterait qu'aux Monsanto de ce monde, c'est-à-dire aux grandes sociétés de semences multinationales. Ce soir-là, nous avons également reçu une représentante de Canterra Seeds, de Winnipeg, notre ville d'origine, et je pense qu'elle a dit que son entreprise comptait 27 employés.

Le projet de loi profitera-t-il uniquement aux multinationales, ou les Canterra de ce monde pourront-elles en bénéficier aussi? Avez-vous une idée du nombre de petites entreprises de semences canadiennes qui pourraient en profiter?

M. Dahl : Je pense que je peux répondre à cette question sans équivoque. Il y aura des retombées pour les petites entreprises indépendantes de développement des cultures, ainsi que pour les institutions publiques. Des organismes comme le Crop Development Centre en Saskatchewan, par exemple, appuient le projet de loi parce qu'il leur permet d'établir cette structure pour garantir le rendement du capital investi.

J'ai parlé de certains des mythes ou des perceptions erronées qui se sont créés autour du projet de loi. Celui-ci en est justement un. Je peux dire sans ambages que les retombées vont à tous les maillons de la chaîne de développement.

M. Van Tassel : Par exemple, dans notre cas, il y a au moins sept petites organisations qui s'adonnent à la sélection de grains, ainsi qu'une organisation publique — par rapport à six ou sept organisations privées. Pourquoi? Parce qu'au Québec, depuis 1991, dans le cadre du régime d'assurance-récolte, il fallait utiliser des semences certifiées. On était certain d'avoir un marché pour ses produits. C'est pourquoi on compte sept organisations; dans ma province, on ne cultive même pas autant de céréales. Nous ne sommes pas la Saskatchewan. Il y a donc sept raisons. Ces organisations étaient sûres d'obtenir, à tout le moins, un rendement du capital investi, et le projet de loi C-18 les aidera encore plus dans cette voie.

Les petites entreprises ou organisations auront besoin de plus d'appui que les grandes entreprises, parce qu'une grande entreprise peut recourir à l'hybridation du blé et à tout le reste; l'agriculteur est donc obligé d'acheter des semences chaque année. Par contre, une petite entreprise n'a pas la capacité de le faire. Comme je l'ai dit dans mon exposé, je pense que cette mesure législative aide les petites entreprises, peut-être même un peu plus que les grandes.

Le sénateur Plett : Ma dernière question s'adresse à M. Stanford et peut-être aussi à M. Van Tassel, puisqu'ils sont tous les deux des agriculteurs. Aucun de vous n'a parlé des avances de fonds. J'aimerais savoir comment les avances de fonds vous aideront en tant qu'agriculteurs, par rapport à une association comme la vôtre qui représente 50 000 producteurs de grains.

M. Stanford : En ce qui concerne les avances versées aux petits agriculteurs — il y a de jeunes agriculteurs qui débutent —, la première tranche de 100 000 $ est accordée sans aucun intérêt pendant un an. Cela aide vraiment les jeunes à commencer leur exploitation sur une petite superficie de terres. Ensuite, nous passons à la limite de 400 000 $. Si vous êtes un grand agriculteur et que vous avez besoin de beaucoup de fonds de roulement — disons que vos cellules à grain débordent parce que les chemins de fer n'ont pas pu transporter le grain —, vous pouvez quand même emprunter en contrepartie une avance de fonds. Mais si vous avez une grande exploitation agricole, un montant de 400 000 $ ne suffit plus; voilà pourquoi nous voulions que la limite soit révisée à la hausse.

Quant à savoir à combien la limite devrait être portée, je n'en suis pas sûr. On nous a proposé une limite de 600 000 à 800 000 $, mais nous estimons qu'il y a lieu de l'accroître un peu plus de sorte que les producteurs puissent s'adresser à une seule organisation pour obtenir l'avance de fonds nécessaire à leurs semis du printemps. C'est ainsi que nous voyons les choses du point de vue des producteurs de grains.

M. Van Tassel : Ma fédération gère les paiements d'avance de fonds pour le compte des producteurs de grains au Québec. Ce programme existe depuis 25 ans, à ma connaissance.

Du point de vue des agriculteurs, les avances de fonds leur donnent la capacité de commercialiser le grain de façon ordonnée, comme il se doit, car les agriculteurs ont ainsi la possibilité d'obtenir plus de financement. Alors, oui, il s'agit d'une pratique courante dans ma province, et ce, depuis 1984. C'est donc très important. En ce qui nous concerne, les modifications ne nous touchent pas tant que cela, mais nous sommes très satisfaits du programme.

La sénatrice Tardif : Merci d'être des nôtres ce matin. Je voudrais revenir sur certaines des observations que nous avons entendues mardi soir. Le sénateur Plett a raison : la grande majorité des témoins que nous avons reçus appuient le projet de loi, mais il y a des groupes d'intervenants qui s'en inquiètent. Ils ont signalé qu'il y a une plus grande uniformité génétique des variétés sur le marché en raison de la tendance au regroupement d'entreprises; qu'il existe un énorme écart entre les programmes publics et privés de sélection des végétaux; que les programmes publics de sélection des végétaux encouragent un plus grand échange d'information et de matériel génétique, alors que les programmes privés misent sur le protectionnisme, c'est-à-dire que les sélectionneurs du secteur privé refusent de divulguer les variétés avec lesquelles ils travaillent et ils rendent difficile l'accès à l'information. Par conséquent, une telle approche pourrait réduire le nombre de variétés végétales disponibles, et cela pourrait coûter plus cher aux exploitations agricoles. Qu'en pensez-vous?

M. Dahl : Je serais très heureux de répondre à cette question parce que, là encore, je pense qu'il y a eu quelques perceptions erronées au sujet du projet de loi. L'idée que le projet de loi restreindra la variabilité génétique des cultures au Canada en est un exemple. À mon avis, il y a deux raisons. Nous avons parlé de la première : l'idée que le projet de loi ne profitera qu'aux grandes sociétés. En fait, ce n'est pas le cas. Les sélectionneurs du secteur public et ceux de petite taille en bénéficieront, eux aussi, de façon considérable.

Par ailleurs, le projet de loi ouvre l'accès à la génomique dans le monde entier. Il permet aux sélectionneurs de végétaux canadiens d'avoir un meilleur accès parce qu'il fournit le cadre nécessaire pour accéder à la recherche génétique d'autres organisations et d'autres pays. C'est donc tout le contraire. Selon moi, le projet de loi prévoit un tel cadre et permet au Canada d'être au diapason des conventions internationales, ce qui donnera à nos organisations de sélection des végétaux, qu'elles soient publiques ou privées, un meilleur accès à la banque génétique du monde, d'où l'amélioration de notre diversité génétique, et non sa restriction. Alors, je vois les choses très différemment.

M. Van Tassel : Si vous me permettez, j'aimerais dire un mot à ce sujet. Ma fédération, ainsi que différentes organisations, comme Grain Farmers of Ontario, consacrent beaucoup d'argent aux activités de sélection menées par les organisations publiques parce que nous croyons qu'il faut un équilibre entre le secteur public et le secteur privé. Oui, cette mesure vient en aide aux entreprises privées, mais elle aide aussi les entreprises publiques. Comme je l'ai dit, nous avons une ferme de recherche provinciale qui s'occupe de la sélection du blé et du soja. Dans le cas des organisations publiques aussi, le projet de loi peut aider à obtenir un meilleur rendement du capital investi parce que nous les finançons, mais elles ont besoin de faire un peu d'argent, elles aussi. Il faut un équilibre entre les deux. Oui, il faut des sélectionneurs dans le secteur privé, mais il en faut aussi dans le secteur public.

La sénatrice Tardif : Je crois comprendre que 90 p. 100 des variétés disponibles sur le marché sont de nature hybride et que les agriculteurs n'ont pas le droit de les conserver. Est-ce exact?

M. Van Tassel : Si vous parlez du canola, oui, il y a beaucoup de variétés hybrides et, en effet, les agriculteurs n'ont pas le droit de les conserver. Mais cela dépend de la culture parce qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas de variétés hybrides de blé ou d'orge. Le maïs est hybride à 100 p. 100 depuis les années 1930. C'est un bon exemple parce que, dans le cas du maïs, il y a une augmentation des récoltes, d'environ presque 2 p. 100 par année. Pourquoi? Parce que l'entreprise qui s'occupe de la sélection doit obtenir un certain rendement du capital investi. Cela rapporte beaucoup d'argent, et on voit que les récoltes continuent d'augmenter en conséquence.

La sénatrice Tardif : C'est justement l'une des critiques formulées par l'un des témoins mardi, à savoir que 45 p. 100 de toutes les recherches agricoles menées par le secteur privé à l'échelle mondiale portent sur une seule culture : le maïs. Il y a donc une forte concentration dans seulement quelques domaines.

M. Van Tassel : Si vous me le permettez, oui, j'en conviens, mais pourquoi le maïs? Parce que les producteurs ont un rendement du capital investi. Le projet de loi aidera les entreprises à s'assurer qu'elles pourront, elles aussi, faire fructifier leurs investissements. Il y aura donc désormais un investissement accru dans d'autres cultures.

La sénatrice Tardif : J'espère que vos attentes se révéleront exactes. Je l'espère sincèrement.

J'aimerais passer à une autre question, c'est-à-dire la possibilité que le ministre apporte des changements par décret — et je sais que j'en ai déjà parlé, mais je tiens simplement à ce que tous ces groupes d'intervenants se sentent rassurés au sujet du projet de loi. Le privilège accordé aux agriculteurs est maintenant soustrait à l'application de la Loi sur la protection des obtentions végétales, mais des changements pourraient être apportés par décret du gouvernement. À quel point êtes-vous à l'aise avec cette éventualité?

M. Dahl : J'inviterai également M. Van Tassel et M. Stanford à répondre. Le droit des agriculteurs de conserver leurs semences est enchâssé dans la loi, et on ne peut pas le changer par décret.

La sénatrice Tardif : Oui, c'est possible.

M. Dahl : Le projet de loi actuel ne fait aucune mention du privilège accordé aux agriculteurs. Nous en avons parlé avec nos membres dans l'ensemble de la chaîne de valeur. Sommes-nous à l'aise avec le processus consultatif qui est énoncé dans l'ordre de renvoi? Sommes-nous à l'aise avec ces changements et avec l'idée de permettre au système d'évoluer avec le temps? La réponse est oui, parce que nous aurons ainsi une approche beaucoup plus souple pour les investissements et la recherche dans le contexte canadien. Là encore, cela s'applique aux sélectionneurs de végétaux, petits et grands, tant du secteur public que du secteur privé.

La sénatrice Tardif : Je peux comprendre que les entreprises de semences trouvent qu'il serait plus efficace d'adopter des règlements sans nécessairement les publier dans la Gazette du Canada. C'est une façon de rationaliser le processus. Mais je me demande ce que vous en pensez, monsieur Stanford, du point de vue d'un agriculteur?

M. Stanford : Dans mon exposé, j'ai dit que les agriculteurs canadiens ont toujours pu conserver leurs semences, mais ce droit n'était jamais garanti dans la réglementation. Le projet de loi C-18 change la donne, et toute condition ou restriction future imposée à ce privilège des agriculteurs ne sera possible que par voie de réglementation, en consultation avec les producteurs.

Je sais que le ministre pourrait décider, du jour au lendemain, de changer telle ou telle chose, mais d'après le libellé du projet de loi, il faut d'abord consulter les producteurs avant de prendre un règlement. C'est ainsi que je l'interprète, et j'estime qu'il y aura des consultations avant que toute modification soit apportée.

La sénatrice Tardif : Eh bien, vous avez bon espoir. J'espère que ce sera bien le cas. Je ne doute pas de la bonne volonté de l'actuel ministre, mais les choses finissent par changer en cours de route.

M. Stanford : D'accord, merci. C'est un bon point.

La sénatrice Tardif : J'en resterai là, monsieur le président.

[Français]

Le président suppléant : Avant de donner la parole aux sénateurs, je demanderai à tous les sénateurs d'être plus brefs dans leurs questions et aux invités d'être plus brefs dans leurs réponses. Ainsi, tous les sénateurs et sénatrices auront la chance de poser leurs questions. Sénateur Oh, la parole est à vous.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. Ma question est la suivante : pouvez-vous nous parler un peu des avantages du projet de loi C-18, avant et après son adoption? Quels avantages en tirons-nous? Aussi, croyez-vous que le projet de loi C-18 permettra au Canada d'être conforme aux normes internationales grâce à un accès à plus de recherches, d'investissements et d'innovations dans le domaine de la sélection végétale?

M. Dahl : Pour répondre brièvement, je dirai que oui, tout à fait. Si je peux affirmer cela, c'est parce que des entreprises ont commencé à investir dès que le projet de loi a été présenté. Je sais qu'il y a des investissements sur la table, qui attendent d'être signés après l'adoption du projet de loi. Alors, oui, le projet de loi contribuera à des investissements accrus au Canada.

M. Van Tassel : Je suis du même avis.

M. Stanford : Oui, au Centre de recherche de Lethbridge — où je travaille maintenant —, je rends toujours visite à des sélectionneurs de végétaux, et c'était l'une des questions que je leur avais posées. Si le projet de loi est adopté, y aura-t-il un effet négatif sur le travail qu'ils font actuellement dans le système public? Ils m'ont répondu que non, car le projet de loi leur offrirait plus de débouchés et plus de possibilités de travailler avec le secteur privé. Alors, oui, ce sera très avantageux pour le Canada.

La sénatrice Merchant : Merci à nos invités. Vous nous avez parlé de la structure de vos entreprises, mais puis-je en savoir plus sur le financement? D'où provient votre financement?

M. Dahl : Jusqu'ici, tout notre financement — je rappelle que nous sommes une nouvelle organisation — provient de nos membres. Nous sommes donc financés par nos membres, et la composition de notre conseil d'administration est à peu près égale : 37,5 p. 100 de producteurs; 37,5 p. 100 d'entreprises de manutention et de transformation du grain; et 25 p. 100 d'entreprises de semences et d'entreprises de développement des cultures. C'est ainsi que notre budget est réparti.

La sénatrice Merchant : Recevez-vous du financement de la part des entreprises de semences?

M. Dahl : Oui, le financement vient de tous les piliers qui composent notre organisation, et il s'agit là d'une structure délibérée pour veiller à ce que toute la chaîne de valeur soit représentée. Si nous ne tenons pas compte de l'ensemble de la chaîne de valeur ou si nous présentons un investissement ou une innovation dont une partie de la chaîne de valeur ne profite pas, le projet n'ira pas de l'avant. S'il y a une nouvelle variété formidable que nos clients en Asie tiennent à acheter, mais dont la culture ne rapportera pas de profits à Gary et à William, cette variété ne sera pas cultivée. Bref, toutes les parties de la chaîne de valeur doivent intervenir et elles doivent toutes réaliser des profits.

La sénatrice Merchant : Qu'en est-il des autres?

M. Van Tassel : Mon organisation est financée à 100 p. 100 par les agriculteurs qui commercialisent le grain. Il y a un prélèvement et, pour en assurer l'impartialité totale, le financement ne provient que des agriculteurs.

La sénatrice Merchant : Monsieur Stanford, est-ce la même chose pour vous?

M. Stanford : L'association des Producteurs de grains du Canada est composée de 14 organisations. Il y a l'Atlantic Grains Council, puis au Manitoba, nous devons traiter avec William, mais nous travaillons avec lui sur beaucoup de projets. Nos membres représentent l'ensemble du Canada, de la Colombie-Britannique aux provinces de l'Atlantique, et ils paient des frais d'adhésion pour se joindre à notre association. Une partie de notre financement provient des entreprises de développement des cultures et des entreprises d'engrais, qui nous aident à payer les frais d'adhésion. Mais plus de 50 p. 100 de notre revenu provient toujours des organisations agricoles parce que nous voulons que notre organisation soit entièrement dirigée par les agriculteurs et qu'elle représente ainsi leur voix.

La sénatrice Merchant : Une dernière question : vous avez parlé des avantages pour les producteurs, du rôle de nourrir le monde et de la croissance démographique. Pourriez-vous nous dire comment l'adoption du projet de loi C-18 aidera le consommateur? Ce n'est peut-être pas la même situation, mais dans le cas des entreprises pharmaceutiques, par exemple, le Canada s'est doté d'une très bonne industrie pour la production de médicaments génériques. Nous savons que les gens achètent leurs médicaments génériques ici. Pourquoi devrions-nous accorder une protection différente, aux termes du projet de loi C-18, à cet autre groupe ou à cette autre collectivité? Après tout, je crois que les consommateurs ont profité des médicaments génériques.

M. Van Tassel : Si je peux répondre, nous avons parlé de différentes cultures. Vu qu'il est hybride, les compagnies ont beaucoup investi dans le maïs, dont elles ont accru les rendements de près de 2 p. 100 par année. Au Québec, le producteur rentabilise mieux son investissement et, normalement, la culture coûte moins cher à produire, parce qu'il peut produire plus à moindre coût sur la même superficie.

À l'opposé, il y a le blé, par exemple. Son amélioration génétique est plus difficile, mais on n'y investit pas autant qu'il faudrait, en raison de la rentabilisation incertaine de l'investissement, ce qui ralentit l'amélioration du rendement du blé. Au producteur québécois, le maïs offre le meilleur rendement, la meilleure rentabilisation de l'investissement; le blé, les pires. Voilà pourquoi notre superficie emblavée est moindre. Elle devrait être plus grande.

Le projet de loi devrait aider à accroître les investissements dans le blé. Il se fera plus d'amélioration, les rendements augmenteront, et nous aurons de meilleures variétés.

M. Dahl : Je suis d'accord avec William et je devrais aussi ajouter, pour revenir à la chaîne de valeur, qu'il faut tenir compte de tous les maillons de l'industrie, pour qu'ils travaillent de concert, depuis les consommateurs jusqu'à nos clients, en passant par les agriculteurs, les manutentionnaires, les transformateurs et les obtenteurs. Il faut que tous en profitent.

Vous avez parlé des consommateurs. Le projet de loi permettra des investissements dans le créneau où les clients peuvent être à la recherche de certaines qualités particulières qu'ils voudraient se procurer au Canada, mais la possibilité de rentabiliser cet investissement n'est pas suffisante, actuellement, pour qu'on fasse cet investissement dans la recherche. La loi aidera à boucler cette boucle.

M. Stanford : Il y a deux semaines, à Saskatoon, au salon des cultures de blé et d'orge, c'était justement le sujet de conversation, parce qu'il n'y a pas eu beaucoup d'investissement à des fins pharmaceutiques. Le blé et l'orge ont toujours été destinés à l'alimentation. Mais, les nouvelles variétés nous offrent peut-être de nouvelles possibilités. Votre question arrive à point nommé, parce que c'était ce dont nous discutions. Je vous tiendrai au courant de ce que nous ferons.

La sénatrice Unger : Merci, messieurs. C'est très intéressant. Ma question concerne la controverse au sujet des niveaux de financement public et privé, particulièrement de la baisse à venir du financement public, dont des organisations privées prendront la relève. D'après vous, quel devrait être le rôle de la recherche du secteur public après l'adoption du projet de loi C-18?

M. Van Tassel : Si vous permettez, cela m'intéresse, parce que j'ai toujours pensé qu'un équilibre entre le public et le privé était très important, comme je l'ai dit. Parfois, le secteur public procure une plus grande marge de manœuvre. Par exemple, le canola s'est fait connaître parce qu'on a beaucoup investi dans cette culture pendant de nombreuses années, ce que, peut-être, le privé n'aurait pas fait.

Les investissements publics dans l'amélioration génétique devraient rester importants. Sauf qu'ils se sont faits très discrets. Nous avons vu la fin de certains programmes. En ma qualité d'agriculteur, je voudrais que le secteur public augmente ses investissements dans l'amélioration génétique. Comme je ne suis pas sûr qu'il y en aura encore, je pense que les deux sont indispensables à notre compétitivité.

M. Dahl : D'après moi, ce projet de loi ne modifie pas l'équilibre entre les investissements publics et privés dans l'amélioration génétique des espèces végétales. On ne partage pas seulement le gâteau de manière différente : le gâteau est aussi plus gros. Il ne faut pas seulement voir une transition des investissements publics vers les investissements privés, mais, globalement, une augmentation des investissements, et je suis certain que c'est ce qui arrivera.

Par exemple, par rapport à certaines cultures, seulement 5 p. 100 de l'investissement dans la recherche-développement sur l'amélioration génétique du blé au Canada viennent du privé. Je ne veux pas que cette part augmente parce que les investissements publics diminuent, mais il faut que ces 5 p. 100 augmentent sensiblement, et l'occasion se présente. Si ce n'est pas au Canada, ça se fera chez nos concurrents, et je ne le veux pas.

M. Stanford : Je voudrais que le secteur public reste le même et peut-être même qu'il prenne plus d'importance, comme William l'a dit, mais il faut conserver le secteur public. Je ne veux pas assister à l'abandon au privé de l'amélioration génétique du blé au Canada. Je pense que le secteur public existe pour le bien public. J'en ai parlé au ministre Ritz et je lui ai dit qu'il fallait maintenir le secteur public.

Il pourrait y avoir des partenariats. Je pense que même les obtenteurs étaient disposés à mettre en commun leurs matériels génétiques et à collaborer entre eux, mais il est très important que nous maintenions le secteur public.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Le projet de loi C-18 donnera peut-être aux producteurs accès à une plus grande variété de semences. Pensez-vous que, à ce moment-là, ils seront moins enclins à conserver une partie de leur récolte pour l'utiliser comme semence?

M. Van Tassel : Il est sûr que, quand il y a de nouvelles variétés qui arrivent et dont le rendement est plus élevé, ils l'achètent; en tout cas, je l'espère. Au Québec, avec l'assurance récolte, on est obligé d'utiliser de la semence certifiée. On l'achète déjà, et on peut constater la différence. Oui, il y a des compagnies qui investissent, mais probablement qu'il y aura plus de semences certifiées qui seront vendues.

[Traduction]

M. Dahl : Je suis d'accord avec M. Van Tassel. Je pense qu'on verra plus de variétés et que l'intérêt sera renouvelé grâce aux nouvelles variétés.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai eu ma réponse, et c'était une bonne réponse.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos exposés. Des acteurs du secteur ont laissé entendre que le privilège accordé dans le projet de loi C-18 pourrait être limité par l'adoption de nouveaux règlements. Par exemple, le paragraphe 50(4) du projet de loi autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements excluant des catégories d'agriculteurs et des variétés végétales et limitant l'utilisation du produit de la récolte. D'autres pays membres de l'UPOV 91 ont-ils retiré à certains agriculteurs le privilège accordé aux agriculteurs et ont-ils soustrait certaines variétés végétales à ce privilège? En connaissez-vous des exemples? Si oui, pour quelles catégories d'agriculteurs et quelles variétés végétales? En avez-vous entendu parler?

M. Dahl : À ce que je sache, le projet de loi C-18 interprète de façon particulière l'UPOV 91. Il diffère donc un peu des lois des autres pays. Je ne crois pas qu'on puisse faire de comparaison directe. Les autres pays, en effet, appuient la recherche au moyen de méthodes différentes. Par exemple, les redevances se prélèvent de différentes façons. Au Royaume-Uni, ce sont les redevances de fin de chaîne, mais, à ma connaissance, l'interprétation canadienne de l'UPOV 91, parmi toutes les lois adoptées dans le monde entier, est particulière. Voilà, à mon avis, je le souligne, ce qui empêche de comparer directement le libellé du projet de loi à celui des lois d'autres pays.

M. Van Tassel : Ma réponse sera forcément limitée, mais si on parle des redevances de fin de chaîne, c'est une question que j'ai étudiée un peu. En France, on s'y prend différemment. En Australie aussi. Probablement que le Canada les adaptera d'une certaine façon à ses besoins. Tôt ou tard, cela arrivera. À part cela, je ne peux pas vraiment répondre à votre question.

M. Dahl : Je mentionne l'interprétation particulière du Canada parce que la convention n'autorise pas les pays à interpréter son application à leur façon. Je m'attends à ce que le Canada la conserve. Avec l'évolution continuelle de notre système, nous continuerons d'interpréter la convention à la canadienne.

M. Stanford : D'après nous, si nous adoptons une redevance de fin de chaîne — d'ici 10 ans —, je me contenterais, pour le moment, de partenariats et de l'apprentissage, par le secteur privé, de la collaboration avec le nouveau secteur. Le projet de loi C-18 changera les règles du jeu. Nous, les Producteurs de grains du Canada, voulons que ce soit appliqué, mais lentement, pour en comprendre le fonctionnement et nous assurer la promulgation de tous les règlements. Nous n'allons tirer aucune conclusion hâtive sur l'adoption d'éventuelles redevances de fin de chaîne ou de simples redevances sur les semences. Nous devrons examiner la situation.

Le sénateur Enverga : Je me suis arrêté au fait que nous sommes le premier producteur de soja et d'autres cultures, le canola peut-être. À quels genres d'exclusions vous attendez-vous, et proposeriez-vous de soustraire des entreprises agricoles ou des cultures particulières?

M. Van Tassel : Pouvez-vous vous expliquer? Je ne suis pas sûr de tout comprendre.

Le sénateur Enverga : Le projet de loi autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements qui excluent certaines catégories d'agriculteurs et variétés végétales et qui limitent l'utilisation du produit de la récolte. Y a-t-il des cultures particulières auxquelles vous songez, dans ce contexte, ou y en a-t-il qui, d'après vous, devraient être ainsi exclues?

M. Dahl : Je pense que la réponse à cette question, pour le moment, est non. À ma connaissance, aucun représentant d'une chaîne particulière de valeur ne viendra dire au gouvernement qu'il réclame maintenant la promulgation d'un tel règlement. Je serais d'accord avec M. Stanford pour dire que c'est le sujet de discussions en cours, qui se poursuivront pendant très longtemps.

Le sénateur Plett : Je serai bref. Ma question s'adresse probablement le plus à MM. Van Tassel et Stanford.

Notre ministre de l'agriculture a clairement laissé entendre que ce projet de loi avait fait l'objet d'importantes consultations et il y a toujours cru. Notre gouvernement croit au processus démocratique et il suit la volonté populaire, très certainement celle des agriculteurs canadiens, qui sont très compétents et qui innovent beaucoup. D'après nous, c'est eux qui, vraiment, devraient nous indiquer la voie à suivre, et je pense que c'est ce que nous avons fait.

Vous représentez des organisations importantes. Je pense que vous avez dit 11 000 membres, monsieur Van Tassel, et je sais que M. Stanford a prononcé le chiffre de 50 000. Cela fait 61 000 agriculteurs, et nous avons accueilli d'autres organisations et d'autres agriculteurs. Quel genre de consultations avez-vous tenues pour savoir quoi nous dire? Vous parlez au nom de ces agriculteurs. Avez-vous organisé des genres de votes? Quel genre de consultations avez-vous organisées pour connaître vos directives?

M. Van Tassel : Dans ma province, nous organisons des réunions régionales annuelles d'où proviennent les résolutions des agriculteurs, de la base, qui aboutissent à la réunion provinciale annuelle et qui acquièrent ainsi une représentativité provinciale. Ensuite, nous venons les exposer ici.

M. Stanford : C'est le même processus chez les Producteurs de grains du Canada. Dans nos assemblées générales annuelles, nous discutons de ces questions, puis nous avons des comités, le comité des marchés et celui de la recherche, qui présentent à notre conseil d'administration ce qu'ils croient être juste. Tous les producteurs membres de notre conseil d'administration et de nos comités sont d'accord avec ce que je dis aujourd'hui. Nous voulons que le projet de loi soit adopté. Nous voulons avoir la possibilité d'être plus concurrentiels face aux autres pays. Le projet de loi nous en donnera la chance. Nous sommes donc d'accord.

Le sénateur Plett : Sachant que, peut-être, l'unanimité n'est pas toujours possible, je suppose, d'après ce que vous dites, que si vous ne l'avez pas faite, il s'en fallait d'énormément peu sur cette question.

M. Van Tassel : Je pense que ce n'est pas un enjeu pour ma province. Depuis 1991, depuis que notre assurance-récolte nous y a obligés, nous utilisons des semences certifiées. Depuis les années 1980, nous n'utilisons plus de semences provenant de nos cultures. C'est toujours le cas de la plupart des agriculteurs de ma province. Pour le maïs, c'est une obligation. Pour toutes les autres céréales, le taux d'utilisation des semences certifiées atteint déjà 90 p. 100, peut-être.

Je viens de la région du Lac-Saint-Jean, dans le nord. On y cultive peu le maïs. Nous avons besoin de rendements plus élevés dans les cultures de graminées à paille, orge, blé, avoine, donc besoin de plus d'investissements. C'est ce que j'espère obtenir de ce projet de loi — plus d'investissements, pour que nos agriculteurs rentabilisent mieux leurs cultures pour pouvoir mieux en vivre. Voilà les raisons de mon témoignage.

Le sénateur Plett : Monsieur Stanford, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Stanford : Oui. Je voudrais seulement dire que le travail de recherche que nous faisons dans l'Ouest est très ambitieux, mais l'Atlantic Grains Council est représenté à notre conseil d'administration. Il est préoccupé par la qualité de son blé et de son orge. La collaboration avec les stations de recherche de l'Ouest et, aussi, le concours du secteur privé pour combattre certaines maladies comme la fusariose, comme dans l'Île-du-Prince-Édouard, permettront d'améliorer les variétés en leur donnant une plus grande résistance aux maladies. Nous ne voyons que des occasions à saisir grâce à ce projet de loi.

La sénatrice Tardif : J'ai une observation, puis une petite question. Vous avez exprimé votre appui au maintien de la recherche et des infrastructures du secteur public. Malheureusement, Agriculture et Agroalimentaire Canada vient tout juste d'annoncer, je crois, des compressions de 4 millions de dollars et je suis sûre que cela aura des répercussions, quelque part, à un moment donné. Souhaitons que vos régions soient épargnées.

Revenons aux redevances de fin de chaîne. À la question que j'ai posée au ministre, devant le comité, en décembre, sur la possibilité, pour les obtenteurs, d'empocher des revenus sur les céréales récoltées, et non seulement vendues, il a répondu qu'il faudrait régler cela par contrat, c'est-à-dire signé par l'agriculteur et la société semencière.

Monsieur Stanford, vous avez dit que vous vouliez procéder lentement. Je crois que vous avez dit, monsieur Van Tassel, que, pour les redevances de fin de chaîne, ce n'est qu'une question de temps, 5 ou 10 ans. Cela ne vous inquiète-t-il pas que vous ne décidiez rien, que la société semencière décide, quand vous signerez le contrat et achèterez ces semences, tout dépend, des redevances en fin de chaîne? Il incombe désormais à l'agriculteur de signer un bon contrat avec les sociétés semencières, qu'il devra négocier.

M. Stanford : J'y vois une occasion à saisir pour les agriculteurs. Ce sont maintenant des gens instruits. Ils comprennent ces projets de loi. Quand on signe un contrat pour la culture du canola, on sait qu'elle sera la variété cultivée. On décide donc combien d'argent on y mettra et combien coûteront les semences qu'on veut acheter. Quand je signe un contrat pour l'emploi d'une variété du secteur public et que je paie d'avance pour ces semences certifiées, je sais que c'est ce que je paierai. Si je veux acheter des semences du secteur privé auxquelles s'applique une redevance de fin de chaîne, je le sais aussi. Si le secteur privé m'annonce qu'il prendra la relève, il devra me prouver la valeur de ses semences, sinon, je ne les achèterai pas. Il faudrait des rendements beaucoup plus élevés et une meilleure qualité.

Il faut notamment mentionner que, au Canada, l'homologation est très rigoureuse. Les nouvelles variétés sélectionnées doivent satisfaire à nos normes de qualité, sinon, elles peuvent rester sur le marché des aliments pour les animaux. Les agriculteurs peuvent certainement les cultiver, mais, pour nos marchés internationaux, nous devons maintenir notre qualité à un haut niveau. Voilà comment je vois les choses.

M. Van Tassel : Je faisais déjà partie d'un comité national qui envisageait des manières de financer la recherche publique, entre autres choses. Il a été question des redevances de fin de chaîne, mais c'est tout l'un ou tout l'autre. J'achète des semences certifiées. Je paie alors pour le droit, la recherche et tout le reste. Normalement, quand on n'utilise pas de semences ordinaires, il faut payer un peu plus cher le travail des sélectionneurs. C'est cela qui constituerait probablement la redevance de fin de chaîne. Ensuite, ils auront le choix. Il sera possible d'obtenir pour les semences une rémunération qui n'aura pas déjà été versée comme pour les semences certifiées. Une partie du surplus versé pour les semences certifiées va peut-être au sélectionneur, pour rémunérer son travail.

La sénatrice Tardif : Vous ne croyez pas que plus loin dans la chaîne, une boulangerie pourrait demander quelque chose en raison du blé qui se trouve dans le pain vendu?

M. Van Tassel : Non. Ce sera le créateur de semence et l'agriculteur.

La sénatrice Tardif : Les redevances de fin de chaîne descendent la chaîne.

M. Dahl : Si vous me le permettez, j'aimerais faire un bref commentaire sur votre question au sujet de la boulangerie. En effet, dans un environnement stable qui encourage l'investissement, les propriétaires d'une boulangerie pourraient demander une caractéristique particulière, car ils savent qu'ils peuvent vendre ce produit plus cher sur le marché.

Par exemple, Warburtons achète des produits du Canada et vend ses pains quatre fois plus cher que d'autres pains au Royaume-Uni. L'entreprise pourrait demander à un sélectionneur de végétaux de mettre au point une variété qui présente une qualité particulière. Elle pourrait conclure une entente directement avec les producteurs. Cela permet donc d'offrir aux consommateurs une valeur que nous n'avons peut-être pas aujourd'hui.

La sénatrice Unger : J'ai une question pour M. Dahl, car j'aimerais éclaircir un point. Je suis née et j'ai grandi sur une exploitation agricole du Nord de l'Alberta, mais je sais que les choses ont beaucoup changé. C'est renversant.

Monsieur Dahl, vous avez dit que des agriculteurs récupèrent leurs propres semences. Peuvent-ils les vendre à leurs voisins? Non. Vous avez expliqué que la vente de semences récupérées décourage les investissements et vous avez précisé qu'elle est illégale. Toutefois, même si les semences récupérées ont été produites par quelqu'un d'autre, on ne peut pas les vendre?

M. Dahl : Non, désolé. C'est un terme un peu familier. L'expression « semences récupérées » signifie que j'ai produit une culture commerciale et que j'ai conservé une partie des semences, que je les ai nettoyées et que je les ai vendues à mon voisin. Cela sort donc du processus. Je peux nettoyer ces semences et les utiliser moi-même. C'est le privilège de l'agriculteur. Toutefois, il est illégal de vendre ces semences à mon voisin.

La sénatrice Unger : Même si vous avez créé cette semence vous-même?

M. Dahl : Non. C'est complètement différent, car dans ce cas-là, j'en suis le propriétaire.

La sénatrice Unger : J'aimerais poser une brève question à M. Van Tessel. En 2011, vous avez livré un exposé devant le comité de la Chambre des communes dans lequel vous avez dit qu'au Québec, une région était consacrée à la production GM et qu'elle était passée de 100 000 hectares en 1999 à 400 000 hectares en 2009. Cette région s'est-elle encore agrandie de façon importante?

M. Van Tassel : Vous avez cerné tous les éléments. Cela dépend. Le maïs est peut-être 90 p. 100 GM. Pour le canola, c'est 99 p. 100. L'autre produit qui varie, ce sont les fèves de soya. Si des entreprises souhaitent envoyer davantage de fèves de soya IP non GM au Japon, entre autres, elles augmenteront le prix. Pour nous, c'est parfois 75 p. 100 GM, parfois 40 p. 100 GM. Les fèves de soya sont entre les deux. C'est probablement plus de 400 000, autour de cela.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Standford, monsieur Dahl et monsieur Van Tassel pour vos renseignements utiles. Le temps imparti à votre groupe est écoulé.

[Français]

Nous allons recevoir, par vidéoconférence, pour une période de 45 minutes, Mme Ariane Gagnon-Légaré, organisatrice communautaire en agriculture et alimentation. Je vous souhaite la bienvenue, madame Gagnon, des AmiEs de la Terre de Québec. M. Matthew Holmes, directeur exécutif de l'Association pour le commerce des produits biologiques, fera également une présentation.

Madame Gagnon, vous êtes la première à prendre la parole.

Ariane Gagnon-Légaré, organisatrice communautaire, agriculture et alimentation, Les AmiEs de la Terre de Québec : Bonjour mesdames et messieurs. L'organisme Les AmiEs de la Terre de Québec souhaite favoriser, de concert avec le gouvernement fédéral, l'innovation et la prospérité, qui renforce la qualité de l'alimentation en améliorant le bien-être des personnes qui travaillent dans le secteur agroalimentaire, non seulement au Québec et au Canada, mais aussi à l'échelle mondiale.

Nous discuterons de l'incidence des dispositions du projet de loi C-18 qui encadrent les obtentions végétales et harmonisent les lois canadiennes à la norme UPOV 91 sur la biodiversité agricole, la reconnaissance du bien commun, l'innovation, l'engagement du citoyen et la souveraineté alimentaire.

Le projet de loi C-18 élargit le recours aux certificats d'obtention végétale, une mesure qui favorise les grandes entreprises qui ont les ressources et la culture organisationnelle nécessaires pour mener à bien les démarches administratives afin d'obtenir ces certificats. La Convention sur la diversité biologique attribue l'érosion de la biodiversité agricole à l'homogénéisation des systèmes de production agricole et à la standardisation qu'entraîne la mondialisation, des phénomènes alimentés par les grandes entreprises.

En contrepartie, les données historiques montrent que la diversité des acteurs agricoles, notamment la coexistence de multiples petites fermes où chacune gérait librement ses semences, a favorisé la diversification des variétés végétales.

En adoptant la norme UPOV 91, le Canada nuirait au maintien et à l'expansion de la biodiversité agricole.

Par ailleurs, les semences que nous utilisons aujourd'hui sont les fruits du travail et de l'ingéniosité de millions d'agricultrices et d'agriculteurs. Au fil des millénaires, ceux-ci ont sélectionné les variétés qui convenaient le mieux à leurs conditions géoclimatiques, à leur mode de vie et à leur goût. Issue d'un processus séculaire d'innovation et de diversification, la biodiversité agricole et les semences qui la portent devraient être reconnues comme patrimoine commun de l'humanité.

Les AmiEs de la Terre de Québec estiment que ce patrimoine collectif ne devrait pas être breveté ni presque breveté par des certificats d'obtention végétale.

Pour stimuler l'innovation, plutôt que de calquer le système des brevets et des droits d'auteur par le recours aux certificats d'obtention végétale, le Canada gagnerait à s'inspirer des mouvements des logiciels libres et de la libération des données, soit le open data, auxquels prennent part des entreprises en informatique de pointe tout comme de nombreux gouvernements et des centaines d'institutions universitaires et de recherche partout dans le monde.

L'adoption de l'UPOV 91 irait à l'encontre de ce mouvement qui offre une profusion d'exemples de sa pertinence et de sa productivité.

Par ailleurs, compte tenu du caractère vital des semences, leur gestion citoyenne est primordiale. En établissant un cadre législatif plus lourd, le projet de loi C-18 entraverait la participation populaire à la gestion des semences.

Dans une large mesure, il est crucial que le développement des nouvelles variétés végétales ne soit pas surtout orienté par des entreprises motivées par des gains financiers. Nous considérons qu'une plus large gamme d'actrices et d'acteurs animés par un vaste éventail d'incitatifs ancrés dans une diversité de contextes favoriseront un développement qui répondra aux besoins des générations actuelles et à venir. En ce sens, Les AmiEs de la Terre de Québec souhaitent que les pouvoirs publics soutiennent l'innovation en matière de semences, et ce, en répondant à des orientations éclairées par des débats publics.

Dans le cadre de notre préoccupation pour la biodiversité agricole, pour sa reconnaissance comme patrimoine commun de l'humanité, pour le libre accès aux semences et pour la gestion démocratique et participative, nous souhaitons mettre de l'avant la souveraineté alimentaire, soit le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite à l'aide de méthodes viables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires, et ce, sans que ce droit ne s'exerce au détriment d'autres populations. L'alimentation et l'agriculture devraient, par définition, être gérées collectivement afin d'être adaptées aux caractéristiques environnementales, socioéconomiques et culturelles des collectivités.

La souveraineté alimentaire se pose comme une fin légitime, par exemple, pour adopter des mesures visant à protéger la production, la distribution et la mise en marché locales, et l'instauration de critères de qualité d'emploi et de respect de l'environnement. De telles mesures, qui pourraient être perçues par certains économistes comme étant protectionnistes, deviennent des outils de base au développement des collectivités.

Adhérer au principe de la souveraineté alimentaire permettrait de renverser la tendance à la disparition des petites exploitations agricoles, et de dynamiser l'économie des régions rurales tout en nous prémunissant contre les aléas des marchés mondiaux. Favoriser les petites entreprises agricoles peut également être un moyen d'avoir accès, localement, à des aliments de qualité et frais. Ces aliments de qualité, tout comme la participation à des activités agricoles, ont un rôle à jouer dans la propagation de saines habitudes de vie.

Partant de la gestion des semences, Les AmiEs de la Terre de Québec proposent une vision qui prend en compte la justice environnementale, la santé publique et la réduction de la pauvreté. Une vision où notre système alimentaire, compte tenu de son rôle névralgique sur le plan économique et environnemental, sur le dynamisme régional et sur la santé publique, est déterminé grâce à des débats et à des décisions communautaires pour le bien-être des générations actuelles et à venir.

En somme, Les AmiEs de la Terre de Québec recommandent que le gouvernement canadien adopte l'approche de la souveraineté alimentaire et qu'il gouverne selon cette vision; qu'il facilite la gestion et le partage libre des semences; qu'il reconnaisse la biodiversité agricole et les semences qui la portent comme un patrimoine commun de l'humanité; et qu'il favorise l'innovation en matière de semences grâce à des fonds publics, et ce, en répondant à des orientations éclairées par des débats publics.

[Traduction]

Matthew Holmes, directeur exécutif, Association pour le commerce des produits biologiques au Canada : Merci, monsieur le président, et merci, honorables membres du comité, de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. Je m'appelle Matthew Holmes. Je suis directeur général de l'Association pour le commerce des produits biologiques au Canada. J'aimerais vous parler un peu de notre association. Nous sommes un organisme composé de membres et nous représentons les intervenants du milieu des affaires du secteur biologique au Canada, notamment des agriculteurs biologiques, des organismes provinciaux, des fabricants, des inspecteurs, des exportateurs, des distributeurs et des détaillants.

Selon les dernières données d'ensemble, on évalue maintenant le marché biologique mondial à plus de 64 milliards de dollars en ventes à la consommation. Le Canada est maintenant le quatrième plus grand marché, avec des ventes de 4 milliards de dollars par année. Le secteur biologique devrait connaître une croissance continue dans les deux chiffres, et notre plus grand défi est l'approvisionnement. En effet, nous n'avons tout simplement pas suffisamment de producteurs ou d'ingrédients pour répondre à la demande.

Au pays, il y a plus de 5 000 exploitations agricoles, manutentionnaires et fabricants agréés. Selon les recherches menées par notre association, les agriculteurs biologiques gagnent habituellement davantage que les agriculteurs traditionnels moyens, l'agriculture biologique attire la prochaine génération d'agriculteurs — en moyenne, nous avons de 8 à 10 ans de moins — et les exploitations agricoles biologiques créent des emplois à un taux deux fois plus élevé que les exploitations agricoles traditionnelles. Nous sommes d'avis que les politiques qui appuient actuellement l'agriculture biologique au Canada soutiendront également un avenir stable et diversifié pour l'agriculture en général au Canada.

Pendant la dernière année, à la demande du Comité du service unitaire du Canada, notre association a mené des recherches sur l'utilisation des semences dans le secteur de l'agriculture biologique. Nous avons conclu que le secteur biologique utilise des semences biologiques et écologiques pour environ 78 millions de dollars par année. Toutefois, très peu de variétés commerciales sont créées avec les caractéristiques nécessaires aux agriculteurs biologiques, et actuellement, nous ne représentons pas un marché suffisant pour la plupart des sélectionneurs de plantes pour justifier la création à grande échelle de ces caractéristiques. Ainsi, de nombreux agriculteurs biologiques comptent sur les semences récupérées pour répondre à leurs besoins particuliers. En fait, nous avons conclu que plus de 60 p. 100 des semences qui ont produit certaines grandes cultures provenaient de semences récupérées. C'est pourquoi nous concluons que toute nouvelle loi sur les semences doit protéger la capacité des agriculteurs de récupérer, d'entreposer et d'utiliser les semences pour répondre à leurs besoins.

En raison de ses besoins agronomiques particuliers et d'un manque de variétés commerciales adaptées à la production biologique, le secteur biologique compte sur des variétés essentiellement dérivées. De nombreux producteurs biologiques utilisent de petites parcelles d'essai qu'ils sèment pour comprendre le rendement localisé des semences, leur rendement dans l'agriculture à faibles entrants et leur résistance naturelle aux organismes nuisibles ou pour s'assurer de l'absence de caractéristiques d'OGM. Pour cette raison, nous devons offrir à nos agriculteurs la plus grande souplesse possible et la capacité de déterminer eux-mêmes les produits qu'ils peuvent obtenir, entreposer et semer.

J'ai eu le plaisir de comparaître devant le Comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire l'automne dernier au sujet de ce projet de loi. Nous avons fondé notre témoignage sur les recherches dont je viens de vous parler et nous avons exprimé notre appui provisoire à l'égard du projet de loi C-18 si nos préoccupations de base liées au droit des agriculteurs de récupérer et d'entreposer des semences étaient réglées. J'ai été ravi de lire les amendements au projet de loi adoptés par la Chambre lors de sa troisième lecture, avant qu'il soit renvoyé au Sénat, surtout en ce qui concerne le libellé de l'article 5.3. À notre avis, ce libellé est essentiel pour que le projet de loi soit adopté au Sénat.

Toutefois, nous craignons toujours que le projet de loi puisse engendrer des règlements qui pourraient retirer ou restreindre le privilège de l'agriculteur selon le type de culture ou le retirer à certains groupes précis d'agriculteurs. En effet, les agriculteurs biologiques sont souvent mis de côté par les sélectionneurs de végétaux, et nous craignons que cela crée une situation dans laquelle nous n'avons pas accès aux semences appropriées. Ce privilège ou ce droit devrait être irrévocable.

Enfin, le projet de loi C-18 ouvre également la voie à un futur système de redevances de fin de chaîne. Je sais que les membres du comité en ont discuté. Cela permettrait aux sélectionneurs de végétaux de percevoir des redevances sur les produits récoltés.

Notre association recommande vivement que le libellé du projet de loi énonce explicitement que les RFC ne peuvent jamais être plus élevées pour les semences récupérées que pour les semences achetées. Il s'agit d'une simple mesure de protection qui pourrait être ajoutée au projet de loi.

À ce titre, j'aimerais souligner que la Cour européenne de justice a décrété que les coûts de récupération d'une semence ne peuvent pas être plus élevés que la moitié des redevances à payer sur cette semence, ce qui assure que tous les intervenants de la chaîne de valeur sont traités de façon équitable. À notre avis, ces rajustements mineurs au projet de loi produiront des impacts réels sur les agriculteurs canadiens, tout en appuyant également l'objectif principal du projet de loi tel que rédigé et proposé.

Nous vous remercions de votre temps. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Français]

Le président suppléant : Merci beaucoup. Avant que les sénateurs posent leurs questions, je vous rappelle que nous devons quitter la salle à 10 heures, puisqu'un autre comité doit occuper cette salle après nous. Je vous demande donc des questions et des réponses brèves.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Monsieur Holmes, si je vous ai bien compris, vous avez indiqué que même si vous accordiez votre appui provisoire au projet de loi et que vous étiez ravi des amendements qui ont été présentés à la Chambre, vous craignez toujours que le projet de loi C-18 compromette votre accès aux semences appropriées et vous avez indiqué que peu de variétés sont créées pour les cultures biologiques.

Que pouvons-nous faire pour vous assurer que vos intérêts sont protégés et respectés?

M. Holmes : Merci, madame la sénatrice. J'ai l'impression que les amendements qui ont été présentés fournissent au moins une mesure de protection de base qui permet aux producteurs biologiques du Canada de continuer à récupérer des semences de leurs activités pour les préparer, les entreposer et les replanter, afin qu'au minimum, nous puissions conserver ce que nous avons.

La croissance du secteur biologique se poursuivra, et c'est une forte croissance. En effet, nous voyons des agriculteurs biologiques canadiens recevoir de 300 à 400 p. 100 de plus par boisseau que les agriculteurs traditionnels pour certaines de leurs cultures, et il y a donc une très forte demande sur le marché et à l'exploitation agricole. Tous les éléments nécessaires pour faire la promotion de cette industrie et en favoriser la croissance sont présents.

À long terme, pour veiller à ce qu'il y ait de nouvelles variétés innovatrices et de nouvelles semences, on déploie de grands efforts pour stimuler et créer des variétés très particulières destinées aux agriculteurs biologiques. La réalité, surtout en ce qui concerne l'agriculture biologique, car c'est un système à faibles entrants, c'est que ce secteur dépend en grande partie des besoins des cultivateurs par région. Donc un grand système, une grande entreprise qui produit de nouvelles variétés ne peut habituellement pas être un outil précis ou produire une semence particulière pour ces cultivateurs locaux.

La sénatrice Tardif : Vous affirmez donc que l'investissement dans les semences biologiques serait moins attirant pour un sélectionneur de végétaux privé?

M. Holmes : Il y aura des occasions favorables aux investissements privés et à la création de semences biologiques, car les cultivateurs biologiques doivent utiliser des semences biologiques si elles sont offertes. Cela agit donc comme un incitatif, mais ce sera toujours une activité très localisée et très restreinte, et qui s'exerce à une échelle plus petite.

La sénatrice Tardif : J'ai entendu certains citoyens canadiens exprimer leurs préoccupations à l'idée qu'on ne leur permettra pas de récupérer les semences traditionnelles. Quelle est votre interprétation du projet de loi à cet égard?

M. Holmes : D'après ce que je comprends, le projet de loi n'empêche pas l'offre continue de semences traditionnelles.

La sénatrice Tardif : Pourriez-vous nous relire l'amendement proposé qui, à votre avis, protégerait vos intérêts?

M. Holmes : J'ai soulevé deux points. D'abord, l'élimination ou la restriction du privilège de l'agriculteur nous préoccupe, car en vertu de cette loi, on pourrait prendre un règlement qui retirerait le privilège de l'agriculteur à certaines cultures ou à certaines catégories d'agriculteurs. Nous demandons toujours que le droit de récupérer des semences soit accordé aux agriculteurs biologiques.

Le deuxième point, c'est que si, en vertu de cette loi, on prenait un règlement pour mettre en œuvre un système de redevances de fin de chaîne, ces redevances ne devraient jamais être plus élevées pour les semences récupérées que pour les semences achetées. Nous recommandons un libellé qui protège ceux qui récupèrent les semences et les réutilisent contre l'obligation de payer une pénalité.

[Français]

La sénatrice Tardif : Madame Gagnon-Légaré, avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

Mme Gagnon-Légaré : J'aimerais mentionner que nous avons présenté nos préoccupations en termes généraux. Nous sommes un organisme de défense des droits collectifs, mais il est certain que les préoccupations exprimées par M. Holmes rejoignent les nôtres, soit la libre gestion et le libre partage des semences.

[Traduction]

Le sénateur Plett : J'aimerais poser aux deux témoins la même question que j'ai posée à la plupart des autres témoins. Vous représentez vos organismes. J'aimerais connaître le nombre de vos membres, monsieur Holmes, ainsi que le nombre de membres dans l'organisme de Mme Gagnon-Légaré. Représentez-vous des membres? Si oui, combien?

M. Holmes : Merci, sénateur. Nous sommes une association composée de membres. Nous avons deux différents types de membres. Il y a les membres directs, c'est-à-dire lorsqu'une société, un agriculteur ou un fabricant s'inscrit à l'association et devient un membre du secteur commercial de notre association. Nous incluons également dans nos membres la plupart des associations provinciales qui parlent au nom des agriculteurs biologiques au niveau provincial. Donc, par l'entremise de cette relation, nous travaillons étroitement avec eux sur leurs préoccupations ou sur les problèmes liés à leur région.

Nos membres, pour vous donner un chiffre — j'ai déjà parlé un peu de la taille de ce secteur au Canada — représentent 5 000 exploitations certifiées de l'ensemble de la chaîne de valeur, de l'agriculteur au détaillant. Nous avons également environ 200 membres directs.

Le sénateur Plett : Merci. Madame Gagnon-Légaré?

[Français]

Mme Gagnon-Légaré : Nous comptons environ 280 membres directs et 1 200 sympathisants. Nous sommes situés dans la région de Québec, au Québec. Nous sommes un organisme à vocation tout de même locale, et régionale.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Monsieur Holmes, je crois que vous avez dit que l'une de vos principales préoccupations avait été réglée. Le maintien des garanties vous préoccupe davantage que la crainte de ne pas retrouver ce que vous voulez dans le projet de loi. Le ministre nous a assurés qu'on ne pouvait manifestement pas éliminer le privilège de l'agriculteur sans consultation. Ne convenez-vous pas que si le ministre en fonction souhaitait s'attaquer au privilège de l'agriculteur d'un secteur, on mènerait d'abord des consultations dans ce secteur? La loi ne lui permettrait pas de le faire sans consulter votre association et vos gens, et pour quelle raison un ministre souhaiterait-il nuire à une industrie au complet ou la réduire à néant? Je ne comprends pas pourquoi vous êtes préoccupé à cet égard, étant donné que votre préoccupation a été réglée dans le projet de loi.

M. Holmes : Je vous remercie d'avoir posé la question. Comme je l'ai dit, nous avons appuyé le projet de loi. Nous avons exprimé quelques préoccupations, et notre préoccupation principale a été réglée, et je mentionne donc certaines autres préoccupations que nous avons également soulevées à un certain moment dans ce processus. Après l'adoption du projet de loi à la Chambre, j'ai écrit au ministre et au secrétaire parlementaire pour exprimer notre reconnaissance pour l'amendement qui avait été présenté, et nous avons donc fait preuve d'une très grande transparence à cet égard.

Je crois que de légères améliorations pourraient être apportées au projet de loi. Sur la question de la consultation, nous nous attendons tout à fait à être consultés et nous nous engageons fermement à être disponibles à ce moment-là. Toutefois, comme toujours, je parle au nom d'une minorité d'intervenants dans le secteur agricole et, en tant que minorité au Canada, nous nous attendons toujours à ce qu'on tienne compte de nos préoccupations.

Le sénateur Plett : Absolument, vous représentez un groupe de personnes et ces personnes doivent être au centre de vos préoccupations. Je comprends parfaitement.

La sénatrice Tardif : Vous a-t-on consultés avant la rédaction du projet de loi?

M. Holmes : Avant que le projet de loi C-18 soit présenté à la Chambre?

La sénatrice Tardif : Oui.

M. Holmes : On nous a informés que des éléments liés à l'UPOV 91 faisaient l'objet de discussions et nous avons rencontré des députés et nous nous sommes préparés : nous savions donc que cela allait se produire.

La sénatrice Tardif : Mais on ne vous a pas directement consultés pendant la rédaction?

M. Holmes : Nous n'avons participé à aucun processus de rédaction.

La sénatrice Tardif : D'après ce que je comprends, l'Association canadienne du commerce des semences, par exemple, a participé activement au processus de rédaction.

M. Holmes : C'est ce que je comprends.

La sénatrice Tardif : Mais ce n'est pas votre cas?

Le sénateur Plett : Toutefois, vous avez manifestement rédigé un mémoire sur votre préoccupation principale, vous avez témoigné et votre préoccupation principale a été réglée.

M. Holmes : Oui.

Le sénateur Plett : Merci.

J'aimerais poser une question à Mme Gagnon-Légaré. Dans votre exposé, vous avez utilisé les mots « gains financiers » et « grandes entreprises » comme si c'était des mauvaises choses. Je ne sais pas comment une personne est censée gagner sa vie sans faire de gains financiers, et des gains financiers importants sont une bonne chose. Les grandes entreprises se forment habituellement grâce à la vente de petites entreprises. Mardi dernier, un témoin nous a dit qu'il représentait des exploitations agricoles de 30 000 acres à moins de 1 000 acres. Un agriculteur responsable d'une exploitation de 30 000 acres ne s'est pas retrouvé avec une telle exploitation du jour au lendemain. Il a réussi à atteindre cette taille en achetant de petites exploitations agricoles et, dans un système de libre entreprise, le petit agriculteur a vendu et il est peut-être à Hawaï en ce moment, en train de profiter des gains financiers engendrés par la vente de son exploitation. Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi vous semblez croire que les entreprises ne devraient pas faire de gains financiers et que nous ne devrions pas avoir de grandes entreprises.

Je vais terminer sur ce point, monsieur le président. Suivant la deuxième de vos recommandations, on devrait faciliter la gestion et le partage libre des semences. Je ne vois pas trop comment notre industrie pourrait se développer si l'on misait sur le partage libre des semences. Si j'arrivais à concevoir une semence susceptible de me rapporter un bénéfice, je ne crois pas que je voudrais la mettre gratuitement à la disposition de tous. Je pense que je souhaiterais la vendre. Il faut qu'il y ait des droits à payer. Je n'arrive pas à voir comment on pourrait convaincre l'industrie d'accepter une recommandation semblable. Je sais que c'est peut-être davantage un commentaire qu'une question, mais j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

[Français]

Mme Gagnon-Légaré : Merci de votre question. En fait, deux de mes arguments ont été mélangés ici. Lorsque je mentionnais les grandes entreprises, c'était plutôt dans le contexte d'une préoccupation pour la biodiversité agricole. Dans le fond, le fait que la gestion et le développement des semences soient surtout entre les mains de grandes entreprises diminue le nombre d'acteurs qui participent au développement des semences et diminue, par le fait même, la biodiversité agricole à terme. C'est un phénomène qui est documenté par la Convention sur la biodiversité biologique, et son programme sur la biodiversité agricole, une convention dont le Canada est signataire.

C'est donc un phénomène assez bien documenté. Le fait d'homogénéiser les semences utilisées se fait parallèlement à une érosion de la biodiversité agricole. C'est ce que j'ai dit par rapport aux grandes entreprises. Notre message n'est pas qu'il ne devrait pas exister de grandes entreprises, c'est qu'il faudrait qu'on favorise également la coexistence avec de plus petites entreprises. En alourdissant la gestion des semences, on rend la situation plus difficile pour ces petites entreprises.

Pour ce qui est des bénéfices, ce que je mentionnais, c'est que faire des gains financiers ne devrait pas être le seul incitatif au développement de la biodiversité agricole et au développement de nouvelles variétés végétales. Ce sont donc deux points différents.

Notre inquiétude par rapport au fait que l'innovation en matière de semences puisse être laissée aux mains des entreprises, c'est qu'il y ait d'autres incitatifs, d'autres objectifs de développement des semences qui ne soient pas pris en compte. Ce sont deux questions distinctes. On pense qu'on peut développer des semences parce qu'elles rapportent des gains, mais il y a peut-être d'autres raisons de développer des semences, par exemple, pour en faire profiter des populations rurales et pour répondre à d'autres objectifs.

Pour ce qui est de notre deuxième recommandation, qui est de faciliter la gestion et le partage libre des semences, il est sûr qu'il y a peut-être une différence de point de vue quant à l'éthique de la gestion des semences et au quasi-brevetage du vivant. On a comme opinion, aux AmiEs de la Terre de Québec, que le vivant, les semences, ne devraient pas être brevetés, mais plutôt être reconnue comme patrimoine commun de l'humanité et, en ce sens, partagés librement.

Je pose la question en plus grands termes, mais cela revient un peu à ce que mentionnait aussi M. Holmes. Le fait qu'un agriculteur qui a des semences est en mesure de les conserver et de les échanger n'empêche pas du tout, en parallèle, l'existence d'entreprises qui commercialisent certaines semences. Il faut simplement ne pas ôter le droit à d'autres acteurs de récolter des semences et de les échanger à leur guise.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci pour ces précisions. Je suis certes d'accord avec vous lorsque vous dites que les petites entreprises semencières devraient pouvoir cohabiter avec les plus grandes. Nous avons reçu cette semaine un témoin représentant Canterra Seeds, une entreprise de 27 employés installée dans ma ville de Winnipeg. Ce témoin s'est prononcé en faveur du projet de loi en soulignant qu'il serait aussi bénéfique à sa petite entreprise qu'aux Monsanto de ce monde. Je pense que c'est que nous croyons tous les deux, et c'est aussi le point de vue de nombreuses petites entreprises concernant ce projet de loi. Vous avez des commentaires à ce sujet?

[Français]

Mme Gagnon-Légaré : C'est bien possible. Je pense qu'il y a aussi certaines petites entreprises qui ont des préoccupations, et ce sont peut-être ces préoccupations que nous mettons de l'avant aujourd'hui.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Merci pour vos exposés. Ma première question s'adresse à Mme Gagnon-Légaré. Vous nous avez parlé aujourd'hui d'aliments culturellement appropriés. Pouvez-vous m'en dire davantage à ce sujet? Voulez-vous dire que nous devrions prendre des mesures protectionnistes pour permettre la production d'aliments culturellement appropriés pour cette portion en pleine croissance de la population canadienne? Comment envisagez-vous cela compte tenu de tous ces immigrants qui s'installent au Canada? Estimez-vous qu'il nous faudrait produire des aliments de la sorte pour tous les immigrants?

[Français]

Mme Gagnon-Légaré : D'une part, vous parlez de mesures protectionnistes. Oui, on trouve qu'il pourrait être pertinent d'avoir des mesures qui protègent l'agriculture locale, non seulement pour ce qui est de la souveraineté alimentaire, mais aussi pour d'autres enjeux qui nous préoccupent en ce qui concerne la viabilité, le développement durable. Ainsi, il s'agirait de mesures protectionnistes qui favoriseraient l'agriculture locale également pour répondre à des préoccupations en matière de changements climatiques. C'est quelque chose qui nous préoccupe beaucoup aux AmiEs de la Terre du Québec, et on fait le lien entre la production agricole à l'échelle locale et cet enjeu des changements climatiques globaux.

Sinon, en ce qui concerne la question de fournir de la nourriture culturellement appropriée, cela revient à l'approche que nous proposons et qui vise à ce que les systèmes agricoles soient développés avec un ancrage communautaire, dans la collectivité. À ce titre, les personnes qui ont d'autres origines font partie d'une communauté et devraient être en mesure de participer au développement du système agricole et de déterminer les productions agroalimentaires locales au sein de leur communauté.

Donc, en substance, oui. Cependant, ces populations d'autres origines font partie d'une communauté également. En s'engageant dans leur communauté, oui, elles devraient pouvoir obtenir une nourriture qui répond à leurs besoins.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Oui, mais cela voudrait dire qu'il faudrait beaucoup plus d'agriculteurs et de fermes pour produire ces aliments adaptés aux différentes cultures. Est-ce bien ce dont vous parlez? Il faudrait une participation plus soutenue des différentes cultures et donc un plus grand nombre d'agriculteurs — d'autres agriculteurs et d'autres fermes — pour pouvoir répondre aux besoins de ces diverses communautés culturelles, n'est-ce pas? Est-ce bien ce que vous dites?

[Français]

Mme Gagnon-Légaré : A priori, on peut répondre à ces besoins de différentes manières. On n'a absolument rien contre l'existence de plus de fermes, car cela favoriserait la création d'emplois locaux et apporterait un dynamisme aux populations rurales. Il s'agit donc de quelque chose qu'on pourrait voir de manière favorable, oui.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Mais ce ne serait pas commercialement viable, si l'on considère le pays dans son ensemble.

J'ai maintenant une question pour M. Holmes. Votre association fait la promotion du commerce des produits que l'on qualifie de biologiques. Si les entreprises bénéficiaient d'une protection accrue pour les semences qu'elles conçoivent et les investissements qu'elles consentent, ne pourraient-elles pas créer des hybrides meilleurs et plus résistants qui seraient mieux adaptés aux conditions locales et qui exigeraient par conséquent moins de pesticides, pour autant que l'on évite les OGM? Est-ce que ces mesures vont aider votre organisation?

M. Holmes : Je crois que l'on peut observer dans le développement du secteur biologique, tant au Canada que sur des marchés importants comme ceux de l'Union européenne et des États-Unis, une véritable tendance à l'innovation qui permet de percer de nouveaux marchés et d'y introduire de nouveaux produits, dont certains sont négligés par ce qu'on pourrait appeler le courant général de l'industrie agricole.

Nous assistons ainsi à la réapparition de certaines céréales anciennes qui sont tombées dans l'oubli, des produits comme le blé kamut, que vous avez peut-être vu sur les étalages, une variété de blé de Khorasan. Au Canada, tout particulièrement, on se livre maintenant à la culture du chanvre, une nouvelle production importante et très lucrative, en grande partie grâce à l'apport du secteur biologique. Il y a donc un énorme potentiel.

Il y a une chose que nous avons toutefois pu constater. Pour optimiser l'identification de nouveaux débouchés pour ces produits, il faut que les activités exploratoires requises puissent être menées à l'intérieur d'un système suffisamment souple et ouvert. Plus nous assortissons le système de production des semences d'un nombre croissant de niveaux d'approbation, de restrictions et de paramètres, plus nous risquons de paralyser ces activités en créant un cadre peu propice à la redécouverte de certaines de ces caractéristiques ou cultures oubliées.

Le sénateur Enverga : Mais on pourrait aussi penser que cela va créer des possibilités accrues en ouvrant l'accès à un grand nombre de marchés pour une grande variété de semences, ce qui serait tout à votre avantage, n'est-ce pas?

M. Holmes : C'est certes ce que nous espérons. Je ne pourrais vous pointer du doigt une disposition du projet de loi C-18 qui permettra aux agriculteurs biologiques d'avoir accès à de nouvelles variétés de semences. Cependant, si une innovation pouvait vraiment répondre à un besoin agronomique spécifique à une région du pays, je pourrais envisager sa mise en œuvre à des fins précises par le secteur biologique en vertu de ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je remercie nos deux invités. Madame Gagnon-Légaré, je me réfère à des notes du 21 octobre 2014 qui ont été envoyées au Comité permanent de l'agriculture et qui ont rapport aux discussions d'aujourd'hui.

Vous mentionnez que, pour orienter le développement de nouvelles variétés, il ne faut pas nécessairement que les entreprises soient motivées par des gains financiers. J'ai plusieurs amis agriculteurs, et j'en ai rarement connus qui n'étaient pas animés par certains gains financiers, sinon ils abandonneraient l'agriculture. Ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire de vouloir faire des gains financiers? Comme vous l'avez mentionné, c'est créateur d'emplois et, tout en faisant des gains financiers, cela peut profiter aux générations actuelles et à venir.

J'aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Gagnon-Légaré : Merci pour cette question. En fait, ce que je soutiens par ce point, c'est que, oui, je crois qu'il est possible que l'innovation motivée par des gains financiers participe à un développement des semences qui soit utile. Cependant, notre souci, c'est que ce ne soit pas la seule voie d'innovation de semences. C'est pour cette raison qu'on trouve important que, par exemple, les pouvoirs publics s'investissent également dans le développement de nouvelles variétés de semences.

La possibilité de faire des gains financiers correspond souvent à des utilisations à large échelle. Or, il y a des besoins qui peuvent se situer à une autre échelle et qui méritent d'être considérés également. En ce sens, on pense que maintenir des entreprises ou des organismes qui développent des semences selon une autre logique est une chose qui bénéficierait à tout le monde et qui enrichirait la biodiversité agricole à notre disposition.

[Traduction]

La sénatrice Tardif : Monsieur Holmes, vous avez indiqué dans vos remarques préliminaires que vous vous inquiétez notamment du fait que ce projet de loi risque de permettre la prise ultérieure de règlements pouvant modifier le privilège de l'agriculteur, cette exemption prévue dans le projet de loi à l'égard de la Loi sur la protection des obtentions végétales. Que pensez-vous du fait que ce projet de loi permette de procéder à des changements en incorporant par renvoi des documents pouvant provenir de sources externes, d'examens n'ayant pas fait l'objet d'un débat au Parlement ou sur une autre tribune publique ni d'une publication dans la Gazette du Canada? Que pensez-vous d'une telle possibilité et de ses répercussions éventuelles?

M. Holmes : L'incorporation par renvoi n'est pas une menace en soi. Comme toujours, tout dépend de la façon dont on procède dans les détails. C'est la substance que recèle l'outil administratif. À ma connaissance, le Règlement sur les produits biologiques est le seul au Canada à permettre l'incorporation par renvoi; il a servi en quelque sorte de projet pilote, tout au moins en agriculture. Ainsi, les normes biologiques sont élaborées dans le cadre du système de l'Office des normes générales du Canada, en vertu d'un processus participatif basé sur le consensus. Les normes issues de ce processus tout à fait transparent sont ensuite incorporées au Règlement sur les produits biologiques de 2009.

Nous ne voyons pas comme une menace les moyens administratifs ou techniques permettant l'incorporation par renvoi. J'estime toutefois que toute forme d'incorporation par renvoi, surtout lorsque l'objet visé est aussi important que celui-ci, devrait respecter certaines règles de base. À mon sens, il faudrait ainsi suivre un processus tout au moins similaire à celui de l'Office des normes générales du Canada qui fait en sorte que toutes les parties intéressées ont droit à une représentation égale dans le cadre d'un processus pleinement transparent d'établissement des normes, avec possibilité d'appel au besoin.

Si l'on autorise l'incorporation par renvoi d'un document externe sans avoir appliqué quelques-uns de ces critères fondamentaux, on risque de se retrouver dans une situation où un groupe très restreint ou très influent s'organisera pour faire incorporer des mesures conçues pour le favoriser. Ce serait là la menace véritable.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie. Et il pourrait y avoir éventuellement des contestations judiciaires?

M. Holmes : C'est l'un des résultats possibles, effectivement.

La sénatrice Tardif : Est-ce que les droits de propriété intellectuelle sont le seul moyen à notre disposition pour stimuler l'innovation?

M. Holmes : Non, pas du tout. Comme ma collègue l'a elle-même indiqué aujourd'hui, je pense qu'il existe bien des façons d'innover, et ces aliments culturellement appropriés dont nous discutions en sont un exemple intéressant. Il vous suffit de visiter un marché public à Montréal, Toronto ou Ottawa, ou même d'aller à l'épicerie, pour voir toutes ces variétés incroyables de légumes et d'autres produits qui nous viennent des cuisines traditionnelles de quelques-uns de nos concitoyens canadiens. Il s'agit à mon sens pour les agriculteurs canadiens d'une occasion idéale pour tenter de percer des marchés fort lucratifs. Il existe en effet des créneaux très sélectifs offrant une excellente marge bénéficiaire. Ces nouveaux débouchés ne sont pas créés par un régime de droits de propriété intellectuelle; ils émanent de la préservation de semences traditionnelles. Il s'agit en fait de revenir à la base même de notre système de commercialisation en détectant une possibilité créée par la diversité et en récoltant un produit capable de combler le besoin identifié.

La sénatrice Tardif : On sait que certains pays n'ont pas adhéré à la convention UPOV 91 et que certains de ceux qui l'ont fait n'appliquent pas le privilège de l'agriculteur. Le Canada a opté pour une version modifiée de ce privilège qui ouvre la voie à une éventuelle prise de règlements à cet effet. Estimez-vous qu'il est avantageux pour le Canada et pour ses citoyens que nous adhérions à l'UPOV 91?

M. Holmes : En toute franchise, certains de nos membres ne manquent pas d'exprimer leurs préoccupations à l'égard de l'UPOV 91.

Je pense que nous pouvons nous adapter. Notre secteur a atteint un degré de maturité suffisant pour pouvoir réagir adéquatement si la convention UPOV 91 est mise en œuvre au Canada. Nous sommes sans cesse en concurrence avec des agriculteurs qui conçoivent de nouvelles variétés de produits biologiques dans des pays qui ont adopté l'UPOV 91.

J'estime que nous sommes capables de nous épanouir au sein de cet environnement. Quant à savoir si c'est le modèle optimal ou quelque chose dont nous avons vraiment besoin, c'est une tout autre question à laquelle je ne suis malheureusement pas en mesure de répondre de façon parfaitement éclairée.

La sénatrice Tardif : Madame Gagnon-Légaré?

[Français]

Mme Gagnon-Légaré : Vous avez plusieurs questions auxquelles je vais répondre assez brièvement.

En ce qui concerne l'incorporation par renvoi, nos préoccupations ont aussi été abordées par M. Holmes. Ce qui nous préoccupe, c'est la gestion démocratique participative et transparente; ce sont ces aspects que nous voulons mettre de l'avant, afin que les citoyennes canadiennes et les citoyens canadiens soient au fait de ce qui est contrôlé, de ce qui est normé en matière de semences au Canada.

Quant à la question plus générale de l'adoption de la norme UPOV 91, nous avons des préoccupations très, très fortes, aux AmiEs de la Terre de Québec, qui s'étendent à l'ensemble des processus de négociations internationales, par exemple en matière de commerce. C'est la logique de contrôle et de standardisation qui sous-tend cette norme qui nous préoccupe, et cette préoccupation est liée, notamment, au maintien de la biodiversité. Je le mentionnais tantôt, la standardisation qu'entraînent ces conventions réduit la biodiversité agricole.

De plus, en ce qui concerne la gestion participative démocratique, dans la mesure où on répond à ces grandes ententes internationales, il arrive qu'on perde la capacité, en tant que citoyennes et citoyens à l'échelle locale, de contrôler ce qui se fait en matière de semences.

Le président suppléant : Une dernière petite question est accordée au sénateur Plett.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Comme le signalait la sénatrice Tardif, une fois ce projet de loi adopté, il ne restera que deux pays développés qui n'auront pas adhéré à l'UPOV 91. On sait que bien des pays ont une longueur d'avance sur le Canada pour ce qui est des cultures biologiques, mais avez-vous des indications à l'effet que l'UPOV 91 n'a fait qu'améliorer les choses dans ces pays-là?

M. Holmes : Nous parlons régulièrement à nos collègues des pays dont le secteur biologique en est rendu à un stade de développement similaire au nôtre. Notre approche a été légèrement différente de la leur. Nous avons essayé de dénicher dans l'UPOV 91 des mesures avantageant expressément le secteur biologique, et nous n'avons pas pu en trouver. En revanche, nous avons pu mettre au jour bien des situations, des conflits et des difficultés qui touchent le secteur, mais comme pour les soubresauts de la météo, c'est un peu le lot de l'agriculture.

Je ne sais pas si nous pouvons considérer que l'UPOV 91 est responsable des difficultés que peuvent vivre ces pays. Encore là, je suis un peu ambivalent, mais nous estimons pouvoir nous adapter. Les modifications apportées au libellé de l'article 5.3 étaient absolument essentielles et doivent être conservées comme telles dans ce projet de loi, sans quoi nous devrions prendre position de façon un peu plus tranchée.

Nous n'avons pas trouvé dans la convention UPOV 91 d'avantages particuliers pour le secteur biologique, mais nous n'y avons rien repéré non plus qui pourrait lui être particulièrement néfaste.

Le sénateur Plett : Mais la plupart des autres pays, en Europe tout au moins, sont plus avancés que le Canada en matière de cultures biologiques. Ces pays ont donc réussi à accroître leur productivité avec ou sans l'UPOV 91, une convention à laquelle ils ont adhéré.

M. Holmes : Tout à fait. L'Union européenne est un excellent exemple. Elle peut miser sur un secteur biologique très solide grâce au soutien d'une plus vaste plateforme de lois et de mesures dont je me ferai un plaisir de discuter avec vous si l'occasion se présente.

[Français]

Le président suppléant : Merci de votre témoignage, madame Gagnon-Légaré. J'espère qu'il ne fait pas trop froid à Québec.

Merci, monsieur Holmes, pour votre témoignage.

(La séance est levée.)


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