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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 28 - Témoignages du 12 mai 2015


OTTAWA, le mardi 12 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 19, afin d'étudier les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

La sénatrice Claudette Tardif (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis la sénatrice Claudette Tardif, vice-présidente du comité. J'aimerais commencer en demandant aux sénateurs qui sont présents de se présenter, en commençant à ma gauche.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je suis le sénateur Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

La vice-présidente : Comme premiers témoins, nous accueillons des représentants de l'Association des banquiers canadiens : Alex Ciappara, directeur, Analyses économiques, Association des banquiers canadiens; Gwen Paddock, directrice nationale, Agriculture et ressources, Banque Royale du Canada; Peter Brown, directeur, Agriculture, Banque Scotia; Craig Bremner, vice-président, Services agricoles, Groupe Banque TD; Darryl Worsley, directeur national, Agriculture, CIBC; et Chris Costain, vice-président, Agriculture commerciale, Services aux entreprises de BMO.

Quel groupe impressionnant. Merci d'avoir accepté notre invitation à comparaître ce soir. Je crois que M. Ciappara fera l'exposé. Après quoi, nous passerons aux questions des sénateurs. Veuillez débuter.

Alex Ciappara, directeur, Analyses économiques, Association des banquiers canadiens : Merci de l'occasion que vous me donnez aujourd'hui pour apporter la contribution du secteur bancaire à l'étude menée par le comité sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

L'Association des banquiers canadiens représente 60 banques membres, soit des banques canadiennes ainsi que des filiales et des succursales de banques étrangères exerçant des activités au Canada, et leurs 280 000 employés. Je suis accompagné aujourd'hui par des représentants des cinq plus grandes banques au Canada, qui apportent une expérience diversifiée du monde agricole en raison de leurs liens distincts à ce milieu.

J'aimerais souligner rapidement le rôle essentiel du secteur bancaire dans le monde agricole canadien, ainsi que sa longue tradition dans ce milieu.

Les banques comprennent l'importance d'appuyer le secteur agricole. Elles ne ménagent aucun effort afin d'établir et de maintenir des relations d'affaires solides avec leurs clients dans l'ensemble de la chaîne de valeur agricole. Les banques aident les agriculteurs à chaque étape de leur développement : dès l'étape de lancement comme jeunes agriculteurs, à des agriculteurs établis qui désirent faire croître leurs affaires localement et internationalement, à la dernière phase de la planification de la relève et de la retraite. Cet appui dépasse la ferme proprement dite, et s'étend aux autres éléments de la chaîne de valeur agricole intégrée tels que les transformateurs d'aliments et de boissons, les fournisseurs d'intrants et de services, et les grossistes.

À chacune de ces étapes, les banques jouent un rôle important en aidant leurs clients agricoles à s'adapter et à changer selon la croissance des marchés, tant au Canada qu'à l'étranger.

Le gouvernement fédéral a fait du commerce international et des placements une priorité. Les banques fournissent des produits et des services axés précisément sur le commerce international, ainsi que des conseils et de l'expertise aux agriculteurs pour qu'ils puissent profiter des occasions qui se présentent sur les marchés internationaux. Par ailleurs, elles offrent des solutions personnalisées en matière de services bancaires et de gestion de la trésorerie au niveau mondial, comme les comptes en devises étrangères et des services de change. En outre, les banques offrent une myriade de produits et de services d'exportation et d'importation, comme les lettres de crédit, afin de minimiser les risques de non-paiement et de non-livraison de la marchandise, soit quelques-uns des principaux risques auxquels s'expose le secteur agricole dans le commerce international.

Les banques ont également bâti une relation solide avec EDC, Exportation et développement Canada, leur permettant d'optimiser leurs produits et leurs services sur la scène internationale, au profit de la réussite de leurs clients.

Il est évident que l'accès au crédit est un élément important dans l'appui donné aux agriculteurs. Les banques se livrent concurrence pour fournir environ 28 milliards de dollars en financement aux exploitations agricoles au Canada, au moyen de prêts d'exploitation, de prêts à termes et de prêts hypothécaires, qui représentent 36 p. 100 du marché du financement agricole. Ce financement s'ajoute aux produits et aux services bancaires quotidiens auxquels les clients agricoles s'attendent de la part des banques, tels que les comptes de dépôt et d'exploitation, l'assurance, les placements et les conseils financiers.

Les banques travaillent également avec le gouvernement au profit des agriculteurs, notamment afin de fournir des programmes tels que le compte Agri-investissement, le Programme de la Loi canadienne sur les prêts agricoles et le Programme de paiements anticipés — tous des programmes gouvernementaux.

Nos banquiers comprennent que le secteur agricole, plus que tout autre secteur de l'économie, est soumis aux fluctuations des conditions économiques. Le secteur bancaire possède une grande expérience en ce qui concerne l'aide dont ont besoin les clients agricoles, selon le défi qu'ils affrontent : inondations, sécheresses, ESB ou grippe aviaire. L'année dernière, lorsque les agriculteurs ont eu des difficultés dans l'expédition du grain par le système de transport, les banques ont proactivement fait des démarches auprès des producteurs afin de comprendre leurs besoins particuliers et, lorsque cela s'avérait nécessaire, elles leur ont fourni des solutions financières, telles que des conseils sur l'augmentation de la marge du crédit d'exploitation et l'accès au Programme de paiements anticipés du gouvernement fédéral.

Afin d'élaborer des mesures adéquates, les banques travaillent avec les agriculteurs au cas par cas, évaluant leurs besoins particuliers, notamment les exigences et les capacités de la trésorerie, les perspectives d'affaires, ainsi que les plans d'expansion.

Pour conclure, j'aimerais souligner l'importance du secteur agricole et agroalimentaire pour le secteur bancaire et réaffirmer notre engagement à poursuivre des relations encore plus solides avec les agriculteurs et les autres clients de la chaîne de valeur agricole, en vue de leur permettre de tirer profit des occasions, à la fois au pays et à l'étranger.

Encore une fois, merci de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Nous allons maintenant passer aux questions, et c'est le sénateur Maltais qui va commencer.

[Français]

Le sénateur Maltais : Votre conclusion est un peu humoristique, parce que sans agriculture, il n'y a pas de vente. Vous ne mangeriez pas, d'où votre intérêt pour l'agriculture. C'est fort important.

Selon vos interventions, dans le monde agricole, il y a deux facteurs. Il y a le facteur lié à l'agriculture — modernisation, équipement, agrandissement — grâce aux prêts pour le crédit agricole. L'autre facteur est le fait de favoriser le commerce international. C'est ce que font toutes les banques des pays démocratiques : l'Europe, la Corée, les États-Unis.

Comment allez-vous travailler avec les grossistes dans le domaine agricole et avec les acheteurs pour exporter? Les banques canadiennes sont-elles compétitives en matière de taux, de lettres de crédit, et de marges de crédit pour les exportateurs, si on les compare à celles de l'Europe ou des États-Unis?

[Traduction]

M. Ciappara : Merci beaucoup de cette question. Je vais commencer à répondre et je laisserai mes collègues poursuivre.

Nous sommes très concurrentiels. Comme vous le savez, pendant la crise financière, les banques canadiennes s'en sont sorties haut la main. Les banques canadiennes sont au premier rang des banques les plus solides dans le monde. Cela a permis aux banques canadiennes de donner un bon rendement non seulement pendant la crise financière, mais aussi après. C'est cette base solide qui leur a permis d'aider leurs clients pendant la crise financière et après.

Oui, je dirais que nous sommes très concurrentiels par rapport aux banques étrangères.

Je vais céder la parole à mes collègues pour qu'ils en disent plus à ce sujet.

Peter Brown, directeur, Agriculture, Banque Scotia, Association des banquiers canadiens : Le marché est très concurrentiel, au Canada et ailleurs dans le monde. La Banque Scotia, comme vous le savez, est une banque assez internationale. Nous avons des activités dans environ 55 pays. Nous avons une grande division internationale et d'autres divisions qui s'occupent des lettres de crédit, des devises étrangères, des finances commerciales, et de toutes les autres questions connexes, et nous sommes loin d'être les seuls fournisseurs de ces services sur le marché. Nous devons être concurrentiels afin de pouvoir continuer à offrir ces services à nos clients.

[Français]

Le sénateur Maltais : Puisqu'on parle de la Banque Scotia, vous êtes la seule banque canadienne à Cuba, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Brown : Je ne pense pas que nous offrons beaucoup de services à Cuba. Nous avons certains liens là-bas, mais je ne crois pas que nous y ayons beaucoup d'activités; nous sommes beaucoup plus actifs dans d'autres pays des Caraïbes et dans l'Amérique latine.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez parlé de la crise financière tout à l'heure. Est-ce que les banques peuvent nous confirmer aujourd'hui que, s'il y avait une autre récession, comme celle qu'on a connue en 2007-2008, le gouvernement canadien ne serait pas obligé de faire ce que le gouvernement américain a fait au moyen de la Farm Act? Je suis certain que vous êtes au courant de cette loi américaine dans le cadre de laquelle le gouvernement a été obligé d'intervenir rapidement, parce qu'une grande majorité d'entreprises agricoles, petites et moyennes, se dirigeait directement vers la faillite.

[Traduction]

M. Ciappara : Les banques canadiennes se sont bien débrouillées pendant la crise financière. Elles ont pu consentir des prêts à leurs clients et les appuyer pendant la crise. Nous avons pu le faire parce que les banques sont bien dirigées. Nous offrons des prêts au cas par cas. Nous examinons chaque dossier individuellement pour évaluer les risques et les avantages des prêts.

Je pense que les banques canadiennes seraient bien placées pour appuyer les exploitations agricoles pendant une autre crise en raison de la façon dont elles sont dirigées, surtout la façon dont elles sont supervisées et réglementées.

[Français]

Le sénateur Maltais : J'ai une dernière question, madame la vice-présidente. Compte tenu des traités de libre-échange qui ont été signés et qui sont en voie de se réaliser — et nous savons que d'autres accords sont en négociation —, les Canadiens feront face de plus en plus à la concurrence étrangère. Les plus-values agricoles sont les deuxième, troisième et quatrième transformations.

Allez-vous soutenir les entreprises canadiennes qui se diversifient dans le secteur de la deuxième, troisième et quatrième transformation? C'est là qu'on retrouve les emplois les mieux rémunérés au Canada. Si vous appuyez les entrepreneurs dans ce domaine, je pense que vous allez rendre un très grand service non seulement aux agriculteurs, mais à la population canadienne. Est-ce une voie vers laquelle vous pourriez vous diriger?

[Traduction]

M. Ciappara : Non seulement nous l'appuierions, mais nous le faisons déjà. Nous offrons déjà des services et des produits financiers d'affaires non seulement aux producteurs agricoles, mais aussi aux transformateurs. Oui, nous l'appuyons totalement.

[Français]

Le sénateur Maltais : Le Canada subit de plus en plus de pression pour produire davantage. Nous sommes 35 millions de citoyens sur un territoire immense, et il y a des pays qui ont faim. Le Canada subit des pressions pour que l'on produise davantage grâce à nos terres agricoles et qu'on les rende plus rentables. Cela fait plus de produits à transformer, et ces produits transformés nécessitent des capitaux.

Si vous me dites que vous allez appuyer ces entreprises, je suis d'accord. Vous jouez un rôle est très important, non pas à l'heure actuelle, mais plutôt en prévision des 10 à 15 années à venir.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Merci aux témoins d'être ici.

Monsieur Ciappara, au début de la deuxième page de votre mémoire, vous dites que les banques se font concurrence pour fournir 28 milliards de dollars de financement aux exploitations agricoles au Canada. Est-ce une somme annuelle?

M. Ciappara : Non, c'est ce qui est dû.

Le sénateur Moore : Quel est le bilan? S'agit-il d'une hausse ou d'une baisse?

M. Ciappara : En fait, c'est en hausse depuis un certain temps.

Le sénateur Moore : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres et des dates récentes?

M. Ciappara : Pendant la dernière année, en 2013-2014, je pense qu'il y a eu une croissance de 8 ou 9 p. 100; il s'agit du montant total des prêts bancaires. La dernière fois que j'ai vérifié, au cours des 20 dernières années, il y a eu une augmentation presque chaque année. Il y a donc une augmentation assez régulière. Il faut aussi se rappeler que 36 p. 100 de ce montant est divisé entre les banques représentées ici et d'autres institutions.

Le sénateur Moore : J'allais vous poser une question à ce sujet, alors merci d'y avoir répondu.

Qui s'occupe du reste, c'est-à-dire des 64 p. 100? Vous dites que 28 milliards de dollars représentent 36 p. 100 du financement agricole, alors qu'en est-il des 64 p. 100 restants? Qui les gère?

M. Ciappara : Oui, il y a Financement agricole Canada, qui détient environ le tiers du marché. Les coopératives de crédit et les caisses populaires occupent environ 16 p. 100 du marché, et puis il y a les compagnies de financement et d'assurances, ainsi que les paiements anticipés.

Le sénateur Moore : Pour donner suite à la question du sénateur Maltais — et nous avons reçu des témoignages sur l'importance du secteur de la transformation dans l'industrie agricole — pourriez-vous dire au comité quel financement les banques offrent par année au secteur de la transformation?

M. Ciappara : Je n'ai pas vu de chiffres publics sur le secteur de la transformation agricole. Il y en a une partie qui se retrouve dans les chiffres déjà présentés et une autre, dans d'autres éléments du portefeuille. Non, je n'ai pas vu les chiffres concernant la transformation, mais je peux vous dire que tout transformateur qui se présente avec un plan d'affaires rigoureux pourra obtenir du financement. Le secteur est très concurrentiel actuellement.

Le sénateur Moore : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je tiens à remercier nos invités d'être venus nous rencontrer. Monsieur Worsley, je suis content de vous voir, parce que, à l'époque, j'ai travaillé à la Canadian Imperial Bank of Commerce; j'avais suivi un cours pour devenir chef de service. Vous pouvez constater que le domaine bancaire mène à tout, même au Sénat. C'était ma petite pause publicitaire. J'ai passé quelques années à la CIBC à Montréal. J'étais aux devises étrangères à la succursale du centre-ville. Nous avions la tâche de payer les lots de grains qui arrivaient par bateau. Ce n'est pas d'aujourd'hui.

Pour favoriser la compétitivité dans leur secteur, les agriculteurs ont besoin du soutien de nos institutions financières, évidemment. Lorsque vous octroyez des prêts aux exportateurs, entre autres, avez-vous des critères particuliers à suivre? J'aimerais entendre votre opinion concernant les critères que vous exigez des exportateurs canadiens, entre autres. Ma question s'adresse à vous tous.

[Traduction]

Gwen Paddock, directrice nationale, Agriculture et ressources, Banque Royale du Canada, Association des banquiers canadiens : Pour consentir un prêt à un exportateur, nous avons des critères semblables à ceux que nous utilisons pour nos autres clients; il faut tout d'abord un bon plan d'affaires, et ensuite nous examinons le fonds de roulement, la possibilité d'effet de levier dans le bilan financier et la capacité de remboursement. Dans le cas d'un exportateur, nous devons aussi avoir l'assurance que la personne comprend les risques associés à l'exportation à l'étranger et qu'elle a pris les bonnes mesures pour les atténuer.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Y a-t-il d'autres témoins qui voudraient ajouter des commentaires concernant les critères?

[Traduction]

Darryl Worsley, directeur national, Agriculture, CIBC, Association des banquiers canadiens : Sénateur, nous nous fions également à des partenaires comme EDC. Nous examinons les facteurs qu'a mentionnés Mme Paddock, mais nous collaborons aussi avec EDC pour nous aider à gérer certains des risques sur les marchés internationaux.

Le sénateur Enverga : Merci. Comme le sénateur à côté de moi, j'ai travaillé dans le secteur bancaire pendant 30 ans, plus précisément à la Banque de Montréal et à la Banque CIBC. Je suis ravi de revoir des banquiers de temps en temps.

Tout à l'heure, on a mentionné que vous travaillez avec EDC, Exportation et développement Canada, et par le passé, on a entendu des préoccupations selon lesquelles EDC offrait les mêmes services que les banques. Pourriez-vous nous parler de cela? Est-ce toujours le cas?

M. Ciappara : Je peux vous dire que l'ABC rencontre régulièrement EDC, et je sais que nos membres travaillent avec EDC très régulièrement, et nous n'entendons aucune préoccupation concernant le fait qu'EDC offrirait les mêmes services que les banques. En fait, sa façon de fonctionner et de mener des activités est très complémentaire. Cela fait partie de son mandat. EDC a pour mandat d'offrir des services qui viennent compléter ceux des banques. Et je pense que sur le terrain, d'une façon concrète, on voit cette complémentarité à l'œuvre grâce au financement, aux programmes d'assurance et de garanties. La complémentarité d'EDC se présente de plusieurs façons.

Je me souviens d'avoir vu un chiffre dans les rapports annuels d'EDC indiquant qu'environ 93 ou 94 p. 100 de ses transactions financières se font avec des compagnies financières du secteur privé.

Mme Paddock : Pour ajouter à ce que vient de dire M. Ciappara, nous voyons EDC comme un partenaire. Au cours des derniers mois, ses représentants ont communiqué avec nous et nous ont demandé comment ils pouvaient appuyer les exportations agricoles. C'est donc vraiment une de leurs priorités aussi.

Craig Bremner, vice-président, Services agricoles, Groupe Banque TD, Association des banquiers canadiens : Pour la Banque TD, j'ajouterais que nous voyons EDC comme un partenaire utile, qui joue un rôle essentiel pour accroître les exportations canadiennes. Nous apprécions particulièrement son Programme de garanties d'exportations, et notre banque a l'intention de faire plus souvent affaire avec EDC afin d'appuyer les exportations des agriculteurs canadiens.

M. Brown : Je voulais ajouter que la Banque Scotia a un groupe qui s'appelle le Groupe des transactions mondiales, et on a créé ce qu'on appelle un centre d'excellente d'EDC. Cela permet d'en dire plus à nos clients à propos des produits et services fournis par EDC. Alors, cela vous donne une bonne idée du partenariat que nous avons avec cette organisation.

Le sénateur Enverga : Je suis content d'entendre cela. Il semble que vous collaborez bien avec EDC. Par contre, y a-t-il des difficultés? Si vous vouliez améliorer votre relation, que pourriez-vous faire pour accroître les exportations agricoles? Y a-t-il des améliorations que vous recommanderiez?

M. Brown : Par rapport à EDC, je ne vois aucun problème. Je pense que cela fonctionne très bien, et c'est un excellent partenaire.

Selon moi, nos clients qui veulent faire des affaires sur le marché international ont besoin d'autres choses. Comme je l'ai dit souvent, il s'agit de choses simples et pratiques : de l'aide sur le terrain, pour se mettre en rapport avec les bonnes personnes dans le pays où ils veulent faire affaire, s'assurer qu'ils comprennent l'environnement réglementaire dans lequel ils envisagent de mener des activités et établir des liens avec des gens de confiance. Nous avons des exemples qui montrent comment nous avons collaboré avec nos clients pour les aider à cet égard. Je vais vous en présenter un.

Par exemple, nous avons un client qui vend de l'équipement de serres. Ses affaires vont très bien au Canada, et il a vendu quelques-uns de ses produits au Mexique, mais seulement de façon sporadique. Il est venu nous voir, en disant qu'il voulait établir un réseau de vente là-bas et embaucher un gestionnaire des ventes qui pourrait embaucher à son tour cinq ou six autres personnes pour créer un réseau, mais il avait de la difficulté à trouver quelqu'un de confiance, quelqu'un qui comprendrait les divers contextes réglementaires dans les différents États. Nous avons pu l'aider. Ce que nous faisons est d'ordre très pratique.

M. Bremner : J'ajouterais qu'il est difficile d'être exportateur, que ce soit dans le domaine de l'agriculture ou dans n'importe quel autre. Il faut avoir d'excellents contacts dans ces marchés d'exportation pour pouvoir trouver des clients qui s'intéressent à ce qu'on vend.

Nous venons tout juste de trouver un nouveau client, et nous sommes ravis de pouvoir l'appuyer. C'est une entreprise assez singulière. Elle importe des aliments biologiques pour animaux de nombreux pays; donc, elle les fait venir au Canada, les transforme ici et les exporte vers le marché américain. C'est une petite entreprise fascinante que nous venons de prendre sous notre aile.

[Français]

Le sénateur Maltais : Si cela peut vous rassurer, je n'ai jamais travaillé dans le domaine bancaire; par contre, j'ai assuré beaucoup de vos créances. Les primes étaient très bien payées, d'ailleurs, vous êtes de bons payeurs.

Il y a un secteur qui connaît plus de difficultés que l'agriculture au Canada, et c'est celui qu'on appelle dans le jargon le secteur mou, soit le secteur des pêches. Comme on le sait, les pêcheurs dépendent de la température, du temps de l'année, des gens de Greenpeace, bref, d'un tas de facteurs incontrôlables. Pourtant, c'est un commerce exceptionnel. Je pense entre autres aux pêcheurs de crabe qui vendent 80 p. 100 de leur production au Japon et qui obtiennent un bon prix, ou bien aux pêcheurs de homards qui vendent aux États-Unis et en Europe, à un très bon prix également. Cependant, il s'agit d'un secteur à risque.

Appliquez-vous les mêmes critères dans le cas d'un pêcheur qui s'achète un bateau d'une valeur de 250 000 $ ou 300 000 $ que dans le cas d'un jeune fermier qui désire une petite ferme d'un million de dollars?

[Traduction]

M. Ciappara : Je vous remercie de cette question. Je n'ai pas amené avec moi des banquiers du secteur des pêches, mais je peux vous dire que les banques consentent des prêts à cette industrie. Elles fournissent du financement aux pêcheurs, aux transformateurs et aux autres entreprises liées au secteur des pêches, pour l'achat de bateaux et d'immobilisations, la construction, les mises à niveau, les permis et l'acquisition de quotas. Les banques canadiennes financent effectivement le secteur des pêches.

Le financement de ce secteur a pris de l'ampleur. Il a augmenté de 11 p. 100 depuis cinq ans. Et on parle là des prêts autorisés, alors que les prêts en cours ont augmenté de 21 p. 100 depuis cinq ans. C'est un secteur en croissance pour l'industrie bancaire.

Très franchement, quand les banques prennent des décisions en regard des propositions de prêt du côté des pêches, elles passent par un processus tout à fait semblable à celui que doit suivre tout autre producteur agricole. Elles fondent leurs décisions sur l'expérience du secteur, la valeur nette, les flux monétaires nets, la nature des clients — toutes ces variables seraient prises en compte pour prendre la décision, mais quoi qu'il en soit, les banques canadiennes accordent des prêts au secteur des pêches.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vais vous donner un exemple concret. La Corée du Sud vient d'ouvrir ses marchés d'une valeur de 10 millions de dollars à la viande de phoque du Canada. Enfin, quelqu'un a décidé que le phoque était très bon. Cela concerne les îles de la Madeleine, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nord du Québec. Le phoque est une ressource inépuisable. Ses populations dépassent 25 fois nos besoins, et il est nuisible pour les autres espèces.

Si, par exemple, d'autres pays s'ouvraient à ce marché, seriez-vous prêt à faire partie de l'aventure de la transformation du produit du phoque, dont les ressources sont immenses? Le Canada vient de mettre à la disposition de l'association de ces pêcheurs 1,6 million de dollars afin qu'elle puisse faire du marketing partout dans le monde. Le gouvernement canadien en a fait l'annonce vendredi dernier. Ce domaine pourrait-il vous intéresser, étant donné qu'il a une plus-value et que la transformation est faite au Canada? Ce n'est pas le Klondike, mais c'est un début. Ce type d'entreprise ou de nouveau commerce pourrait-il vous intéresser?

Faites attention à votre réponse, car j'ai recommandé aux pêcheurs de vous écouter.

[Traduction]

M. Ciappara : J'ai effectivement donné le chiffre de 913 millions de dollars de financement qui a été autorisé par les banques pour le secteur des pêches, et je sais que la transformation est englobée là-dedans. Une décision est prise quand une entreprise de transformation, comme toute autre entreprise, présente un solide plan d'affaires qui tient compte de toutes les variables pouvant avoir une influence sur les activités de l'entreprise. La banque fait alors un examen approfondi de ce plan d'affaires et elle peut le financer si ce plan est solide.

[Français]

Le sénateur Maltais : En terminant, j'aimerais féliciter les banques canadiennes, parce qu'elles ont su appuyer la population canadienne pendant une crise mondiale. Nous n'avons pas adopté l'approche des systèmes américains et européens. Le Canada s'en est bien sorti. Elles ont été l'un des facteurs qui a permis à la population canadienne de s'en sortir. Durant les années de vaches grasses, il est normal qu'elles fassent plus d'argent. Toutefois, on ne le détecte pas beaucoup dans nos REER.

Je crois que les banques canadiennes sont appelées à jouer un rôle encore plus important, compte tenu de l'ouverture des marchés qui sont maintenant mondiaux; non pas internationaux, mais mondiaux. Croyez-moi, on cogne aux portes du Canada. Il y a des affaires à y faire. Il y a de l'argent à y brasser, comme on le dit en bon québécois. J'espère que vous y serez. Je suis convaincu que vous serez là. Vous n'êtes pas là pour recevoir des fleurs, mais pour brasser des affaires, et je vous en félicite.

Le sénateur Dagenais : Je voudrais revenir au financement. Vous savez que le gouvernement du Canada accorde une aide financière aux producteurs agricoles. Cette aide financière crée-t-elle une sorte de compétition pour les banques, ou agit-elle plutôt comme un complément?

[Traduction]

M. Ciappara : Pour ce qui est du soutien financier, le gouvernement l'offre aux agriculteurs sous diverses formes. Nous avons le Programme de la Loi canadienne sur les prêts agricoles, qui est le complément de ce que font les banques. C'est un programme de garanties et de prêts pour les jeunes agriculteurs. Il y a aussi le Programme de paiements anticipés, qui s'inscrit dans la série de programmes qu'offrent nos membres aux agriculteurs. Il y a en outre le programme Agri-investissement qui est livré par l'intermédiaire des banques. C'est un programme de contribution gouvernementale de contrepartie. Un agriculteur peut aller à une banque, verser son argent dans le compte, et la banque y verse une contribution de contrepartie. C'est, selon nous, très complémentaire.

Il y a une institution financière, Financement agricole Canada, qui, d'après nous, n'agit pas de façon très complémentaire. Tout dépend vraiment du programme ou de l'institution dont il s'agit.

Le sénateur Enverga : Je sais qu'il existe bien d'excellentes banques. Les grandes banques sont les meilleures du monde, jusqu'à maintenant.

M. Ciappara : Nous espérons qu'il en restera ainsi.

Le sénateur Enverga : Quoi qu'il en soit, il y a bien une concurrence à l'échelle mondiale. Dans quelle mesure nos banques sont-elles concurrentielles comparativement à d'autres banques du monde, particulièrement sur le plan des services à nos exportateurs agricoles ou en regard de nos accords de libre-échange? Dans quelle mesure sont-elles concurrentielles?

M. Ciappara : Il y a un éventail de paramètres. L'une des principales choses qu'il faut pour appuyer des exportateurs, agricoles ou autres, c'est un système bancaire qui peut octroyer des prêts en période de vache grasse comme en période de vache maigre. Comme on l'a vu pendant la crise financière, les banques canadiennes n'ont pas eu besoin que le gouvernement injecte le moindre sou de capital, alors que d'autres banques, ailleurs, ont eu besoin de milliards de dollars d'injection de capitaux.

Le fait que nous n'ayons pas eu besoin de l'aide du gouvernement sous forme d'injection de capitaux signifie que les banques ont toujours été en mesure de consentir des prêts aux exportateurs et à d'autres entreprises.

Pour ce qui est de la compétition et du niveau de compétitivité, il suffit de voir les classements mondiaux pour savoir où se situent les banques canadiennes sur le plan de la sûreté et de la solidité du système bancaire. Cette solidité signifie que les banques canadiennes resteront fiables, en périodes creuses comme en périodes d'abondance.

Chris Costain, vice-président, Agriculture commerciale, Services aux entreprises de BMO, Association des banquiers canadiens : Les banques canadiennes défendent leur part du marché et elles se défendent aussi contre des intérêts externes à cette économie.

Mme Paddock : Une dernière remarque sur le sujet. Quand on pense à la compétitivité des banques canadiennes, par rapport à l'offre de services et de produits financiers au secteur agricole, souvent, nos institutions veulent se comparer aux meilleurs fournisseurs du monde, aux fournisseurs de services financiers au secteur agricole dans le monde entier. Très souvent, nous constatons que nous sommes à égalité, pour ce qui est du menu de services et de produits que nous offrons à nos clients. Bref, je peux dire que nous sommes très compétitifs.

M. Bremmer : Il ne faut pas oublier que les banques ont l'obligation et le devoir de protéger les fonds de leurs déposants. Comme le disait Alex, pendant la crise financière, non seulement nous avons pu faire cela, mais nous avons aussi pu accroître notre capacité de prêts et appuyer non seulement les agriculteurs, mais tous les Canadiens.

M. Ciappara : J'ajouterais que nous avons cherché à offrir des prêts aux petites et moyennes entreprises, les PME, non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis et au Royaume-Uni. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, deux pays qui ont probablement souffert le plus de la crise financière, les prêts aux PME avaient nettement baissé.

Les prêts consentis par les banques canadiennes aux PME ont augmenté pendant la crise financière. Cela démontre comment un système bancaire solide peut appuyer les entreprises et l'activité économique du pays.

Le sénateur Enverga : Je sais que bon nombre de nos témoins du secteur agricole se sont plaints du manque de travailleurs. Certains veulent pouvoir embaucher des travailleurs étrangers temporaires.

Qu'en est-il des banques? Vous faut-il des travailleurs temporaires, ou votre effectif actuel vous suffit-il?

M. Ciappara : Pour nos clients?

Le sénateur Enverga : Les effectifs. Vous suffisent-ils? Vous faut-il aussi des travailleurs, comme nos homologues du secteur agricole, des travailleurs étrangers temporaires?

M. Ciappara : Je pense que le marché du travail est très concurrentiel pour les travailleurs. Nous sommes toujours en quête de travailleurs très spécialisés. Nous rivalisons non seulement entre nous, mais avec les entreprises de haute technologie, d'autres fabricants et des industries fondées sur le savoir. C'est un marché concurrentiel pour les employés et les travailleurs.

M. Bremner : L'Université de Guelph a mené une étude, il y a quelques années, qui a conclu que pour chaque diplômé de leur programme agricole, il y avait trois emplois. Nous embauchons tous des diplômés de cette université, comme le font d'autres joueurs du secteur agricole. Il y a une demande réelle pour ces jeunes diplômés de divers établissements comme l'Université de Guelph ou l'Université McGill. Ils trouvent de bons emplois, et ils se joignent aux banques et aux entreprises axées sur l'agriculture.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé un peu d'Exploitation et développement Canada. Est-ce que Financement agricole Canada est perçu comme un partenaire; ou encore comme un concurrent?

M. Ciappara : FAC est une institution très particulière en ce sens que si on la compare, disons, à EDC et à la BDC, son mandat ne comprend pas de fonctions complémentaires. Ils doivent se faire concurrence. Il y a certainement des régions dans le pays où les banques travaillent avec FAC, mais pour ce qui est de son mandat global, ce n'est pas complémentaire.

Le sénateur Tkachuk : Donc, l'organisme est perçu comme un concurrent?

M. Ciappara : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'il a les mêmes cadres réglementaires? Je connais un peu la réponse à cette question, mais j'aimerais que vous en parliez. Quel genre de problèmes est-ce que cela pose?

M. Ciappara : FAC n'a pas le même cadre réglementaire. Le Bureau du surintendant des institutions financières ne surveille pas ses activités. Le BSIF a vérifié les livres comptables de cet organisme il y a deux ou trois ans, mais ce n'est pas quelque chose qu'il fait aussi régulièrement que pour les autres banques canadiennes.

Le sénateur Tkachuk : Si Financement agricole Canada n'existait pas, pensez-vous que les banques pourraient s'emparer de ce marché, et pensez-vous que l'organisme devrait être assujetti au même cadre réglementaire?

La vice-présidente : Pourriez-vous préciser pour les gens qui nous écoutent ce que signifie BSIF?

M. Ciappara : Oui, je suis désolé. Il s'agit du Bureau du surintendant des institutions financières.

Le sénateur Tkachuk : Donc, si FAC n'existait pas, pensez-vous que les banques pourraient s'emparer de son marché, prendre sa place ou, si l'organisme demeure, devrait-il être sous la surveillance du BSIF?

M. Ciappara : FAC a un rôle à jouer. Quant à la nature de ce rôle, elle fait l'objet d'un débat.

Quand on compare FAC à la BDC et à EDC, il n'y a aucun examen régulier du mandat de FAC, contrairement aux deux autres, dont le mandat est examiné tous les 10 ans. On ne le fait pas pour FAC, donc on n'a pas cette occasion d'avoir des débats sur des questions comme celles que vous posez, sénateur.

Pour ce qui est des banques, elles accordent des prêts de leur propre chef. Ce sont des organismes de prêts, volontaires et capables, comme je l'ai dit tout à l'heure. Nous avons pu continuer d'octroyer des prêts tout au long de la crise financière; c'est-à-dire dans la pire des conjonctures, et nous avons aussi pu accorder des prêts en période de vache grasse. Je suis sûr que nous pourrions financer encore plus le marché si l'occasion se présentait, mais je le répète, il y a un enjeu plus vaste. Un examen du mandat, comme ce à quoi sont assujettis la BDC et EDC, ouvrira la porte à ce genre de discussions.

[Français]

La vice-présidente : Sénateur Maltais, vous avez une question à poser rapidement concernant le domaine de l'agriculture?

Le sénateur Maltais : Monsieur Brown, vous avez parlé de l'implication des banques au Mexique dans le domaine du reboisement. Dans une autre vie, alors que j'étais dans un autre parlement, au Québec, nous avons créé une loi spéciale. Nous avons débattu la question du reboisement du désert de Toluca en passant par la côte du Pacifique.

Nous avons ratifié quelques traités avec des pays comme l'Amérique du Sud, et nous procédons présentement à des négociations avec d'autres pays. Avez-vous une ouverture et une présence continue dans ces pays, puisque nous sommes exportateurs et importateurs également?

[Traduction]

M. Brown : Oui, absolument, nous y avons une présence. Nous avons des succursales dans une grande partie des pays de l'Amérique latine. Nous assurons une forte présence au Mexique, où, puisque nous parlons d'agriculture, nous avons un directeur agricole, qui a toute une équipe. Nous avons une présence dans bien des pays de l'Amérique centrale. Nous nous concentrons surtout sur le Mexique, la Colombie, le Chili et le Pérou, et nous sommes l'une des plus importantes institutions de prêts dans les Caraïbes. D'ailleurs, notre banque est la plus ancienne banque de la Jamaïque. Nous y sommes depuis plus de 100 ans. Nous sommes donc très présents. Nous avons un portefeuille agricole assez important dans certains pays d'Amérique latine.

La vice-présidente : Si vous permettez, j'aimerais poser une question rapidement. Plusieurs témoins ont insisté sur l'importance des projets d'innovation et de recherche qui les aide à créer de nouveaux produits et à se distinguer sur le marché mondial. Financez-vous ce type de projet d'innovation technologique, et pourriez-vous nous donner un exemple?

M. Ciappara : Nous offrons un soutien à ces clients au moyen de nos services bancaires et de nos produits bancaires s'ils ont un compte de dépôt ou de chèque. Donc, oui, nous avons cela. Tout dépend de l'étape où ils en sont, en ce qui concerne le financement, le cycle de vie. Si c'est une entreprise déjà mûre qui cherche à adopter une méthode ou une technologie novatrice, elle a probablement les fonds nécessaires pour appuyer ce genre d'investissement. Tout dépend donc de la nature des innovations et de l'étape où en est l'entreprise dans son cycle de vie.

M. Costain : Les agriculteurs sont des gens très novateurs. J'ai eu le plaisir de travailler avec eux pendant plusieurs années, et nos clients nous mettaient constamment au défi en demandant notre appui pour des projets comme ceux-là. Nous sommes très contents de financer l'innovation, quelle qu'elle soit, que ce soit dans le domaine des aliments pour bétail ou dans la transformation, surtout dans le secteur de la serriculture, en ce qui concerne les exportations, l'équipement de classification, ce genre de choses.

La vice-présidente : Puisqu'il n'y a plus de questions à poser, au nom du comité, je tiens à vous remercier sincèrement d'avoir accepté notre invitation à témoigner devant nous ce soir. Nous remercions l'Association des banquiers canadiens et tous ses membres.

[Français]

Honorables sénateurs, le comité se réunit de nouveau pour entendre le prochain témoin. De l'Université de Waterloo, nous avons le plaisir de recevoir ce soir M. Bruce Muirhead, vice-recteur associé, Recherche externe.

Monsieur Muirhead, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation à comparaître. J'aimerais vous inviter à faire votre présentation. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.

[Traduction]

Bruce Muirhead, vice-recteur associé, Recherche externe, Université de Waterloo : Je vous remercie infiniment de m'avoir invité à discuter avec vous ce soir des priorités en matière d'accès aux marchés internationaux pour le secteur agricole et agroalimentaire du Canada. Je constate, à la lecture de votre ordre de renvoi, que votre comité a été chargé d'examiner quatre enjeux. Mes observations porteront surtout sur les deux derniers, et peut-être un peu moins sur les deux premiers, mais j'en parlerai quand même un peu. Je répondrai volontiers à vos questions liées à l'objet de votre étude.

Comme vous le savez sans doute, et je suppose que c'est pourquoi j'ai été invité à comparaître devant vous, je fais des recherches et j'écris au sujet de la gestion de l'offre, surtout en ce qui concerne les produits laitiers et les œufs, dans le contexte de systèmes internationaux concurrents, afin de comparer le nôtre à ceux de l'Australie, du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis. À la lumière de l'étude approfondie que j'ai faite des régimes agricoles de ces pays, dans les secteurs soumis à la gestion de l'offre, le modèle canadien me semble le meilleur de tous. J'ai une formation d'historien, ce qui est peu commun dans une analyse de l'agriculture canadienne; mes travaux établissent donc un contexte historique pour le débat grandissant sur la durabilité et la résilience incarnées par la gestion de l'offre. La documentation canadienne sur le sujet est l'œuvre, en grande partie, de spécialistes en sciences sociales, qui cherchent souvent à influencer l'opinion, à offrir des choix en matière de politiques ou à critiquer la conjoncture.

La gestion de l'offre d'œufs et de produits laitiers, en 2014, est tout aussi justifiée et nécessaire qu'elle l'était quand elle a été mise en œuvre au début des années 1970. De fait, elle l'est encore plus actuellement, étant donné la volatilité mondiale des prix des produits agricoles et les difficultés que connaissent les agriculteurs de secteurs non assujettis à la gestion de l'offre pour assurer la durabilité de leurs exploitations, en dépit des meilleures intentions de tous les témoins que vous avez entendus auparavant. Une grande quantité de ces recherches portent sur l'asymétrie du pouvoir entre le producteur et d'autres intervenants de la chaîne d'approvisionnement.

La vice-présidente :Puis-je vous demander de ralentir un peu pour nos interprètes.

M. Muirhead : Je suis désolé. J'ai l'habitude d'avoir 50 minutes pour mes cours, alors j'essayais de condenser le tout en cinq minutes. C'est difficile.

Cela comprend donc les entreprises de transformation, les supermarchés et une myriade de gens au milieu, que représentaient les témoins qui m'ont précédé. La gestion de l'offre, de fait, vise à corriger les asymétries du pouvoir. Les agriculteurs en parlent beaucoup — du fait qu'ils ne peuvent pas composer avec les supermarchés ou les entreprises de transformation un à un.

En même temps, la population mondiale est en croissance, ce qui fait que la production sûre et sécuritaire d'aliments est une nécessité urgente pour les Canadiens, dont la grande majorité vivent dans des régions urbaines. La gestion de l'offre d'œufs et de produits laitiers, ainsi que d'autres secteurs assujettis à la gestion de l'offre, assure une production stable à des prix raisonnables pour les consommateurs.

Je disais donc que je compare l'industrie canadienne à ses homologues à l'échelle internationale et j'étudie son incidence, potentielle et réelle, dans les négociations commerciales internationales. De plus en plus, le Canada négocie des accords internationaux et la gestion de l'offre est perçue, dans ces négociations, comme un obstacle à une conclusion fructueuse. À ce jour, Ottawa a pu résister à ceux qui exigeaient un changement fondamental en faveur de quelque chose qui reflète les caractéristiques d'un soi-disant libre marché. Pour moi, le libre marché n'existe pas en agriculture, mais c'est peut-être un tout autre débat.

Il est important que notre gouvernement continue sur la même voie. Les conclusions de mes travaux le confirment, et elles montrent aussi que des systèmes concurrents sont appuyés par des gouvernements du monde entier. Tous les secteurs des produits laitiers et la plupart des secteurs des œufs reçoivent un soutien, sous une forme ou une autre, du secteur public, à l'exception de l'Australie qui a des difficultés qui lui sont propres, quoi qu'en disent les tenants de la théorie contraire qui participent aux négociations commerciales internationales. Le génie du système canadien vient, en partie, du fait que ces agriculteurs ne sont pas subventionnés par le gouvernement, alors qu'ils fournissent des matières premières agricoles essentielles à un prix raisonnable aux consommateurs.

Ces enjeux revêtent de plus en plus d'importance à mesure que les questions portant sur les avantages du libre-échange en agriculture sont progressivement remplacées par de nouvelles préoccupations causées par les augmentations récentes des prix des aliments et les problèmes de pénurie alimentaire, et à mesure que les enjeux agricoles s'exacerbent avec les changements climatiques. On le constate avec le cycle de Doha, qui a commencé en 2001 et qui ne prendra probablement jamais fin.

Un élément implicite, dans mes travaux, est la question de la pertinence continue du consensus politique international entourant la néo-libéralisation de l'agriculture. Même si l'OMC et l'OCDE émettent certaines hypothèses sur les trajectoires souhaitables futures pour l'agriculture mondiale, ces deux organismes se sont toujours opposés vigoureusement à la gestion de l'offre. Ils prétendent en premier lieu que la gestion de l'offre crée des rigidités et va à l'encontre — c'est eux qui le disent — de la répartition raisonnable des ressources, comme ils la définissent. Tous les deux soutiennent que toute diminution du soutien public au secteur agricole d'un pays devrait entraîner une plus grande dépendance à l'égard des signaux du marché seulement — ce qui n'est le cas d'aucun pays, mais c'est ce qu'ils disent — et qu'elle constitue une nette amélioration de la gestion économique du secteur.

C'est une hypothèse absolument erronée. Le questionnement critique de la résilience des structures de l'industrie dans des contextes de crise antérieurs et actuels contribuera à éclairer le débat actuel sur le néolibéralisme et le productivisme en agriculture, ainsi que sur les avantages de la gestion de l'offre.

Pour terminer, notre système canadien respecte tous les paramètres appropriés — la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire, la traçabilité et l'établissement de prix appropriés pour les consommateurs. Résultat? Les exportations agricoles sont plus petites et elles ont moins d'incidences négatives sur l'environnement. Certains intervenants du système américain de produits laitiers envisagent maintenant la gestion de l'offre, bien que je doute que le Congrès américain soit d'accord. Il est certain que les producteurs laitiers sont intéressés, surtout maintenant, étant donné l'énorme excédent de produits laitiers dans le monde entier. Il serait dommage que nous perdions cette industrie ou que nous mettions en péril son fonctionnement dans ce contexte.

Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis impatient de répondre à vos questions sur le commerce international ou l'agriculture et sur tout ce que la gestion de l'offre a fait de merveilleux, si vous êtes d'accord.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Muirhead.

[Français]

La première question sera posée par le sénateur Dagenais.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Muirhead, pour votre présentation. Évidemment, je veux vous parler de l'accord économique commercial conclu avec l'Union européenne. Vous savez que cet accord suscite beaucoup d'inquiétudes chez les transformateurs laitiers, entre autres pour les producteurs de fromage.

Je peux vous parler des producteurs du Québec que j'ai rencontrés et qui sont très nerveux. Un volume d'environ 16 000 tonnes de fromage fera son arrivée au Canada; il s'agit d'un accès supplémentaire de 32 p. 100 au marché actuel des fromages. Selon vous, quel sera l'impact de cet accroissement sur le marché canadien et sur les intervenants de la chaîne d'approvisionnement de produits laitiers?

[Traduction]

M. Muirhead : J'ai été un peu étonné par la réaction des Producteurs laitiers du Canada en particulier, devant les résultats de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, l'AECG, en grande partie parce qu'il semblait que le gouvernement cherchait à réduire au minimum l'incidence de cet accord sur la gestion de l'offre, mais il a dû faire un compromis.

Parlons des quantités supplémentaires — je suppose que c'est du fromage fin, et l'AECG permettra l'importation de 2 000 tonnes de plus d'autres types de fromage. Le marché est en croissance. Le marché des fromages fins du Canada connaît une croissance fulgurante. Il faut bien donner quelque chose en échange de l'accès au marché européen. Nous avons l'accès pour le bœuf. Dans ce contexte, c'est peut-être un peu un compromis, comme vous savez : le bœuf contre le fromage. Je ne pense pas que cela aura tellement d'effet à long terme sur le fromage canadien.

Une des critiques exprimées par les agriculteurs — et je l'ai entendue à maintes reprises —, c'est qu'ils ont créé le marché pour les fromages fins, au Canada. Nous avons maintenant beaucoup d'artisans fromagers, qui font d'excellents fromages. Par exemple, j'ai vu à la télévision une excellente publicité sur le fromage d'Oka, du Québec. C'est le genre de chose qui fait que les producteurs se sentent quasiment trahis : ils créent le marché, et le gouvernement fait des échanges d'accès avec d'autres. Je ne crois pas que cela ait vraiment des effets négatifs à long terme. Aussi, dans ce contexte, il faut bien renoncer à quelque chose pour obtenir quelque chose en échange. J'ai trouvé qu'on avait fait une assez bonne affaire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé de la gestion de l'offre qui est farouchement défendue, entre autres par l'Union des producteurs agricoles du Québec, et j'aimerais qu'on aborde également le sujet du Partenariat transpacifique qui se négocie présentement. Le Canada veut certainement faire partie de ce Partenariat transpacifique, et j'ai cru comprendre que, pour ce faire, il faudra faire preuve de flexibilité au chapitre de la gestion de l'offre et démontrer une certaine ouverture. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

M. Muirhead : Je pense encore que le PTP, le Partenariat transpacifique, ne se concrétisera pas et que l'administration Obama n'arrivera pas au bout du compte à obtenir l'autorité en matière de promotion des échanges commerciaux pour aller de l'avant. Sans cette autorité du côté des Américains, l'entente n'aboutira pas, peu importe les efforts déployés en vue de sa négociation. C'est ce que j'en pense, personnellement. Évidemment, tout pourrait changer demain, et je me serais alors tout à fait trompé dans mon analyse.

Quand je regarde les chiffres, et j'ai lu beaucoup sur ceux qui l'appuient ou non, et pour quelles raisons, je pense que cela ne se réalisera pas. Mais dans le cas contraire, ce ne sont pas tant les Japonais que les Américains qui voudraient se débarrasser de la gestion de l'offre. En fait, la National Milk Producers Federation des États-Unis critique vivement le lait canadien, et elle emploie des tactiques des plus agressives à son égard. Si nous renoncions à la gestion de l'offre dans ce contexte et que nous cédions aux exigences des Américains sur ce plan, nous signerions ou presque l'arrêt de mort des producteurs laitiers et de l'industrie laitière du Canada.

Les Américains sont en train d'augmenter la production laitière à une vitesse fulgurante, sur toute la ligne. En fait, ils parlent beaucoup maintenant de marchés d'exportation. Ils se sont immiscés, par exemple, dans les exportations de produits laitiers de l'Australie. Ils ont une organisation appelée Cooperatives Working Together, une organisation du secteur privé, qui n'est donc pas régie par l'Organisation mondiale du commerce. Ils subventionnent lourdement les exportations de produits laitiers vers la Corée du Sud, par exemple, avec laquelle ils ont un accord de libre-échange, comme nous d'ailleurs.

Les Américains sont résolus à augmenter la production laitière et à exporter leur surplus. Nous savons tous que, quand les Américains décident de faire quelque chose, ils le font.

Si je me base sur l'histoire et les pratiques du passé, je ne crois pas que nous aurons accès au marché américain. L'histoire du bois d'œuvre se répétera. Nous aurons notre système et ils auront le leur. Puis, comme dit Robert Reich : « Que fait le plus gros joueur? Il fait ce qu'il veut. » Les Américains fixeront les règles du jeu. Ils demanderont l'accès à nos marchés pour vendre leurs produits laitiers, tout en offrant des subventions à la production au moyen de Cooperatives Working Together ou au moyen d'autres mécanismes dont ils disposent.

Le programme de protection des marges de profit des producteurs en place aux États-Unis reçoit beaucoup de subventions. L'État paie 62 p. 100 des primes d'assurance auxquelles tous les producteurs souscrivent désormais, pour se protéger si le prix du lait chute ou si le prix de la nourriture pour animaux augmente. Les producteurs ont accès à ce programme public. Ils paient une petite partie de la prime, je l'espère bien.

Ce serait désastreux pour la gestion de l'offre — dans le cas des œufs et des produits laitiers — si 40 à 50 p. 100 du lait était consommé localement. Si cela devait se produire, les Américains exporteraient massivement leurs œufs et leurs produits laitiers, et je pense que nous n'aurions pas beaucoup de recours. Les secteurs des produits laitiers et des œufs au Canada auraient beaucoup de mal à s'en remettre. Ce serait épouvantable.

Le sénateur Enverga : Vous avez parlé plus tôt de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Essentiellement, ces pays réglementent leurs productions soumises à la gestion de l'offre. La réglementation prévoit une période de transition afin de permettre aux producteurs de s'adapter au libre marché. Que pensez-vous des modèles australiens et néo-zélandais relativement à la réglementation de la gestion de l'offre? Quelles sont les répercussions de ce modèle? Comment sont-ils arrivés à le mettre en place?

M. Muirhead : Aucun de ces deux pays n'a vraiment réussi. Le modèle australien ne fonctionne pas : les secteurs des œufs et des produits laitiers sont dans un piteux état. En Australie, on révise actuellement à la baisse les résultats enregistrés dans ces deux secteurs. Le nombre de faillites des producteurs augmente rapidement, ce qui s'explique en partie par la sécheresse dans le sud du Queensland et dans le nord de la région de New South Wales. L'été, dans l'Ouest de l'Australie, a été le plus chaud jamais répertorié. À Waterloo, cet hiver, nous avons connu des froids sans précédent, puis l'été dans l'Ouest de l'Australie a été le plus chaud jamais enregistré. Je ne comprends pas tout ce que cela signifie.

Le secteur agricole de l'Australie connaît une grande crise dans la production d'œufs et de produits laitiers. En Australie, les œufs coûtent plus cher qu'au Canada. Là-bas, les œufs issus de l'élevage en batterie coûtent environ 33 p. 100 plus cher que ce qu'on pourrait s'attendre à payer dans nos supermarchés ici. Je pense qu'en Australie, on refuse d'admettre les conséquences des intentions avouées. On y a réduit la production laitière de plusieurs milliards de litres. D'ailleurs, j'ai prévu me rendre en Australie pour faire de la recherche, et je rencontrerai les représentants des Dairy Farmers of Australia; je compte aborder ce sujet avec eux. Auparavant, l'Australie produisait 11 milliards de litres de lait et maintenant, elle en produit 8,5 à 9 milliards. On réduit le volume de production, surtout parce qu'on ne peut pas livrer concurrence et parce qu'on a complètement déréglementé le marché. Aucun producteur ne peut réaliser des profits dans un marché complètement déréglementé. Comme dit le vieil adage, on peut se faire une petite fortune en agriculture si on commence par en investir une grande. Je pense que cela décrit bien l'expérience des Australiens.

Pour ce qui est de la Nouvelle-Zélande, j'ai rarement vu un pays aussi hypocrite par rapport au secteur des produits laitiers et à son obsession de déréglementation et de retrait du gouvernement des affaires des producteurs. J'entends souvent Tim Groser et John Key s'exprimer à ce sujet. La Nouvelle-Zélande a effectivement déréglementé son secteur — le gouvernement a du moins retiré son appui au secteur des produits laitiers. Il s'agit maintenant d'un fournisseur à guichet unique. Fonterra est le plus grand producteur laitier. Le fournisseur à guichet unique contrôle aujourd'hui, comme ils le disent, seulement 87 p. 100 de la production en Nouvelle-Zélande, alors qu'il contrôlait environ 95 p. 100 de la production autrefois. Aujourd'hui, d'autres joueurs percent le marché.

Étant donné le grand rôle qu'ils jouent, ils fixent le prix mondial des produits laitiers. Selon moi, ce sont les bénéficiaires de leur mécanisme de fournisseur à guichet unique, qui n'est pas vraiment déréglementé et qui leur permet de prospérer au détriment des autres pays.

Fonterra, c'est très bien. Si j'étais producteur en Nouvelle-Zélande, je dirais : « Oui, voilà ce que nous devons faire. » Toutefois, il incombe au gouvernement d'accorder un genre de mécanisme de fournisseur à guichet unique. La commission d'exportation des produits laitiers a été intégrée aux deux coopératives regroupées dans Fonterra en 2001, le fournisseur à guichet unique, la seule autorité d'exportation de produits laitiers de la Nouvelle-Zélande avant 2001. La période préalable à la déréglementation a commencé en 1961; les principes d'exploitation étaient les mêmes que ceux pour notre Commission canadienne du blé et son équivalent australien, qui était un guichet unique qui fixait pratiquement les prix et qui est devenu un acteur majeur.

La déréglementation n'a pas eu lieu. Les secteurs que la Nouvelle-Zélande a vraiment déréglementés, comme la laine et la viande de mouton, ont périclité. Il n'en reste presque rien. En Nouvelle-Zélande, tout le monde se tourne vers les produits laitiers, même dans les zones douteuses d'un point de vue environnemental, parce que les prix du lait, à l'exception de cette année et de l'année dernière, ont été très élevés et les dividendes reçus de Fonterra, qui est aussi une énorme coopérative, ont été très élevés.

Autre chose importante à souligner à propos de Fonterra : pour produire pour Fonterra, il faut posséder des actions dans Fonterra. Chaque action coûte environ 5,25 $. Les producteurs détiennent un million de participations dans Fonterra.

J'en ai discuté avec des Néo-Zélandais. Je ne vois pas en quoi leur système est différent de notre système de gestion de l'offre. Si on veut appartenir à Fonterra, ou si on veut appartenir au système, il faut payer. Il faut acheter une participation et on peut seulement remettre à Fonterra une production équivalente à la quantité de participations qu'on détient dans la coopérative.

On compare ici des œufs avec des œufs ou du fromage avec du fromage. Fonterra a le même modèle d'exploitation. Ils ont des participations, nous avons des quotas. Le prix d'une participation correspond à peu près au prix qu'on paierait ici pour un quota.

Le sénateur Oh : Monsieur Muirhead, vous connaissez très bien la production soumise à la gestion de l'offre.

M. Muirhead : Je l'espère.

Le sénateur Oh : Dans combien de pays le gouvernement subventionne-t-il les produits laitiers? Il s'agit d'un marché énorme. Même en Asie, on remarque un grand retard dans la production agricole. Dans combien de pays le gouvernement subventionne-t-il l'exportation ou, comme vous le dites, le dumping? Combien de gouvernements adoptent cette pratique?

M. Muirhead : Je ne saurais dire. Les choses ont changé au cours des derniers mois, mais dans l'Union européenne, par exemple, on permet encore les subventions annuelles à l'exportation à hauteur de 10 ou 9,6 milliards de dollars par année. On appelle cela des crédits à l'exportation, même si on subventionne l'exportation de produits laitiers partout dans le monde.

À l'échelle de l'Union européenne, comme tout le monde le sait sans doute, la Politique agricole commune a été l'une des plus... enfin, pour les grands producteurs, il s'agit de l'un des meilleurs programmes jamais mis en œuvre. Le programme a vu le jour en 1962, et à une certaine époque, la politique agricole commune monopolisait environ la moitié de tout le budget de l'Union européenne, environ 50 milliards de dollars par année. Ce n'est plus le cas maintenant, et la production laitière est beaucoup moins subventionnée qu'auparavant. Je ne peux pas vous donner de chiffres, mais l'Union européenne se soucie sans doute à maintenir sa production laitière et à exporter ses produits laitiers.

L'Union européenne s'est défaite de son système de quotas le 1er avril dernier, et certains pays ont dit vouloir doubler leur production au cours des cinq à sept prochaines années. C'est notamment ce que souhaite l'Allemagne, où l'on produit énormément de produits laitiers. Il y a quelques années, ils en ont produit environ 30 millions de tonnes, dépassant largement la consommation nationale. Il a fallu qu'ils trouvent des marchés d'exportation.

Les Irlandais, qui ont un tout petit marché, ont dit vouloir doubler leur production d'ici quelques années. Maintenant que l'Union européenne s'est débarrassée de ses quotas, de nombreux pays y reviendront dans un an ou peut-être deux. Ils imposeront à nouveau un système de quotas, parce qu'ils ne seront pas en mesure de gérer tout le lait qu'ils produiront. Même aujourd'hui, certains pays produisent davantage en comparaison au 31 mars.

Ce qui m'amène à parler d'une autre question, et même si vous n'avez pas posé précisément cette question, on peut naturellement se demander ceci : sans quota, comment contrôler la production? Voilà qui inquiète désormais les Américains.

L'année dernière, Fonterra versait 8,40 $ par kilogramme de solides du lait. Cette année, c'est 4,70 $ parce que la demande a chuté. L'énorme surplus d'offres a provoqué la chute des prix des produits laitiers.

Voilà tout un problème pour ces pays et pour les producteurs.

Le sénateur Moore : Vous avez prévu vous rendre en Nouvelle-Zélande et en Australie.

M. Muirhead : Oui, en Nouvelle-Zélande et en Australie.

Le sénateur Moore : J'imagine que ce ne sera pas votre première visite.

M. Muirhead : C'est exact.

Le sénateur Moore : Lors de ces visites, quelles questions vous pose-t-on à propos du système canadien? Est-ce qu'on le critique ou on en fait les louanges? Nos producteurs laitiers survivent grâce au système de gestion de l'offre. Que pensent vos homologues étrangers de notre système?

M. Muirhead : Il est difficile de répondre à cette question. En Australie, on est convaincu des vertus de la déréglementation et du néolibéralisme, créant en quelque sorte un secteur libéralisé dont « on peut profiter ». Les Australiens ont encore bon espoir d'engranger des profits.

Ils critiquent le système canadien parce qu'ils le croient rigide, inefficace, improductif et très réglementé. Ils ne comprennent pas que c'est le gouvernement qui réglemente. Le gouvernement ne fait que créer un cadre législatif pour la gestion de l'offre, mais les Australiens estiment que le contrôle du gouvernement rend le système inefficace et plutôt mauvais.

En Nouvelle-Zélande, on croit que le Canada passe à côté d'énormes possibilités d'exportation. J'en suis déconcerté parce que je pense que si on commençait à exporter, enfin, nos vaches sont parmi les plus productives au monde. Elles produisent 14 000 kilogrammes de solides de lait par année. En Nouvelle-Zélande, c'est 3 500 kilogrammes. Nos vaches sont environ trois fois plus productives que les leurs.

J'estime que si on entrait dans le marché, qui est d'ailleurs limité, il y aurait des répercussions... peut-être qu'on pourrait exporter vers la Chine. La Nouvelle-Zélande a signé, en 2008, un accord de libre-échange avec la Chine. Peut-être que nous pourrions exporter en Chine, en Corée du Sud, en Indonésie ou en Malaisie. Je ne comprends pas trop leur façon de voir les choses, parce que nous serions un énorme concurrent pour eux, tout comme le sont les Américains.

Le sénateur Moore : Exactement.

M. Muirhead : Vous n'avez pas posé la question, mais les producteurs laitiers américains à qui j'ai parlé estiment que notre système est formidable. Et ils se demandent...

Le sénateur Tkachuk : C'est un monopole.

M. Muirhead : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Comment faciliter le commerce dans un marché de gestion de l'offre? Nous avons notre système de gestion de l'offre. Je suis d'accord avec vous pour dire que pour la plupart des produits agricoles, si on fait un peu de recherche, on découvre qu'il y a des subventions du gouvernement quelque part, mais en même temps, les nôtres sont payées à l'avance. Nous avons un genre de monopole au pays.

Comment faciliter le commerce? J'aimerais acheter du fromage français. Nous produisons certains des meilleurs fromages au monde. Nous devrions pouvoir le vendre ailleurs qu'ici. Nous avons besoin d'une solution dans le contexte de nos systèmes.

M. Muirhead : C'est la question à 60 000 $, ou peu importe l'équivalent actuel, peut-être même la question à 6 billions de dollars.

Je dirais qu'il faut décider d'adopter ou non la gestion de l'offre. C'est comme être enceinte en partie seulement. On ne peut pas simplement s'en tirer avec certains éléments de la gestion de l'offre et maintenir le système en place. Selon moi, c'est tout ou rien; on le garde ou on s'en défait.

Pour ce qui est de faciliter le commerce, une fois que l'AECG sera mis en œuvre, nous allons importer davantage de fromages français que par le passé. Je crois qu'il y a peut-être lieu de négocier des parts de marché pour d'autres pays si le PTP est un jour adopté. Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve à cet égard.

Les secteurs soumis à la gestion de l'offre représentent une portion négligeable, voire insignifiante de l'économie canadienne. Les produits laitiers et les œufs représentent quelque chose comme 0,0001 p. 100 de notre PIB — et ce, même avec la transformation.

Il s'agit de minuscules secteurs. Si ce système fonctionne bien pour nous, est-ce que cela peut représenter une crise pour les Américains au point où, si on ne débarrasse pas de la gestion de l'offre, toutes nos chances de participer au PTP — s'il est un jour adopté — seront compromises? Je ne comprends pas du tout. Les États-Unis ont des aspirations mondiales. C'est une entente énorme pour eux. Cela me dépasse qu'ils s'attardent à la question de savoir s'ils peuvent acheminer un million de tonnes de plus de lait au Canada.

Pour faciliter les échanges commerciaux, un plus grand pourcentage de notre marché laitier est ouvert comparativement au leur. Environ 5 à 6 p. 100 de notre marché est ouvert, comparativement à environ 3 p. 100 de leur marché de produits laitiers.

Faciliter le commerce est une chose essentielle, j'en conviens, et le Canada doit faire du commerce pour être prospère, mais je dirais qu'avec ces secteurs soumis à la gestion de l'offre, il faut soit adopter le système, soit s'en défaire. On ne peut pas le laisser s'effriter jusqu'à ce qu'il ne reste rien. Comme je l'ai dit, c'est tout ou rien.

Je me rends compte que c'est une réponse complètement inadéquate à votre question, mais c'est un point fondamental. Il faut décider de prendre position à ce sujet.

Ensuite, il y a toutes les questions touchant le secteur manufacturier. Bombardier veut accéder au marché américain, ou à la Malaisie ou au Vietnam. Je comprends que tous les gouvernements doivent faire des compromis, mais si nous n'avons pas la gestion de l'offre, nous aurons besoin d'un autre programme, qui ne serait pas aussi favorable pour nous que la gestion de l'offre l'est maintenant.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé des systèmes australiens et néo-zélandais et des problèmes avec lesquels ils sont aux prises. Mais selon moi, tout repose sur l'offre et la demande. Ont-ils un problème d'offre? Y a-t-il une pénurie de lait en Australie ou en Nouvelle-Zélande? N'ont-ils pas du beurre, ou peuvent-ils simplement l'acheter ailleurs?

Malgré tous les problèmes, les consommateurs peuvent-ils acheter les produits?

M. Muirhead : Oui.

Le sénateur Tkachuk : Quel est le problème alors?

M. Muirhead : Les agriculteurs sont le problème en Australie, un peu moins en Nouvelle-Zélande. Si on veut que tous les intervenants de la chaîne d'approvisionnement soient prospères, il faut aider les agriculteurs. Avant l'arrivée de la gestion de l'offre, les transformateurs, en particulier les supermarchés, profitaient des producteurs. Il faut avoir un organisme intermédiaire entre l'agriculteur et le transformateur pour que tous soient sur un pied d'égalité.

Alors oui, c'est possible.

J'ai parlé au dirigeant de l'Australian Egg Corporation Limited, et il m'a dit que Coles et Woolworths contrôlent 80 p. 100 du marché de l'alimentation en Australie. Ils ont ce qu'on appelle des « options inversées » avec les producteurs d'œufs. Tout le monde se réunit un jour donné afin de soumissionner pour les supermarchés; c'est ainsi qu'on détermine le prix auquel les producteurs vendront leurs œufs à Coles et à Woolworths pour l'année à venir. Chacun a son terminal informatique. Il peut y avoir 100 ou 300 agriculteurs qui soumissionnent au même moment, si bien que chacun peut voir les soumissions des autres.

Des représentants de Coles et Woolworths sont aussi parmi les agriculteurs pour soumissionner le prix des œufs à la baisse. Les producteurs d'œufs en Australie ne gagnent donc pas beaucoup d'argent. En fait, il y a une cause devant les tribunaux actuellement — je ne sais pas quelle en sera l'issue — concernant des œufs qui ont été détruits parce que l'offre était trop grande et le prix payé était bien trop bas pour permettre aux agriculteurs de joindre les deux bouts.

Voilà ce qui arrive. Par ailleurs, en Australie, Coles et Woolworths sont fières de vendre le lait à un dollar le litre, chose qui a mené à la fermeture d'exploitations laitières. C'est donc vraiment bien pour le consommateur, mais pas du tout pour les agriculteurs.

Au Canada, tous les intervenants de la chaîne y trouvent leur compte, selon moi, avec un poids égal; le producteur n'est pas désavantagé dans le cadre de sa relation avec le consommateur.

Le sénateur Tkachuk : Il y a de toute évidence un problème de concurrence au niveau du détail. Si seulement deux entreprises approvisionnent 80 p. 100 du marché, ils ont un monopole d'achat sur des gens qui n'en font pas partie. J'imagine que cette mesure pourrait s'imposer.

Si nous savions tous les deux comment faciliter le commerce, nous serions riches. Personne ne semble avoir la réponse.

Comment faciliter la concurrence et améliorer l'efficacité dans le système que nous avons et qui, à mes yeux, constitue un monopole? J'ai de la famille aux États-Unis. J'y vais et j'y achète du lait, du beurre et du yogourt. Le choix est énorme dans les magasins, et il y a aussi de nombreux magasins différents. Tout goûte la même chose. Le goût est bon, et les prix sont beaucoup plus bas qu'ici.

Comment donc être plus efficace dans le cadre d'un monopole, parce que c'est en fait de quoi il s'agit?

M. Muirhead : Dans le cas des États-Unis, je suis certain que vous savez que le système est subventionné — c'est-à-dire, les producteurs et les transformateurs — et ce, de façon considérable. Le Département américain de l'agriculture publie des données indiquant l'investissement nécessaire pour produire un gallon de lait aux États-Unis. C'est très semblable à l'investissement requis pour produire l'équivalent au Canada.

La production est subventionnée. La dernière loi agricole a été adoptée en février 2014, et selon les statistiques qui en découlent, on offrira 1 billion de dollars en subventions aux producteurs agricoles au cours des 10 prochaines années, soit environ 100 milliards de dollars par année. Je ne dis pas que ce montant est accordé en entier aux producteurs de lait ou d'œufs, parce que ce n'est pas le cas, mais une partie importante du montant leur est attribuée.

Ils n'ont pas éliminé une bonne partie des problèmes qui ont été soulevés dans les projets de loi précédents sur l'agriculture. Ils ont cependant éliminé les décrets sur la commercialisation du lait et ce genre de choses. Mais les industries des produits laitiers et des œufs sont toujours très bien positionnées au Congrès américain — surtout l'industrie laitière —, ce qui leur permet d'obtenir des subventions dès qu'il arrive quelque chose.

J'ai vu une bande dessinée dans le New York Times qui présentait des balles de foin, constituées de billets de banque. Cela illustre comment les États-Unis règlent les questions de production agricole.

Je ne pense pas que vous parliez des États-Unis, mais il me semble qu'aucun gouvernement ou producteur américain ne s'est jamais plaint d'une subvention.

Le sénateur Tkachuk : Oui, j'en suis certain.

M. Muirhead : Voilà donc une partie de la raison.

Je ne pense pas qu'il s'agisse nécessairement d'économies d'échelle. En fait, j'estime que nos producteurs sont très efficients. Nos vaches produisent presque exactement la même quantité, en kilogrammes de solides du lait, que les vaches américaines. Et notre génétique bovine est exportée partout dans le monde parce que nous sommes les chefs de file dans ce secteur. À ma connaissance, ce n'est pas le cas pour la génétique bovine américaine.

En outre, les Américains ont recours à une hormone de croissance pour 20 p. 100 de leur production laitière. J'ai lu qu'une des raisons pour lesquelles la population américaine boit moins de lait maintenant qu'elle n'en buvait dans le passé, c'est qu'elle est préoccupée par les hormones de croissance dans le lait. Cela ne représente que 20 p. 100. Ce qui signifie que 80 p. 100 de la production se fait sans hormone, mais je pense que le public confond certaines de ces notions.

Le sénateur Tkachuk : Il y a donc une possibilité de mise en marché pour le lait sans hormone.

M. Muirhead : C'est exact. Et il se peut que Monsanto n'aime pas cela, mais...

La sénatrice Beyak : Je vous remercie, monsieur Muirhead. J'ai appris beaucoup de choses.

Vous avez parlé plus tôt de la réaction des Producteurs laitiers du Canada, qui vous a quelque peu surpris. Elle m'a également surprise. Pourriez-vous nous en parler un peu?

M. Muirhead : Il s'agit d'un total de 30 millions de tonnes au fil du temps — je ne me souviens pas du chiffre exact, mais c'est à peu près juste —, et on parle de fromage importé au Canada. Au moment de la négociation de l'AECG, je pensais en fait que le gouvernement était très réticent à donner du leste en matière de gestion de l'offre et qu'il hésitait beaucoup à donner quelque accès que ce soit au marché canadien. Mais il doit offrir quelque chose en contrepartie.

C'est un pourcentage relativement faible d'un marché en croissance. Le tonnage européen étant limité, nos producteurs de fromage pourront accroître leur production au fur et à mesure que le marché augmentera, tandis que les Européens doivent s'en tenir à la limite, soit 30 000 ou 18 000 tonnes de fromage fin. Je ne me souviens plus du chiffre exact.

J'ai donc été, comme je l'ai dit, surpris de la réaction et je suppose qu'il en a été de même pour le gouvernement. Je suppose que le gouvernement se serait dit : « Nous avons très bien réussi; nous avons gardé la limite à 18 à 20 000 tonnes de plus. C'est très bien. » Je ne sais pas comment cela a été perçu auprès des Producteurs laitiers du Canada. Ils sont peut-être si préoccupés par n'importe quelle petite brèche dans le système de la gestion de l'offre que tout finit par les rendre nerveux.

Ces négociations commerciales ne portent pas uniquement sur les produits laitiers et les œufs, mais sur toute une série de mesures. Ce serait une tragédie si nous perdions la gestion de l'offre par inadvertance ou en raison d'accords commerciaux internationaux. Je pourrais me faire provocateur en disant que nous buvons du lait américain qui contient des hormones de croissance — je suis certain que ce n'est pas le cas —, mais de toute façon, voilà le genre de chose qui pourrait survenir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On parle beaucoup de la gestion de l'offre. Avant d'arriver à ma question, je veux vous faire part du commentaire que le président des Rôtisseries Saint-Hubert m'a fait. C'est une chaîne de restaurants qui consomme beaucoup de poulets, car elle vend du poulet. Il qualifie la gestion de l'offre de cartel, parce que, selon lui, on ne peut pas négocier le prix de la volaille. C'est son opinion.

J'aimerais revenir à l'Accord économique et commercial global Canada-Union européenne et sur les 16 000 tonnes de fromage, car de nombreux agriculteurs, dans une région que je connais bien, sont inquiets. Ils m'ont dit que le gouvernement devra leur offrir des compensations. Je leur ai répondu que, pour donner des compensations, il fallait rendre compte des dommages. Je leur ai demandé s'ils étaient en mesure de chiffrer les dommages. Ils ont dit non. Je leur ai alors dit qu'ils devaient attendre avant de pouvoir faire ces demandes.

Selon vous, s'il devait y avoir compensation, à quel montant l'évalueriez-vous? Pour le moment, on ne connaît pas les dommages.

[Traduction]

M. Muirhead : Je n'ai pas la moindre idée de ce que pourraient être les dommages. Encore une fois, il faudra attendre pour voir s'il y a des répercussions négatives sur la production du fromage au Canada. Il y a quelques années, je me suis rendu dans la région du Saguenay où j'ai fait du camping pendant quelques semaines, et je dois dire que le formage y est phénoménal. Je ne peux pas imaginer que ces producteurs puissent subir des effets négatifs parce que nous importons du fromage Roquefort ou un autre fromage de ce genre. Les gens estiment que nous devrions acheter du fromage québécois ou ontarien et nos fromages, comme vous le dites, remportent des prix un peu partout dans le monde dans bon nombre de catégories. Qui sait, peut-être que lorsque les fromages français commenceront à arriver au Canada, il sera de plus en plus populaire de manger des fromages canadiens. Je ne pense pas que les producteurs du Québec subiront de nombreux désavantages.

Pour ce qui est du cartel, il y a quatre compagnies américaines qui œuvrent dans la production du poulet. Ce sont Tyson, Hormel et deux autres, et ces compagnies gèrent en quelque sorte un programme de servitude; c'est médiéval. Les producteurs s'endettent à long terme tandis que les transformateurs, les quatre grandes compagnies, profitent des avantages. Elles concluent des contrats à court terme avec ces producteurs. Comme je l'ai dit, c'est presque une relation de servitude où le producteur doit vendre ses produits à l'une des grandes compagnies ou bien faire faillite. Il faut s'endetter énormément pour mettre sur pied ce type d'exploitation.

M. Doug Constance à l'Université Sam Houston State, aux États-Unis, a beaucoup écrit à ce sujet, et il s'agit en fait d'un type de relation de nature médiévale. D'où la nécessité. C'est pourquoi je pense que la gestion de l'offre est un si bon système parce qu'entre les producteurs de poulet, les transformateurs et les consommateurs, il y a une organisation intermédiaire qui veille quelque peu à égaliser les chances. Mais je ne pourrai probablement pas décrire différemment Saint-Hubert et ses poulets.

Le sénateur Enverga : Encore une fois, en ce qui a trait à la gestion de l'offre, tout repose sur l'offre et la demande. Quelques fois, l'offre augmente et la demande diminue et vice versa. Comment l'industrie agricole s'adapte-t-elle à cette situation? N'auriez-vous pas plutôt besoin d'un système de gestion des prix au lieu d'un système de gestion de l'offre? Y aurait-il un système de gestion du commerce ou quelque chose de ce genre, ou bien faut-il davantage de contrôles gouvernementaux? Comment faire la différence? Il y a les trois piliers : la gestion de la production, le contrôle des importations et la politique d'établissement des prix. Lequel des piliers a le plus d'importance pour ce qui est des prix et de l'industrie en général?

M. Muirhead : Je pense que le jumelage de la demande intérieur avec l'offre intérieure relève d'une science assez pointue. Officiellement, la gestion de l'offre a été mise sur pied en 1971, mais elle existait déjà en Ontario avant cela. Depuis 44 ans ou presque, la gestion relève en quelque sorte de la science et, même si on fait face parfois à des problèmes de surproduction, j'estime qu'en général, c'est un système très bien rodé dans lequel la production reflète la demande intérieure de sorte que tous les rouages s'enclenchent très bien.

En outre, le lait est aujourd'hui mis en commun. Le groupe P5, c'est-à-dire, l'Ontario, le Québec et les trois provinces maritimes mettent leur lait en commun, ce qui permet de partager le lait au-delà des frontières provinciales en vue d'éliminer les pics et les creux de l'offre. Je pense qu'ils ont bien peaufiné le système.

Pour ce qui est des prix, je ne comprends pas pourquoi bien des gens n'aiment pas la gestion de l'offre parce que les consommateurs paient le coût de la production contrairement aux États-Unis où le consommateur risque de ne pas le payer. C'est un de ces systèmes où le prix correspond à ce qui est négocié. Les supermarchés se servent peut-être du lait comme produit d'appel. Mais le producteur obtient le prix qu'il en coûte pour produire chaque litre de lait et j'estime que c'est un bon système et que quelqu'un devra payer le coût du transport pour les œufs et les produits laitiers. Quelqu'un doit en payer le prix parce que ce n'est pas subventionné.

J'ai lu la conclusion à laquelle le Cabinet du gouvernement Diefenbaker était arrivé en 1960 lorsqu'il se voyait obligé de subventionner, par voie législative, l'industrie laitière canadienne à hauteur de 60 millions de dollars. Le ministre des Finances de l'époque est cité dans les conclusions du Cabinet. Au cours de la discussion, il intervient pour dire : « Je ne sais pas d'où viendront ces 60 millions de dollars. Nous n'avons pas 60 millions de dollars pour appuyer l'industrie laitière au Canada. » C'est ce qui a mis en branle l'ensemble du processus.

En 1963, sous le gouvernement conservateur de John Robarts en Ontario, une commission consultative sur les produits laitiers est mise sur pied et par la suite, en 1965, l'Ontario adopte la Loi sur le lait. Et tout cela découle du fait que le Canada, en tant que petit pays, ne peut pas se permettre de subventionner la production laitière comme le font les États-Unis ou l'Union européenne après 1962. Nous avons donc choisi de faire en sorte que le consommateur paie le plein prix de la production et que les détaillants fassent ce qu'ils veulent soit, en présentant le lait comme produit d'appel ou en offrant un rabais quelconque.

Si vous ne buvez pas de lait, vous ne payez pas, c'est vrai, mais tout le monde mange du fromage, bien entendu.

Le sénateur Enverga : Pourquoi ne pas établir le prix pour les consommateurs qui peuvent se le permettre et conserver la production supplémentaire quelque part afin de la donner aux pays pauvres? Cela serait-il possible? Ce serait un peu comme la gestion du prix et la gestion de l'offre en parallèle. Je suis tellement choqué lorsque je vois des producteurs déverser du lait dans les égouts parce qu'ils estiment que le prix était trop faible. Serait-il possible d'agir ainsi? Pourrions-nous adopter un système hybride de gestion de l'offre et des prix?

M. Muirhead : Au Canada, nos producteurs n'ont pas le droit de détruire du lait. En général, ils ne le font pas parce qu'ils obtiennent au moins le coût de production tandis qu'en Union européenne, on peut voir en ligne des photos de producteurs laitiers qui arrosent des policiers avec du lait. À Bruxelles, on a dû avoir recours à l'escouade antiémeute pour repousser les producteurs de lait. Je trouve que c'est une idée ou une image bizarre que de voir des producteurs de lait lutter contre l'escouade antiémeute parce que les prix sont trop bas, mais c'est ce qui se fait en Union européenne. Rien de tel ne s'est produit aux États-Unis en raison des programmes de subvention, mais cette situation existe en Union européenne.

Au Canada, nous ne voulons pas de leur système. Je pense qu'à l'heure actuelle, nous exigeons un prix équitable pour le lait, c'est-à-dire un prix fondé sur le coût de la production laitière dans une exploitation agricole moyenne au Canada. Ce n'est pas fondé sur le coût de production le plus faible ni le plus élevé, mais plutôt sur une moyenne.

En fait, les consommateurs canadiens profitent du système — du moins, c'est ce que je crois. En Nouvelle-Zélande, les consommateurs paient un tiers de plus pour leur lait. Même si l'an dernier le prix du lait a chuté de façon draconienne partout dans le monde — ainsi on s'attendrait à ce que les consommateurs néo-zélandais obtiennent aussi une réduction — en octobre dernier, le prix du lait en Nouvelle-Zélande a augmenté de 6 p. 100 au même moment où partout ailleurs, le prix du lait s'effondrait.

Le taux de suicide chez les producteurs laitiers néo-zélandais est en hausse. Il y en a eu 4 en décembre et 16 au cours des 6 derniers mois. Le niveau d'endettement du secteur laitier en Nouvelle-Zélande est énorme. C'est une situation horrible parce que les producteurs ont dû prendre trop d'expansion trop rapidement, et les prix se sont effondrés. C'est comme un produit de base; ainsi, les prix montent et descendent, au même titre que le pétrole, le minerai de fer, l'uranium, et j'en passe. Il en va de même pour le lait et c'est le producteur qui doit, au bout du compte, payer le coût dans ce genre de situation. Au Canada, nous n'avons pas ces fluctuations prononcées, et le prix publié est équitable — pour la plupart des gens, du moins —, et c'est un produit abordable, me semble-t-il, pour la plupart des Canadiens.

La vice-présidente : Au nom du comité, je veux vous remercier d'avoir partagé avec nous votre vaste expérience du domaine. Nous voyons pourquoi vous êtes titulaire de la chaire de recherche en politiques publiques de l'Université de Waterloo.

M. Muirhead : Je vous remercie beaucoup. J'ai été très heureux de témoigner. C'est la première fois que je fais quelque chose comme cela et je me sens privilégié d'être ici pour discuter avec vous. J'ai fait quelques notes mentales sur des choses que je pourrais rajouter.

La vice-présidente : S'il y a de l'information supplémentaire que vous voulez envoyer au comité, n'hésitez pas à la faire parvenir au greffier.

M. Muirhead : Oui, c'est ce que je ferai.

La vice-présidente : Nous vous en sommes reconnaissants. Je vous remercie beaucoup.

M. Muirhead : Merci beaucoup de m'avoir invité.

(La séance est levée.)


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