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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule 2 - Témoignages du 26 novembre 2013 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le mardi 26 novembre 2013

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui, à 14 h 19, pour examiner la teneur du projet de loi C-4, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures. (Sujet : Le crédit d'impôt fédéral relatif à une société à capital de risque de travailleurs.)

Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Français]

Honorables sénateurs et sénatrices, nous allons poursuivre cet après-midi notre étude de la teneur du projet de loi C- 4, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures.

[Traduction]

C'est notre huitième réunion sur les dispositions du projet de loi C-4 qui portent sur cette question. Cet après-midi, nous allons discuter de l'élimination progressive du crédit d'impôt fédéral relatif à une société à capital de risque de travailleurs. Il en est question dans la partie 1 du projet de loi, aux articles 59, 73, 80, 81 et 113. J'invite nos témoins à prendre note de ces numéros et à indiquer celui auquel ils font allusion lorsqu'ils traitent d'un article en particulier, que ce soit le 59, le 80, le 81 ou le 113. Excusez-moi, j'oublie le 73.

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Peter van der Velden, président de l'Association canadienne de capital de risque et d'investissement, qui a son siège à Ottawa, n'est-ce pas?

Peter van der Velden, président, Association canadienne de capital de risque et d'investissement : C'est exact.

Le président : Il va témoigner par vidéoconférence, et tout notre équipement est prêt.

Nous accueillons également Léopold Beaulieu, président-directeur général de Fondaction CSN, et Geneviève Morin, chef de l'investissement.

Je crois que c'est M. van der Velden qui va commencer; il sera suivi de M. Beaulieu et de Mme Morin.

Monsieur van der Velden, vous avez la parole.

M. van der Velden : Bonjour, mesdames et messieurs, merci de m'inviter à comparaître devant votre comité.

J'ai fait toute ma carrière dans le secteur canadien de l'innovation, comme entrepreneur, comme directeur et comme investisseur. En plus de mes fonctions de président de l'Association canadienne de capital de risque et d'investissement, je suis partenaire du cabinet Lumira Capital, qui est la plus grande société d'investissement dans les sciences de la vie et le secteur médicotechnique à avoir son siège au Canada. À l'heure actuelle, nous gérons trois fonds, dont deux nouveaux, et nous sommes le premier fonds canadien à avoir atteint notre limite de capital provenant du Plan d'action pour le capital de risque. Nous l'avons atteinte le mois dernier.

Permettez-moi de vous dire pour commencer que notre association approuve entièrement le Plan d'action pour le capital de risque, car nous pensons que c'est une initiative très importante. Parallèlement, nous estimons que ce n'est pas le moment de risquer de compromettre l'un des piliers de l'écosystème du capital de risque, lequel écosystème reste fragile malgré une amélioration. À notre avis, l'existence d'un écosystème domestique dynamique — et j'insiste sur le mot « domestique » — est cruciale si l'on veut préparer la transition vers l'économie de la prochaine génération, stimuler l'innovation au Canada, encourager la création d'emplois, accélérer la croissance des entreprises et créer de la richesse pour tous les Canadiens.

Je vais vous expliquer pourquoi je parle d'« amélioration ». Le taux de rendement du capital de risque s'est amélioré pour chacune des trois dernières années. En 2012, les investissements dans le capital de risque ont atteint 1,5 milliard de dollars, leur plus haut niveau depuis cinq ans. Depuis novembre 2012 jusqu'à aujourd'hui, ils se situent à 1,4 milliard de dollars, et nous allons donc certainement battre le record de l'an dernier. En 2013, cette année, donc, c'est une société basée au Canada qui a recueilli le volume le plus important de capital de risque jamais atteint par une société canadienne : 170 millions de dollars en un seul cycle de financement.

Sénateurs, 2012 a été une année record au chapitre de la formation de nouveaux fonds, avec 1,8 milliard de capitaux recueillis, ce qui nous amène, pour la première fois depuis longtemps, pratiquement à égalité avec nos homologues américains — un ratio de 1 sur 10. Maintenant que le gouvernement fédéral a annoncé son Plan d'action pour le capital de risque, tous les clignotants sont au vert.

Pourquoi ai-je dit « fragile » tout à l'heure? Parce que malgré des taux de rendement à la hausse, la mise à l'écart des gestionnaires incompétents et un manque évident de capitaux, dont je parlerai tout à l'heure, les investisseurs traditionnels de capital de risque au Canada, principalement les fonds de pension, à une ou deux exceptions près, se trouvent plus ou moins à l'extérieur de l'écosystème. Cela pose de sérieux problèmes aux gestionnaires privés. Il est pratiquement impossible d'obtenir des renouvellements de contrat ou des réengagements, et quand on essaye de recueillir des capitaux sur les marchés internationaux, la première question qu'on nous pose est la suivante : quels sont vos appuis sur le marché domestique?

Même si 2013 est une année record pour ce qui est des nouveaux investissements, il faut savoir que 40 p. 100 de ces capitaux appartiennent à des investisseurs des États-Unis et d'autres pays. Ça démontre au moins une chose : qu'il existe un important déficit de financement domestique, et qu'il n'y a certainement plus de risques d'éviction, si ces risques ont jamais existé.

De plus, nous avons assisté à une vive reprise de l'écosystème du capital de risque, suite à la création d'un certain nombre de « fonds de fonds ». Malheureusement, la plupart de ces fonds ont déployé la totalité de leurs capitaux, si bien que le milliard de dollars qui a été déployé au cours des quatre dernières années est maintenant à l'extérieur de l'écosystème.

Finalement, au chapitre de la formation de fonds, après une année record en 2012, le chiffre pour cette année n'est pour le moment que de 780 millions de dollars, y compris tous les fonds privés indépendants et de détail, soit 40 p. 100 de moins que l'an dernier. À ce niveau de financement, nous sommes à environ 50 p. 100 du chiffre de 1,5 milliard de dollars dont je parlais tout à l'heure. Ce qui est inquiétant c'est que, sur ces 780 millions de dollars, il y en a 361, soit près de la moitié, qui viennent de fonds d'investissement de travailleurs, c'est-à-dire les fonds dont le gouvernement propose de modifier la fiscalité.

Je vais maintenant vous parler plus précisément des fonds d'investissement de travailleurs. Les FIT établis au Québec ont été, en 2007 et 2008, parmi les tout premiers fonds du pays à reconnaître l'existence d'un déficit de financement du CR et à prendre des mesures en conséquence. C'est ainsi qu'ils ont créé un nouveau « fonds de fonds » appelé Teralys Capital, dont ils étaient l'investisseur de référence. Ce modèle a été repris dans beaucoup d'autres provinces : en Ontario, en Alberta, en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique.

Les FIT québécois ont été et continuent de compter parmi les rares exemples de renouvellements de contrats ou de réengagements, même pour un cabinet prospère comme le mien. Lorsque nous avons voulu recueillir de nouveaux capitaux, sur les dizaines de commanditaires que nous avions dans notre fonds, nos deux FIT étaient les deux seuls investisseurs encore actifs dans l'écosystème du capital de risque. Tous les autres investisseurs de fonds de pension qui étaient chez nous ne prenaient plus d'engagements de capital de risque. Nous n'aurions jamais réussi à recueillir 170 millions de dollars, comme nous avons réussi à le faire, sans la participation massive du Fonds de solidarité FTQ.

Les FIT québécois ont aussi, par l'entremise directe et indirecte du « fonds de fonds », joué un rôle important, non seulement à titre d'investisseurs de référence sur le marché général, mais aussi en investissant dans des fonds privés indépendants. En fait, ils ont investi non seulement au Québec mais dans l'ensemble du pays — dans des fonds comme Vantage, Celtic House Venture Partners et nous-mêmes, qui ont tous leur siège en dehors du Québec.

Dans les marchés secondaires comme la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse, les FIT continuent de jouer un rôle important dans l'écosystème local, et leur disparition aurait indéniablement un impact sur le déploiement du capital de risque dans ces marchés.

Enfin, notre association est inquiète parce que nous risquons de voir disparaître de l'écosystème 400 millions de dollars de capital de risque, à un moment où nous ne pouvons pas nous le permettre.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur Beaulieu.

[Français]

Léopold Beaulieu, président-directeur général, Fondaction CSN : Merci. Je suis accompagné de Geneviève Morin qui va, à la période des questions, tenter avec moi de répondre aux questions des membres du comité. Merci de nous avoir invités.

Fondaction a sous gestion plus d'un milliard de dollars; c'est au-delà de 120 000 actionnaires et la majorité des actionnaires de Fondaction sont des petits et moyens épargnants. Le revenu moyen est de 48 000 $ par année.

Fondaction est la première institution financière au Québec à avoir atteint le niveau A+ pour son rapport de développement durable, de la Global Reporting Initiative, et qui fait état de sa gouvernance et de son fonctionnement.

Nous pensons que l'espace laissé vacant par les fonds de travailleurs risquerait d'être plus dissuasif que stimulant pour le capital privé, alors qu'il existe un consensus autour du fait que la demande est plus forte que l'offre.

Prenant connaissance de cela, nous, les Fonds de travailleurs du Québec, avons formulé une proposition raisonnable au ministère des Finances dont les grandes lignes ont été rendues publiques le 23 octobre dernier. Nous avons proposé justement, devant ce constat, de participer au programme fédéral, en suggérant une diminution de la dépense fiscale du tiers sur une période de 10 ans; en limitant, par exemple, les entrées de fonds, plutôt qu'en les abolissant.

L'Institut de recherche en économie contemporaine a fait une étude qui montre que pour les actionnaires de Fondaction, en 2012-2013, le crédit d'impôt fédéral a occasionné un coût fiscal de 25,5 millions de dollars. Dès cette même année, 27,7 millions de dollars de revenus fiscaux découlant des activités d'investissement de Fondaction sont entrés au gouvernement.

Toujours au 31 mai 2013, on pouvait constater que 43,7 p. 100 des investissements de Fondaction représentent du capital de risque. Il s'agit là d'un effort important qui va bien au-delà de ce que concentrent les régimes de retraite ou autres investisseurs institutionnels pouvant bénéficier d'avantages liés à la retraite.

Par rapport à cela notamment, on ne tient pas compte suffisamment non seulement de nos investissements directs en entreprise, mais aussi, comme il vient d'être mentionné, des sommes que nous investissons dans des fonds privés de capital de risque. Au 31 mai 2013, il y avait eu investissement d'au-delà de 117 millions de dollars dans 22 fonds de capital de risque technologique. Cela contribue à renforcer l'écosystème du capital de risque où tous collaborent pour appuyer le développement des entreprises innovatrices avec des fonds privés spécialisés, des fonds de travailleurs, des sociétés d'État, des sociétés de valorisation de la recherche universitaire ou même également d'anges-investisseurs.

Malheureusement, les statistiques officielles sous-estiment cet apport puisqu'elles ne font pas ressortir l'importante activité indirecte de nos investissements dans les fonds privés de capital de risque.

Je voudrais maintenant souligner que l'existence des fonds de travailleurs au Québec ne constitue pas un obstacle aux fonds privés de capital de risque.

Les études sont concluantes par rapport à cela. Permettez-moi de mentionner Deloitte, une étude de KPMG-Secor, ainsi que l'IREC et même les travaux d'un expert connu du gouvernement fédéral et du Québec, Gilles Duruflé. Ce sont donc les actionnaires de Fondaction, l'Assemblée nationale du Québec, des centaines d'entreprises et des chefs d'entreprises, qui n'ont pas l'habitude d'intervenir publiquement sur des questions comme celles-là, qui ont demandé de réviser cette question.

Ce que je voudrais vous soumettre, c'est l'écosystème, l'accès à du financement, des problèmes en région et également pour de petites transactions, parce que 76 p. 100 des investissements de Fondaction directement en entreprise sont inférieurs à un million de dollars.

Alors, pourquoi ne pas conjuguer les efforts sous différentes formes plutôt que de déconstruire quelque chose là où ça fonctionne?

[Traduction]

La sénatrice Buth : Je remercie nos témoins de comparaître aujourd'hui.

Je vais d'abord m'adresser à M. van der Velden, mais M. Beaulieu pourra répondre lui aussi s'il le désire. Vous nous avez donné une kyrielle de chiffres, que je n'ai pas eu le temps de noter car vous alliez trop vite.

M. van der Velden : Je vous prie de m'en excuser.

La sénatrice Buth : Si j'ai bien compris, vous dites qu'en matière de capital de risque, la demande est soutenue...

M. van der Velden : C'est exact.

La sénatrice Buth : ... et que nous avons réussi à déployer beaucoup de capital de risque, mais qu'il n'y en a pas assez. Pouvez-vous me dire quel pourcentage de capital de risque provient des fonds d'investissement de travailleurs?

M. van der Velden : Je vais vous donner un chiffre approximatif. Sur les 780 millions de dollars de nouveaux capitaux recueillis depuis le début de l'année, 361 millions sont venus du secteur du détail, c'est-à-dire des fonds de travailleurs. Le reste provenait de fonds privés indépendants. Sur les 1,8 milliard de dollars recueillis l'an dernier, environ 1,2 milliard provenaient de fonds privés indépendants, et le reste, d'autres fonds, y compris les fonds de détail. Ce chiffre se situait probablement autour de 400 millions de dollars l'an dernier.

La sénatrice Buth : Ce qui nous préoccupe, entre autres, c'est l'utilisation qui est faite de ces fonds, et nous nous demandons s'ils servent vraiment à financer des projets de capital de risque. Est-ce qu'ils facilitent vraiment la commercialisation des innovations? Comment mesurez-vous le succès de ces fonds?

M. van der Velden : Je ne peux pas vous donner une réponse précise, car mon rôle n'est pas d'évaluer le succès de ces fonds. Par contre, je peux vous dire qu'il est évident que les choses ont beaucoup changé. On a assisté à une véritable purge du secteur, qui a été suivie d'une période de consolidation, et aujourd'hui, les fonds qui n'étaient pas performants ont disparu. Nous avons ainsi perdu des cabinets vénérables, comme VenGrowth et Ventures West, qui ne font plus partie de l'écosystème. Ceux qui restent aujourd'hui sont les meilleurs de leur catégorie. Les taux de rendement se sont nettement améliorés, car ces cabinets font du bon travail. Il y a plusieurs niveaux de capital de risque. Il y a le capital de risque qui sert de capital d'amorçage à risque élevé, des résultats binaires, et ensuite vous avez un niveau au-dessus, puis un autre encore. Il n'est pas possible de fournir une évaluation générale de tous ces fonds, mais ce que nous savons aujourd'hui, c'est que la relation qui existe entre tous les fonds de l'écosystème actuel est très symbiotique. Un fonds d'investissement de travailleurs comme Fondaction, qui comparaît aussi aujourd'hui, fait à la fois de l'investissement direct et de l'investissement dans des fonds comme le mien.

J'investis dans l'innovation en dehors du Québec, dans des projets qu'ils ne peuvent pas financer étant donné les limites qui leur sont imposées. Nous investissons dans des entreprises œuvrant dans les secteurs de la santé et des sciences de la vie. Ils n'ont pas d'équipes spécialisées à l'interne. Mon équipe est composée de médecins et de scientifiques armés de doctorats, des types qui connaissent le domaine sur le bout des doigts. Grâce à leurs compétences, ils nous aident à mieux faire notre travail.

C'est donc un écosystème très symbiotique, où personne ne travaille tout seul dans son coin. La performance augmente, c'est palpable, et les fonds qui ont survécu affichent aujourd'hui de meilleurs rendements que les fonds qui ont fait faillite. Nous avons donc, je pense, un système vraiment symbiotique.

Quand j'ai dit que 40 p. 100 de notre capital provenait de sources extérieures, il est clair, quand on voit les statistiques de C.D. Howe, que le capital américain n'encourage pas l'innovation. C'est pourtant un élément important de l'écosystème. Je ne recommande pas de ne pas le faire, car j'aurais tort. Il faut disposer du capital nécessaire pour développer ce type d'entreprises. Sur les 170 millions de dollars qui ont été mobilisés par l'entreprise dont je parlais tout à l'heure, 20 millions provenaient de sources canadiennes, parce que nous n'avons pas de fonds assez riches pour signer des chèques aussi importants.

Quand on parle d'innovation, il est évident que ce sont les investisseurs de capital-risque qui sont sur le terrain, comme nous, qui encouragent et financent l'innovation. Ce financement ne vient pas d'investisseurs extérieurs.

La sénatrice Buth : Est-ce que les gens vont continuer d'investir dans ces fonds qui rapportent bien, même s'il n'y a plus le crédit d'impôt?

M. van der Velden : Je n'en sais rien. Ce que nous savons, par contre, c'est que lorsqu'ils ont supprimé le crédit d'impôt en Ontario, le système s'est effondré. Je ne peux pas vous en dire plus.

La sénatrice Buth : Après cet effondrement, y a-t-il d'autres mécanismes qui ont repris le flambeau?

M. van der Velden : Non, parce que le Québec et les fonds du Québec se sont montrés très proactifs pour la reconstruction de l'écosystème. À en juger par l'évolution du capital de risque au cours des dernières années, il est manifeste que l'écosystème québécois est aujourd'hui plus dynamique que dans d'autres provinces, notamment parce qu'ils ont su investir en dehors du Québec. Ils se servent de leur nouvelle force de frappe pour aider le reste du pays, là où des fonds ont disparu et n'ont pas été remplacés. Nous avons fait de la mobilisation de capital pour notre nouveau fonds, et nous avons eu de bons résultats.

La première chose qu'il faut se demander, c'est dans quoi investissent les fonds de pension domestiques. Ça n'a rien à voir avec les taux de rendement. C'est plus complexe que ça.

Ce qui est bien avec les fonds de travailleurs, c'est que ce sont des commanditaires de notre fonds qui nous ont immédiatement appuyés en renouvelant les contrats. Lorsque de nouveaux commanditaires et notre cabinet partenaire se sont présentés, ils étaient là à titre de commanditaires qui avaient une relation de longue date avec nous, qui savaient comment nous fonctionnons, comment nous gérons le capital, et qui appuyaient sans réserve nos initiatives. Nous n'aurions pas pu recueillir du capital sans nos commanditaires.

Le président : Je vais vous demander de revenir un peu en arrière. Pourquoi les appelle-t-on fonds d'investissement de travailleurs? Quel rôle y jouent les syndicats?

M. van der Velden : Je pense qu'il vaudrait mieux poser cette question à l'autre témoin. Lorsque ces fonds ont été créés, il fallait qu'ils soient affiliés à un syndicat, c'est-à-dire des travailleurs. Au début, c'est essentiellement auprès de ces groupes qu'ils recueillaient des fonds.

[Français]

M. Beaulieu : Si vous me le permettez, je voudrais répondre à cette question. Fondaction est née d'une demande syndicale. Une loi prévoit que Fondaction va percevoir de l'épargne qui sera rendue disponible à hauteur de 60 p. 100 de son actif pour financer la PME québécoise ainsi que, évidemment, pour investir dans des fonds privés de capital de risque.

Il s'agit d'une épargne retraite, mais il ne s'agit pas de l'argent des syndicats. Les fonds syndicaux, comme on les appelle, n'appartiennent pas aux syndicats, mais aux personnes qui investissent, aux actionnaires qui prennent une participation dans le fonds des travailleurs. À la gouvernance de Fondaction, c'est une majorité de personnes de l'externe qui sont au conseil d'administration.

Fondaction recueille de l'épargne retraite, et une partie de cette épargne est investie soit dans des fonds spécialisés soit directement en entreprise. Fondaction investit des sommes plus petites par investissement lorsque l'investissement est direct et investit des sommes plus importantes dans un certain nombre de fonds qui sont spécialisés, des fonds privés de capital de risque, comme il l'a été mentionné tantôt.

Le capital investi peut être regroupé sous trois formes : le capital de risque proprement dit, qui s'adresse aux nouvelles technologies, à l'innovation, aux sciences de la santé et qui concerne des entreprises, dont on dit que le cash flow, l'encaisse, est négatif. Ce sont des entreprises qui vont avec le temps développer leur marché, terminer leur commercialisation, se lancer et vouloir atteindre un statut mondial.

Il y a ensuite les entreprises où on a du capital de développement, du capital de croissance, et c'est cette conjugaison qui permet que les épargnants puissent investir dans un fonds diversifié et aussi avec une partie présente sur les marchés financiers. C'est donc là l'intérêt pour, d'une part, savoir lever des fonds dans un fonds diversifié, dont une partie est investie directement en capital de risque ou dans des fonds spécialisés. Il est important de saisir que l'offre de financement des fonds de travailleurs vient répondre, dans la chaîne ou dans l'écosystème, à deux endroits en particulier au plan de certains besoins locaux qui, par ailleurs, sont non satisfaits ainsi qu'au sein de fonds spécialisés qui eux accompagnent les entreprises.

Pour avoir un champion olympique, celui qui sera très payant, d'abord, il faut savoir l'accompagner. Il y a quelques étapes à franchir avant d'atteindre ce niveau. Ensuite, il y a plusieurs jeunes talentueux qui doivent être accompagnés. Et si dans le lot on réussit à avoir un champion olympique, c'est très bien, mais ce serait une erreur de ne regarder que celui-là en pensant que le capital de risque ne devrait s'adresser qu'à lui seul.

La sénatrice Bellemare : J'ai quelques questions pour M. Beaulieu en particulier, mais j'aimerais aussi avoir les réactions de M. van der Velden.

Monsieur Beaulieu, vous parlez de deux chiffres dans votre allocution. En ce qui concerne le premier, vous avez dit que le crédit d'impôt fédéral de 15 p. 100 a représenté un coût fiscal de 25,5 millions de dollars pour l'année financière 2012-2013, mais qu'il a généré des revenus de 27,7 millions de dollars pour la même année. Selon vos chiffres, c'est donc rentable pour les gouvernements d'avoir investi dans Fondaction. Je voudrais que vous m'en expliquiez les calculs.

En complément de cette question financière, j'aimerais que vous nous donniez un exemple simple également quand vous dites qu'il y a 43,7 p. 100 des investissements consentis par Fondaction qui peuvent être qualifiés de capital de risque. Pourriez-vous nous donner un exemple simple et concret d'un investissement de Fondaction dans une entreprise dans un projet spécifique?

Ensuite, j'ai une question importante sur l'impact des propositions qui sont sur la table quant aux travailleurs, sur les épargnants, qui mettent de l'argent là-dedans, compte tenu de l'expérience ontarienne.

Allez-y avec la première question, s'il vous plaît.

M. Beaulieu : Je vais peut-être partager la réponse avec ma collègue, Geneviève, pour ce qui est de l'avantage fiscal, pour le coût fiscal et les revenus fiscaux. En fait, pour chaque dollar dépensé par le gouvernement fédéral auprès des investisseurs, des épargnants, il a encaissé dans la même année 1,09 $ de revenus fiscaux.

Comment c'est calculé? Je ne suis pas économiste. C'est l'IREQ qui fait ce travail, mais je peux vous indiquer le fil conducteur. D'abord, c'est le modèle économétrique qui a été développé par le gouvernement du Québec à la société d'État, Investissement Québec, pour calculer l'impact des coûts fiscaux. Évidemment, en se basant sur l'Institut de la statistique, les données permettent de distinguer les entreprises qui auraient pu obtenir du financement sans nous. On ne les compte pas.

Les entreprises qui ont tout ce qui est capital de risque que, autrement, on n'aurait pas pu obtenir, et cela, l'entreprise est toujours en mesure de le témoigner, c'est compté, et les entreprises où on est en capital de développement, capital de croissance, et qui sont de la taille recherchée, des PME, alors là, cela compte pour la moitié de ce qu'on a mis en investissement. Ensuite, le calcul économétrique est effectué.

C'est ce que cela donne. C'est pour cela qu'il nous semble que ce soit un sérieux problème, parce que l'impact, ce dont on va parler tout à l'heure, est de nous amener à nous repositionner autrement et à quitter le capital de risque.

La sénatrice Bellemare : Puis-je intervenir sur cette question? Si vous pouviez nous transmettre l'étude d'Investissement Québec ou l'autre étude, cela serait très bénéfique pour notre compréhension ultérieure.

Le président : Pouvez-vous le faire, monsieur Beaulieu?

M. Beaulieu : Avec empressement.

La sénatrice Bellemare : Quels sont les exemples sur le capital de risque?

M. Beaulieu : Geneviève Morin va vous en parler.

Geneviève Morin, chef de l'investissement, Fondaction CSN : Quand on parle d'investissement en capital de risque, on dit que c'est répondre à la définition. On parle d'investissement dans les entreprises qui, au moment où on investit dedans, perdent encore de l'argent, sont encore en train d'investir pour l'avenir, et non de récolter. On peut parler d'entreprises de logiciels, d'entreprises qui développent des robots pour l'aéronautique.

Je vais vous donner un exemple qui illustre assez bien comment on travaille. L'entreprise s'appelle Enerkem. Nous nous sommes positionnés tout de suite en complémentaire avec les intervenants du milieu et on a aussi fait savoir qu'on avait de l'intérêt pour l'innovation et le développement durable.

Enerkem va transformer des déchets en éthanol, de l'énergie renouvelable, alors c'est dans le développement durable, Ce sont des fonds dans lesquels nous avons investi, des fonds spécialisés, qui ont pu l'accompagner dans ses premières étapes de vie. Rho est ensuite est arrivé; c'est un fonds qui a des commanditaires américains importants, pour rajouter encore à la force de frappe.

Fondaction a investi également en direct quand l'entreprise a connu à nouveau de la croissance. Il y a maintenant près de 100 millions qui ont été investis dans cette entreprise qui est en ce moment en train de construire sa première usine commerciale dans la région d'Edmonton, et l'entreprise n'est pas encore rentable. Il faut savoir prendre des risques, mais vous comprenez qu'un investissement de ce type ne peut être fait avec un seul fonds, il doit être fait par un écosystème en santé, avec des gens qui se connaissent, qui s'entraident et se laissent à chacun leur spécialité.

La sénatrice Bellemare : Est-ce que je pourrai avoir une réponse à ma petite réaction sur l'impact...

Le président : Plus tard. J'inscris votre nom pour le deuxième tour. On manque de temps.

La sénatrice Chaput : Merci, monsieur le président. Ma question s'adresse à M. Beaulieu.

Lorsque vous parliez plus tôt du capital de risque ou des entreprises à capital de risque, je crois vous avoir entendu dire que la majorité des actionnaires gagnent un revenu moyen de 40 000 $ par année.

La sénatrice Bellemare : Quarante-huit mille dollars.

M. Beaulieu : Les travailleurs et les citoyens qui mettent de l'épargne dans Fondaction gagnent en moyenne 48 000 $ par année. Cela veut dire que le crédit d'impôt auquel ils ont accès correspond à 439 $ de la part du gouvernement fédéral, pour les encourager à investir dans leur retraite, mais aussi avec une partie qui ira en capital de développement, en capital de risque, pour le maintien et le développement d'emplois.

La sénatrice Chaput : Je crois que vous avez aussi mentionné que lorsque les grandes lignes de ce projet de loi ont été rendues publiques, vous avez fait une proposition au gouvernement fédéral. Pourriez-vous me dire en quoi consistait cette proposition et comment elle a été reçue?

M. Beaulieu : Nous avons formulé une proposition qui nous amènerait à investir moins qu'auparavant, mais tout de même à continuer à pouvoir investir dans le capital de risque et à nous joindre au programme fédéral envisagé. Ce que nous avons proposé pour les 10 prochaines années, c'est un investissement de deux dollars en capital de risque pour chaque dollar de crédit d'impôt consenti aux actionnaires de Fondaction, des fonds de travailleurs.

Cela veut dire pour les deux fonds du Québec : 550 millions dans des fonds privés au Québec, qui ont la capacité, eux, d'investir partout au Canada; plus 400 millions investis dans des fonds privés hors Québec, incluant 120 millions dans les deux fonds nationaux qui sont prévus dans le plan d'action du gouvernement fédéral; plus, comme Mme Morin l'a expliqué, au-delà d'un milliard de dollars investis directement dans des entreprises avec l'intervention de ces fonds, au cours des 10 prochaines années. Et tout cela en réduisant d'environ 300 millions de dollars sur 10 ans le coût fiscal, notamment, par exemple, en limitant les entrées de fonds dans les fonds de travailleurs, avec la notion de plafond plutôt qu'en les abolissant.

Il nous semblait qu'il s'agissait là d'une proposition raisonnable qui permettrait de continuer à percevoir de l'épargne parce que les institutions financières, vous le savez, c'est construit sur le fait qu'on ait confiance en leur pérennité et leur continuité, et l'annonce d'une fin de crédit d'impôt, fusse-t-elle progressive, entraîne de l'inquiétude auprès des épargnants et risque d'avoir un effet dissuasif plus tôt que tard sur leurs souscriptions.

C'est pour cette raison que, en terminant ma présentation, je me demandais pourquoi ne pas conjuguer les efforts, alors qu'il y a un consensus sur le fait que l'offre est inférieure à la demande? Pourquoi ne pas additionner les mesures et les conjuguer plutôt que de déconstruire ce qui fonctionne?

[Traduction]

La sénatrice Callbeck : Je remercie tous les témoins de comparaître aujourd'hui. J'ai deux ou trois questions à poser, et j'aimerais entendre leurs réponses à tous.

La première concerne le capital de risque provenant de travailleurs. On entend parfois parler de problèmes dus à la séparation qui existe entre les gestionnaires et les propriétaires. Ça conduit à une mauvaise gouvernance, et finalement à une mauvaise performance. Je crois que les taux de rendement sont bien moindres aux États-Unis. Qu'en pensez- vous, chacun d'entre vous?

M. van der Velden : Vous parlez bien des fonds d'investissement de travailleurs, et des relations entre les gestionnaires et les propriétaires?

La sénatrice Callbeck : Oui.

M. van der Velden : Pour notre association, les partenariats privés indépendants ne posent pas vraiment de problème. Ils se contrôlent eux-mêmes. Pour les fonds d'investissement de travailleurs, c'est différent, mais nous n'avons pas constaté que c'était un problème. C'est sûr qu'il y en a eu dans le passé, je ne peux pas le nier. Et justement à cause des problèmes de gouvernance dont vous parlez, certains cabinets ont tout simplement cessé d'exister. Aujourd'hui, les fonds qui ont survécu se sont dotés des structures appropriées pour garantir une bonne gouvernance.

La sénatrice Callbeck : Qu'en pensent les autres témoins?

[Français]

Mme Morin : En ce qui concerne la gouvernance des fonds de travailleurs, je le répète dans le cas de Fondaction, la majorité du conseil d'administration est constitué de personnes indépendantes des syndicats, mais il y a une présence syndicale et il y a un lien avec les syndicats qui est très utile et important pour aller recueillir l'argent dans les milieux de travail. Ces gens le font sur une base bénévole, ils ne reçoivent pas de commission, et c'est ce qui nous permet d'aller chercher cet argent à un prix raisonnable.

Par ailleurs, il n'y a pas d'implication dans les décisions qui, elles, sont prises en fonction des meilleurs intérêts. Il y a eu une période, au début des années 2000, où il y avait des critiques à l'égard des fonds de travailleurs. Il y en avait d'ailleurs à l'égard des fonds gouvernementaux également. Et au Québec, tout cela s'est regroupé dans une commission, qui s'appelle la Commission Brunet. Et au sortir de cette commission, il a été décidé d'organiser la structure du capital de risque pour avoir la meilleure efficacité possible en ayant les fonds de travailleurs qui recueillent l'épargne, qui la mettent en commun, et qui, ensuite choisissent les meilleurs gestionnaires de fonds privés pour ce qui est du capital technologique pour les petites entreprises. Et on appuie ensuite, avec des co-investissements. Et par ailleurs, on peut faire du capital de développement pour combler d'autres problèmes qu'il y a, des investissements, par exemple, dans les régions où n'iraient pas les fonds privés de capital de risque; hors des grands centres, en général, on ne les voit pas beaucoup.

Pour ce qui est des petites transactions, ces fonds se déplacent beaucoup moins pour des transactions de moins de un million; on l'a dit tantôt, 76 p. 100 de nos transactions sont de moins d'un million. Les fonds des travailleurs sont responsables de 52 p. 100 des investissements en démarrage au Québec. Alors, lorsqu'on dit qu'on ne prend pas suffisamment de risques, ce n'est pas vrai. On a une mission qui est à la fois de garder cet équilibre entre le rendement et la sécurité pour nos actionnaires et notre mission de développement économique.

[Traduction]

Le président : Monsieur van der Velden, vous avez dit tout à l'heure que l'Ontario avait supprimé un programme provincial parallèle au crédit d'impôt fédéral de 15 p. 100.

M. van der Velden : C'est exact.

Le président : Y a-t-il une autre province qui ait maintenu un programme parallèle, un crédit d'impôt provincial de 15 p. 100?

M. van der Velden : Oui, je crois qu'il existe encore un crédit d'impôt provincial équivalent en Colombie- Britannique, en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse.

Le président : Donc, quand vous dites que toute l'industrie s'est effondrée parce que le programme ontarien a été supprimé, pensez-vous que la plupart d'entre eux dépendent aussi de la contribution provinciale?

M. van der Velden : En Ontario, les deux crédits d'impôt totalisaient 30 p. 100. Ce n'est pas rien. Quand on a annoncé la disparition du crédit provincial de 15 p. 100, l'industrie s'est effondrée. À mon avis, c'était avant tout ce qui motivait les petits investisseurs à investir dans le fonds.

[Français]

Le président : Monsieur Beaulieu, qu'est-ce qui se passe maintenant au Québec?

M. Beaulieu : Monsieur le président, je vais vous donner quatre chiffres. En 2008, 340 millions ont été amassés au Québec dans les fonds privés, et 386 millions en Ontario. En 2012, c'était 924 millions de dollars au Québec, et 581 millions en Ontario. Alors vous voyez l'écart dans l'évolution. Avec ce que M. van der Velden, le président de l'ACCRI, vient de mentionner, vous voyez l'illustration.

Le président : Maintenant, est-ce que c'est possible au Québec d'avoir un crédit d'impôt payable au Québec? Est-ce que c'est 15 p. 100?

M. Beaulieu : Oui. Il y a actuellement un crédit d'impôt pour les fonds de travailleurs au Québec. Il est de 15 p. 100 pour le Fonds de solidarité et de 25 p. 100 pour Fondaction, parce que Fondaction n'a pas encore atteint la taille qui lui permette d'opérer avec des frais d'administration qui sont comparables et souhaitables. C'est l'objectif visé. Et alors que le gouvernement fédéral fait disparaître, je vous dirai que, considérant les conditions de développement de Fondaction, le gouvernement du Québec a établi que c'était 25 p. 100, pour une période temporaire, en établissant un plafond sur notre développement annuel.

Par exemple, cette année, Fondaction va s'arrêter dans quelques semaines parce qu'il aura atteint 200 millions. Et l'an prochain, ce qui est prévu, c'est que Fondaction pourra atteindre 225 millions. Les actionnaires du Fonds de solidarité ont 15 p. 100, mais il n'y a pas le plafond imposé à Fondaction.

Mme Morin : Il est important de comprendre cette notion de contrôle de l'offre, qui est peut-être une partie du problème qui est survenu en Ontario, où il y avait une multitude de très petits fonds qui ont été créés, alors qu'au Québec, chaque fonds a sa propre loi constitutive. On ne peut pas simplement créer un fonds comme cela. Le gouvernement s'assure que les fonds ont l'opportunité d'atteindre une taille critique qui permet aux frais de gestion d'être raisonnables et qui permet l'effet d'intermédiation qu'on recherche.

Le président : Merci.

La sénatrice Hervieux-Payette : Merci. Bienvenue aux deux témoins. C'est un sujet qui me passionne. Je me demandais si vous aviez des partenariats avec la Banque fédérale de développement. Il me semble qu'elle avait un programme de participation tranquille au capital-action. Est-ce qu'elle a participé à certains projets avec votre fonds?

Mme Morin : Oui, si je peux répondre pour Fondaction. Effectivement, nous avons plusieurs co-investissements avec la Banque fédérale de développement, qui est présente avec nous dans certains dossiers. Elle est également présente dans certains fonds privés d'investissement dans lesquels nous avons également investi.

La sénatrice Hervieux-Payette : Donc, on pourrait avoir une bonne évaluation par un organisme fédéral qui pourrait nous dire s'il est utile d'avoir un fonds de travailleurs au Québec parce qu'il connaît bien la scène québécoise. Surtout qu'une des caractéristiques du Québec est qu'il s'agit d'une province où il y a beaucoup de PME.

Mme Morin : Vous touchez là un excellent point. Il ne semble pas y avoir eu d'évaluation récente avant que la décision ne soit prise. On fait référence fréquemment à des études de Cumming et MacIntosh, qui datent du début des années 2000, 2005, 2006, et qui n'ont pas beaucoup tenu compte des nouvelles réalités. D'autres études ont été effectuées. Deloitte est venu vérifier comment se comportaient les fonds de travailleurs et les fonds fiscalisés au Québec. Elle a confirmé la valeur qui était créée et les écarts de marché qui sont comblés par les fonds de travailleurs.

Il y a Gilles Duruflé, un expert que le gouvernement conservateur a lui-même retenu sur son comité, qui a fait une étude pour évaluer la question de la performance. Il mentionne que toutes les critiques sur la performance sont basées sur une étude qui date de 2002, qui est moins pertinente aujourd'hui, et qui, en plus, décrit plutôt une réalité qui s'appliquait à l'ensemble du capital de risque à l'époque plutôt qu'à ce qu'il est devenu.

Au contraire, on voit qu'il y a des fonds fiscalisés qui ont gagné le ACCRI — Deal of the Year Award. Quand on compare les sorties qui sont effectuées, les valeurs des entreprises quand on les vend, on constate que les fonds de travailleurs ont également de très bonnes performances. En fait, cela mériterait une étude avant de poser un geste aussi radical que d'abolir le crédit d'impôt.

M. Beaulieu : J'ajouterais aussi KPMG, ce corps qui a fait une étude exhaustive qui a été présentée au ministère des Finances, et qui a fait quelque chose de très important sur l'impact des fonds de travailleurs.

La sénatrice Hervieux-Payette : J'ai demandé au ministre d'approfondir cette étude, mais je n'ai pas eu de réponse. Vous pourrez consulter le compte rendu de notre réunion d'hier. J'aimerais connaître, par curiosité, le nombre d'actionnaires et le nombre d'entreprises où vous êtes présents.

M. Beaulieu : Fondaction est directement investi auprès de 149 entreprises, incluant Filaction, qui est un fonds qui fait de plus petits investissements, mais qui est composé à 100 p. 100 de l'argent de Fondaction. Alors c'est 149 entreprises dans lesquelles on est investi directement.

Si je compte les entreprises qui sont financées par des fonds privés de capital de risque au sein desquelles nous avons des investissements, cela monte à 850. Ces seules 149 entreprises ont un volume d'affaires de 2,299 millions. C'est près de 30 000 emplois directs et indirects qui ont été créés ou maintenus en conséquence de nos investissements. Et ce n'est pas investi en double, c'est investi dans la proportion de nos investissements dans ces entreprises-là.

Il y a là quelque chose qui mérite considération. Je vous soumets que votre question est extrêmement importante, parce que, comme on dit chez nous : « On peut couper une branche sur laquelle on est assis, mais s'il vous plaît, pas du côté du tronc. »

La sénatrice Hervieux-Payette : Très bonne idée.

[Traduction]

Puis-je poser une petite question à M. van der Velden?

Le président : Nous allons avoir une autre vidéoconférence sur le sujet, et nous avons plusieurs témoins. J'ai encore six noms sur ma liste pour la deuxième ronde. Si votre question s'adresse précisément à M. van der Velden, vous pouvez la poser.

La sénatrice Hervieux-Payette : Y a-t-il une autre façon d'atténuer l'impact négatif de cette mesure, de minimiser les dégâts? Je suppose qu'il y a de la concurrence dans l'industrie du capital de risque, et que ceux qui investissent sont des travailleurs ordinaires, pas des spécialistes. Comment l'industrie va-t-elle pouvoir convaincre ses clients de continuer d'investir dans l'économie?

M. van der Velden : Je pense vraiment que vous avez une structure fantastique sous la forme de ces fonds de travailleurs basés au Québec. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est qu'investir dans du capital de risque, c'est très difficile, mais ça s'apprend, avec le temps. D'autres témoins vous ont dit que les taux de rendement étaient beaucoup plus élevés aux États-Unis, mais c'est faux. La vérité, c'est que 75 p. 100 des fonds ne sont pas rentables. Il faut 20 ans d'expérience pour être bon dans le métier. Aujourd'hui, on constate que l'industrie canadienne a acquis une certaine maturité, et que des gestionnaires comme Fondaction ont eux aussi acquis un certain savoir. Après avoir investi dans des centaines d'entreprises, ils savent ce qu'il faut faire. C'est vrai aussi des gestionnaires privés. Et c'est pour cette raison que leurs taux de rendement augmentent.

Nous venons de publier une étude, en collaboration avec Industrie Canada, Statistique Canada et Thompson Reuters, entre autres, qui démontre que le capital de risque est utile aux entreprises. L'étude fait une comparaison rigoureuse entre les entreprises qui ont reçu du capital de risque et celles qui n'en ont pas reçu. Celles qui en ont reçu se développent plus vite, créent davantage d'emplois, notamment des emplois plus rémunérateurs, connaissent une expansion plus rapide de leurs actifs, et voient leurs revenus augmenter plus rapidement, et de beaucoup. Supprimer un pilier du système, les FIT, et financer les indépendants n'est pas la solution.

Ce qu'il nous faut au Canada, c'est plus de capital et plus de bons gestionnaires. Nous avons un système qui fonctionne, qui a mûri pendant 20 ans. Ceux qui ne faisaient pas bien leur travail ne sont plus là.

Il y a une étude extraordinaire qui remonte à 25 ans et qui dit qu'en moyenne, un type comme moi perd 20 millions de dollars de capital au début de sa carrière. Ça paraît effrayant, mais on apprend. Ce serait une erreur de ne pas tirer profit de tout ce que nous avons appris en gérant des fonds pendant 20 ou 25 ans, des compétences de ceux que nous avons embauchés, des équipes spécialisées que nous avons constituées et qui comprennent bien le marché... ce serait une erreur, donc, et ça reviendrait à se tirer dans le pied.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Ma question s'adresse à M. van der Velden. Nous avons eu des présentations sur le budget. On nous dit que ces compressions ont pour but de rendre le système fiscal plus neutre, d'encourager la neutralité par rapport aux différents fonds. Comment réagissez-vous à cet argument?

[Traduction]

M. van der Velden : C'est un argument du passé. Aujourd'hui, nous avons un système qui fonctionne. Il y a deux types d'investisseurs de capital de risque au Canada. Ils fonctionnent en symbiose. Je gère des fonds pour Fondaction et, comme je l'ai indiqué, nous avons fait cinq investissements à partir des fonds dans lesquels ils ont investi. Trois de ces investissements ont été faits à l'extérieur du Québec, ce qui montre bien que tout cela fonctionne en symbiose. Nous sommes co-investisseurs avec le Fonds de solidarité FTQ dans l'un de ces trois contrats.

Aujourd'hui, nous n'avons plus la pression de la concurrence qui existait auparavant. Il y a 12 ou 13 ans, les gens disaient que les deux types de fonds d'investissement cherchaient à s'évincer mutuellement. J'ai dit et je le redis : 40 p. 100 de notre capital a été recueilli auprès de sources étrangères.

[Français]

Le président : Monsieur Beaulieu, avez-vous quelques mots à ajouter pour terminer?

M. Beaulieu : Je voulais préciser ma réponse à la question de tout à l'heure. Le chiffre d'affaires des 149 entreprises dans lesquelles nous sommes investis est de 2,3 milliards de dollars, la masse salariale est de 852,7 millions de dollars, et les bénéfices de ces entreprises sont de 729,8 millions de dollars. Ce sont des effets sur la neutralité de la fiscalité. Je crois qu'il a été mentionné qu'effectivement c'est une conjugaison intéressante parce que dans les fonds des fonds, le programme fédéral, il y a de la place pour que cela provienne des fonds de travailleurs, de sociétés d'État, comme le 400 millions de dollars prévus, de sociétés de valorisation, de capital privé de diverses sources et ce sont les objectifs des fonds spécialisés qui comptent et qui vont opérer.

Également, j'aimerais vous donner quatre chiffres par rapport à la neutralité. En 2011, le gouvernement fédéral a consenti des crédits d'impôt pour fonds de travailleurs au Canada à 316 390 personnes. Le crédit d'impôt a été en moyenne de 439,71 $. Le coût du crédit d'impôt a été de 139,1 millions de dollars cette année.

Il ne s'agit pas là d'une comparaison. Un autre chiffre si on peut parler d'assainissement des finances publiques. Les exemptions pour gain de capitaux ne vont pas à 316 390 personne, mais à 10 330 personnes, 10 330 Canadiens ont pu bénéficier de 2,21 milliards de dollars, c'est-à-dire 214 80 $. Il me semble qu'en termes de neutralité et de calibrage, oui, il y a quelque chose à discuter.

Le président : Pouvez-vous nous envoyer ces chiffres, parce qu'on manque de temps pour discuter de ces chiffres comme il faut maintenant? Madame Morin et monsieur Beaulieu, je vous remercie beaucoup d'avoir assisté à notre rencontre et de nous avoir donné de l'information sur le Fondaction.

[Traduction]

Monsieur van der Velden, je vous remercie infiniment. Je suis désolé, le temps a passé très vite, et nous avons un autre groupe de témoins que nous devons entendre. Merci beaucoup d'avoir témoigné.

Honorables sénateurs, nous entamons la deuxième partie de notre réunion d'aujourd'hui. Nous reprenons donc nos discussions sur l'élimination progressive du crédit d'impôt fédéral relatif à une société à capital de risque de travailleurs, mesure qui se trouve dans la partie 1 du projet de loi. Je vous rappelle qu'à l'heure actuelle, ce crédit d'impôt est de 15 p. 100. Nos deux témoins vont s'adresser à nous par vidéoconférence.

M. Finn Poschmann est vice-président de la recherche, à l'Institut C.D. Howe, et M. Mintz est directeur et titulaire de la chaire Palmer en politique publique, à l'École de politique publique de l'Université de Calgary.

Monsieur Poschmann, nous sommes prêts à écouter votre déclaration liminaire. Vous avez la parole.

Finn Poschmann, vice-président de la recherche, Institut C.D. Howe : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre comité. Je suis ravi de vous revoir et de faire la connaissance des nouveaux membres. Bonjour à tous, et à vous aussi, monsieur Mintz.

On nous a demandé de parler de la partie 1 du projet de loi, et plus particulièrement du crédit d'impôt relatif à une société à capital de risque de travailleurs, et c'est ce que je me propose de faire. Mes remarques porteront donc sur ce sujet bien précis. Ce que j'ai à dire est très simple : il est temps de mettre fin au crédit d'impôt fédéral pour les FIT.

L'objectif de ce crédit d'impôt est bien sûr d'encourager les investissements dans des entreprises de capital de risque. Il le fait en subventionnant, par le régime fiscal, les rendements que touchent les particuliers qui investissent dans ce type d'entreprise. La loi prévoit notamment que le crédit d'impôt s'applique à une organisation dont le système de gouvernance exige la représentation des syndicats. Une telle organisation a pour vocation d'investir les fonds recueillis en fonction des besoins et des intérêts des travailleurs canadiens.

La loi définit également les grandes catégories d'investissement accessibles aux fonds d'investissement de travailleurs, ainsi que le délai pour le faire. Elle exige que les investisseurs bloquent leur argent pendant une période fixe s'ils veulent profiter au maximum du crédit d'impôt. Pendant un certain temps, le crédit d'impôt fédéral a été accompagné de crédit d'impôts provinciaux similaires, mais la plupart ont été supprimés ou sont sur le point de l'être, sauf ou Québec. Voilà où nous en sommes.

J'estime que l'investissement de capital de risque est une très bonne chose pour l'économie, que les choses soient bien claires. Il permet en effet de financer de nouvelles idées, des produits d'innovation, sans oublier l'activité entrepreneuriale qui est le moteur d'une économie saine, prospère et innovante. L'investissement de capital de risque encourage les activités de R-D et la croissance des dépenses dans ce secteur. Les entreprises financées par du capital de risque sont plus susceptibles de déposer des demandes de brevets et de les obtenir.

Des études réalisées en Australie montrent que les investissements de capital de risque ont tendance à produire les mêmes résultats, à stimuler l'expansion des avoirs et des ventes, à accélérer le lancement du premier appel public à l'épargne, et à encourager le recrutement. Tout cela est excellent, sans compter les retombées extraordinaires sur le reste de l'économie.

Tout cela est excellent, encore une fois, mais le modèle des FIT n'est pas du tout conçu pour produire de tels résultats. La loi impose des contraintes à la structure de l'organisation, et rien ne prouve que ce type de structure soit plus performant qu'un fonds d'investissement privé, non subventionné.

Le crédit d'impôt, surtout lorsqu'il est accompagné de son pendant provincial, permet d'offrir un rendement intéressant pour les investisseurs, même si les projets d'investissement retenus par les gestionnaires sont à peine rentables, voire pas du tout. Autrement dit, ce programme fausse les marchés de capitaux.

Les marchés disent la même chose. Les taux de rendement des FIT sont faibles. Sans le crédit d'impôt, les petits investisseurs auraient obtenu un bien meilleur rendement pendant toutes ces années s'ils avaient placé leur argent sur un marché élargi, plutôt que de faire eux-mêmes les choix. Il est arrivé plusieurs fois que ces fonds aient du mal à investir tout l'argent qui leur tombait dessus en raison du crédit d'impôt. Très souvent, les FIT ont investi dans des projets qui n'étaient guère rentables ou innovants.

Rien ne prouve que le crédit d'impôt des FIT encourage l'accroissement, net, de l'investissement dans des projets de capital de risque. Les études que nous avons publiées indiquent qu'en Ontario, le crédit d'impôt a évincé ou écarté l'investissement ordinaire de CR que le marché aurait autrement généré. Les preuves sont très convaincantes aussi pour le marché du Québec.

La générosité des crédits fédéral et provinciaux combinés semble avoir créé, au Québec, une situation telle que les investissements privés dans le capital de risque se sont beaucoup plus contractés que ça n'aurait été le cas si le crédit n'avait pas existé. C'est la combinaison du crédit fédéral et des crédits provinciaux qui rend le programme très séduisant pour les participants. C'est pour cela qu'en éliminant le crédit fédéral, on a des chances de faire augmenter l'investissement dans le capital de risque au Québec.

Enfin, je ne suis pas le seul à le dire : à ma connaissance, aucun spécialiste des finances publiques ou de la politique fiscale n'estime que le modèle des FIT contribue à encourager l'investissement dans le capital de risque — il n'y en a pas un qui le pense. De plus, il n'y a, à ma connaissance, aucun gestionnaire de capital de risque, à part dans le secteur des FIT, qui appuie le programme.

Pour toutes ces raisons, j'approuve la suppression du crédit d'impôt relatif à une société à capital de risque de travailleurs. J'ai hâte que ça se fasse, et je suis prêt à en discuter avec vous aujourd'hui.

Le président : Monsieur Poschmann, merci beaucoup. Avant de donner la parole à M. Mintz, j'aimerais que vous me confirmiez que la Colombie-Britannique a supprimé son crédit d'impôt provincial. Un autre témoin nous a dit tout à l'heure que l'Ontario avait supprimé le sien, mais quelles sont les autres provinces qui en ont encore un?

M. Poschmann : L'Ontario est en train d'éliminer progressivement son crédit d'impôt. Il n'y a plus qu'au Québec où ce crédit d'impôt soit encore un facteur important.

Le président : Très bien. Merci.

Monsieur Mintz, vous avez la parole.

Jack Mintz, directeur et titulaire de la chaire Palmer en politique publique, École de politique publique de l'Université de Calgary : Merci beaucoup. Je suis heureux de comparaître à nouveau devant votre comité. Je vais sans doute me faire l'écho de Finn Poschmann sur plusieurs choses, et d'ailleurs, nous avons été collègues dans le passé.

Je vais vous dire pourquoi, sur le plan théorique, le crédit d'impôt fédéral relatif à une société à capital de risque de travailleurs n'a pas permis d'obtenir les résultats escomptés. La première question qu'il faut se poser est la suivante : le marché de l'investissement dans le capital de risque peut-il s'effondrer? Au Canada, nos marchés financiers sont particulièrement résilients. Et je ne vois pas vraiment, s'agissant du financement des entreprises, pourquoi un secteur en particulier aurait besoin d'une aide spéciale du gouvernement, et pas les autres secteurs.

Il y a bien sûr le cas des jeunes entreprises, des jeunes pousses, qui suscite des avis divergents. D'aucuns prétendent qu'il n'y a pas suffisamment de capital de risque pour ce type d'entreprise, mais très franchement, je n'en ai pas trouvé la preuve. Ce n'est pas parce que des gens réclament des fonds que d'autres ne sont pas prêts à leur prêter qu'il y a un déficit de capital de risque. Si ces gens-là n'arrivent pas à obtenir l'argent dont ils ont besoin, il y a peut-être de très bonnes raisons à cela. Il se peut que leur projet ne tienne pas la route, et un investisseur avisé sait parfaitement qu'il ne faut pas financer ce genre de projet.

Toutefois, ce qu'on appelle le risque de sélection adverse peut faire apparaître des distorsions sur le marché. Cela se produit quand les prêteurs ne savent pas faire la distinction entre les bons et les mauvais projets. À ce moment-là, ils refusent parfois de prêter de l'argent aux taux que les gestionnaires de bons projets seraient prêts à payer, pour la bonne raison que ça ne leur rapporte pas assez. En revanche, le gestionnaire d'un mauvais projet peut être le seul à accepter de payer les intérêts demandés, mais si le projet est un fiasco, le prêteur se retrouve à payer les pots cassés.

C'est justement l'argument que défendait le prix Nobel George Akerlof, il y a plusieurs années. Car lorsque vous avez ce problème de sélection adverse dans le marché, ce dernier peut s'effondrer s'il n'y a pas suffisamment d'argent pour financer les bons projets qui sont compromis par l'existence de ces mauvais projets.

Comment résout-on le problème? Les avis sont partagés sur les mesures à prendre, mais en général, les gens lancent ce qu'ils appellent des signaux. Par exemple, un entrepreneur peut faire savoir combien il est prêt à investir, à même ses ressources internes, dans son projet. Le fait qu'un entrepreneur soit prêt à investir une partie de ses propres ressources est un signal qu'il pense que son projet tient la route. Le marché se fie à ce genre de signal pour distinguer les bons des mauvais projets.

C'est sur ce plan-là que le crédit d'impôt fédéral relatif à une société à capital de risque de travailleurs est loin d'être un succès. Il subventionne des entrepreneurs qui ont besoin de financement externe, notamment parce qu'ils n'ont pas les ressources suffisantes en raison d'une performance insuffisante, et qui réussissent à recueillir des fonds auprès d'amis et auprès d'autres personnes prêtes à investir dans leur projet.

Autrement dit, avec votre crédit d'impôt de 15 p. 100, vous faites du subventionnement. Au Québec, c'est 30 p. 100. Je crois que d'autres provinces ont encore un crédit d'impôt provincial, mais les provinces les plus importantes n'en ont pas. Lorsque vous offrez des allègements fiscaux pour subventionner des gens qui ont besoin de financement externe, vous finissez par fausser le marché, car il y a alors trop de cabinets véreux qui arrivent sur le marché et qui évincent les cabinets performants. Vous ne faites donc qu'aggraver la situation.

Les fiscalistes constatent, depuis plusieurs années, qu'il est préférable d'offrir un crédit d'impôt à la recherche et au développement directement aux entreprises. Les bonnes comme les mauvaises. Il vaut mieux encourager l'innovation de cette façon, que d'offrir un crédit d'impôt pour l'investissement de capital de risque, qui n'est pas une très bonne idée.

Voilà pour la théorie.

Qu'en est-il de la pratique, au Canada? Dans les recherches que j'ai faites entre 2001 et 2011, j'ai constaté que le taux de rendement moyen des investissements de capital de risque au Canada, lesquels investissements provenaient en majeure partie de fonds d'investissement de travailleurs, n'a été que de 3 p. 100, contre 20 p. 100 aux États-Unis.

On comprend donc aisément pourquoi les fonds de pension canadiens investissent dans du capital de risque aux États-Unis, et pas au Canada. Certes, ils n'ont alors plus droit au crédit d'impôt canadien, mais ils ne vont certainement pas investir à 3 p. 100 lorsqu'ils peuvent obtenir 20 p. 100 ailleurs. Trois pour cent, ce n'est guère mieux que les bons du Trésor, mais ces derniers ont l'avantage d'être beaucoup moins risqués et d'avoir un taux de rendement supérieur avec les années.

Le Fonds de solidarité, au Québec, est une grosse société de capital de risque qui affiche des résultats assez médiocres. Le document que nous avons publié, qui s'intitule Tantalous Unbound et dont l'auteur est Jeffrey MacIntosh, fait une analyse au vitriol de cette entreprise. Je vous en recommande la lecture. Sur une période de 20 ans, elle a affiché un taux de rendement équivalant à la moitié de celui des bons du Trésor, et, sur les 8,8 milliards de dollars qu'elle a investis en 2011, à peine 20 p. 100 ont été investis dans du vrai capital de risque et un peu dans des obligations, mais pas dans des capitaux propres. Je n'appelle pas ça partager les risques. Je ne sais pas comment on définit le capital de risque quand on compile des statistiques, mais si on considère que tous les investissements dont je viens de parler sont du capital de risque, c'est tout simplement faux. Une grande partie de cet argent est investie dans des actions de sociétés ouvertes, dans des obligations d'État, ce genre de choses. En fait, sur ces 8,8 milliards de dollars, plus de 4 milliards sont investis dans d'autres secteurs du marché qui n'ont rien à voir avec le capital de risque.

Bref, ce que je veux démontrer, c'est que le crédit d'impôt est un fiasco complet. Il a contribué à évincer des investissements du secteur privé, comme l'indiquent bon nombre d'études. De plus, la séparation qui existe entre les gestionnaires et les propriétaires conduit à une mauvaise gouvernance de l'organisation, et comme les investisseurs bénéficient d'avantages fiscaux considérables, ils font peu attention au taux de rendement économique de leurs placements. Certes, il se peut que ce rendement soit intéressant, quand on tient compte des déductions de REER et du crédit d'impôt, mais le taux de rendement économique n'est pas bon. En tout cas, ce n'est pas une bonne façon de faire les choses, et encore moins de stimuler l'innovation dans notre pays. Par conséquent, je suis tout à fait d'accord avec M. Poschmann pour dire qu'il est temps d'abolir ce crédit d'impôt.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Mintz.

Je ne sais toujours pas combien de provinces ont encore un crédit d'impôt provincial. Vous dites que ce n'est pas un facteur important. Ça sous-entend qu'ils sont encore en vigueur mais que leur pourcentage est plus faible et que par conséquent vous ne le prenez pas en compte.

M. Mintz : Je pourrais toujours essayer de trouver ce renseignement sur Google. Je ne l'ai pas vérifié récemment. Je sais que l'Ontario l'a éliminé progressivement, ou est en train de le faire. Le Québec en a un, mais la province a aussi beaucoup d'autres politiques d'aide à la R-D, qui ont un impact. Les petites provinces en ont peut-être un, mais M. Poschmann est sans doute mieux placé que moi pour vous le dire. Je crois que le Nouveau-Brunswick a un crédit d'impôt pour l'achat d'actions, mais j'ignore s'ils ont un crédit d'impôt pour les FIT.

Le président : Et la Colombie-Britannique?

M. Poschmann : La Colombie-Britannique en avait un, mais c'est en train de changer aussi. Les sociétés existent toujours, mais elles ne sont plus subventionnées par des crédits provinciaux, à part au Québec. J'ignore si d'autres provinces ont encore un crédit d'impôt partiel, mais comme l'a dit M. Mintz, l'Ontario est en train d'éliminer progressivement le sien.

Le président : Si je vous pose la question, c'est parce qu'on nous a dit que le marché s'était effondré en Ontario à la suite de l'abolition de l'un des deux crédits, et je me demandais donc quel impact cette proposition pourrait avoir ailleurs. Vous me dites que si elle a un impact, ce sera seulement au Québec?

M. Mintz : Non. Je suis en train de vérifier; la Nouvelle-Écosse en a un elle aussi.

Le président : Je vous remercie de vérifier tout ça. En attendant, je vais reprendre ma liste.

La sénatrice Eaton : Je suis membre du Comité de l'agriculture, et j'entends très souvent des professeurs de l'Université de Guelph, de l'Université Laval, entre autres, dire que l'innovation et la recherche se perdent bien souvent dans les limbes, et que, quand ils ont mis au point un produit ou une nouvelle technologie, ils n'ont pas les investissements nécessaires pour les commercialiser. En revanche, ils n'ont pas de mal à trouver des investisseurs à l'étranger.

Je comprends tout ce que vous avez dit, mais s'il n'y a pas de crédit d'impôt — et je n'ai pas demandé aux deux autres témoins quel était le facteur de risque de ce crédit d'impôt, car je suppose qu'ils sont d'accord —, mais sans crédit d'impôt, comment faites-vous pour encourager la commercialisation des innovations mises au point dans les universités, par exemple?

M. Mintz : Il y a plusieurs années, quand je suis arrivé en Alberta, j'ai dirigé une commission sur la politique du gouvernement de l'Alberta en matière d'épargne et d'investissement. Nous avons examiné, entre autres, toute la question du capital de risque, ainsi que la meilleure façon d'encourager l'innovation, notamment en finançant les jeunes entreprises.

Nous en avons conclu que la grande différence qui existe entre le Canada et les États-Unis, c'est que ces derniers ont un volume de capital de risque beaucoup plus important. Cela leur permet de faire appel à un plus grand nombre d'experts pour évaluer les différents projets. Ils ont donc de plus grandes chances d'investir dans les bons projets, et c'est pour ça qu'ils ont un taux de rendement de 20 p. 100 par opposition à 3 p. 100 au Canada.

Le volume de capital de risque disponible est donc un aspect crucial, et il faut un volume nettement plus important pour obtenir un meilleur taux de rendement. Si nous voulons investir davantage dans un domaine, il faut trouver le moyen de créer de gros fonds d'investissement, lesquels pourront alors faire appel à davantage de spécialistes pour investir dans du capital de risque au Canada.

En fait, les fonds d'investissement de travailleurs sont de très petites organisations. Il y en a deux ou trois qui sont importants, mais comme je l'ai dit au sujet du Fonds de solidarité, ils n'investissent pas beaucoup dans le capital de risque. Même s'ils disposent de 8,8 milliards de dollars, une bonne partie de cet argent est investie ailleurs que dans du capital de risque. Il faut donc trouver un meilleur système. Le gouvernement fédéral et les provinces sont en train de mettre sur pied un modèle de « fonds de fonds », ce qui revient à constituer des volumes de capital de risque plus importants. Il va falloir attendre pour savoir si c'est une bonne solution, mais en tout cas, c'est une option certainement plus sensée.

La sénatrice Eaton : Avec ce système, les provinces seraient des souscripteurs ou des investisseurs dans ce fonds?

M. Mintz : Je suppose qu'ils ont pris nos recommandations au sérieux puisque c'est ce qui s'est passé en Alberta. La province a investi de l'argent dans un « fonds de fonds », pas beaucoup. Mais je ne suis pas sûr que ça marche parce que je me demande comment on va réussir à atteindre les volumes nécessaires. Il vaudrait peut-être mieux, par exemple, adopter des politiques qui encouragent les investisseurs américains à investir dans le capital de risque au Canada. Nous avons déjà essayé de les encourager en abaissant les taxes sur le financement du capital de risque, mais le gouvernement fédéral a un nouveau programme visant à favoriser la création de « fonds de fonds ». Nous allons voir ce que ça donne.

La sénatrice Eaton : Je vais vous poser une dernière question, à laquelle je suis sûre que vous allez répondre par oui ou par non : si les fonds d'investissement de travailleurs n'investissaient que dans le capital de risque ou que dans la R- D, et pas dans des obligations ou d'autres produits financiers ordinaires, seriez-vous d'accord pour qu'on leur accorde un crédit d'impôt?

M. Mintz : Je répondrai que non, parce que le crédit d'impôt n'est pas le bon instrument pour le faire. En fait, c'est justement le sujet d'une recherche que j'ai faite avec des Belges il y a une bonne dizaine d'années. Nous avons démontré que, lorsqu'on subventionne des sociétés qui vendent des capitaux au marché externe, on encourage l'apparition sur le marché d'un grand nombre de mauvais projets, et on évince les sociétés performantes qui ont besoin de financement.

Il vaut mieux encourager la recherche fondamentale et appliquée, directement. En fait, il serait très difficile de circonscrire un crédit d'impôt à des projets de R-D parce qu'une société pourrait fort bien faire autre chose avec les fonds dont elle a besoin. Je pense qu'il vaut encore mieux donner de l'argent à la société pour qu'elle investisse dans une activité comme la recherche fondamentale et appliquée, si c'est ce que nous voulons faire pour encourager l'innovation, plutôt que de le faire de façon indirecte, au moyen d'un crédit d'impôt qui fausse le marché en envoyant de mauvais signaux.

Le président : Monsieur Poschmann, avez-vous quelque chose à dire?

M. Poschmann : Bien sûr. Je suis d'accord avec M. Mintz, ce qui ne saurait vous surprendre, mais j'aimerais revenir sur un point.

Le crédit d'impôt est très efficace pour canaliser l'argent vers les fonds d'investissement de travailleurs. Toutefois, les études montrent que ces fonds n'investissent pas beaucoup dans des projets novateurs ou des projets prometteurs, mais elles n'en donnent pas vraiment les raisons. Comme l'a dit M. Mintz, nous ne devons pas avoir peur de l'investissement étranger, car l'objectif est de canaliser l'investissement vers des entreprises prometteuses, et il n'y a aucune raison de subventionner, par le régime fiscal, le simple particulier qui place ainsi son argent.

Il y a d'autres façons d'obtenir des résultats similaires. Premièrement, comme l'a dit M. Mintz, on peut réduire les taxes pour les investisseurs étrangers. Deuxièmement, on peut réduire le taux d'imposition sur la plus-value, ou, sinon, réduire le taux d'imposition des gains obtenus sur l'investissement dans des projets novateurs de R-D. Enfin, on peut améliorer la stratégie de commercialisation de la technologie. Ce sont là plusieurs solutions pour encourager le transfert de technologie entre les laboratoires universitaires et les entreprises commerciales, mais c'est un autre débat. Cela dit, il ne faut surtout pas créer un autre crédit d'impôt pour y parvenir.

La sénatrice Hervieux-Payette : Premièrement, j'ai mes doutes quant à certains projets. Je suppose qu'on peut dire que, même aux États-Unis, sur 10 projets, il n'y en a qu'un qui réussit. Il faut bien comprendre que c'est ça la réalité, et c'est pour ça que le Fonds de solidarité fait bien attention de ne pas s'embarquer là-dedans, de peur de gaspiller les fonds qui appartiennent aux travailleurs.

Ma question est la suivante : parmii les gens qui gagnent 48 000 $ par an, combien y en a-t-il qui achètent des actions par l'entremise d'un courtier, à qui ils doivent payer une commission, et qui doivent accumuler au moins 100 000 $ pour pouvoir avoir un portefeuille? Vous conviendrez qu'il s'agit là d'un groupe très restreint de travailleurs. J'étais là quand on a créé ce système au Québec. L'objectif était de protéger les emplois, et de favoriser la création d'emplois et de nouvelles entreprises. Les FIT investissent dans l'innovation, ils ont réparti leurs activités d'investissement dans trois secteurs.

Ma deuxième question est la suivante : avez-vous une autre solution pour protéger les emplois? J'ai appris que, pour un projet, 20 millions de dollars avaient été investis par différents fonds au Canada. Des investisseurs américains sont arrivés, ont tout racheté, et ont transféré toute la recherche et tous les produits aux États-Unis avant de fermer la boutique. Si nous voulons continuer d'investir sans accorder de crédit d'impôt, où allons-nous trouver les fonds nécessaires? Il y a des entreprises qui n'auraient jamais vu le jour sans le Fonds de solidarité. Ils ont investi 20 millions de dollars dans un projet.

Le président : À quel témoin adressez-vous votre question?

La sénatrice Hervieux-Payette : À celui qui a une réponse, car nous savons bien que les risques sont élevés quand il s'agit de vrai capital de risque. C'est un modèle qui a été créé au Québec. Vous, les universitaires, vous pouvez critiquer ce qu'a fait le Québec, mais en ce qui me concerne, c'est un modèle qui était adapté aux besoins des travailleurs québécois.

Le président : Monsieur Poschmann, pouvez-vous nous aider?

M. Poschmann : C'est une question très intéressante.

Premièrement, en ce qui concerne les petits investisseurs, le fait est qu'ils ne sont généralement pas de très bons investisseurs et qu'ils ne savent pas bien choisir les projets dans lesquels investir. C'est la raison pour laquelle il faut encourager les gens à placer leur argent dans des fonds relativement moins chers et moins risqués, si cela leur convient. Ce n'est pas vraiment une bonne idée que des petits investisseurs choisissent d'investir dans des projets risqués. Or, d'une certaine façon, c'est ce qu'on les encourage à faire quand on leur permet d'investir dans les FIT en passant par la bourse. Il existe d'autres produits financiers, mais sans le crédit d'impôt. Par exemple, les bourses canadiennes offrent un nouveau produit qui consiste à créer une coquille dans laquelle les investisseurs peuvent placer des fonds, qui sont ensuite investis dans des projets de R-D. C'est un modèle qui va certainement se développer avec le temps. En revanche, si l'objectif est de créer des emplois au niveau local, il existe des mécanismes beaucoup plus directs que le crédit d'impôt aux investisseurs, et je parle d'un crédit qui est structuré de façon à protéger les investisseurs et les gestionnaires de fonds contre les risques qu'ils prennent.

La sénatrice Hervieux-Payette : Vous avez qualifié cela de fiasco complet, mais vous ne proposez aucune solution pour modifier le système tout en maintenant le même niveau d'investissement dans du capital de risque. J'aimerais donc que vous me disiez quelle autre solution vous avez à proposer pour recueillir les 9 milliards de dollars dont dispose la FTQ et les 1,3 milliard de dollars dont dispose Fondaction, car c'est de l'argent qui, sans ces organisations, ne serait absolument pas sur le marché. Ça ne coûte pas grand-chose aux contribuables pour que cet argent soit investi dans l'économie du Québec.

M. Mintz : Permettez-moi de vous citer des chiffres concernant la FTQ. Ils remontent au 29 mai. Sur les 8,8 milliards de dollars — et c'est tout près des 9 milliards que vous avez mentionnés —, 4,2 milliards sont investis dans ce qu'on appelle « autres investissements ». C'est donc près de la moitié. Sur ces 4,2 milliards de dollars, 1,5 milliard sont investis dans des actions de sociétés ouvertes, ce qui n'est pas du capital de risque. Un autre montant de 216 millions de dollars est investi dans des parts de fonds spéculatifs, ce qui n'est pas du capital de risque. Un montant de 2,3 milliards de dollars est investi dans des obligations, ce qui n'est pas du capital de risque. Et enfin, un montant de 154 millions de dollars est investi dans des instruments du marché monétaire, ce qui n'est pas du capital de risque non plus.

L'autre partie de l'argent, qui est investie dans du capital de développement, constitue peut-être de l'investissement dans du capital de risque, mais c'est loin d'être sûr car il s'agit de participations dans des actions non cotées. On estime à 25 p. 100 au maximum le pourcentage de fonds qui sont investis dans du capital de risque.

Bien sûr, il se peut que vous fassiez des bons coups avec ça, comme celui que vous avez mentionné, mais si votre taux de rendement est très faible, cela signifie que vous avez encaissé pas mal de mauvais coups aussi. Et quand on veut faire prospérer l'économie en encourageant les entreprises performantes, et pas les autres, ce n'est pas de cette façon qu'il faut s'y prendre. Par conséquent, l'investissement dans du capital de risque par les fonds de travailleurs constitue un échec de politique publique. En fait, on a remarqué que des fonds destinés à des investissements dans du capital de risque ont été retirés parce que trop d'investissements malavisés ont été faits. Nous avons donc besoin d'adopter une meilleure approche.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Vous avez des propos qui suscitent beaucoup de questions, c'est le moins qu'on puisse dire. Vous nous citez des chiffres qui sont assez impressionnants également. Au Canada, les fonds ont des taux de rendement de 3 p. 100, comparativement à 20 p. 100 chez les Américains. J'aimerais beaucoup avoir le détail de l'investissement des fonds américains parce que, dans mon livre à moi, cela ne se peut pas, si les fonds américains ne font que du capital de risque. Par définition, le capital de risque peut produire un très bon rendement, mais la probabilité est faible par contre. Les projets de capital de risque ne sont pas tous bons et, au départ, on ne le sait pas. J'aimerais bien avoir les données qui expliquent le rendement américain.

Par ailleurs, j'ai une question plus précise, j'aimerais vous entendre tous les deux sur la façon dont vous réconciliez l'idée du crowding out. Cela revient souvent : si l'argent dans les marchés financiers est investi dans des instruments comme ceux dont on parle — les fonds des travailleurs —, cela empêche de financer d'autres projets, cela va évacuer des fonds pour d'autres initiatives, alors qu'en même temps, depuis déjà quelque temps, l'ex-gouverneur de la Banque du Canada, M. Carney, nous disait que les entreprises étaient en surplus de fonds et que ces fonds, il voulait bien que les entreprises les investissent. Cependant, on sait que les entreprises n'iront pas investir dans une toute petite PME locale dont le risque est très élevé, parce qu'ils veulent garder quand même leur flux.

Comment réconciliez-vous tout cela, cet argument de crowding out, alors que le gouverneur de la Banque du Canada nous dit cela et que l'on sait aussi qu'à l'échelle internationale, l'argument dit plutôt le contraire, avec tous ces flux financiers, avec une politique monétaire quantitative très active, on a peur de se retrouver avec trop de fonds?

[Traduction]

M. Poschmann : Sénatrice, c'est une question très intéressante. Je vais d'abord parler de la question de l'éviction, et ensuite des taux de rendement.

Pour ce qui est de l'éviction, c'est très simple. Ce crédit d'impôt encourage les petits investisseurs à faire des placements dans certains secteurs, au détriment d'autres secteurs. Comme l'a dit Jack, au Québec — et les chiffres sont similaires pour l'Ontario —, une grande partie des fonds recueillis par les FIT ou par le Fonds de solidarité sont investis non pas dans du capital de risque mais dans des obligations, dans des actions cotées en bourse et dans des fonds du marché monétaire. Si l'argent recueilli par ces fonds, au lieu d'être investi dans du capital de risque, est investi dans des obligations, des actions cotées en bourse et des fonds du marché monétaire, vous risquez alors d'enregistrer une nette contraction des investissements dans du capital de risque.

S'agissant des taux de rendement canadiens et américains, il y a un facteur de risque à prendre en considération. Les investisseurs savent que, pour avoir un bon taux de rendement, il faut bien choisir les projets, même s'ils s'accompagnent d'un certain risque.

S'agissant des FIT au Canada, les données empiriques montrent que, premièrement, le crédit d'impôt a tendance à isoler le projet, les gestionnaires du projet et les investisseurs du risque lui-même; et deuxièmement, la structure de gouvernance des FIT et les contraintes qui leur sont imposées en matière d'investissement ne les amènent pas à investir l'argent dans des projets rentables. Je ne saurais trop insister sur ce point. Ce n'est pas un point de vue subjectif. Les données empiriques le démontrent amplement.

Le président : Monsieur Mintz, qu'avez-vous à dire?

M. Mintz : Premièrement, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'une des raisons qui expliquent le taux de rendement des investissements dans le capital de risque aux États-Unis, c'est le volume des fonds disponibles et la solide compétence des professionnels qui gèrent ces investissements, sans parler des spécialistes scientifiques et des autres personnes qui évaluent les projets. Je crois que c'est l'une des raisons de leur meilleure performance.

Deuxièmement, s'agissant des investissements dans le capital de risque, les gens comptent sur des taux de rendement assez élevés parce qu'ils sont risqués. Même s'il y a beaucoup de mauvais placements, il y a quand même des sociétés qui se débrouillent mieux que d'autres pour choisir les meilleurs. Comme l'a indiqué M. Poschmann, le simple fait d'offrir un crédit d'impôt contribue à détourner de l'argent du marché, et je veux parler de l'argent des petits investisseurs qui se préoccupent peu des taux de rendement parce qu'ils touchent de toute façon un crédit d'impôt. Au Québec, il n'y a pas seulement un crédit d'impôt de 30 p. 100 pour les fonds d'investissement de travailleurs, il y a aussi une déduction du REER, si bien que le gouvernement finit par assumer près de 75 p. 100 du coût de l'investissement. Autrement dit, l'investisseur ne va pas regarder de trop près au taux de rendement du placement, puisqu'il a droit à des avantages fiscaux. C'est vraiment là une partie du problème.

Au sujet de l'éviction, il y a un autre type d'éviction qui se produit inévitablement avec toute politique fiscale. Je veux dire que, lorsqu'on essaie de percevoir des recettes fiscales pour financer des biens et des services publics, si on accorde un abattement fiscal comme un crédit d'impôt à un fonds d'investissement de travailleurs, il faut compenser en augmentant les impôts dans d'autres secteurs. Ce qui contribue à évincer certains investissements ou certaines activités qui se seraient produits dans ces autres secteurs. C'est acceptable quand le crédit d'impôt donne de bons résultats, mais quand ce n'est pas le cas, ça nuit à l'économie également.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Avez-vous pris connaissance des études qui ont été faites au Québec sur les effets positifs en matière de rentrées fiscales dont on nous a parlé tantôt et, en matière d'emploi, que les fonds des travailleurs peuvent générer? Vous partagez le même point de vue que le Québec. C'est vrai que la taille est un facteur important. M. Beaulieu nous en a parlé ainsi que M. van der Velden, mais ils nous ont dit que les mesures fiscales allaient compromettre l'acquisition d'une taille idéale pour plusieurs petits fonds particuliers.

Bref, avez-vous pris connaissance des études au Québec qui disent que l'argent investi crée des revenus supérieurs au gouvernement fédéral, que chaque dollar investi entraîne une rentrée fiscale fédérale d'un dollar et neuf cents, par exemple?

[Traduction]

Le président : L'un d'entre vous est-il au courant de cette étude?

M. Mintz : Une étude a été faite par Deloitte, si je me souviens bien, mais je n'en ai pas pris connaissance. Je ne peux donc pas vous en parler.

Il faut dire que les études que font les divers secteurs industriels pour justifier, disons, l'amortissement accéléré ou le crédit d'impôt spécial qu'ils réclament mentionnent souvent cet effet multiplicateur. Mais ça procède en fait d'un piètre raisonnement économique puisqu'on part du principe qu'une augmentation de l'activité d'un secteur aura pour effet d'augmenter l'activité d'un autre secteur en créant de l'emploi. Mais ça ne peut pas être le cas dans une économie qui tourne à plein rendement, de sorte qu'on finit par utiliser les ressources d'un autre secteur de l'économie.

J'aime dire, pour plaisanter, que si nous additionnions les multiplicateurs d'emploi de chaque secteur industriel au Canada, le Canada aurait la même taille que les États-Unis, parce que chaque secteur essaie de justifier ses privilèges fiscaux avec cet argument. Mais les études qu'ont faites des économistes au sujet du crédit d'impôt pour les fonds d'investissement de travailleurs montrent bien que ça a été une mauvaise politique car, en fait, ça a canalisé l'argent vers des placements à faibles taux de rendement. Une fois qu'on a tenu compte du risque, ce taux est très faible. Par conséquent, on ne crée pas davantage d'emplois, et l'argent n'est pas canalisé vers les bons placements.

C'est vrai, comme on l'a dit tout à l'heure, que le secteur du financement du capital de risque est très dynamique au Québec, surtout si on le compare à celui d'autres provinces, mais je ne comprends pas très bien comment ils font leurs calculs, parce que le Fonds de solidarité n'investit pas tant que ça dans le capital de risque. Il investit plutôt son argent dans bien d'autres secteurs. Je me demande donc s'ils utilisent tout simplement le chiffre de 8,8 milliards de dollars ou bien s'ils l'ajustent.

Malgré son dynamisme, ce secteur au Québec n'a pas une productivité si reluisante que ça. Cet exemple montre bien que ce n'est pas en faisant de la microgestion de l'économie à coups de crédit d'impôt et de déductions spéciales qu'on stimule vraiment l'économie. Les faits sont là.

Le sénateur Mockler : Le projet de loi C-4, que j'appuie, propose de stimuler l'industrie du capital de risque en supprimant les taxes inefficaces — et je suis tout à fait d'accord avec ça —, sans compter que l'OCDE recommande l'élimination progressive du crédit d'impôt que nous examinons aujourd'hui : le crédit d'impôt relatif à une société à capital de risque de travailleurs.

Le projet de loi C-4 est fondé sur le principe selon lequel, à long terme, ce sont les entreprises innovantes qui seront le ressort de la compétitivité économique du Canada. Dans notre budget de 2012, nous avons annoncé le lancement d'un Plan d'action pour le capital de risque, d'un montant de 400 millions de dollars.

Étant donné votre expérience à l'échelle du Canada, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure cette initiative sera bénéfique aux provinces, y compris le Québec?

M. Poschmann : D'une certaine façon, cette question est le prolongement naturel de la précédente. Le volume de financement est un élément important. La taille aussi, car ça permet de réduire le coût de l'investissement, à condition de choisir les bons projets. Il faut que l'organisation soit dotée d'une structure de gouvernance et d'incitatifs qui encouragent la sélection des bons projets. J'ai parlé tout à l'heure d'autres types d'incitatifs pour canaliser l'argent vers les bons projets, comme un meilleur traitement fiscal de la plus-value ou des investissements en R-D novatrice, et des avantages qu'ils offrent.

Mais pour ce qui est de l'intervention du gouvernement dans le secteur du financement du capital de risque, nul ne sait encore ce que ça va donner. Le gouvernement fédéral est en train de créer un fonds. L'Ontario a créé le sien, et tout le monde veut en faire autant. Dans d'autres pays, comme l'Australie et certains pays d'Asie du Sud-Est, les gouvernements ont créé leur propre fonds de fonds, en partenariat avec le secteur privé. Il est encore trop tôt pour dire quelles sont les conditions de succès de ce genre d'initiative, mais on s'aperçoit déjà que le modèle de gouvernance est un facteur important. Le modèle pari passu, c'est-à-dire des placements parallèles, semble intéressant, mais on ne sait pas encore si c'est une condition de succès. J'ajouterai également que le recours à des gestionnaires professionnels est un facteur important quand on veut garantir la sélection des bons projets.

Voilà où nous en sommes. Quant à savoir si ces conditions seront suffisantes pour que ce modèle donne de bons résultats et même des résultats meilleurs à ce que le marché induirait autrement, rien n'est sûr.

Le sénateur Mockler : Il y a eu une semaine lundi, j'ai participé à une tribune où il a été question des fonds investis dans l'agriculture et dans l'exploitation forestière, entre autres, et la sénatrice Eaton y a fait allusion tout à l'heure.

À votre avis... monsieur le président, je dois poser cette question.

Le président : Va-t-elle nous aider à déterminer si l'abolition de ce crédit d'impôt est une bonne initiative?

Le sénateur Mockler : Je crois que oui.

Suite à l'accord commercial que nous avons signé avec l'Union européenne, les projets canadiens vont-ils avoir accès à d'autres sources de financement de capital de risque?

M. Poschmann : Est-ce que votre question est directement reliée au fonds fédéral, au programme fédéral de capital de risque?

Le sénateur Mockler : Oui.

M. Poschmann : Il est indéniable que le programme va accroître le volume de financement disponible pour les projets que les gestionnaires sélectionneront, et ça, c'est une bonne chose en soi. Mais il va falloir attendre les résultats pour en avoir la preuve concrète. L'impact de l'accord commercial avec l'Union européenne dépendra de notre compétitivité sur le marché, et on en revient à la sélection des projets, à la probabilité que les gestionnaires canadiens sélectionneront des projets qui augmenteront nos échanges commerciaux avec l'Union européenne. Il y a beaucoup de variables en jeu.

Nul ne sait si ça augmentera ou diminuera les débouchés sur ce front. La grande question est de savoir si, en faisant passer les investissements par un programme fédéral de capital de risque, on va augmenter le volume net de ces investissements, et si ça ne va pas en déplacer d'autres. Au niveau des fondamentaux, et c'est comme ça que M. Mintz a commencé son intervention, nous n'en sommes pas sûrs, mais si le programme est bien géré, ça sera toujours mieux que le crédit d'impôt pour les FIT.

Le président : Merci. C'est la sénatrice Chaput, du Manitoba, qui posera la dernière question.

La sénatrice Chaput : Je serai très brève. Il vous suffira de me répondre par oui ou par non, je suppose.

Avons-nous assez de capital de risque au Canada?

M. Mintz : Très franchement, je n'en sais rien.

La sénatrice Chaput : Merci quand même.

M. Mintz : On entend toutes sortes de choses. Ça peut se discuter au niveau des jeunes pousses. Mais nous ne savons pas comment mesurer le déficit de capital de risque. Que je sache, rien ne prouve que le volume de financement soit inadéquat.

M. Poschmann : Je vous dirai la même chose. Revenons-en aux fondamentaux et à l'un des axiomes de la théorie de l'utilité : plus il y en a, mieux c'est. C'est facile de dire qu'il serait souhaitable d'avoir plus de financement; en revanche, on ne peut absolument pas dire précisément si on en a assez, pas assez ou trop, c'est impossible. N'oubliez pas que l'économie du Canada est à peu près de la taille de celle de la Californie; c'est la même population, quoique pas aussi aisée, et avec moins de capacité d'innovation. Il n'est donc pas étonnant que le marché canadien du capital de risque soit plus petit, en pourcentage, que le marché américain.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Poschmann, qui représentez l'Institut C.D. Howe, et merci à vous aussi, monsieur Mintz, qui enseignez à l'École de politique publique de l'Université de Calgary. Nous ne savons pas encore si nous avons toute l'information nécessaire au sujet de cette initiative du gouvernement, et de l'impact qu'elle aura. Vos témoignages ont été très instructifs, et nous vous en remercions.

Merci, chers collègues. Nous en avons terminé avec les témoignages que nous voulions entendre sur cette disposition du projet de loi C-4. Demain après-midi, nous passerons à autre chose.

(La séance est levée.)


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