Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 26 - Témoignages du 1er juin 2017
OTTAWA, le jeudi 1er juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général (sujet : l'évolution récente en République bolivarienne du Venezuela), et à huis clos, pour étudier la teneur des éléments de la section 1 de la partie 4 du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d'autres mesures (étude d'une ébauche de rapport).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Note de la rédaction : Une partie du témoignage a été présentée par l'intermédiaire d'un interprète espagnol.]
[Traduction]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuivra son étude des questions qui pourraient être soulevées de temps à autre en ce qui concerne les relations étrangères et le commerce international en général.
Dans le cadre de ce mandat, le comité entendra un témoignage sur la situation au Venezuela.
Le comité se réjouit à la possibilité d'être informé de l'évolution de la situation au Venezuela, des défis auxquels les Vénézuéliens sont confrontés et des répercussions pour la région.
Nous sommes ravis d'accueillir M. Eudoro Antonio González Dellán, député et chef de la délégation vénézuélienne au Parlement du Mercosur, le « Parlasur », qui témoignera par vidéoconférence depuis Caracas.
Bienvenue au comité, monsieur Dellán. Je crois savoir que vous allez prononcer vos remarques en espagnol.
Nous demandons à notre invité de parler lentement pour les interprètes et nous espérons ne manquer aucune partie de la vidéoconférence, car c'est notre premier essai avec Caracas.
Bienvenue au Comité sénatorial permanent des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada. Nous nous réjouissons à la perspective d'entendre vos remarques et nous aimerions ensuite vous poser des questions. La parole est à vous.
[Interprétation]
Eudoro Antonio González Dellán, député et chef de la délégation vénézuélienne au Parlement du Mercosur (le « Parlasur »), Assemblée nationale du Venezuela : Madame la présidente, sénateurs, bonjour. C'est un honneur et un privilège pour moi d'être avec vous aujourd'hui pour vous dire, par vidéoconférence, ce que je pense de la situation actuelle au Venezuela.
J'aurais aimé être avec vous en personne, mais le gouvernement vénézuélien a arbitrairement annulé mon passeport. Je suis député, et mon passeport a été révoqué, si bien que je ne peux pas quitter mon pays. Cependant, grâce à la technologie, je peux maintenant vous présenter un résumé de la situation actuelle au Venezuela.
J'aimerais commencer par remercier le Sénat, la Chambre des communes ainsi que le gouvernement du Canada pour toute la solidarité dont ils ont fait preuve à l'égard de mon pays. Je tiens aussi à souligner le discours prononcé par la ministre des Affaires étrangères du Canada à l'OEA.
La crise au Venezuela est globale puisqu'elle touche les secteurs socioéconomique et politique. Par-dessus tout, il s'agit d'une crise humanitaire. À la mi-avril, on enregistrait un taux d'inflation accumulé de 92,8 p. 100. En outre, près de 52 p. 100 de notre population vivent dans une pauvreté extrême alors que 80 p. 100 des Vénézuéliens vivent dans la pauvreté.
Nous n'avons pas les médicaments nécessaires pour traiter le diabète, l'hypertension artérielle et le cancer.
Tous ces chiffres sont publiés par des organisations non gouvernementales indépendantes parce que, depuis environ deux ans, le gouvernement n'a pas publié de données officielles concernant ces questions.
Compte tenu de la portée de la crise que le gouvernement fait subir aux Vénézuéliens, en 2006, il y a eu 11 500 personnes de moins d'un an...
[Note de la rédaction : L'interprète aimerait signaler que le son n'est pas suffisamment élevé pour lui permettre d'entendre les chiffres.]
[Traduction]
La présidente : Pourriez-vous parler plus fort, je vous prie? Vous parlez lentement, et c'est bien, mais les interprètes ont du mal à saisir les chiffres que vous donnez. Merci.
[Interprétation]
M. Dellán : Oui, tout à fait.
Je disais qu'en 2016, selon une organisation non gouvernementale indépendante — car nous n'avons pas de chiffres officiels — 11 467 enfants sont décédés. Cela représente une hausse de 30 p. 100 par rapport à 2015.
Cela représente aussi une hausse de 65,79 p. 100 du taux de mortalité maternelle, car nous n'avons pas les médicaments de base pour offrir des soins aux mères et aux nouveau-nés; ils ne sont pas disponibles dans mon pays.
Voilà un bref aperçu de la crise socio-humanitaire, mais elle est aussi politico-institutionnelle.
En 2006, il y a eu des élections de gouverneurs qui étaient censées avoir lieu tous les quatre ans, mais ce ne fut pas le cas. En outre, il n'y a pas non plus eu de référendum pour destituer le président. L'opposition a réuni tous les critères juridiques présentés par le gouvernement pendant le processus pour tenir ce référendum, mais au bout du compte, le gouvernement ne l'a pas tenu.
En 2015, une assemblée nationale a été élue au Venezuela avec 70 p. 100 du vote populaire, et environ 14 millions de Vénézuéliens admissibles au scrutin ont élu l'assemblée nationale. Cependant, dès le premier jour, le gouvernement s'est attaché à se servir du Tribunal suprême de justice, qui penchait en sa faveur parce que les juges avaient été nommés avant les élections. Ils ont rendu 50 jugements pour annuler le pouvoir de l'assemblée nationale, et les jugements des 28 et 29 mars derniers équivalent à un coup d'État au Venezuela, car ils annulent l'immunité parlementaire et déclarent que les chambres constitutionnelles de la Cour suprême pourraient avoir un pouvoir législatif.
L'an dernier, le gouvernement a approuvé le budget de la nation sans passer par l'assemblée nationale, en se servant d'un décret du tribunal constitutionnel, ce qui est une aberration qui abolit huit siècles de tradition parlementaire.
Pour ce qui concerne la démocratie, tous les partis de l'opposition démocratique ont manifesté pacifiquement pour résister à ce coup d'état ourdi par le gouvernement même.
Plus d'une soixantaine de personnes ont perdu la vie dans le cadre de manifestations pacifiques, surtout des jeunes entre 17 et 27 ans, selon les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur, organisme un peu en marge de toute cette situation. Cependant, le procureur public de la République a maintenant commencé à défendre les droits des citoyens, et il est très important d'en tenir compte.
Il y a plus de 1 900 détenus, des jeunes pour la plupart, et les gens sont traduits en justice devant les tribunaux militaires et ont été victimes d'une répression brutale et exagérée. Voilà ce qui arrive aux Vénézuéliens qui manifestent dans les rues. Le gouvernement limite les manifestations pacifiques et empêche les Vénézuéliens de s'exprimer.
Ce qui rend le processus politique encore plus difficile et compliqué est que le gouvernement a unilatéralement convoqué une assemblée nationale constituante dans un pays où, il y a 18 ans seulement, nous avions une Constitution pour tous les Vénézuéliens, et c'est la raison pour laquelle nous l'avons défendue. Cependant, étant donné que le gouvernement n'arrive pas à trouver de manière d'imposer son système, il a convoqué — de façon frauduleuse — une assemblée constituante pour modifier la Constitution. Il ne possède pas les éléments nécessaires pour ce faire, car il ne s'agit pas d'une constitution issue du vote libre et secret du peuple vénézuélien, mais bien d'une assemblée nationale constituante formée de membres triés sur le volet provenant de secteurs que le gouvernement veut voir représenter, et non du registre électoral universel de tous les Vénézuéliens.
Je vais vous donner un exemple. Dans l'État de Táchira, à l'ouest du pays, à la frontière de la Colombie dans les Andes vénézuéliennes, il y avait plus de 800 000 électeurs; de ce nombre, 30 personnes étaient des membres de l'assemblée constituante pouvant être choisis.
Cependant, dans l'État de Zulia à l'ouest, riche en pétrole, la capitale de cette région compte 1 900 000 personnes admissibles au scrutin, et seulement un petit nombre d'entre elles siégeront à l'assemblée constituante. Les sièges de cette assemblée ont été distribués de façon arbitraire, ce qui témoigne du non-respect du droit de vote.
L'assemblée constituante représente certains secteurs, tandis que d'autres ne sont pas pris en compte. Nombre de secteurs de la société civile sont exclus, dont les peuples autochtones, les personnes handicapées et les entrepreneurs. Personne ne sait exactement ce qui va se passer.
La communauté internationale a réagi à ce coup d'État au Venezuela monté par le gouvernement même. Nous savons qu'on a fait une déclaration pour rejeter cette assemblée constituante le 21 mars ainsi que la répression brutale dont les Vénézuéliens sont victimes.
Nous voulons la tenue d'élections au Venezuela, rien d'extraordinaire, nous voulons simplement avoir une mobilisation démocratique en faveur d'une démocratie civilisée et tenir des élections libres en présence d'observateurs internationaux.
Nous avons constamment surveillé la réaction internationale. Les États-Unis, le Canada, le Costa Rica, le Panama, l'Uruguay, la Colombie, le Chili, le Paraguay, le Guatemala, la France, le Mexique, l'Allemagne, l'Union européenne, le Royaume-Uni et d'autres pays ont tous dénoncé la situation, la crise pour les Vénézuéliens. Hier, en particulier à l'OEA, nous avons vu les pays intervenir pour dire les mêmes choses. Ils ont parlé de droits de la personne, d'élections libres pour protéger les droits de la personne, et cetera.
Les résultats d'hier nous laissent avec un certain nombre de questions. Comme je l'ai mentionné, le Canada a été assez engagé comme coparrain de la résolution, par le truchement, notamment, de l'allocution prononcée par la ministre des Affaires étrangères en faveur de la résolution. Au Conseil permanent, et pendant les consultations d'hier, il était question de constituer...
[Note de la rédaction : L'interprète voudrait signaler des coupures de son.]
Le Venezuela a perçu l'UNASUR, non pas comme une alliance économique, mais comme une alliance d'amis. Nous pouvons constater que l'on rejette la façon dont le Venezuela traite les droits de la personne.
À la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OEA, le président de notre assemblée nationale a lu, à l'intention de tous les ministres, une lettre faisant valoir quatre points. Le premier était de tenir des élections universelles et libres dans des conditions justes et en présence d'observateurs internationaux.
La deuxième était de libérer les prisonniers politiques. Sénateurs, plus d'une centaine de personnes ont été emprisonnées en raison de leurs opinions politiques, et c'est tout simplement inadmissible.
Nous avons également besoin d'une aide humanitaire sous forme de médicaments de base et de nourriture. Les gens vont dans les rues à la recherche de nourriture. Le Vénézuélien moyen a perdu environ 19 livres en raison du manque de nourriture.
Notre assemblée nationale a été élue par le peuple dans le cadre d'élections libres et démocratiques et elle doit être respectée par les autres membres de la communauté internationale.
Nous demandons aux ministres des Affaires étrangères de continuer à se battre pour défendre les droits des Vénézuéliens. Il est très important de créer immédiatement un groupe de pays solidaires, d'amis du Venezuela, pour rétablir la démocratie.
Enfin, je dirais que la communauté internationale reconnaît que nos demandes sont légitimes — cet événement en est la preuve. C'est ce qui nous préoccupe tous les deux. Elle veut que la crise prenne fin, et nous affirmons qu'elle cessera lorsque le peuple vénézuélien ira aux urnes. Voilà ce dont nous avons besoin. Nous vivons une crise très grave. La démocratie a été minée de façon sans précédent au Venezuela, et je peux vous dire que nous avons suivi la situation de très près, et nous vous remercions d'en faire autant.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Merci de votre témoignage.
Craignez-vous pour votre vie?
[Interprétation]
M. Dellán : À Caracas, le taux de mortalité est le plus élevé au monde. C'est une des villes les plus dangereuses de la planète. L'an dernier, 28 000 Vénézuéliens ont connu des morts violentes, alors oui, tous les Vénézuéliens craignent pour leur intégrité physique et leur vie. Cependant, aujourd'hui la situation est pire qu'avant parce que le gouvernement a promu une campagne haineuse à l'encontre des personnes qui s'opposent à lui ou qui montrent une quelconque opposition. À titre d'exemple, il est risqué pour tous les parlementaires de se rendre à la cité parlementaire, car plus de neuf d'entre eux ont été agressés par des membres du public.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Dans quelle mesure et de quelles façons l'opposition est-elle unie?
[Interprétation]
M. Dellán : Comme vous le savez probablement, l'opposition est un groupe hétérogène de différentes personnes du centre démocratique, et aussi de la gauche, dont le projet est de rétablir la démocratie. Nous travaillons tous vers notre objectif commun, qui est de tenir des élections et de vivre une transition politique stable.
La meilleure preuve de cela, nous l'avons vue pendant les élections, alors que les 113 députés ont tous participé à un même programme.
[Traduction]
La sénatrice Eaton : Quelle est la probabilité que vous réussissiez, et voyez-vous la lumière au bout du tunnel?
[Interprétation]
M. Dellán : C'est une question à laquelle il n'est pas facile de répondre. Les Vénézuéliens ont tendance à être des gens naturellement remplis d'espoir. Nous sommes des hommes et des femmes qui essayons toujours de voir l'avenir avec optimisme. Cependant, sénatrice, nous menons une lutte injuste, car nous avons des citoyens qui essaient de se mobiliser, de rétablir la démocratie, alors que le gouvernement utilise tous les mécanismes à sa disposition, tant humains qu'inhumains, pour empêcher le peuple d'arriver à ses fins.
Plus de 85 p. 100 des Vénézuéliens ne veulent pas du gouvernement, mais celui-ci continue d'abuser de son pouvoir, d'utiliser la structure militaire pour se maintenir au pouvoir. Cependant, nous sommes optimistes et nous pensons qu'avec l'action déterminée des Vénézuéliens qui se sont mobilisés pour rétablir la démocratie, nous y arriverons, mais nous ne pouvons pas le faire sans aide. Nous avons besoin du soutien de quiconque peut influencer un gouvernement qui a décidé de s'isoler et de rester campé sur ses positions.
Nous sommes très encouragés de voir ce qui se passe avec la communauté internationale, et les possibilités nous donnent espoir.
[Traduction]
La sénatrice Ataullahjan : Merci d'avoir témoigné devant nous ce matin.
Vous dites que vous avez besoin de soutien, alors comme vous l'avez constaté, tout le monde a parlé en votre faveur. Cependant, le gouvernement ignore constamment la communauté internationale; il se retire de toutes les organisations internationales. Comment pouvons-nous discuter avec le gouvernement du Venezuela s'il n'est pas prêt à écouter les gens, à leur parler ou à être ouvert à quoi que ce soit?
[Interprétation]
M. Dellán : Sénatrice, le gouvernement du Venezuela dit qu'il n'entend pas les messages qui viennent de l'extérieur du pays, mais ce n'est pas vrai parce qu'il a mené une campagne interne très énergique contre l'OEA. Hier, ses membres ont juré qu'ils n'iraient plus jamais aux assemblées de l'OEA.
Hier soir, le gouvernement a annoncé que le ministre des Affaires étrangères assistera à l'assemblée de l'OEA à Cancun, mais il avait menacé plus tôt de se retirer de la rencontre.
Je pense que des sanctions économiques individuelles fonctionneraient car, en règle générale, les Vénézuéliens ne méritent pas de payer le prix des sanctions économiques imposées au gouvernement. Cependant, il existe des cas importants de corruption que le monde ne peut pas négliger. Les États-Unis ont pris un certain nombre de sanctions économiques à l'encontre de hauts fonctionnaires qui ont été impliqués dans des cas de corruption incroyablement honteux sans précédent au Venezuela. On entamera un processus pour appliquer des sanctions individuelles à l'encontre de personnes, et c'est ce qu'elles craignent.
C'est une des solutions. Cependant, en ce qui concerne l'aspect politique, aucun gouvernement ne veut être isolé, même s'il dit le contraire. Ce gouvernement a besoin de participer aux affaires internationales et de respecter les normes internationales en matière de droits de la personne. Je pense que le gouvernement craint, d'une certaine façon, d'être accusé de violations des droits de la personne. Cependant, de véritables violations des droits de la personne sont commises, mais c'est une chose pour le gouvernement d'être jugé, et c'en est une autre pour un individu d'être traîné devant un tribunal militaire. Cela représente une violation flagrante des droits de la personne.
Faire assassiner les gens sans raison et sans explication représente une violation des droits de la personne. Voilà les questions qui peuvent être discutées aux plus hauts échelons pour que l'on exerce de la pression au plan politique sur le gouvernement. Si toutes les communautés internationales le faisaient de concert, le gouvernement du Venezuela finirait par comprendre et aussi par s'ouvrir aux négociations et aux discussions.
Le sénateur Gold : Monsieur Dellán, merci de votre très inquiétant témoignage.
[Traduction]
J'ai une question à vous poser concernant les aspects humanitaires de cette crise. Selon vous, les Canadiens devraient-ils organiser une aide humanitaire afin de fournir des médicaments et d'autres produits essentiels à la population du Venezuela? Croyez-vous que le gouvernement accepterait de telles initiatives ou qu'il se les approprierait? Croyez-vous que le gouvernement pourrait s'en servir pour consolider son pouvoir dans le contexte de cette crise politique?
[Interprétation]
M. Dellán : Je vous remercie d'exprimer vos sentiments à cet égard. Je peux vous dire qu'un gouvernement est en difficulté lorsqu'il ne reconnaît pas l'existence d'une crise humanitaire dans son pays. Cette reconnaissance le ferait paraître faible aux yeux de la communauté internationale, alors il préfère nier la crise.
C'est pourquoi je pense qu'il est très important et très utile d'appuyer les initiatives qui cherchent à aider les Vénézuéliens.
La population du Venezuela est dans une situation très, très pénible. L'idéal socialiste que le gouvernement poursuit a créé une situation où tout le monde est perdant. C'est le genre d'égalité que ce gouvernement socialiste a réussi à instaurer. Les gens meurent dans les hôpitaux faute de soins adéquats. Les médicaments les plus élémentaires ne sont même pas disponibles. Il y a eu des cas de malaria; il y a eu une épidémie. Pourtant, au Venezuela, la malaria a été éradiquée il y a plus de 70 ans, mais elle est de retour.
Alors, la situation est extrêmement grave, et il serait certainement formidable de voir une initiative humanitaire s'organiser. Cela nous permettrait de mettre fin à cette situation où les gens perdent la vie parce qu'ils n'ont pas accès aux médicaments de base.
[Interprétation]
Le sénateur Marwah : Monsieur Dellán, je suis curieux : quel est le rôle de l'armée, si tant est qu'elle en ait un? L'armée est-elle impliquée d'une façon ou d'une autre dans ce conflit interne? Reste-t-elle en retrait? Y a-t-il des risques qu'elle s'en mêle?
[Interprétation]
M. Dellán : Eh bien, sénateur, ce gouvernement a pris son essor en tant que gouvernement militaire. Il était dirigé principalement par une personne qui est maintenant décédée, Hugo Chávez, qui était lui-même un militaire. Les problèmes qui touchent la plupart des Vénézuéliens touchent aussi les familles des membres des forces armées. Je crois qu'une partie de l'armée, son haut commandement, est très proche du gouvernement. Selon certaines allégations, l'armée aurait aussi quelque chose à voir avec la corruption et le trafic de stupéfiants. Cela fait partie du portrait d'ensemble.
Sauf que l'opposition ne veut pas que ce conflit se règle par une solution militaire. Nous ne voulons pas de solution militaire. Il y a bien des années, le Venezuela s'est débarrassé du problème des régimes militaires et des coups d'État, alors ce que nous voulons maintenant, c'est un espace pour que la démocratie puisse s'exercer, un espace pour permettre aux citoyens de participer. C'est ce que nous voulons.
Ce qui se passe est attribuable au fait que les institutions gouvernementales ont changé d'une certaine façon, sauf que, dans les faits, le haut commandement de l'armée est très proche du gouvernement, malgré les gestes que certains membres de l'armée ont pu poser.
De plus, le gouvernement a tenté de se servir de certaines forces à des fins de répression. Je crois que, de façon générale, les ministres de la Défense des autres pays pourraient prêter main-forte en se procurant des renseignements. En outre, dans le cas du Canada, le ministre de la Défense pourrait dialoguer avec ses homologues vénézuéliens afin de leur faire part de ce que le conflit laisse transparaître et de leur expliquer les conséquences de ne pas trouver une issue démocratique à la crise, ce que préconise la Constitution.
[Traduction]
La sénatrice Cools : Je veux remercier notre témoin d'avoir pris le temps de nous parler ce matin et d'avoir eu la maîtrise nécessaire pour le faire. Votre exposé rend compte de façon éloquente de cette tragédie, tout comme les sentiments très profonds que vous avez à cet égard. De toute évidence, c'est une conjoncture extrêmement sérieuse, voire dangereuse.
Ma question pour vous concerne l'armée. Dans ces crises politiques, les rapports de force au sein de l'armée ont tendance à refléter les courants qui divisent la population. Ainsi, les divisions qui existent au sein des entités politiques et de la direction se reflètent habituellement au sein de l'armée.
Quelles sont les chances ou les possibilités de voir un fort contingent de l'armée refuser de faire ce que fait le reste de l'armée? Une telle possibilité est-elle envisageable?
[Interprétation]
M. Dellán : Merci beaucoup de cette question, sénatrice, et merci d'avoir pris le temps d'écouter et d'analyser.
Comme je le disais plus tôt, l'assemblée nationale est l'expression fidèle du travail concerté des politiciens vénézuéliens qui sont dans l'opposition. Le message que nous avons envoyé aux militaires est très clair. Il n'y a pas eu plusieurs messages; nous ne disons pas différentes choses. L'union démocratique dans son ensemble — l'opposition — a parlé d'une seule voix aux militaires. Il y a même une entente au sein de l'opposition face à l'armée : nous leur demandons de ne pas se faire les complices de ce gouvernement répressif. Lorsque le gouvernement viole les droits de la personne dans les rues, nous demandons aux militaires de ne pas défendre le gouvernement, ce gouvernement que d'autres pays accusent de faire des choses comme le trafic de stupéfiants et la promotion du terrorisme. Nous demandons à l'armée dans son ensemble de ne pas défendre la corruption.
Dans les forces armées vénézuéliennes, il y a cette question difficile du haut commandement qui serait contrôlé par le gouvernement; c'est un sujet très délicat. Il est important de se rappeler que nos forces armées sont très étroitement liées à Cuba, et que Cuba y joue un rôle déterminant. Des représentants cubains ont leur mot à dire dans le commandement de l'armée vénézuélienne; ils ont un grand contrôle sur ce qui s'y passe. Toutefois, certains de ces représentants communiquent avec nous. Certains éléments des forces armées communiquent avec nous en secret et ils nous font part de leurs préoccupations. L'armée vénézuélienne compte plus de 120 000 hommes et femmes. On ne parle pas que de 1 800 hauts représentants. Ils souffrent eux aussi du manque de sécurité et des manifestations qui se déroulent à Caracas. Parmi les jeunes qui ont été arrêtés, certains étaient des fils et des filles de militaires. C'est ce que l'on a appris par la suite. Ces jeunes manifestaient parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec ce qui se passait.
Je crois qu'il est important de faire tout ce qui doit être fait pour convaincre l'armée de défendre les valeurs démocratiques.
[Traduction]
La sénatrice Cools : J'aimerais bien trouver une idée qui pourrait résoudre toute cette conjoncture, mais ce n'est pas facile.
Monsieur le président, je crois assurément que nous devrions travailler en ce sens. Nous pourrions peut-être envoyer une délégation là-bas. Quoi qu'il en soit, nous devons faire quelque chose.
Le président : Nous en parlerons en cours de route.
M. Dellán, j'ai deux questions pour vous. La première concerne la possibilité d'envoyer une aide humanitaire dans votre pays. D'après ce que je comprends, la difficulté et le dilemme sont qu'au Venezuela, tout est tellement centralisé que les ONG internationales et autres qui sont là-bas sont toujours tenus de se plier aux procédés gouvernementaux. Par conséquent, la garantie que, disons, des médicaments se rendront aux hôpitaux, au personnel infirmier ou aux médecins dépend énormément de la volonté du gouvernement de permettre que cela se produise. Ai-je raison de penser cela?
[Interprétation]
M. Dellán : Vous avez tout à fait raison. C'est en fait plutôt pénible pour moi de reconnaître que vous avez raison parce que le gouvernement, soucieux de se défendre et d'opposer sa riposte intransigeante et son déni à la crise sanitaire, serait capable de bloquer cette aide humanitaire par des astuces bureaucratiques.
En communication avec les Nations Unies et avec la Croix-Rouge, le gouvernement pourrait fournir l'assurance que les organismes qui fournissent de l'aide pourront acheminer des médicaments à ceux qui en ont besoin, mais c'est quelque chose qui est difficile à garantir. Un travail doit être fait instamment auprès du gouvernement pour permettre que cela se produise.
[Traduction]
Le président : Vous nous parvenez par vidéoconférence, mais vous ne pourriez pas quitter le pays pour venir témoigner ici. Vous en avez parlé un peu au début, mais j'aimerais avoir des précisions à cet égard. Certains témoins qui sont passés ici nous ont dit qu'ils avaient l'impression que leur témoignage allait avoir des conséquences négatives pour eux au moment de rentrer au pays. Croyez-vous que le gouvernement est au courant du fait que vous témoignez devant le Sénat canadien, et croyez-vous que cela aura des conséquences fâcheuses pour vous et, à bien y penser, pour les Canadiens en général?
[Interprétation]
M. Dellán : Eh bien, sénateur, si quelque chose se produit, vous serez le premier à l'apprendre. Je vous le dirai.
Cependant, je n'ai rien dit ici que je n'ai pas répété un certain nombre de fois et que l'opposition n'a pas répété tant et plus. Je n'ai rien ajouté à ce que nous avons toujours demandé. Il est un peu difficile de croire qu'un chef politique qui réclame des élections, une participation citoyenne, le respect des droits de la personne et des médicaments pour le peuple pourrait subir des représailles ou des sanctions.
C'est particulièrement vrai dans mon cas puisque je suis le chef de la délégation vénézuélienne au parlement du Mercosur, lequel vise à permettre aux citoyens de notre partie du continent de visiter librement les autres pays du Mercosur sans avoir à se munir d'autres choses que de pièces d'identité de base. Cependant, même si je suis membre de la délégation parlementaire, je ne peux pas me rendre à Montevideo pour faire mon travail. C'est une illustration éloquente du fait que ce gouvernement est très sensible à toute forme de critique.
Permettez-moi de vous donner un exemple avec l'Organisation des États américains, l'OEA. Des litres et des litres d'encre ont été utilisés pour affirmer que l'OEA ne sert à rien, si ce n'est que de faire avancer les vues impérialistes du Nord. Eh bien, hier, ils ont nommé un représentant.
Pour ce qui est des représailles, j'espère que mon intervention ne causera pas de problème au gouvernement du Canada ou aux Canadiens en général. Nous avons un ambassadeur au Canada qui travaille très fort sur un certain nombre d'enjeux et avec lequel nous avons eu des relations fort respectueuses. Alors, nous souhaitons assurément que cela se poursuive, car la seule chose qu'il nous reste, ici, au Venezuela, c'est la solidarité de nos amis de la communauté internationale. À l'intérieur du pays, il est très difficile de trouver assez de force pour surmonter la crise. C'est pourquoi nous avons besoin de la communauté internationale.
[Traduction]
Le président : M. Dellán, au nom du comité, je vous remercie de votre témoignage. Je peux vous assurer que nous sommes solidaires du peuple vénézuélien, notamment en ce qui a trait à la situation désespérée que vivent les citoyens en matière de santé et d'alimentation, situation dont vous nous avez fourni des preuves convaincantes. Je ne peux pas croire qu'à notre époque, dans un pays avec autant de ressources que le vôtre, des enfants puissent se retrouver dans des conditions si misérables. Où que l'on soit, c'est une situation intolérable et cela ne devrait pas se produire au Venezuela. J'estime par conséquent que vous pouvez compter sur les Canadiens pour dire qu'il importe de régler cette crise de manière pacifique et qu'un retour à la démocratie serait la façon d'y arriver.
Merci de votre témoignage. Soyez assurés que nous continuerons à suivre l'évolution de la crise qui secoue votre pays.
(La séance se poursuit à huis clos.)