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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 25 - Témoignages du 12 mars 2015


OTTAWA, le jeudi 12 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 7, pour étudier les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux et pour examiner une ébauche de rapport.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Français]

Je suis le sénateur Mockler, du Nouveau-Brunswick, et président du comité.

[Traduction]

Je vais demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Beyak : Bonjour. Je suis la sénatrice Lynn Beyak de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Tardif : Bonjour. Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Maltais : Bonjour, monsieur Charlebois. Ghislain Maltais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Bonjour. Je suis Betty Unger de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour. Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci, honorables sénateurs. Monsieur Charlebois, je vous remercie d'avoir accepté encore une fois de participer à cette étude. Le comité poursuit son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

[Traduction]

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle important dans l'économie canadienne.

En 2012, un travailleur sur huit au pays, ce qui représente plus de 2,1 millions de personnes, était employé dans ce secteur, qui a d'ailleurs contribué à hauteur de près de 6,7 p. 100 au produit intérieur brut.

[Français]

À l'échelle internationale, le secteur agricole et agroalimentaire canadien était responsable de 3,6 p. 100 des exportations mondiales des produits agroalimentaires en 2012.

De plus, en 2012, le Canada s'est classé cinquième parmi les exportateurs de produits agroalimentaires les plus importants au monde.

[Traduction]

Des accords de libre-échange ont été signés ou sont en vigueur entre le Canada et divers pays dans le monde.

[Français]

À ce jour, 12 ententes sont en vigueur. Le Canada est en cours de négociation avec 11 autres pays ou groupes de pays. Plusieurs de ces accords et négociations touchent les activités liées au secteur agricole et agroalimentaire canadien.

Honorables sénateurs, comme premier témoin ce matin, nous accueillons, par vidéoconférence, d'Innsbruck, en Autriche, le professeur Sylvain Charlebois, vice-doyen de la Faculté de gestion et d'économie de l'Université de Guelph. Au nom du comité, je souhaite vous remercier de votre intervention constante dans le domaine agroalimentaire. Ce matin, nous avons devant nous un Canadien qui entretient des relations étroites avec l'Autriche. Il n'y a aucun doute dans notre esprit que vous représentez la fierté du Canada en Autriche. Nous vous remercions d'avoir accepté de comparaître devant notre comité. À la suite de votre exposé, les sénateurs vous poseront des questions auxquelles vous aurez l'occasion de répondre. La parole est à vous, monsieur Charlebois.

[Traduction]

Sylvain Charlebois, vice-doyen, faculté de gestion et économie, Université de Guelph : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je remercie également les membres du comité. Je crois que c'est la cinquième fois que je comparais devant vous. C'est toujours un privilège d'être invité à vous entretenir de l'avenir des secteurs de l'alimentation et de l'agriculture de notre pays. C'est donc pour moi un honneur de m'adresser à vous à nouveau ce matin.

Je passe une année en Europe en tant que professeur invité au département de politique alimentaire et d'ingénierie de la chaîne d'approvisionnement de l'Université d'Innsbruck, et il a été facile pour moi d'être inspiré par tout le potentiel du Canada dans les secteurs de l'agriculture et de l'alimentation, particulièrement en raison de l'accord économique et commercial global signé par le gouvernement fédéral il y a quelques mois.

Lorsqu'on se penche sur l'accès aux marchés, plusieurs sujets viennent à l'esprit : la compétitivité du secteur de la transformation, les subventions, l'innovation, la technologie, les accords commerciaux, les tarifs, les barrières non tarifaires et bien d'autres. J'ai choisi aujourd'hui de vous parler de la salubrité alimentaire, de la traçabilité et des renseignements sur les risques. Toutefois, je serai ravi de répondre à des questions des membres du comité sur tout autre sujet lié à l'accès aux marchés.

Au fil des ans, j'ai eu le plaisir de diriger de nombreuses études visant à comparer le rendement du Canada en matière de salubrité alimentaire avec celui d'autres pays dans le monde. Les résultats de notre plus récente étude, menée en partenariat avec l'Institut des aliments de l'Université de Guelph et le Conference Board du Canada, démontrent que les pays de catégorie 1 se classent très bien par rapport à leurs homologues. Le Canada en particulier a obtenu d'excellentes notes pour la plupart des paramètres de rendement relatifs à la salubrité alimentaire, mais il reste du travail à faire pour améliorer ce rendement en faisant rapport des MDT et des risques chimiques liés à la consommation d'aliments, en menant plus fréquemment des études sur la nutrition et l'alimentation et en rehaussant les normes en matière de traçabilité et de radionucléides.

Il est important de noter que, dans aucun des pays inclus dans nos études, des résultats ont donné à penser qu'il y avait de la négligence de la part des organismes de réglementation des aliments ou de l'industrie alimentaire. L'Italie et la Belgique, par exemple, sont les pays qui ont obtenu les résultats globaux les plus faibles, mais ils ont néanmoins des normes très élevées en matière de salubrité alimentaire par rapport au reste du monde. Les analyses comparatives sur la salubrité alimentaire consistent à comparer des pays qui mettent en évidence des schémas de ressemblance et de différence. Les résultats de cette étude devraient alors être considérés de façon relative. L'analyse comparative des pays inclus dans l'échantillon devrait être utile à la fois pour les consommateurs, l'industrie et les organismes de réglementation des aliments.

Toutefois, malheureusement, de nombreux pays continuent d'utiliser la salubrité alimentaire comme un faux prétexte pour imposer des barrières non tarifaires à d'autres pays. La volonté de gérer les craintes ou de démontrer comment un gouvernement peut protéger sa population est à l'origine d'une telle réaction à des différences mineures. Les mesures sanitaires et phytosanitaires déclarées à l'OMC augmentent pratiquement à chaque année pour atteindre régulièrement plus de 1 000 avis par année. Il s'agit là essentiellement de barrières non tarifaires.

Au chapitre de la salubrité des aliments, le rendement du Canada est impressionnant. Depuis 2008, l'année où nous avons publié notre premier rapport, le Canada a toujours figuré dans le haut du classement. Les résultats indiqués dans le rapport de 2014, qui est le plus récent, concordent avec ceux présentés dans les rapports de 2008 et de 2010, même si les paramètres étaient différents. Des pays insulaires comme le Japon, l'Australie et le Royaume-Uni se sont toujours bien classés au fil des ans. Cette année, par contre, les résultats montrent que le Japon et l'Australie s'en tirent moins bien qu'en 2008.

La plupart des organismes de réglementation des aliments inclus dans notre étude ont été touchés d'une façon ou d'une autre par la dernière récession mondiale. En raison des contraintes budgétaires, les capacités de surveillance des risques de bien des pays ont diminué depuis les deux premières études. Je dirais que c'est le cas notamment de l'Autriche.

Avant 2008, pendant plus d'une décennie, les budgets consacrés aux politiques et aux procédures visant la salubrité alimentaire ont augmenté considérablement, mais la récession mondiale a forcé la plupart des pays à revoir les mesures appliquées pour protéger les consommateurs des risques potentiels pour la salubrité des aliments. Toutefois, il demeure difficile d'établir un lien étroit entre les réductions budgétaires et la capacité des organismes de réglementation des aliments d'atténuer et de communiquer les risques. Je le répète, la présente étude ne porte pas sur les investissements des gouvernements dans les systèmes d'assurance de la salubrité alimentaire; elle porte seulement sur le rendement et les effets externes.

Depuis la publication du premier rapport, en 2008, l'accès aux données s'est grandement amélioré. Puisque la reddition de comptes en matière de salubrité alimentaire deviendra très importante pour l'industrie, les prochaines études incluront peut-être des données provenant de l'industrie qui permettent d'évaluer sa contribution aux systèmes d'assurance de la salubrité alimentaire. Les changements dans le secteur public partout dans le monde ont peut-être amené certains pays à non seulement trouver des options plus durables et plus efficaces à long terme, mais aussi à envisager des options plus abordables comme l'autoréglementation et l'autodéclaration. Même si une telle approche demeure controversée, de nombreux organismes de réglementation des aliments prévoient que l'industrie jouera un rôle plus grand en amenant les entreprises à rendre davantage de comptes. La différence entre l'autoréglementation et la reddition de comptes est considérable. Les résultats de l'étude donnent à penser que l'État continuera de jouer un rôle central, mais que l'industrie jouera un rôle plus important dans l'élaboration de stratégies en matière de renseignements sur les risques.

Le scandale de la viande chevaline qui a éclaté en Europe en 2013, par exemple, a rendu évidente la nécessité d'accroître la surveillance de la chaîne d'approvisionnement. Cela peut se faire uniquement en exigeant que l'industrie rende davantage de comptes, sans toutefois tomber dans un régime d'autoréglementation. Cette option n'est pas du tout souhaitable, du moins pour les pays inclus dans nos études.

Je vous remercie beaucoup pour votre attention. Je peux maintenant répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur. La parole est d'abord à la sénatrice Tardif, puis au sénateur Maltais.

[Français]

La sénatrice Tardif : Je tiens à remercier le professeur Charlebois d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes un habitué de ce comité. Dans l'étude que vous avez menée en 2014 à l'Université de Guelph, qui s'intitule Comparison of Global Food Traceability Regulations and Requirements, vous faites référence à plusieurs pays. Si je comprends bien, le Canada se situe dans la moyenne en ce qui a trait à plusieurs critères. Pouvez-vous nous indiquer les mesures que devrait prendre le Canada pour améliorer la qualité de ses systèmes de surveillance et de traçabilité?

M. Charlebois : Je vous remercie de cette question, qui est extrêmement importante, à mon avis.

La traçabilité alimentaire est un problème de taille pour le Canada, en particulier parce qu'il s'agit d'un grand pays. On a une grande superficie à couvrir et, lorsqu'on étudie la traçabilité alimentaire, évidemment, tout cela est lié à la logistique. Le travail de traçage et de retraçage des aliments de la ferme à la table n'est pas évident au Canada, ce qui explique en partie les lacunes en matière de traçabilité.

La raison la plus importante est le manque de transversalité entre les fonctions de la chaîne. Au Canada, on développe des systèmes d'identification en ce qui concerne la production primaire; c'est ce qui se fait avec le bœuf, notamment. À l'étape de la transformation, une fois l'animal abattu, les choses se compliquent. On retrouve une traçabilité alimentaire pour la transformation et, par la suite, pour la distribution.

La distribution alimentaire au Canada fonctionne comme un oligopole. Loblaws, Sobeys, Metro, Costco, Walmart et d'autres ont leur propre système de traçabilité qui ne se répercute pas nécessairement à l'étape de la transformation. En Europe — le Danemark et la Hollande, par exemple —, la transversalité fonctionne bien. Le partage de données est assez efficace et réussit à lier le consommateur à la ferme. Essentiellement, c'est ce qui manque au Canada.

L'Université de Guelph est partenaire du Global Food Traceability Centre (GFTC) situé à Washington. Je suis membre de ce comité. Ce groupe a été fondé il y a deux ans dans le but de développer de bonnes pratiques en termes de traçabilité, non seulement pour un pays, mais pour l'ensemble des pays, puisque le commerce international devient de plus en plus important et qu'il influe sur nos pratiques domestiques. Le GFTC tente de développer des pratiques importantes pour la traçabilité alimentaire. Je suis fier de faire partie de ce groupe qui comprend notamment des partenaires comme Walmart et McDonald's. Le gouvernement américain fait aussi partie de ce groupe. C'est un partenariat public-privé qui, à mon avis, fonctionne très bien pour l'instant. Il est sûr que nous avons beaucoup de travail à faire.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie. Selon vous, professeur Charlebois, qui devrait assumer le rôle de leadership dans cette question de transversalité des fonctions? Le gouvernement? L'industrie?

M. Charlebois : À mon avis, le gouvernement a fait son travail. Le gouvernement a créé un cadre de travail pour l'industrie. L'industrie doit faire sa part du travail maintenant. Ce qui me préoccupe le plus, ce n'est pas nécessairement la salubrité alimentaire. Pendant des années, on a parlé de traçabilité alimentaire dans un contexte de salubrité alimentaire, mais ce qui arrive en Europe, à l'heure actuelle, avec les fraudes alimentaires — Vous avez sûrement entendu parler du scandale de la viande chevaline?

La sénatrice Tardif : Bien sûr.

M. Charlebois : Or, beaucoup de Canadiens croient que cela ne peut pas arriver au Canada. Cependant, l'Université de Guelph a fait une étude sur le poisson il y a environ six mois. On a acheté une cinquantaine de paquets de poisson dans la région de Toronto et on a découvert que plus de 35 p. 100 de ces paquets étaient mal libellés. L'étiquetage était erroné. C'est préoccupant en soi. La fraude au sein de la chaîne d'approvisionnement offre une chance en or à la traçabilité de se développer davantage. Au GFTC, à Washington, c'est ce qui nous préoccupe le plus en ce moment.

Le sénateur Maltais : Bonjour, professeur Charlebois. J'aimerais ouvrir une parenthèse quant à la salubrité. Vous êtes sans doute au courant des problèmes d'aquaculture à la frontière entre l'Allemagne et la France, plus particulièrement en ce qui concerne le saumon et la morue, ainsi que d'autres espèces. C'est un problème très grave pour l'Europe. Ce n'est pas une question de traçabilité, mais plutôt de qualité de nourriture. Alors qu'ils étaient étiquetés A1 sur le marché européen, des biologistes et des spécialistes ont déclaré qu'ils étaient presque inaptes à la consommation. Que pensez-vous de leur système?

M. Charlebois : D'abord, en Europe, le contexte est différent. Les pays ont été forcés de collaborer, tandis qu'en Amérique du Nord, il y a les États-Unis et il y a le reste. Je suis ici depuis deux mois, et je constate que le Canada ne fait pas partie nécessairement des discussions. Les États-Unis monopolisent la majeure partie des échanges. L'euro et le dollar américain sont des sujets très actuels dont on discute beaucoup également.

Les pays d'Europe ont été forcés de collaborer davantage entre eux. L'échange entre les pays est beaucoup plus naturel qu'en Amérique du Nord — à mon avis, en tout cas. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de fraude ou de mauvaises pratiques. Au contraire, je pense que le scandale d'il y a deux ans a servi d'appel à faire davantage en matière de traçabilité alimentaire. Autrement dit, depuis deux ans, quand on transige avec un fournisseur, on pose de plus en plus de questions en Europe. Les manifestes contiennent beaucoup plus d'information qu'auparavant, et il y a beaucoup plus de garanties aussi. Évidemment, tout cela a mené à beaucoup plus de poursuites également. C'est ce qu'on a remarqué en Europe.

En Amérique du Nord, le contexte est fort différent, surtout pour le Canada, parce qu'il transige beaucoup avec les États-Unis, et avec l'Asie aussi. Ce qu'il est important de retenir pour le Canada, à mon avis, c'est de miser sur son image de marque. L'image de marque du Canada est, selon moi, excellente, et c'est un avantage important pour l'avenir du pays.

Le sénateur Maltais : J'ai une dernière question. Vous êtes à Vienne, j'imagine, en Autriche. Vous êtes aux frontières de l'Est, ce qu'on appelle l'Europe de l'Est. Tous les pays font-ils partie du marché commun de l'Europe et sont-ils assujettis aux règles de traçabilité? Je pense à la Hongrie, à la Pologne, à la Tchécoslovaquie, à la Roumanie, à la Bulgarie et à la Transylvanie. Tous ces pays se soumettent-ils aux normes dites « internationales » pour l'Europe moderne?

M. Charlebois : Évidemment, il y a des règles à l'européenne. L'approche continentale préconisée en Europe n'a pas nécessairement sa place au Canada. L'Europe a des bases qu'on ne retrouve pas en Amérique du Nord. Le marché européen dans le domaine agroalimentaire est beaucoup plus éclaté qu'en Amérique du Nord. Il y a beaucoup de firmes familiales qui ont des pratiques qui datent de fort longtemps, et il y a une confiance implicite envers les produits. Cependant, pour ce qui est de la réglementation comme telle, à mon avis, les standards sont beaucoup plus harmonisés en Europe qu'ailleurs. Cela aide énormément tous les secteurs de l'économie, y compris l'agroalimentaire.

C'est un avantage qu'ils ont. En Europe, il y a 500 millions de consommateurs. Cela leur permet de s'organiser, et ils n'ont pas autant d'espace que nous. Alors, c'est beaucoup plus facile de mobiliser des produits.

En ce qui concerne la topographie, l'Europe a un avantage sur nous, c'est clair. Peut-on apprendre de l'Europe? Absolument. Si vous le permettez, je reviendrai au cas de vache folle qui s'est déclaré en Alberta en février.

Souvent, au Canada, on manque d'empathie, et on croit que la perception du risque au Canada est la même que celle des Américains ou des Japonais. Ce n'est pas cela du tout.

Au Canada, la salubrité alimentaire n'est pas nécessairement un enjeu. On a fait un sondage à Guelph et, chaque fois, on se rend compte que les Canadiens ne sont pas nécessairement préoccupés par la salubrité. Cependant, les Coréens, les Japonais, les Américains et les Européens le sont. Si on a à miser sur le commerce international, il faudra faire preuve de plus d'empathie à mon avis.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Je vous remercie, monsieur Charlebois. C'est très intéressant. Je voudrais faire suite à votre commentaire au sujet du cas d'ESB en Alberta. Vous dites que l'Asie — certains pays — est davantage préoccupée par cette situation que l'Europe. Serait-ce parce que l'Europe s'appuie sur des preuves scientifiques, tandis que ce n'est pas nécessairement le cas de certains pays d'Asie? Leur réaction est peut-être davantage fondée sur des motifs politiques. Je pourrais nommer un cas en particulier, mais je ne veux vraiment pas le faire. J'aimerais obtenir vos commentaires là-dessus, s'il vous plaît. Pensez-vous que les gens...

M. Charlebois : Je vous remercie pour cette question. Tous les organismes de réglementation inclus dans notre étude au fil des ans prétendent avoir adopté une approche scientifique pour la surveillance et l'atténuation des risques. J'inclurais ici le Canada. Soit dit en passant, je siège au conseil consultatif national de l'ACIA. Nous nous targuons d'adopter une approche scientifique, mais, souvent, lorsqu'on examine ces cas, on constate que les réactions sont politiques. Cela s'observe un peu partout dans le monde. Lorsque des consommateurs expriment des inquiétudes à propos de la salubrité des aliments, cela préoccupe toujours les gouvernements. Certains pays sont plus sensibles à cela que d'autres, et je dirais que les pays d'Asie figurent certainement parmi ceux-là, car ils dépendent tellement des importations, contrairement au Canada. Nous avons une abondance d'aliments. Nous n'avons jamais vécu une crise alimentaire, sauf bien entendu durant la grande sécheresse. À cette époque, la situation est devenue très grave. En Europe, en Irlande et dans différentes régions du monde, la sécurité alimentaire a été à un certain moment de leur histoire un problème très important. Cela a donc eu une incidence sur la façon dont les gens perçoivent les risques en ce qui a trait à la salubrité des aliments.

Au Japon, 80 p. 100 des aliments sont importés, alors il est à la merci des pratiques des autres pays. C'est pourquoi je crois qu'il est important, en tant que pays commerçant, de reconnaître que les aliments sont perçus très différemment selon les régions du monde.

La sénatrice Unger : Je vous remercie. Corrigez-moi si j'ai tort, mais je pense que le Japon n'a pas cessé d'importer du bœuf canadien à cause de ce cas unique d'ESB, alors il est évident qu'il adopte une approche scientifique, contrairement à d'autres pays.

M. Charlebois : Si je puis me permettre, je vais être très franc. Les États-Unis revêtent une grande importance pour le Japon. Il adopte la même position que ce pays parce qu'il importe beaucoup de produits américains. En ce qui concerne le bétail canadien, par exemple, tant que le Mexique, Hong Kong et les États-Unis continueront d'acheter des bovins du Canada, le Japon fera de même. Il est vrai que le Japon n'a pas imposé d'embargo en février, mais je dirais que cela est étroitement lié à la façon dont le Canada a géré sa réputation et ses rapports avec le département américain de l'Agriculture.

La sénatrice Unger : Alors, selon vous, le Japon n'a pas imposé d'embargo parce que les États-Unis ne l'ont pas fait?

M. Charlebois : C'est ce que je crois.

La sénatrice Unger : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, monsieur Charlebois. Ma première question concerne la traçabilité alimentaire. Vous avez parlé de grandes chaînes, comme Loblaws, Maxi, et cetera. Selon vous, y a-t-il une réticence de la part des géants de l'alimentation à mettre en commun leur façon de réaliser la traçabilité alimentaire? Est-ce qu'il y a une compétition? Y a-t-il une réticence ou seraient-ils prêts à mettre en commun leur façon de réaliser la traçabilité?

M. Charlebois : Lorsque vous parlez de géants agroalimentaires, sénateur, parlez-vous de distribution, de transformation ou des deux?

Le sénateur Dagenais : Je dirais les deux.

M. Charlebois : La traçabilité a toujours été un sujet sensible dans l'industrie. Quand on travaille avec Cargill, Tyson, Loblaws ou Sobeys, et cetera, c'est toujours un sujet sensible pour deux raisons. D'abord, les données. Évidemment, on doit partager des données, et c'est donc un point de sensibilité dans l'industrie.

L'autre phénomène, ce sont les coûts, les coûts liés à l'implantation d'une traçabilité transversale. Le partage de la responsabilité des coûts n'a jamais été clair. L'interopérabilité de la traçabilité, qui en paiera la mise en œuvre? Ce qui est le plus important, c'est que, souvent, lors d'un rappel alimentaire, ce sont les distributeurs qui sont pris avec le problème. Si, par exemple, il y a un rappel de laitue ou d'une viande quelconque, les consommateurs transigent avec les distributeurs et les détaillants. Ce sont eux qui gèrent le rappel avec la demande, tandis que les transformateurs sont souvent un peu retirés du champ de bataille comme tel, et cela crée des tensions.

Je vous donne un exemple. J'ai écrit au sujet du rappel de Maple Leaf en 2008, causé par la listeria. Il s'agit d'une entreprise qui ne transige jamais avec le consommateur, mais qui a décidé, le 18 août 2008, de transiger directement avec lui Michael McCain parlait directement à la caméra et s'adressait aux consommateurs canadiens. C'était une première. On l'a vu, cela a été un message efficace.

À l'autre extrême, lors d'un rappel, il y a deux ans, en Alberta, on n'a pas vu du tout les frères Nilsson, de XL Foods, et personne ne parlait pour l'entreprise. On se retirait complètement de la responsabilité de ce qui se passait avec le rappel du bœuf. Donc, lorsqu'on crée un lien avec le consommateur, on s'octroie un pouvoir de communication. Le problème dans le cas de Maple Leaf — et on n'en a pas parlé beaucoup dans les médias —, c'est que le rappel a créé beaucoup de tension entre Maple Leaf et les entreprises qui transigent avec Maple Leaf, comme Tim Hortons et McDonald's qui, elles aussi, ont été prises avec le problème. Lorsqu'on parle de traçabilité alimentaire, il arrive souvent qu'on ne parvienne pas à s'entendre sur la détermination du responsable ni sur les raisons. Or, à Washington, on tente de régler ces points litigieux avec plusieurs partenaires du secteur privé.

Le sénateur Dagenais : Je vais aborder un autre sujet, soit le problème des travailleurs temporaires. Bon nombre d'agriculteurs et d'éleveurs font appel à des travailleurs temporaires. Il existe des programmes, entre autres au Canada, axés sur l'embauche de cette main-d'œuvre, ce qui crée parfois des problèmes pour le renouvellement des contrats. Selon vous, y aurait-il une meilleure façon de répondre aux besoins du secteur agricole en ce qui concerne l'embauche de travailleurs temporaires? L'été dernier, j'ai rencontré un agriculteur qui m'a dit qu'il ne pouvait plus embaucher les mêmes travailleurs après deux contrats de huit mois. Il perd donc une main-d'œuvre d'expérience. Y a-t-il d'autres mesures que le gouvernement pourrait adopter pour améliorer l'embauche de travailleurs temporaires?

M. Charlebois : Absolument. La limite de quatre ans pose problème, pas seulement pour l'agriculture, mais aussi pour le secteur agroalimentaire. À titre d'exemple, à l'usine XL Foods, en 2012, plusieurs des 2 500 employés étaient des travailleurs temporaires qui avaient de la difficulté à parler l'anglais. Lorsqu'il s'agit de manutention de la viande, il faut une main-d'œuvre qui a suivi une formation rigoureuse. L'usine XL Foods a investi beaucoup d'argent pour former ses employés afin qu'ils maîtrisent mieux les pratiques de manutention de la viande.

Pour régler le problème de roulement de personnel, il faut investir davantage dans la formation et le recrutement. De toute évidence, cela représente un défi pour le secteur agroalimentaire dont les marges de profits sont très minces. Si ces coûts pouvaient être évités, ce serait tant mieux. Mais pour l'instant, c'est un problème.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Je vous remercie, monsieur Charlebois, de faire profiter le comité de votre expertise. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je voudrais revenir sur les préoccupations soulevées par le sénateur Dagenais. Je siège à trois comités, qui sont tous très préoccupés par la pénurie de travailleurs étrangers temporaires, particulièrement dans le secteur de l'agriculture. Je crois savoir que vous venez de publier un article dans le Times Colonist, et que vous avez beaucoup d'expertise dans ce domaine. Pouvez-vous nous donner davantage de détails pour le bénéfice des personnes qui nous regardent à la maison et qui ne comprennent pas les problèmes ni les solutions ou qui ne savent pas vraiment comment gérer cette situation?

M. Charlebois : Certainement, mais je ne suis pas un expert en ressources humaines. J'examine les politiques et les enjeux qui concernent la chaîne d'approvisionnement. En ce qui a trait à cette situation en particulier, je suis évidemment très préoccupé, car il s'agit d'emplois qui sont difficiles à pourvoir. J'ai grandi au Québec, dans les Cantons de l'Est, et j'ai travaillé dans des fermes durant mon enfance et mon adolescence. J'ai travaillé pour des cultivateurs de fraises et des producteurs laitiers. J'ai trouvé cette expérience fantastique, mais aujourd'hui, la plupart des enfants et des jeunes adultes quittent les régions rurales du Canada pour aller faire des études, notamment universitaires, et ne choisissent pas de travailler dans le secteur de l'agriculture.

Dans les régions rurales du Canada, le recrutement et la rétention deviennent de plus en plus difficiles. C'est la réalité. Je sais que beaucoup de gens croient que les travailleurs étrangers temporaires volent les emplois des Canadiens, mais selon moi, cela permet au Canada de se nourrir, parce que nous avons besoin de personnel dans les régions.

Évidemment, nous parviendrons peut-être un jour à trouver une façon d'utiliser la robotique pour faire toutes ces tâches, mais pour le moment, nous sommes à la merci de dame nature. Nous avons besoin de gens dans les champs à la saison des récoltes; ces gens ils sont utiles. J'ajouterais même que ces gens viennent ici parce qu'ils ont un rêve : ils ne veulent pas seulement travailler au Canada; ils veulent s'y établir et connaître le mode de vie canadien. Je crois que les Canadiens oublient souvent à quel point ils sont chanceux de vivre au Canada, ce pays formidable, et ceux qui viennent au Canada prennent conscience de la chance que nous avons. Je précise que je suis en Autriche, un endroit où il fait bon vivre, mais je vais revenir.

La sénatrice Beyak : Dans votre article, présentez-vous au gouvernement des recommandations que nous pourrions examiner? Je sais que cela préoccupe beaucoup de ministères.

M. Charlebois : Essentiellement, l'idée est de permettre aux gens de devenir résidents permanents. C'est ma principale recommandation. Encore une fois, je n'ai pas examiné cela de façon très détaillée. Je suis certain que vous en savez probablement plus que moi sur les options qui pourraient leur être offertes. Ce que je tente de faire valoir, en somme c'est que nous avons besoin d'eux.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, j'aurais quelques questions, si vous le permettez.

[Français]

Le président : Examinons la traçabilité et l'ordre de renvoi que le Sénat du Canada nous a demandé d'étudier. On parle souvent de la compétitivité et de la rentabilité du secteur agricole.

Dans le cadre des grandes foires internationales — vous avez sans doute de l'expérience dans le domaine —, que pensez-vous de l'initiative de La marque Canada? Lors de ces grandes foires internationales, est-ce que le Canada dispose de moyens pour mettre en valeur La marque Canada? Quelles seraient vos recommandations pour valoriser La marque Canada en tenant compte de sa traçabilité et de sa sécurité?

M. Charlebois : C'est une bonne question. En toute honnêteté, je ne me suis pas penché sur cette question. Pour l'instant, le programme fonctionne bien et répond à des besoins spécifiques. Ma préoccupation première, c'est qu'on a souvent misé sur la vente de l'image de marque du Canada selon ses commodités agricoles et ses denrées agricoles, entre autres, le sirop d'érable et le blé, qui sont des produits vendus partout dans le monde. Cependant, le Canada ne vend pas beaucoup de produits transformés à l'échelle mondiale, pas autant que je le souhaiterais.

Ces dernières années, de nombreuses études ont été menées sur le secteur de la transformation alimentaire. Le Canada a perdu 143 usines depuis 2007, ce qui représente 25 000 emplois de moins. Plus tôt, vous avez mentionné que le secteur agroalimentaire est très important. À mon avis, le secteur de la transformation alimentaire au Canada est en pleine crise. Le Canada est un pays extrêmement vulnérable devant les entreprises multinationales qui décident tout à coup de consolider leurs actifs. C'est ce qui est arrivé à Kelloggs, à London, et à Heinz, à Leamington, entre autres. C'est un problème. Le Canada devrait valoriser davantage son image de marque, au-delà des denrées alimentaires, comme le canola. L'automne dernier, je me suis rendu en Chine. Certes, les gens là-bas connaissent le canola, mais ils ne savent pas qu'il provient du Canada et que Canola signifie Canada oil. Ils connaissent nos denrées agroalimentaires, mais ils ne savent pas nécessairement à quoi elles servent.

Pour ce qui est de l'image de marque du Canada, on est perçu comme un pays ayant des ressources naturelles en abondance, mais pas comme un pays qui a développé une capacité de transformation qui ajoute de la valeur à ce qu'il produit au niveau primaire.

Je peux citer comme exemple l'Allemagne. Sur le plan de l'ingénierie, on parle de BMW et de toutes sortes d'industries qui ont développé une expertise vraiment exceptionnelle. Le Canada a le potentiel de le faire, mais il doit y avoir une approche orchestrée de par son image de marque à l'international.

Le président : Lorsqu'on parle d'image de marque, si vous me permettez d'utiliser votre vocabulaire, voit-on alors certains mécanismes de traçabilité, comme l'identification du produit? On va le relier souvent à La marque Canada. On voit aussi le tatouage et le marquage qui se fait sur la boîte ou le contenant, et on verra aussi différents registres pour déterminer de quelle région canadienne vient le produit pour permettre aux consommateurs internationaux de reconnaître le produit canadien. Sur lequel de ces quatre mécanismes, selon votre expérience, pourrait-on mettre davantage d'emphase pour faire connaître le Canada?

M. Charlebois : Il faut faire attention. On vit actuellement une incroyable fragmentation des marchés. McDonald's s'en aperçoit actuellement. Le consommateur recherche complètement autre chose. Je sais bien que de plus en plus de Canadiens recherchent des produits locaux qui proviennent du Canada et de leur région. C'est la même chose ailleurs dans le monde. On peut vendre un produit canadien, avec l'image de marque du Canada dont la qualité est reconnue, mais s'agissant des consommateurs, ailleurs dans le monde, je ne suis pas convaincu qu'ils sont très intéressés d'acheter un produit canadien. Ils veulent acheter un produit de qualité, mais pas nécessairement un produit canadien. Il faut faire attention. Il y a le B2B (le commerce interentreprises) et le B2C (le commerce entreprise à consommateur). Le B2B, à mon avis, en ce qui a trait à l'image de marque du Canada, lorsqu'il vend aux agents, aux courtiers et aux importateurs, est absolument important. C'est un marché cible où l'image du Canada peut servir le pays de façon efficace. Cependant, en ce qui a trait au consommateur, on parle d'autres choses à mon avis.

[Traduction]

Le président : Je donne la parole au sénateur Enverga.

Le sénateur Enverga : Plus tôt aujourd'hui, j'ai entendu dire qu'il y avait des similitudes entre l'industrie agroalimentaire canadienne et celle des États-Unis. C'est en raison de ses relations avec les États-Unis que le Japon ne s'est pas opposé aux importations canadiennes. Toutefois, lorsque j'étais en Corée du Sud et à Taïwan, j'ai entendu dire que le principal concurrent du Canada, ce sont les États-Unis. Pouvez-vous nous dire comment nous pourrions nous éloigner de cette identité canado-américaine? Sommes-nous pareils? Comment pourrions-nous modifier la perception des autres pays?

M. Charlebois : Merci de la question, sénateur. Je ne crois pas que nous sommes identiques. Nous sommes complémentaires. C'est ainsi que je perçois la relation entre le Canada et les États-Unis sur le plan agroalimentaire. Les deux pays se rendent mutuellement service. Actuellement, étant donné ce que l'on voit dans la soi-disant guerre des devises qui fait rage à l'échelle mondiale, pas seulement en Amérique du Nord, le rapprochement avec les États-Unis est une bonne chose. Nos ventes de produits alimentaires ou de produits agricoles augmenteront probablement au cours des prochaines années en raison de l'affaiblissement du dollar canadien. Il connaîtra une baisse encore plus marquée par rapport à l'euro.

Par rapport au commerce, ce qui me préoccupe, c'est que dans cette guerre des devises, on observe en ce moment une baisse du dollar canadien par rapport à la devise américaine, mais l'euro est en chute libre. On évoque la parité entre l'euro et le dollar américain. Si cela se produit, étant donné que nous négocions actuellement un accord semblable à l'AECG, le Canada sera moins attirant pour l'Europe, qui est un bloc économique énorme. Donc, la situation actuelle plaît beaucoup à l'Allemagne, car elle considère les États-Unis comme un très bon marché.

Fondamentalement, ce qui me préoccupe au sujet de la situation qu'on pourrait voir, disons, dans les 18 à 24 prochains mois, c'est que le Canada pourrait être laissé derrière parce que d'autres pays tireront avantage de la faiblesse de leur devise par rapport au dollar américain.

Pour le Canada, cela appuie souvent ce que je considère comme une économie agricole paresseuse, car lorsque la valeur du dollar était égale ou même supérieure au dollar américain, cela a forcé de nombreuses entreprises de l'Ontario et de partout ailleurs au Canada à réinvestir dans leurs usines, augmentant ainsi l'efficacité de l'industrie canadienne. Ce qui me préoccupe actuellement, c'est que la baisse du dollar incite les gens à cesser d'investir, entraînant ainsi une baisse de la compétitivité. Je pense que nous devrions continuer de chercher à devenir concurrentiels. Le gouvernement devrait notamment encourager l'industrie de la transformation à maintenir ses investissements visant à accroître la productivité, ce qui fait défaut au Canada actuellement.

Le sénateur Enverga : Vous parlez de l'Europe, des États-Unis et du Canada. Ne croyez-vous pas que la faiblesse du dollar canadien nous donne maintenant un avantage considérable sur le marché de l'Asie-Pacifique? Les Européens ne produisent pas les mêmes produits, les mêmes produits agricoles que nous pour le marché de l'Asie-Pacifique. Devrions-nous nous concentrer sur ce marché, en ce moment?

M. Charlebois : Notre dépendance à l'égard des États-Unis est claire; c'est un fait. Devrions-nous nous concentrer sur d'autres marchés? Absolument. C'est ce qu'on appelle une approche proactive. Je pense que nous devons étudier d'autres marchés, mais pour être honnête, je pense qu'en signant des accords commerciaux, le gouvernement canadien fait ce qu'il faut faire. Pour la première fois depuis longtemps, nous avons un gouvernement fédéral qui signe d'importants accords commerciaux. Il faut évidemment des années pour en tirer avantage, mais c'est ce que l'on voit actuellement. Donc, outre ces accords, cela dépend de l'importance qu'accordera l'industrie à la productivité.

Le sénateur Oh : Plus tôt, vous avez indiqué que le dollar canadien est faible et que cela nuit aux investissements, mais je pensais que c'était le contraire. Si le dollar canadien est faible, cela attire davantage d'investissements. Certains de mes amis ont investi lorsque le dollar canadien était à 71 ¢. Lorsque le dollar a rebondi pour atteindre 1,01 $ américain, ils ont obtenu un profit de plus de 30 p. 100 seulement en fonction du taux de change. Avoir une devise faible, c'est bon pour les exportations, et c'est le moment idéal pour investir au Canada. Le dollar canadien est faible, mais il reprendra un jour de la vigueur. La valeur des devises fluctue. En ce qui concerne les investissements, je dirais que c'est probablement le moment idéal d'investir au Canada. Qu'en dites-vous?

M. Charlebois : C'est toujours un bon moment pour investir au Canada.

Si vous le permettez, je peux répondre à votre première question, sénateur. J'estime, en fait, qu'une croissance qui découle d'une devise faible n'est pas bonne pour le pays. Je pense que nous devons nous concentrer sur nos forces. Nous devons innover et créer de nouveaux produits, et c'est un aspect pour lequel nous n'avons pas eu de bons résultats.

Nous ne pouvons imiter les Américains et nous concentrer sur les économies d'échelle. Nous n'avons pas la capacité de le faire. Toutefois, nous pouvons nous démarquer. Il est essentiel de reconnaître qu'il est essentiel que l'industrie se démarque, à l'avenir. Le vin de glace est un exemple parfait. J'aimerais que nous puissions utiliser la moutarde à cette fin en Saskatchewan. Nous exportons beaucoup de grains de moutarde, mais nous ne fabriquons aucun produit dérivé. Voilà ce que nous devrions faire, au pays. Peu importe le sort que subira notre devise, nous devrions innover et créer de nouveaux produits pour le marché mondial plutôt que de nous contenter d'exporter des produits agroalimentaires et les racheter à un prix cinq fois plus élevé.

Les fluctuations monétaires créent des occasions, mais élaborer des modèles d'affaires en fonction de la faiblesse des devises est une erreur.

[Français]

La sénatrice Tardif : J'ai une brève question. Monsieur Charlebois, vous avez indiqué que la capacité de surveillance de la chaîne alimentaire dans plusieurs pays a diminué depuis la crise financière et en raison de certaines restrictions budgétaires. Dans votre présentation, vous avez dit ce qui suite, et je vous cite :

[Traduction]

[...] les capacités de surveillance des risques de bien des pays ont diminué [...] il demeure difficile d'établir un lien étroit entre les réductions budgétaires et la capacité des organismes de réglementation des aliments d'atténuer et de communiquer les risques.

[Français]

Quelle est la situation au Canada? Le Canada a-t-il subi des réductions budgétaires qui influent sur sa capacité de surveillance au sein de la chaîne alimentaire?

M. Charlebois : Il y a eu des réductions sur le plan budgétaire, je crois. Je ne suis pas certain du montant comme tel, mais il y a eu une réorganisation à l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Cependant, le Canada ne fait pas exception; on l'a vu partout dans le monde. D'ailleurs, selon les résultats de notre sondage de 2014, l'Autriche se situe dans la moyenne. En Europe, l'économie ne va pas très bien et, partout, on fait un peu la même chose, on réduit les effectifs. C'est à ce moment-là qu'il faut tenir une discussion sur la responsabilisation des entreprises. L'État ne peut pas tout surveiller. C'est pratiquement impossible.

Il y a 3 500 inspecteurs au Canada, et la question que je pose souvent aux syndicats des inspecteurs est la suivante : si 3 500 inspecteurs ne sont pas suffisants, quel est le nombre optimal? Je n'ai jamais eu de réponse à ma question, parce qu'on ne sait pas exactement ce que les inspecteurs font sur le terrain, ce qu'ils font avec les informations collectées et comment tout cela est géré. On n'a pas un système transparent qui permettrait à l'ensemble des Canadiens de mieux reconnaître ce qui se passe sur le plancher des vaches, comme on dit. Il y a un manque total de transparence. On ne reconnaît pas l'investissement qu'on fait actuellement, alors pourquoi devrait-on investir davantage? Il y a des années qu'on investit beaucoup dans la salubrité des aliments pour répondre à un besoin temporaire, parce qu'il y a une panique, comme la listeria en 2008 et l'ESB ensuite. Maintenant, l'ACIA a un budget qui dépasse les 700 millions de dollars et elle compte plus de 7 000 employés. Je peux vous dire que l'ensemble des Canadiens ne comprend pas nécessairement ce que fait l'ACIA. À mon avis, on devra se pencher sur cette question avant d'augmenter les effectifs. Entre-temps, l'entreprise est en bonne posture pour compléter les efforts de l'agence en matière de surveillance et en se responsabilisant elle-même. L'entreprise achète d'une autre entreprise. Si elle pose les mauvaises questions ou qu'elle se met dans le pétrin, ce n'est pas bon pour la chaîne d'approvisionnement. C'est ce qui se fait actuellement de façon très naturelle. C'est une réalité. On a traversé une ère de dépenses, compte tenu de ce qui se passe dans le monde, avant de réinvestir davantage en faveur de la salubrité des aliments. Les États vont se demander s'il faut investir, quel est le retour sur l'investissement, et s'ils doivent investir davantage.

La sénatrice Tardif : Vous soulevez des points très importants. Je ne crois pas que nous puissions tous les régler aujourd'hui. La question de l'imputabilité de l'agence est importante, ainsi que les rapports, les suivis et la question de la responsabilisation de l'industrie, à savoir si on peut se fier à une industrie qui se réglemente elle-même.

Le président : Je voudrais vous remercier, monsieur Charlebois, d'avoir pris le temps, encore une fois, de nous faire part de vos opinions et de vos commentaires. Revenez au Canada, nous avons de la neige en masse. Il ne faut pas oublier vos racines.

M. Charlebois : Je n'ai pas oublié. Je porte mon épinglette pour deux raisons. La première étant que je suis fier d'être Canadien, et la deuxième étant qu'on ne peut pas me parler en allemand.

Le président : Merci beaucoup. Bon séjour.

[Traduction]

Chers collègues, nous accueillons maintenant notre deuxième témoin, M. Ryan Eickmeier, qui est directeur principal aux affaires publiques chez GS1 Canada. Merci d'avoir accepté notre invitation, monsieur Eickmeier. Je vous demanderais de présenter votre exposé; ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs.

Ryan Eickmeier, directeur principal, Affaires publiques, GS1 Canada : Merci. Je suis heureux d'être avec vous ici aujourd'hui alors que le comité se penche sur une question vitale pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien.

Mes commentaires porteront principalement sur le besoin de mettre en place un système de traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et son incidence sur l'accès au marché international. Mais laissez-moi tout d'abord vous présenter l'organisation que je représente.

GS1 Canada est une organisation mondiale à but non lucratif de normalisation de la chaîne d'approvisionnement et l'un des 114 GS1 dans le monde. Nous faisons partie du quotidien de tous les Canadiens, et sommes peut-être mieux connus comme le seul émetteur autorisé de codes-lieu internationaux, le nombre se trouvant sous le code-barres conventionnel. Les normes de GS1 sont utilisées de 6 à 8 milliards de fois par jour dans le monde afin d'identifier sans équivoque des produits, lieux, biens et envois, entre autres choses.

Afin de clarifier notre rôle dans le secteur agricole et agroalimentaire, il convient de préciser que GS1 Canada collabore de longue date avec le gouvernement et le secteur : en 2003, GS1 Canada avait été invité par Agriculture et Agroalimentaire Canada à prendre la direction d'une initiative nationale du secteur alimentaire appelée Can-Trace, et dont le but était d'établir les normes et les informations minimales requises pour l'élaboration d'une norme de traçabilité à un échelon en amont et à un échelon en aval pour l'ensemble de l'industrie alimentaire canadienne. Pour atteindre l'objectif, nous avons amené, pour les différents produits, tous les principaux groupes et intervenants du secteur, de la production, de la distribution et du détail, à convenir d'une norme de traçabilité nationale volontaire. Cette norme a servi de base pour la norme mondiale de traçabilité de GS1, qui a été adoptée de façon quasi générale par les secteurs canadiens de l'épicerie et de la restauration. GS1 Canada réunit, tant parmi ses membres que dans sa gouvernance, tout un éventail d'intervenants du secteur agroalimentaire, dont des distributeurs, des exploitants, des fabricants, des détaillants et des producteurs.

Afin que nous ayons la même compréhension des termes, on entend par traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement la capacité de savoir précisément, et à n'importe quel moment, où se trouve tout produit agroalimentaire ou agricole, et pourquoi. Cette définition constitue, pour le secteur et le gouvernement, une évolution par rapport à la traçabilité à un échelon en amont et à un échelon en aval visant à répondre à la nécessité de garantir une traçabilité totale, de l'exploitation agricole à l'amont, jusqu'au consommateur à l'aval.

La traçabilité n'est pas une procédure propre à une entreprise, mais la capacité, pour une entreprise, de partager certains renseignements sur un produit donné avec d'autres partenaires commerciaux ou intermédiaires dans la chaîne d'approvisionnement. La traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement s'appuie sur la capacité d'unifier la chaîne d'approvisionnement en amont et la chaîne d'approvisionnement en aval au moyen des mêmes identifiants. C'est devenu une priorité majeure pour les partenaires du secteur agricole qui cherchent à différencier leurs produits, à gagner la confiance des consommateurs, à favoriser une croissance accrue, ainsi qu'à améliorer la productivité et la rentabilité.

Le désir de traçabilité est motivé par les tendances du marché qui influent sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, de la ferme à la fourchette. La traçabilité n'est pas en soi un résultat ou un objectif. La traçabilité est un moyen, pour les entreprises, d'uniformiser leurs capacités collectives, et notamment leurs systèmes et leurs procédures, afin de s'adapter aux tendances du marché. Le premier est la gestion des risques, dont un exemple serait la capacité de rappel de produits reconnue fondée sur des normes mondiales et l'identification sans équivoque des produits touchés. Un deuxième exemple serait le partage de vérifications et de certifications par des tiers.

Le deuxième mécanisme est la transparence de la chaîne d'approvisionnement, soit le besoin d'adopter et de faire connaître des pratiques commerciales durables ou l'échange de renseignements concernant les ingrédients, la production et la distribution, et ce, jusqu'au lot de produit. Le troisième est l'efficacité de la chaîne d'approvisionnement, soit l'utilisation de l'échange de données électroniques pour l'expédition, la réception et la preuve de livraison. Le quatrième est la collaboration entre partenaires commerciaux, c'est-à-dire la planification de la production en fonction des données sur la demande du marché provenant des consommateurs.

La traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement permet d'atteindre les objectifs généraux suivants. Il y a d'abord la différenciation des produits et la confiance des consommateurs : la traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement offre des possibilités de favoriser la reconnaissance des marques et la fidélisation des consommateurs en réduisant les rappels et les retraits aux seuls produits touchés et en garantissant aux consommateurs l'intégrité, la sûreté et la sécurité des produits laissés sur le marché.

Le deuxième est la croissance accrue. La capacité d'assurer le suivi et la traçabilité des produits sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement constitue de plus en plus une exigence commerciale, tant entre organisations qu'en vertu de la réglementation gouvernementale. La traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement permet de répondre à de telles exigences, tout en permettant d'obtenir des débouchés sur de nouveaux marchés et auprès de nouveaux partenaires commerciaux ne faisant affaire qu'avec des organisations qui répondent à ces exigences.

Enfin, il y a la productivité et la rentabilité. Une traçabilité normalisée de l'ensemble sur la chaîne d'approvisionnement facilite la circulation des biens et de l'information entre les marchés en permettant l'identification des marchandises et de la chaîne de possession, la réduction des délais et l'accélération des formalités douanières, ce qui permet d'accroître la rentabilité en réduisant les délais et les formalités administratives.

Le secteur, au Canada, a déjà investi dans la mise en place de solutions normalisées, tant dans la chaîne d'approvisionnement en amont que dans la chaîne d'approvisionnement en aval, et il convient de l'en féliciter. Reste, cependant, à unifier totalement ces capacités générales afin que l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement devienne interopérable, ce qui constituerait une valeur ajoutée tant pour le secteur que pour les consommateurs et le gouvernement. GS1 Canada est d'avis qu'une telle chose peut être facilement réalisable.

Pour conclure, la viabilité à long terme du secteur agroalimentaire canadien repose sur sa capacité à s'adapter à l'évolution des tendances du marché. Ne considérer la traçabilité que comme un simple moyen de répondre aux exigences de gestion des risques revient à sous-évaluer son importance beaucoup plus grande, tant pour les entreprises que pour les consommateurs. L'avenir du secteur alimentaire canadien repose sur sa capacité de fournir aux intervenants de l'industrie et aux consommateurs des renseignements électroniques fiables et précis sur ses produits, de garantir une visibilité et une transparence absolues, ainsi que de retirer rapidement tout produit dangereux en tout point de la chaîne d'approvisionnement allant de la ferme à la fourchette.

La traçabilité ne doit plus être considérée comme un coût, mais comme un investissement offrant un rendement concret sous la forme d'un gain d'efficacité dans les processus. Les normes mondiales de GS1, qui sont utilisées par des sociétés du monde entier pour garantir la sûreté, la sécurité et l'efficacité des chaînes d'approvisionnement, sont indispensables pour assurer la traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement et le retrait efficace des produits dangereux. Elles accroissent la sécurité des consommateurs et garantissent un avantage concurrentiel au secteur agricole, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde. Nous souhaiterions donc recommander au comité de consacrer une partie de son étude à la traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement au Canada comme un moyen d'affirmer la position du Canada en tant que chef de file mondial en matière de sécurité alimentaire, d'efficacité et de visibilité de l'information.

Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de m'exprimer aujourd'hui et me ferai un plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir.

La sénatrice Tardif : Monsieur Eickmeier, merci de cet exposé fort intéressant. Le témoin précédent, M. Charlebois, de l'Université de Guelph, nous a indiqué que le système de traçabilité canadien comporte de nombreuses lacunes. Il a parlé de « transversalité ». Je ne suis pas certaine que c'est ce qu'on entend par interoperability, mais je pense qu'il était d'avis que les lacunes qui subsistent découlent de la communication inadéquate entre les systèmes.

Êtes-vous d'accord avec ce commentaire? Que pourrions-nous faire? Cherchez-vous à accroître la communication entre les divers systèmes?

M. Eickmeier : Je suis d'accord sur ce point. J'aimerais revenir à ce que j'ai dit sur la chaîne d'approvisionnement en amont et la chaîne d'approvisionnement en aval. Habituellement, GS1 intervient dans la chaîne d'approvisionnement en aval à partir du moment où un produit devient un produit de consommation jusqu'à ce qu'il parvienne aux consommateurs. C'est habituellement là qu'interviennent nos membres.

Il y a différentes organisations qui interviennent en amont de la chaîne d'approvisionnement. Dans le secteur de l'élevage, l'Agence canadienne d'identification du bétail a une norme définie et des registres pour en consigner l'application. Ce qui fait défaut, c'est un lien entre l'aval et l'amont. Je conviens qu'il y a un manque de communication. En effet, lorsqu'une bête est envoyée à l'abattage, la traçabilité devient impossible à partir du moment où on lui enlève sa marque d'oreille; il n'y a aucune connexion véritable jusqu'à l'étape où commencent à s'appliquer les normes GS1 pour identifier un produit de consommation. Il faut donc établir ce niveau de communication en s'assurant que les normes concordent. Nos systèmes sont conçus pour permettre une telle concordance que ce soit pour un produit ou pour le lieu de l'activité agricole, un autre élément d'identification important. De concert avec nos partenaires du secteur, nous estimons que la traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement sera possible si l'on parvient à permettre à cette mise en concordance des normes établies sans accroître les coûts pour tous les intervenants.

La sénatrice Tardif : Merci. Est-ce que les organisations qui adhèrent aux normes GS1 le font de façon optionnelle? Il n'existe pas d'obligation en la matière au Canada, n'est-ce pas?

M. Eickmeier : Je vous ramène 40 ans en arrière à l'époque de la création du code à barres. Celui-ci a vu le jour lorsque les détaillants en alimentation se sont concertés dans une perspective non concurrentielle dans le but commun d'améliorer leur efficience au point de vente. C'est ce qui a donné naissance au code à barres. À l'échelle planétaire, GS1 s'est attaqué à ces enjeux non concurrentiels pour veiller à ce que l'industrie puisse compter partout dans le monde sur le même ensemble d'outils d'identification.

Les détaillants canadiens veulent utiliser les normes GS1 parce qu'ils ont investi dans ce système. Ceux qui fournissent des produits à ces détaillants vont acheter ce qu'on appelle une licence de préfixe, soit les trois premiers chiffres d'un code à barres qui servent d'identificateur unique pour l'entreprise en question et lui permettent d'émettre des codes à barres distinctifs. En outre, l'entreprise peut utiliser notre registre de données pour échanger des renseignements avec ses partenaires commerciaux, tout cela suivant une formule de recouvrement des coûts sans but lucratif. Ce sont les partenaires commerciaux eux-mêmes, et non GS1, qui dictent le mandat et les besoins à combler. Nous sommes là pour faciliter les échanges.

La sénatrice Tardif : D'accord, mais comment pourra-t-on améliorer ce lien? Qui va en prendre l'initiative?

M. Eickmeier : Je pense que le processus peut s'enclencher de différentes manières. Le gouvernement fédéral a investi dans un nouveau service centralisé de traçabilité. Nous nous en réjouissons. On a adopté pour ce faire une approche de concertation semblable à celle employée par l'industrie pour la création du code à barres. C'est donc d'un point de vue non concurrentiel que l'on a considéré la traçabilité comme un besoin essentiel au titre duquel l'ensemble du secteur agroalimentaire devait investir. Il faut parvenir à combler les vides qui empêchent la traçabilité totale. Si le lien ne se fait pas au moment de la transformation à l'abattoir, est-ce nous qui devons étendre l'application de nos normes jusqu'à ce point, ou encore est-ce l'Agence canadienne d'identification du bétail qui doit faire le nécessaire de son côté? C'est vraiment au niveau de l'abattoir et de la transformation qu'il y a un vide à combler. Nous sommes une organisation sans but lucratif qui n'a pas son propre plan d'action; nous collaborons avec l'industrie pour répondre à ses besoins. C'est à ce niveau qu'il y a d'après nous un manque à combler et qu'il convient de mettre en concordance les normes pour établir le lien manquant.

[Français]

Le sénateur Maltais : Pouvez-vous me dire si, dans les pays de la communauté européenne, où la traçabilité faite force de réglementation, tous les pays ont les mêmes normes?

Je vais répéter ma question. Dans la communauté européenne, il y a une norme générale et acceptable pour l'ensemble des pays. Est-ce que tous les pays ont les mêmes normes de traçabilité?

[Traduction]

M. Eickmeier : Oui, et les normes GS1 s'inscrivent dans cet ensemble. Le système global de traçabilité est le même dans toute l'Union européenne. Les capacités disponibles et les niveaux de perfectionnement peuvent varier d'un pays à l'autre, mais les normes GS1 sont bel et bien utilisées dans toute l'Europe et partout sur la planète en aval de la chaîne d'approvisionnement.

[Français]

Le sénateur Maltais : Les nouveaux pays qui ont adhéré à la communauté européenne, comme la Roumanie, qui s'est jointe il y a sept ou huit ans, ont-ils les mêmes normes de traçabilité que l'Allemagne?

[Traduction]

M. Eickmeier : Le système allemand est plus perfectionné. Il y a un bureau GS1 en Roumanie; on y applique donc les normes qui touchent le consommateur. Le niveau de perfectionnement peut toutefois varier selon les marchés. Certains pays ne disposent donc pas de capacités aussi grandes, mais ils s'emploient à combler l'écart.

C'est surtout la manière dont sont identifiées les composantes en amont qui peut différer d'un pays à l'autre. Les normes GS1 ne sont généralement pas utilisées à ce niveau de la chaîne d'approvisionnement et on se sert plus souvent qu'autrement des normes déjà définies dans les pays visés.

Je connais un peu moins bien le marché européen, mais j'imagine qu'ils ne disposent pas des mêmes moyens que nous pour l'identification du bétail ou des fruits et légumes frais.

[Français]

Le sénateur Maltais : On sait que l'Europe est divisée en multiples petits pays. Il y a le libre-échange, par exemple, pour les céréales qui vont alimenter en partie les élevages de bœufs, de porcs ou de moutons. Est-ce qu'on a un système de vérification de la qualité des céréales qui proviennent de différents pays pour l'alimentation de ces animaux? Vous êtes à proximité des pays de l'Est; y a-t-il un système de vérification de la qualité des céréales?

[Traduction]

M. Eickmeier : Pas à ce que je sache. La norme établie dans le cadre du programme Can-Trace au Canada a servi en fait de modèle international pour la traçabilité à un échelon en amont et un échelon en aval, la formule traditionnelle qui donne accès au minimum d'information requis. Cette norme ne s'applique pas aux céréales, à moins que celles-ci deviennent un produit de consommation.

Il n'existe donc pas à ma connaissance de système permettant de vérifier la qualité du produit lui-même. Cela s'intégrerait toutefois naturellement à un système de traçabilité entièrement connecté sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, car il y aurait un impact sur la qualité de la viande qui est servie.

[Français]

Le sénateur Maltais : Est-ce que je me trompe en disant qu'au Canada, il est possible de créer un système de traçabilité de la nourriture des animaux d'élevage?

[Traduction]

M. Eickmeier : La traçabilité est tout à fait possible pour toutes les composantes du secteur canadien. Nous travaillons avec des agences de certification qui peuvent confirmer qu'un produit est casher ou nourri au grain. Ce n'est qu'un élément d'un système entièrement opérationnel. Ce ne sont pas les normes GS1 qui sont utilisées pour l'identification à ce niveau, mais ces données peuvent être consignées dans nos systèmes et nos répertoires de produits. Alors, pour tous les éléments en aval comme l'emplacement géographique suivant les systèmes provinciaux d'identification des sites, on retrouve en correspondance dans la norme GS1 un code lieu international qui sert d'identifiant complémentaire. On peut donc identifier la ferme comme entité globale ou procéder de façon plus détaillée pour déterminer quel champ, quelle grange ou quel poulailler a été utilisé pour les animaux en question. En procédant par élimination dans une perspective de gestion du risque, il est possible de déterminer ainsi la provenance exacte d'un produit visé par un rappel. Lorsque nous parlons de traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, cela comprend toutes ces composantes, y compris le fourrage, les transports et les déplacements.

La sénatrice Unger : Merci, monsieur Eickmeier. Votre exposé était très intéressant.

J'aimerais revenir à ce que vous disiez concernant la nécessité d'unifier totalement les capacités générales disponibles. Si j'ai bien compris, cela nous ramène à la problématique de la mention du pays d'origine sur l'étiquette, et à la question des produits dérivés du bœuf et du porc. C'est une obligation qui touche très durement les agriculteurs albertains. Du point de vue de votre organisation, est-ce que des progrès sont réalisés à ce chapitre, ou bien est-ce une question à laquelle vous ne vous intéressez pas activement?

M. Eickmeier : Notre bureau GS1 aux États-Unis aurait aussi un rôle à jouer. Nous n'intervenons pas de façon très directe, mais nous estimons que s'il pouvait y avoir mise en commun des données entre notre régime de salubrité alimentaire et celui des États-Unis qui utilise le même système d'identification, le problème de la mention du pays d'origine sur l'étiquette ne serait peut-être pas aussi criant. Nous pourrions ainsi nouer des relations commerciales plus étroites et éliminer certains des risques qu'un pays peut avoir l'impression de courir en important des produits. La création d'un système entièrement connecté n'est donc pas importante uniquement au Canada; cela pourrait aussi servir nos relations avec nos principaux partenaires commerciaux, y compris les États-Unis.

Sans nous être penchés directement sur la question de la mention du pays d'origine, nous croyons que le système proposé pourrait contribuer à atténuer les difficultés découlant de cette règle en positionnant le Canada parmi les pays ayant les meilleurs régimes de salubrité alimentaire au monde grâce à l'interopérabilité au sein de notre chaîne d'approvisionnement et avec les autres instances internationales.

La sénatrice Unger : Pourquoi alors ne collaborez-vous pas avec les éleveurs et les transformateurs de bœuf canadien pour éliminer ce problème de la mention du pays d'origine? C'est une mesure qui coûte très cher à nos agriculteurs et à nos éleveurs.

M. Eickmeier : Oui, nous sommes d'accord. Notre organisation se distingue du fait qu'elle ne s'intéresse pas aux questions liées à la capacité concurrentielle. Nous estimons que les éleveurs bovins sont bien représentés dans leur campagne contre la mention du pays d'origine sur l'étiquette au Canada. De plus, ce n'est pas le rôle que nous jouons normalement. Nous sommes là pour offrir du soutien. Autrement dit, nous n'avons jamais été un groupe de pression. Cela ne fait tout simplement pas partie de notre mandat, mais nous pouvons apporter notre aide au besoin.

Il faut aussi avouer que nos normes ne touchent pas encore les agriculteurs et les éleveurs eux-mêmes. Notre sphère d'influence s'arrête actuellement à l'étape de la transformation. Il serait difficile pour nous de les mobiliser de façon ponctuelle, et il existe déjà des associations qui s'y emploient.

La sénatrice Unger : J'ai une dernière question. Vous avez parlé de Can-Trace.

M. Eickmeier : Oui.

La sénatrice Unger : Quel est le degré d'adhésion à cette norme qui a été mise à jour en 2006. Existe-t-il une version plus récente pour Can-Trace?

M. Eickmeier : Can-Trace a jeté les bases de la traçabilité. Comme je l'indiquais tout à l'heure, différents pays du monde s'appuient sur ces bases pour se donner des normes en matière de traçabilité. C'est ainsi que l'on établit les exigences minimales quant à l'information qui doit être mise en commun. La norme n'a pas changé et restera sans doute la même pendant bien des années encore. La prochaine étape pour Can-Trace consiste à assurer la traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Il faudra ainsi passer d'une capacité « un échelon amont, un échelon aval » à une traçabilité globale. On pourrait reprendre le modèle existant en mobilisant l'industrie à partir de cette base. Le marché canadien possède une caractéristique distinctive qui a pu inciter les gens à penser qu'il y a des coûts importants associés à la traçabilité. Il y a en effet ici des systèmes de traçabilité qui sont intégrés à des chaînes de valeur uniques reliant une entreprise à ses partenaires commerciaux. C'est un investissement judicieux qui procure des avantages aux parties concernées, mais cela ne vise pas l'ensemble du marché. Il n'y a pas de répercussion pour tout le secteur agricole. Nous discutons actuellement avec nos partenaires de l'industrie en espérant en arriver à une formule pancanadienne similaire à Can-Trace qui serait reconnue par tous et pourrait être utilisée pour différents secteurs et groupes de produits ou différents paliers de l'industrie et du gouvernement afin d'établir une norme nationale applicable à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. L'aire d'influence de Can-Trace se limitait à un échelon en amont et un échelon en aval, mais il faut maintenant passer à la chaîne complète en sachant que Can-Trace nous fournit un modèle efficace pour la mobilisation de l'industrie.

La sénatrice Unger : Cela pourrait donc aussi servir à la mise en valeur de l'image de marque canadienne. Notre dernier témoin estimait que nous n'en faisons pas suffisamment à ce chapitre. Alors, une mesure comme la traçabilité totale, ou une organisation mondiale comme GS1, pourrait vraiment favoriser la promotion de l'image de marque du Canada.

M. Eickmeier : Tout à fait. C'est vraiment au chapitre de l'identification et des normes en la matière que le gros du travail de GS1 s'effectue. Ces normes peuvent ensuite être mises à contribution pour faire valoir à peu près n'importe quel argument. Si vous voulez mettre en valeur l'image de marque du Canada, nous pouvons intégrer ce paramètre à notre système pour que l'on puisse s'en servir comme avantage concurrentiel à l'échelle planétaire. À mon avis, si le Canada en venait à appliquer un régime de traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, notre pays pourrait faire valoir qu'il a le système alimentaire le plus sûr de la planète, et peut-être également le plus transparent pour ce qui est de la visibilité des produits, de leur circulation et des rapports sur les incidents. C'est un objectif ambitieux et plusieurs intervenants ont un rôle à jouer, mais ce serait bénéfique pour notre pays et notamment pour son image de marque.

Le sénateur Enverga : Merci pour votre mémoire. Je viens de me rendre compte que la traçabilité a certaines limites et ne rejoint pas vraiment le consommateur. Ne pensez-vous pas qu'il serait bon que l'on se rapproche davantage du consommateur?

M. Eickmeier : Je vais vous donner un exemple. Lorsqu'il y a rappel d'un produit, les détaillants vont la plupart du temps le faire disparaître entièrement de leurs étagères sans savoir lesquels des produits sont directement touchés par le rappel. Notre version d'un régime de traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement permettrait non seulement d'identifier le produit, mais aussi le lot dont il fait partie. Si nous prenons l'exemple d'un rappel de poitrines de poulet, on pourrait ainsi savoir quels lots ont été touchés par un foyer de maladie dans une usine de transformation. Les consommateurs auraient ainsi l'assurance que les produits qui doivent être rappelés le sont effectivement, sans compter que les détaillants ont de plus en plus recours à des programmes de fidélisation qui leur permettent de savoir quels produits un consommateur achète. De cette façon, il serait aussi possible d'aviser le consommateur du rappel d'un produit qu'il a déjà acheté, mais qu'il n'a peut-être pas encore mangé. Cette forme de traçabilité totale permettant d'informer tous les intervenants dans le système ne pourra devenir réalité que si nous adoptons une norme commune et un système de partage des renseignements, comme on l'a déjà fait dans la chaîne d'approvisionnement en aval.

Le sénateur Enverga : Le téléphone intelligent est maintenant devenu chose courante. Pensez-vous qu'il serait grand temps de remplacer les codes à barres par les codes QR qui seraient directement accessibles au consommateur?

M. Eickmeier : Le code à barres, le code QR et l'étiquette à puce sont autant de transporteurs de données. Les possibilités offertes par le code QR sont limitées. Pour dire les choses comme elles sont, c'est l'équivalent d'une adresse URL. Le code à barres est la vitrine donnant accès à des centaines d'éléments de données rattachés au produit lui-même dans le répertoire ECCnet. On retrouve dans ce répertoire toute l'information sur les produits vendus au Canada. Avec le système de traçabilité totale, les fabricants et les propriétaires de marques pourraient placer sur leurs produits des identifiants grâce auxquels le consommateur pourrait remonter par un simple balayage jusqu'à monsieur X en Saskatchewan qui cultivé le maïs en question, et apprendre quel jour il a été récolté et par quelles installations de transformation il est passé. C'est un niveau de détail tout à fait possible. Il s'agit seulement de déterminer quels renseignements vous voulez communiquer et qu'est-ce qui est important pour le consommateur.

Si l'on considère ce qu'on retrouve actuellement dans notre système, on doit constater que les données nutritionnelles sont essentielles pour les consommateurs. C'est la même chose pour les renseignements au sujet des allergies. J'ai parlé un peu de la question de la certification. Il est primordial pour certains consommateurs d'avoir la garantie qu'un produit est casher ou halal. Cela fait partie des déterminants du marché qui vont dans le sens d'une traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Il devient plus que jamais primordial de répondre aux attentes du consommateur, et c'est à ce niveau qu'une image de marque peut vraiment prendre de la valeur.

Le sénateur Enverga : Vous avez parlé d'une traçabilité accrue pour le maïs, le bœuf et peut-être aussi le porc. Peut-on s'attendre à bénéficier également de cette traçabilité pour les fruits, comme les cerises qu'on exporte ou les légumes?

M. Eickmeier : Certainement, et c'est à ce niveau que Can-Trace s'est révélé efficace. On a établi une norme minimale pour tous les groupes de produits. Le système de traçabilité n'est pas tout à fait le même pour le bétail et les fruits frais, mais les bases ne changent pas. On se sert des mêmes types d'identificateurs. On utilise des identifiants de lot qui permettent un suivi précis. Oui, la traçabilité est possible pour tous les types de production.

La sénatrice Beyak : Merci pour votre excellent exposé. M. Charlebois nous a dit tout à l'heure qu'il y avait encore malheureusement de nombreux pays qui se servent du faux prétexte de la sécurité alimentaire pour imposer des barrières non tarifaires. J'ai l'impression que votre approche de traçabilité totale de la ferme à l'assiette contribuerait grandement à atténuer ce phénomène. Vous nous avez dit tous les deux qu'il y avait un lien manquant entre l'amont et l'aval. Quelles mesures avez-vous prises pour combler ce fossé?

M. Eickmeier : Je conviens avec vous que cette formule de traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement contribuerait grandement à positionner le Canada comme chef de file en matière de sécurité alimentaire. Quant à savoir si cela pourrait entraîner la diminution de certains tarifs, c'est un tout autre débat, mais c'est certes une possibilité.

Nous avons eu des discussions avec des intervenants en amont et au milieu de la chaîne d'approvisionnement. GS1 Canada a joué un rôle d'observateur au sein du Conseil consultatif industrie-gouvernement, un statut tout à fait particulier du fait que la plupart des participants à ces discussions, tant pour les agences gouvernementales que pour les fonctionnaires fédéraux, représentent des groupes de produits. Il est reconnu que GS1 Canada est un intervenant assez important dans le secteur agricole, et nous avons entamé des pourparlers avec l'Agence canadienne d'identification du bétail afin de préparer le terrain en partant du principe que nos normes n'entreront pas en concurrence. Les marques d'oreille utilisées par l'agence ne se retrouveront jamais en aval de la chaîne d'approvisionnement. De la même façon, les normes de GS1 ne seront pas utilisées avec les animaux vivants. Nous nous employons donc maintenant à trouver un terrain d'entente pour jeter les bases de tout cela.

Nous discutons également avec les gens de Trace Canada, le service canadien de traçabilité en agriculture, pour définir la teneur de leur mandat entre la ferme et le point de transformation. Lorsque tout sera bien en place de leur côté, nous verrons si nous pouvons en faire un répertoire central pour la mise en concordance de nos normes. Pour l'instant, nous essayons de déterminer s'il y a effectivement mise en concordance — et je pense que nous savons maintenant à quoi nous en tenir — et quels renseignements sont échangés, car je sais que c'est un enjeu que les producteurs agricoles ont à cœur. Ils veulent avoir la garantie que leurs renseignements demeurent confidentiels et que l'on ne va pas les surveiller sans cesse. Ils souhaitent en fait savoir quelles informations se retrouveront entre les mains des consommateurs et du gouvernement. C'est en gros là où en sont les choses.

Ce n'est pas une tâche facile en raison du grand nombre d'intervenants en cause, surtout lorsqu'on veut viser plusieurs groupes de produits. Il s'agit chaque fois de gens différents, mais nous sommes généralement bien accueillis et les acteurs de l'industrie qui connaissent bien GS1 appuient totalement cette initiative. C'est devenu une priorité pour Sobeys, Loblaws et Gordon Food Service; les grands partenaires agroalimentaires de la planète considèrent la traçabilité totale comme un facteur déterminant de leur accès au marché.

La sénatrice Tardif : Afin de faciliter l'accès aux marchés internationaux, pensez-vous que l'adhésion à des systèmes de traçabilité devrait être obligatoire au Canada?

M. Eickmeier : Je pense qu'une telle obligation aurait assurément pour effet d'accélérer les choses. Tout dépend du mandat. Comme je l'indiquais, GS1 s'est toujours attaqué à l'échelle planétaire à des enjeux non concurrentiels qui n'entraînent pas de coûts pour l'industrie, bien au contraire. Notre travail permet en effet à l'industrie de réaliser des gains d'efficience, que ce soit aux points de vente à l'épicerie ou avec la simple inscription d'un nouveau produit. Le modèle GS1 tient donc son efficacité du fait que les détaillants vont encourager leurs partenaires commerciaux à utiliser nos normes, ce qui nous procure un niveau déterminant de conformité en créant ce que nous appelons un modèle de un à plusieurs. Il suffit donc à Kraft Canada d'enregistrer une seule fois les données sur son produit dans un répertoire pour qu'elles deviennent accessibles à tous ses partenaires commerciaux au Canada. C'est en quelque sorte le mandat implicite que nous confient ces partenaires commerciaux.

Je vais contourner un peu la question en vous disant que tout dépend du mandat, mais il va de soi que si les choses sont faites correctement, cela contribuera à accroître la sécurité alimentaire et l'efficacité des processus organisationnels utilisés par les différents partenaires le long de la chaîne d'approvisionnement. Si l'on devait effectivement réaliser ainsi des économies et des gains d'efficience, personne ne s'opposerait vraiment à un tel mandat.

La sénatrice Tardif : Est-ce que l'industrie manifeste une certaine réticence à déterminer qui va payer et qui sera responsable de tout ceci?

M. Eickmeier : L'avantage du modèle que nous envisageons, c'est que des investissements ont déjà été faits de chaque côté, et qu'il ne sera pas nécessaire de faire de nouveaux investissements. Les producteurs ne seraient pas obligés d'investir quoi que ce soit. Il leur faudrait peut-être mettre à jour certaines aptitudes — en fonction des capacités actuelles de chaque producteur —, mais le modèle que nous envisageons pose la question suivante : « Quelle est la façon la moins coûteuse d'unifier les deux chaînes d'approvisionnement? » À l'heure actuelle, ce sont les gens à l'étape de l'abattoir qui utilisent surtout ce que nous appelons les normes exclusives. Ils utilisent donc des codes à barres et des étiquettes IRF, mais ils ne sont pas conformes aux normes GS1 et ils ne communiquent pas avec le reste de la chaîne d'approvisionnement. Si nous pouvions trouver un modèle dans lequel les abattoirs — qui se trouvent au milieu de la chaîne d'approvisionnement — pourraient commencer à utiliser des normes mondiales qui sont liées, disons, aux normes de l'ACIB, ce serait le point idéal où commencer. Cependant, il reste à voir quel serait le coût réel d'une telle démarche.

Nous avons établi des normes, comme le code lieu-fonction qui, honnêtement, n'est pas d'une grande utilité pour un producteur. Toutefois, pour nous, il s'agit d'un élément fondamental de la traçabilité sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, parce que cela permet de remonter la chaîne de façon détaillée. L'octroi des codes lieu-fonction ne comporterait vraisemblablement aucun coût. Par conséquent, certaines petites choses seraient effectuées dans les coulisses pour octroyer des identifiants et il faudrait probablement qu'un abattoir commence à se conformer aux normes internationales. Du fait que les gens ont déjà investi dans le logiciel, dans la technologie — nous n'avons pas pour mission de vendre ces choses; il faut passer par des fournisseurs de services tiers — ils ont déjà les aptitudes requises. Il reste à changer leur schéma de codage pour être en mesure de tirer parti des normes internationales. C'est là que l'on ajoute de la valeur.

À titre d'information, j'ai mentionné que nous sommes une organisation à but non lucratif et que nous fonctionnons selon le principe de la récupération des coûts. Pour vous donner une idée de l'ampleur des coûts associés au fait de passer aux codes à barres ou de devenir un membre de GS1 à titre individuel, si vous voulez créer un seul code à barres — pour identifier un seul produit qui peut être fabriqué autant de fois que vous le voulez —, le coût d'une licence serait de 60 $ par année. S'il est question d'une grande entreprise qui a besoin de plus de 100 codes à barres pour ses produits, le coût serait de plus de 1 500 $ par année.

Notre modèle est très rentable. Malgré ces chiffres, nous ciblons les PME — les petites et moyennes entreprises — pour que toutes les entreprises, peu importe leur taille et leurs capacités, puissent exercer des activités commerciales avec les grands détaillants au Canada, les grands exploitants de services alimentaires.

Notre modèle donne de bons résultats parce que nous assurons le respect des normes et que 80 p. 100 de nos membres sont en fait des PME, ce qui, à mon avis, est un signe que nos normes fonctionnent et que nos systèmes et notre infrastructure tiennent compte des PME.

Le sénateur Oh : Merci de nous faire part de ces renseignements très utiles. L'année dernière, j'ai participé à une foire commerciale à Shanghai, une foire canadienne consacrée aux fruits de mer, et j'ai été surpris et stupéfait de voir que des gens exportent des poissons d'eau douce provenant de différents lacs au Canada. Chaque poisson a une étiquette dans la bouche, qui indique la date exacte où il a été pêché, le nom du lac où il a été pris de même que son poids. C'est incroyable. Utilisez-vous ce système?

M. Eickmeier : Cela ne fait pas partie de notre travail à GS1 Canada. Il se peut que nos collègues internationaux le fassent, mais honnêtement, je n'en suis pas certain. Toutefois, il est certain que nous pourrions faire cela au Canada. Je sais que la contrefaçon de produits est un problème de taille, surtout dans le domaine des fruits de mer. Si notre système était appliqué à l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement, il permettrait d'identifier ces produits avec précision. Par conséquent, pour les fruits de mer importés au Canada, même à la frontière, l'Agence des services frontaliers du Canada pourrait mieux déceler les produits contrefaits et remonter à la source pour savoir d'où ils viennent.

Le sénateur Oh : Oui, et il serait impossible d'altérer l'étiquette. Si l'étiquette est brisée, elle ne peut plus être utilisée.

M. Eickmeier : Voilà un des problèmes, mais il serait possible de tirer profit d'autres identifiants, comme une étiquette IRF ou une étiquette d'emballage quelconque.

Le sénateur Oh : Cela serait donc utile pour l'inspection de la salubrité des aliments.

M. Eickmeier : Absolument. La solution consiste à prendre ce que nous appelons les « chaînes de valeur individuelles », et de les unifier pour que le système ne fonctionne pas seulement de façon indépendante, mais pour que certains liens soient établis avec le gouvernement, avec l'organisme de réglementation et avec le partenaire commercial. Les Loblaws du monde doivent pouvoir confirmer exactement quel poisson ils achètent et s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une simple contrefaçon.

Le président : Monsieur Eickmeier, de GS1 Canada, si vous souhaitez contribuer davantage à notre étude, avant que nous présentions notre rapport, n'hésitez surtout pas à communiquer avec le greffier. Cela dit, merci d'avoir accepté notre invitation et de nous avoir fourni ces renseignements au cours de notre étude sur la traçabilité.

Nous allons faire une courte pause afin d'examiner un poste budgétaire pour l'exercice 2015-2016. Monsieur Eickmeier, merci beaucoup.

Honorables sénateurs, vous avez tous reçu une copie de l'ébauche d'un budget pour l'exercice 2015-2016, qui a été préparée pour notre étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux. Ce poste budgétaire a été créé pour deux jours d'audiences publiques et un jour de mission d'étude à Edmonton, en Alberta. Le comité souhaite être sur place pour pouvoir recevoir des témoins et effectuer quelques visites dans le secteur agricole en prévision de notre examen des intervenants du secteur.

Une copie de l'ébauche vous a été distribuée. Avez-vous des questions? Je tiens à vous signaler que les chiffres présentés et le coût du déplacement tiennent au fait que nous voyagerons en classe économique. J'aimerais donc entendre vos commentaires.

La sénatrice Tardif : Merci, monsieur le président. Je pense que vous venez d'en parler, mais je veux simplement m'assurer d'avoir bien compris. Les tarifs indiqués sont donc de classe économique?

Le président : Oui, le tarif des billets d'Ottawa à Edmonton, en Alberta, sont de classe économique.

La sénatrice Tardif : Merci. J'appuie cela.

Le sénateur Ogilvie : Je comprends l'objectif, mais j'aimerais savoir pourquoi vous avez choisi l'Alberta, compte tenu de l'énorme éventail de produits dans le secteur agricole. Est-ce que d'autres provinces ne nous offriraient pas un éventail beaucoup plus grand de produits agricoles à examiner, ou avez-vous pris la décision en fonction du volume de produits dans certains domaines clés?

Le président : Merci beaucoup. C'est une très bonne question, sénateur Ogilvie. Le comité prévoit faire des déplacements de mission d'étude dans d'autres régions du Canada. Nous irons en Ontario, au Québec et dans le Canada atlantique.

Le sénateur Ogilvie : Est-ce que ce déplacement est le premier d'une série?

Le président : Oui, c'est le premier d'une série.

[Français]

Le sénateur Maltais : L'objectif de cette mission est d'entendre les témoins, mais ai-je bien compris qu'il y aurait des « visites de fermes »?

Le président : Les visites seront liées à des usines de transformation ou à des secteurs académiques qui sont liés aux industries qui essaient de percer ou qui font des affaires sur le marché international.

Le sénateur Maltais : Nous y sommes déjà allés. Nous avons visité des fermes, des abattoirs, des usines de transformation. Il faut faire attention, monsieur le président, de ne pas refaire les mêmes visites. Je n'ai plus aucun intérêt à voir des cochons mourir. Je sais comment ils meurent.

Le président : Je vous remercie de votre commentaire. Cette visite nous permettra de rencontrer les entreprises qui font déjà partie de l'industrie internationale plutôt que de l'industrie domestique.

Le sénateur Maltais : Si je me souviens bien, l'abattoir que nous avions visité ne vendait certainement pas tout leur porc au Canada. Ils en tuent 10 000 par jour.

Le président : Ce ne sont pas les mêmes industries. Les intervenants que nous visiterons seront directement liés au marché international.

Le sénateur Maltais : Parfait.

Le président : Merci. Y a-t-il d'autres commentaires?

Le sénateur Dagenais : Quand prévoyez-vous ces visites?

Le président : Elles sont prévues pour la dernière semaine de mai.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Avez-vous la liste des usines et des endroits que nous visiterons à Edmonton?

Le président : Vous la recevrez à la prochaine réunion.

Je ne vois pas d'autres mains levées. Par conséquent, vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter le poste budgétaire pour des billets de tarif économique pour 12 sénateurs et des membres du personnel, dont le coût total s'élève à 80 936 $, et de le présenter au Comité de la régie interne, des budgets et de l'administration?

Des voix : D'accord.

Le président : Il y a consensus. Le poste budgétaire est donc adopté.

Le sénateur Ogilvie : Je m'abstiens.

Le président : La motion est adoptée avec une abstention.

Avez-vous d'autres questions? Je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)


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