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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 6 - Témoignages du 28 avril 2014


OTTAWA, le lundi 28 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heure,s afin d'étudier la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et NORAD, de même que les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en ce lundi, 28 avril 2014. Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais commencer par présenter les gens assis autour de la table. Je m'appelle Dan Lang, sénateur du Yukon. Tout de suite à ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien. À ma droite se trouvent les analystes de la Bibliothèque du Parlement affectés à notre comité, Holly Porteous et Wolfgang Koemer. J'aimerais faire un tour de table et inviter les sénateurs à se présenter et à préciser la région qu'ils représentent, en commençant par notre vice-président, le sénateur Dallaire, qui a maintenant trouvé l'endroit où il veut s'asseoir.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Roméo Dallaire, je représente le golfe du Saint-Laurent, Québec.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

Le sénateur Segal : Hugh Segal, Kingston-Frontenac-Leeds, en Ontario.

Le sénateur White : Verne White, de l'Ontario.

La sénatrice Beyak : Sénatrice Beyak, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, Québec.

[Traduction]

Le sénateur Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le président : Merci, chers collègues. Cet après-midi, nous avons un certain nombre de groupes de témoins. Les trois premiers comparaîtront dans le cadre de notre étude de la défense antimissile balistiques, et le quatrième dans le cadre de notre étude actuelle sur l'Agence des services frontaliers du Canada.

Avant de céder la parole à nos témoins, nous avons deux questions internes à régler.

Mesdames et messieurs, comme vous le savez, l'étude préliminaire de certaines parties du projet de loi C-31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures, déposé à la Chambre des communes le 28 mars 2014, a été renvoyée à notre comité le 9 avril 2014. Après discussion, le comité directeur s'est entendu pour dire que la section 1 de la partie 6 du projet de loi sera étudiée par le Sous-comité des anciens combattants et que le reste, la section 7 de la partie 6, sera examiné par notre comité.

Aux fins du procès-verbal, j'aimerais lire la motion suivante :

Que la section 1 de la partie 6 (avantages et allocations) de l'ordre de renvoi au sujet de l'étude préalable du projet de loi C-31, adopté au Sénat le 9 avril 2014, soit déléguée au Sous-comité des anciens combattants et que ce sous-comité fasse rapport à ce Comité au plus tard le 2 juin 2014, et que la section 7 de la partie 6 soit examinée par l'ensemble du comité.

Est-ce que quelqu'un pourrait proposer cette motion?

Le sénateur Dallaire : Je propose la motion.

Le président : Tous ceux qui sont pour?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Veuillez aussi prendre note qu'un nouvel ordre de renvoi a été adopté par le Sénat le 9 avril concernant l'étude sur la santé mentale. Il s'agit d'une nouvelle étude qui sera entreprise par le Sous-comité des anciens combattants. Un sénateur se porte-t-il volontaire pour proposer la motion suivante afin de déléguer cet ordre de renvoi au sous-comité?

Que l'ordre de renvoi au sujet des problèmes de santé mentale dont sont atteints des membres actifs et à la retraire des Forces canadiennes, adopté au Sénat le mercredi 9 avril 2014, soit délégué au Sous-comité des anciens combattants.

Le sénateur Dallaire : Je propose la motion.

Le président : Sénateur Dallaire, vous appuyez tout. Félicitations.

Le sénateur Dallaire : J'ai de bons réflexes.

Le président : Ceux qui sont pour?

Des voix : D'accord.

Le président : Adopté.

Merci. Passons maintenant à notre premier groupe de témoins. Le 12 décembre 2013, le Sénat a adopté l'ordre de renvoi suivant :

Que le Comité sénatorial permanent de la défense nationale soit autorisé à examiner, dans le but d'en faire rapport, la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et le NORAD;

Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2014 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions pendant 90 jours suivant le dépôt de son rapport final.

Chers collègues, alors que nous poursuivons notre examen des relations du Canada en matière de sécurité nationale, de défense et de défense antimissile balistiques, nous avons le plaisir d'avoir avec nous, dans notre premier groupe de témoins, le major-général Michael Day, chef du Développement des forces. Le major-général Day a reçu une décoration pour service méritoire le 12 octobre 2013 de Son Excellence le gouverneur général. Voici ce qui a été dit à son sujet :

D'avril 2011 à mai 2012, le brigadier-général Day a excellé dans son rôle de commandant de la composante canadienne à la Mission de formation de l'OTAN en Afghanistan, tout en occupant d'importants postes de leadership au sein de la structure de commandement de l'OTAN. En plus de superviser avec succès le renforcement du contingent canadien, il a joué un rôle primordial dans la formulation de l'approche globale de la mission à pleine période de transformation. Le leadership et la vision du brigadier-général Day ont profondément imprimé leur marque sur la transition des Forces de sécurité nationale afghanes vers l'autonomie.

Major-général, nous vous souhaitons la bienvenue. Nous sommes fiers des services que vous avez rendus à notre pays et de votre engagement à l'excellence au sein des Forces canadiennes. J'ai cru comprendre que vous avez une déclaration préliminaire. Je vous inviterais à commencer. Nous disposons d'une heure pour ce groupe de témoins.

Major-général Michael Day, chef du Développement des forces, Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Merci beaucoup monsieur le président, mesdames et messieurs. Je vous remercie beaucoup de cette occasion qui m'est offerte de vous renseigner sur le programme spatial au sein des Forces canadiennes et de répondre à vos questions.

[Français]

Comme vous l'avez entendu et comme les autres vous le diront, y compris le président de l'Agence spatiale canadienne (ASC), la participation des Forces armées canadiennes s'inscrit dans un effort pangouvernemental. Nous tirons profit d'une étroite collaboration avec les autres ministères et organismes gouvernementaux.

[Traduction]

En novembre 2012, l'ancien directeur général, le brigadier-général Rick Pitre, maintenant à la retraite, a comparu devant ce comité. Mes commentaires d'aujourd'hui devraient être perçus comme étant fondés sur son exposé. Mais comme je suis conscient que le comité n'est plus tout à fait le même aujourd'hui, je crois qu'il est bon de récapituler les éléments de son exposé qui n'ont pas changé.

À ce titre, il est important de reconnaître — et c'est certainement ce que nous faisons au sein de la Défense nationale — à quel point les capacités spatiales sont profondément intégrées à notre vie quotidienne. On tient maintenant pour acquis la dépendance de la société civile à l'égard de l'Internet, des GPS, des services téléphoniques et d'une panoplie d'autres services. Il n'est donc pas surprenant que les forces armées en soient elles autant, voire davantage, dépendantes. Une large partie de ce que nous faisons maintenant est réalisée grâce aux percées technologies majeures que nous apportent les acquisitions de systèmes spatiaux.

Il est incontestable que nous ne pourrions pas fonctionner comme nous le faisons aujourd'hui sans les avantages marqués que nous offrent nos capacités spatiales.

[Français]

Nous mettons l'accent sur la prestation des services de communication de renseignements, de surveillance et de reconnaissance ainsi que sur la synchronisation et la navigation. Ces capacités seraient difficiles, voire impossible à recréer par d'autres moyens et seraient surtout beaucoup trop coûteuses.

[Traduction]

Nous n'agissons pas seuls. Comme je l'ai indiqué, nous restons très près des démarches de l'ASC et nous travaillons en étroite collaboration avec les alliés pour faire en sorte d'être non seulement plus efficaces, mais aussi de parvenir à un degré d'efficience qui ne peut être atteint que grâce à un partage des coûts visant à créer ces capacités, ainsi que des coûts qui y sont associés.

Cela est d'autant plus important que nous devons fournir l'assurance quant à l'accès à l'espace, ce qui ne peut être fait que par voie de collaboration. Vous avez entendu dire — et c'est notre position — que l'espace reste congestionné, contesté et concurrentiel et le devient de plus en plus. Nous nous attaquons à la question en travaillant avec d'autres entités afin de garantir un maximum de résultats pour nos efforts.

[Français]

Les cinq principes de base exposés dans la politique spatiale du gouvernement du Canada, tels qu'ils sont décrits par le président de l'ASC, demeurent également au cœur de notre approche.

Bien que nous reconnaissions que ces principes concernent surtout les activités civiles et commerciales, ils sont non seulement conformes à notre approche, mais ils cadrent parfaitement avec la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense.

[Traduction]

Comme le cadre de la politique spatiale du gouvernement du Canada est en place, nous avons commencé à travailler sur les moyens dont nous, à la défense, nous pouvons le mieux exprimer notre stratégie. Pour le moment, la meilleure façon de la décrire est de dire qu'elle est axée sur les domaines suivants : tout d'abord, les communications mondiales; deuxièmement, la connaissance du domaine maritime et mondial; troisièmement, les capacités spatiales de recherche et de sauvetage; quatrièmement, la guerre de navigation; cinquièmement, la connaissance de la situation spatiale; et sixièmement, les opérations spatiales.

En vertu de ce concept, nous faisons des progrès remarquables. En novembre 2012, au moment de ma dernière comparution devant le comité, nous étions sur le point de lancer Sapphire, un satellite canadien chargé de nous donner une meilleure connaissance de la situation spatiale. Axé sur la connaissance du domaine spatial et intégré au réseau international de surveillance, il a été déclaré entièrement fonctionnel sur le plan opérationnel. Non seulement offre-t-il une connaissance fonctionnelle à la communauté internationale, positionnant ainsi le Canada comme un partenaire véritable, mais il nous permet également de continuer à tirer parti de notre qualité de membre du réseau et d'en retirer de vastes quantités d'informations et de données, ainsi qu'une participation à des entreprises futures.

[Français]

Je ne décrirai pas en détail chacune des initiatives, mais je crois qu'il serait utile de vous donner une idée de la portée du programme spatial des Forces armées canadiennes, et, par conséquent, de souligner davantage les utilisations que nous prévoyons en faire, notre dépendance accrue à son égard et les avantages que nous avons retirés d'un tel effort.

[Traduction]

En somme, les effets spatiaux sont cruciaux pour la capacité de la défense nationale à prendre des décisions stratégiques, à planifier les missions et à exécuter les opérations. Nos commandants dépendent de la précision offerte par les systèmes mondiaux de navigation par satellite, comme les GPS, pour améliorer la manœuvrabilité des forces et synchroniser le ciblage précis dans des contextes opérationnels complexes. Les communications par satellite nous permettent d'exercer un commandement à l'échelle mondiale, grâce à des liens sécurisés, protégés, spécialisés et durables.

Les capacités spatiales de recherche et de sauvetage contribuent à la protection de la force, et les renseignements obtenus grâce aux satellites, la surveillance et la reconnaissance de zones autrement inaccessibles répondent aux besoins des commandants en matière d'information et de connaissance de la situation. Par le fait même, elles appuient l'application et la protection de la force.

Du point de vue de la défense et de la sécurité, les effets spatiaux ont évolué, d'un état de multiplicateur de la force après la première guerre du Golfe à un outil habilitant essentiel lors des opérations militaires modernes. J'ai hâte de pouvoir répondre à vos questions.

Le président : Merci, major-général Day. Nous vous savons gré de nous avoir donné un aperçu de vos fonctions et des responsabilités de l'armée en matière de satellite et d'espace.

Chers collègues, j'aimerais débuter par une question. Elle concerne le programme de défense antimissile balistiques, qui constitue le domaine d'étude auquel nous nous intéressons particulièrement depuis quelques mois. Aux fins du procès-verbal, j'aimerais que vous nous fournissiez des éclaircissements quant au fait que le système de défense antimissile balistiques actuel, tel que nous et l'armée le connaissons aujourd'hui, n'interfère pas avec l'espace, comme certains critiques de la défense antimissile balistiques ont pu l'indiquer, en disant que cela touche à la question de l'espace et l'armement de l'espace. Pourriez-vous nous faire part de vos observations?

Mgén Day : J'aimerais revenir à ce qui a été dit plus tôt pour être certain que ce que je dis figurera au procès-verbal pour que vous compreniez notre position concernant la défense antimissile balistiques et la façon dont elle a trait non seulement à l'espace, mais aussi à l'ensemble des Forces armées canadiennes. Par suite de la décision politique de février 2005, les Forces armées canadiennes ne participent aucunement à la défense antimissile balistiques en Amérique du Nord. Par conséquent, nous ne jouissons pas d'une entière visibilité pour ce qui est des nombreux aspects de la défense antimissile balistiques. Cependant, je peux vous dire avec beaucoup d'assurance, car je dirige le programme spatial, que je n'ai rencontré, dans le cadre de mes fonctions, aucun aspect de la défense antimissile balistiques qui ait pu interférer avec le programme spatial actuel ou qui risque d'interférer avec quelque initiative que ce soit que nous envisageons actuellement.

Le président : Merci.

Le sénateur Dallaire : Général, il nous faut vous féliciter, car vous êtes l'un des officiers les plus progressistes dans cette période de résolution de conflits complexe et ambiguë. Vos compétences sur le terrain sont plus qu'incontestables, et votre réputation est bien méritée. Votre poste vous convient bien, car vous êtes tourné vers l'avenir et vous le gérez bien.

Cela m'amène plus précisément à la question de l'espace. Je suis en train de lire une partie de ce qui se trouvait dans le Livre blanc de 1987 sur l'espace et un certain nombre des exigences qui ont été cernées à l'époque. J'ai remarqué qu'en ce qui concerne l'espace, il y a toujours un officier d'état-major qui s'occupe de cela, bien que les capacités deviendront opérationnelles si elles reçoivent un financement substantiel, et c'est sans parler de l'interface de la défense antimissile balistiques et la défense nord-américaine.

En vertu de quelle logique confie-t-on essentiellement un si grand nombre d'exigences opérationnelles importantes à un élément de l'état-major au lieu d'en laisser la gestion à un commandement ou un commandant opérationnels qui pourrait influencer considérablement l'établissement de priorités de ces exigences essentielles?

Mgén Day : Étant donné votre expérience, vous comprenez de toute évidence la différence non négligeable qui existe entre une initiative menée par du personnel et une initiative dirigée par le commandement. Cela dit, je vous rassurerai en vous disant que nous allons dans une direction bien précise.

Je suis responsable du programme de développement de l'espace, dans le sens où je m'occupe de ce que nous projetons de faire et des capacités dont nous avons besoin. Ainsi, la gestion des projets de cette initiative relève de mon domaine. Cependant, nous reconnaissons que l'utilisation opérationnelle de l'espace relève du commandement. Cette année, nous avons mis sur pied la Cellule des opérations spatiales canadiennes au sein du COIC, sous la responsabilité du général Beare, afin que le commandant opérationnel des Forces armées canadiennes en assure un contrôle direct, conformément à ses priorités. Il peut affecter les ressources et les actifs selon ce qu'il considère comme l'élément le plus important.

Évidemment, il y a un transfert entre les exigences opérationnelles et horizon 1 — d'un à cinq ans — et l'avenir de l'espace — cinq ans et plus — qui relève de mes responsabilités. Vous pouvez voir que tout est intégré. La Cellule des opérations spatiales canadiennes, la COSC, relève en théorie de mes fonctions, mais j'en ai donné le contrôle opérationnel au commandant de notre centre opérationnel.

Nous avons fait le premier pas. Selon moi, seulement parce que j'ai déjà entamé l'étude, il nous faudra déterminer comment nous pouvons fournir les effets conjoints à nos commandants opérationnels à l'extérieur de l'état-major, tout comme c'est le cas dans le domaine de la cyberdéfense. Vous verrez qu'au cours de la prochaine année, nous allons prendre diverses mesures qui permettront au chef d'état-major de la Défense et au reste de la direction des Forces armées canadiennes de déterminer quelle sera la prochaine combinaison la plus efficace.

Je vous inviterais à envisager cela comme un développement en spirale, dans le cadre duquel on vise à prendre une série de mesures plutôt qu'une seule grande mesure. Cela est fondé sur deux fonctions. Tout d'abord, le cadre de l'espace, si on peut l'appeler ainsi, est relativement restreint; par conséquent, le fait de trop diviser l'expertise technique entre différents fronts présenterait un certain nombre d'inconvénients, bien que cela nous conférerait certains avantages. Donc, à mesure que nous élaborons ce cadre — et nous avons un plan destiné à renforcer les compétences de ces gens qui sont des experts de carrière en matière spatiale, pas juste des gens affectés à ces postes pour quelques années —, nous allons former ces hommes et ces femmes afin de pouvoir davantage doter en personnel les systèmes de commandement et de contrôle à l'avenir.

En outre, il faut savoir combien de systèmes nous voulons. En ce qui concerne l'espace, nous ne comprenons toujours pas entièrement quels efforts seront nécessaires pour réussir à permettre des choses, à posséder deux choses différentes et à bénéficier de cette capacité. Je pense qu'on assistera à un développement en spirale, et je peux dire avec grande confiance que nous allons continuer de permettre au commandant opérationnel d'accomplir ses priorités, et nous allons jouer un rôle d'appui et d'habilitation, comme l'état-major doit le faire.

Le sénateur Dallaire : Il reste préoccupant de voir qu'une capacité opérationnelle future aussi importante connaisse une telle division au sein de son commandement et de son contrôle, et en ce qui concerne également l'établissement de priorités au chapitre de la prise de décision de premier niveau en matière de ressources au MDN.

Pour ce qui est de comprendre les missiles, je parle des missiles spirales sur les frégates, des missiles balistiques, des domaines du radar et des satellites dans le monde, et cetera. Le CMR offre un programme de baccalauréat en sciences spatiales depuis le début des années 1990. Cela fait-il l'objet d'une classification professionnelle au sein du corps des officiers, et peut-être au sein de certains groupes de sous-officiers, afin d'être en mesure de mettre sur pied un groupe qui a la compétence nécessaire pour se charger d'exigences aussi importantes, extrêmement coûteuses, dans le cadre du système? On peut être un bon soldat sur le terrain, mais il s'agit là d'un domaine différent.

Mgén Day : En ce qui concerne la propriété, je ne suis pas certain de pouvoir trouver de meilleure façon de permettre le développement futur du programme spatial ou cyber au sein des Forces armées canadiennes qu'en le confiant à celui qui a entre ses mains l'avenir des Forces armées canadiennes. C'est mon rôle principal. En confiant cet aspect au chef du Développement des forces, on l'intègre comme une priorité avant de commencer à aborder les éléments plus traditionnels, parce que cela relève déjà de moi pour les cinq prochaines années. C'est quelque chose qu'on s'efforce de favoriser au sein de l'institution.

Pour ce qui est du programme spatial, nous tendons vers — et je sais très bien que vous avez géré le programme de RH au ministère. Vous savez à quel point il est difficile de créer une spécialité professionnelle pour le cours d'officier et de militaire du rang. Nous avons maintenant une qualification officielle. À relativement court terme, un insigne fort semblable à mon insigne des opérations commencera à faire son apparition. Il s'agit de l'étape intermédiaire au cours de laquelle nous codifions les qualifications nécessaires pour fonctionner dans le domaine spatial.

Une fois encore, la difficulté vient de la question de la masse critique. On ne peut créer de SGPM sans prévoir de progression de carrière pour ces officiers. On ne peut pas partir de rien et de décider qu'on a maintenant un domaine de carrière. Il nous faut penser au nombre de personnes que nous allons accepter, au leadership, ainsi qu'à ce que l'avenir réserve.

L'étape intérimaire comporte deux volets : celui que je viens de décrire et celui de la qualification formelle. Dans le cadre de ce dernier, nous avons maintenant un objectif de carrière, quelle que soit la SGPM initiale, pour les gens qui ont occupé un certain nombre de postes dans le domaine spatial pendant plusieurs années, et nous avons géré leur carrière de façon très précise. C'est la dernière étape avant la constitution d'une SGPM. Je pense que nous allons y parvenir, mais cette étape nous permet de recueillir non seulement les observations du CMR, mais aussi celles que nous recevons dans le cadre des échanges avec les Américains, par exemple.

Le sénateur Dallaire : Excellent.

Le sénateur Segal : Bienvenue, général, et merci du travail que vous accomplissez pour le Canada.

J'aimerais examiner les aspects spécifiques de votre responsabilité en matière d'espace qui ont trait aux renseignements, ainsi que les liens entre renseignements et nos autres exigences en matière de combat et de défense nationale.

Si l'on pense, par exemple, au moment où nous avions atteint notre pleine maturité à Kandahar au centre de renseignements en temps réel qui avait été mis sur pied par nos forces avec l'aide de nos alliés et qui avait recours à toute une gamme de sources différentes, comme le renseignement humain, le renseignement électronique et les sources numériques, qui ont été rassemblées afin d'optimiser l'efficacité, l'efficience et la sécurité de nos forces sur le terrain, ce qui en faisait un véritable multiplicateur de force, je vous ai entendu dire — et corrigez-moi si je vous ai mal compris — qu'une bonne partie de nos activités spatiales contribue à ce concept de multiplicateur de force, car elles nous donnent une meilleure connaissance du contexte et nous permettent de mieux informer nos troupes, notre force navale, notre force aérienne et d'autres intervenants, et d'être bien informés dans le cadre de tout déploiement auquel il pourrait être appelé à participer, malgré le rôle important des services de recherche et de sauvetage.

Nous savons, pour avoir visité Cheyenne Mountain, qu'en raison de la décision prise en 2005 concernant la défense antimissile balistiques, que le Canada n'a pas de lien avec cet aspect des activités américaines à cet égard. Il s'agit d'un cadre politique, et je comprends que vous n'y pouvez pas grand-chose, étant donné que vous portez l'uniforme.

Cela étant dit, je pense qu'il serait juste de dire que notre grande réussite dans le cadre de l'OTAN, pour ce qui était de refroidir les ardeurs de ce que je qualifierais ironiquement d'ancienne Union soviétique militariste, était fondée sur le fait qu'il y avait de meilleurs liens entre les services de renseignements, la capacité de combat et des multiplicateurs de force, ce qui nous a notamment permis de disposer des missiles nucléaires de théâtre d'opérations en Europe afin que les Russes comprennent exactement les risques associés avec toute activité de leur part. C'est probablement une grande réussite historique pour nous et nos alliés, car nous avons pu éviter qu'un lancement ait lieu, étant donné les conséquences d'un tel lancement qu'aurait eu pour les Russes étaient très claires.

Dans le cadre de votre rôle dans le domaine spatial, vous inquiétez-vous du fait que, pour des raisons d'ordre politique, nous ne participions pas à la défense antimissile, que les Américains ne soient nullement tenus de communiquer les données ou les renseignements dont ils disposent et n'ont aucune responsabilité juridique de défendre une ville canadienne qui pourrait faire l'objet d'une attaque de la Corée du Nord ou de tout autre État voyou, et que votre capacité à optimiser le domaine spatial dans l'intérêt du Canada soit amoindrie? Je ne vous demande pas de faire des observations sur le caractère adéquat d'une politique gouvernementale fédérale; je sais que vous devez respecter certaines contraintes. Mais craignez-vous que parce que vous ne pouvez pas avoir accès à ces renseignements, pour des raisons liées à cette politique, une partie de ce que vous voudriez faire à titre d'officier supérieur responsable de la question de l'espace dans notre intérêt national soit légèrement limitée?

Mgén Day : Merci, sénateur.

Le sénateur Mitchell : Oui ou non?

Le sénateur Segal : Peut-être.

Mgén Day : La réponse normale serait : « Oui, les jeudis ». C'est une excellente question. Je vous suis très reconnaissant de ne pas vous attendre à ce que je fasse des commentaires sur les politiques. Je commencerai par ce point.

Je dirais qu'il ne fait absolument aucun doute que l'utilité du centre de renseignement de toute source en Afghanistan, le CRTS, dépendait du domaine spatial. Le « domaine spatial » est constitué de deux parties : la partie spatiale, c'est-à-dire ce qui flotte dans l'atmosphère, et l'aspect terrestre. On peut avoir les deux ou simplement l'aspect terrestre, et quand même être en mesure d'en tirer des avantages. La manière dont nous contribuons au réseau spatial général nous permet d'obtenir certains de ces avantages. Je pense que cela illustre ce que nous tentions de faire avec le CRTS, et cetera. De toute évidence, la répartition de la défense antimissile balistiques à l'échelle du continent entre la mission du NORAD et USNORTHCOM, comme vous l'avez entendu à Cheyenne Mountain, fait que l'USNORTHCOM est responsable de cette défense et que NORAD ne l'est pas, bien que ce soit une seule et même personne, général Jacoby, qui en soit responsable à l'heure actuelle.

En ce qui concerne la guerre froide, — et je m'aventure un peu, même si je portais l'uniforme à l'époque —, je reconnais que la course à l'armement, amorcée sous le règne du président Reagan, a permis notamment, à la lumière de renseignements reconnus, de savoir ce qu'ils avaient, ce qu'ils pouvaient faire, et tout le reste.

J'en reviens à ce que vous demandiez, si je m'en inquiète. Bien que la défense antimissile balistiques ait un élément tout à fait tangible, dont nous sommes séparés par les politiques, j'ai généralement l'impression que sans être à proprement parlé inscrit dans le programme de défense antimissile balistiques, notre accès aux sources de renseignements dans leur ensemble, de façon générale, repose sur le principe du besoin de savoir, selon ce que nous faisons.

Moi-même, dans le cadre de mes responsabilités de développement des forces, je n'ai pas eu l'impression que mon pouvoir décisionnel était restreint à cet égard. Je ne peux pas vous dire s'il y a possibilité d'amélioration, parce qu'on ne peut pas le savoir. À aucun moment de ma vie je n'aime citer Donald Rumsfeld, mais je dirais tout de même : « J'ignore ce que j'ignore ». Y a-t-il des possibilités d'amélioration? Je ne sais pas. Est-ce que je me sens entravé? Pas en ce moment.

Le sénateur Segal : Dois-je comprendre, général, qu'en ce qui concerne les rapports du MDN avec le National Reconnaissance Office et le Space Operations Center des États-Unis, vous estimez recevoir l'information dont vous avez besoin et dont nous avons besoin selon le principe du besoin de savoir, et que cet échange de renseignements suffit pour vous acquitter de vos responsabilités, que ce soit dans le domaine spatial ou pour fournir des conseils au chef d'état-major de la Défense?

Mgén Day : Sénateur, je peux dire sans réserve que nous recevons un excellent soutien de ces deux organisations, et, en fait, d'autres organisations du gouvernement américain qui s'intéressent à l'espace, particulièrement de l'armée américaine.

Je ne peux pas affirmer qu'on nous dit tout, parce qu'on ignore ce qu'on ignore, mais cet élément est essentiel à notre compréhension et à la réalisation de notre plan, et j'estime être bien équipé pour fournir des conseils au chef d'état-major de la Défense.

Le sénateur Mitchell : Je meure d'envie de demander au général s'il est astrophysicien, mais je ne gaspillerai pas ma première question là-dessus.

J'aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Segal, mais en allant néanmoins un peu plus loin. Avez-vous actuellement un actif spatial qui pourrait contribuer de façon productive à la participation du Canada à la capacité de défense antimissile balistiques de NORAD?

Mgén Day : Je ne sais pas. Je ne suis pas astrophysicien, mais je pense comprendre suffisamment bien les éléments techniques du domaine spatial et de son application à ce que je fais. Je vais être très franc; je ne sais absolument rien du lien entre la défense antimissile balistiques et l'espace. Nos ressources spatiales optimisent les opérations. Nous avons le projet Sapphire. Nous utilisons actuellement le RADARSAT-2 et planifions la constellation RADARSAT. Quant à savoir si ces ressources pourraient être utiles, je ne saurais vraiment le dire. Je ne voudrais pas vous induire en erreur.

Le sénateur Mitchell : Nous avons le système d'alerte du Nord. Y a-t-il un lien, de nature technique ou autre, entre ce système et ce que vous contrôlez dans l'espace, et comment coordonnez-vous cela?

Mgén Day : Le système d'alerte du Nord a été lancé dans le cadre de notre contribution continue à NORAD, pour la défense aérospatiale et d'autres usages, et reste essentiel à cette capacité en général. Nous comptons maintenir ce système. De toute évidence, puisque c'est un système d'origine canadienne, il ne fait pas partie du système de défense antimissile balistiques. Nous n'apportons aucune contribution à ce système. Là encore, comme pour les systèmes satellites, j'ai mes propres opinions, même si elles ne sont fondées sur aucune connaissance de ce que pourrait tirer le système de défense antimissile balistiques des systèmes existants, qu'ils soient au sol ou dans l'espace. Je vous fais mes excuses, mais je ne suis pas en mesure de vous répondre.

Le sénateur Mitchell : Nous espérons trouver une réponse à cette question. Je peux comprendre la difficulté que cela vous pose.

Le sénateur Wells : Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de votre exposé et des réponses que vous avez fournies jusqu'à maintenant.

Vous avez parlé tout à l'heure de domaines de responsabilité. Je crois que vous en avez signalé six, notamment les communications mondiales et les opérations spatiales. Pouvez-vous me dire quels sont nos principaux actifs qui soutiennent ces activités?

Mgén Day : Absolument. Merci beaucoup. Mes commentaires, tout à l'heure, sur les segments dans l'espace et au sol, sont importants à cet égard. Pour l'instant, comme je l'ai dit, le projet Sapphire, qui est un élément de vigilance spatiale, nous aide en gros à recenser ce qui se déplace dans l'espace. Bien qu'a priori, cela puisse ne pas sembler d'une importance capitale, dans cette région très congestionnée, il y a des milliers d'objets spatiaux inconnus qui flottent dans l'espace, que ce soit de façon géosynchrone ou en orbite, et il faut comprendre ce que sont ces objets pour pouvoir lancer un satellite en toute sécurité, maintenir sa position et l'exploiter efficacement.

Au chapitre de la communication mondiale, le Sapphire est essentiel pour le positionnement des satellites de communication et leurs lancements futurs. Nous participons à ce domaine général.

Nous avons aussi le RADARSAT-2, que nous exploitons. Comme vous le savez, il s'agit d'un projet conjoint entre le secteur public et le domaine commercial. Il est bien exploité en ce moment. Nous recueillons les données d'une série d'autres systèmes satellites et réseaux de stations terrestres. Nous projetons de lancer la Constellation RADARSAT, qui comportera au moins trois satellites.

Nous avons aussi exploité le système mondial SARSAT. C'est un satellite en orbite terrestre basse qui sert à déterminer, grâce à des balises, les régions où nous devons mener des opérations de recherche et de sauvetage. Nous faisons la transition à un système en orbite terrestre moyenne. Nous continuerons donc d'exploiter ces capacités.

Pour ce qui est d'exploiter les systèmes et les signaux actuels, qu'ils soient européens, américains ou autres, nous allons de l'avant avec notre propre système.

Le sénateur Wells : Vous atteignez les objectifs de votre programme. Pour ce qui est de l'observation de tout ce qui flotte là-haut, et qui pourrait, littéralement, entrer en collision avec nos satellites et les systèmes que nous lançons, y a-t-il des lacunes? Si vous aviez une demande budgétaire à faire, ou peut-être pas budgétaire, mais une demande opérationnelle raisonnable à faire, que faudrait-il pour combler ces lacunes, selon vous?

Mgén Day : Comme tout le monde, je suis toujours intéressé aux demandes budgétaires raisonnables dans cette ville.

Le sénateur Wells : C'est pourquoi j'ai bien dit « raisonnable ».

Mgén Day : Certainement. Sans donner de chiffres précis, je pense que nous savons tous que le plus grand défi non seulement pour le Canada, mais très franchement, pour tous les pays de l'Arctique, c'est en réalité la capacité de communiquer efficacement dans le Nord. Nous travaillons très fort à ce qu'on appelle un satellite de télécommunications et de météorologie en orbite polaire, et c'est ce qui serait en tête de liste des lacunes à combler.

Le terme « lacunes » est une bonne façon de décrire les choses d'une certaine manière, mais il n'est pas suffisamment nuancé pour vous donner une bonne idée de ce qu'il en est. Ce n'est pas quelque chose de binaire. Il y a des façons de contourner le problème. Mais il est certain que pour notre part, nous nous intéressons vraiment à trois domaines assez vastes : les communications dans le Nord; l'évolution et l'amélioration continues de notre capacité d'intervention de recherche et de sauvetage; et la connaissance de la situation maritime pour ce qui est des systèmes d'identification automatique, les AIS, pour nous permettre de savoir ce qui approche, pour ainsi dire, des côtes, et cetera. Ce sont là les trois domaines.

Nous avons une capacité, à divers degrés, dans ces trois domaines. Il ne s'agit pas, à proprement parler, de lacune absolue, mais nous cherchons certainement à apporter des améliorations fondamentales à cet égard.

Le président : Chers collègues, je resterai, si vous le permettez, sur le sujet de Sapphire en ce qui a trait à notre satellite et à l'information que nous avons fournie.

Est-ce que nous imposons des frais aux autres pays pour l'information que nous leur fournissons? Le cas échéant, est-ce que cela couvre le coût du Sapphire?

Mgén Day : Nous n'imposons pas de frais pour le Sapphire. Tout cela s'inscrit dans le programme de vigilance spatiale. Je m'empresse d'ajouter que par conséquent, il n'y a pas de facturation. Nous recueillons exponentiellement plus de données que nous ne fournissons.

Si nous adoptions un système d'utilisateur-payeur dans l'espace, nous pourrions sans aucun doute recouvrer le coût de Sapphire et payer beaucoup plus pour l'information que nous recevons des réseaux auxquels nous contribuons. Nous y perdrions au change.

Le sénateur Day : Major-général Day, je vous remercie. C'est un nom qui sonne bien.

J'aimerais revenir encore une fois au Sapphire. Je veux pouvoir bien comprendre et permettre aux spectateurs de bien comprendre. C'est un système de vigilance spatiale. Est-ce que cela signifie que d'après les renseignements que Sapphire peut fournir, on ne s'intéresserait pas aux aéronefs? C'est au-delà de notre atmosphère, dans l'espace, n'est-ce pas?

Mgén Day : Absolument, sénateur. Il ne regarde pas vers le bas. Il ne sonde pas l'atmosphère oxygénée, ni les avions, ni la surface de la terre. Il regarde vers le haut et un peu vers le bas, mais en fait, il est conçu pour identifier et consigner dans la base de données tout ce qui est, bien franchement, des déchets spatiaux qui circulent dans l'espace. C'est un élément d'information absolument essentiel aux opérations spatiales.

Quand je pense aux opérations spatiales et que j'en parle, c'est un peu une question d'accès aux données et à l'information, de renseignements, de surveillance et de reconnaissance, comme le disait le sénateur Segal, mais c'est aussi une question de manœuvre des satellites eux-mêmes. Il faut positionner les satellites au départ, et cela ne peut se faire à l'aveuglette.

Le Sapphire nous permet de comprendre — pardonnez le jeu de mots — l'espace dans lequel nous évoluons. Comme ce dernier est de plus en plus saturé, non seulement de satellites, mais aussi d'autres déchets spatiaux — les restes de lancements antérieurs, de satellites qui se désintègrent et ne rentrent pas dans l'atmosphère, et cetera —, le Sapphire nous donne un formidable moyen de savoir qui est physiquement à notre droite, à notre gauche, devant ou derrière.

Le sénateur Day : Vous avez dit qu'il fournit des données de vigilance fonctionnelle à la communauté internationale; il s'agit donc là du partage d'information dont parlait notre président. Est-ce que ce partage est assujetti à des protocoles d'entente précisant l'emploi qui peut être fait de ces renseignements?

Mgén Day : Oui.

Le sénateur Day : La question que je me pose alors au sujet de la défense antimissile, qui est le thème de notre étude ici, concerne le missile balistique intercontinental qui entre dans l'espace et retourne dans l'atmosphère. Est-ce que le Sapphire le repérerait, et est-ce que cette information serait transmise à nos alliés américains?

Mgén Day : Il existe certainement un protocole d'entente sur le partage de toute l'information que nous recueillons dans l'espace, que nous ayons accès directement de l'espace ou qu'elle soit reçue de nos systèmes au sol. Ce sont des données très détaillées et précises. Rien, dans notre entente, ne porte de quelque façon que ce soit sur la défense antimissile balistique.

J'ai des connaissances assez générales de la physique en ce qui concerne la défense antimissile balistiques et les missiles qui sortent dans l'atmosphère et y rentrent. Je connais les aspects techniques de Sapphire. Je ne peux pas vous dire s'il y a corrélation entre les deux. Je vais prendre note de la question et tenter de vous fournir une réponse plus exhaustive et détaillée, mais j'ai idée que nous ne pourrons pas y répondre. Comme nous ne participons pas au programme de défense antimissile balistiques, les détails du profil de vol de quelque missile que ce soit ne nous sont probablement pas accessibles. Nous ne pourrions donc pas dire si le Sapphire a ou non la capacité de faire des corrélations.

Je dirais, toutefois, d'après le peu que je comprends du fonctionnement de Sapphire, que je doute que le système puisse vraiment faire beaucoup dans sa configuration actuelle, si elle suffit. Je prends note, si vous permettez, et je vous reviens là-dessus.

Le sénateur Day : Ce serait utile.

Mgén Day : Dans vos attentes, je vous prierais de tenir compte du fait que notre accès à l'information technique sur la défense antimissile balistiques est limité parce que, bien entendu, nous ne participons pas au programme. Mais nous allons examiner la question et nous vous reviendrons.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Major-général Day, je vous remercie de votre présence.

[Traduction]

Pouvez-vous confirmer aux fins du compte rendu que la Chine est le seul pays à chercher activement à armer l'espace? Pourriez-vous expliquer en quoi cela contribue à la quantité de déchets qu'il y a dans l'espace?

Mgén Day : Je suis très conscient du degré de protection des renseignements dans cette salle et de ce que je peux dire au sujet de l'armement ou de la militarisation de l'espace. Tout d'abord, je dirais que les termes militarisation et armement de l'espace n'ont pas de définition commune dans le monde, et même au sein de l'OTAN, d'ailleurs.

[Français]

En français, ce sont presque les mêmes mots.

[Traduction]

Pour ce qui est de la militarisation, évidemment, la première fois qu'un jeune officier d'infanterie comme moi s'est perdu et a sorti un GPS, nous avions militarisé l'espace. Nous nous en servions à des fins militaires. Pour ce qui est de l'armement de l'espace, nous convenons, comme tous les membres de l'OTAN, que ce n'est que pour l'utilisation pacifique de l'espace. Bien que ce dernier puisse servir à des fins militaires, il ne peut être armé, selon le sens que vous et moi donnons au terme, je pense. Je ne peux pas, ici, donner d'avis ou faire de déclaration non classifiée relativement au pays qui procède ou non à l'armement de l'espace. Je vous présente mes excuses.

La sénatrice Beyak : Pourriez-vous dire aux Canadiens qui sont chez eux ce qui constitue, d'après vous, la plus grande menace pour le Canada et ses alliés de nos jours?

Mgén Day : Je n'en suis pas encore très sûr. Tout dépendrait de ce que je m'exprime en tant qu'économiste, militaire ou politicien. Pardonnez-moi, mais je ne pense pas que vous vouliez qu'un militaire définisse ce qu'est la plus grande menace. Il peut s'agir d'une menace terroriste asymétrique, et je crois qu'on peut tous comprendre que depuis 10 ans, ou du moins depuis les événements du 11 septembre, le nombre de ces menaces a augmenté de façon exponentielle. On peut aussi penser à l'Iran, à la Corée du Nord, aux États voyous et aux programmes nucléaires et aux programmes de missiles balistiques potentiels — auxquels vous pensez peut-être — qui représentent vraiment une menace, ou à la question du commerce et de la sécurité. Tout dépend de la valeur que vous accordez à chaque élément. Je reconnais que tous ont un potentiel énorme. Je ne suis pas sûr d'être bien placé pour attribuer pour vous une importance relative à l'un ou l'autre de ces piliers.

La sénatrice Beyak : Le sénateur Wells vous demandait si vous aviez quelque chose à demander, sur quel aspect de la sécurité des Forces canadiennes mettriez-vous l'accent?

Mgén Day : Si je m'exprimais au nom du chef, je pense qu'il continuerait de dire que nous sommes extrêmement bien formés. L'expérience dont disposent les Forces armées canadiennes n'a jamais été si grande. Il n'y a qu'à penser à ce qu'on a fait, que ce soit l'intervention lors de l'inondation de Calgary, où nous sommes bien placés pour intervenir encore ce printemps, ou qu'on pense à la Libye ou l'Afghanistan, où nous avons mené des missions de combat et de formation; il n'y a pas de lacune à cet égard. Pour ce qui est de l'équipement qu'on a pu acquérir et au point où nous en sommes, je crois que sur ce plan, nous sommes dans une situation raisonnable. Nous avons une aspiration, évidemment, concernant divers programmes, comme le programme national de construction navale. Ce dernier doit se poursuivre à un rythme soutenu. Je crois que le chef indiquerait que l'une de ses priorités, c'est de nous assurer qu'il n'y ait pas de dérapage de ce côté-là. Il est certain que la recapitalisation d'une série d'autres flottes doit aller de l'avant. C'est ce qu'il dirait pour ce qui est de notre institution.

Le sénateur Dallaire : J'allais vous demander dans quelle mesure les six grands projets, dont je soupçonne certains d'être d'envergure, ont fait l'objet d'un report ou même d'une diminution de portée à cause des réductions budgétaires. Je me demande si vous avez été en mesure d'empêcher cela.

Ce que je veux véritablement savoir en ce qui concerne la défense antimissile balistiques, c'est ce dont vous disposez, dans vos fonctions, pour défendre une ville du Canada contre une attaque de missiles balistiques si la Corée du Nord ou peut-être l'Iran devaient cibler l'Amérique du Nord?

Mgén Day : Je sais que vous n'avez pas posé la question, mais si vous permettez que je profite de l'occasion de parler du programme aérospatial, de dérapage, et cetera, sachez que je n'ai réduit la portée d'aucune ambition ou d'aucun des programmes spatiaux dont je suis actuellement responsable.

La redéfinition de la portée et les réductions que j'ai dû faire ont touché l'élément technique et l'harmonisation avec les alliés plutôt que le financement lui-même. Le programme spatial, et je crois que vous le constaterez dans les prochaines années, deviendra un moteur important, avec l'environnement cybernétique, au sein des Forces armées canadiennes. Nous voyons que c'est déjà en train d'émerger. C'est le catalyseur essentiel.

À ce jour, bien qu'il soit difficile de se faire une place dans le plan d'investissement actuellement, très franchement, je suis très confiant que nous allons poursuivre sur notre lancée. Je reviens à votre question de tout à l'heure au sujet de la réussite à cet égard. Cela témoigne directement de la priorité et de l'importance qu'accorde la chaîne de commandement au programme spatial et de la place qu'il prend au sein du ministère.

Pour ce qui est de la protection, j'applique un modèle de planification axé sur la capacité pour les Forces armées canadiennes. En gros, il comprend une analyse sur un horizon de 20 à 25 ans, évalue une série de scénarios et définit les capacités auxquelles pourraient aspirer les Forces armées canadiennes pour faire réagir au mieux à ces scénarios. L'un d'eux est très près de celui que vous avez décrit.

Je m'empresse d'ajouter qu'aucun pays, à part les États-Unis, ne pourrait réunir tout le spectre des capacités figurant dans ce modèle de planification. C'est un modèle conceptuel qui fournit de l'information afin de permettre d'établir les priorités dans les choix qui devront être faits pour déterminer quelles sont les capacités auxquelles nous attribuons la plus grande valeur.

Quand je fais une analyse des lacunes et des chevauchements entre ce qui pourrait être nécessaire dans le futur et ce que nous avons actuellement pour éclairer les décisions à prendre en ce qui concerne le scénario que vous avez décrit, il n'y a rien dans l'arsenal actuel des Forces armées canadiennes qui protégerait ou empêcherait un lancement hypothétique. Cependant, je dirais aussi qu'aucun de ces deux pays ne présente de menace sérieuse pour ce qui est de certains des scénarios dans l'avenir. Ils ne présentent certainement pas de menaces identiques. Ils ont une capacité de missiles balistiques différente l'un de l'autre.

Le sénateur Dallaire : J'apprécie votre franchise à ce sujet.

Le sénateur Mitchell : J'aimerais éclaircir la question et utiliser l'observation de la sénatrice Beyak à l'intention des personnes qui nous regardent à la maison.

Si un jet porteur d'une tête nucléaire se dirigeait vers ma ville d'Edmonton, si un avion devait lâcher une bombe nucléaire ou si un missile de croisière devait livrer une tête nucléaire, dans tous ces cas, le Canada participerait directement à la décision dans le cadre de NORAD, parce que nous participons au NORAD relativement à ces deux systèmes de livraison. Donc, nous aurions notre mot à dire, même si cette arme visait Edmonton — et ne serait pas une grande menace pour les États-Unis —, Montréal ou toute autre ville pas très proche des États-Unis; il n'est pas improbable que NORAD l'éliminerait ou tenterait de le faire. Mais si, disons, un missile balistique était lancé vers ma ville d'Edmonton, parce que nous ne participons pas à la défense anti-missile, ce ne serait qu'un autre système de livraison. Il pourrait s'agir exactement de la même ogive, en fin de compte mais le Canada ne participerait pas à cette décision parce que nous ne participons pas à la défense antimissile dans le cadre de NORAD, un point, c'est tout.

Mgén Day : La réponse au sénateur Dallaire portait sur la spécificité d'une attaque par missile. Comme vous l'avez dit, si l'arme devait être lancée par un avion, cela s'inscrirait nettement dans les responsabilités de NORAD.

Je ne peux pas vous donner de précision, mais je sais que vous avez vu le lieutenant-général Parent. De plus, le major-général St-Amand vous a parlé des responsabilités de la division aérienne des Forces canadiennes. Ils sont mieux placés pour parler de l'efficacité avec laquelle on intercepte et élimine ces menaces. Donc, vous avez raison de dire que si c'était un missile balistique lancé vers le Canada, nous ne participerions pas. Cette décision n'est pas prise par NORAD, qui est un commandement binational, mais par NORTHCOM.

Le sénateur Mitchell : Le commandement américain lui-même.

Mgén Day : C'est cela. NORTHCOM est une structure américaine de commandement et de contrôle.

Le président : Ce n'est pas forcément une bonne position pour le Canada.

Le sénateur Dallaire : Après avoir lu certains documents, je reste avec l'impression que nous envoyons toutefois déjà un détachement au commandement spatial américain. Est-ce que ces gens en détachement n'ont que des fonctions de consultation et non d'exécution? Est-ce que c'est pour l'échange d'information? Est-ce qu'ils ont un rôle précis à jouer?

Mgén Day : Ils occupent diverses fonctions. Actuellement, nous sommes extrêmement actifs à cet égard en raison de la taille de l'entreprise spatiale des Américains et des leçons que nous pouvons en tirer. Nous pensons pouvoir accomplir des progrès générationnels en appliquant les leçons qu'ils ont apprises, en intégrant nos gens à leur personnel et en les ramenant ici pour par la suite les employer. C'est le groupe de spécialistes de l'espace dont je vous parlais, que nous gérons précisément par nom, par personne. Nous avons plusieurs personnes qui sont détachées à des postes de consultation et de liaison. Il faudrait que je vérifie en détail les postes d'exécution pour voir s'ils participent aux opérations de la chaîne de commandement. Si je peux vous revenir là-dessus, je le ferai. Mais même si c'était le cas, ils seraient exclus de tout entretien ou de toute participation aux opérations spatiales portant sur la défense antimissile balistiques. Je confirmerai pour vous la nature véritable de ces postes.

Le sénateur Day : Général, j'ai besoin de votre aide pour comprendre l'organigramme de votre section des forces armées et où le brigadier-général Pitre, qui a déjà comparu ici, ou la personne qui le remplace maintenant, s'inscrit dans cette organisation.

Mgén Day : J'ai deux responsabilités. Je suis le planificateur de l'avenir institutionnel des Forces armées canadiennes. Je suis responsable de la capacité et de la structure futures des Forces armées canadiennes sur un horizon d'au moins cinq ans. Ma responsabilité consiste en quelque sorte de créer un plan d'action stratégique de choix pour le chef, le sous-ministre et d'autres personnes. Par la suite, au cours de ces cinq ans, j'assume la fonction de mobilisation interne pour m'assurer que toutes les autres parties adhèrent à ce plan d'action. Je vérifie leur calcul pour m'assurer que leurs opérations correspondent à ce qui a été projeté. Voilà la nature de mes responsabilités institutionnelles.

Comme dans l'armée, la marine et la force aérienne, qui sont responsables de l'exécution de ce plan d'action, je suis aussi responsable de l'exécution des éléments conjoints du plan d'action. Je suis le moteur de la force mixte. C'est pourquoi je m'occupe de l'espace, de l'environnement cybernétique, de MBC et de l'initiative C4ISR, et donc du commandement et du contrôle, des communications, de la coordination, des renseignements, de la surveillance, de la reconnaissance et du développement de toutes ces capacités et le soutien opérationnel. Mon travail consiste à produire la capacité, après quoi, c'est un environnement qui incombe de constituer l'effectif et l'employer.

Vous avez posé une question sur le brigadier-général Pitre. C'est l'un des officiers généraux. Il est maintenant à la retraite. La personne qui le remplace travaille pour moi et est en quelque sorte la personne sur le terrain dans le cadre du programme spatial. Ses responsabilités concernent strictement le domaine spatial. C'est son unique point de mire. Pour ma part, je me concentre sur le domaine mixte en général et sur les capacités stratégiques des Forces armées canadiennes pour l'avenir.

Le sénateur Day : Nous allons entendre sous peu le général Natynczyk. Où se situe votre organisme dans l'organigramme de l'Agence spatiale canadienne? Quelle est la relation entre les deux?

Mgén Day : Comme il est souhaitable, nous interagissons avec l'agence à différents niveaux. Je parle régulièrement au général Natynczyk. Je vais à son bureau le rencontrer. Nous nous parlons au téléphone. Nous faisons partie du même comité du sous-ministre, où mon rôle consiste à appuyer le sous-ministre. Et puis, nous avons un agent de liaison à temps plein détaché à l'Agence spatiale canadienne pour assurer le contact.

Le contact à la minute se fait avec le brigadier-général Pitre, que remplacera bientôt le brigadier-général Lalumière, qui vient d'être promu vendredi dernier. Il entrera en poste la semaine prochaine. C'est pourquoi je suis ici devant vous plutôt que l'expert en aérospatiale. Il agira à titre de contact direct avec son équipe de façon continue. Il ne serait pas faux de dire que nous sommes en contact quotidien avec l'agence spatiale.

Le sénateur Segal : J'aimerais revenir sur la question de ma collègue, la sénatrice Beyak. Je vous suis reconnaissant d'avoir été franc à propos de vos contraintes, et je veux qu'il soit clair que je comprends, car aucun d'entre nous ici n'est assermenté en vertu de la Loi sur la protection de l'information en ce qui concerne la classification. Même si nous tenions cette séance à huis clos, étant donné votre classification, vous ne pourriez pas divulguer ici certains renseignements, tout simplement en raison des contraintes auxquelles vous êtes soumis. Je voulais simplement m'assurer de bien comprendre votre situation.

Mgén Day : Absolument. Et même si j'utilisais des renseignements non secrets et que je les partageais avec vous, cette situation supposerait que j'appuie ou que j'accepte ces renseignements. Alors que nous soyons à huis clos ou non, il s'agit d'une question de classification. Je vous présente une fois encore mes excuses, sénateur.

Le sénateur Segal : Non, je comprends. Merci pour votre franchise à ce sujet, général.

Le président : Il ne reste qu'une minute avant le coup de 14 heures. J'aimerais remercier les témoins d'avoir comparu aujourd'hui. La séance a été très instructive. Je vous remercie d'avoir été aussi francs. Nous apprécions le travail que vous faites en notre nom et au nom de tous les Canadiens.

J'aimerais que nous poursuivions sur le sujet de la défense antimissile balistiques. Nous sommes heureux d'accueillir Mme Michaela Dodge, analyste des politiques, Politiques de la stratégie et de la défense à la Heritage Foundation à Washington, qui possède une très vaste expérience dans la recherche relative aux politiques de défense antimissile balistiques aux États-Unis et qui a travaillé pour faire avancer la défense antimissile balistiques en Europe et plus précisément en République tchèque.

À ses côtés se trouve M. Richard Weitz, directeur du Centre d'analyse politico-militaire de l'Institut Hudson. Il a travaillé à titre d'universitaire à Harvard et en tant que membre du département de la défense. Il a obtenu un diplôme du Harvard College avec les plus grands honneurs; il est aussi diplômé de la London School of Economics et des universités Oxford et Harvard, où il a été choisi Phi Bêta Kappa. Il parle russe, français et allemand.

À côté de M. Weitz, Mme Lauren van den Berg, qui travaille avec lui et qui est consultante en politique étrangère.

Bienvenue à tous au comité. Nous sommes ravis que vous ayez pu comparaître en personne pour nous faire part de votre point de vue sur ce sujet important. Je crois comprendre que vous avez tous des exposés. J'inviterais alors M. Weitz à commencer, suivi de Mme Dodge. Notre séance durera environ une heure.

Richard Weitz, directeur du Centre d'analyse politico-militaire, Institut Hudson : Mme Dodge a un exposé plus général à prononcer; j'ai donc pensé qu'elle pourrait commencer et que je ferais mon exposé par la suite.

Le président : Très bien. Madame Dodge, allez-y.

Michaela Dodge, analyste des politiques, Politiques de la stratégie et de la défense, Foundation, à titre personnel : Merci. Je suis analyste des politiques à la Heritage Foundation. Toutefois, le point de vue que j'exprimerai aujourd'hui dans le cadre de ce témoignage est le mien et ne devrait pas être perçu comme étant la position officielle de la Heritage Foundation.

Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner à propos d'un sujet aussi important que celui de la défense antimissile balistiques et des avantages potentiels qu'entraînerait une coopération entre le Canada et les États-Unis à cet égard.

Les missiles balistiques sont devenus des armes de prédilection pour les États voyous. La Corée du Nord et l'Iran travaillent pour mettre au point des missiles balistiques à longue portée qui pourraient atteindre les territoires canadiens ou américains. La Corée du Nord y est peut-être déjà parvenue. En 2012, ce pays a déployé ce qui semble être un missile balistique à longue portée.

En mars 2014, le général Jacoby, commandant de NORTHCOM, a prévenu que des preuves tangibles des ambitions de la Corée du Nord et de l'Iran confirment que la menace limitée que présentent les missiles balistiques pour les États-Unis était une possibilité non plus théorique, mais bien réelle. Heureusement, nous n'avons pas à rester passifs tandis que les menaces s'intensifient.

L'OTAN a intégré la défense antimissile balistiques dans ses compétences principales en 2010. Bien avisé, le Canada a sanctionné et appuyé la position de l'OTAN. Toutefois, le Canada ne participe pas au programme de défense antimissile des États-Unis qui protège l'Amérique du Nord. Par conséquent, il n'existe aucun cadre législatif qui permettrait aux soldats américains d'intercepter un missile balistique en direction d'une ville canadienne comme Ottawa, Toronto ou Québec.

Le programme américain de défense antimissile a progressé au cours des 13 dernières années. Ces progrès n'ont pas déclenché de course aux armements et n'ont pas non plus encouragé la présence d'armements dans l'espace. Le programme américain de défense antimissile à longue portée présente un taux de réussite de 50 p. 100, et le système s'améliore parce qu'à chaque essai et échec, nous repoussons les limites du système et en apprenons davantage.

Les alliés adoptent la défense antimissile par l'intermédiaire de l'OTAN. La Pologne et la Roumanie ont accepté d'accueillir des sites Aegis Ashore. La Turquie accueille un radar AN/TPY déployé à l'avant. L'Espagne accueille des navires américains à capacité de défense antimissile balistiques. L'Allemagne et le Danemark réfléchissent à la possibilité de moderniser leurs navires pour leur donner un rôle de défense antimissile. La marine néerlandaise change ses radars de bord pour repérer les cibles de missiles balistiques. L'Espagne, la Norvège et le Royaume-Uni ont exprimé l'intérêt de moderniser leurs navires, et le Danemark et le Royaume-Uni ont déjà modernisé leurs radars d'alerte avancée. Je crois fermement qu'il est dans l'intérêt supérieur du Canada d'entreprendre des discussions avec d'autres pays qui participent au programme américain de défense antimissile de longue portée.

Premièrement, le Canada aurait l'avantage de défendre ses citoyens et son territoire contre une attaque de missiles balistiques. Qu'y a-t-il de plus important pour la souveraineté d'un gouvernement que la capacité de protéger ses propres citoyens?

Deuxièmement, le Canada aurait l'avantage de faire valoir son engagement dans les efforts de défense antimissile de l'OTAN. À des moments vraiment cruciaux, le Canada pourrait montrer l'exemple aux alliés qui souhaitent prendre des décisions à propos de leur propre capacité en matière de défense antimissile. Le gouvernement du Canada enverrait ainsi un message aux opposants montrant qu'il prend au sérieux la protection de ses citoyens contre les menaces de missiles balistiques.

Troisièmement, le Canada aurait l'avantage de participer au système de défense antimissile. Vous avez entendu le général Day parler de certains problèmes auxquels il pourrait être confronté si le Canada ne peut pas participer aux décisions ou s'il ne peut pas faire valoir son point de vue dans le processus.

Le Canada pourrait s'assurer que les villes canadiennes figurent aux premiers rangs de villes qu'on projette de protéger en interceptant des missiles.

Quatrièmement, le Canada profiterait d'une meilleure sécurité tout en diminuant les coûts qui y sont liés. À une époque où on réduit les budgets de la défense, il est tout à fait logique d'intégrer les défenses. La défense antimissile est un excellent exemple des concepts de l'OTAN visant à regrouper et à partager les ressources. Même une contribution relativement modeste pourrait changer considérablement les choses pour la sécurité de tous les alliés de l'OTAN.

Cinquièmement, le Canada serait moins susceptible d'être attaqué par missile balistique. Les menaces de missiles balistiques gagnent du terrain et deviennent de plus en plus sophistiqués. Les opposants des États-Unis perçoivent déjà le Canada comme un allié important. Ceux qui possèdent des missiles balistiques pouvant atteindre notre territoire pourraient exploiter cette vulnérabilité. L'Iran et la Corée du Nord veulent obtenir des missiles de longue portée et sont prêts à y consacrer des ressources considérables en main-d'œuvre et à sacrifier leur réputation. Il est donc peu probable qu'ils mettent fin à ces programmes dans un avenir rapproché.

Les gouvernements du Canada et des États-Unis devront régler de nombreux problèmes d'ordre technique, politique et financier. L'amorce d'une discussion à propos de ces questions importantes servirait l'intérêt national du Canada.

J'apprécie les travaux importants menés par le comité sur cette question de premier plan. J'exhorte le comité à inclure, dans son rapport de fin d'année, un avis positif relativement à la participation du Canada aux efforts américains de défense antimissile.

Je vous remercie pour cette occasion de témoigner à propos de la participation éventuelle du Canada aux efforts de défense antimissile des États-Unis et à propos des avantages qu'il pourrait en retirer. Je suis disposée à répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame. Monsieur Weitz.

M. Weitz : Mme van den Berg formulera quelques observations à propos de la perspective canadienne et je ferai mon exposé par la suite.

Lauren van den Berg, consultante en politique étrangère, à titre personnel : J'aimerais d'abord vous remercier de votre invitation à témoigner à propos d'une question aussi importante et cruciale.

La politique étrangère et de défense du Canada a longtemps été axée sur le développement et la coopération comme moyens de défense primaires pour la sécurité collective. Cette préférence dominante visant une défense distincte mais coopérative a largement défini nos relations avec notre plus proche allié au sud de nos frontières. Dans la même veine, la politique canadienne en matière de défense antimissile repose historiquement sur trois grands principes de la diplomatie : premièrement, prendre contact avec les proliférateurs potentiels des missiles balistiques, deuxièmement, promouvoir les mécanismes multilatéraux de contrôle des armes et troisièmement, examiner le déploiement des capacités de défense.

Au Canada, la défense antimissile balistiques a été grandement façonnée par plusieurs mythes populaires. Selon le premier, dont le major-général Day a brièvement parlé, la défense antimissile est tout simplement un prolongement de l'Initiative de défense stratégique, alias « la Guerre de étoiles » et qu'elle entraînera la militarisation de l'espace. Le deuxième mythe est qu'il y a une nouvelle course aux armements entre la Chine, la Russie et les États-Unis. Le troisième veut que le Canada soit forcé de contribuer financièrement au déploiement du système et que son territoire soit utilisé. Selon le quatrième, enfin, notre souveraineté canadienne en serait compromise. Nous en reparlerons plus tard.

Les partisans d'une participation du Canada dans la défense antimissile ont souligné que l'initiative n'avait pas entraîné de militarisation de l'espace ou d'instabilité stratégique. Ils font aussi valoir que notre participation nous vaudrait une place dans les négociations où sera décidée la défense de notre territoire. Mais le Canada ne peut pas simplement supposer que la participation du NORAD dans les interceptions impliquerait qu'il aurait son mot à dire à propos des endroits qui seront protégés, ce qui nous laisse trois grandes options dont je parlerai plus en détail.

La première option, c'est le statu quo. Le Canada peut rester à l'écart de la défense antimissile balistiques en Europe et en Amérique du Nord, mais étant donné l'évolution rapide de l'environnement international et ce qui se passe en Russie et en Ukraine, cette option n'est pas forcément la plus intéressante à moyen ou à long terme.

Deuxièmement, nous pourrions penser à élaborer ou à installer des systèmes de radar au Canada tout en appliquant la Stratégie de défense Le Canada d'abord, la SDCD, et réfléchir à la valeur stratégique de la région de l'Arctique, qui est soulignée ici. Nous pourrions envisager des investissements limités pour l'acquisition de radars qui seraient utilisés pour d'autres fonctions de sécurité et de défense, ce qui n'est pas forcément incohérent en fonction de la politique actuelle.

Notre troisième option serait une démarche progressive qui supposerait de doter les navires dédiés aux missions de l'OTAN de radars ou de systèmes de lancement, ce qui pourrait exiger des investissements dans la modernisation de la Marine royale canadienne. Dans la même veine, on pourrait contribuer aux systèmes de défense antimissile balistiques basés en Europe ou aux États-Unis, quoique ce ne soit peut-être pas l'option la plus rentable pour le Canada. De plus, nos ressources pour le développement complet de notre propre système de défense antimissile balistiques sont limitées.

Pour toutes ces raisons, l'OTAN offre une occasion unique de participer. L'alliance, comme en a parlé Mme Dodge, a récemment convenu d'élargir la portée de son programme de défense antimissile balistiques. En ratifiant en 2010 le concept stratégique de l'OTAN dans le traité de Lisbonne, le Canada a en fait déjà sanctionné l'utilité stratégique qui sous-tend la défense antimissile et a déjà commencé à accepter, ne serait-ce qu'en principe, de participer aux systèmes de défense antimissile balistiques par l'intermédiaire de l'OTAN.

Sur cette note de coopération multilatérale, je donne la parole à mon collègue américain, M. Weitz.

M. Weitz : Afin de mettre les choses en perspective, vous avez une description du type d'intérêt qui est en jeu pour le Canada, la raison pour laquelle il veut participer, et puis nous avons eu la démonstration de l'engagement à long terme du Canada en matière de sécurité internationale en Afghanistan récemment et maintenant en Ukraine.

Ce à quoi vous voudrez réfléchir, selon moi, c'est aux options qui se présenteront à vous ainsi qu'aux coûts et aux avantages de celles-ci. Je comprends que vous ne formulerez pas de recommandations concrètes, mais vous avez ici de nombreuses personnes intelligentes qui voudront probablement y réfléchir.

Le statu quo consiste à ne rien faire et présente certains avantages. Il n'y a pas vraiment de coûts d'un point de vue financier. Il n'existe pas de menace claire. À l'heure actuelle, aucun pays ne lancerait délibérément un missile balistique nucléaire en direction du Canada, mais cette situation pourrait changer. L'environnement de sécurité évolue. Il pourrait y avoir un tir raté qui pourrait dévier de sa trajectoire ou être frappé lors d'une tentative d'interception et se diriger vers le territoire canadien. Le Canada pourrait, comme certains pays européens le craignent, être détenu en otage. Afin de dissuader les États-Unis de passer à l'action, un opposant pourrait menacer ou viser une cible dont la défense est plus faible. Le Canada s'est toujours efforcé, et a toujours réussi, à ne pas être perçu comme un parasite au sein de l'alliance, le statu quo pourrait nuire à cet objectif.

Selon moi vous devriez envisager deux options. La première est celle d'un système de radars qui apporterait une contribution aux réseaux, parce que le système de défense antimissile est beaucoup plus efficace avec des capteurs. Il existe des capteurs qui se chevauchent, des capteurs sur différentes plateformes. On peut verser l'information générée dans un même endroit. On peut intégrer l'information. S'il le pouvait, je suis certain que c'est ce que le major-général Day vous dirait. On peut tirer de nombreux avantages d'une petite augmentation des capteurs et ainsi de suite. Il était logique pour le Canada d'installer un radar bande X ou d'autres radars sophistiqués dans le nord-est afin de compléter le type de systèmes que les États-Unis ont mis en place. Tant qu'il y a des garanties suffisantes pour le partage et le regroupement d'informations, on pourrait prolonger le délai d'alerte lointaine auquel nous serions confrontés en cas de menace contre le territoire nord-américain.

Dans le cadre de l'OTAN, vous avez l'option des capteurs, mais aussi celle des tireurs. On peut le voir comme une option capteur et tireur.

À l'heure actuelle, comme vous le savez, l'OTAN a évolué et élabore des défenses antimissiles en réaction aux menaces croissantes. On commence par installer des systèmes à courte portée sur des navires à proximité de l'Iran. Ensuite, on commence à installer des systèmes à longue portée, certains sur terre, en Roumanie et en Pologne, ainsi que des radars à longue portée et ainsi de suite. Les pays participent à cette initiative de différentes façons. Le Canada pourrait facilement s'intégrer à ce cadre multilatéral. Vous pourriez installer des capteurs et des intercepteurs sur certains de vos navires. Ceux-ci pourraient servir à défendre les intérêts canadiens dans l'Arctique et partout où les navires seraient déplacés. Les coûts ne seraient pas forcément élevés parce que l'OTAN fonctionne selon une démarche de regroupement et de partage dans le cadre de l'initiative de défense intelligente. Donc, pour les dépenses les plus élevées comme le transport et les véhicules aériens sans pilote orientés vers le sol, plusieurs pays mettent en commun les ressources en vue de l'acquisition, du partage et de la répartition.

Voilà quelques options que le Canada pourrait envisager. Le radar pour l'Amérique du Nord, puis le radar et les intercepteurs pour l'OTAN. Pour le reste, c'est une question de financement.

Merci beaucoup. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Chers collègues, j'aimerais d'abord poser une question au témoin précédent. Je crois que vous étiez tous les deux présents à ce moment-là. On a posé une question concernant l'absence de cadre législatif pour un programme de défense antimissile balistiques entre le Canada et les États-Unis. Le sénateur Mitchell parle souvent d'Edmonton comme l'éventuelle cible, d'un missile errant ou, disons-le comme ça, d'un missile qui dévierait de sa trajectoire. Je pense que nous partageons tous cette inquiétude. Toutefois en tant que comité, je ne crois pas que nous ayons tenu de discussion poussée à propos de l'absence d'un cadre législatif faisant en sorte que les industries au Canada et aux États-Unis ne connaissent pas la position exacte adoptée en ce qui concerne un éventuel missile errant.

J'aimerais demander à Mme Dodge si elle veut commenter à ce sujet et peut-être que M. Weitz voudrait se prononcer lui aussi.

Mme Dodge : Absolument. Il est vrai qu'il n'existe pas de cadre législatif qui permettrait aux États-Unis d'intercepter un missile en direction du Canada. Si vous demandez à vos collègues américains s'ils intercepteraient un tel missile, leur réponse sera probablement oui. Je ne sais pas s'ils le feraient malgré l'absence d'un cadre législatif, mais il y a une autre chose qu'il faut absolument garder à l'esprit lorsqu'on pense à l'interception de missiles : on a très peu de temps pour prendre une décision. Un délai pourra vous empêcher d'avoir le temps de tirer une seconde fois si vous ratez le premier tir. Si on avait un cadre législatif, les questions de contrôle et de commande seraient déjà réglées et les pouvoirs seraient déjà délégués, ce qui procurerait de meilleures chances de réussir l'interception et si elle ratée, d'essayer une seconde fois. C'est ce qu'on appelle la capacité de viser — tirer — viser en langage de défense antimissile américain, il est très important de garder ceci à l'esprit. Comme un missile à longue portée prend environ 30 minutes pour atteindre le territoire américain, on n'a littéralement que quelques minutes pour réagir.

M. Weitz : Avec cette perspective judicieuse, vous en conclurez probablement que les États-Unis ne feraient que mettre en œuvre leurs plans d'urgence déjà établis. Si le missile se dirigeait vers l'Amérique du Nord sans que l'on sache vraiment si la cible est le Canada ou les États-Unis, ils essayeraient de l'intercepter en fonction des plans déjà dressés, car ils n'auraient pas le temps de réagir spontanément. Faute de cadre légal, le Canada devra subir les conséquences des décisions prises uniquement par les États-Unis. Il pourrait aussi en profiter. Mais il n'aurait absolument pas son mot à dire. Peut-être qu'on ne serait pas d'accord avec les éléments planifiés par les Américains. Peut-être qu'on préférerait une autre issue, mais pour l'instant, on n'a pas voix au chapitre. Voilà le coût à payer.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir au contexte de l'Europe et de l'OTAN. Durant la guerre froide, bien que nous n'ayons pas d'armes nucléaires, nous avions la capacité d'en acheminer, surtout des armes nucléaires tactiques, dans des zones avancées. D'un côté, nous affirmons ne pas vouloir posséder ou fabriquer d'armes nucléaires, mais de l'autre, nous pourrions les employer au besoin. Soit dit en passant, nous faisons partie d'une alliance qui avalise le recours à ces armes. C'est un peu hypocrite.

Permettez-moi de pousser un peu plus loin mon argument en l'appliquant au concept de défense intelligente de l'OTAN. Est-il possible que l'OTAN se serve de notre contribution pour financer la défense antimissile balistiques en Europe?

Mme Dodge : Je peux répondre à la question. En fait, les moyens de défense antimissile sont financés par les États-Unis. Il y aura des intercepteurs américains ainsi que du personnel américain sur le terrain en Pologne et en Roumanie. Tout comme c'est le cas pour les armes nucléaires, les pays européens contribuent en accordant une partie de leur territoire. Il arrive qu'ils assurent la sécurité de ces structures de défense. Comme vous le savez, au sein de l'OTAN, il n'y a pas de capacités à proprement parler. Tous les éléments de défense appartiennent aux pays qui les fournissent, y compris la défense antimissile.

Le sénateur Dallaire : Je ne me soucie pas des droits de propriété des éléments de défense. Mais je voulais savoir si, en vertu du concept de défense intelligente nouvellement adopté, il y avait un quelconque alignement du financement. Ce que j'essaie de dire, c'est qu'il me semble absolument et fondamentalement stupide que nous participions au financement d'une défense antimissile en Europe et que nous refusions de le faire ici pour nous-mêmes. Êtes-vous en train de me dire qu'il n'y a aucun lien et que les Américains assument l'entièreté des coûts? Ces coûts ne font pas l'objet d'une contrepartie ailleurs dans l'infrastructure de l'OTAN.

Je vous invite tous deux à répondre.

M. Weitz : L'OTAN dispose de certaines structures multilatérales. Au sein de l'OTAN, on a convenu de dépenser aux fins de la défense antimissile 200 millions de dollars à l'origine pour intégrer le programme de défense antimissile que les Européens membres de l'OTAN étaient en train de construire avec les Américains. Essentiellement, il s'agit d'un cadre de commandement et de contrôle qui permet aux capacités européennes et américaines d'être interchangeables, et qui permettra une intervention en vue d'aider les populations membres de l'OTAN ainsi que leur territoire et les forces déployées.

Il existe d'autres types d'arrangements visant la mise en commun des ressources et auxquels le Canada pourrait contribuer financièrement. Il s'agirait probablement d'un apport modeste, car, dans le cas de la défense antimissile, les Américains assument une bonne partie, sinon la totalité, des coûts. Cela changera probablement au fil du temps. Je suis porté à croire que certaines des sommes investies par le Canada dans le cadre des divers projets collectifs de l'OTAN ont servi à l'élaboration de la défense antimissile, notamment pour mener des études. Comme vous le savez, le Canada a historiquement appuyé, sans nécessairement en profiter, beaucoup des efforts multilatéraux de l'OTAN. Je crois qu'un quai a un jour été financé par le fonds commun de l'OTAN. Le comité pourrait se pencher sur cette question en sa qualité de bon gestionnaire des deniers publics.

Je ne vois pas l'urgence de la question pour l'instant, mais probablement qu'on devrait surveiller la situation à l'avenir.

Le sénateur Dallaire : On applique un cadre philosophique à une question de nature politique et logique.

Le sénateur Segal : J'ai deux questions à poser, l'une mineure, l'autre, majeure.

La mineure s'adresse à Mme van den Berg. Dans votre exposé fort intéressant, vous avez parlé, s'agissant de participation constructive, des options qui s'offrent au Canada, touchant par exemple l'installation de radars à Argentia ou d'autres endroits du Nord-Est. Vous avez également indiqué que les marines alliées ont recours au système de combat Aegis installé, je pense, sur des destroyers américains de classe Arleigh Burke pour avoir un positionnement efficace de l'équipement de lancement aux quatre coins du monde.

Avez-vous une préférence entre les deux options, ou vous sont-elles égales? Il vaut mieux y réfléchir, puisque nous traversons une longue période d'acquisitions navales et de processus décisionnels interminables. Aimeriez-vous éclaircir ce point?

Mme van den Berg : Certainement. J'hésiterais à me prononcer en faveur d'une option par rapport à l'autre, mais je tiens à indiquer qu'il faut judicieusement tenir compte de notre Stratégie de défense Le Canada d'abord et mettre l'accent sur la protection du Nord et de l'Arctique ainsi que de nos intérêts dans cette région, plus précisément relativement à nos autres alliés de l'OTAN et à la Russie qui cherchent de plus en plus à y accroître leur présence. Nous avons des ressources naturelles dans cette région que nous revendiquerons fortement. Notre gouvernement actuel prend vraiment très au sérieux cette question.

Pour ce qui est de l'installation d'une base radar dans la région, et non pas nécessairement une base pour missiles d'interception, je recommanderais de commencer par un juste milieu, plutôt que de se lancer à fond, car je ne crois pas que nous puissions nécessairement nous permettre de bâtir, à partir de rien, un système de défense antimissile balistiques. On étudie la possibilité d'établir des radars plutôt que des missiles, et l'Arctique ainsi que la Stratégie de défense Le Canada d'abord présentent une plateforme utile pour que votre comité entame d'autres études. La proposition de 2005 qui a été diluée ou abandonnée et qui visait à établir un système de radars à Goose Bay, à Terre-Neuve, avait été une option de plateforme très valable pour protéger le Nord-Est.

Le président : Pourriez-vous écourter votre préambule, s'il vous plaît?

Le sénateur Segal : D'accord. S'agissant de ma question majeure, je voulais demander l'avis de l'un ou l'autre des invités, dont nous apprécions beaucoup la contribution. Pouvez-vous localiser la menace de missiles balistiques d'un État voyou dans le contexte d'une collaboration militaire apparemment accrue entre les Chinois et les Russes. Ces pays pourraient aussi coopérer au sein du Conseil de sécurité pour bloquer la responsabilité de protéger. Il y a aussi divers autres éléments, dont la coopération militaire. D'ailleurs, les Chinois forgent de l'acier pour leur marine, dans une proportion qui devance de loin les autres pays. J'aimerais savoir quel lien vous établissez entre ces faits et le sujet que vous avez abordez aussi directement.

Mme Dodge : La Russie et la Chine sont toutes deux des facilitatrices stratégiques des programmes de missiles balistiques de la Corée du Nord et de l'Ukraine. Dans certains cas, la collaboration remonte à des décennies.

J'ai remarqué que la défense antimissile balistiques va entraîner une course aux armements. Par contre, la Corée du Nord et l'Iran sont des exemples prouvant que la défense antimissile ne mène pas à une telle course, puisqu'ils ont commencé leur programme bien avant que les États-Unis n'envisagent de déployer sérieusement leurs efforts de défense antimissile.

Du côté russe, la menace est très sérieuse, surtout pour les alliés européens. Nous constatons pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale des violations du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire et une volonté de changer les limites d'un État souverain. Le fait de disposer d'options, de capacités et d'une plus longue période de prise de décisions pour désamorcer les crises pourrait être d'une importance cruciale par rapport à la défense antimissile, en plus d'assurer la protection des populations et des institutions.

M. Weitz : Par contre, je tiens à énoncer deux bémols. Dans sa forme actuelle, le programme de défense antimissile américain n'est pas conçu pour contrer une attaque russe ou chinoise, voire de tout autre pays, contre l'Amérique du Nord. Les Chinois ont beaucoup aidé les Russes qui ont à leur tour facilité l'armement de la Corée du Nord et de l'Iran en élaborant leur plateforme lance-missiles. D'après ce que nous savons, ils ne les ont pas aidés récemment à mettre au point des armes nucléaires. Si nous étions touchés par un missile conventionnel, ce serait une tragédie. Près de 1 000 personnes en périraient. Mais cela n'explique pas pourquoi nous dépensons tous ces milliards de dollars. Ce que nous craignons, c'est que ces pays installent sur ces missiles une ogive nucléaire, ou une arme biologique ou chimique. Je crois cependant que le nucléaire est à la source des principales craintes. Voilà ce qui nous fait peur, car cela pourrait transformer la planète s'ils arrivaient à lancer ce type d'attaque.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie tous les deux. D'après moi, la question cruciale à se poser est de savoir dans quelle mesure nous devons participer au système de défense antimissile balistiques pour qu'il soit traité de la même façon que les missiles de croisière ou les ogives nucléaires à lanceur aérien qui pourraient menacer le Canada. Ainsi, il serait inclus dans le système du NORAD et nous pourrions avoir une plus grande certitude que les États-Unis seraient enclins à agir pour lutter contre les missiles balistiques.

À cet égard, chacun d'entre vous a discuté des divers niveaux de participation dans une perspective canadienne, mais il faut se demander jusqu'à quel point les Américains veulent que nous participions à la défense antimissile balistiques, et ce qu'ils nous demanderaient à ce chapitre? Peut-être que ce ne serait rien du tout, et qu'ils seraient satisfaits de nous entendre dire : « Nous voulons participer à la défense antimissile balistiques. » Peut-être qu'ils voudraient que nous payions pour une fusée sur notre propre sol. Je ne crois pas que cela soit le cas, car cette idée est assez extrême. De façon plus modérée, auriez-vous une idée des demandes qui pourraient être formulées par les Américains?

M. Weitz : Les États-Unis ont accepté la position du Canada selon laquelle la défense antimissile ne relève pas du NORAD et le fait que nous ne souhaitons pas appuyer leur programme de défense antimissile. Ils l'ont accepté, même s'ils ne sont pas d'accord. Ce qu'ils voudraient en fait, c'est un radar dans le Nord-Est. On n'a qu'à attendre quelques années pour que les Américains installent un radar dans le Nord-Est des États-Unis. C'est une probabilité. Ils auraient aimé que le radar se situe plus au nord, mais ils vont certainement le faire.

Du point de vue stratégique, si l'on veut apporter notre contribution, il faudra miser sur ce radar. Si l'on attend trop longtemps, les Américains auront construit leur propre radar, et l'influence et le poids du Canada vont reculer.

Dans le contexte de l'OTAN, c'est plus nébuleux. Je crois qu'ils accueilleraient favorablement cette proposition. Le problème, c'est que les États-Unis assument la presque totalité des coûts du programme de défense antimissile de l'OTAN. Quelques pays européens contribuent à financer les capteurs, mais pas les installations de lancement de niveaux supérieurs. Il s'agit plutôt des niveaux inférieurs, comme on l'a constaté avec les missiles Patriot en Turquie.

Je suis certain qu'ils accueilleraient favorablement une contribution du Canada, et cela aiderait également à accroître l'influence du Canada en Europe. Or, les Américains voudraient qu'il y ait un radar dans le nord-est. Par conséquent, il y a urgence d'agir.

Le sénateur Mitchell : Ma deuxième question porte sur la décision qui a été prise au début des années 2000, lorsque le Canada a décidé de se retirer. À l'époque, on avait complètement déformé les faits en présentant le projet comme une guerre des étoiles où des fusées traverseraient l'espace. Ce qu'il est intéressant de constater à écouter vos exposés, c'est que nous sommes tout près de cette réalité, quoi que nous fassions. Peut-être que vous pourriez me donner votre perspective relativement à cette observation. Mme Dodge a parlé de navires, dont des navires hollandais qui sont armés du système de combat AEGIS et du fait que d'autres pays envisageaient cette possibilité, mais jusqu'à quel point, c'est ce que j'aimerais savoir. Je crois que le Royaume-Uni et un autre pays disposent d'une capacité basée au sol.

Madame van den Berg, vous avez fait allusion au Traité de Lisbonne. Le sujet m'est un peu familier, mais votre remarque au sujet de l'engagement théorique que nous aurions pris a attiré mon attention. Pouvez-vous nous indiquer dans quelle mesure nous sommes tout près de ce seuil ou dans quelle mesure, surtout en ce qui a trait aux navires, nos alliés ont effectué une préparation? Dans le cas du Traité de Lisbonne, qu'entendez-vous exactement par engagement théorique?

Mme Dodge : J'aimerais revenir, si vous le permettez, à votre question précédente. Il est très malheureux que nous ne tenions pas à ce type de discussions de gouvernement à gouvernement. Ce serait la meilleure façon d'obtenir les réponses les mieux avisées et les plus détaillées à toutes les questions.

Quant à l'engagement européen à l'égard de la défense antimissile, il varie d'un pays à l'autre. Certains, comme les Pays-Bas et la Norvège, envisagent de mettre à niveau leurs radars. D'autres, par contre, réfléchissent à la possibilité d'acheter des missiles SM-3 et peut-être même de créer une réserve de missiles où les Européens pourraient puiser alors qu'ils fourniraient des navires pour les missions de défense contre des missiles balistiques. Ce serait une bonne chose pour les États-Unis, car les navires peuvent avoir plus d'une utilité, outre la défense antimissile. On doit tenir compte des problèmes de rotation d'horaire, d'entretien, et d'autres difficultés.

Nous voyons ces efforts d'un bon œil, mais de l'autre côté de l'Atlantique, les Européens ont plutôt une perspective pessimiste étant donné que leurs budgets de défense sont en train de fondre et qu'ils n'investissent pas assez pour répondre à leurs besoins à long terme.

Mme van den Berg : Au sommet de Lisbonne de 2010, on a convenu, en théorie, des éléments sous-jacents à la stratégie de défense antimissile balistiques. L'objectif était que l'OTAN accepte d'accroître la portée de son programme de défense active multicouche contre les missiles balistiques de théâtre. Techniquement, nous convenons que l'Europe doit se protéger, qu'elle doit être capable de participer à ce système et d'élaborer les mécanismes et les outils nécessaires. Si l'on s'éloigne du niveau macroéconomique et qu'on étudie la philosophie sous-jacente à cet accord, on constate qu'en fait, nous souscrivons à la justification d'un système de défense antimissile balistiques. Voilà comment nous déciderons de la voie à suivre à l'avenir. Nous pouvons encore préserver notre héritage multilatéral s'agissant de non-prolifération d'armes nucléaires et d'armes non nucléaires, mais nous pouvons le faire en collaboration avec nos alliés de l'OTAN et nos alliés américains.

Mme Dodge a raison de dire qu'un forum serait mieux indiqué pour tenir un dialogue avec nos homologues américains. Pour revenir à la question posée par le sénateur Segal, ici au pays, nous devons composer avec notre propre plan d'action de réduction du déficit. Dans certains cercles, on se plaint du fait que notre marine devrait être dans un meilleur état et qu'actuellement, elle n'est pas équipée pour déployer des navires qui répondraient aux normes de l'OTAN dans le cadre de missions lancées par cette organisation. Nous ne pouvons pas nécessairement être déployés en Russie à tout moment. Nous n'avons pas nécessairement la capacité de protéger le Pacifique autant que nous l'aurions pu ou voulu. Une simple remarque : en raison des contraintes budgétaires et des coûts liés à ce type de système de défense antimissile, il nous reste peu de choix outre celui de garder un pied dans la porte, ce que nous avons fait au sommet de Lisbonne.

Le sénateur Wells : Je crois que M. Weitz avait quelque chose à ajouter au sujet de la dernière question.

M. Weitz : J'ai quelques points à ajouter. En ce qui concerne la décision de l'OTAN, le Canada a participé au sommet de l'OTAN en 2010, et la décision fut réitérée au sommet de Chicago en 2012. On a convenu que la défense antimissile était un élément clé de la doctrine et de la politique de l'OTAN, en plus des moyens classiques — notamment les armes nucléaires — élément clé, donc, des activités de l'OTAN à l'avenir, et le Canada y participe. Je crois que des Canadiens contribuent de leur expertise à certains des comités mixtes qui étudient le jumelage des systèmes canadiens et américains.

Je n'y ai pas encore fait allusion, mais il existe un autre modèle dont nous pourrions éventuellement nous inspirer. Pour ce qui est de la coopération entre les États-Unis et un autre pays afin de développer des défenses antimissiles, le meilleur exemple est, en fait, leur coopération avec le Japon. Le Japon et les États-Unis codéveloppent certains des systèmes, et nous avons des échanges approfondis. Pour ce faire, les Japonais font des entorses à de nombreuses règles en matière d'exportation et de mise en commun d'armements. Ils ont bien évidemment un problème en raison de la proximité de la Corée du Nord. Voilà un modèle de coopération bilatéral qui pourrait servir au Canada s'il voulait compléter, ou encore se retirer du cadre multilatéral offert par l'OTAN; le Canada pourrait coopérer bilatéralement avec les États-Unis. La région du Pacifique préoccupe beaucoup d'entre nous. Malgré les récents événements en Europe, nous estimons que de nombreuses menaces potentielles proviennent de la région du Pacifique, et les répercussions se feraient évidemment sentir au Canada.

Le sénateur Wells : Je tiens à préciser ceci : Mme van den Berg a parlé de Goose Bay et de Gander Bay, mais je représente Terre-Neuve-et-Labrador, où se trouve le petit village de Gander Bay, et je sais que l'on n'envisage point cet endroit. Ça leur fera plaisir de l'entendre.

Madame Dodge, je vous remercie de votre exposé. Il s'agit d'un sujet fascinant.

Vous avez dit que par l'entremise de l'OTAN, les alliés ont opté pour une défense antimissile balistiques. Il semblerait que tous les alliés de l'OTAN européens aient pleinement adhéré à cette idée, et sont ravis de jouir de la protection des États-Unis. Pour ce qui est des partenaires nord-américains de l'OTAN, soit le Canada et les États-Unis, les témoins qui vous ont précédée et les représentants de NORAD avec lesquels nous avons discuté ont tous semblé dire qu'il n'existait pas de cadre juridique, que nous n'y participons point. Les commentaires que nous avons entendus à ce sujet sont très précis. Je présume que le Canada donne l'impression, par ses actions, de se retirer de l'OTAN mis à part une contribution très générale à l'organisation. Si tel est le cas, cela a-t-il pour effet de vulnérabiliser le Canada?

Mme Dodge : Voulez-vous savoir s'il est plus probable que le Canada soit une cible?

Le sénateur Wells : Oui, une cible pour les missiles balistiques.

Mme Dodge : Une des raisons importantes qui motivent les États-Unis à déployer un système de défense antimissile en Europe — et M. Weitz y a fait allusion — est de s'assurer que nos alliés européens, ou encore les États-Unis par l'entremise de nos alliés européens, ne soient pas contraints de prendre des mesures contre leur gré, ni contraints de s'abstenir de prendre des mesures qu'ils souhaiteraient entreprendre. La dynamique avec le Canada est analogue, et c'est probablement encore plus vrai car, en quelque sorte, le Canada est un partenaire de coopération en matière de sécurité beaucoup plus étroitement lié aux États-Unis. Nous sommes de proches voisins; nos réseaux sont interreliés, nombre de nos vulnérabilités également, et c'est pourquoi il pourrait être encore moins avantageux pour les États-Unis d'avoir un voisin vulnérable au nord qu'en Europe.

Le sénateur Wells : Je suis bien d'accord avec vous. Si l'on prend un rayon de 50 milles de part et d'autre de la frontière entre nos deux pays, quelle ville sera frappée? Detroit ou Windsor? Tous s'accordent pour dire, et je crois que M. Weitz l'a également évoqué plus tôt, qu'en cas d'attaque par missile balistique juste au nord de notre frontière commune, les États-Unis agiraient. Mais, parallèlement, on nous dit qu'il n'existe pas de cadre juridique, que le Canada n'est pas partie prenante. Nous manque-t-il quelque chose, mis à part ce cadre juridique et ce qui semble être une entente plutôt informelle entre copains? Nous manque-t-il quelque chose? Faisons-nous de facto partie de ce système de défense antimissile balistiques sans qu'il y ait de cadre juridique?

Mme Dodge : Ce qu'il vous manque, c'est le temps. Le temps nécessaire, éventuellement, pour tenter d'intercepter à deux reprises les missiles attaquants. Il vous manque peut-être également la tenue, au préalable, d'une discussion qui peut s'avérer très éprouvante et difficile au moment où il ne reste que 10 minutes pour décider d'abattre un missile ou non.

Selon moi, c'est encore plus important qu'un cadre juridique, car ce ne sera pas le moment idéal pour discuter. Même dans le cas des meilleurs alliés au monde, en l'absence de règles claires pour encadrer la mobilisation et l'autorité, un temps précieux sera perdu, ce qui risque de compliquer sérieusement les relations au sein de l'alliance.

M. Weitz : Pour être réaliste, le Canada est moins menacé que de nombreux autres pays par les missiles balistiques. La politique actuelle, qui peut être considérée comme étant acceptable, est de laisser le soin aux États-Unis de protéger le Canada. On compte sur les États-Unis pour nous protéger, donc il n'y a pas à s'en faire. Si la situation vous convient — ce qui est probable et c'est le cas de nombreux pays — alors il n'y a pas de problème. Mais si vous voulez avoir votre mot à dire au sujet de la manière dont les États-Unis assurent cette protection, si vous souhaitez un engagement plus contraignant... Vous ratez peut-être également certains avantages industriels.

Vous avez indiqué que tous les pays de l'OTAN avaient adhéré avec enthousiasme à la défense antimissile. C'est une initiative qui plaît énormément aux pays de l'Europe de l'Est, puisque les États-Unis participent alors fortement à leur défense, presque indépendamment de l'OTAN, et cela vient s'ajouter aux garanties de l'OTAN. Par le passé, ils n'ont pas été bien servis par certains de leurs alliés européens dans le cadre de conflits, c'est pourquoi ils se réjouissent de la protection des États-Unis.

Dans le cas des pays d'Europe de l'Est, notamment la France et l'Allemagne, c'est plus difficile. Certains de ces pays profitent d'une coopération industrielle avec les États-Unis, conçoivent leurs capteurs et leurs composantes d'avion. Le Canada pourrait ne pas bénéficier d'une telle coopération. Il y a donc cet aspect économique, mais je crois qu'il s'agit principalement d'une question de souveraineté : vous convient-il de compter sur les États-Unis pour vous défendre?

Le président : Sénateur Day, pourriez-vous répondre à la question?

Le sénateur Day : Je réfléchissais justement à l'article 5 de la Constitution de l'OTAN, et si nous pressentions une attaque sur Edmonton...

Le sénateur Segal : Sans parler de la doctrine Monroe.

Le sénateur Day : Une attaque contre l'une des parties sera considérée comme une attaque contre toutes les parties. N'y participons-nous pas déjà? Et pour revenir sur ce qui nous convient — n'est-il pas normal de nous attendre à ce que les Américains se portent à notre défense, ainsi que les Européens?

M. Weitz : L'article 5 oblige les membres à se porter à la défense les uns des autres, ce qui n'implique pas nécessairement d'obligation militaire. Cet article n'a pas souvent été invoqué. Il l'a été récemment suite aux attaques du 11 septembre 2001, avec tous les pays de l'OTAN, mais c'était plutôt une déclaration d'intention. On a considéré cette attaque comme une attaque contre toutes les parties, mais aucun engagement n'était nécessaire. Pour diverses raisons, l'administration Bush n'a pas voulu que l'OTAN participe activement aux interventions en Afghanistan et en Irak qu'elle entreprendrait par la suite.

Comme je l'ai dit, les États-Unis se porteront à la défense du Canada. Mais vous n'aurez pas votre mot à dire sur la manière dont ils vont procéder, et voilà le risque.

Le sénateur Day : Le président m'a demandé de poser cette question. J'y réfléchissais.

Madame Dodge, je vous remercie de nous avoir fait parvenir des remarques par écrit, et j'ai eu l'occasion de les passer en revue. Vous ne les avez pas suivies à la lettre, ce qui n'est pas un problème, mais un des points que je vais relever était le fait qu'en 2004, le Canada avait accepté de permettre au NORAD de faire part des données de surveillance mondiale des missiles et des renseignements d'alerte à d'autres commandements responsables de la défense antimissile en Amérique du Nord. Cette entente est-elle documentée et pouvons-nous la consulter?

Mme Dodge : Je ne sais pas quelle forme prend cette entente mais, effectivement, elle permet à notre système de défense antimissile d'exploiter les données d'alerte rapide. Nous serions alertés, et saurions qu'un missile balistique a été dirigé contre nous.

Le sénateur Day : Au cours de la réunion, nous avons discuté de la mission Sapphire, du milieu où évoluent les satellites, du fait que les renseignements découlant de la surveillance spatiale pourraient s'avérer fort utiles et sont échangés. Je me demandais s'il existait un document écrit qui nous permettrait de l'affirmer. J'ai posé la question au major-général Day, mais il ne semblait pas croire que c'était nécessairement couché sur papier.

Mme Dodge : Je ne sais pas quelle forme revêt l'entente. Dans le cadre des recherches que j'ai faites pour me préparer à témoigner, je l'ai vue mentionnée dans les écrits de divers auteurs et universitaires canadiens. Selon eux, en acceptant de mettre en commun les données d'alerte précoce, le Canada aurait par le fait même avalisé la défense antimissile, or deux semaines après avoir conclu cette entente, le gouvernement a annoncé qu'il ne participerait pas aux efforts de défense antimissile des Américains. Cela existera en parallèle à la sécurité nationale de l'OTAN, une position quasi schizophrène.

Le sénateur Day : Je vous saurais gré de revoir vos sources pour déterminer s'il existe bel et bien une entente écrite, le libellé pourrait nous être utile.

Mme Dodge : D'accord.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Weitz, pourriez-vous nous donner d'autres détails sur les moyens que le Canada pourrait prendre pour réduire ses vulnérabilités aux attaques par missiles balistiques en participant au système américain de défense?

M. Weitz : Ça dépend de l'option retenue. Le Canada réduit déjà ses vulnérabilités par d'autres moyens, soit la diplomatie et les efforts de résolution de conflits générateurs de tensions qui pourraient nécessiter une défense antimissile en participant à l'OTAN, en y contribuant de ses connaissances.

S'agissant de la protection concrète de l'Amérique du Nord contre une attaque, je crois que l'installation de radars dans le nord du pays serait utile puisque la couverture des capteurs radars serait plus grande, robuste et précise, et que nous serions alertés de manière encore plus précoce. Nos chances de frapper un missile dirigé vers l'Amérique du Nord seraient donc plus grandes.

Si vous me permettez de considérer que nous nous devons également de défendre les citoyens canadiens, le Canada, à l'instar des États-Unis, déploie souvent des forces dans le cadre de missions internationales : des missions de maintien de la paix, et parfois même dans des situations de conflit, comme dans le cas de l'Afghanistan. Le cadre de l'OTAN est conçu pour protéger les forces des États membres déployées à l'étranger, en plus de leurs territoires et populations. Même si vous estimez peu probable que l'on tire un missile vers le territoire canadien, je crois qu'il y a plus de chances que des pays attaquent des troupes occidentales au moyen de missiles à courte ou moyenne portée. Les troupes ciblées seraient probablement américaines, mais des Canadiens pourraient également s'y trouver. Il faut tenter de les protéger. Voilà un autre aspect de la question.

La sénatrice Beyak : Je vous remercie de ces impressionnants exposés. Votre maîtrise du sujet est remarquable.

J'aimerais savoir, s'agissant de l'argent des contribuables et du rapport coût-bénéfice, si chacun de vous pouvait élaborer sur les diverses options de défense antimissile qui s'offrent à nous?

Mme van den Berg : D'entrée de jeu, je dirais que le coût associé à la première option, soit celle du statu quo, est nul. Il suffit de ne rien faire, tout comme maintenant. Et d'autres prendront probablement les décisions ultérieures à notre place. C'est un compromis, compte tenu d'un des mythes que j'ai évoqués plus tôt : la peur de devoir renoncer au territoire canadien pour pouvoir participer à un programme de défense antimissile balistiques.

D'un autre côté, qu'en est-il de la souveraineté canadienne? Comme nous l'avons dit à maintes reprises, l'idée de laisser les décisions relatives à notre protection, à notre défense, à notre sécurité collective entre les mains d'un étranger, risque de déplaire aux citoyens canadiens, contribuables ou non.

Je crois qu'il serait légèrement moins coûteux d'installer et de développer un système radar, plutôt que de créer un système complet de défense antimissile balistiques de toutes pièces, surtout que le système américain n'attend qu'un feu vert. Nous pourrions soit envisager de présenter à nouveau la proposition de 2005 pour une installation à Goose Bay plutôt qu'à Gander Gay, l'autre possibilité étant celle de la couverture dans le Nord. Dans ce cas-ci, plus nous en saurons, plus nous serons puissants. Plus nous recueillerons de renseignements et plus brefs seront les délais, meilleure sera notre protection à long terme.

J'estime franchement que la troisième option s'avérerait trop coûteuse. Il faudrait attendre jusqu'en 2017 avant d'avoir les navires de patrouille en mer dans l'Arctique, attendre le remplacement des CF-18, ce qui pourrait s'avérer plus compliqué que prévu. Il faut absolument en tenir compte avant de prendre des décisions.

M. Weitz : Pour que les coûts ne soient pas trop élevés, la clé est d'acheter un système déjà existant. Les coûts engagés pour la recherche et développement, qui représentent la majeure partie des coûts de ces systèmes, y ont déjà été intégrés.

Il me semble que l'acquisition d'un radar à bande X, qui pourrait être placé dans le nord-est du Canada, ne devrait pas coûter trop cher; les Américains sont ceux qui ont investi dans le développement de cette technologie et, ils la maîtrisent bien maintenant.

En ce qui a trait aux capteurs et aux lance-missiles à bord des navires, l'idéal serait de les posséder collectivement dans le cadre d'une entente. Le Canada, et de nombreux autres pays, contribueraient certaines sommes à cet effet. Les navires et les capacités seraient achetés, et le Canada obtiendrait la protection de ses forces en déploiement en plus, je présume, du droit d'avoir recours aux navires en cas d'urgence dans l'Arctique, même chose pour la Norvège et d'autres.

Globalement, je ne crois pas que les coûts soient si élevés. Les Américains ont dû débourser énormément d'argent pour créer ces systèmes, les mettre à l'essai et les mettre en marche. Mais si l'on achetait un système existant, tel que le Patriot, ou encore un des systèmes conçus par Raytheon avec les Néerlandais et qui permettent aux navires de communiquer entre eux, les coûts seraient moindres. L'installation d'un système américain à bord d'éventuels navires canadiens ne reviendrait pas très chère.

Le président : J'aurais une question complémentaire. Je ne sais pas si vous êtes à même d'y répondre. C'est au sujet de l'installation éventuelle d'une interception, ou station radar à Terre-Neuve, à Gander Bay ou à Goose Bay peut-être.

Si l'on décidait de s'entendre avec le gouvernement américain relativement au programme de défense antimissile balistiques, et qu'on installait la station de radar d'interception à Terre-Neuve, le système serait-il beaucoup plus sécuritaire à cet endroit que plus au sud, vers le 48e parallèle?

M. Weitz : Qu'entendez-vous par « sécuritaire », monsieur?

Le sénateur Dallaire : Plus efficace?

Le président : Quand je dis « sécuritaire », je veux dire plus efficace, en l'installant au nord de Terre-Neuve.

M. Weitz : Je crois que oui. Je le crois parce que les systèmes américains sont maintenant situés en Alaska et en Californie, et compte tenu des paramètres techniques, nous avons besoin d'un emplacement dans le nord-est qui se trouve le plus au nord que possible. Bien sûr cela serait coordonné avec les capteurs et les puces et les autres renseignements, ainsi qu'avec les capteurs spatiaux dont nous avons parlé lors de la dernière séance.

Le président : Merci. Aviez-vous une question supplémentaire?

Le sénateur Wells : Pour ceux qui ne le savent pas, Goose Bay est situé au Labrador, au nord de Terre-Neuve-et-Labrador. Il y a une base aérienne pleinement outillée qui a été utilisée par les Hollandais, les Allemands, les Britanniques, et bien sûr les Canadiens et les Français, et les autres alliés de l'OTAN qui peuvent y effectuer des vols à basse altitude, des essais, et cetera. Il s'agit d'une base complètement opérationnelle qui peut être utilisée selon les besoins.

La sénatrice Beyak : Je crois que Mme Dodge avait un commentaire sur les coûts.

Mme Dodge : J'avais un commentaire sur le radar. J'allais répéter le commentaire de M. Weitz à l'effet que plus on place le radar au nord, mieux c'est, à cause de la courbe terrestre. Cela nous permet de voir davantage.

Le sénateur White : Merci à vous tous d'être ici. Ma question sera brève.

Si j'étais un Canadien qui nous écoutait en ce moment, il me semble que j'espèrerais que si un missile s'en venait on ferait quelque chose. On pense que quelque chose serait fait. On veut que quelque chose soit fait. Cependant, vous nous dites que si nous voulons être sûrs que quelque chose soit fait, nous devons tous participer; nous devons être un véritable partenaire au lieu d'être tout simplement un parasite.

M. Weitz : Peut-être vous ne voulez pas de la façon dont les États-Unis planifient et travaillent. La question s'est présentée dans le contexte européen. À un moment donné, on pensait que les Russes pourraient couvrir leur zone — c'est ce que ces derniers avaient d'ailleurs proposé — et que l'OTAN couvrirait la nôtre.

Le sénateur White : Évidemment, tout ça, c'est du passé.

M. Weitz : Oui. Mais le problème c'est que s'il y a une interception et qu'on réussit à détruire le missile, mais que l'ogive est endommagée et commence à tomber, vous voudrez peut-être avoir votre mot à dire si les États-Unis commencent à choisir un endroit plutôt qu'un autre pour l'interception. Vous préférerez peut-être que les États-Unis n'essaient pas d'effectuer l'interception au-dessus du territoire canadien, mais plutôt dans le nord de l'Atlantique. Vous n'avez aucun mot à dire là-dessus. L'équipe technique américaine tentera de l'intercepter sans que le Canada ait son mot à dire.

Le sénateur White : Dans les autres domaines de la sécurité nous concernant, nous voulons avoir notre mot à dire. Peu importe si les États-Unis ont un bon système frontalier, nous voulons assurer notre propre sécurité frontalière et tous nos autres systèmes de sécurité. Comment se fait-il que nous ne voulons pas participer et avoir notre mot à dire, et qu'en même temps nous nous attendons à avoir un résultat particulier?

M. Weitz : C'est un Canadien qui devrait répondre à cette question.

Mme van den Berg : Je crois que cela revient aux peurs dont nous parlions tout à l'heure, la peur de la guerre des étoiles, la peur que la Russie nous attaque, la peur de perdre notre territoire et le contrôle de notre argent. Cette peur s'est répandue dans l'électorat canadien, d'abord immédiatement après le 11 septembre et encore plus par la suite.

Le sénateur White : Je serai honnête avec vous; j'ai beaucoup appris dans les deux dernières présentations. Il est évident que nous n'avons pas suffisamment sensibilisé les Canadiens en leur disant que nous sommes seulement en train de parler d'un système de protection pour ce pays. Il ne s'agit pas de nous convertir en un...

Mme van den Berg : Une machine de guerre?

Le sénateur White : Oui, ou de nous doter de missiles pour attaquer. C'est de protection qu'il s'agit.

Mme van den Berg : Oui, et nous n'avons pas vraiment réussi à contrôler le message. Nous l'avons mal transmis. Nous n'avons pas atteint la crête de la vague, pour prendre une analogie parmi d'autres. Bref, nous n'avons pas réussi à faire passer le message et nous en subissons les conséquences. Un autre message est passé et nous sommes pris avec.

M. Weitz : Je ne veux pas répondre à la place du Canada. Dans le contexte européen, on voit des phénomènes intéressants. Par exemple, il y a des groupes en Allemagne qui sont fortement opposés aux armes nucléaires et veulent les abolir, par contre, ils appuient un système de défense antimissile parce que ça réduirait la dépendance de l'OTAN à l'égard de la dissuasion nucléaire. Le président Obama s'est engagé à éliminer les armes nucléaires dans le monde entier. Une des raisons pour lesquelles il appuie ce genre de politiques est qu'il a l'intention de construire des systèmes de défense antimissile qui rendraient inutile la dissuasion nucléaire. Bien sûr il s'agit d'une vision à long terme.

Le sénateur Dallaire : Il faut se rappeler que le programme de défense antimissile ne vise pas la Chine ou la Russie; il vise surtout la Corée du Nord, l'Iran et les États voyous. Cela n'implique pas le même genre d'équilibre stratégique qu'il y avait entre les grands joueurs et leurs systèmes balistiques importants.

Cependant, je suis un partisan de Pugwash, un programme antinucléaire. Madame Dodge, je vous pose la question parce que vous avez écrit que vous pensez que les États-Unis pourraient améliorer leur position stratégique en se retirant des pourparlers sur le nouveau Traité sur la réduction des armements stratégiques, y compris les forces nucléaires à portée intermédiaire.

C'est une chose de se défendre lorsqu'un fou a décidé d'obtenir les jouets qu'à notre avis il ne devrait pas avoir. C'en est une autre de vouloir garder une capacité qui vient d'une autre époque et je crois que le seul fait que ce système existe est une insulte à notre droit à la sécurité.

Comment conciliez-vous ces deux choses?

Mme Dodge : Nous devrions nous retirer du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire parce que les Russes trichent. Le traité nous donne un faux sentiment de sécurité. Nous pensons que nous avons un traité, mais la Russie est en train de se doter de systèmes interdits en vertu du traité. Nous connaissons mal ces systèmes et la stratégie des Russes en la matière.

Je propose que nous nous retirions du nouveau Traité sur la réduction des armements stratégiques et que nous repartions à zéro parce que le traité impose des réductions aux États-Unis. Cela permet à la Russie d'augmenter ses stocks nucléaires. Depuis l'entrée en vigueur du traité, la Russie a commencé le programme le plus important de modernisation de ses armes nucléaires depuis la guerre froide. Je ne crois pas que les armes nucléaires des États-Unis et celles de la Russie soient équivalentes au plan moral. Je dis cela parce que, contrairement à la Russie, les États-Unis ne sont pas un agresseur. Ils utilisent leurs armes pour rassurer leurs alliés, les alliés de l'OTAN, notamment le Canada, les alliés européens, les Japonais, les Coréens du Sud, et c'est la confiance que l'on a dans les États-Unis qui a empêché certains de ces pays de développer leurs propres capacités nucléaires militaires.

La discussion ne se limite pas simplement à la réduction ou à l'augmentation des stocks nucléaires. Il s'agit d'avoir des garanties sur l'idéologie de la Russie, sur l'image qu'elle a de nous, au moment où elle devient de plus en plus agressive sous la gouverne de Vladimir Poutine.

Le sénateur Day : Vous deviez me trouver plus d'information sur l'année 2004. Madame van den Berg, j'aimerais avoir tout document écrit dans lequel le Canada permet aux États-Unis d'utiliser des renseignements que nous avons recueillis et partagés avec eux.

Nous sommes tous très convaincus de votre argument selon lequel nous avons, au moins théoriquement, fait un grand pas vers la participation, tout en conservant un certain recul.

Pour ce qui est de l'OTAN, êtes-vous au courant d'un document quelconque, dans lequel nous aurions émis des réserves, en disant par exemple : « Nous ne voulons pas participer à telle ou telle opération, mais nous ferons tout le reste »? Êtes-vous au courant d'une quelconque réserve de ce genre?

Mme van den Berg : Je ne suis au courant d'aucune réserve particulière. Je sais qu'un Canadien siégeait au comité des 11 membres ayant rédigé la stratégie que nous avons par la suite ratifié, mais j'imagine que M. Weitz est mieux placé pour vous répondre.

M. Weitz : Ce n'est qu'en 2010 que l'OTAN a officiellement appuyé les initiatives de défense antimissile, le programme américain tout au moins.

Je ne suis pas au courant d'une réserve émise dans le contexte de l'OTAN. Je crois que le Canada, tout comme d'autres pays, a pris unilatéralement la décision de ne pas appuyer la défense antimissile en principe, sans pour autant entraver les efforts de l'OTAN.

En voici un exemple. Il n'est pas parfait, mais il s'agit d'une situation qui a posé un défi pour les Turcs. L'Iran les inquiétait, mais ils se sont gardés d'affirmer que leur contribution aidait en fait l'OTAN dans sa lutte contre l'Iran. La Turquie a donc laissé l'OTAN agir, en lui permettant par exemple d'installer un système radar sur son territoire, tout en prenant ses distances par rapport à cette mesure.

Rien dans le contexte de l'OTAN n'empêcherait le Canada de se joindre à elle ou aux États-Unis, ou de participer à un quelconque programme de défense antimissile.

Le président : Madame Dodge, monsieur Weitz et madame van den Berg, je tiens à vous remercier d'être venus témoigner. Vos commentaires ont été très instructifs et seront, bien entendu, étudiés de près par le comité. Nous prévoyons, si nous arrivons à respecter les échéanciers, produire un rapport d'ici la fin juin. Encore une fois, merci d'être venus.

Toujours dans le cadre de notre étude de la défense antimissile balistiques, nous sommes ravis de souhaiter la bienvenue au général à la retraite Walter Natynczyk, président de l'Agence spatiale canadienne et à Luc Brûlé, son vice-président.

Général, vous connaissez bien le Sénat ainsi que ce comité. Nous sommes heureux de vous accueillir de nouveau en tant que président de l'Agence spatiale canadienne. Bien que vous n'y soyez pas en poste depuis très longtemps, vous y faites déjà des contributions très positives. Nous nous réjouissons à la perspective d'avoir votre point sur la situation.

Général (à la retraite) Walter Natynczyk, président, Agence spatiale canadienne : Je vous remercie de vos aimables paroles et de me donner l'occasion de vous parler.

Il s'agit d'un rôle tout à fait différent. L'Agence spatiale canadienne a pour mandat de promouvoir l'exploitation et l'usage pacifique de l'espace, de faire progresser la connaissance de l'espace au moyen de la science, et de faire en sorte que les Canadiens tirent profit des sciences et des techniques spatiales sur les plans tant social qu'économique.

Le terme « pacifique » que comporte notre mandat n'exclut pas la possibilité d'appuyer des objectifs de sécurité. Cependant, l'agence se consacre surtout à la réussite de l'industrie et au développement de capacités innovatrices ayant un potentiel commercial.

[Français]

Lorsque j'occupais mes anciennes fonctions à titre de chef d'état-major de la Défense, j'étais bien conscient de l'importance stratégique des systèmes spatiaux en matière de sécurité et de défense. Aujourd'hui, environ neuf mois après mon arrivée à l'Agence spatiale canadienne, je peux vous assurer que cette dépendance existe également dans les secteurs civil et commercial.

[Traduction]

En effet, l'espace est une composante cruciale pour notre mode de vie canadien et, pourtant, nous tenons cela pour acquis. Nous sommes nombreux à ne pas nous rendre compte de la dépendance quotidienne que nous avons à l'égard de l'espace dans une foule de facettes de notre vie. Notre qualité de vie en dépend dans de nombreux domaines comme les services bancaires et de télécommunications, et l'Internet. Les satellites nous permettent de prévoir la météo, de gérer nos ressources naturelles, de surveiller nos zones côtières ou de comprendre l'univers. L'espace nous offre tout cela et bien plus encore.

Reconnaissant l'importance stratégique de l'espace, le gouvernement a récemment adopté un nouveau cadre de politique spatiale, qui jette les bases de la prochaine vague de réalisations. Ce cadre s'articule autour de cinq principes fondamentaux :

Numéro un : les intérêts canadiens d'abord. Cela signifie plus précisément que la souveraineté, la sécurité et la prospérité nationale seront les principaux moteurs de nos activités dans l'espace.

Numéro deux, positionner le secteur privé à l'avant-scène des activités spatiales. L'espace emploie actuellement quelque 8 000 Canadiens et génère des revenus annuels de 3,3 milliards de dollars, dont la moitié provient de ventes sur les marchés étrangers.

L'espace est un secteur avant-gardiste. Les technologies développées ont des retombées dans des secteurs aussi divers que l'automobile, l'aéronautique et les mines.

[Français]

Numéro trois : les progrès accomplis grâce aux partenariats. Les partenariats nationaux et internationaux ont toujours été au cœur du programme spatial canadien. Nous continuerons de chercher à établir des partenariats afin de partager les coûts et les fruits des investissements réalisés dans le secteur spatial.

Numéro quatre : l'excellence dans les capacités clés. Le succès du Canada dans l'espace vient du fait qu'il a su s'imposer comme chef de file mondial dans des domaines scientifiques et technologiques qui sont importants pour notre pays et pour nos partenaires internationaux, notamment en télécommunication, en robotique et en imagerie radar. Le gouvernement continuera à se concentrer sur les compétences canadiennes reconnues, tout en restant à l'affut des capacités émergentes en vue des futurs programmes spatiaux.

[Traduction]

Numéro cinq : être une source d'inspiration pour les Canadiens. L'espace motive les jeunes à étudier en sciences et à faire carrière dans les domaines de la haute technologie. Je tiens d'ailleurs à souligner l'énorme contribution des astronautes canadiens à cet égard. Chris Hadfield et ses pairs, Jeremy Hansen et David Saint-Jacques, ont fait de l'espace et de la science des sujets en vogue pour des dizaines de milliers de gens au Canada et dans le monde.

[Français]

En plus de ces principes, quatre champs d'action orienteront les choix qui devront être faits. Premièrement : la commercialisation. L'espace est un domaine de plus en plus commercial. Nous devons nous assurer que le programme spatial canadien permette suffisamment de transparence pour aider l'industrie canadienne à prendre des décisions stratégiques en matière d'investissement.

Deuxièmement : la recherche et le développement. De concert avec l'industrie et le milieu canadien de la recherche, nous allons encourager les occasions de recherche, de développement et d'innovation grâce aux partenariats. Ces efforts permettront à la communauté spatiale canadienne d'obtenir les connaissances et le capital humain dont elle a besoin pour constituer la main-d'œuvre de demain.

[Traduction]

Le troisième champ d'action est l'exploration spatiale. Nous allons travailler de concert avec nos partenaires internationaux afin de déterminer les prochaines étapes à suivre dans ce domaine. Nous collaborerons avec l'industrie et les universités canadiennes pour nous assurer que le Canada puisse faire progresser ses capacités clés afin de maintenir une position de force comme partenaire de choix dans l'exploration future de l'espace.

Quatrième champ d'action : la gouvernance, la gestion et la responsabilisation. Nous allons veiller à ce que les intervenants du gouvernement, de l'industrie et du monde universitaire soient consultés pendant la planification, l'élaboration et la mise en œuvre des politiques, stratégies et initiatives liées à l'espace et nous gérerons de façon responsable les fonds publics.

Pour ce faire, nous avons créé une structure de gouvernance pangouvernementale afin d'améliorer le processus décisionnel au sein du programme spatial canadien.

[Français]

Cela n'est pas complètement nouveau. Nous travaillons avec d'autres ministères depuis la création de l'Agence spatiale canadienne pour faire progresser les technologies et les applications permettant d'atteindre efficacement les objectifs dans les domaines civil, commercial et gouvernemental.

[Traduction]

En ce qui a trait plus précisément aux intérêts de ce comité, cette coopération comprend des projets comme M3MSat. Ce projet est le résultat d'une approche « Équipe Canada » qui comprend l'industrie, l'Agence spatiale et Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC). Il vise à développer notre capacité nationale dans le domaine des systèmes d'identification automatiques, connus sous l'acronyme SIA, à partir de l'espace.

Cette capacité permet de couvrir toute la surface du globe aux fins d'identification et de suivi des navires. Cette information intéresse au plus haut point les propriétaires de navires, car elle se traduit par une utilisation plus efficiente de leur flotte. Elle augmente également la connaissance du domaine maritime. Il va sans dire que le potentiel commercial de cette information est important.

Le lancement de M3MSat avait été prévu à la mi-juin prochain à partir d'installations russes au Kazakhstan. Le lancement a été reporté et le gouvernement du Canada travaille avec l'entreprise canadienne qui est notre maître d'œuvre sur ce projet, afin de trouver une solution appropriée. C'est un exemple parfait de la façon dont l'agence spatiale remplit son mandat afin de faire progresser l'industrie et la technologie, tout en soutenant d'autres ministères.

[Français]

NEOSat est un autre exemple de collaboration étroite entre l'Agence spatiale, le ministère de la Défense nationale et l'industrie. Lancé en février 2013, NEOSat est un satellite de démonstration technologique qui fournit des renseignements sur la situation spatiale depuis l'espace, ce qui permet d'assurer le suivi des débris, des satellites et de tout autre objet évoluant en orbite autour de la Terre.

[Traduction]

Nous travaillons également en étroite collaboration avec Développement des forces du ministère de la Défense afin d'assurer l'alignement des investissements dans le secteur spatial. Cet alignement est démontré de façon exemplaire dans l'approche pangouvernementale adoptée pour assurer le déploiement de la mission de la Constellation RADARSAT en 2018. Il s'agit d'un système radar spatioporté qui appuiera le mandat de plusieurs ministères tels qu'Environnement Canada, Ressources naturelles Canada, Pêches et Océans Canada et la Défense nationale. La mission de Constellation RADARSAT permettra à l'industrie canadienne de maintenir son leadership dans le créneau de la commercialisation des systèmes radar spatioportés et de leurs applications. L'agence spatiale est également active dans le domaine de la diplomatie. Grâce à notre participation active à divers comités internationaux, comme le comité des Nations Unies sur l'utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique, nous promouvons la non-arsenalisation de l'espace ainsi que la mise en œuvre de mesures de transparence et de renforcement de la confiance. Nous accomplissons tout cela sous la gouverne du ministère des Affaires étrangères.

Monsieur le président, mesdames, messieurs, ce sont là les activités et les priorités les plus importantes de l'agence qui concernent le comité. Je suis encore un néophyte dans le domaine spatial, et certains d'entre vous me connaissent déjà. Je ne suis pas un génie, mais je suis secondé par une équipe formidable et dévouée. Mon vice-président, Luc Brûlé, qui m'accompagne, était responsable des opérations satellites et illustre bien le dévouement et le talent extraordinaire qui ont fait du programme spatial canadien l'un des meilleurs au monde.

Je suis heureux d'être parmi vous et de continuer à servir les besoins du Canada.

Le président : Je vous remercie, et je tiens à vous assurer, général, qu'à mon avis il n'y a pas de génie autour de cette table. Vous êtes donc en bonne compagnie.

Nous tenons à affirmer que l'Agence spatiale canadienne est un organe très important du gouvernement canadien, et que plus nous arriverons à attirer des gens comme vous pour venir témoigner devant des comités comme le nôtre, plus les Canadiens sauront exactement ce que vous faites, comment vous dépensez leur argent, les résultats que nous obtenons au bout du compte et l'importance pour leur vie au quotidien.

Je commencerai donc par une question. Elle concerne certains points que vous avez abordés sur la commercialisation, la recherche et le développement à l'Agence spatiale canadienne. Comme vous le savez, nous sommes en train d'étudier l'entente sur les missiles balistiques qui n'est pas en vigueur à l'heure actuelle, et nous avons entendu de nombreux témoins. J'aimerais demander à l'Agence spatiale canadienne si, compte tenu de la technologie et l'équipement dont nous disposons dans l'espace, elle peut confirmer que nous aurions des contributions importantes à faire en participant au programme américain de défense antimissile balistiques?

Gén Natynczyk : Monsieur le sénateur, mon mandat concerne en fait l'aspect civil de l'espace. Nous examinons chacun des programmes de satellites que nous avons, que l'on peut en fait classer en trois catégories. L'une serait les communications et toutes les mesures que nous avons prises, depuis Alouette en 1962, pour créer des satellites qui facilitent la communication à travers le Canada et dans le monde. Une deuxième catégorie serait celle de la navigation. Encore une fois, nous n'en faisons pas beaucoup. Au fond, il s'agit d'un système GPS. Certains de nos alliés en font, mais il s'agit d'un domaine que nous surveillons tout de même.

Dans la troisième catégorie, qui s'intitule Observation de la Terre, le Canada dispose, un peu comme pour les communications par satellite, de certains des meilleurs imageurs capables de percer les nuages et la poussière, jour et nuit, pour voir des objets au sol. Il note aussi les changements observables sur le terrain. D'après l'information dont je dispose, de tels systèmes ne s'appliquent pas vraiment aux intérêts que vous avez signalés.

L'autre domaine où nous travaillons pour appuyer la Défense nationale et d'autres ministères est la perception du mouvement des satellites opérationnels, dont le nombre s'élève à environ 1 100, ainsi que les débris dans l'espace. On me dit qu'il s'y trouve plus de 200 000 fragments, chacun se déplaçant très rapidement, comme une balle. Nous effectuons un suivi de tous ces objets pour limiter le risque auquel nos satellites et les autres sont exposés — si certains d'entre vous ont vu le film Gravité, vous savez de quoi je parle — et pour protéger la vie sur la Station spatiale internationale. Jusqu'à présent, l'aide que nous avons accordée à la Défense nationale porte sur l'orientation spatiale et le suivi des débris. Je demanderai à mon vice-président d'intervenir au cas où j'aurais oublié des détails.

Luc Brûlé, vice-président, Agence spatiale canadienne : En ce qui concerne les actifs particuliers, je crois que vous avez déjà discuté avec le MDN de la mission du projet Sapphire et de son objectif, qui consiste surtout à examiner les objets en orbite géosynchrone à plus haute altitude.

L'autre mission en cause est un microsatellite qui s'appelle NEOSSat. Cette mission surveille les débris en orbite plus basse. Elle a aussi comme objectif scientifique d'examiner les astéroïdes en mouvement dans notre système solaire afin de bien cartographier leur emplacement et de les suivre au fur et à mesure qu'ils s'approchent de la terre ou s'en éloignent en direction de la limite du système solaire. Voilà essentiellement les deux principaux systèmes dont nous disposons au Canada, et ni un ni l'autre n'a pour objet de surveiller les missiles balistiques.

Le sénateur Dallaire : L'agence spatiale a l'un des meilleurs écrans au pays pour voir la coupe Grey et le Super Bowl. J'aimerais dire aussi que nous avons deux ex-cadets du CMR, en plus de deux autres de ce côté-ci. Je ne sais pas si nous avons réussi autant que vous, mais c'est un signe que l'école a un effet sur notre société. Je tenais à le signaler.

La question que je soulève porte sur vos activités qui dépassent le domaine de la technologie. J'ai passé un an avec les Marines. Nous avions un cours sur le droit spatial, des professeurs de Duke, et ainsi de suite. Est-ce que vous vous penchez sur l'élaboration de la politique spatiale, l'importance accordée au domaine spatial, les cadres conceptuels de l'espace pour l'avenir qui ne sont pas uniquement techniques, qui portent sur l'humanité, sur les utilisations qui dépassent les usages de la station spatiale et des véhicules intéressants qui montent et qui descendent?

Gén Natynczyk : Merci de la question, sénateur. Comme je l'ai indiqué dans mes observations préliminaires, il existe un organisme international au sein duquel le Canada joue un rôle de premier plan. Affaires étrangères le dirige, mais l'Agence spatiale participe, disons, au volet juridique de l'Équipe Canada et dans le cadre d'un forum qui ressemble à l'ONU, l'agence travaille à établir des protocoles sur l'utilisation sécuritaire de l'espace et le code de déontologie relatif aux activités spatiales.

Concrètement, j'ai trois avocats à l'Agence spatiale, et tous ont de vastes compétences dans le domaine du droit spatial.

Sachez que l'Université McGill est un peu comme le centre; elle compte l'unique institution de droit spatial au Canada. Un excellent étudiant qui y a été diplômé mène notre équipe. Il offre un soutien aux affaires étrangères et travaille avec des collègues internationaux pour développer les mesures de confiance et les protocoles du code de déontologie, par rapport notamment à l'interdiction de la militarisation de l'espace.

Le sénateur Dallaire : J'aurai une autre question pendant la deuxième série, mais celle que je vous pose maintenant porte surtout sur les liens entre la défense antimissile, votre organisation et la défense nationale. À mon avis, la défense antimissile n'a rien à voir avec l'espace. Il s'agit simplement d'un objet qui ne fait que passer. Vous avez parlé du baratin publicitaire du Canada dans l'espace. Y a-t-il un argumentaire solide qui explique comment la défense antimissile ne fait aucunement partie du programme spatial?

Gén Natynczyk : Je serai franc et clair. Pendant la préparation de cet exposé et pendant mes neuf mois en fonction, nous ne nous sommes jamais penchés sur la question de la défense antimissile. En ce qui concerne l'Agence spatiale, je pose des questions au sujet de l'avancement de nos travaux, en signalant des volets liés à la sécurité, des volets dont je ne m'occupe pas. D'autres personnes responsables de la sécurité s'en occupent. Je me concentre sur la sécurité dans l'espace lorsqu'il est question, par exemple, des débris qui pourraient nuire à l'utilisation efficace de satellites et de la Station spatiale internationale. Il faut également se pencher sur ce que fait Dame Nature dans l'espace, par exemple, les tempêtes solaires qui pourraient mettre tous les satellites hors fonctions. Je crois que vous avez entendu parler d'une « journée sans l'espace » que nous avons eue il y a quelques années. Le satellite Anik F2 avait cessé de fonctionner à cause d'une anomalie et, tout-à-coup, des dizaines de milliers de Canadiens ne pouvaient plus communiquer ou effectuer des transactions bancaires, et des milliers de gens étaient coincés parce que les avions ne pouvaient pas décoller. C'est une question de sécurité, qui consiste à étudier les radiations et tout ce qui en découle. En fait, comme l'a indiqué M. Brûlé il y a quelques instants, il y a aussi le suivi des astéroïdes. Vous êtes au courant de ce qui s'est produit lorsqu'un astéroïde s'est écrasé en Russie. Le bang supersonique et l'onde de choc qui s'en étaient suivis avaient blessé environ 1 000 personnes. L'Agence spatiale s'occupe du volet pacifique et de ce qui se produit dans l'espace; le volet de la sécurité relève d'autres intervenants dans le gouvernement.

Le sénateur Dallaire : Mon objectif était de vérifier que cela ne relevait pas de vos activités et c'est ce que nous essayons de prouver.

Le sénateur Segal : Bienvenue, général.

Ma question porte sur les communications polaires et la mission de satellites. Je crois que cela relève d'une des grappes auxquelles vous avez gentiment fait allusion. Selon ce que j'ai compris, votre agence essaie de trouver des partenaires internationaux, que ce soit des investisseurs privés ou d'autres gouvernements qui souhaiteraient en faire partie. Y a-t-il un problème financier lié à la mise en œuvre de la promesse du gouvernement d'établir ce réseau polaire à des fins de communication et d'analyse? Faut-il soutenir l'hypothèse qu'il nous faut d'autres partenaires pour en assurer l'exécution, ou le gouvernement s'engage-t-il à assurer l'exécution, coûte que coûte?

Gén Natynczyk : Le satellite réservé à la communication et à la météo polaire sera, je crois, un satellite très puissant pour le Canada une fois qu'il est relancé. Il permettra de communiquer dans le haut Arctique et fournira des prévisions météorologiques plus précises dans la région. Lors de mon entrée en fonction, je me suis penché sur le PCW, le satellite de communication et de météorologie polaire, pour déterminer comment on le développait comparativement à, par exemple, la mission Constellation de RADARSAT, et j'essayais de déterminer ce que fait l'Agence spatiale, son objectif principal et ses activités.

Je me suis rendu compte que lorsqu'une technologie est normalisée, qu'elle n'est plus à haut risque, l'industrie a envie de l'adopter. Et lorsqu'il en résulte des informations ou des données qui ont une valeur opérationnelle pour certains ministères, on se demande pourquoi c'est l'Agence spatiale qui s'en occupe. En fait, c'est une conclusion du rapport de l'honorable David Emerson sur la responsabilité financière de l'équipement spatial et des astronefs. Auparavant, l'industrie spatiale était tellement nouvelle qu'on avait décidé que l'Agence spatiale assumerait tous les coûts. Aujourd'hui, la technologie a évolué, et on se rend compte qu'on devrait élaborer des solutions commerciales moins chères, d'où le modèle Télésat. En 1962, le gouvernement du Canada a développé Alouette, avec le temps il a créé Télésat, et ensuite Télésat est devenue une entité commerciale qui se porte bien.

Le projet PCW, si j'ai bien compris, n'est pas à la fine pointe de la technologie. Essentiellement, il s'agit d'une technologie météorologique et de communications commerciales qu'on fait circuler dans une orbite spéciale qu'on appelle l'orbite toundra. Donc, à n'importe quel moment, ces deux satellites ont environ 12 heures de couverture au-dessus de l'Arctique.

En partenariat avec Environnement Canada et le ministère de la Défense, l'Agence spatiale a fait des études initiales là-dessus. Nous avons investi de l'argent et nous avons trouvé une solution. Mais si l'on s'en tient aux recommandations de l'honorable David Emerson, les résultats opérationnels relèvent du ministère de la Défense et d'Environnement Canada, et c'est pour cette raison qu'ils mènent le projet avec le soutien de l'Agence spatiale. Cela change la méthode de financement de ces projets spatiaux parce que l'Agence spatiale joue trois rôles. Le premier rôle est d'appuyer les ministères gouvernementaux, ainsi que les provinces et les territoires, afin de fournir des solutions spatiales qui répondent à leurs besoins opérationnels. Le projet PCW en est un très bon exemple.

Un deuxième rôle est de trouver des technologies extraordinaires partout dans le pays et d'envoyer ces technologies dans l'espace le plus rapidement possible afin de maintenir un avantage compétitif.

Le troisième rôle est l'exploration spatiale; il y a par exemple tout le travail qu'on a fait à la Station spatiale internationale, il y a le télescope spatial James Webb, et il y a l'exploration de l'espace lointain. Voilà le troisième rôle.

L'innovation et l'exploration spatiales représentent vraiment nos priorités, et notre troisième rôle est d'appuyer les autres ministères du gouvernement.

Du côté économique, nous avons créé une gouvernance interministérielle qui rassemble tous ces ministères autour de la table et qui explique que l'Agence spatiale participera à tous ces projets comme nous l'avons fait avec le projet PCW. Mais à qui profite cette solution spatiale et qui veut mener le projet, si ce n'est pas nous? Lorsque les autres ministères veulent nous voir participer nous le faisons, mais cela risque de changer la dynamique par rapport à ce qui se faisait par le passé.

Le sénateur Segal : Qu'est-ce que ce changement de leadership implique sur le plan financier?

Gén. Natynczyk : Aujourd'hui, les autres ministères peuvent présenter leurs besoins sur le plan spatial dans leurs plans d'investissement. Lorsqu'un astronef est lancé, cela produit généralement de l'information qui est utile à plusieurs ministères. Il y a donc plusieurs promoteurs, mais il faut choisir un leader pour chaque projet.

Le président : Qui paye pour cela?

Gén Natynczyk : Oui monsieur. C'est exactement ce que l'honorable David Emerson a mis dans son rapport lorsqu'il parlait du mode de financement.

Le sénateur Mitchell : Merci messieurs. C'est un sujet très intéressant pour quelqu'un qui partage votre formation. Je ne suis pas expert dans l'industrie spatiale non plus, enfin pas à ce point-là. J'habite à Edmonton où les missiles nous inquiètent.

Vous avez dit que nous travaillons avec nos partenaires internationaux afin de déterminer quelles seront les prochaines étapes de l'exploration spatiale. Pourriez-vous nous dire quelles seront ces prochaines étapes et quelles seront les priorités du Canada?

Gén Natynczyk : Les diverses agences spatiales internationales se rassemblent pour travailler sur le sujet de l'exploration spatiale, et elles ont créé le groupe international de coordination de l'exploration spatiale, ISECG. Ce groupe se réunit afin de trouver un consensus pour l'avenir.

Un de nos défis, c'est notre fragilité en tant qu'être humain sur le plan biologique. C'est pour cette raison que la Station spatiale internationale est si importante — vous en avez sûrement entendu parler lorsque Chris Hadfield a commandé la Station spatiale — cela nous aide à comprendre comment les êtres humains peuvent endurer un vol spatial très long. L'ISECG a dit que notre objectif pour l'année 2050 devrait être d'atteindre la planète Mars. On est en train d'élaborer les technologies nécessaires pour ce faire.

En plus d'envoyer les êtres humains sur la planète Mars, on veut également explorer l'espace lointain, pour savoir ce qui se passe au-delà de la planète Mars. C'est pourquoi vous avez entendu parler de l'investissement important qui a été fait dans le télescope James Webb, qui remplacera le télescope Hubble. C'est un télescope extrêmement puissant, et le Canada a un rôle important à jouer. Un outil de contrôle va orienter le télescope à un million de degrés de près et cet outil a été fabriqué à Cambridge, en Ontario. Cela nous permet de regarder dans l'espace lointain, de voir des trous noirs — toutes ces choses que Luc connaît bien.

Un domaine important de l'exploration spatiale, c'est l'astronomie. Ensuite il y a la robotique, et aujourd'hui il y a un robot sur la planète Mars qui a un capteur fabriqué au Canada. Essentiellement, il est situé au bout d'un bras robotisé qui peut monter sur une roche et nous dire à nous sur terre quelle est cette roche. C'est extraordinaire. Il y a quelques semaines, à l'Université de Guelph, j'étais dans un laboratoire et il y avait un étudiant canadien qui participait à une discussion internationale, et qui décrivait où on allait envoyer ce bras robotisé, parce que c'est nous qui contrôlons en partie cette technologie.

Avec le domaine de la robotique, on peut déterminer la faisabilité et les exigences des missions spatiales. Ensuite, on peut envoyer des êtres humains dans l'espace, à la Station spatiale internationale ou même plus loin.

Le sénateur Mitchell : C'est très intéressant.

RADARSAT-2 sera remplacé par RCM, c'est-à-dire la mission de la Constellation RADARSAT, comme vous le savez. Il y a eu quelques retards, et donc on pourrait avoir un financement intérimaire; en tout cas, il y a eu certains rapports à cet effet. Pourriez-vous nous dire quelle incidence cela pourrait avoir sur le budget?

Gén Natynczyk : Actuellement, le projet n'est pas retardé. Nous avons un prix fixe pour le projet négocié avec notre fournisseur principal, c'est-à-dire MacDonald, Dettwiler and Associates. J'ai eu l'occasion de voir un de leurs sous-traitants à Winnipeg. J'ai visité Magellan Aerospace qui est en train de fabriquer ce qu'on appelle un « bus », c'est-à-dire la structure extérieure d'un satellite. Ils font le suivi. Il y a plusieurs « sous-sous-traitants », je suppose, qui fabriquent ces composants — certains au Canada, certains en Europe. Ils font le suivi actuellement.

J'ai demandé à Luc parce qu'il surveille cela, mais je crois que nous allons respecter le calendrier et le budget.

M. Brûlé : Pour ce qui est du programme RADARSAT, nous avons participé à l'achat préliminaire de blocs de données quand nous avons construit la mission RADARSAT-2. Depuis le lancement de RADARSAT-2, nous faisons des prélèvements sur nos facilités de crédit. Nous suivons les progrès avec attention. Actuellement, nous projetons avoir suffisamment de crédits pour durer jusqu'à ce que la RCM soit lancée et devienne opérationnelle.

Le sénateur Wells : Merci messieurs, de votre présentation et pour les réponses que vous avez données jusqu'ici.

Je voudrais demander votre opinion — ou peut-être qu'il existe des données probantes — concernant la défense antimissile — je reconnais le fait que l'Agence spatiale canadienne a peut-être des relations ou non dans ce domaine.

Je voulais poser une question sur les avantages financiers, les retombées industrielles, qui découleraient d'un tel programme. Dans votre présentation, vous avez dit « positionner le secteur privé à l'avant-scène des activités spatiales ». Jusqu'à un certain point, il s'agirait d'une activité spatiale, certainement pour ce qui est de la technologie et l'infrastructure.

Est-ce que l'ASC a effectué du travail qui ne concerne pas tellement la défense antimissile mais les retombées industrielles qui pourraient exister autour de l'installation de radars et de ce genre de choses?

Gén Natynczyk : Une des grandes leçons que j'ai apprises récemment concerne les avantages exponentiels de la technologie spatiale de pointe et son impact sur l'économie canadienne. Les gens me donnent l'exemple du Canadarm de la navette spatiale. Nous en avons construit six. Le premier a été financé par le Canada. La NASA a acheté les cinq autres.

La technologie développée pour le Canadarm a servi à d'autres applications comme le NeuroBras. Il s'agit d'un bras robotique développé par MacDonal Dettwiler et un illustre médecin à Calgary. Il peut faire de la chirurgie sur un patient à l'intérieur d'un appareil IRM. C'est extraordinaire.

Je sais que mon prédécesseur avait établi que chaque dollar investi dans l'espace devait avoir comme résultat une production de 10 $. J'essaie de déterminer si c'est juste. Est-ce qu'il s'agit d'un calcul rigoureux? Chaque fois que je visite une de ces entreprises du pays, que ce soit à Montréal, à Toronto ou à Winnipeg, j'entends des anecdotes d'histoires extraordinaires de l'ASC investissant dans une technologie et ensuite vendant beaucoup d'équipement.

J'étais à Sainte-Anne-de-Bellevue, où on a embauché un extraordinaire étudiant de troisième cycle de l'Université de Montréal qui avait une idée. L'ASC a versé 150 000 $ pour la commande d'antenne de radiogoniométrie, et la compagnie en a récolté 75 millions en dividendes.

Nous tentons de déterminer la proposition relative à la valeur. Nous avons les analyses et avec le temps nous cherchons à déterminer la valeur nette de l'investissement initial. Jusqu'à ce que nous ayons les analyses, je ne peux pas vous donner de ratio ferme, parce que cela dépend de l'exemple. La robotique en est un, les communications par satellite, un autre, et ainsi de suite.

Le sénateur Wells : C'est un peu comme le Canadarm. C'est le cadeau qui continue de contribuer à notre économie, précisément. Vous avez mentionné le travail de sensibilisation et les avantages créés par ces projets industriels. Et c'est bien ce qu'ils sont; la mission sur Mars est un projet industriel. C'est un projet de recherche, mais il y a des avantages pour l'Université de Guelph et de nombreux autres universités et instituts de recherche.

Un peu comme pour la défense antimissile, si le Canada l'adoptait en fournissant un site et des services, pouvez-vous nous parler un peu des partenariats, ce qui est une autre partie de votre mandat, l'élaboration de partenariats avec les universités et les instituts de recherche? Quelle en est l'importance pour les fondements d'un projet utile sur le plan industriel? Je pense un peu à la défense antimissile, mais je ne le dirai pas précisément parce que je connais la position de l'ASC.

Gén Natynczyk : Une des bases clés du succès serait les partenariats, parce que l'Agence spatiale ne mène pas elle-même d'activités de recherche et de développement. Les gens s'imaginent que nous sommes une bande de génies qui effectuent certaines études. Nous n'effectuons pas de recherche du tout à l'Agence spatiale; en fait, nous nous tournons vers les technologies extraordinaires en cours de développement dans cette trentaine d'universités au pays — encore une fois, les 1 300 chercheurs dans ces institutions qui se réunissent en grappes avec leurs études et leurs priorités qui répondent aux besoins de l'industrie.

J'ai été à l'Université de Winnipeg, qui évoque pour nous les arts et autres domaines semblables. Or, l'université a engagé un professeur extraordinaire du nom d'Ed Cloutis. C'est un professeur de géographie, mais il est également planétologue. Il a établi des contacts avec les professeurs à l'Université York et avec quelques entreprises à Montréal travaillant dans le domaine des sciences planétaires. Quand le Japon a récupéré à grands frais un échantillon d'astéroïdes, il l'a offert à l'Université de Winnipeg afin de le faire examiner.

L'Agence spatiale a appuyé cette grappe, et nous appuyons des grappes dans le domaine des communications par satellite, de la robotique, de l'observation de la Terre et ainsi de suite, pour rassembler ces groupes et leur donner un peu de capitaux de lancement. Mais nous leur disons également : « Écoutez, nous devons faire en sorte qu'ils optimisent toutes les autres sources de financement, comme la Fondation canadienne pour l'innovation, la FCI, le CRSNG et les responsables de ISAD. Nous devons nous assurer que nous optimisons tous ces fonds et que nous réunissons ces grappes parce que c'est là que la magie de l'innovation s'effectue.

Le sénateur Wells : Très bien. Merci beaucoup.

Le sénateur Day : Merci, général et monsieur Brûlé.

Vous avez répondu à ma première question. Je voulais avoir une idée des sources d'innovation et d'inspiration. Vous avez sans doute un certain nombre de personnes travaillant pour s'assurer que telle chose se produit et pour réunir des grappes et qui s'adressent à vous pour le financement. Je présume que c'est de cette façon que cela fonctionne.

Pouvez-vous nous expliquer la première étape de l'innovation? Nous avons brièvement abordé la commercialisation. Est-ce que ces gens travaillent avec vous à St-Hubert et ailleurs, et est-ce qu'ils parlent des possibilités d'application et de commercialisation à ne pas manquer? Est-ce que vous y réfléchissez, ou est-ce que vous attendez tout simplement que les gens viennent vous voir?

Gén Natynczyk : En février, nous avons organisé la première conférence des parties intéressées à l'industrie spatiale au Canada, qui a réuni quelque 120 personnes représentant la plupart des ministères concernés, ainsi que des représentants du plus grand nombre possible d'entreprises spatiales. J'ai moi-même fait des appels téléphoniques et par téléconférence avec les vice-présidents de recherche des universités d'un bout à l'autre du pays, j'ai ensuite relancé ceux qui avaient manqué l'occasion et j'ai invité les provinces et les territoires. Nous les avons réunis précisément pour se pencher sur les moyens de stimuler l'innovation. Je leur ai demandé de mettre en arborescence l'Agence spatiale canadienne et toutes ses grappes, soit les sciences planétaires, l'astronomie, les communications par satellite et l'observation de la terre. D'un océan à l'autre, ces secteurs forgent des liens avec les institutions universitaires et les entreprises qui ont des intérêts communs et s'occupent d'innovation. Les gens brillants qui y travaillent apprennent les uns des autres et font ensemble des découvertes.

Pour ce qui est des occasions, nous envoyons des avis d'offre de participation. Nous expliquons par exemple qu'il y a un groupe de cinq microsatellites qui seront envoyés. Les microsatellites ne sont pas très gros et peuvent avoir la taille d'une bouteille de lait ou d'un micro-ondes de comptoir. Quelles sont les technologies que vous voudriez envoyer sur ces microsatellites? Ensuite, les gens nous envoient leurs réponses. La NASA et l'Agence spatiale européenne lancent également des avis d'offre de participation, mais tout le monde joue les chasseurs de têtes, on recherche de la bonne technologie parce qu'on sait ce qui est disponible. On essaie de trouver les bonnes technologies et de les envoyer dans l'espace. Encore une fois, il faut jumeler ces avis d'offre de participation à des grappes pour que les technologies novatrices se rendent dans l'espace.

Pour revenir à notre cadre de politique spatiale, la commercialisation est l'un des aspects fondamentaux. Une fois qu'on s'est penché sur les intérêts nationaux de la souveraineté, de la sécurité et de la sûreté, on veut positionner les intérêts commerciaux du Canada pour pouvoir connaître du succès. Nous examinons des prototypes tels que celui de la petite antenne satellite à Sainte-Anne-de-Bellevue pour connaître leur potentiel commercial. C'est un peu comme si on était des investisseurs en capital-risque; si on investit de l'argent, on veut s'assurer que le projet va marcher.

M. Brûlé : Je voudrais parler davantage du processus de communication avec l'industrie et le monde universitaire. Il y a plusieurs moyens, notamment les avis d'offre de participation et les demandes de propositions. Les projets spatiaux prennent beaucoup de temps. Nous avons besoin de nouvelles idées et nous avons donc des moyens de travailler avec l'industrie et le monde universitaire, d'octroyer du financement pour leurs activités et leurs études, et cela fait ressortir toutes sortes d'idées — des bonnes et des mauvaises. Nous avons des processus et des moyens pour les classer par ordre de priorité. Il y a un processus rigoureux pour faire avancer les choses et passer par les étapes du développement de la science au développement de la technologie pour pouvoir envoyer de la technologie dans l'espace. Cela prend beaucoup de temps et d'échanges avec les gens du monde universitaire. Voilà une des fonctions clés de l'Agence spatiale canadienne.

Gén Natynczyk : J'aimerais ajouter quelques observations. Encore une fois, le domaine spatial a évolué. Autrefois les seuls clients des engins spatiaux étaient les gouvernements. Avec la normalisation de la technologie, on s'est tourné vers les clients commerciaux. C'est ce qui se passe aux États-Unis. Ainsi, le réapprovisionnement de la Station spatiale internationale a été confié à la société SpaceX, qui pourrait, d'ici la fin de la décennie, transporter aussi des astronautes. C'est un changement de philosophie.

J'ai été consulté à plusieurs reprises concernant les activités minières dans l'espace notamment, la faisabilité de se rendre sur un astéroïde, sur la lune ou même sur Mars pour y faire l'extraction de minéraux rares. Encore une fois, nous savons que des météorites et des astéroïdes frappent la Terre. Certains d'entre eux proviennent peut-être de la planète Mars et cela suscite des intérêts commerciaux.

Le sénateur Day : Vous avez mentionné à quelques reprises le document que David Emerson a rédigé à ce sujet. Je présume qu'il s'agit d'une politique qui a été adoptée par le gouvernement.

Je n'ai pas eu l'occasion de l'examiner, mais maintenant que vous en avez parlé, je vais le faire. Dans cet exposé ou ce document, fait-on mention des titres de propriété intellectuelle, et conseille-t-on au gouvernement de conserver certains droits de brevet puisque du financement a été octroyé par l'entremise de l'Agence spatiale? Les sommes ainsi recueillies pourraient être investies pour créer de nouveaux concepts et de nouvelles idées?

Gén Natynczyk : J'ai pris connaissance de son rapport de novembre 2012. Le rapport comprend deux volumes, l'un sur le secteur de l'aérospatiale et l'autre sur le secteur spatial. Il a fait huit recommandations dans le cadre de la politique spatiale et le gouvernement a tenu compte de la plupart d'entre elles. À ma connaissance, la propriété intellectuelle n'en faisait pas partie, mais nous avons une équipe qui est chargée de trouver l'approche à prioriser en la matière. M. Brûlé pourrait peut-être vous en dire plus.

M. Brûlé : Concernant la propriété intellectuelle, nous sommes régis par des règles de TPSGC. Il y a des principes auxquels nous devons adhérer. Par ailleurs, nous voulons encourager l'industrie dans ce processus. En général, l'industrie détient la propriété intellectuelle et nous obtenons une licence pour nos propres besoins en la matière. Nous voulons aussi que l'industrie puisse en tirer profit, surtout l'industrie canadienne, pour qu'elle puisse développer de nouveaux produits en utilisant cette propriété intellectuelle. Cela est utile non seulement pour l'Agence mais aussi pour les autres ministères et industries au Canada, et cela facilitera aussi les permis d'exportation. La règle d'or est de faire en sorte que la propriété intellectuelle reste entre les mains de l'industrie puisque c'est elle qui est la mieux placée pour en faire le meilleur usage et créer de meilleurs produits. Il faut en même temps protéger nos propres titres pour pouvoir accéder à la propriété intellectuelle dans le cadre de nos propres besoins opérationnels.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, messieurs. Je suis heureuse de voir votre enthousiasme. Chaque nouvelle génération est fascinée par l'espace parce qu'il est génial, et vous êtes très inspirants.

J'aimerais vous poser quelques questions sur les débris spatiaux. Vous en avez parlé, et le major-général Day nous a dit que l'espace est encombré de débris, et que la question suscite controverses et concurrence. Y a-t-il un plan d'urgence au Canada au cas où l'un de nos satellites de communication serait frappé par des débris ou entrerait en collision avec notre RADARSAT-2?

Gén Natynczyk : Pendant un bon moment, Luc était l'expert dans ce domaine. Chaque satellite que nous lançons a une capacité de manœuvre et un montant limité de carburant. Tout dépend de la période pendant laquelle il doit rester opérationnel, du volume de carburant dont il dispose et de la distance qu'il doit parcourir.

Pour l'instant, nous avons toujours réussi à redéployer nos satellites. C'est pour cela qu'il faut connaître l'emplacement du débris et celui du satellite pour pouvoir déplacer ce dernier. La Station spatiale internationale doit aussi être déplacée de façon régulière compte tenu de sa taille.

M. Brûlé : Cet aspect est de plus en plus inquiétant pour beaucoup d'entre nous. Nous avons un petit centre opérationnel à l'agence de Saint-Hubert, et nous avons aussi une équipe qui surveille constamment la situation. Nous préparons régulièrement des rapports pour nos collègues aux États-Unis concernant la situation de nos satellites et des débris qui pourraient s'en approcher.

Nous devons ainsi de temps en temps relocaliser le RADARSAT-1. Nous avons effectué une manœuvre en orbite pour éviter les collisions. En ce qui a trait au RADARSAT-2, nous conseillons de temps en temps notre partenaire commercial, MDA, sur les déplacements que devrait faire son satellite, selon la trajectoire des débris. Ces déplacements sont effectués de temps à autre mais toujours sous contrôle. Nous savons où se situe le débris et quand déplacer nos satellites pour l'éviter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'aimerais remercier M. Brûlé et le major-général Natynczyk. J'ai eu la chance de visiter les locaux de l'Agence spatiale canadienne sur la Rive-Sud de Montréal et j'ai été très impressionné.

Le sénateur Dallaire : Vous êtes allé voir le football, là?

Le sénateur Dagenais : Non, je suis allé voir l'Agence spatiale canadienne; après, je suis allé voir le baseball.

[Traduction]

Pouvez-vous confirmer que la Chine est le principal promoteur de la militarisation de l'espace? Quelles en sont les répercussions sur les nations comme le Canada qui ont des investissements importants en technologie dans l'espace?

Gén Natynczyk : De mon point de vue, l'Agence spatiale canadienne établit des partenariats avec des pays du monde entier.

Dans les diverses conférences auxquelles j'ai participé, on ne cesse de parler de coopération plutôt que de concurrence. Nous travaillons de près avec la Chine et d'autres pays parce qu'il faut travailler ensemble une fois qu'un engin est lancé en orbite.

Je ne suis pas expert dans les programmes spatiaux d'autres pays. Nous travaillons avec les diverses agences spatiales civiles et partageons les leçons tirées de nos activités et trouvons des domaines dans lesquels nous avons des intérêts communs en sciences et en technologie.

Le sénateur Dallaire : Marc Garneau a amené dans l'espace une petite cymbale qui appartenait à mon père durant la Seconde Guerre mondiale et il lui a été très difficile de l'apporter. Chris Hadfield a pu apporter toute une guitare. Je ne sais pas comment il a fait pour la miniaturiser. Marc et Chris Hadfield sont tous deux d'anciens cadets du Collège militaire royal, il faut le noter.

Je me souviens que des scientifiques de la NASA étaient venus au Canada pour discuter de l'utilisation de la combinaison spatiale dans des environnements pollués, notamment pour les activités minières, les activités des pompiers et des militaires, les exosquelettes, les micros servos, les microclimats et toutes sortes de choses, pour l'adapter à des plateformes d'armes beaucoup plus efficaces.

Ce genre de produits existe-t-il et participez-vous à des recherches dans la technologie du futur, générées par vous ou par d'autres parties que vous encouragez? Je ne parle pas ici d'engin supra luminique, bien que j'aimerais bien en voir.

Gén Natynczyk : Je ne sais pas si vous voudriez vraiment savoir comment on a envoyé la guitare dans l'espace. Je peux vous revenir avec une réponse écrite si vous le voulez.

Le sénateur Dallaire : Non, ce n'est pas nécessaire.

Gén Natynczyk : Ceci nous ramène à la commercialisation. Nous essayons de dégager les leçons apprises de la Station spatiale internationale et d'utiliser ces informations pour l'industrie canadienne, pour qu'on puisse utiliser les technologies dans divers domaines.

Je suis très heureux d'apprendre que la combinaison Astroskin, qui permet de surveiller les systèmes du corps, a pu être utilisée durant des expéditions en Antarctique. Un de nos grands astronautes, David Saint-Jacques a participé au contrôle de ces activités. On pourrait vous communiquer les détails de différents projets que nous avons entrepris dans le domaine des sciences de la vie, sur lesquelles portait votre question.

Je tiens à souligner que nous donnons accès à ces technologies à l'industrie et nous lui demandons ce qu'elle souhaite en faire. Parallèlement, les différentes industries participent à ces efforts, que ce soit au Centre spatial Johnson à Houston ou avec nous, et essayent de trouver ces technologies et de les commercialiser.

Ceci me ramène à l'importance du cadre de la politique spatiale. Nous pouvons indiquer quels sont les résultats clés ou les domaines d'action que nous recherchons et permettre aux entreprises canadiennes de développer un avantage concurrentiel dans ces domaines.

Le sénateur Dallaire : Dans ces efforts, qu'en est-il de la recherche pure dans les technologies du futur? Avez-vous des fonds à attribuer spécifiquement à des projets pour voir ce qui pourrait être créé?

Gén Natynczyk : Oui, on a le Programme de développement des technologies spatiales. Dans son rapport, l'honorable David Emerson recommandait d'en augmenter le financement, ce qu'a accepté le gouvernement. Financé actuellement à hauteur de 10 millions de dollars, le budget passera à 20 millions de dollars, précisément pour les innovations de technologie à risque élevé.

Le sénateur Segal : J'aimerais avoir l'avis du général sur une question très simple. Lorsque vous étiez militaire, vous aviez connaissance des questions et défis liés à notre sécurité nationale, y compris de notre relation avec les services de renseignements des États-Unis, avec le United States Space Command et avec NORAD, et vous compreniez comment la politique de défense antimissile influait sur ces relations. Vous compreniez tout cela et vous pouviez, si j'ai bien compris, en communiquer certains éléments, mais pas d'autres pour des motifs de sécurité nationale.

En tant que civil, votre point de vue est différent. Vous avez des partenaires qu'intéresse la sécurité nationale. Pouvez-vous, en répondant par oui ou par non, garantir au comité, et donc à tout le pays, que le flux d'information qui a lieu en temps réel entre ce que vous et votre personnel faites, ce qui s'est passé au ministère de la Défense nationale, et nos collègues américains est suffisant pour assurer au mieux notre sécurité nationale?

Gén Natynczyk : Je répondrai oui à la question.

Le sénateur Day : J'essaie de comprendre la relation qui existe entre la recherche et le développement qui se font pour la défense et l'Agence spatiale canadienne. Si le gouvernement décidait de participer à la défense antimissile — et on fait actuellement beaucoup de recherche et de développement dans ce domaine — diriez-vous que, compte tenu de votre mandat qui concerne exclusivement la paix dans l'espace, il faudrait confier la tâche à un autre organisme. »

Est-ce que ce serait les services de recherche et de développement pour la défense qui s'en occuperaient?

Gén Natynczyk : Je dirais encore une fois que le mandat serait confié aux ministères concernés. Le mandat de l'Agence spatiale est axé sur l'espace et la sécurité civils. Parce que votre question a trait plutôt à la sécurité nationale, je m'attendrais à ce que le mandat ne soit pas accordé à l'Agence spatiale.

Le sénateur Day : Merci. C'est tout.

Le président : Je voudrais profiter de la prérogative de la présidence et poser une question qui nous ramène à Polarsat, vu que je suis un des sénateurs du Grand Nord. Le sénateur Segal a posé plusieurs questions auxquelles vous avez répondu, mais moi j'aimerais poser une question par rapport à l'appel qui a été lancé par l'Agence spatiale canadienne. À votre avis, quand est-ce qu'une décision sera prise par rapport à la décision de poursuivre le dossier de Polarsat?

Gén Natynczyk : Merci de la question, monsieur le président. Je crois comprendre que c'est la Défense qui en est responsable et qu'elle est appuyée en cela par Environnement Canada et par l'Agence spatiale. Travaux publics, qui est également partenaire du projet, a lancé une demande de renseignements l'automne dernier. Je crois comprendre qu'à peu près 21 entreprises ont répondu à la demande de renseignements et qu'une équipe les représentant est en train d'évaluer toutes les demandes de renseignements émises par Travaux publics. Je ne connais pas la date à laquelle ce sera terminé.

M. Brûlé : Je ne peux pas entrer dans les détails, mais je peux vous dire que la demande de renseignements a suscité beaucoup d'intérêt, et beaucoup d'idées novatrices ont été proposées. Les analyses se poursuivent donc, et nous avons une équipe interministérielle en place qui évalue les détails et met la dernière main à son rapport. Très bientôt, un processus sera mis en place au sein du gouvernement pour évaluer les recommandations et donner suite au programme.

Le président : Simplement pour conclure là-dessus — et j'aimerais une réponse par oui ou par non, maintenant que j'ai appris la leçon du sénateur Segal —, pouvons-nous nous attendre à une décision cette année?

Gén. Natynczyk : Il s'agit d'un appel d'intérêt et c'est pourquoi selon moi, on produira cette année un rapport sur les idées novatrices qui sont ressorties. Il n'y a pas encore de demande de proposition.

Le président : Alors peut-être l'année prochaine.

Cher collègue, il est 16 h 30, et nous devons entendre un autre groupe. Je tiens à remercier les témoins d'être venus. La séance a été très instructive. Général, on dirait bien que vous n'avez pas pris votre retraite. Selon la description que vous en avez faite cette dernière heure, vous semblez occuper le meilleur poste qui soit au pays. Nous vous remercions d'assumer ces fonctions avec le même enthousiasme qu'à l'époque où vous étiez dans les forces armées. Je vous remercie d'être venu.

Avec notre quatrième groupe de témoins, nous allons poursuivre l'étude de l'Agence des services frontaliers du Canada. Chers collègues, le 12 décembre 2013, le Sénat adoptait l'ordre de renvoi suivant :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à examiner, dans le but d'en faire rapport, les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles; et

Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2014 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions pendant 90 jours après le dépôt de son rapport final.

Pour la dernière partie de la séance d'aujourd'hui, c'est avec plaisir que nous accueillons une habituée du comité, Mme Chantal Bernier, commissaire à la protection de la vie privée. Elle est accompagnée de M. Christopher Prince, analyste en politique stratégique.

Je vous souhaite de nouveau la bienvenue au comité. Permettez-moi de dire que votre récent témoignage devant le comité nous a fortement impressionnés, et que nous attendons vos remarques d'aujourd'hui avec grand intérêt. Je sais que vous avez une déclaration liminaire. Nous disposons d'une heure. Vous avez la parole.

[Français]

Chantal Bernier, commissaire intérimaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Bonsoir. Monsieur le président, membres du comité, merci beaucoup pour cette invitation. Je suis accompagnée de M. Christopher Prince, analyste des questions liées aux dossiers frontaliers.

Permettez-moi de vous dire d'emblée que votre étude tombe pile. Comme l'ont fait valoir d'autres témoins, les changements en cours sur le plan de la sécurité frontalière sont vastes et leurs répercussions sur la protection de la vie privée sont considérables.

Aujourd'hui, je parlerai en particulier des défis concernant la protection et l'échange des données, puisque ce sujet touche le droit à la vie privée des Canadiens et des non-Canadiens.

[Traduction]

Comme le comité le sait très bien, la déclaration Par-delà la frontière de 2011 et le plan de travail sur la sécurité du périmètre de 2012 comportent de nombreux éléments mobiles, progressant chacun dans des différentes voies. Dans ces conditions, les gouvernements du Canada et des États-Unis ont eu la prévoyance de reconnaître et de codifier la protection de la vie privée, qui constituait d'emblée une préoccupation majeure pour eux. Ils ont donc établi 12 principes conjoints de protection des renseignements personnels qui doivent être observés au moment d'élaborer chacune des initiatives concernant la sécurité du périmètre. Ces principes visent entre autres à exiger que les organismes limitent l'utilisation et la communication des renseignements personnels, veillent à ce que le public soit pleinement informé et vérifient que les renseignements recueillis et échangés sont à jour et exacts.

Nous accueillons favorablement ces principes. Nous avons toutefois émis certaines réserves quant à la teneur des protections fondamentales accordées en vertu de ces principes. Par exemple, nous espérions qu'un plus grand contrôle serait exercé pour restreindre le transfert de données vers des pays tiers. Idéalement, un droit légal pour le pays d'origine de refuser le transfert de renseignements personnels aurait constitué une mesure de sécurité idéale.

Pour notre part, nous avons, au cours des trois dernières années, déployé des efforts considérables pour examiner les risques pour la vie privée liés à la sécurité frontalière. Dans nos communications avec l'ASFC et d'autres organismes, nous avons signalé des préoccupations concernant la portée grandissante des renseignements personnels de nature délicate qui sont recueillis, l'utilisation et l'échange accrus de ces renseignements par les autorités, l'absence de mécanismes clairs de plaintes et recours et les périodes de conservation des renseignements personnels de nature délicate qui devraient être justifiées.

[Français]

En fin de compte, les choix sont limités en ce qui concerne les programmes des ministères. C'est la raison pour laquelle nous avons également recommandé, en janvier, une réforme juridique dans notre rapport spécial au Parlement, intitulé Mesures de vérification et de contrôle.

Afin d'offrir une protection adéquate dans un environnement moderne d'échange de renseignements, le Canada doit actualiser sa Loi sur la protection des renseignements personnels de sorte que les ministères puissent démontrer clairement que la collecte des renseignements personnels est nécessaire; que des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée soient requises avant la mise en œuvre de nouveaux programmes et, j'ajouterais, en temps opportun, pour que nous puissions dûment les réviser; et enfin, que les dispositions régissant l'échange de renseignements personnels avec des autorités étrangères soient renforcées.

Ce dernier point est particulièrement important dans le cadre de votre étude actuelle; autrement dit, les organismes fédéraux doivent faire preuve de grande prudence lorsqu'ils échangent des renseignements personnels avec des homologues étrangers. Ils doivent également s'assurer que la véracité de ces renseignements est éprouvée.

Enfin, nous sommes persuadés que les ententes et les règles de coopération entre les organismes nationaux et étrangers doivent être aussi claires que possible au préalable et mises par écrit, s'il y a lieu.

En terminant, chaque point que j'ai soulevé reflète la portée et l'étendue des grands changements apportés aux politiques du Canada en matière de sécurité frontalière, et il sera important que le comité les étudie.

Je vous remercie, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Vous avez exposé votre position de manière très brève mais très instructive. Je vais poser la première question : dans votre exposé, au troisième paragraphe de la fin, vous soulevez un point particulièrement pertinent à notre étude, à savoir que les organismes fédéraux doivent faire preuve de grande prudence lorsqu'ils échangent des renseignements personnels avec des homologues étrangers. Vous dites également être persuadée que les ententes et les règles de coopération entre les organismes nationaux et étrangers doivent d'emblée être aussi claires que possible et mises par écrit s'il y a lieu.

C'est plutôt net, clair et précis. J'aimerais savoir, compte tenu de vos discussions avec les divers ministères concernés, et plus précisément avec l'ASFC, comment cette recommandation particulière a-t-elle été reçue et est-ce qu'on apporte des changements pour s'y arrimer?

Mme Bernier : Pour l'instant, l'approche que nous avons adoptée relativement à l'initiative Par-delà la frontière a été de coordonner notre propre examen. Par exemple, nous sommes saisis de 15 évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, et nous avons déjà formulé des recommandations au sujet de 11 d'entre elles. Pour répondre à votre question au sujet de notre travail avec l'ASFC, je dirais d'abord que nous tenons régulièrement des réunions avec l'agence, en plus des réunions extraordinaires consacrées aux diverses initiatives qui font l'objet d'une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, et que dans le cas de chacune de ces initiatives, l'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée que nous examinons est le cadre dont nous nous servons pour, entre autres, voir comment les renseignements seront échangés.

Le président : Les résultats sont-ils positifs?

Mme Bernier : Oui. Nous avons notamment formulé des recommandations au sujet des mécanismes de réparation dont l'agence a tenu compte. Nous avons formulé des recommandations au sujet des périodes de conservation des renseignements personnels qui ont entraîné une réduction de la période de conservations. Nous sommes généralement satisfaits du progrès de nos relations avec l'ASFC qui nous contacte maintenant plus fréquemment, et nous donne de meilleurs préavis. Nous constatons un réel progrès.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Vous nous parlez d'un scénario différent de celui qui a été évoqué la dernière fois que vous avez comparu devant le comité; vous n'aviez certainement pas fait preuve de ce même optimisme. Vous agissez, selon moi, à titre d'entité responsable d'assurer nos libertés individuelles; il ne s'agit pas seulement de notre vie privée, mais de nos libertés dans l'ensemble de la société. Cela inclut le fait de traverser les frontières et la garantie de notre sécurité lorsque d'autres traversent notre frontière.

Toutefois, je ne suis pas convaincu que, dans cette ère complexe où l'on parle de transfert d'information, de vitesse de changement et de souci de la sécurité, vous êtes l'entité ayant le pouvoir fondamental d'imposer des méthodes; vous recommandez, mais vous ne pouvez imposer. Comment faire pour imposer? Selon moi, le système va dans toutes les directions et nos libertés individuelles sont de plus en plus menacées.

Mme Bernier : Je suis tout à fait d'accord avec vous sur plusieurs points. Premièrement, vous présentez le droit à la vie privée comme étant le vecteur des libertés fondamentales et vous avez raison. C'est l'espace qui préserve les libertés fondamentales. Vous avez également raison en exprimant une frustration que je partage, c'est-à-dire que nous ne pouvons faire que des recommandations; c'est exact. Comment fait-on, donc, pour être aussi efficace que possible? Tout d'abord, en ce qui concerne le rapport spécial présenté le 28 janvier dernier, il s'agissait de notre initiative. C'était une tentative de contribuer, dans la mesure du possible, à informer le débat sur ces questions qui vivent véritablement une transformation.

On ne peut plus parler de la protection de la vie privée à l'ère de la cybersurveillance comme on en parlait auparavant. Nous tentons de renforcer notre intervention en prenant des initiatives de ce genre, en informant les Canadiens, en saisissant l'occasion de venir vous informer, en vous donnant l'information nécessaire pour que vous ayez un droit de regard.

Vous vous rappellerez que, dans notre rapport du 28 janvier dernier, nous avons recommandé que le Parlement s'engage dans un débat très encadré sur la nécessité et la façon de protéger les libertés fondamentales à l'ère de la cybersurveillance. Il est vrai que notre pouvoir se limite à des recommandations en ce qui a trait à la révision des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée. Cependant, avec l'engagement du Parlement et des Canadiens, nous arrivons à exercer une influence qui mène souvent à la mise en œuvre de nos recommandations.

Le sénateur Dallaire : De plus en plus, le gouvernement fait appel à des contractants pour s'acquitter de certaines responsabilités qui, auparavant, appartenaient aux ministères. Donc, les cibles sont plus faciles à atteindre pour vous. Si le contractant ne répond pas aux besoins, qui est responsable? Le contractant ou le ministre? On parle ici d'informations personnelles d'envergure, comme des visas, et cela concerne l'objet de notre étude. Comment pouvez-vous vous assurer que la sélection et l'application des règlements seront bien établies par ces contractants?

Mme Bernier : Il s'agit de l'une des préoccupations que nous avons exprimées. Le simple fait de faire appel à un contractant complexifie la protection des renseignements personnels. Selon une directive du Conseil du Trésor du Canada, tous les contractants du gouvernement sont soumis à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Ils sont soumis au même niveau de protection, aux mêmes obligations de protection que les ministères qui leur donnent un contrat.

Ceci étant dit, dès que l'on décentralise les services, en ce sens que l'on transige avec un sous-traitant, on ajoute une complexité à la structure de gouvernance de la protection des renseignements personnels, et cette complexité doit être prise en compte dans l'élaboration d'un cadre de gouvernance qui protège efficacement les renseignements personnels dans cette relation.

Le sénateur Dallaire : On peut être un parmi d'autres clients de ce sous-traitant à dévoiler l'information.

Mme Bernier : Tout à fait. C'est l'une des précautions qu'il faudrait prendre. S'il y a un sous-traitant, le gouvernement doit s'assurer que ses contractants, ses organismes et ses agences privées aient toutes les mesures nécessaires pour protéger les renseignements personnels au même niveau que celui qui est imposé au ministère.

Le sénateur Dallaire : Au plus bas soumissionnaire.

[Traduction]

Le sénateur Segal : J'aimerais vous faire part d'un bref commentaire et savoir ce que vous en pensez. Ce commentaire ne correspond pas nécessairement à mon opinion personnelle, mais c'est quelque chose que j'ai entendu.

Le fait de vouloir à tout prix empêcher les méchants d'entrer au pays, et la mentalité surprotectrice des vaillants employés de l'ASFC peuvent mener parfois, peut-être plus souvent qu'il ne serait souhaitable, à des situations où la vie privée des personnes arrivant au Canada, le droit à la présomption d'innocence, le droit à la protection de leurs renseignements personnels, la personnalité de l'agent qui détermine si il ou elle jouit de plus de pouvoirs discrétionnaires lors du deuxième interrogatoire plus précisément, plus de pouvoirs discrétionnaires que ceux prévus par la Charte des droits et libertés... Ces incidents sont à la hausse, ce qui viendrait en quelque sorte assombrir l'histoire d'un pays qui a toujours accueilli de nombreux nouveaux arrivants, qui s'est construit grâce à la générosité même de ces derniers.

Ma question s'adresse à vous et à votre collègue. Ma description correspond-elle à la situation actuelle? Est-elle injuste? Est-elle inexacte? J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.

Mme Bernier : Je n'ai pas de données me permettant de savoir si l'AFSC applique maintenant ses lois différemment, mais une chose est certaine, la tension entre la sécurité et la protection des renseignements personnels s'est accrue ces dernières années.

Je vous dirais que le droit à la vie privée, que ce soit à la frontière ou chez soi, est fondamental. Par contre, la légitimité de l'intrusion dans la vie privée est déterminée par des facteurs externes. Ainsi, le besoin de violer la vie privée doit être pesé contre l'efficacité d'une telle intrusion par rapport à un objectif de sécurité publique. Il faut aussi penser à la proportionnalité d'une telle intrusion avec un tel objectif et de l'absence d'une solution de rechange. Tous ces éléments s'appliquent différemment selon les circonstances. Quand une personne se présente à la frontière elle a, selon la loi — et au Canada ça fait partie de la jurisprudence — une attente réduite de protection de la vie privée, mais le même droit à la vie privée demeure, c'est-à-dire que toute intrusion dans la vie privée doit être justifiée en utilisant le même test de légitimité que je viens de vous décrire.

Le sénateur Segal : Vous dites que vous n'avez pas de statistiques. Si la commissaire à la protection de la vie privée n'a pas ces statistiques, vers qui les Canadiens peuvent-ils se tourner pour obtenir ces statistiques, afin de permettre à la commissaire de rendre sa décision sur ces questions en défense du droit à la vie privée de nos citoyens?

Mme Bernier : Comme je l'ai dit, il se peut qu'il y ait, à la frontière, des atteintes à la vie privée qui ne sont jamais signalées. Par exemple, par des personnes qui sont amenées à l'écart pour une recherche secondaire qui pourrait ne pas être autorisée, et ces personnes ne sauraient pas qu'elles ont des recours. Je n'en sais pas plus. Ce que nous avons comme statistiques au Bureau de la commissaire à la protection de la vie privée du Canada, c'est le nombre d'enquêtes en cours.

Nous publions certaines enquêtes tous les ans. Nous avons aussi nos statistiques en ce qui a trait à l'ASFC. Ce sont des statistiques provenant de gens qui ont déposé des plaintes.

Le sénateur Segal : Et quelle est la tendance?

Mme Bernier : Je ne saurais vous dire quelle est la tendance, mais je serais très heureuse de vous en dire plus quand j'en observerai une.

Le sénateur Mitchell : Merci d'être parmi nous, madame Bernier.

J'ai été frappé par deux affirmations que vous avez faites dans votre discours au sujet de la relation canado-américaine et l'échange de renseignements. Elles étaient tout à fait étonnantes, et je me doute bien que c'était voulu de votre part. Je vous cite : « Par exemple, nous avions espoir qu'il y aurait un contrôle plus serré pour limiter le transfert des données à des pays tiers. » Vous dites par la suite : « Idéalement, on aurait accordé au pays d'origine le droit juridique de refuser que des renseignements personnels soient retransmis. Ç'aurait été un garde-fou important. »

À la lumière du cas de cette femme qui a composé le 911 pour signaler un supposé suicide et qui s'est vu refuser par la suite l'entrée aux États-Unis, je vous demanderais d'élaborer sur ces deux affirmations. Ça me surprend, tout ça.

Mme Bernier : Vous avez mis le doigt sur ma plus grande inquiétude.

D'abord, je vais discuter du dossier que vous avez tout juste soulevé. Je vous dirais simplement que nous sommes en train d'enquêter. Je ne peux vous en dire plus, mais sachez que nous allons publier nos conclusions. Vous aurez une divulgation complète à cet égard. Le dossier est complexe, car il est de compétence fédérale et il y a tout un réseau d'agences concernées, alors tout cela va prendre quelques mois, mais nous enquêtons.

En passant, je devrais dire que je n'ai que du respect pour nos négociateurs, qui ont négocié avec les États-Unis du mieux qu'ils pouvaient. Je ne leur en veux pas. Par contre, quand nous avons vu la liste des 12 principes conjoints, j'ai été le plus grandement déçue par celui-là. J'aurais bien aimé que le Canada retienne la souveraineté sur les renseignements personnels qui lui appartiennent. J'aurais aimé que le Canada soit en mesure de faire obstacle aux États-Unis afin qu'ils n'échangent pas des renseignements personnels avec un pays tiers si le Canada pensait que, comme l'a dit le député O'Connor dans sa commission d'enquête et je cite : si ce pays tiers a « un bilan douteux en matière des droits de la personne. »

Le sénateur Mitchell : En termes concrets donc, nous pourrions refuser de remettre cette information aux États-Unis, mais on ne peut les empêcher de remettre ces mêmes renseignements à un pays tiers. C'est aussi simple que ça. Mais qu'est-ce qui nous amènerait à remettre aux États-Unis des renseignements qu'ils voudraient partager?

Mme Bernier : On travaille actuellement sur l'intégration des renseignements personnels. Nos deux pays vont procéder à l'intégration de nos contrôles d'immigration, des services policiers et de la protection de la sécurité nationale. Au cœur de tout cela, il y a l'échange des renseignements personnels.

J'aurais bien aimé avoir une disposition qui aurait permis au Canada d'empêcher les Américains de partager les renseignements qui leur sont accessibles, puisque c'est le but même du périmètre de sécurité que d'empêcher les États-Unis de transférer ces renseignements à un pays tiers. Malheureusement, cette disposition ne figure pas sur la liste des principes communs de protection de la vie privée.

Le sénateur Mitchell : Pourrais-je poser une autre question brève?

Le président : Très brève.

Le sénateur Mitchell : Y a-t-il des efforts en cours pour rédiger une loi qui agirait sur les questions que vous avez soulevées dans la partie « Appel à la réforme » de votre exposé?

Mme Bernier : Les questions ont plus à voir avec les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée ou EFVP. Les 12 principes ne sont pas contraignants. Nous soulevons les autres préoccupations dont vous avez entendu parler par l'entremise des EFVP, des programmes.

Le sénateur Mitchell : Alors, point de loi à l'horizon pour l'instant?

Mme Bernier : Non. Par exemple, toutes ces questions — la portée croissante des renseignements personnels délicats recueillis — sont toutes des préoccupations que nous exprimons lors de l'élaboration des initiatives.

Le président : J'ai une certaine marge de manœuvre ici et j'aimerais bien garder les choses en ordre, alors je vais vous limiter à deux questions.

Le sénateur Mitchell : Mon préambule était tellement court, je croyais avoir droit à une autre question.

Le sénateur Wells : Merci, madame Bernier. Bienvenue de nouveau parmi nous.

Je vais poursuivre dans la lignée des questions du sénateur Mitchell au sujet de l'initiative canado-américaine de vérification des entrées et des sorties basées au sol, qui entre en vigueur au mois de juin, si je ne me trompe.

Dans un ordre d'idées plus général, vous avez dit dans votre exposé que « Les règles de collaboration entre agences nationales et étrangères doivent d'emblée être aussi claires que possible et là où cela est acceptable, couchées sur papier. » Il ne semble pas y avoir de problème quand il y a une entente d'échange de renseignements en place. C'est seulement quand nos renseignements se retrouvent entre les mains d'autrui, dans ce cas-ci les Américains, que nous exerçons peu ou pas de contrôle, même quand nous nous entendons sur les règles à suivre par écrit.

Pourriez-vous nous rassurer que d'avoir les choses par écrit nous aidera?

Mme Bernier : Cela dépend de ce qui est écrit. C'est pourquoi nous aurions voulu voir les 12 principes de la protection de la vie privée rédigés autrement. Nous aurions préféré qu'ils énoncent, par écrit, qu'un transfert à un pays tiers serait interdit si le pays d'origine s'y oppose.

Le sénateur Wells : Vous avez dit que vous faisiez confiance aux négociateurs canadiens. Mais cette disposition particulière ne représentait-elle pas un point essentiel, sans lequel toute négociation serait impossible? Si c'était vous, n'en auriez-vous pas fait une condition pour la poursuite des négociations? Cela me semble fondamental.

Mme Bernier : Oui. Quand nous en avons parlé avec les négociateurs, ils nous ont dit à juste titre que ces 12 principes de protection de la vie privée étaient une amélioration sur ce qui existe actuellement, et je suis d'accord avec cette perception. Ils avaient tout à fait raison.

Il ne serait pas juste que je présume de ce que les négociateurs, ou même moi, auraient pu faire pour en arriver à une meilleure version des douze principes, sans avoir été là en personne. Le fait demeure que c'était une négociation avec les États-Unis. Il est clair que le résultat sera le fruit d'un compromis, et c'est probablement ce qui s'est passé.

Le président : Si je peux, j'aimerais faire un suivi à la question du sénateur Wells. Comment notre accord se compare-t-il avec d'autres accords que les États-Unis ont, mettons, avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni? Avons-nous un meilleur accord, ou avons-nous le même?

Mme Bernier : Ceci est un accord de sécurité du périmètre. Les États-Unis n'ont pas de tels accords avec ces États.

Le président : Mais n'ont-ils pas des accords avec d'autres pays en ce qui a trait à l'échange des renseignements et de l'information, et qui reprendraient les mêmes principes que l'on retrouve dans notre accord particulier?

Mme Bernier : Ces 12 principes ont été élaborés spécifiquement pour ce plan d'action sur la sécurité du périmètre.

Le sénateur Day : J'ai une question au sujet des changements de nom. Il y avait des reportages là-dessus ce matin qui m'ont paru intéressants. Les lois régissant le changement de nom sont en grande partie provinciales, je pense, mais si quelqu'un change de nom, et qu'avant ce changement il avait un casier judiciaire, cette information ne devrait-elle pas le suivre sous son nouveau nom et les gens de son quartier ne devraient-ils pas être mis au courant de la présence d'une personne condamnée au criminel qui pourrait mettre leurs enfants en péril? Avez-vous une position là-dessus?

Vous savez où je veux en venir... Je vous laisse la parole.

Mme Bernier : Le Code criminel permet le signalement au public dans les cas où cela est nécessaire. Il comporte des dispositions entourant la divulgation — notamment l'autorisation de signalement au public. Il y a dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition des dispositions entourant la libération conditionnelle ou l'obtention d'un pardon — en fait ce n'est pas vraiment un pardon mais plutôt la mise sous scellé du casier judiciaire après un certain nombre d'années comme citoyen modèle, et cetera. Tout cela s'applique de la même manière à une personne ayant changé de nom. Évidemment, je m'attendrais à ce que la paperasse assure une certaine continuité, pour que la loi pénale continue de s'appliquer à cette personne, comme il se doit.

Le sénateur Day : Cette personne change de nom. Le reportage de ce matin parlait de personnes qui changent leur nom et traversent la frontière. C'étaient des gens condamnés ailleurs sous un autre nom, qui obtiennent un changement de nom et entrent au pays avec ce nouveau nom pour refaire leur vie.

Si jamais vous la découvrez, est-ce que cette personne peut dire que la Loi régissant la protection de la vie privée vous empêche de publier cette information, ou est-ce que vous êtes toujours aux aguets pour ce genre de choses?

Mme Bernier : La protection de la vie privée ne peut jamais servir d'écran pour la criminalité ou pour échapper à l'application de la loi pénale.

Le sénateur Day : Êtes-vous sûre que les lois et les règlements en cours suffisent pour prévenir les abus?

Mme Bernier : Cette question relève de l'application de la loi plutôt que de la protection de la vie privée. Je la poserai à des agents de police pour voir si les pseudonymes sont répertoriés et si cette information fait l'objet d'un échange entre services policiers. Nous avons certainement vu au Canada des cas tragiques où l'absence d'échange de renseignements entre services policiers était en cause. La protection de la vie privée ne peut servir pour justifier la non-application de la loi pénale.

Le sénateur White : Merci beaucoup de votre exposé.

Vous allez peut-être me trouver un peu injuste, mais j'aimerais vous ramener aux fonctions de sous-ministre adjoint à la sécurité publique que vous occupiez en 2004-2005. Lorsque vous parlez de l'absence de mécanismes de plaintes et de recours clairs, nous avons pu voir le mandat de l'ASFC s'élargir pour ressembler beaucoup plus à un modèle policier par rapport à 2004.

Avez-vous une idée du modèle que vous préféreriez? Envisagez-vous de reprendre le modèle de la GRC, souhaitez-vous une combinaison des deux, ou même d'avoir recours à la même agence?

Mme Bernier : C'est une excellente question. C'est en fait l'une des questions que nous avons posées au Parlement dans notre rapport du 28 janvier. Un grand nombre de suggestions ont été faites. Si vous vous souvenez bien, le juge O'Connor a formulé des recommandations précises dans son rapport dans lequel il indiquait qu'il voulait voir une agence spéciale superviser l'ASFC car il pensait que les pouvoirs de cette dernière s'étaient accrus, comme vous venez tout juste de l'indiquer, à tel point que cela le justifiait.

Le rapport que nous vous avons soumis le 28 janvier laisse la porte ouverte, dans le sens où nous étions d'avis que cette question ne se limitait pas à la protection de la vie privée. Il y avait aussi les aspects de la protection de la vie des gens, de la protection contre la discrimination. Cependant, il est juste de se poser la question de savoir si nous avons le système de surveillance nécessaire en place dans la réalité actuelle d'échange d'informations et le cadre de gouvernance en matière de sécurité nationale. La question que vous avez soulevée est exactement le genre de question que nous aimerions voir faire l'objet d'un débat plus approfondi au Parlement afin de parvenir à des réponses plus concrètes et définitives.

Le sénateur White : Pour y venir, je vous demanderai si vous pensez que nous avons atteint, en 2014, le point où nous devrions opter pour une seule agence? On parle des opérations de forces conjointes, mais en vérité, on ne peut pratiquement pas faire la distinction entre les agences des services frontaliers — et je suis conscient qu'elles font d'autres choses, comme d'ailleurs la plupart des services de police — et notre agence de police fédérale. Une seule agence ne suffirait-elle pas pour votre ministère?

Mme Bernier : Une fois encore, dans notre rapport du 28 janvier, nous avons indiqué que nous préférerions tisser de meilleurs liens entre les mécanismes de surveillance existants plutôt que de créer une nouvelle agence. Nous aimerions pouvoir collaborer avec d'autres organismes de réglementation. Nous aimerions collaborer avec le CSARS de même qu'avec le commissaire du CSTC. Le commissaire du CSTC et le CSARS ont formulé les mêmes recommandations; ils aimeraient voir mis en place de meilleurs liens entre eux afin de pouvoir exercer ces activités de surveillance de façon intégrée.

Je pense que c'est la première chose que nous devrions envisager.

Le sénateur White : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, madame Bernier. Écoutez, je serai peut-être un peu redondant. Vous avez très bien expliqué qu'une partie du travail des services frontaliers consiste à respecter la vie privée et les principes. Cependant, comment arrivez-vous à vérifier si les services frontaliers des États-Unis et du Canada qui doivent s'échanger de l'information le font en respectant le principe de la vie privée? Nous n'avons pas autorité sur les services frontaliers américains, mais nous ne sommes pas sans savoir que les deux services échangent continuellement de l'information.

Mme Bernier : Tout à fait. C'est la complexité créée par l'accord sur le périmètre de sécurité : on transmet des renseignements personnels à un État qui, d'une part, échappe à nos mécanismes de contrôle puisque nous n'avons pas d'autorité sur les États-Unis, et qui, d'autre part, a des lois différentes sur la protection des renseignements personnels.

À titre d'exemple — et c'est peut-être ce qu'il y a de plus patent —, les États-Unis n'ont pas de commissaire à la vie privée. Ils n'ont pas établi d'autorité indépendante de révision de la protection des renseignements personnels au sein du gouvernement américain. Ils ont des administrateurs à la vie privée au sein des ministères, mais ils n'ont pas d'organisme indépendant. Ils ont créé le Privacy and Civil Liberties Oversight Board, qui a une certaine indépendance, mais qui réside tout de même dans la Maison-Blanche. Cet organisme a eu le courage d'émettre des critiques récemment quant aux pratiques américaines sur la surveillance, mais il a tout de même un mandat beaucoup plus étroit que notre commissariat. Il s'agit d'un premier exemple des différences qui distinguent les lois et l'approche canadiennes et américaines.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : J'ai moi aussi une question. Merci, madame Bernier, d'être venue. Seriez-vous en mesure de dire au comité ce qui se passe avec les renseignements qui sont recueillis concernant quelqu'un qui arrive comme résident temporaire et qui devient ensuite citoyen canadien?

Mme Bernier : Si vous me le permettez, je pense que cette question devrait être posée à l'ASFC et Citoyenneté et Immigration Canada car ce sont eux qui supervisent ce processus. Je pense qu'ils sont mieux placés pour répondre.

Le sénateur Mitchell : J'ai peut-être confondu les deux, mais dans votre exposé, vous aviez une partie intitulée « Un appel à la réforme » dans laquelle vous indiquez la nécessité de moderniser la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je pense que la modernisation s'applique à bien plus que ce qui toucherait cet aspect précis. Avec la permission du président, j'aimerais vous demander rapidement si un quelconque projet de loi est actuellement à l'ébauche afin de tenir compte des trois ou quatre points que vous avez indiqués et qui devraient être intégrés à une version modernisée de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

Mme Bernier : Pas à ma connaissance.

Le sénateur Mitchell : Merci.

Le président : D'autres questions de suivi?

Le sénateur Mitchell : Oui. Toute cette question de surveillance est importante pour la GRC. La plupart des grands services de police au pays sont surveillés par des organismes publics, autonomes et indépendants du contrôle politique ou d'autres services de police. Par surveillance, j'entends les activités de supervision et de gestion, d'embauche, d'établissement de budgets, et de détermination d'orientation politique. C'est quelque chose que la GRC n'a pas. Je pense que ce serait une excellente chose et qu'elle devrait s'en doter. Sommes-nous rendus au point où l'ASFC, à la lumière des problèmes qu'elle connaît, et du fait qu'elle est aussi essentielle à la société civile, doit se doter d'un organe de surveillance public chargé d'examiner les questions relevant de votre compétence, comme bien sûr, la protection des renseignements personnels?

Mme Bernier : Comme je l'ai indiqué au sénateur White, c'est une question qu'il faut examiner attentivement. Il y a un grand nombre de choix. L'un d'eux consisterait à mettre sur pied une fonction précise de surveillance destinée à l'ASFC. C'est une recommandation qui a été déjà faite par le passé et qui demeure toujours très valable.

Il y a d'autres possibilités. Elle consisterait à renforcer les mécanismes de surveillance actuels. Nous avons compétence en matière de protection des renseignements personnels à l'ASFC et nous nous en prévalons, mais lorsque l'on examine les pouvoirs de l'ASFC, il convient naturellement de se poser la question de savoir s'il existe un degré de surveillance adéquat étant donné ses pouvoirs. C'est une question à laquelle on devrait répondre.

Le sénateur Mitchell : Nous parlons de deux différentes choses. Moi je parle d'une entité publique, autonome, externe au gouvernement, comme une commission de police...

Le sénateur White : Un conseil de gouvernance.

Mme Bernier : Eh bien, c'est l'une des options que nous pourrions envisager. C'est une question qui dépasse largement la protection des renseignements personnels. De toute évidence, c'est une question relative au fonctionnement du gouvernement. C'est aussi une question dans laquelle la Commission canadienne des droits de la personne pourrait avoir son mot à dire, en ce qui a trait à la discrimination. Je pense qu'il y a certainement un grand nombre d'intervenants qui auraient leur mot à dire.

Il est certain que c'est une question valable en raison de la direction que nous prenons en matière de sécurité frontalière et des implications inhérentes qu'elle a en matière de protection des renseignements personnels.

La sénatrice Beyak : J'ai une question supplémentaire. À titre de commissaire à la protection de la vie privée, je présume que vous connaissiez la réponse à cela mais que par respect pour l'ASFC, vous préfériez qu'on lui pose la question. Je suis curieuse car beaucoup de gens me le demandent.

Mme Bernier : Le problème, c'est que le processus dont vous parlez change fréquemment. J'ai été à l'Immigration pendant deux ans, il y a longtemps, et ensuite j'ai été conseillère spéciale auprès du président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, et à ce moment-là, les règles avaient encore changé. Pour s'assurer d'avoir les renseignements les plus à jour, la réponse devrait provenir de l'ASFC.

Le sénateur Segal : Dans le cadre de votre rôle en tant qu'agente du Parlement — et vous avez un bon aperçu non seulement du projet de loi dont nous discutons aujourd'hui, de l'ASFC, mais aussi du projet de loi S-4 et de l'accès légal, et cetera —, je pense que les Canadiens apprécient votre diligence dans vos rapports concernant des questions précises. Comme cela est bien souvent le cas avec le vérificateur général et d'autres, les gens souhaitent avoir leur opinion sur l'orientation, bonne ou mauvaise, que prend le contrôle financier des deniers du contribuable.

Je serais très curieux de savoir si vous pensez que notre préoccupation du terrorisme, la question de l'accès légal et la transmission de renseignements criminels suivent l'évolution du cyberespace et d'avoir votre point de vue sur la question plus générale de la protection de la vie privée des Canadiens.

Mme Bernier : Absolument. C'est l'hypothèse de notre rapport du 28 janvier. Si vous l'examinez, vous verrez que nous y parlons de tendances, de la façon dont l'environnement en matière de sécurité nationale change et de la façon dont ces changements sont pertinents à la protection de la vie privée. Ensuite, nous formulons nos recommandations.

Vous avez raison. Il y a des changements clairs en ce qui a trait aux types de menaces et aussi en ce qui a trait à la capacité de surveillance qui ont des répercussions directes sur la façon dont nous protégeons la vie privée. Nous devons prendre des mesures en conséquence et donc moderniser notre régime actuel.

Le sénateur Segal : Vous n'allez donc pas nous donner votre opinion précise sur la façon dont vont les choses sur le front de la protection de la vie privée? J'ai lu le rapport; il est excellent. Mais il faut faire une transition, car tous ces changements que nous devons maintenant examiner sont associés à toute une série de nouvelles questions.

Si je puis me permettre, vous partez d'une analyse de différents aspects pour formuler des recommandations prescriptives. J'aimerais connaître votre opinion sur ce qu'il advient de la protection de la vie privée dans notre pays et la part qu'y prend le gouvernement.

Mme Bernier : Je vois plusieurs tendances. L'une d'entre elles est une sensibilité accrue chez les Canadiens et les hauts fonctionnaires concernant la vie privée. Cela se reflète dans l'augmentation du nombre de plaintes que reçoit notre bureau.

Cette sensibilisation des hauts fonctionnaires se traduit par l'augmentation du nombre d'avis de transgression, l'augmentation du nombre d'examens d'impact sur la vie privée, de même qu'un renforcement de la mise en œuvre de nos recommandations. Ça c'est l'aspect positif.

Je remarque, dans votre question, la même préoccupation : le rythme du développement de la capacité et des pratiques de surveillance est rapide et par conséquent, le rythme législatif doit être lui aussi tout aussi rapide.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Je demeure tout de même soucieux. L'Angleterre a confié à des sous-traitants un volet de la filière de l'immigration. Or, la compagnie a perdu plusieurs dossiers et l'information a été émise.

Lorsque le Conseil du Trésor a établi des normes pour les compagnies sous contrat, est-ce qu'une consultation a été tenue avec vous, qui êtes en quelque sorte les chiens de garde de ce volet? Ou est-ce qu'on vous a appelé après coup pour vérifier si ces normes comportaient des déficiences? Le système est peut-être déjà enclenché et des gens sont pris dans l'engrenage.

Mme Bernier : Effectivement, nous travaillons étroitement avec le Conseil du Trésor. C'est une directive que nous considérons tout à fait opportune. Évidemment, tout réside dans sa mise en œuvre. La directive énonce ce qu'elle doit communiquer; c'est-à-dire qu'un ministère qui engage un contractant doit s'assurer que, dans le contrat, l'obligation qu'a le contractant de respecter les normes de protection des renseignements personnels, qui incombent au ministère lui-même, est clairement énoncée.

Là où il faut vraiment évaluer la protection, c'est dans la mise en œuvre. Par exemple, est-ce que des évaluations du risque ont été effectuées adéquatement? Est-ce que les répercussions sur la vie privée ont été évaluées adéquatement? Comment sont prises les mesures de protection? Cela se fait dans le cadre d'une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, dont nous faisons la révision — et c'est là que nous revenons à votre question. Nous faisons des recommandations et nous espérons qu'elles seront respectées.

Imaginons un scénario où un contractant ne respectait pas les obligations et qu'il se produisait un incident, une intrusion ou une mauvaise utilisation des renseignements. Le ministère serait blâmé parce qu'il demeure responsable de la protection des données personnelles qu'il a confiées à un contractant.

Le sénateur Dallaire : C'est bien beau dire que le ministère est blâmé. Je n'ai pas encore vu de ministre se faire congédier. Nous sommes en train d'examiner un volet d'une grande importance. Aux frontières, on essaie de bâtir la forteresse de l'Amérique du Nord.

Pouvez-vous nous dire que ce ministère responsable a les outils nécessaires pour faire les évaluations dont vous parlez avec les sous-traitants; qu'il en fait le suivi, donc qu'une évaluation et une validation sont effectuées? Le ministère est-il réellement en mesure d'aller dans les entrailles de la compagnie pour s'assurer que cette information ne disparaît pas? Est-ce que cela existe dans ce ministère en particulier?

Mme Bernier : Sans être complaisante, il est important pour moi de rester toujours très critique pour bien protéger les Canadiens. Je dois tout de même dire que l'intensité de notre collaboration avec les ministères concernés me rassure. C'est-à-dire que je constate une préoccupation réelle de la part de ces ministères à assurer la protection des renseignements personnels, donc de nous produire des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée en temps opportun — je vous disais plus tôt qu'il y a eu, par exemple, une amélioration de ce côté — et des évaluations qui sont étoffées. Nous avons élaboré des manuels pour les aider à le faire. Je dois dire que, effectivement, nous constatons une bonne volonté en ce sens.

Jusqu'à présent, comme je vous le dis, nous restons sur nos gardes, nous demeurons critiques. Toutefois, les signes sont encourageants quant à la discipline que l'on constate à cet égard.

[Traduction]

Le président : Madame Bernier, pourriez-vous nous mettre à jour sur votre étude concernant les métadonnées et sur les résultats des audiences que nous avons eues cette année avec la communauté du renseignement?

Mme Bernier : Certainement. Pour ce qui est des événements de janvier, vous vous rappellerez que nous avions déposé notre rapport, et que quelques jours plus tard il y avait eu des révélations concernant l'utilisation de métadonnées. Les hauts fonctionnaires responsables du dossier ont comparu, et nous avons décidé d'entreprendre une analyse du traitement des métadonnées dans le droit canadien, par rapport à la protection de la vie privée. Cette étude est en cours.

La première partie décrit ce que sont les métadonnées afin de faire les distinctions nécessaires, et une fois que ces distinctions en termes de types de métadonnées auront été faites, nous passerons à une évaluation juridique des protections offertes pour ces données en vertu du droit en matière de protection de la vie privée, tout en tentant d'apporter un cadre, une structure à la question de savoir de quelle protection devraient faire l'objet les métadonnées.

Le président : Merci beaucoup, madame Bernier et monsieur Prince. Nous apprécions beaucoup votre comparution. Nous allons de nouveau faire appel à vous dans un avenir proche à la lumière des observations que vous avez faites suite à la dernière question. Nous avons bien hâte de lire vos rapports. La séance est levée.

(La séance est levée.)


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