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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 5 - Témoignages du 4 février 2014


OTTAWA, le mardi 4 février 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 17 h 20, pour examiner la teneur du projet de loi C-15, Loi remplaçant la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest afin de mettre en œuvre certaines dispositions de l'Entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources des Territoires du Nord-Ouest et modifiant ou abrogeant la Loi sur les terres territoriales, la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, d'autres lois et certains décrets et règlements.

Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Je m'appelle Richard Neufeld. Je représente la province de la Colombie-Britannique au Sénat et je suis président du comité.

J'aimerais souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs, de même qu'à tous les membres du public présents avec nous dans la pièce ou qui nous écoutent par webdiffusion.

Je vais d'abord demander aux sénateurs assis autour de cette table de se présenter. Le vice-président n'est pas encore arrivé, donc nous allons commencer par le sénateur Day.

Le sénateur Day : Je m'appelle Joseph Day. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je remplace le sénateur Sibbeston.

Le président : Je suis content de vous accueillir parmi nous.

Le sénateur Day : Merci.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Black : Doug Black, Alberta.

Le sénateur Wallace : John Wallace, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.

Le président : Merci. En outre, j'aimerais vous présenter le personnel qui est ici pour nous aider : nous accueillons Marc LeBlanc, Bibliothèque du Parlement, à qui nous souhaitons de nouveau la bienvenue parmi nous, Sam Banks, ainsi que notre greffière, Lynn Gordon.

Nous tenons aujourd'hui la cinquième séance de nos audiences préparatoires sur le projet de loi C-15, dont le titre abrégé est Loi sur le transfert de responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest. Ce projet de loi a été déposé à la Chambre des communes le 3 décembre 2013.

C'est avec un très grand plaisir que j'accueille aujourd'hui, pour la première partie de notre réunion, M. Dennis Fentie, qui va comparaître par vidéoconférence de sa ville de Watson Lake, au Yukon. M. Fentie a été le septième premier ministre du Yukon et le chef du Parti du Yukon. Il a été député de 2002 à 2011, en plus d'avoir été conseiller municipal de Watson Lake.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Fentie. J'aimerais souligner la contribution du campus de Watson Lake du Yukon College, qui rend possible votre comparution d'aujourd'hui par vidéoconférence.

Ici, à Ottawa, nous accueillons également M. Kirk Cameron, qui est né et a grandi au Yukon, qui a vécu l'évolution de la gouvernance au Yukon, y compris le transfert de responsabilités liées aux terres et aux ressources, de même que la modernisation de la Loi sur le Yukon. M. Cameron est également conseiller municipal de la ville de Whitehorse à l'heure actuelle.

Messieurs, je vous remercie tous les deux de vous joindre à nous pour la première partie de la réunion. Nous avons hâte de vous entendre parler de votre expérience et des leçons que vous tirez du transfert de responsabilités qui a eu lieu au Yukon il y a plus de 10 ans.

Monsieur Fentie, je vous prierais de nous présenter le premier votre exposé, après quoi nous entendrons M. Cameron. Nous passerons ensuite à une période de questions et réponses. Je rappelle aux témoins de bien vouloir s'exprimer clairement et lentement et de ne pas oublier que les témoignages sont interprétés simultanément en français et transcrits. Nous disposons d'environ 55 minutes pour le premier segment de notre réunion, après quoi nous allons prendre une brève pause pour mettre un terme à la vidéoconférence et demander à notre prochain témoin de s'asseoir.

Monsieur Fentie, allez-y. Je suis heureux de vous revoir.

Dennis Fentie, ancien premier ministre du Yukon, à titre personnel : Je suis content de vous revoir aussi, monsieur Neufeld. Mes salutations du Yukon, mesdames et messieurs les sénateurs et les membres du public. J'aimerais d'abord vous exprimer ma gratitude de pouvoir m'exprimer à ce sujet. Je peux vous dire que le transfert de responsabilités au Yukon a été l'un des jalons les plus importants de notre transition vers un gouvernement responsable dans le territoire.

Permettez-moi de commencer par vous dire que l'enjeu central, ici, est de favoriser un gouvernement responsable et la prise de décisions. C'est peut-être l'ancien commissaire Gordon Cameron qui a utilisé la meilleure image lorsqu'il s'est plaint en ces mots : « On ne peut pas diriger une équipe de chevaux avec des rênes de 3 000 milles de long. » La volonté des Yukonais de gérer leurs propres affaires, d'avoir le contrôle administratif du Yukon, remonte probablement aussi loin qu'en 1898.

Nous avons eu notre première législature totalement élue en 1909. Depuis, la mise en place d'un gouvernement responsable au Yukon a été une histoire ardue et laborieuse. Permettez-moi toutefois de vous parler tout de suite d'une époque importante dans l'histoire de la gouvernance du Yukon, celle où le ministre d'alors Jake Epp a instruit le commissaire d'alors Ione Christensen du Yukon de renoncer à ses pouvoirs exécutifs et de les transférer au premier cabinet totalement élu du territoire du Yukon.

À partir de là, en 1979, le Yukon s'est engagé sur deux chemins distincts et importants vers la gouvernance responsable : le processus de revendications territoriales et le transfert des responsabilités. Deux ententes phares de la première importance ont ensuite été signées au Yukon.

Il y a eu premièrement, en 1993, l'Accord-cadre définitif, qui établit clairement le cadre de participation conjointe des Premières Nations du Yukon et du gouvernement public à titre d'administrateurs du territoire, particulièrement pour ce qui est des terres, des eaux et des ressources.

Un deuxième accord fondamental a été signé en 2001 : l'Entente sur le transfert des responsabilités. C'est à partir de là que tout s'est mis à changer assez radicalement dans l'administration des affaires du Yukon. Il est indéniable qu'elle a contribué grandement à tous les résultats importants atteints au Yukon depuis 2001 jusqu'à aujourd'hui.

L'économie en fait partie; la façon dont nous gérons notre environnement aussi; notre développement social en général; et bien sûr, l'investissement dans l'infrastructure sur toute l'étendue du territoire. Nos gains en efficacité dans tous ces domaines sont en grande partie attribuables à l'Accord-cadre définitif et à cette relation entre les gouvernements des Premières Nations et le gouvernement public, ainsi qu'à l'Entente sur le transfert des responsabilités, grâce à laquelle les pouvoirs fédéraux liés au contrôle administratif des terres, des eaux et des ressources ont été transférés au Yukon.

Je pourrais vous parler en long et en large des résultats de tout cela, mais je sais que vous voulez que vos délibérations avancent, donc permettez-moi de vous présenter un bref survol de quelques éléments qui me semblent importants.

Premièrement, le Yukon a changé radicalement sur le plan économique grâce à sa croissance, et ce, en grande partie en raison de l'efficacité, de la réceptivité et de la rapidité accrues que lui confèrent ses nouveaux pouvoirs décisionnels dans des domaines comme l'exploitation des ressources.

Deuxièmement, ces accords nous ont permis de tisser une relation importante avec les Premières Nations de même qu'avec le gouvernement fédéral, y compris sur le plan fiscal. Je tiens à souligner qu'en vertu de l'Entente sur le transfert des responsabilités, le Yukon garde une part des revenus tirés des ressources, par exemple, mais que le gouvernement du Canada en retire également beaucoup.

On peut facilement conclure, alors, que le transfert des responsabilités est un outil pour aider les territoires (dans ce cas-ci les Territoires du Nord-Ouest, comme le Yukon auparavant) à réduire leur dépendance envers le gouvernement fédéral et à contribuer plus généreusement à la fédération en général.

Il fut un temps pas si lointain où les territoires n'étaient invités que par politesse aux discussions nationales. Aujourd'hui, les trois territoires sont des membres actifs du Conseil de la fédération, compte tenu que les Territoires du Nord-Ouest sont sur le point d'obtenir leur transfert de responsabilités. Leur entente ne pourra qu'améliorer la gouvernance en général dans les Territoires du Nord-Ouest, comme cela s'est observé au Yukon.

Il y a également des problèmes, tout n'est pas positif. Je pense qu'avec le temps, nous avons appris, au Yukon, que les problèmes liés au transfert de responsabilités, bien qu'ils soient considérables, sont bien loin d'en dépasser les avantages. Autrement dit, les avantages de ce transfert sont beaucoup plus grands que les inconvénients qu'il nous cause.

J'aimerais vous donner un exemple, qui me semble très pertinent pour les Territoires du Nord-Ouest, parce qu'ils vont être confrontés aux mêmes enjeux que nous. Pour les feux de forêts, l'Entente sur le transfert des responsabilités du Programme des affaires du Nord au Yukon se fondait sur les coûts passés de la lutte contre les incendies. Ce programme ne prenait pas en considération le risque croissant, d'année en année, de feux de forêts au Yukon. C'est un enjeu à garder à l'esprit pendant vos délibérations.

Il y a également la question de la Couronne et des droits. Je ne parle pas des provinces, ici, je parle de la question juridique, si l'on veut, de la Couronne et des droits du Yukon ou dans ce cas-ci, des Territoires du Nord-Ouest.

L'autre problématique que nous avons remarquée au Yukon et qui nous occupe toujours, c'est l'établissement clair de notre frontière nordique extracôtière, puisque notre frontière extracôtière avec les Territoires du Nord-Ouest n'est pas clairement délimitée et qu'il n'est pas clairement établi qu'elle se situe le long du 141e méridien entre le Yukon et l'Alaska. Quoi qu'il en soit, je peux vous dire, d'après l'expérience du Yukon depuis 2001, depuis la mise en œuvre de l'Entente sur le transfert des responsabilités qui a commencé en 2003, parallèlement à la mise en œuvre de l'Accord-cadre définitif du Yukon qui se poursuit et de toutes les revendications territoriales, que c'est une expérience positive importante pour le Yukon et que tout le territoire en bénéficie grandement.

Pour terminer, il importe de reconnaître que le Yukon a toujours appuyé les autres territoires, les Territoires du Nord-Ouest comme le Nunavut, et qu'il va continuer de les appuyer pour leur permettre d'atteindre le même résultat. Il s'agit au fond d'établir un bon modèle de gouvernance, une gouvernance responsable et un contrôle administratif pour les habitants du Nord.

Le président : Merci, monsieur Fentie. Nous allons maintenant donner la parole à M. Cameron. Vous avez préparé un exposé, et je pense que tout le monde en a reçu copie. La parole est à vous.

Kirk Cameron, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité à vous parler ce soir de l'expérience du Yukon sur le transfert des responsabilités et des leçons qu'il en tire qui pourraient vous être utiles dans votre travail sur le projet de loi C-15.

C'est pour moi un honneur d'être ici, et je suis particulièrement heureux que deux habitants du Nord siègent à ce comité, les sénateurs Patterson et Sibbeston, que je connais tous les deux et avec qui j'ai travaillé par moments pendant de longues années.

Il y a trois principaux messages que j'aimerais vous transmettre dans mon exposé. D'abord, tout ce travail sur le projet de loi C-15 en est vraiment un de construction de notre pays, comme les autres témoins et membres du comité l'ont dit lors des réunions précédentes sur ce thème. Lorsqu'on parle des compétences des gouvernements territoriaux et de leurs structures, nous ne parlons plus simplement d'organisations administratives relevant du gouvernement fédéral, comme je l'ai si souvent entendu par le passé. Les tribunaux reconnaissent que de par leur structure et leurs interventions, de même que grâce à leur reconnaissance dans la Constitution et la Charte du Canada, il s'agit de provinces « enfants » ou d'entités géopolitiques dotées de ce qu'on appelle « un caractère législatif qui s'apparente à la souveraineté ». Ces dernières années, les chercheurs qui étudient l'évolution des territoires les ont qualifiés de « quasi-provinces » dans bon nombre de publications.

Je suis donc d'avis que le travail qui vous est confié vise la création d'administrations de nouvelle génération qui s'apparentent à des provinces au Canada, sur la base d'un partenariat, si l'on veut, entre les peuples autochtones et le gouvernement public. Compte tenu de l'importance de ce partenariat, je souligne que cela constitue une rupture importante avec l'héritage historique du Canada qui a donné lieu à la fédération actuelle et à la création de ses 10 provinces, dont les structures et les pouvoirs sont décrits dans la Constitution.

Cela dit, en quoi cette nouvelle génération de provinces en devenir est-elle si différente? De par leur structure, les trois territoires sont des institutions coopératives, qui sont le résultat négocié des traités modernes et des ententes d'autonomie gouvernementale qui y sont associées. En effet, la Loi sur le Yukon et la nouvelle Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, qui sont en fait les « constitutions » des territoires, prévoient des dispositions qui donnent de la vigueur au principe du partenariat de gouvernance.

On en trouve un exemple au paragraphe 25(1) et à l'article 26 du projet de loi dont vous êtes saisi. L'article 25 vise à assurer la cohérence entre les pouvoirs des territoires et ceux des provinces : les territoires ne peuvent pas avoir plus de pouvoirs que les provinces, en fait. Pourtant, l'article 26 touche un domaine de compétence fédérale exclusive en permettant à la législature des Territoires du Nord-Ouest d'exercer les « compétences qui lui sont conférées par les articles 18 et 19 [pour] édicter des lois touchant les matières visées au point 24 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 », des compétences clairement fédérales.

De plus, bon nombre des principaux pouvoirs liés à la gestion des terres et des ressources qui relèvent habituellement des provinces, dans le Sud, sont régis au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut par des traités et exercés par application de lois fédérales qui intègrent les éléments de la relation collaborative qui existe entre les Autochtones et le gouvernement public.

Je peux vous en donner deux bons exemples au Yukon, soit ceux de l'Office d'évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon et de l'Office des eaux du Yukon. Dans les Territoires du Nord-Ouest, comme vous le savez bien, la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie et ses diverses institutions d'évaluation environnementale, comme l'Office d'examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie ainsi que les offices des terres et des eaux sont nommées dans les projets de loi dont vous êtes saisis aujourd'hui.

Le deuxième message que je veux vous envoyer, c'est que vous n'êtes pas en train de travailler à la maturation finale des Territoires du Nord-Ouest. Au contraire, c'est probablement le début d'une longue période d'adaptation, si l'on veut, parce que le nouveau partenariat né entre les Autochtones et le gouvernement public après la mise en œuvre de l'Entente sur le transfert des responsabilités, le 1er avril dernier, vient tout juste de commencer.

À partir de maintenant, la plupart des terres et des ressources de surface ou souterraines appartiendront soit aux organisations autochtones, soit au gouvernement territorial ou seront administrées par eux. On peut s'attendre à ce qu'il y ait beaucoup de débats au cours des prochaines années sur le rythme et l'orientation que prendra l'exploitation des terres et des ressources dans les Territoires du Nord-Ouest.

Encore aujourd'hui, au Yukon, se poursuit un débat très litigieux sur le plan d'aménagement du bassin hydrographique Peel. Il faudra encore passablement de temps et probablement plus d'une intervention des tribunaux, d'après moi, avant que cette question ne soit résolue, mais c'est ainsi que ce doit être. Les questions qui concernent la région devraient faire l'objet de débats et de décisions dans la région, peu importe l'ampleur du défi.

Le troisième argument que je souhaite faire valoir, c'est qu'on ne peut pas faire de comparaison facile entre le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Les revendications territoriales y sont très différentes; le traitement des lois sur les ressources et les évaluations est très différent dans les deux territoires; et le résultat structurel des cadres de gouvernance autochtone qui ont été créés au Yukon sur la base des traités et des ententes d'autonomie gouvernementale ne sont pas les mêmes au Yukon que ceux qui découlent des ententes conclues avec les Inuvialuits, les Gwich'ins, les Sahtus et les Tlichos.

Beaucoup de négociations d'autonomie gouvernementale se poursuivent dans les Territoires du Nord-Ouest. Il n'y a pas non plus d'accord-cadre comparable à l'Accord-cadre définitif du Yukon, pour uniformiser clairement les règles d'une région à l'autre du territoire.

Malgré ces différences, je vous recommanderais de vous poser deux questions pendant vos délibérations sur ce projet de loi, compte tenu de la grande complexité des modifications corrélatives qu'il apporte à d'autres lois.

La première question est la suivante : est-ce que la partie du projet de loi que nous sommes en train d'étudier va renforcer le partenariat entre les organisations autochtones et le gouvernement territorial?

Voici la seconde : sans compromettre les relations du gouvernement public avec les Autochtones, est-ce que la partie du projet de loi à l'étude contribue à l'avancement de l'objectif national de favoriser le développement de gouvernements territoriaux dotés des mêmes compétences que les provinces au Canada? Autrement dit, ces dispositions permettent-elles de conférer aux territoires le pouvoir de prendre des décisions normalement considérées du ressort des provinces? Je vous laisse réfléchir à ces deux questions.

Il y a deux derniers éléments dont j'aimerais vous parler. Premièrement, je suis heureux de constater que le projet de loi comprend une disposition de temporisation relative au paragraphe 4(3). Voici un très bel exemple de l'équilibre à trouver entre les deux questions que je vous ai proposées. Au bout d'une période de 10 ans, le gouvernement fédéral perdra son pouvoir hiérarchique sur le commissaire des Territoires du Nord-Ouest, un lieutenant-gouverneur en somme, sur les questions qui relèvent du pouvoir exécutif du gouvernement territorial. Toutefois, ces 10 années rassurent les groupes autochtones qui n'ont pas encore obtenu de règlement de revendications territoriales et qui peuvent espérer que le gouvernement fédéral exercera son pouvoir discrétionnaire pour assurer le règlement de ces revendications.

Il y avait une disposition semblable dans la Loi sur le Yukon. Elle a surtout servi à rassurer les Premières Nations en train de négocier leurs accords de revendications territoriales entre 2003 et 2013, année à laquelle cette disposition a été abrogée. Je souligne que pendant cet intervalle de 10 ans, le paragraphe 4(3) de la Loi sur le Yukon n'était pas essentiel pour assurer la poursuite des négociations, mais il était là au besoin.

Enfin, il reste une petite chose au Yukon qui n'est pas toujours réglée, et l'ancien premier ministre l'a mentionnée dans sa déclaration. La question de la délimitation de la frontière extracôtière dans la mer de Beaufort, entre le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, n'était pas réglée lorsque la Loi sur le Nunavut a été adoptée en 2003. Il semble bien que le projet de loi C-15 ne la règle pas non plus. J'aurais pourtant l'impression que vous avez là une belle occasion de préciser que les eaux au large du Yukon font partie du Yukon et non des Territoires du Nord-Ouest, comme le veut le principe d'association qui s'applique à toutes les provinces baignées par des eaux maritimes, dont les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut.

Il pourrait également être utile dans une moindre mesure de renforcer la position du Canada quant à sa ligne de délimitation en mer entre le Canada et les États-Unis dans l'océan Arctique. Le fait de clarifier l'association du Yukon à cette zone maritime, dans la mer de Beaufort, permettrait à notre gouvernement sous-national le plus touché par cette ligne de délimitation de participer à la discussion. Le Canada pourrait décider d'accorder une attention particulière à cette question pendant son étude du projet de loi.

Sur ce, je vais clore mon exposé, monsieur le président. Je vous remercie infiniment.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Cameron. Nous allons maintenant passer aux questions, et je vais commencer par donner la parole au vice-président de l'Alberta, le sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie tous les deux. Vos exposés étaient très instructifs, ils attestent de votre vaste expérience manifeste. Je pense que nous pouvons en apprendre beaucoup de tout cela.

Je vous invite tous les deux à répondre à cette question, mais je pense particulièrement aux observations de M. Cameron sur la relation entre le nouveau gouvernement, le gouvernement investi de nouvelles responsabilités, et les régions, un mot qui peut vouloir dire beaucoup de choses, mais je parlerai des « régions peuplées ».

Nous avons entendu la semaine dernière des représentants des Sahtus, des Gwich'ins et des Tlichos, qui se sont dits inquiets de perdre leurs offices régionaux respectifs des terres et des eaux ainsi que les offices d'examen créés au terme de leurs accords de revendications territoriales, dont les fonctions seront assumées par le superoffice ou seront soumises à son autorité. Je ne sais pas trop si vous comprenez la description que j'en fais. Le cas échéant, pouvez-vous nous dire comment cette relation va s'articuler pour l'examen des répercussions sur les terres et les eaux au Yukon et comment elle va influencer la structure adoptée dans les Territoires du Nord-Ouest?

M. Cameron : Oui. Je vous remercie de cette question, sénateur. C'est assez complexe. D'abord et avant tout, j'aimerais rappeler qu'il s'agit de deux régions différentes qui ont des histoires différentes pour ce qui est du règlement des revendications territoriales et de l'évolution du transfert de responsabilités.

Nous n'avons pas la même structure qu'en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie aux Territoires du Nord-Ouest. Au Yukon, le processus d'évaluation environnementale est prescrit par la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon, qui est également une loi fédérale. Elle tient compte de certaines complexités régionales dans le processus d'évaluation environnementale, qui justifient une certaine répartition des responsabilités, mais en même temps, elle n'accorde pas autant de pouvoir aux entités régionales que la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie.

D'après ce que je comprends, ce qu'on appelle le superoffice tiendrait compte du contexte en entier, concernant les revendications territoriales du Sahtu ou des Gwich'ins dans les Territoires du Nord-Ouest. Je suis sûr que les avocats fédéraux et territoriaux ont réalisé un examen très prudent pour savoir si ce qui se fait est constitutionnel et légal, en vertu de l'article 35 sur la protection issue des traités. Il semble que ces activités respectent la loi.

L'aspect juridique étant réglé, je pense que l'aspect politique permet de tenir compte des divers points de vue. Le premier ministre McLeod a accompli un travail remarquable en parlant avec bon nombre d'organisations régionales pour parvenir à des ententes sur la façon dont l'office va procéder, en ce qui a trait au développement dans une seule de ces régions.

Si j'ai bien compris, les compromis présentés dans le projet de loi et la nouvelle législation envisagée donnent une certaine souplesse quant à la façon de former les commissions d'examen et aux questions soumises au superoffice, mais qui ne s'appliquent qu'à une région en particulier.

Également sur le plan politique plutôt que juridique, le premier ministre a accepté d'établir un conseil intergouvernemental, si je me souviens bien du terme qu'il emploie. C'est un autre outil politique qui lui permet d'avoir des discussions continues avec toutes les parties intéressées dans la vallée du Mackenzie, que leurs revendications territoriales soient réglées ou non.

C'est un problème complexe, car la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie ne s'applique pas à la région désignée des Inuvialuits, qui ont signé un traité de revendications territoriales en 1984, si je ne m'abuse. La loi ne prévoit pas un genre de super structure pour tous les Territoires du Nord-Ouest. Par conséquent, la très grande région désignée des Inuvialuits, qui contient beaucoup de ressources, fait l'objet de divers règlements pour les Gwich'ins, le Sahtu et les Tlichos, mais pas pour le Dehcho. Il importe également de tenir compte des ententes avec les Métis et de certaines régions visées par le traité 8 qui ne veulent pas d'une revendication territoriale globale. On comprend vite que, face à un dédale aussi complexe, il devient très difficile de créer une seule entité, comme le propose M. McCrank, afin d'établir un processus qui permet de réaliser des progrès en matière de développement.

Je pense que le premier ministre a accompli un travail inestimable pour favoriser les discussions avec le plus de parties possible dans la région.

Le président : Monsieur Fentie, avez-vous un commentaire là-dessus?

M. Fentie : La meilleure réponse que je puisse donner, c'est qu'il faut comprendre que ces trois instruments doivent être fondamentalement souples. Le Yukon a rencontré des difficultés pour ce qui est des processus d'évaluation environnementale et de ses relations avec ce qu'on appelle le superoffice et les bureaux de districts. Je pense que nous pouvons mieux surmonter ces difficultés à l'aide de la réglementation qui appuie la loi, mais c'est un apprentissage qui se fait au fur et à mesure.

Je pense que l'expérience au Yukon montre que le transfert des responsabilités, ce processus et le superoffice vont aider à régler les problèmes qui pourraient survenir dans les Territoires du Nord-Ouest.

Enfin, je dois vous dire que les modes de gouvernance sont très différents. Dans les Territoires du Nord-Ouest, le gouvernement cherche le consensus, tandis que le Yukon est de nature partisane et politique. Je pense que l'accord-cadre définitif, qui établit comment les gouvernements autochtones et le gouvernement doivent interagir concernant les terres, les eaux et les ressources au Yukon, présente de grandes différences par rapport au type d'ententes conclues dans les Territoires du Nord-Ouest.

Les problèmes dans les Territoires du Nord-Ouest seront sans doute différents de ceux rencontrés au Yukon, mais nous pouvons en général les régler au cours de la mise en œuvre du transfert des responsabilités. N'oublions pas que les outils doivent être fondamentalement souples.

Le sénateur Patterson : Je remercie les témoins très bien renseignés qui nous font profiter de l'expérience du Yukon. Je suis content de vous voir, messieurs Fentie et Cameron. Selon moi, le Yukon a ouvert la voie concernant le transfert des responsabilités dans les Territoires du Nord-Ouest. J'espère qu'en temps et lieu, nous allons ensuite examiner la question du Nunavut. Les leçons que vous tirez de votre expérience sont très utiles.

J'aimerais poser des questions pratiques sur la mise en œuvre. Dans nos audiences, il a été question jusqu'ici de centralisation et de décentralisation. En passant, le terme « superoffice » me paraît péjoratif. Je présume qu'il convient de parler de décentralisation.

Lorsque vous avez procédé au transfert des responsabilités au Yukon, avez-vous songé au besoin d'avoir des fonctionnaires dans les régions? Je pense que vous avez parlé de bureaux de district. Pouvez-vous donner des précisions tous les deux sur l'importance de ces bureaux et les résultats qu'ils ont produits par rapport aux décisions qui viendraient exclusivement de Whitehorse?

M. Fentie : J'indiquerai brièvement, sénateur, que la question est selon moi prise en compte dans la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon et dans d'autres textes. Les relations ont toujours été difficiles entre les petites communautés éloignées et la communauté principale dans la capitale de Whitehorse, mais je pense qu'en général, notre expérience est positive. L'objectif consiste surtout à donner voix au chapitre aux communautés et aux régions plutôt qu'à décentraliser les pouvoirs. Il reste bien sûr bon nombre d'embûches à surmonter pour apporter des améliorations, mais dans bien des cas, il faut éviter que la gouvernance et les autres processus fassent double emploi.

Au Yukon, nous avons adopté une approche axée sur l'efficience, la rationalisation et l'efficacité des processus. Nous tirons des leçons, mais c'est une approche très positive pour toutes les parties.

Le président : Monsieur Cameron, avez-vous un commentaire?

M. Cameron : Merci de la question, sénateur. Au Yukon, le transfert des responsabilités ne prévoyait pas la décentralisation, contrairement aux revendications et au travail qui ont mené à la création du Nunavut et qui mettaient l'accent là-dessus. Je crois que l'entente sur le transfert des responsabilités du premier ministre McLeod se fonde aussi sur un modèle de décentralisation dans une certaine mesure.

Ce n'était pas le cas au Yukon. Des fonctionnaires ont été transférés de la rue principale à la deuxième avenue, mais aucune autre mesure concrète n'a été prise en dehors du territoire.

Je dirais que la décentralisation ou l'amélioration du programme régional ou communautaire découlait surtout de la mise en œuvre de la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon et de la mise sur pied des bureaux désignés. La décentralisation ne résulte pas du transfert des responsabilités au Yukon.

Bref, la décentralisation ne constituait pas la question principale durant les négociations sur l'accord de transfert d'attributions ou sa mise en œuvre.

Le sénateur Patterson : Si vous permettez, j'étais étonné d'apprendre que près de 100 p. 100 des fonctionnaires ont accepté de passer du fédéral aux Territoires du Nord-Ouest.

Sans vouloir être critique, je ne pense pas que les démarches ont été aussi faciles ou ont connu autant de succès au Yukon. Pourriez-vous décrire comment la question du transfert des fonctionnaires s'est réglée? Je ne pense pas qu'ils ont tous accepté. Quelles leçons pouvons-nous tirer de votre expérience?

M. Cameron : Oui, le taux d'acceptation du transfert par près de 100 p. 100 des fonctionnaires m'a renversé.

Un aspect majeur des négociations menant à la conclusion de l'entente sur le transfert des responsabilités consistait à régler la question des ressources humaines. Les employés transférés se voyaient offrir des conditions de travail très différentes. Il fallait établir à quels niveaux les postes fédéraux correspondaient au sein du gouvernement territorial. Bon nombre de discussions portaient là-dessus. C'est pourquoi j'ai été très surpris, en tant que sous-ministre responsable durant la conclusion de l'accord de transfert, que le taux d'acceptation s'élève à 70 ou à 75 p. 100. L'ancien premier ministre voudra peut-être apporter des précisions. Je ne sais pas si les chiffres sont exacts, mais je me suis dit que c'était excellent. À mon avis, 50 p. 100 représentaient une réussite.

Nous savions que des adaptations seraient nécessaires. C'est parfois positif d'apporter du sang neuf, mais je dirais que ces difficultés ont beaucoup contribué au succès de la mise en œuvre du transfert des responsabilités dans les Territoires du Nord-Ouest. Ces fonctionnaires s'inscrivent dans la continuité et comprennent comment les lois, les politiques et les cadres réglementaires s'agencent de nos jours. Ils apportent ces connaissances au nouveau gouvernement. C'est toute une réussite de faire venir ces gens.

M. Fentie : Merci de la question, sénateur.

M. Cameron a frappé dans le mille. La question du transfert des employés issus de la culture gouvernementale fédérale était très difficile à régler au Yukon.

C'est peut-être parce qu'il s'agissait du premier transfert des responsabilités à un territoire. À l'époque, les employés fédéraux étaient peut-être très hésitants à accepter leur transfert, parce que l'issue était incertaine.

Je pense que nous avons transféré quelque 200 employés. Les responsables comme MM. Cameron et Angus Robertson ont trouvé des façons de régler les questions soulevées par les employés fédéraux à l'époque. Je dirais avec l'expérience que la transition en douceur s'explique en grande partie par le transfert de nombreux employés fédéraux au Yukon. Je les remercie, car ils ont facilité la transition lorsque nous avons commencé à mettre en œuvre le transfert des responsabilités.

Au fond, le premier accord de transfert et sa mise en œuvre au Yukon ont sans doute rassuré quelque peu les employés qui ont fait la transition du fédéral au gouvernement territorial.

Le sénateur Wallace : Monsieur Fentie, vous avez dit à juste titre que le Yukon connaît une forte croissance économique depuis 2002. C'est bien sûr une excellente nouvelle. Si je comprends bien, le secteur privé a beaucoup investi au Yukon durant ce temps. Selon vous, dans quelle mesure les investissements accrus et la croissance économique s'expliquent-ils par le transfert des responsabilités qui s'est produit au Yukon en 2002?

M. Fentie : Bien sûr, nous ne pouvons pas dire que le transfert a soudain entraîné une forte croissance économique, des investissements privés, et cetera. Mais il est raisonnable de conclure que ce transfert et les processus décisionnels qui l'accompagnent ont beaucoup contribué au succès du Yukon. Avant le transfert des responsabilités de 2002, les investissements globaux dans l'exploration minière au Yukon restaient en deçà de 10 millions de dollars. En 2010, ils s'élevaient à plus de 400 millions de dollars. Le transfert des responsabilités y est pour quelque chose, mais la revendication territoriale a joué un rôle important.

Il faut comprendre que la synergie de ces deux accords a permis ces réalisations au Yukon. Je pense que le remplacement de l'ACEE par la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon a beaucoup aidé à accélérer notre prise de décisions, concernant les permis et les autres accès aux terres et aux ressources.

Nous pouvons apporter des améliorations, mais, d'après mon expérience de 2002 à 2011, je dirais que les décisions prises au Yukon plutôt qu'à Ottawa ont été très bénéfiques en général sur le plan économique, mais aussi sur les plans environnemental et social.

Le sénateur Wallace : Le transfert des responsabilités a-t-il amélioré les relations entre le gouvernement territorial et les communautés autochtones, selon vous?

M. Fentie : Je pense que ces relations ont d'abord été fermement établies par l'accord-cadre définitif. Il faut également savoir qu'au Yukon, les Premières Nations ont joué un rôle majeur au fil du temps dans l'élaboration de l'accord de transfert d'attributions. Le Yukon n'a pas transféré les responsabilités d'un seul coup, mais au fur et à mesure dans certains secteurs comme l'éducation, la santé et les services sociaux.

Nous avons entre autres connu beaucoup de succès concernant ce que j'appelle l'élaboration de régimes communs et la Loi sur le pétrole et le gaz du Yukon. Tous ces éléments font partie du processus global qui a permis d'améliorer les relations entre le gouvernement et les gouvernements autochtones. Il ne faut pas oublier que le Yukon possède un cadre très clair qui définit ces relations. C'est l'interprétation des accords et des objectifs liés aux relations qui peuvent poser des problèmes.

La sénatrice Ringuette : Messieurs Cameron et Fentie, merci beaucoup de vos exposés.

Monsieur Cameron, vous avez dit que la délimitation des frontières du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest dans la mer de Beaufort n'était pas réglée avant l'adoption de la Loi sur le Nunavut en 2003.

S'agit-il présentement d'une source de conflit entre le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement fédéral? Y a-t-il des discussions en cours à ce propos? Que pouvez-vous nous dire là-dessus? Vous avez commenté la question, et je suis d'accord que c'est une préoccupation potentielle. Où en sommes-nous?

M. Cameron : Merci de la question. Je ne pense pas que la délimitation constitue un litige majeur dans les Territoires du Nord-Ouest ou entre les gouvernements du Yukon. Le Yukon ne semble pas exercer des pressions pour conclure une entente non plus. Mon commentaire vise plutôt à renforcer la constitution et à parvenir à des règlements. Pourquoi ne pas y travailler, puisque ce projet de loi nous donnerait l'occasion de régler cette question qui demeure en suspens?

Nous n'avons pas réussi à régler la question lorsque nous travaillions sur la Loi sur le Nunavut. C'était au début des années 1990 avec le gouvernement fédéral, à l'époque par l'entremise d'Affaires indiennes et du Nord, alors que nous devions formuler la nouvelle loi. Nous n'avons pas réussi à régler la question non plus dans le cadre des discussions avec le Canada sur la Loi sur le Yukon en 2000-2002. Je propose d'essayer encore une fois. Je ne pense pas que ce soit un dossier très litigieux.

La sénatrice Ringuette : Monsieur Fentie, avez-vous des craintes à cet égard?

M. Fentie : Madame la sénatrice, je peux seulement ajouter que jamais durant mon mandat, de 2002 à 2011, nous n'avons eu de problème avec les Territoires du Nord-Ouest à ce sujet.

Le Yukon a cependant une entente avec le Canada pour l'élaboration conjointe de ce que j'appellerais un cadre de gestion de la zone extracôtière du Yukon. De façon générale, je ne pense pas que le Yukon fasse pression en ce sens. Je crois que c'est davantage une question de clarté. Ce serait profitable pour l'ensemble du Canada de définir clairement les frontières de la zone extracôtière du Yukon, surtout entre les Territoires du Nord-Ouest et l'Alaska, comme cela a été fait pour les frontières avec les provinces et les autres territoires.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Cameron, de vous joindre à nous.

Cette question soulève un autre point. En ce moment, les intérêts de chacun cadrent avec ceux des autres et tout le monde aime la direction qu'on prend, tout le monde veut en arriver là et la majorité des parties intéressées sont en faveur du projet, à quelques exceptions près.

Je m'interroge toutefois de ce que sera la situation dans quelques années. Quand les droits légitimes de chacun auront été définis, il y aura toutes sortes de différends découlant de l'interprétation de différentes choses. Quelles sont-elles? Que devrait-on savoir dès maintenant? Quels enjeux sont susceptibles d'entraîner des conflits importants et peut-être même être la cause de relations tendues? Y a-t-il des questions qui devraient nous inquiéter?

M. Cameron : Bien sûr. Ce sera les mêmes problèmes, les mêmes plaintes et les mêmes conflits que nous avons vus en Colombie-Britannique, en Alberta et partout au pays. Les différends tourneront davantage autour du développement des ressources, le projet Northern Gateway et la construction d'un pipeline de l'Alberta jusqu'à la côte Ouest. Le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut vont sans contredit devoir composer avec ces questions litigieuses, car il sera difficile de s'entendre sur les calendriers, l'orientation à suivre et le type de développement des ressources qui aura lieu plus tard au Canada.

La grande différence est que le gros du débat se jouera dans les régions qui seront les plus touchées par les décisions prises. C'est pourquoi je tiens tant au transfert des responsabilités aux trois territoires, parce que cela permet de détourner le débat. On peut ainsi s'éloigner d'Ottawa la lointaine, qui a d'autres chats à fouetter, pour remettre les rennes aux gouvernements locaux qui sont les plus touchés par les décisions prises. C'est dans ce contexte que le transfert des responsabilités est le plus utile, à mon avis.

Le sénateur Massicotte : Est-ce que les intérêts de chacun concordent avec ceux des autres suffisamment pour que tout le monde soit motivé à finalement arriver à une solution, ou est-ce l'impasse assurée?

M. Cameron : Comme je le disais, je pense que le premier ministre McLeod dirige de main de maître les discussions dans les Territoires du Nord-Ouest concernant la mise en œuvre du transfert des responsabilités. Il travaille d'arrache-pied pour que le tout puisse se concrétiser. Cela revient au dialogue politique, et il fait de l'excellent travail.

Je dirais que dans le contexte actuel entourant le bassin hydrographique Peel, c'est une question un peu délicate au Yukon, mais n'est-ce pas là la nature de la réalité politique de l'ensemble du pays? C'est dans l'issue de ce dialogue continu que vous trouverez réponse à votre question, selon les ressources en jeu.

Le sénateur Massicotte : Il n'y a donc rien que l'on puisse faire maintenant pour désamorcer les conflits potentiels? Il suffit de laisser aller les choses?

M. Cameron : Je dirais de leur laisser le champ libre, car ils vont trouver une solution par eux-mêmes, comme nous l'avons fait. M. Fentie le disait tout à l'heure, mais au Yukon, on a appris beaucoup de choses sur le terrain au cours des dix dernières années, même si tous les différends ne sont pas encore réglés.

Le président : Monsieur Fentie, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Fentie : Je vous répondrais, sénateur, que l'impasse dont vous parlez est plus susceptible de se produire si le pouvoir reste entre les mains du gouvernement fédéral.

Je pense qu'être maître de son domaine aide beaucoup à trouver des solutions lorsque des difficultés surviennent. Et cela va arriver. Quand les gens de l'endroit participent à la prise des décisions qui vont chambouler leur vie quotidienne, et lorsque les décisions se prennent dans leur région et non par une entité lointaine à Ottawa, ils sont beaucoup plus ouverts au processus. Nous l'avons vécu au Yukon. Nous avons éprouvé des difficultés, mais nous avons trouvé des moyens pour les surmonter et pensé à des solutions.

Cependant, d'après mon expérience, je peux vous dire que l'interprétation est souvent la source des conflits. Je crois que nous comprenons tous de quoi il s'agit; cela peut arriver n'importe où. Les tribunaux sont parfois appelés à définir clairement la question soumise pour en faciliter l'interprétation.

Le président : Merci, monsieur Fentie.

Le sénateur Patterson : J'aimerais que les témoins nous parlent de l'entente sur le partage des revenus tirés des ressources au Yukon. Le projet de loi propose le partage suivant : Ottawa et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest vont se partager les revenus 50-50, et les intervenants autochtones des Territoires du Nord-Ouest vont recevoir 25 p. 100 de la part du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

Pourriez-vous nous parler de l'évolution de cette entente sur le partage des revenus au Yukon? Je crois qu'il y a eu des changements depuis l'entente initiale. Cela pourrait être utile au comité d'en savoir plus.

M. Cameron : Je vais vous paraître impoli, mais je vous répondrais que cela m'importe peu. Les ententes financières sont des outils à court ou moyen terme pour aider à solidifier la capacité du gouvernement territorial de travailler avec les gouvernements autochtones, en vue de passer à l'action, de créer des entreprises et de façonner le développement à venir, de manière à ce que le rythme établi et la direction prise conviennent mieux aux Territoires du Nord-Ouest. Il en va de même pour le Yukon.

C'est une des raisons qui m'ont poussé à me présenter au conseil municipal de Whitehorse, parce qu'une très grande partie de l'économie du Yukon repose sur Whitehorse. Les mesures prises par Whitehorse seront décisives pour l'avenir du territoire, et c'est pareil pour les décisions concernant le développement en général.

Mon objectif ultime est de ne pas m'arrêter à la part prévue par l'entente de partage des revenus, parce qu'avec 50, 60 ou 70 p. 100 de notre PIB, on couvre les niveaux de programmes et de services qui engloutissent actuellement 70 p. 100 des transferts d'Ottawa.

C'est le but, ma vision des choses. Ces ententes techniques sont très utiles. Elles permettent d'établir un cadre financier qui peut aider le gouvernement territorial à aller de l'avant. Au Yukon, je ne sais pas si on a déjà atteint le plafond de 3 millions de dollars prévu par l'entente de partage des revenus en place. J'espère seulement qu'on y arrivera un jour et qu'on le dépassera largement, de façon à ce que cette formule ne soit plus nécessaire.

Le président : Monsieur Fentie, avez-vous un commentaire à formuler?

M. Fentie : Au Yukon, on peut dire qu'on a consacré beaucoup de temps et d'efforts à la négociation de cette entente fiscale sur le partage des revenus issus des ressources. Au bout du compte, le Yukon a décidé d'opter pour le transfert des responsabilités et de voir à cela en temps et lieu.

Il faut reconnaître que cette entente sur le partage des revenus n'est pas isolée de nos liens fiscaux avec le gouvernement fédéral. Si je dis ça, c'est parce que peu importe le pourcentage qu'on garde des revenus tirés du développement des ressources dans le Nord, le reste va au gouvernement fédéral, et c'est très bien comme ça. Nous le pensons tous.

J'ajoute que selon la formule de calcul actuelle, 70 p. 100 de revenus autonomes des territoires sont remis au Canada. M. Cameron y a fait allusion.

Ce sont les étapes à suivre pour donner plus d'autonomie au Nord, afin qu'il dépende moins des transferts d'Ottawa. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain avec la conclusion d'une entente sur le transfert des responsabilités. Il faudra du temps pour que les choses se placent et des changements vont s'imposer en cours de route.

Je me permets de noter également que l'entente sur le partage des revenus des Territoires du Nord-Ouest est meilleure que celle du Yukon. Il est possible que le Yukon demande plus tard au ministre fédéral d'établir ce que j'appellerais une « clause de nation équitable ». C'est cependant très complexe et cela demeure relié aux autres ententes fiscales conclues avec le gouvernement fédéral.

Le président : Merci, monsieur Fentie et monsieur Cameron. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps, malgré vos horaires chargés, de venir nous donner votre point de vue sur la question. Nous allons nous revoir. À bientôt.

Nous allons faire une courte pause avant de passer à notre prochain témoin, qui se joint à nous par vidéoconférence de Calgary. Nous devons donc nous installer. Merci encore, messieurs.

M. Fentie : Merci à vous.

Le président : Bienvenue à la deuxième partie de la séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-15, la loi sur le transfert des responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest. J'ai le grand plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Neil McCrank, c.r., qui se joint à nous par vidéoconférence de Calgary.

M. McCrank a été nommé représentant spécial par le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord dans le cadre de l'Initiative d'amélioration de la règlementation dans le Nord en 2007. En 2008, M. McCrank a publié son rapport final intitulé La voie de l'amélioration : Examen du régime de réglementation dans le Nord, qui proposait des solutions et des recommandations pour améliorer le régime de réglementation et faire progresser l'Initiative d'amélioration de la réglementation dans le Nord.

M. McCrank a une grande expérience à titre de négociateur et d'avocat. Il a notamment travaillé dans le secteur public en tant que sous-ministre adjoint à la Justice et sous-procureur général au ministère de la Justice de l'Alberta. Il a également été président de l'Alberta Energy and Utilities Board.

Merci d'être avec nous aujourd'hui, monsieur McCrank. Je crois que vous avez une déclaration liminaire à faire. Nous passerons ensuite aux questions. La parole est à vous, monsieur.

Neil McCrank, c.r., à titre personnel : Bonsoir, chers sénateurs, et bonsoir à tous ceux et celles présents dans la salle.

Merci de me donner l'occasion de m'adresser à vous ce soir. Je suis désolé de ne pas pouvoir être là en personne. La greffière Lynn Gordon et moi-même avons tenté de rendre la chose possible, mais je dois me contenter de la vidéoconférence, et j'espère que cela ira bien pour tout le monde. C'est un plaisir pour moi de me joindre à la discussion, et j'espère que je pourrai vous être utile pour l'étude de cette très importante initiative.

J'aimerais soulever quelques points brièvement. Vous avez déjà abordé quelques-uns d'entre eux, dont le fait que j'ai été nommé par le ministre Strahl en 2007 pour examiner les régimes de réglementation au nord du 60e et recommander certaines améliorations.

J'ai examiné les systèmes des trois territoires, mais je me suis concentré sur la vallée du Mackenzie dans les Territoires du Nord-Ouest. Pendant les quatre ou cinq mois de mon passage dans le Nord, j'ai eu plus d'une centaine de réunions avec différents groupes. J'ai rencontré des collectivités locales, des groupes autochtones et des signataires des accords de revendications territoriales. Les gouvernements fédéral et territoriaux, et bien sûr certains des organismes de réglementation visés, ont participé activement au processus.

Comme vous l'avez dit, j'ai remis mon rapport au ministre Strahl en juillet 2008. J'en ai un exemplaire; je présume que vous l'avez aussi et que vous avez pu le lire, sauf faute de temps.

Je dois noter qu'avant de conclure mon rapport, j'ai organisé une table ronde en mars 2008 à l'hôtel Explorer, à Yellowknife. Une centaine de personnes y ont pris part pour discuter des commentaires qui m'avaient été formulés et des idées proposées. Toutes les parties concernées par la question avaient été invitées. Elles n'étaient pas toutes présentes, mais celles qui y étaient ont toutes énoncé clairement leur opinion sur ce qui devrait être fait. J'espère que mon rapport reflète bien le savoir collectif de tous ceux qui ont participé à la table ronde.

Je ne m'éterniserai pas là-dessus, mais une série de recommandations ont été formulées sur les trois régions. La plupart des recommandations avaient déjà été faites, sous différentes formes, dans des rapports précédents sur les collectivités du Nord. Certaines avaient été mises en œuvre en partie et d'autres pas du tout, et j'ai cru qu'il serait bon de les revoir.

Il y a par exemple le Bureau de gestion des grands projets pour le Nord. Il en existe un aussi pour la partie sud du Canada, qui aide l'industrie et le public à comprendre le processus de présentation d'une demande. Un bureau semblable a donc été ouvert dans le Nord.

Mes principales recommandations portaient sur la restructuration du régime de réglementation, et c'est probablement là-dessus que vous souhaitez m'interroger. Nous allons entrer dans les détails dans quelques instants, mais je note d'abord que j'ai voulu suivre deux grands thèmes dans mes recommandations. Le premier, qui est important d'ailleurs, est l'absolue nécessité d'assurer la participation des collectivités locales au processus décisionnel concernant le développement des ressources. Cela s'inscrit dans la théorie de cogestion découlant des traités, et j'ai voulu suivre ce principe dans mes recommandations.

Le deuxième thème était le besoin et la volonté d'assurer le développement des ressources de manière responsable et ordonnée dans le Nord. Ces décisions doivent être prises dans le respect des intérêts de l'ensemble de la population du Canada.

Suivant le dépôt de mon rapport, je n'ai pas du tout contribué au dossier, sauf en juillet 2009, où j'ai témoigné devant le Comité des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes. J'ai comparu de nouveau et présenté un mémoire devant ce même comité la semaine dernière, à Yellowknife. Je m'intéresse évidemment toujours à la question et j'ai lu les délibérations de votre comité et du comité de la Chambre des communes, et j'ai suivi l'évolution du dossier au cours des quatre ou cinq dernières années.

Je vous remercie, honorables sénateurs. C'étaient là mes remarques préliminaires.

Le président : Merci beaucoup, monsieur McCrank. Nous allons maintenant passer aux questions en débutant avec notre vice-président, le sénateur Mitchell.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, monsieur McCrank. Je crois que nos chemins se sont croisés alors que je siégeais au sein de la législature albertaine. Je me réjouis de vous revoir et je vous remercie de votre contribution à notre étude.

M. McCrank : Je pense que nous nous sommes effectivement croisés, et je suis heureux de pouvoir vous parler à nouveau.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais traiter du concept de « superoffice ». Comme l'a fait valoir le sénateur Patterson, j'estime que cette appellation n'est pas très bien choisie, mais je crois que nous nous intéressons tous à la relation entre ce superoffice des terres et des eaux et les offices actuellement en place — mais pas pour longtemps suivant le régime proposé — en vertu des accords sur les revendications territoriales.

J'aimerais d'abord savoir comment ce projet de loi pourrait avoir préséance sur une revendication territoriale. Pensez-vous que ce serait une bonne idée de conserver des offices régionaux, ou tout au moins des instances subalternes qui relèveraient du superoffice?

M. McCrank : Il y a bien des façons de répondre à cette question. Il faut d'abord se demander si l'instance réglementaire qui résulterait de l'adoption du projet de loi C-15 et des modifications suggérées serait plus efficace. Je répondrais à cette question par l'affirmative.

Quant à savoir quelles seraient les incidences du point de vue juridique, je ne vais pas m'aventurer à répondre si ce n'est pour vous dire que j'ai indiqué bien clairement dans mon rapport que tout changement envisagé ne devra être apporté qu'à l'issue de vastes consultations auprès des collectivités autochtones si on ne veut pas avoir l'air d'outrepasser les droits issus des traités.

C'est moi qui ai enclenché le processus et c'est exactement ce que je voulais dire en mentionnant tout à l'heure la discussion en table ronde qui nous a permis d'examiner ces notions. En participant à ces échanges, les collectivités autochtones ont pu bien saisir le concept. Certaines d'entre elles, mais pas la totalité, étaient tout à fait favorables à ce que des changements soit apportés au régime réglementaire, y compris l'amalgamation, la fusion, le démantèlement, appelez ça comme vous voulez, des offices régionaux actuels pour ne constituer qu'un grand office des terres et des eaux.

Il ne faut pas oublier qu'il y a actuellement trois offices, plus celui de la vallée du Mackenzie qui s'occupe des régions non régies par un traité. Si un règlement intervient pour ces régions, comme ce sera effectivement le cas, on se retrouvera avec au moins deux ou trois offices supplémentaires pour s'occuper des terres et des eaux. Cela donnerait un nombre considérable de tels offices dans une région d'une grande superficie qui est toutefois faiblement peuplée.

Ce n'est pas moi qui vais trancher à ce sujet, mais je ne pense pas que l'on dérogera aux traités. J'estime qu'il faudra travailler avec les collectivités autochtones pour trouver la solution.

Est-ce que le concept d'un superoffice avec représentation des régions fonctionnera? Je pense que oui. J'estime qu'on sera en mesure de trouver plus facilement des personnes qualifiées pour faire partie de ce superoffice.

Je fais notamment valoir dans mon rapport qu'il devient difficile de combler tous ces postes au sein de la multitude d'instances régionales qui existent en misant sur tout le professionnalisme voulu — et je ne parle pas nécessairement d'avocats et d'ingénieurs. En fusionnant tous ces offices, on améliore nos chances de pouvoir les doter de gens qualifiés tout en maintenant une représentation régionale, si je comprends bien l'esprit du projet de loi C-15.

Le sénateur Black : Monsieur le président, je peux vous dire que mon ami Neil McCrank est l'un des plus grands serviteurs de la cause publique que l'Alberta ait connus au cours de la dernière génération. J'ai toujours eu d'excellentes relations personnelles et professionnelles avec lui. Je suis très heureux de vous revoir et je vous remercie de l'excellent travail que vous avez accompli.

Monsieur McCrank, si j'ai bien compris votre rapport, vous recommandez essentiellement deux approches possibles. L'une d'elles, celle qui est mise en valeur actuellement, vise la constitution d'un office unique. L'autre option proposée, que j'ai trouvée fort intéressante, verrait les fonctions administratives être confiées aux instances régionales en place qui alimenteraient le superoffice — puisque c'est comme ça qu'il faut malheureusement l'appeler — aux fins d'un processus de décision et d'appel.

Pouvez-vous nous dire pour quelle raison la seconde approche n'a pas été adoptée?

M. McCrank : Sénateur Black, je tiens d'abord et avant tout à vous remercier pour vos bons mots. Ce fut toujours un plaisir de travailler avec vous. Nous avons participé tous les deux à de nombreux événements au cours des derniers mois, mais vous êtes si populaire que je n'ai pas eu la chance de vous parler. Je suis bien content de vous revoir aujourd'hui.

Nos deux recommandations ont été formulées en parallèle à l'issue de discussions approfondies avec les collectivités nordiques, dont certaines s'inquiétaient du fait qu'elles seraient totalement exclues du processus décisionnel si l'on créait un superoffice.

D'après mon interprétation du projet de loi C-15, on devrait s'efforcer d'avoir une représentation régionale au sein du superoffice en plus de miser sur un réseau de bureaux assurant une présence locale.

J'y vois dans une certaine mesure l'adoption de la deuxième approche que nous proposons. À mon sens, cette deuxième option est un peu la version diluée de l'autre. Nous l'avons formulée afin d'offrir une solution de repli au gouvernement si jamais l'opposition locale à la création d'un superoffice était vraiment très marquée.

Comme je le disais, même avec l'adoption de la seconde approche, on se retrouverait éventuellement à mettre en œuvre l'option 1 en établissant un superoffice qui s'occuperait certes de toutes les questions quasi judiciaires et sans doute de la majorité des décisions à prendre. C'était donc en quelque sorte un compromis que nous souhaitions proposer au cas où cela serait nécessaire.

Le sénateur Black : Au cours des 10 derniers jours, nous avons entendu de nombreux témoignages de collectivités des Premières Nations qui semblent vraiment mécontentes. Elles estiment que le nouveau modèle fera en sorte qu'elles ne seront plus consultées, une forme d'exclusion que votre seconde recommandation essaie d'éviter. Qu'en pensez-vous?

M. McCrank : C'est une préoccupation importante qui est clairement ressortie de mes consultations.

J'y ai répondu sans nécessairement obtenir l'assentiment de toutes les collectivités. Selon moi, la contribution des entités locales peut intervenir à divers moments dans le processus de mise en valeur des ressources, et c'est à l'étape de l'aménagement du territoire que la possibilité de participer à la prise de décisions prend toute son importance pour les instances locales. Lorsque vient le temps de déterminer si un projet de développement devrait aller de l'avant dans une région, je conviens assurément que ce sont les gens qui vivent sur place qui devraient avoir le dernier mot. Et s'ils en viennent à décider d'exclure la totalité des Territoires du Nord-Ouest des activités de développement, cela demeure leur droit le plus strict.

Mais une fois que les responsables de l'aménagement du territoire ont convenu, de concert avec les collectivités concernées, d'autoriser un projet de développement dans une région, le régime réglementaire qui doit intervenir n'a rien à voir avec la simple contribution politique des instances locales. On doit alors avoir recours à des professionnels possédant une compréhension et une connaissance approfondies des différents enjeux liés à l'économie, à l'environnement, à la société, au génie et à la sécurité publique.

Je pourrais vous donner l'exemple d'un puits de gaz sulfureux en Alberta, car le sénateur Black et moi-même savons pertinemment que les projets de ce genre exigent une approche professionnelle pour s'assurer que, tout bien considéré, la sécurité des gens n'est pas mise en péril. Selon moi, c'est à ce chapitre que l'organisme de réglementation peut apporter une valeur ajoutée au processus. Les intervenants locaux doivent se prononcer dès le départ lorsqu'il s'agit de déterminer si on va aller de l'avant ou non. En fait, la structure proposée prévoyant la présence de représentants régionaux au sein du superoffice ou tout au moins d'un membre de chacun des offices existants, permettra une plus grande participation locale au processus.

Le sénateur Black : Merci, monsieur McCrank. J'espère avoir l'occasion de vous voir bientôt à Calgary.

M. McCrank : Merci, sénateur Black. Moi pareillement.

Le sénateur Massicotte : Merci d'être des nôtres. J'aimerais préciser quelque chose de façon à ce que nous comprenions tous bien, notamment quant à vos réponses au sénateur Black. Vous avez un peu laissé entendre au départ que vos recommandations ont fait l'unanimité, mais j'ai l'impression que ce n'est pas le cas. Les personnes consultées n'ont pas donné leur assentiment à la création d'un superoffice, mais vous avez fait fi de leur point de vue, sans doute pour d'excellentes raisons, en maintenant votre recommandation. Étaient-ils d'accord ou non, et vous ont-ils fait changer d'idée?

M. McCrank : Sénateur Massicotte, certains étaient d'accord et d'autres pas. Je ne peux pas vous dire qu'il y a eu consensus sur toutes les questions dont nous avons discuté en table ronde. Lors des rencontres privées que j'ai tenues avec certains groupes autochtones, on m'a notamment indiqué que, compte tenu de la situation du régime réglementaire en place, il fallait se préparer à livrer bataille sans relâche et sans merci.

On a donc pu se mettre d'accord sur certains points. Je ne dis pas qu'il y a eu consensus sur quelque question que ce soit. Sauf peut-être que tous s'entendaient pour dire que le ministre devrait procéder plus rapidement aux nominations nécessaires. Sinon, pour ce qui est des questions plus litigieuses comme celle de la restructuration, j'ai eu l'impression que la majorité convenait que c'était nécessaire, mais ce n'était pas une opinion unanime, si c'est ce que vous vouliez savoir.

Le sénateur Massicotte : Qu'en est-il du concept de superoffice? Est-ce que les opposants se sont exprimés? Pensez-vous plutôt que ce concept a fait consensus?

M. McCrank : J'estime que tous convenaient de la nécessité d'un changement en vue d'instaurer un régime plus efficace. À ce titre, le superoffice, si on veut l'appeler ainsi, ou un office unique, comme celui des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie, semblait nettement faire partie des solutions envisagées. Je ne me souviens pas que quelqu'un ait exprimé des réserves importantes par rapport à ce concept. On se demandait surtout si les intervenants locaux pourraient encore participer à la prise de décisions, et c'est de cet aspect que l'on a débattu.

Le sénateur Massicotte : Ces gens-là croient que les changements proposés vont aller à l'encontre de l'esprit des revendications territoriales. À ce titre, on pourrait toujours discuter de certains paragraphes. Ils soutiennent que ce n'était pas l'objectif visé par les revendications territoriales. Comment réagissez-vous à ces commentaires?

M. McCrank : Comme je le disais au sénateur Black, je crois que le concept de cogestion, qui est assurément l'esprit qui se dégage des accords de règlement des revendications territoriales, peut se concrétiser de bien des manières, et notamment via une participation directe au processus d'aménagement du territoire.

Quant aux régimes réglementaires à mettre en place par la suite, il y a échange entre le gouvernement et les collectivités autochtones aux fins de la dotation des postes à combler, ce qui permet à mon avis de respecter l'esprit des accords conclus.

Le sénateur Patterson : Merci. Je suis très heureux que nous ayons l'occasion d'entendre M. McCrank. Il nous a parlé de sa recommandation en faveur de la création d'un bureau de gestion des projets pour le Nord, et je tiens à l'en féliciter, car je crois que cela donne de bons résultats.

Il a également recommandé l'adoption de la Loi sur l'aménagement du territoire et l'évaluation des projets au Nunavut et, comme les membres du comité le savent très bien, c'est déjà chose faite. Vous avez donc formulé des recommandations très importantes dans ce rapport, et je vous en remercie.

J'aurais un commentaire au sujet des accords de règlement des revendications territoriales. Malgré tout le respect que je dois au sénateur Mitchell, je pense que l'on fait fausse route en affirmant que la loi peut avoir préséance sur ces accords. Dans les ententes conclues avec les Gwich'ins, les Sahtus et les Tlichos, on retrouve des dispositions autorisant très clairement la création d'un office unique. On y fait également référence aux consultations. Je ne crois donc pas que l'on puisse laisser entendre que ce projet de loi — et je suppose dans une certaine mesure le rapport de M. McCrank — a préséance sur les accords de règlement des revendications territoriales.

Mes collègues vous ont interrogé au sujet de votre recommandation visant essentiellement la création d'un office unique, et je ne vais pas revenir sur cette question. Compte tenu des préoccupations exprimées par les gouvernements autochtones qui estiment qu'ils devraient avoir voix au chapitre dans leur région, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez d'un amendement apporté au projet de loi pour permettre la mise sur pied de groupes régionaux lorsqu'un projet de développement va de l'avant dans la zone visée par le règlement, avec la participation à l'intérieur de ce groupe du représentant régional au sein de l'office unique. J'essaie d'éviter le terme « superoffice ».

Pensez-vous que cette disposition pourrait atténuer dans une certaine mesure les inquiétudes que vous ont certes exprimées les gouvernements autochtones quant à la perte de leurs offices régionaux?

M. McCrank : Sénateur Patterson, je veux d'abord vous remercier pour vos commentaires concernant le Bureau de gestion des grands projets et la loi sur l'aménagement au Nunavut. J'ai joué un rôle dans ces deux dossiers et je me réjouis des résultats.

Quant à la possibilité de former des groupes régionaux, je ne pense pas que ce sera vraiment problématique dans le contexte de la mise en place d'un superoffice, si vous me permettez l'expression.

Selon ma propre expérience à la présidence d'un organisme de réglementation, différents groupes spéciaux peuvent être formés dans le cadre de la gestion courante d'un tel organisme. On peut parfois avoir besoin d'un groupe qui ne comprend que des ingénieurs. En d'autres occasions, c'est un agriculteur qu'on souhaite y retrouver — je pense à l'Alberta — ou encore un médecin ou un vétérinaire. Si cet amendement est adopté et permet à l'autorité réglementaire d'établir des groupes régionaux de la sorte, je pense que cela ne minera en rien le concept d'une instance plus centralisée.

Il y a un revers à cette médaille. Si l'on en revient à la situation actuelle et que toutes les demandes touchant par exemple la région des Tlichos sont confiées à un groupe comptant uniquement des résidents de cette région, j'estime que l'on n'atteindrait pas l'objectif de mettre en place un régime réglementaire misant sur les capacités nécessaires à une bonne prise de décisions de façon uniforme, claire et compréhensible.

Bien que je ne crois pas que l'amendement puisse nous empêcher d'atteindre l'objectif visé, j'estime que sa mise en œuvre exigerait une gestion rigoureuse.

Le sénateur Patterson : Monsieur McCrank, vous n'ignorez pas qu'il était question d'une revendication territoriale globale des Dénés et des Métis pour toute la vallée du Mackenzie. Une entente de principe à cet effet a été conclue et signée avec le gouvernement fédéral dans les années 1990, mais n'a malheureusement jamais été entérinée ou ratifiée par la suite. Nous nous sommes donc retrouvés avec des revendications territoriales régionales tout le long de la vallée, et vous nous avez parlé de trois d'entre elles qui ont été réglées dans des régions qui ont leurs propres offices pour l'instant.

Vous avez ajouté que des ententes semblables seront inévitablement conclues avec les Métis, les Dehchos, les Akaitchos et peut-être d'autres groupes. Je crois d'ailleurs que notre comité va entendre les témoignages des représentants de certaines de ces autres régions dont les revendications territoriales n'ont pas encore été réglées. Dans le cadre de votre travail, vous semblez avoir envisagé le jour où il faudra ajouter au moins deux, trois ou quatre offices régionaux.

Je ne sais pas si vous pourriez nous en dire plus long. Ce projet de loi fait en sorte que cela ne pourra pas se produire. Vous préconisiez la clarté et la simplicité de même qu'une utilisation plus efficiente des ressources financières et administratives. Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure vous croyez que ces objectifs d'efficience pourraient être atteints si jamais aucun changement n'était apporté?

M. McCrank : Sénateur Patterson, il apparaît bien évident que le temps que vous avez passé dans le Nord et à titre de premier ministre des Territoires du Nord-Ouest vous a permis d'acquérir une connaissance approfondie de cette région. Vous avez ainsi pu saisir exactement ce que j'essayais d'anticiper en recommandant la création d'un office unique.

Si nous n'en avions que trois, peut-être pourrait-on s'en accommoder avec le temps. Je crois cependant qu'il y aurait tout de même un bon nombre de plaintes d'utilisateurs qui trouveraient le système trop complexe, parce qu'il faut passer d'une instance à une autre et les régimes réglementaires ne sont pas les mêmes.

Mais vous avez raison. J'ai rencontré les représentants des Akaitchos. Je n'ai pas pu le faire avec ceux des Dehchos, car nos horaires ne concordaient pas. Nous prévoyions plusieurs rencontres de la sorte, mais cela n'a pas été possible avec eux, pas plus qu'avec les Métis du Nord.

Un certain nombre d'autres offices des terres et des eaux pourraient s'ajouter au tableau. J'ai indiqué qu'il pourrait y en avoir jusqu'à quatre, ce qui est sans doute une estimation valable. Cela en ferait sept en tout, ce qui donne un régime réglementaire extrêmement complexe pour les utilisateurs. Il est également difficile de trouver suffisamment de gens qualifiés pour accomplir au sein de tous ces offices le travail que les Canadiens attendent de leurs instances réglementaires. On a besoin de gens ayant une très bonne connaissance des enjeux.

Comme vous le disiez, c'est un peu ce que j'essayais d'anticiper avec ma recommandation. C'est une connaissance approfondie que vous avez acquise au fil de plusieurs décennies. Ce n'était toutefois pas mon cas jusqu'à ce que je rencontre ces groupes en 2008. Ils m'ont transmis ces éléments de connaissance pendant les quatre ou cinq mois que j'ai passés là-bas, notamment dans le cadre de la table ronde. Nous avons alors discuté de tous ces enjeux. Nous n'étions pas toujours du même avis, mais tous étaient certes bien conscients qu'il y avait des problèmes à régler.

Le sénateur Wallace : Monsieur McCrank, dans le cadre de la préparation de votre rapport, vous avez indiqué avoir mené de vastes consultations auprès de groupes autochtones et, j'en suis persuadé, de bien d'autres intervenants dans les Territoires du Nord-Ouest. Avez-vous parlé directement aux promoteurs et investisseurs du secteur privé pour savoir ce qu'ils pensaient du régime réglementaire en place et dans quelle mesure ce régime pouvait influer sur leurs décisions en matière de développement ou d'investissement?

M. McCrank : Absolument. J'ai rencontré de nombreux représentants de l'industrie, notamment du secteur minier et de l'association minière, dans les Territoires du Nord-Ouest. J'en ai fait autant, soit dit en passant, au Yukon et au Nunavut. J'ai également rencontré des gens des secteurs pétrolier et gazier, dont je connais la plupart, à Calgary et à Edmonton.

J'ai participé à diverses conférences organisées par l'association minière à Toronto et à Vancouver. J'ai pris connaissance de leurs préoccupations au sujet du système de réglementation dans le Nord. Pour être honnête, je ne dirais pas qu'ils avaient des histoires d'horreur, mais presque. Je m'en suis souvenu la semaine dernière quand je suis allé à Yellowknife pour discuter d'une mine située à la frontière entre le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. On se demandait comment le processus de demande se déroulerait. D'après ce qu'on m'a dit, on a renoncé au processus du côté des Territoires du Nord-Ouest, mais on est allé jusqu'au bout du côté du Yukon. Cette mine est maintenant exploitée.

Par conséquent, oui, j'ai rencontré de nombreux représentants de l'industrie qui trouvaient les choses particulièrement complexes.

Selon ce que j'ai vu, les grandes entreprises qui disposent de beaucoup de ressources peuvent travailler avec n'importe quel système de réglementation, n'importe où, sans problème. Ce sont plutôt les organisations plus récentes qui doivent se tourner ailleurs, car elles n'ont pas les moyens de travailler avec le système de réglementation.

Le sénateur Wallace : C'est intéressant, parce que mis à part vous et le sénateur Patterson qui connaissez bien les projets d'exploitation en cours dans le Nord, la majorité d'entre nous avons tendance à seulement penser aux gros promoteurs. Toutefois, comme vous l'avez souligné, on retrouve également des petites et moyennes entreprises pour lesquelles il pourrait être assez problématique de s'y retrouver dans les dédales de la réglementation.

M. McCrank : À un moment donné, je me suis rendu sur un site de forage au diamant dans le cadre d'un petit projet au nord de Yellowknife. On m'a expliqué le processus par lequel on avait dû passer pour obtenir ce site de forage qui, à ce moment-là, en était seulement à la phase exploratoire. C'est un long processus.

Permettez-moi d'aborder un autre aspect que je n'ai pas traité dans mon rapport. Au Nunavut, une entreprise importante a proposé un projet. Les responsables m'ont expliqué toutes les étapes qui devaient être franchies pour en arriver au produit final, et cela représentait 14 ans, du début à la fin. Je n'en ai pas parlé dans mon rapport — et je considère que leurs propos sont néanmoins véridiques —, ni à aucun organisme de réglementation ou groupe environnemental, parce que je n'avais pas suffisamment de détails. Je soupçonne qu'il y avait des chevauchements, mais il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un processus qui s'échelonne sur plusieurs années. J'ai cru comprendre qu'on avait abandonné le projet.

Le président : Merci, monsieur McCrank; vous nous avez été d'une aide précieuse. C'est ce qui met fin à notre période de questions. Je vous suis reconnaissant de l'excellent témoignage que vous nous avez donné aujourd'hui ainsi que des questions et réponses qui en ont découlé. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous, malgré votre horaire chargé. Passez une belle soirée.

M. McCrank : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs, de m'avoir donné cette occasion de m'entretenir avec vous.

(La séance est levée.)


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