Aller au contenu
AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 31 - Témoignages du 11 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 11 juin 2015

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 9 h 3, pour étudier les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

[Français]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, et je suis président du comité.

[Traduction]

J'invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Beyak : La sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

[Français]

La sénatrice Tardif : Sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta.

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Je vous remercie.

Le comité poursuit son étude sur les priorités pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle important dans l'économie canadienne.

En 2013, un travailleur sur huit au pays, soit plus de 2,2 millions de personnes, était employé dans ce secteur, dont la contribution au produit intérieur brut s'élevait à près de 6,7 p. 100.

[Français]

À l'échelle internationale, le secteur agricole et agroalimentaire canadien était responsable de 3,5 p. 100 des exportations mondiales de produits agroalimentaires en 2013.

[Traduction]

En 2013, le Canada a été le cinquième exportateur mondial de produits agroalimentaires.

Chers collègues, aujourd'hui nous accueillons comme témoin un professeur de l'École supérieure de politiques publiques Johnson-Shoyama, à l'Université de la Saskatchewan, M. Peter W.B. Phillips.

Monsieur Phillips, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de bien vouloir faire connaître au comité vos opinions, vos observations et vos recommandations pour que le secteur agricole améliore la position du Canada et fasse partie des marchés émergents.

Commençons d'abord par écouter votre exposé. Ensuite les sénateurs vous questionneront.

Peter W.B. Phillips, professeur, École supérieure de politiques publiques Johnson-Shoyama, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis heureux d'être ici à nouveau.

Les observations et les opinions que j'exprimerai aujourd'hui se fondent sur 13 années de service dans la fonction publique d'une province qui dépend des échanges commerciaux. J'étais négociateur d'accords commerciaux. J'ai donc siégé dans des groupes qui essayaient de mettre en œuvre des politiques issues de discussions comme celles que nous aurons. Je suis aussi un économiste du commerce qui a commencé à s'intéresser, en plus, à la politique d'innovation.

Vous avez choisi un sujet important. La politique commerciale donne lieu à de chaudes disputes. La moitié du monde veut intensifier le commerce, l'autre moitié voudrait qu'il cesse.

Très souvent, cependant, nous oublions que la politique commerciale vise à obtenir de meilleurs résultats socioéconomiques. Elle n'est pas une fin en soi; c'est un moyen pour parvenir à une autre fin.

La plupart des économistes du commerce sont formés dans la croyance, à laquelle je crois moi-même fermement, que plus de libre-échange, c'est mieux. C'est comme un mantra. Quatre-vingt-quinze pour cent d'entre eux affirmeront que, toutes autres choses étant égales, le libre-échange est un plus.

La difficulté provient du fait que la notion de libre-échange dépend de certaines hypothèses critiques qui sont de plus en plus invraisemblables. Par exemple, que les marchés sont atomistiques, c'est-à-dire qu'il n'existe pas de pouvoir de marché; que personne ne dit au système comment fonctionner. Autre supposition : les transactions sont conclues dans les conditions normales du commerce, et les produits et services sont en grande partie non différenciés.

En réalité, si c'est cela notre monde réel, on peut séparer la politique commerciale de tous les autres dossiers auxquels on s'intéresse et en faire un domaine unique et discret.

La réalité, toutefois, c'est que les réseaux de production mondiaux sont fortement intégrés. Nous ne sommes pas autonomes. Personne ne l'est dans le système alimentaire. Nous importons toute une série d'intrants, nous produisons certaines choses, et nos exportations s'écoulent dans le monde entier. Peu importe notre place dans le monde. C'est une réalité à laquelle n'échappent pas les pays qui aspirent à l'autarcie.

Pour les intrants, des sociétés comme : Monsanto, dans le secteur de la commercialisation et du gros; Cargill, dans la transformation; Kraft, dans les produits alimentaires de marque et les autres grands produits; Walmart, Carrefour et les magasins de cette espèce, tous occupent des positions dominantes.

Ensuite, le commerce n'est plus fixé dans les conditions normales. Les opérations sont maintenant intersectorielles et interentreprises. Ce n'est plus moi qui vends à un tiers; c'est moi qui vends à moi-même. Plus de la moitié des échanges mondiaux, et le taux est sensiblement plus élevé dans la chaîne agroalimentaire, ne sont pas strictement des opérations, mais des transferts de prix entre unités de la même chaîne de production.

Enfin, la plupart de nos produits se différencient beaucoup les uns des autres. Le profane peut être incapable de distinguer une tonne de blé d'une autre tonne de blé ou du même produit qui se vendait il y a 50 ans. Or il existe de 200 à 300 catégories de ce produit. Non seulement se distinguent-elles par leurs propriétés agronomiques et boulangères, mais elles diffèrent aussi par le moment, les moyens et les modalités de leur transport international.

L'intégration du monde est très poussée. Dans ces conditions, pour être avantageux, le libre-échange exige de la coordination et la prise en considération d'un ensemble horizontal de domaines stratégiques. Parlons notamment de trois d'entre eux.

Le commerce est intimement lié aux projets d'innovation lesquels, non seulement au Canada, mais dans le monde entier, dépendent de la chaîne agroalimentaire. Depuis longtemps le Canada est un innovateur dans ce domaine, qui n'est pas petit. Dans la chaîne alimentaire mondiale, les investissements publics et privés se chiffrent à 40 milliards de dollars. La part du public se situe surtout en amont, principalement dans la recherche-développement; celle du privé, surtout en aval, dans les produits et technologies de marque. Ces réseaux exploitent l'accès aux marchés. Si le marché n'est pas assez important, les investissements ne suivent pas. Il importe de se rappeler que de nouveaux débouchés permettent de faire essaimer l'innovation dans des endroits où on investira pour faire évoluer la technologie et les possibilités de production.

Dans ce contexte, la libéralisation des échanges est indispensable, parce qu'elle crée pour les prix les conditions qui attirent les capitaux privés, mais, pour les diriger vers un objectif auquel le Canada tient, nous devons l'amener dans des endroits qui peuvent l'exploiter efficacement. Des endroits où il y a des changements d'échelle. Saskatoon, Guelph et Laval le sont dans le domaine agroalimentaire. D'autres endroits le sont dans d'autres catégories. Nous devons nous doter de processus efficaces pour que les systèmes dans l'espace des trois conseils, le portefeuille d'investissements d'Industrie Canada, la R-D faite au Conseil national de recherches Canada et à Agriculture Canada soient indispensables au système d'innovation. La capacité de mobiliser les individus, les idées, les technologies et la propriété intellectuelle entre ces joueurs et le secteur privé est très importante. En fait, elle figure vraiment à votre ordre du jour commercial.

Enfin, vous devez mobiliser les gens. Le système international de recherche est animé par des gens d'élite, souvent apatrides. Il est indispensable d'abolir pour eux les frontières, de prévoir des visas et des bourses de séjour. Actuellement, les nouvelles politiques d'immigration ont presque tari cette source dans le réseau des universités. Il est presque impossible de faire venir des scientifiques étrangers sans effort important pour vaincre les obstacles du système d'immigration. L'innovation consiste essentiellement à réunir ces quatre ingrédients, et la politique commerciale en est un indispensable.

Deuxièmement, la structure industrielle est importante. Il ne s'agit pas de petites entreprises en concurrence indépendante, mais d'importantes chaînes logistiques industrielles et gérées. Notre politique de concurrence est donc importante. Nous l'élaborons dans sa plus grande partie dans l'ignorance complète de ce qui se passe dans la chaîne agroalimentaire. Ce domaine est hors de portée de votre genre de comité, mais, au fil du temps, nous devons commencer l'intégration, en tenant compte des liens.

Le troisième et dernier domaine, qui est toujours un enjeu commun au Canada, est la question de la gestion des risques. Comment réagir aux incertitudes de l'accès au marché et de l'innocuité des produits? Le premier échelon de nos régimes réglementaires doit se mettre au diapason du reste du monde. Cela signifie aussi que lorsqu'on décèle des risques, il nous faut les systèmes appropriés pour continuer à nous assurer l'accès au marché tout en gérant ces risques. Il est essentiel d'investir dans des domaines comme l'initiative Une santé, la vaccinologie dans la chaîne alimentaire animale et d'autres programmes auxquels le Canada a participé, pour obtenir un régime commercial efficace. Il est bon d'ouvrir le système, mais il faut le maintenir ouvert devant les incertitudes du marché.

Alors que vous vous préparez à discuter de la politique commerciale du Canada, l'essence de mon message est que sa libéralisation est probablement la chose à faire, mais elle doit être réfléchie. Nous pourrions offrir des débouchés à certains de nos partenaires pour augmenter notre accès aux marchés d'exportation, mais si, dans le même temps, nous ne pouvons pas accéder aux technologies de pointe qui nous procurent notre pouvoir concurrentiel sur ces marchés, nous risquons simplement de perdre au change. Le juste milieu à trouver dans la libéralisation doit entraîner des changements appropriés dans le reste du système de politiques, non seulement à l'échelon fédéral, mais, aussi, à celui des provinces, chez les groupements de producteurs spécialisés, dans les associations industrielles et les industries.

[Français]

Le président : Je vous remercie, monsieur Phillips. Je donne la parole à la sénatrice Tardif, puis ce sera au tour du sénateur Maltais.

La sénatrice Tardif : Je vous remercie, monsieur Phillips, pour cette présentation des plus intéressantes. Vous avez souligné plusieurs points importants, particulièrement en ce qui concerne la question de l'innovation. Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il est important d'investir dans la recherche et l'innovation. Comment le gouvernement fédéral peut-il aider les exportateurs canadiens à développer des produits novateurs pour ces marchés mondiaux?

[Traduction]

M. Phillips : C'est la question que pose le secteur public, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Les États sont des acteurs importants de la chaîne d'innovation dans presque toutes les régions agroalimentaires. Ils financent des universités d'où sort un personnel très qualifié. Ils dirigent souvent les établissements de recherche primaire qui, s'ils ne s'occupent pas de développement, du moins adoptent, assimilent et adaptent les technologies appropriées pour les industries de leur ressort. De même, ce sont souvent d'importants investisseurs dans le développement. Agriculture et Agroalimentaire Canada ainsi que le Conseil national de recherches Canada, grâce à des partenariats tels que les initiatives inscrites dans le cadre stratégique Cultivons l'avenir, avec des groupes de producteurs spécialisés, sont des joueurs importants qui aident à cerner les priorités et à faire évoluer la technologie.

Si défi il y a, c'est, dans ce monde où chacun essaie de déterminer une valeur mesurable pour l'investissement, le retrait qui se manifeste en amont, où les fortes retombées du bien public sont dirigées vers la mise au point de produits et de services. Par exemple, pour mes recherches je bénéficie régulièrement du financement accordé par l'entremise de projets de Génome Canada. Les premiers investissements dans ce portefeuille d'activité d'une valeur de 2 milliards de dollars sont en grande partie allés en amont, dans la R-D. Ils visaient à pourvoir en technologies les diverses subdivisions du monde de la génomique, à les appliquer, à les faire évoluer et à essayer de réunir diverses possibilités favorisant la mise au point et l'utilisation de produits et de technologies.

Dans la pratique, cependant, alors que les critères d'évaluation deviennent plus serrés, ces investissements se déplacent vers l'aval, en se rapprochant des produits et services. La valeur des produits et services est cependant très limitée. D'après les lois de l'économie, le secteur public obtient les meilleurs retours sur investissement quand il investit en amont, dans les technologies générales, celles qui augmentent les débouchés pour l'investissement. Quand on passe aux catégories de produits, on diminue le nombre de débouchés pour l'investissement. C'est là qu'il faut chercher un juste milieu. Cela ne touche pas seulement une partie de l'administration publique. C'est partout : les trois conseils, les réseaux de centres d'excellence, l'espace de Génome Canada, Agriculture Canada et le Conseil national de recherches Canada ainsi que les projets de plateformes. Ils sont entraînés vers l'aval. Nous exploitons nos connaissances actuelles, mais nous n'en obtenons pas d'autres, et cela présente un risque véritable dans une industrie qui dispose, pour y réfléchir, d'une marge de 50 à 100 ans. La plupart des solutions qui modifieront notre capacité de production pour assurer notre compétitivité dans le XXIe siècle n'ont pas encore été inventées. Si nous ne contribuons pas à leur invention, elles ne correspondront pas à nos besoins. Dans le système alimentaire mondial, nous sommes marginaux, mais nous sommes vraiment importants pour l'évolution des technologies de l'innocuité alimentaire au Canada.

[Français]

La sénatrice Tardif : À votre avis, les axes prioritaires de recherche dans le secteur agroalimentaire sont-ils bien choisis ou sommes-nous tout simplement mal orientés par ceux-ci?

[Traduction]

M. Phillips : Il y a probablement deux réponses. D'abord, beaucoup de joueurs du secteur ont leur marotte. Si on s'y intéresse, ils sont heureux. C'est une façon boiteuse d'évaluer le système, mais si vous questionnez des gens comme moi, ici, vous constaterez que beaucoup d'entre eux sont toqués d'une technologie.

Nous nous sommes donné beaucoup de bonnes priorités, mais nous tendons à omettre certains éléments importants. Par exemple, le Canada est un joueur d'envergure mondiale dans trois ou quatre secteurs dans lesquels les investissements sont insuffisants quand de nouvelles tranches de capitaux se libèrent, par exemple la vaccinologie. Nous avons été les premiers, dans le monde, à créer des vaccins pour les animaux. Actuellement, le monde adopte de plus en plus une vision universelle de la santé, c'est-à-dire que, pour briser la chaîne d'infections qui cause des perturbations sociales massives comme le SRAS, le SRMO et d'autres maladies humaines. Il ne faut pas commencer par la population humaine, mais par la population animale et se débarrasser des facteurs qui y évoluent, subissent des mutations et deviennent dangereux.

Dans le monde végétal, il s'agit de comprendre les phénomènes intérieurs de la semence, dont nous sommes vraiment ignorants. Nous connaissons les mécanismes et nous savons les manipuler, mais comment se déclenchent-ils, comment s'arrêtent-ils? Le sol — je ne suis pas un scientifique —, mais ceux avec qui je travaille me disent que nous savons environ 5 p. 100 de ce que nous devrions savoir sur ce qui s'y passe, et, pourtant, c'est l'élément essentiel de la productivité végétale.

Même dans les domaines davantage reliés au commerce, le Canada est un chef de file mondial, par exemple dans la technologie du codage de la vie par codes à barres. J'ignore si mes collègues de Guelph vous ont informés. La technologie iBOL est de portée internationale. Elle est en mesure de répondre à beaucoup de disputes commerciales que nous avons eues. Les États-Unis l'utilisent. C'est nous qui l'avons développée, mais sans trouver d'application. C'est l'éternel problème. Pour nos inventions de portée internationale, nous n'avons pas le courage de nos convictions, celui de les utiliser les premiers. Nous en laissons le soin à d'autres. C'est arrivé à l'échelon fédéral comme à l'échelon provincial.

Dans le système alimentaire, ce n'est pas génial, parce que nous sommes, comme je l'ai dit, l'une des cinq puissances commerciales mondiales. Nous avons la responsabilité de gérer le système. Nous sommes l'un des rares pays à pouvoir le faire. Nous développons la technologie et nous formons les gens pour le faire, puis nous n'avons pas le courage de nos convictions, pour passer à la dernière étape, celle de la mise en œuvre.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Phillips. Vous avez expliqué brillamment votre théorie. C'était un bon cours. Vous avez surtout parlé d'innovation. Comment sommes-nous arrivés, au Canada — le Québec, l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, les provinces maritimes et la Colombie-Britannique —, à produire le meilleur lait au monde? Quel type d'innovation nous a-t-il permis d'offrir un produit de grande qualité qui est reconnu à l'échelle internationale?

[Traduction]

M. Phillips : Je précise d'abord que je ne suis pas un spécialiste du lait. C'est difficile de l'être dans l'Ouest, où ce n'est pas l'une de nos principales industries, mais l'historique du lait présente une cohérence absolue.

Contrairement aux États-Unis, où on compte sur des investissements importants de l'État dans les universités dotées en terres et sur les capitaux des multinationales, le Canada a appliqué un modèle différent, hybride. Les industries financent elles-mêmes beaucoup de recherche, mais en partenariat avec les laboratoires de l'État et les universités. Notre force, donc, face à la concurrence dans la recherche, c'est de pouvoir construire des réseaux qui transcendent l'intérêt particulier des entreprises et le domaine souvent difficile des investissements uniquement publics. Nous édifions un modèle vraiment excellent qui unit les producteurs publics et privés pour la R-D. Nous l'appliquons partout. Il n'est pas unisectoriel ni universel, mais l'industrie laitière a fait beaucoup, elle aussi.

[Français]

Le sénateur Maltais : Vous avez raison. Pour produire du lait de meilleure qualité, il faut d'abord de bonnes mesures de salubrité. Vous avez également mentionné qu'il faut tirer parti de l'innovation pour conquérir de nouveaux marchés. Y a-t-il des secteurs en particulier où nous devrions innover pour acquérir ces nouveaux marchés?

[Traduction]

M. Phillips : Au début de ma carrière, j'étais prévisionniste et j'ai vite appris que c'est un métier difficile. Ce que je veux dire, c'est que personne n'a de boule de cristal.

Si j'avais un conseil à donner, à vous qui essayez d'aider le système fédéral et ses partenaires dans l'affectation des rares ressources publiques disponibles, c'est de vous inquiéter moins des catégories de produits et plus de la bonne santé du système des sciences fondamentales, le système qui peut ensuite exploiter ces connaissances, ces compétences et ces découvertes.

Je pense que nous sommes vraiment habités par le désir de découvrir le prochain produit qui aura beaucoup de succès. C'est arrivé avec le canola. C'est notre culture cendrillon, une culture autrefois négligée, qui nous rapporte maintenant des milliards et des milliards. Elle est à nous. C'est une innovation absolument et sans équivoque canadienne, celle qui a fait notre réputation dans le monde.

Ce n'est pas la seule, cependant. Nous en avons beaucoup comme elle. Elles sont parfois plus modestes et plus discrètes, mais la probabilité de trouver cette pépite parmi toutes les possibilités qu'offre la recherche est minime. Je pense que nous nous positionnerons mieux si nous donnons à la science une base solide et engagée. Ce sera grâce aux universités; elles doivent devenir plus adaptables aux besoins. C'est en partie dans les investissements fédéraux et chez Agriculture Canada et le Conseil national de recherches du Canada, mais cela se trouve stratégiquement dans les investissements de portefeuille d'Industrie Canada qui finance la plus grande partie des dépenses de fonctionnement.

[Français]

Le sénateur Maltais : Dans le cadre de vos études, tissez-vous des liens avec des établissements d'enseignement canadiens? Je pense, entres autres, à l'Université de Guelph, en Ontario, à l'Université McGill, à Montréal, au Centre de recherche et de développement des aliments, à Saint-Hyacinthe, et à l'Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse. Travaillez-vous en étroite collaboration avec les professeurs d'université en matière d'innovation? Je crois qu'il faut faire la distinction entre l'innovation et le marketing. Il y a le volet de la recherche et le volet de la vente du produit. Une fois qu'on a trouvé un excellent produit, si on le met sur les tablettes, on ne réussira pas à le vendre. Il est important de miser sur le marketing, mais, à mon avis, ce n'est pas au gouvernement fédéral qu'incombe la responsabilité d'octroyer des subventions à ce chapitre. Ce sont les entreprises qui doivent vendre leur salade. Êtes- vous d'accord avec moi à ce sujet?

[Traduction]

M. Phillips : Absolument. L'un des homonymes de notre école, Al Johnson, a très clairement dit que les gouvernements ont un rôle très important à jouer dans la société, mais ce n'est pas tellement comme acheteurs et vendeurs. Ils doivent créer les conditions et mettre en place les structures qui permettent les choix personnels.

Ces 10 ou 15 dernières années, le gouvernement n'a pas été mauvais, mais, parfois, il flirte avec l'idée que tous les scientifiques du secteur public doivent devenir des entrepreneurs. Souvent, ils ne sont pas programmés pour cela; ils le sont pour être des scientifiques et penseurs et penseurs et découvreurs de solutions aux problèmes. Les entrepreneurs sont dans une catégorie à part. J'ai grandi dans une famille d'entrepreneurs. Ils ont un instinct animal. Ils ne se soucient pas des rôles et des structures. Ils voient plus loin que ce qui est prévisible et présentable.

En ce sens, je suis absolument d'accord. L'État et tous ses partenaires sont susceptibles d'exercer une influence considérable sur la recherche et nous pourrions faire davantage pour nous donner, entre nous, plus de cohésion. Dans ce cas, je noue souvent des liens de collaboration avec mes confrères d'autres universités ainsi qu'avec mes partenaires scientifiques par l'entremise de consortiums internationaux plutôt que nationaux. Il est parfois plus facile de conclure une affaire à Bruxelles, à Washington ou à Dallas qu'à Saskatoon ou à Edmonton. Cela dépend simplement de la nature bizarre de l'espace dans lequel nous évoluons.

Mais je pense que nous pouvons chercher à être plus efficaces. L'efficacité n'est pas l'enjeu. C'est plutôt l'efficacité de nos investissements. Je pense que l'État y peut beaucoup. Vous ne voulez pas commercialiser les produits. Cela risque de vous conduire dans toute une série de débats sur le commerce d'État et d'autres pratiques. Je ne tiens pas à en parler aujourd'hui; j'ai déjà passé une bonne partie de ma vie dans ce domaine.

La sénatrice Unger : Merci, monsieur Phillips. C'est un sujet fascinant.

Vous avez dit, dans votre exposé, que la libéralisation du commerce était la voie à suivre, mais qu'il fallait réfléchir. Diriez-vous que le Canada a adopté une démarche réfléchie dans la libéralisation du commerce?

M. Phillips : À mon avis, la réponse pourrait varier selon les secteurs. Je pense que dans l'ensemble, le secteur agroalimentaire a bien fait les choses la plupart du temps. Même si ce n'est pas parfait, l'établissement de la réglementation par l'intermédiaire de l'ALENA est certainement un meilleur mécanisme que ce qui existait auparavant. L'élaboration des règles de l'OMC et, en particulier, des exigences phytosanitaires et les règlements sur les obstacles techniques au commerce constituent de puissants leviers pour mettre un terme aux mesures de protectionnisme prises par d'autres pays. C'est ce qui nous a permis de contrer la MPOE et toute une série d'obstacles pour les produits canadiens sur les marchés internationaux.

Dans l'ensemble, nous avons fait beaucoup de bonnes choses, à mon avis. Toutefois, sur le plan stratégique, notre lacune est que nous avons tendance à adopter des objectifs restreints. Nous voulons réduire le tarif pour un produit donné dans un marché précis — et nous y parvenons souvent —, mais nous n'avons pas de stratégies ni de tactiques qui nous permettront par la suite d'exploiter ces ouvertures de marchés, notamment sur le plan de l'innovation.

Comparativement à certains autres pays, nous ne profitons pas autant des occasions que nous créons. Certains d'entre eux sont très axés sur le commerce; lorsqu'ils interviennent, ils le font dans le but d'ouvrir ce marché parce qu'ils savent qu'une de leurs entreprises pourrait y être présente dès le lendemain de l'ouverture du marché. Nous n'avons pas un tel degré d'intégration. Nos entreprises, plus petites, font partie de la chaîne d'approvisionnement mondiale, mais elles n'en sont pas le moteur. Par conséquent, elles n'ont pas la masse critique nécessaire pour s'imposer dans ces marchés. Pour tirer parti de ces occasions, nous devons faire preuve d'une plus grande souplesse et être mieux préparés.

Il est possible que certains pays aient connu plus de succès que nous. Toutefois, je pense que personne n'a parfaitement réussi. Je serais d'avis que la politique est très bonne, mais que c'est le suivi qui fait défaut. Selon moi, nous ne sommes pas complètement dans l'erreur, mais je pense qu'à certains égards, nous pourrions agir de façon plus ciblée.

La sénatrice Unger : Lorsque vous dites « nous », de qui parlez-vous?

M. Phillips : C'est une excellente question. Comme j'ai œuvré dans une province et dans l'industrie, je sais que les provinces déchargent habituellement leurs problèmes au gouvernement fédéral et que l'industrie a généralement tendance à tenir le gouvernement responsable de ses problèmes, de ses erreurs et de ses difficultés.

Il n'y a pas de « nous ». Je pense que Pogo a eu le mot juste : « Nous avons vu l'ennemi, et c'est nous. » C'est particulièrement vrai dans la chaîne agroalimentaire. Personne n'a un contrôle absolu; tout le monde a un rôle à jouer. Cela ressemble davantage à un orchestre qu'à une hiérarchie de prise de décisions.

En ce sens, le Canada a mis en place bon nombre de mécanismes nécessaires qui ne visent pas tant une coordination officielle qu'accroître la sensibilisation et la réactivité de divers systèmes, mais à certains égards, nous n'utilisons pas les mécanismes que nous avons mis en place de façon aussi efficace que nous pourrions le faire. Nous fonctionnons machinalement sans prendre conscience que ces processus correspondent à une vision, des objectifs et des résultats précis. C'est donc le processus lui-même, et non le changement socioéconomique visé par la politique, qui devient le résultat.

La sénatrice Unger : Dans quelle mesure, le cas échéant, la réglementation est-elle un obstacle à l'innovation?

M. Phillips : Cela fait l'objet d'un débat vigoureux. Certains affirment que nous n'avons pas besoin de réglementation, qu'il suffit de créer un système de responsabilité civile délictuelle ou quasi délictuelle adéquat, des mécanismes de transparence et de reddition de comptes, et de laisser libre cours aux forces du marché.

Je rejette cet argument. L'État joue un rôle central dans la création de marchés, et cela passe l'acquisition d'une certitude et d'une compréhension de la notion selon laquelle les technologies, bien que potentiellement perturbatrices, ne sont fondamentalement pas nuisibles à la santé humaine ou à l'environnement.

En ce sens, le système de réglementation est un élément essentiel de la création de marchés, de l'accroissement de la confiance et de la capacité de favoriser le commerce entre des peuples qui ne se connaissent pas. Autrefois, nous commercions avec des gens auxquels nous faisions confiance. Lorsqu'on expédie des aliments à 10, 15 ou 20 000 milles par l'intermédiaire de 5, 10 ou 15 acteurs distincts, il est difficile de savoir à qui faire confiance; l'intervention de l'État a une influence importante.

Permettez-moi de vous donner deux exemples de situations pour lesquelles nous n'avons pas tout à fait accompli ce que nous voulions, malgré des mesures adéquates ou de bons instincts.

Dans le passé, le Canada a eu des difficultés à s'adapter, à adopter et à améliorer les technologies aussi rapidement que son voisin immédiat, les États-Unis, en plus d'avoir un système intégré de production. Cela signifie que si nous ne pouvons adopter les technologies aussi rapidement, ce sont les États-Unis qui profiteront des avantages du premier utilisateur et nous nous retrouverons en mode rattrapage. Cela ne présente aucun avantage et devient uniquement une question de survie. Nous avons donc accusé des retards dans divers secteurs, comme les produits chimiques, les semences et les vaccins. Parfois, ce sont nos propres technologies. Nous avons simplement hésité à prendre la première décision. C'est là notre problème.

Là où nous avons réellement joué un rôle de chef de file à l'échelle mondiale, c'est par rapport à des choses comme la politique sur la présence adventice que le gouvernement fédéral est en train de développer. Le reste du monde convient que c'est ce qu'il nous faut. Nous devons être en mesure de vendre des produits qui contiennent des éléments trace de technologies non approuvées ou non acceptées.

La pureté est une illusion que nous avons créée, parce que nous avons actuellement la capacité de mesurer les choses. Rien n'est pur; cela n'a jamais été le cas. Les produits sont d'une pureté inégalée, mais on exige maintenant une tolérance zéro.

Actuellement, dans le monde, on s'emploie à trouver des façons d'assurer la pérennité du système du commerce des semences, de l'huile et du grain — que je considère comme le deuxième élément en importance du système commercial international — alors que la moitié du monde accepte les technologies des organismes génétiquement modifiés et que l'autre affirme que toutes choses étant égales, elle préfère ne pas les utiliser.

Il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne pourrions coexister dans ce même contexte de production, mais il nous faut une réglementation. Si elle devait être fondée sur les marchés, une entreprise comme Bunge pourrait refuser une technologie sous prétexte qu'elle ne peut la traiter différemment de façon à satisfaire en même temps aux exigences du Japon, des États-Unis et de l'Europe.

Le Canada est un chef de file. Nous avons élaboré une politique qui a été applaudie à l'échelle mondiale, mais même si elle fonctionne probablement, les autres pays indiquent ne pas savoir comment l'adapter à leurs propres besoins. Il ne faudrait pas beaucoup pour passer du concept à la réalité, et nous n'en faisons pas la promotion à l'échelle mondiale. L'une des façons d'y arriver serait de démontrer que cela fonctionne dans notre marché intérieur. Le Canada compte d'excellents spécialistes des politiques et d'excellents scientifiques, tant à l'échelle fédérale et provinciale qu'au sein de l'industrie. Ces gens trouvent des solutions à des problèmes complexes de la chaîne agroalimentaire, et nous ne les utilisons pas. Par rapport au cycle des produits, nous qualifions cela de déficit d'innovation, et il en est également ainsi pour le cycle d'élaboration des politiques.

La sénatrice Unger : À qui appartient-il de promouvoir ces choses et de veiller à ce qu'elles se concrétisent? Au gouvernement?

M. Phillips : Je pense que c'est une responsabilité partagée. De toute évidence, l'élaboration de certains de ces règlements relève du gouvernement, en fin de compte, mais l'industrie doit aussi être responsable et participer à la discussion. Les scientifiques et les experts qui ont fourni les données pour appuyer la réglementation doivent aussi faire partie de l'équation. Ils ne peuvent tous se cacher derrière le gouvernement en disant qu'il faut laisser le gouvernement prendre tous les risques, car ils ont participé à l'élaboration de la solution.

On parle de solutions qui ne proviennent pas seulement de ministères et d'organismes quelconques du gouvernement fédéral. Ce sont des solutions qui ont été trouvées en collaboration avec l'industrie, les universitaires et les intervenants. Cette solution collective est importante.

Permettez-moi de vous donner un exemple explicatif d'une situation où nous avons bien réagi. Lorsque le canola transgénique produit au Canada était prêt à la commercialisation sur les marchés internationaux, nous avions une technologie unique à l'échelle mondiale, mais nos deuxième et troisième plus importants marchés — le Japon et l'Europe — ne l'avaient pas approuvée. Au lieu d'intervenir en disant qu'il trouverait une solution au problème, le gouvernement canadien a réuni les intervenants de l'industrie, les chercheurs et les acteurs de la chaîne d'approvisionnement, les gens qui assuraient le triage et l'expédition du produit vers les marchés internationaux. Ensemble, ils ont créé leur propre système de confinement qui n'était assorti d'aucun pouvoir de réglementation. Il s'agissait simplement d'un système issu d'un partenariat entre l'industrie et le gouvernement.

Grâce à ce simple exercice, auquel nous avons participé, l'industrie a généré 100 millions de dollars, en valeur actualisée nette, et l'adoption de la technologie a été accélérée de deux ans.

Les autres administrations qui ont été incapables de créer de tels partenariats à l'extérieur du cadre réglementaire — on parle de régimes fondés sur les politiques — ont connu des retards sur le plan de la technologie. À titre d'exemple, l'Australie commence à peine à utiliser le canola transgénique, tandis qu'elle aurait pu agir aussi rapidement que nous. Les Australiens accusent 15 ans de retard sur nous. Donc, nous pouvons le faire, mais nous ne réussissons pas toujours.

Le sénateur Enverga : Merci de votre exposé. Ma question porte sur ce que vous venez de mentionner concernant les OGM.

J'ai lu votre article l'an dernier seulement, je crois. Il porte sur les conséquences économiques des cultures génétiquement modifiées. Selon vous, l'harmonisation inadéquate de la réglementation internationale pourrait encourager les sociétés de biotechnologies à investir dans les marchés traditionnels au détriment des marchés à créneaux. Pourriez-vous nous donner plus d'informations à ce sujet?

M. Phillips : Avec plaisir. J'ai un exemple très simple. Lorsque j'ai commencé à travailler dans le secteur des biotechnologies, j'ai travaillé avec de nombreuses multinationales. Elles avaient ce qu'elles appelaient une stratégie 20- 20, soit 20 technologies dans 20 catégories de produits — 20 cultures. Maintenant, elles ont une stratégie 3-3 : 3 technologies et 3 produits. Eh bien, en réalité, il y a quatre produits, mais le canola a été quelque peu mis de côté. Il y a donc le maïs, le coton et le soya. Il y a bien d'autres produits, mais toutes les autres cultures ont été exclues des stratégies.

Il y a deux ou trois ans, j'ai publié des études dans lesquelles nous avons examiné l'ensemble des chaînes d'approvisionnement, et nous avons constaté que les sociétés n'investissent pas beaucoup dans le secteur du blé. Elles n'investissent pas dans des cultures de créneaux comme le lin, elles n'investissent pas dans des cultures essentielles comme la culture maraîchère et la culture fourragère, et elles se sont pour ainsi dire retirées de l'élevage des animaux.

En somme, l'incapacité d'accéder à des marchés, à des marchés assez importants, a incité les sociétés à dire qu'elles n'iraient pas de l'avant si elles ne pouvaient faire suffisamment d'argent aux États-Unis. Elles savent que c'est surtout aux États-Unis qu'elles peuvent franchir les étapes du processus de réglementation en un temps raisonnable. Ailleurs, c'est soit plus long, soit plus coûteux.

Dans la plupart des cas, nous ne faisons que reprendre des études scientifiques qui ont été acceptées ailleurs. Tout le monde veut faire des études sur la caractérisation moléculaire. Or, cela ne change pas en fonction du marché. Nous n'acceptons pas les données des autres parties, même si elles ont été examinées par des pairs et publiées à l'échelle internationale.

Il y a tant de choses que nous pourrions faire. De temps à autre, le Canada, les États-Unis, l'Australie, le Japon et l'Europe se réunissent et concluent des accords de reconnaissance mutuelle. C'est formidable, mais nous sommes loin d'avoir un système uniforme et efficace pour la distribution de produits sûrs et efficaces vers les marchés.

Le sénateur Enverga : Vous avez mentionné l'augmentation des coûts associée aux divers règlements. Selon vous, le processus d'approbation à l'échelle internationale n'aurait-il pas pour effet de compromettre la salubrité des aliments?

M. Phillips : Aucun de ces produits n'a été approuvé sans faire l'objet d'une importante surveillance réglementaire. Comme dans le secteur des médicaments, ces processus ont aussi un effet négatif sur la responsabilité. Si, pour une raison quelconque, des éléments de preuve étaient présentés et démontraient que le produit n'est pas sécuritaire, il reviendrait aux concepteurs et aux titulaires de permis de le modifier ou de le retirer du marché. Donc, il n'existe aucune preuve qu'un produit quelconque a été mis en marché et a eu une incidence quelconque sur la sécurité.

Il y a eu beaucoup de débats à ce sujet, mais c'est comparable à la politique commerciale, en quelque sorte. On entend beaucoup de commentaires selon lesquels la politique commerciale est une mauvaise chose, mais 95 p. 100 des experts affirment que c'est sécuritaire, efficace et viable sur le plan économique. Il en va de même pour la biotechnologie. Quatre-vingt-quinze pour cent des scientifiques sont d'accord là-dessus, mais la notion de franc jeu nous porte à accorder un poids égal aux 5 p. 100 qui ont des préoccupations. Il pourrait s'agir de préoccupations théoriques, voire hypothétiques. Il pourrait n'y avoir aucune preuve ou aucune théorie laissant croire un problème quelconque, mais des gens font des recherches. La science, c'est cela. Toutefois, cela ne devrait pas nécessairement déterminer quelle devrait être la politique publique.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Phillips, merci beaucoup pour votre présentation. Plusieurs organisations agricoles ont signifié au présent gouvernement qu'elles tiennent à l'intégrité du système de gestion de l'offre; nous savons que l'agriculture canadienne est d'une grande qualité, et qu'elle génère des milliers d'emplois et d'importants revenus.

Hier, à l'occasion d'un point de presse, le président de la Fédération de l'UPA-Estrie, du Québec, le président des Producteurs de lait du Québec, le président d'Agropur, ainsi que plusieurs partenaires, ont soulevé la question suivante : pourquoi faudrait-il aller voir ailleurs et encourager l'ouverture de notre marché?

[Traduction]

M. Phillips : Le Canada est un pays fascinant. Dans le secteur agroalimentaire, deux systèmes commerciaux coexistent dans un même pays. Dans l'Est, on trouve un important bassin de population, soit au Sud de l'Ontario, au Sud du Québec et dans les États américains adjacents. Pour la plupart des produits, ces marchés pourraient pratiquement absorber toute la production, et ce, même sous un régime de gestion de l'offre. Sans problème. Dans l'Ouest, c'est une tout autre histoire.

Nous n'expédions pas seulement nos produits aux États-Unis ou dans le reste du Canada; nous exportons environ 95 p. 100 de notre production à l'échelle mondiale. Sur le plan physique, nous ne pourrions consommer toute cette production. Si nous ne pouvions exporter dans le monde entier, nous devrions mettre fin à nos activités.

Il y a donc deux réalités qui coexistent dans un même pays. La question est de savoir pendant combien de temps elles pourront coexister sans se nuire. Voilà la question. Je n'ai pas la réponse. D'autres pays sont d'avis que nous mettrons d'autres modèles à l'essai. Vous avez probablement entendu parler de la libéralisation qui a eu lieu en Nouvelle- Zélande dans les années 1980 et 1990. Cela a fonctionné, mais le pays n'avait qu'une industrie, l'industrie laitière, qui était assujettie à la gestion de l'offre. La Nouvelle-Zélande est passée à un régime de libre marché, et toutes les études économiques démontrent que cela a été une excellente décision.

D'autres pays sont aussi confrontés à cette coexistence d'un régime de gestion de l'offre et d'une industrie généralement dépendante du commerce axé sur les marchés.

À mon avis, il n'y a pas de réponse simple. Il s'agit d'un nœud gordien avec lequel vous devrez composer pendant des années.

Le sénateur Ogilvie : Merci de votre exposé. Je suis très au fait de ce que vous avez dit et je suis d'accord avec vous sur les enjeux globaux.

Toutefois, je ne souscris pas à vos commentaires sur Génome Canada et le CNRC. Je pense que Génome Canada est en voie de faire une transition majeure d'un domaine de recherche fondamentale très important à un domaine de recherche qui peut être avantageux sur les plans social et économique, en particulier dans le secteur agricole. Le CNRC retourne à son mandat initial et cesse de vouloir être une université comme les autres.

L'enjeu que vous soulevez est essentiel à notre avenir. Pendant ma carrière, notamment au cours des 30 dernières années, le Canada s'est classé bon dernier des pays de l'OCDE, ou parmi les derniers, pour ce qui est de sa capacité de transformer les connaissances élémentaires en avantages sociaux et économiques. Nous sommes un important acteur sur le plan de la recherche fondamentale, mais nous ne faisons certainement pas le poids par rapport aux enjeux que vous avez soulevés.

Ce que j'aimerais, c'est que vous commentiez ce qui suit : on entend souvent dire qu'un des problèmes que nous avons, en raison de la vaste étendue de notre pays et de la dispersion de nos ressources, c'est que nous n'avons pas la masse critique d'éléments dont nous avons besoin pour transformer nos connaissances de base en avantages économiques et sociaux.

Ce que j'aimerais savoir, c'est si vous pensez que nous avons besoin d'adopter une approche différente pour favoriser le développement d'une masse critique d'expertise dans tout, depuis l'étape de la découverte jusqu'à l'étape de l'application du concept au développement économique et social. Nous devons trouver une meilleure façon de réunir nos bases de connaissances, qui sont différentes de bien des façons comme vous l'avez mentionné clairement, mais qui doivent trouver une façon d'interagir.

Avez-vous des conseils à nous donner sur la façon de faire la transition de manière plus efficace?

M. Phillips : Je vais faire trois commentaires.

Pour répondre à votre première question, à savoir si nous sommes efficaces pour adapter, adopter et utiliser les meilleures technologies, qu'elles soient d'ici ou d'ailleurs, l'agriculture à mon avis, et c'est un fait intéressant, fait figure d'exception au Canada. Nous adoptons très facilement les nouvelles technologies. Nous atteignons presque la règle 3M, soit 30 p. 100 de nos recettes qui proviennent de produits ou de technologies que nous n'utilisions pas il y a trois ans. Nous innovons beaucoup, mais c'est noyé dans les données parce qu'il s'agit d'une toute petite partie. C'est du côté de l'industrie qu'il y a des problèmes. En agriculture, nous sommes très bons, et je pense qu'il faut miser là-dessus.

Pour ce qui est de la masse critique, je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que la question est de savoir comment y arriver. Autrefois, le modèle que nous utilisions était celui des RIR, les retombées industrielles et régionales, et cela a considérablement nui à nos avancées en agriculture. Par exemple, lorsque l'ONU a voulu installer son laboratoire sur la vaccination et les maladies infectieuses, et on parlait à un moment donné de 50 à 100 personnes, le gouvernement fédéral est intervenu dans le processus de sélection et a décidé qu'il serait installé à Montréal, parce que cela cadrait bien avec l'industrie pharmaceutique. Mais cela ne cadrait pas, parce qu'il ne s'agissait pas de médicaments, mais bien de la création de vaccins pour les animaux et les humains, et que c'était en fait dans l'Ouest du Canada que cela se passait. Ainsi, au lieu des 100 personnes prévues, nous n'en avons eu que deux au Canada.

Nous avons d'autres exemples où les gouvernements sont intervenus. Saskatoon, en Saskatchewan, d'où je viens, était une ville à l'avant-garde et accueillait la plupart des multinationales qui investissaient considérablement de fonds privés dans la R-D au milieu des années 1990. On investissait surtout dans le canola. Puis le blé est arrivé et de nombreuses compagnies voulaient mener des recherches au Canada. Le ministre fédéral de l'époque est alors intervenu pour dire qu'il ne fallait pas donner l'impression de privilégier Saskatoon, et donc qu'il fallait l'installer à Winnipeg. On a donc construit l'édifice, mais la compagnie n'est jamais venue s'y installer. La compagnie ne pouvait pas avoir deux laboratoires au Canada, alors elle est allée s'installer aux États-Unis. C'est un exemple qui montre en fait comment on peut nuire au développement de la capacité.

Vous avez une bonne politique en place à l'heure actuelle, et on parviendrait probablement à développer la capacité dont vous parlez si on l'utilisait plus rigoureusement.

Dans les années 1990, quand on a commencé à réduire les budgets des institutions publiques, des universités, la politique des RIR a commencé à battre de l'aile, et il y a deux éléments très importants qui ont transformé la dynamique de l'innovation partout au Canada. Le premier élément a été la décision du gouvernement de l'époque de ne pas investir simplement là où les ponctions avaient eu lieu, mais d'exiger des universités qu'elles établissent leurs priorités stratégiques. Ainsi, par la suite, les investissements stratégiques se feraient uniquement en fonction des priorités stratégiques. Donc, si on était dans l'alimentation, il valait mieux soumettre des propositions dans le domaine de l'alimentation et non pas dans celui de la médecine. C'est ainsi que Lakehead est devenu un centre minier, que Saskatoon a procédé à des investissements majeurs dans l'alimentation et que d'autres universités se sont dotées d'infrastructures et de programmes de recherche qui n'auraient jamais pu voir le jour dans le cadre de la politique des RIR.

Le deuxième élément — et je dis cela même si je mords ici un peu la main qui me nourrit, celle des organismes subventionnaires — et c'est, je pense, l'une des meilleures choses qui soit arrivée pour l'allocation d'une part du financement, c'est que nous nous en sommes remis à l'évaluation internationale par les pairs. Nous sommes dans un petit monde. Nous avons 3 p. 100 des scientifiques sur la planète, et nous avions l'habitude de nous juger nous-mêmes. Je connais tous ceux qui travaillent dans mon domaine. Il n'y a pas d'examen à l'aveugle au pays dans le domaine des sciences avancées. Il est donc très difficile d'avoir une allocation de fonds neutres en recherche et développement. Pour les grands projets, nous avons opté pour une évaluation internationale par les pairs. Ces projets voient donc le jour là où l'appareil politique ou bureaucratique n'aurait pu imaginer les voir aller parce qu'ils ont reçu une reconnaissance internationale en raison de l'excellence du travail qui s'y déroule. Certaines personnes trouvent cela frustrant parce qu'elles se disent : « Non, nous voulions investir ici », mais c'est ce qui nous permettra de bâtir une capacité de recherche durable. Une capacité de recherche non durable est une perte de temps. On investit, et dès que le financement a tari, les gens s'en vont.

Je pense donc que les politiques sont en place, mais dans certains cas, on ne les applique pas de façon rigoureuse. Nous cherchons encore à avoir une répartition équitable, plutôt que de miser sur les forces du Canada.

Le sénateur Ogilvie : J'aimerais faire un commentaire. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, nous devrions concentrer nos efforts là où le potentiel et l'expertise existent, plutôt que distribuer l'argent dans toutes les régions pour des raisons politiques et de diluer ainsi nos ressources.

M. Phillips : En diluant les ressources, les retombées ne sont guère supérieures à ce que l'on a investi.

La sénatrice Beyak : Merci, monsieur, de votre exposé très détaillé et très enrichissant. Je pense que vous avez abordé à peu près tous les sujets sur lesquels le comité se penche.

Vous avez parlé de l'importance pour les gens de pouvoir se déplacer, du système d'immigration et des nouvelles politiques qui rendent difficile pour les universités de recruter de nouveaux scientifiques. Nous ne comptons plus les témoins qui nous ont parlé des pénuries de main-d'œuvre, de la pénurie de travailleurs dans l'industrie agroalimentaire.

Avez-vous examiné cette question dans vos recherches ou vos études? Auriez-vous des recommandations que nous pourrions intégrer dans notre rapport afin d'améliorer la situation?

M. Phillips : Je pense qu'il y a deux parties au problème. Nous avons une part de l'industrie canadienne qui a besoin de main-d'œuvre saisonnière, et il est difficile de trouver des Canadiens pour ces emplois, mais dans la plupart des secteurs que j'examine, ce n'est pas un problème. Ils ont un ratio capital/main-d'œuvre très élevé. Ils n'emploient pas de travailleurs étrangers. Le problème pour eux, c'est de recruter des travailleurs qualifiés locaux, parce qu'ils sont en compétition avec le secteur des mines et d'autres secteurs où les salaires sont très élevés.

Le problème qui touche l'innovation commerciale et qui est invisible aux yeux des médias et de la population, mais qui est profondément nuisible aux intérêts à long terme de l'industrie canadienne, c'est que nous avons de la difficulté à faire venir au Canada des scientifiques de renom, des gens qui ne sont pas une menace pour les emplois mais qui, au contraire, créent des emplois. Ils généreront la capacité dont notre industrie a besoin en termes de technologie et de productivité pour atteindre de nouveaux sommets.

La plupart ne veulent pas venir s'installer ici de façon permanente. Nous sommes un petit joueur, mais nous avons besoin qu'ils viennent passer du temps ici, que ce soit une semaine, un mois ou une année. Les inquiétudes concernant les travailleurs migrants et les immigrants qui pourraient se servir de leur statut de visiteurs pour contourner les règles d'immigration ont fait en sorte qu'on a mis en place des règles qui ont créé au bout du compte d'autres problèmes qui nous empêchent de faire venir ici des gens hautement qualifiés qui seraient prêts à venir pendant une semaine. Ces gens n'ont pas envie de faire la queue pendant six mois pour obtenir un visa d'une semaine. Ils se disent tout simplement : « C'est trop compliqué, je vais plutôt aller en Australie ou aux États-Unis. »

Il faut trouver une solution, et ce n'est pas simple. Je n'ai pas travaillé sur ce dossier depuis un bout de temps, mais quand j'ai examiné les recherches sur le canola, je me suis rendu compte que presque tous les scientifiques qui ont travaillé sur les innovations technologiques étaient étrangers. Ils sont venus, ils sont restés et ils ont bâti une équipe de recherche admirée dans le monde entier. Si nous n'avions pu les recruter rapidement et en temps opportun, ce n'est pas au Canada que cela se serait passé. Et si cela ne s'était pas passé ici, cela ne serait arrivé nulle part ailleurs à ce moment- là. Nous avons mis au point un produit important parce que nous avons réussi à faire venir des gens au bon moment et au bon endroit.

La sénatrice Beyak : C'est un point de vue très intéressant.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'aimerais tout d'abord vous dire, monsieur Phillips, que j'ai grandement apprécié votre exposé.

Ma première question fait suite à aux questions posées par la sénatrice Tardif. Pouvez-vous me dire s'il y a d'autres exemples d'activités d'innovation récentes qui ont amélioré nos exportations agroalimentaires? Vous nous avez parlé des produits pharmaceutiques pour les animaux. Vous avez aussi parlé du canola et du blé. Est-ce qu'il y en a d'autres?

[Traduction]

M. Phillips : La réponse est simple : oui. Je pense qu'il y a des innovations dans presque toutes les catégories de produits que nous exportons. C'est parfois spectaculaire. La plupart des innovations, toutefois, sont graduelles. La nouvelle est légèrement meilleure que la précédente, 1 p. 100, 2 p. 100. Ces innovations ne font pas les manchettes, mais ce sont celles qui rapportent beaucoup.

S'il existe un maillon faible dans la chaîne, ce n'est pas celui de l'adoption. C'est la bonne nouvelle. Nous adoptons les nouvelles technologies aussi rapidement que les autres, et plus rapidement que la plupart d'entre eux. Les technologies transformatrices sont parfois difficiles à mettre en marché. Nous ne sommes pas prêts à faire cet effort. Nous préférons suivre les autres.

Je pense ici à l'utilisation du code à barres pour la technologie du vivant, à certains nouveaux vaccins, à l'utilisation de certaines nouvelles technologies et cultures, et c'est la même chose dans le secteur de la pêche ou de la foresterie. Nous pouvons le faire. Nous avons les technologies nécessaires, et bon nombre ont été créées ici même, mais nous n'avons pas encore réussi à les mettre en marché. Ce ne sera pas une amélioration de 1 ou 2 p. 100 seulement mais de 5 à 10 p. 100 qui s'accumulera avec les générations. C'est le problème concret que nous avons.

Si vous posez la question à un producteur dans n'importe quelle chaîne de produits agroalimentaires au Canada, il pourra vous donner quelques exemples de technologies qu'il n'utilisait pas il y a cinq ans, que ce soit numérique, biologique, mécanique ou organisationnel. Ils sont toujours en mode innovation et c'est la bonne nouvelle. C'est la nouvelle qui ne fait jamais les manchettes parce qu'elle est noyée dans les données de l'industrie et qu'on ne sépare pas l'agriculture du reste.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : À la suite de la négociation de l'accord de libre-échange avec l'Europe, nos producteurs de fromage nous ont dit qu'ils ne savent pas s'ils doivent se préoccuper de l'exportation de leurs produits vers l'Europe, ou encore, s'inquiéter du fait que les fromages des pays européens puissent envahir le marché canadien, ce qui leur nuirait.

Je me suis rendu compte qu'au Québec, il se fait de la recherche. Plusieurs de nos producteurs de fromages mettent sur le marché de nouveaux produits. Par exemple, la famille Dufour, de Baie-Saint-Paul, qui s'est fait connaître par le Migneron, qui est un fromage divin, vient de lancer deux nouveaux fromages. On assiste au même phénomène pour la Fromagerie Bergeron ou la Fromagerie Perron. Je ne sais pas pour le fromage Duplessis, du Nouveau-Brunswick. Peut-être que le président pourra nous dire s'il se fait quelque chose à ce sujet.

Donc, est-ce que nos producteurs de fromages canadiens doivent s'inquiéter de l'arrivée en masse des fromages européens?

[Traduction]

M. Phillips : Je pense que l'industrie du fromage, comme la plupart des industries où la concurrence s'accroît, va prendre conscience, au fur et à mesure que les obstacles techniques et les barrières tarifaires tombent, que certains secteurs subiront des pressions, mais que d'autres découvriront de nouveaux débouchés.

Je me souviens que, à l'époque de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, on craignait beaucoup de voir disparaître l'industrie du textile, et même du jour au lendemain. Toutes les industries ont les mêmes craintes parce qu'elles sont habituées à la façon de fonctionner du marché. Mais lorsque les marchés s'ouvrent, ceux qu'on entend, ce sont ceux qui vont en sortir perdants. Ils se font entendre haut et fort. Ceux qui vont en sortir gagnants sont souvent trop occupés pour se plaindre. Ils sont déjà en train de conquérir de nouveaux marchés.

Il y a aussi souvent une transformation du marché, et c'est parfois un signe d'une croissance plus rapide, mais si ce n'est pas dans les catégories de produits où nous sommes à l'heure actuelle, il y aura probablement des pressions.

C'est une situation qui évolue, et on peut difficilement faire la part des choses dans un débat politique et dire : « Oui, nous aurons des gagnants. » On sait qui seront les perdants, mais on ne sait pas encore qui seront les gagnants. Ceux qu'on entend, ce sont les perdants, jamais les gagnants.

La libéralisation ne crée pas que des perdants. Si vous ne réussissez pas à vous adapter, oui, vous aurez des problèmes, mais il semble que les fromages artisanaux et de spécialité trouveront de nouveaux débouchés parce que la demande de variété est insatiable. Elle n'est pas permanente, mais elle est presque insatiable. Il faut plus d'un marché pour ces produits, et probablement des marchés mondiaux. Pour d'autres producteurs, toutefois, la pression pourrait s'accroître.

Le président : Avant de terminer, j'aimerais donner la parole à la vice-présidente, la sénatrice Tardif.

La sénatrice Tardif : Monsieur Phillips, vous avez mentionné quelque chose d'intéressant, et je veux y revenir pour m'assurer que j'ai bien compris. Vous avez dit que c'était un peu comme se vendre des produits à soi-même. Vous parliez, je pense, des transactions intersectorielles. Que vouliez-vous dire par cela au juste?

M. Phillips : En matière économique, on suppose souvent que les entreprises n'existent pas, qu'on fait des transactions, et quand on fait une transaction, je vous remets quelque chose. Vous me remettez ensuite quelque chose en échange. Il peut s'agir de troc, il peut s'agir d'argent. On comprend très bien ces transactions en théorie. Le problème est que, lorsqu'il s'agit d'une transaction intersectorielle ou interentreprises, je n'ai pas intérêt à établir le prix exact. Je détermine un prix fictif. S'il s'agit de ma propre entreprise, est-ce que je facture le prix courant? Est-ce que je facture le coût marginal? Qu'est-ce que je facture? Il devient alors très difficile de savoir ce qui se passe. Nous avons des litiges sur l'établissement des prix de cession interne depuis des années dans tous les pays. Ce qu'on craint, c'est que les entreprises déclarent leurs profits dans les pays où le taux d'imposition est très bas.

Quand on veut accroître la productivité, on suppose que si on ouvre les marchés, et que je vends à moins cher qu'eux, je peux avoir accès à leur marché. Toutefois, si votre produit fait partie d'une chaîne d'approvisionnement et qu'on vous dit : « Non, j'ai déjà investi là-bas. Je ne veux pas prendre de risque. Je ne veux pas changer ma production », il se pourrait que vous ne puissiez pas avoir accès à ce marché. On devient alors prisonnier des chaînes d'approvisionnement existantes. Dans le monde de l'innovation, nous savons que les grandes innovations ne viennent pas des grandes entreprises. Elles viennent des nouveaux arrivants sur le marché. Pourquoi détruiriez-vous votre assise financière? Si vous adoptez une nouvelle technologie, vous cannibalisez le marché de votre propre produit. C'est la même chose qui se produit dans les grandes chaînes d'approvisionnement industrielles. On a investi des sommes considérables dans le circuit et dans l'infrastructure et tout à coup, au lieu d'aller du point X au point Y, vous voulez aller au point Z. On va vous dire : « Mais je n'ai pas l'infrastructure nécessaire là-bas, et mon investissement serait perdu ici, alors je vais continuer à servir ce marché. » Vous avez donc créé un débouché, mais vous ne pouvez pas en profiter. C'est le risque que vous courez lorsque vous faites partie de ces grandes chaînes intégrées.

Les décisions vont dans le sens de leurs intérêts, mais elles ne tiennent pas nécessairement compte des capacités comparatives et de la compétitivité de chacun sur les marchés internationaux. Lorsque les chaînes d'approvisionnement industrielles et les échanges commerciaux s'interpénètrent, on obtient parfois des distorsions bizarres. Les données sur les échanges commerciaux ne veulent presque rien dire. Quelques économistes ont fait une reconstitution de la circulation des produits, et vous seriez surpris des résultats. Cela ne ressemble pas au portrait dressé par les économistes. C'est largement dominé par les États-Unis. On emprunte des canaux qui n'ont rien à voir avec les échanges dans le sens habituel. On veut optimiser les grandes chaînes, et cela signifie préserver le capital, ce qui veut dire qu'on ne s'adapte pas toujours aussi vite qu'on le pourrait aux débouchés qui s'offrent à nous.

La sénatrice Tardif : Dites-vous que les grandes multinationales peuvent créer des distorsions?

M. Phillips : Oui.

La sénatrice Tardif : Et ce n'est pas un vrai marché de libre-échange.

M. Phillips : Et ce n'est pas seulement les grandes chaînes d'approvisionnement industrielles. Nous avons investi beaucoup dans les ports, les points de service, les trains, les camions pour promouvoir le Canada, et surtout dans le circuit est-ouest. Que se produirait-il si quelqu'un disait : « Je ne veux plus aller vers l'est, je veux aller vers l'ouest » ou encore : « Je ne veux plus du circuit est-ouest, je veux aller au sud »? Il faut que quelqu'un bâtisse l'infrastructure, ce qui veut dire que parfois des actifs sont laissés en plan. Nous avons des ports qui sont sous-utilisés, nous avons un réseau ferroviaire qui est sous-utilisé. Ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de produits. C'est parce que les produits vont dans des directions différentes et empruntent des voies différentes. Il y a des éléments d'actifs qui sont laissés en plan lorsqu'on s'adapte aux nouvelles conditions du marché, à une nouvelle productivité, à de nouveaux débouchés. Plus l'organisation est centralisée, que ce soit par l'État ou l'industrie, plus la réponse aux pressions du marché est lente. C'est vraiment l'élément central.

Le président : Avant de terminer, j'ai deux notes dont j'aimerais vous faire part.

Demain, on célèbre le Jour de l'indépendance des Philippines. Sénateur Enverga, au nom du comité, nous voulons saluer tous les Canadiens d'origine philippine, et nous voulons aussi profiter de l'occasion pour vous remercier d'être membre du Comité de l'agriculture et des forêts.

[Français]

Puisque c'est la dernière réunion de la sénatrice Fortin-Duplessis, j'aimerais profiter de l'occasion pour la remercier de sa grande contribution au Sénat. Vous avez mené une carrière exemplaire. De toute évidence, vous êtes une personne accomplie. Vous avez servi le Québec et le Canada avec brio. Au nom du comité, nous vous souhaitons une retraite en santé pendant de nombreuses années à venir.

[Traduction]

La séance est levée.

(La séance est levée.)


Haut de page