Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et
du commerce international
Fascicule no 27 - Témoignages du 8 juin 2017
OTTAWA, le jeudi 8 juin 2017
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 32, pour amorcer une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est autorisé à examiner tout enjeu qui pourrait survenir de temps à autre relativement aux relations en politique étrangère et au commerce international en général. Conformément à ce mandat, le comité entendra aujourd'hui le témoignage de fonctionnaires d'Affaires mondiales Canada concernant les derniers développements au Venezuela.
Nous sommes heureux d'accueillir au comité Mme Sylvia Cesaratto, directrice, Amérique du Sud; M. Andrew Shore, directeur, Direction des relations hémisphériques; et M. Sean Sunderland, directeur adjoint, Relations avec l'Amérique du Sud.
Nous sommes impatients d'entendre vos exposés. Comme vous le savez, nous avons amorcé notre étude sur le Venezuela il y a quelque temps maintenant en raison de certaines préoccupations soulevées, notamment en ce qui a trait aux citoyens et à une résolution pacifique d'une impasse politique. L'impasse politique semble entière et la situation et les souffrances des citoyens demeurent une grande source d'inquiétude.
Nous savons que l'OEA a tenu une réunion à laquelle la ministre a participé. Nous aimerions donc vous entendre sur le Venezuela et les initiatives de l'OEA, ainsi que toute autre initiative à laquelle le Canada aurait participé. Il y a deux jours, la ministre a présenté son énoncé de politique étrangère, et il serait intéressant de connaître, si possible, la place qu'occupe le Venezuela dans les initiatives de la ministre.
Nous vous souhaitons la bienvenue au comité. Vous avez la parole.
Sylvia Cesaratto, directrice, Amérique du Sud, Affaires mondiales Canada : Merci, madame la présidente. Je vais prendre la parole. Je me réjouis de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui de discuter avec le comité de la crise qui sévit au Venezuela et de la réaction du Canada.
Comme vous l'avez souligné, le Canada est très préoccupé par la situation au Venezuela. Alors que le gouvernement Maduro se montre de plus en plus autoritaire, nous sommes fermement résolus à travailler de concert avec des partenaires hémisphériques pour trouver une solution à cette crise. Le Canada s'est montré très clair sur le fait que le gouvernement vénézuélien doit rétablir l'ordre constitutionnel et respecter les droits civils et humains des Vénézuéliens. Nous reconnaissons que la seule solution viable sera celle qui sera convenue par les parties vénézuéliennes à la suite d'un dialogue.
Depuis que nous vous avons présenté ce sujet il y a un peu plus d'un an, la situation des droits civils et politiques, de la liberté d'expression et de l'accès aux produits de base, comme la nourriture et les médicaments, s'est malheureusement inlassablement détériorée. Les Vénézuéliens en souffrent. Depuis l'instauration de l'état d'urgence au printemps dernier, le gouvernement vénézuélien a accentué le harcèlement d'opposants politiques et augmenté le nombre d'arrestations de ces opposants en plus de restreindre l'accès aux médias libres et indépendants.
On compte près de 60 décès depuis le commencement de la plus récente vague de manifestations au mois d'avril. Plus de 3 000 manifestants ont été arrêtés, dont 1 300 sont toujours détenus. Des centaines de manifestants ont été jugés par des tribunaux militaires en violation de la constitution du Venezuela et de chacune des normes internationalement reconnues en matière des droits de la personne.
[Français]
À l'instar de l'insécurité et de la violence, l'accès restreint aux services et aux produits de base, y compris la nourriture et les médicaments, ne fait que s'accentuer. Selon les statistiques divulguées par le ministre vénézuélien de la Santé, environ 85 p. 100 des médicaments sont en quantité insuffisante. De nombreuses personnes admises dans les hôpitaux de l'État meurent des suites de maladies inévitables ou sont obligées de traverser la frontière pour se faire soigner dans les pays avoisinants.
Toujours selon les statistiques du gouvernement vénézuélien, le taux de mortalité infantile a augmenté de 30 p. 100 depuis l'année dernière. Plus de 90 p. 100 de la population ne dispose pas de ressources nécessaires pour acheter suffisamment de nourriture et près de 30 p. 100 des enfants risquent de souffrir de malnutrition.
L'inflation ne cesse d'augmenter, et l'économie, de reculer. Comme l'an passé à pareille date, le taux d'inflation du Venezuela est estimé être le plus élevé au monde en 2017. Selon la plus récente estimation du Fonds monétaire international, l'inflation se chiffre à 720 p. 100 et ne cesse de croître. Les réserves internationales du Venezuela sont à leur niveau le plus bas depuis 15 ans, ce qui rend difficile toute augmentation des importations d'aliments et de médicaments dans un avenir proche, alors que le prix du pétrole, qui compte pour plus de 90 p. 100 des recettes d'exportation, reste déprimé.
Cette situation a mené à une hausse spectaculaire du taux de criminalité au Venezuela, ce qui, combinée à la pénurie des produits de base, a un impact sur la circulation des gens aux frontières du Venezuela. De plus en plus de Vénézuéliens migrent vers les pays voisins, comme la Colombie et le Brésil, afin de chercher du travail et d'obtenir des soins médicaux. Alors que la situation au Venezuela s'aggrave, particulièrement à sa frontière instable avec la Colombie, la possibilité qu'il y ait des conséquences humanitaires et de l'instabilité dans la région augmente.
[Traduction]
Nous sommes en étroite communication avec divers organismes humanitaires qui soit œuvrent dans le pays ou surveillent la situation à partir de pays voisins afin de mieux comprendre les besoins des communautés vulnérables et de celles touchées par la crise. Les renseignements crédibles sur la situation humanitaire demeurent néanmoins limités et souvent politisés.
Nous avons exhorté, et continuons d'exhorter, le gouvernement vénézuélien à inviter des organismes humanitaires internationaux expérimentés, comme des institutions spécialisées des Nations Unies, dans son pays afin de procéder à des évaluations objectives des besoins de la population. Le Canada se tient prêt à soutenir l'aide humanitaire en fonction des besoins qui seront évalués par des organismes renommés, comme l'ONU et la Croix-Rouge.
Nous devons toutefois reconnaître que l'aide humanitaire n'effacera pas les conditions sous-jacentes qui ont contribué à cette crise. Le Canada, ainsi que la majeure partie de la communauté internationale, a exhorté le gouvernement vénézuélien à assumer ses responsabilités de protéger les droits civils et politiques de ses citoyens, de répondre aux besoins fondamentaux de la population et de réformer les politiques économiques sous-jacentes, comme le contrôle des prix et les expropriations, qui ont contribué à ces pénuries.
Malheureusement, le gouvernement vénézuélien n'a pas toujours respecté la Constitution du Venezuela et les récents événements risquent d'engager le pays sur la voie de la dictature.
Les exemples suivants viennent également appuyer cette allégation : la suspension du processus de révocation présidentiel l'automne dernier et le report des élections régionales; la décision de la Cour suprême au mois de mars d'écarter les pouvoirs législatifs de l'Assemblée nationale; et la décision controversée de former une assemblée constituante pour réécrire la constitution du pays sans d'abord solliciter l'approbation de l'Assemblée nationale ou élire les membres de celle-ci.
Cette situation a entraîné, depuis trois mois, des manifestations presque quotidiennes dans les rues qui se sont soldées par de la violence et des détentions arbitraires. Ce cycle de violence ne fait que s'aggraver au lieu de s'améliorer. Nous exhortons le gouvernement du Venezuela et ses forces de sécurité à faire preuve de retenue, à mener des enquêtes sur les responsables de la violence lors des manifestations, à désarmer complètement les groupes civils et paramilitaires et à accepter de se plier à un processus de médiation à l'extérieur du pays.
Le Canada continue de s'impliquer grandement dans ce dossier, alors que la ministre des Affaires étrangères et le premier ministre ont tous les deux fait des déclarations publiques vigoureuses exhortant le gouvernement vénézuélien à rétablir l'ordre constitutionnel et à respecter les droits démocratiques des Vénézuéliens, à libérer tous les prisonniers politiques, à établir immédiatement un calendrier électoral et à mobiliser la communauté internationale, particulièrement les Nations Unies, afin de résoudre les problèmes de pénuries d'aliments et de médicaments.
Nous avons également travaillé en étroite collaboration avec le secrétaire général de l'Organisation des États américains, l'OEA, et des partenaires aux vues similaires de la région afin d'exercer ensemble de la pression sur le Venezuela. Comme l'a souligné la présidente, la ministre Freeland a récemment participé à une réunion ministérielle de l'OEA, le 31 mai, à Washington. Elle a expliqué clairement dans son allocution que les membres de l'OEA devaient faire front commun pour rétablir la démocratie constitutionnelle au Venezuela et a souligné que l'intention du Venezuela de se retirer de l'OEA ne le soustrayait pas de ses responsabilités de garantir le respect des droits démocratiques et humains de sa population.
Comme la ministre Freeland l'a affirmé dans son intervention :
[...] des progrès considérables ne peuvent être raisonnablement considérés en l'absence de tout processus crédible de dialogue ou de médiation. Lorsque des leaders politiques sont emprisonnés et qu'on interdit à ces derniers de se présenter aux élections, toute perspective de progrès est écartée au-delà de tout entendement.
La ministre soulèvera de nouveau la question lorsqu'elle participera à l'Assemblée générale de l'OEA qui aura lieu du 19 au 21 juin, à Cancún, une réunion qui se soldera, nous l'espérons, par l'adoption d'une approche régionale solide et unifiée à l'égard du Venezuela. Il importe que les démocraties de cet hémisphère aient le même discours sur cette question.
Enfin, je m'en voudrais de passer sous silence le travail important qu'accomplit actuellement notre ambassade à Caracas pour offrir de l'aide ciblée aux ONG locales du Venezuela dans des domaines comme les droits de la personne, la santé et la bonne gouvernance, notamment en décernant un prix annuel des droits de la personne commandité par l'ambassade. Certains d'entre vous ont peut-être eu l'occasion de rencontrer quelques-uns des récents gagnants.
Le Canada est préoccupé par les questions des droits de la personne et de la démocratie au Venezuela, non pas comme une fin en soi, mais parce que le respect de ces questions contribue à la stabilité et à la prospérité économique du pays et de l'ensemble de la région. À ce stade critique, nous devons soutenir la population du Venezuela qui cherche à rétablir ses droits civils et politiques fondamentaux. Merci, madame la présidente.
La présidente : Merci beaucoup. Y a-t-il un autre exposé ou pouvons-nous passer aux questions des membres?
Mme Cesaratto : C'est notre seul exposé. Nous souhaitons laisser du temps pour les questions des membres.
La sénatrice Ataullahjan : Merci pour cet exposé.
Lors de la réunion de l'OEA la semaine dernière, les membres n'ont pas réussi à s'entendre sur la façon de résoudre la crise démocratique qui s'aggrave au Venezuela. Certains membres ont même soutenu que les pays étrangers n'ont aucun droit d'intervenir dans les affaires domestiques du Venezuela.
Toujours lors de cette réunion, deux ébauches de résolutions ont été présentées demandant une réduction de la violence. Toutefois, aucune n'a récolté suffisamment d'appui. Selon ce que j'ai appris, poursuivre le dialogue et convenir de se réunir à nouveau dans quelques semaines sont les deux seules choses sur lesquelles les membres se sont entendus.
Puisque certains pays maintiennent que les pays étrangers n'ont aucun droit d'intervenir dans les affaires domestiques du Venezuela, quelles sont les attentes par rapport à la prochaine réunion prévue pour le 19 juin?
Mme Cesaratto : Merci pour cette question. Je vais laisser mon collègue vous expliquer ce qui est ressorti de la réunion des ministres des Affaires étrangères et ce que nous souhaitons accomplir au cours des semaines qui précéderont l'assemblée générale. Mais, j'aimerais d'abord souligner que le Canada joue un rôle de leader au sein de l'OEA pour tenter de convaincre les partenaires aux vues similaires et les pays du reste de l'hémisphère d'unir leurs voix. Cela signifie beaucoup de négociations entourant le texte d'une déclaration acceptable pour la majorité des pays membres. Le travail se poursuit à ce chapitre. Andrew pourra peut-être vous fournir plus de détails à ce sujet.
Andrew Shore, directeur, Direction des relations hémisphériques, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup pour cette question. À mon avis, le simple fait que cette réunion ait eu lieu témoigne de la capacité des intervenants à travailler malgré le haut niveau de dissension. Plusieurs se sont opposés à la réunion des ministres des Affaires étrangères avant l'assemblée générale. Donc, nous n'avons pas été surpris de la difficulté que nous avons eue à obtenir le consensus que nous souhaitions.
Dans votre question, vous soulignez les critiques selon lesquelles nous n'avons pas le droit d'intervenir dans les affaires domestiques du Venezuela, et c'est certainement ce que plusieurs pays nous ont dit. Évidemment, nous ne partageons pas cet avis. De plus, ce n'est pas une question d'affaires domestiques. Les membres de l'OEA ont adopté à l'unanimité la Charte démocratique interaméricaine. Il se trouve que la première fois qu'elle a été invoquée, c'était contre le Venezuela, à une autre époque.
Tous les membres de l'OEA ont des obligations à respecter en matière d'ordre constitutionnel, de division des pouvoirs, de respect des droits de la personne et de la démocratie, notamment. Ce ne sont pas des questions d'affaires domestiques.
La Charte démocratique interaméricaine pose un défi, car parfois, dès qu'ils la consultent, les gens vont directement à la fin du document où l'on précise qu'un pays membre peut être suspendu de l'OEA, mais, souvent, on oublie qu'il y a des façons très positives pour les pays membres de venir en aide à un pays aux prises avec certains problèmes. Je citerais Haïti en exemple. Au cours des dernières années, les autorités haïtiennes ont approché l'OEA et invoqué la Charte démocratique interaméricaine pour demander de l'aide afin de surmonter certains défis avec lesquels elles devaient composer, y compris les élections présidentielles. Cela n'a pas été mal vu par les membres de l'OEA. Toutes sortes d'idées ont été proposées pour les aider. Un envoyé spécial s'est même rendu en Haïti.
Lorsque nous parlons aux représentants du Venezuela et à nos partenaires au sujet de ce pays, ou lorsque nous parlons tout simplement du Venezuela, nous tentons toujours de trouver une façon constructive d'encourager le dialogue avec le pays pour que les autorités locales puissent trouver leurs propres solutions à leurs problèmes.
Oui, le gouvernement vénézuélien actuel accuse les pays membres de vouloir suspendre le Venezuela de l'OEA. Le pays a annoncé son intention de quitter l'OEA, une décision qui ne serait effective qu'après un délai de deux ans. Toutefois, concernant notre difficulté à obtenir un consensus, nous continuerons de travailler jusqu'à l'assemblée générale pour y arriver.
D'ailleurs, trois déclarations ont été étudiées lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères, car les pays membres de la CARICOM avaient préparé une déclaration des dirigeants au sujet du Venezuela et certains y tenaient mordicus.
Nous sommes très désireux d'entendre les idées des pays qui n'ont pas nécessairement la même approche que nous. Nous croyons qu'il est nécessaire d'obtenir un consensus aussi solide que possible, mais il faut aussi s'attaquer à la question de fond de façon à ce qu'il y ait un impact concret et permettre à l'OEA, en tant qu'organisation, de défendre les principes et valeurs que tous les membres se sont engagés à respecter.
La réunion des ministres des Affaires étrangères était un pas dans cette direction et les pays continuent à modifier leur position. On ignore ce qui sera accompli d'ici l'assemblée générale prévue pour le 19 juin, mais il se passe beaucoup de choses à Washington et les ministres communiquent beaucoup afin de faire progresser l'état des choses.
La sénatrice Ataullahjan : Vous dites que des efforts sont déployés pour inciter le gouvernement du Venezuela à nouer le dialogue. Quel est le sentiment qui règne, en ce moment? Le gouvernement vénézuélien est-il prêt à nouer le dialogue? Est-il prêt à admettre que quelque chose ne va pas dans son pays?
Mme Cesaratto : Merci pour cette question. Comme je l'ai souligné dans mon exposé, nous croyons qu'il existe des solutions au Venezuela. Mais pour les trouver, les deux parties, le gouvernement du Venezuela et le parti de l'opposition, doivent nouer le dialogue.
Le Canada et des partenaires aux vues similaires ont tenté de soutenir ce processus. Comme l'a souligné Andrew, il existe des mécanismes dans la Charte démocratique interaméricaine qui permettent ce genre de choses, mais aussi des mécanismes pour maintenir la pression sur les deux partis pour les encourager à tenir un dialogue constructif. J'ignore si cela répond à votre question, mais, pour le moment, ni le gouvernement ni l'opposition ne s'est montré ouvert au dialogue.
L'automne dernier, quelques séances de dialogues ont été organisées, une par l'UNASUR et une autre à laquelle le Vatican a participé. Malheureusement, aucun progrès n'a été enregistré.
M. Shore : Ce n'est pas un point technique, mais il est intéressant de constater qu'après avoir dit qu'il allait se retirer de l'OEA et qu'il ne participerait à aucune réunion d'ici l'expiration du délai de deux ans lié au retrait de l'OEA, le gouvernement vénézuélien a annoncé que le ministre des Affaires étrangères du pays participerait à la prochaine assemblée générale. Cela veut dire qu'il sera sur place pour participer au dialogue, qu'il n'en sera pas exclu, peu importe ce que cela signifie.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie de votre présentation que j'ai trouvé non seulement intéressante, mais rassurante, car on voit que le gouvernement agit sur plusieurs plans. L'enjeu multilatéral, comme vous le faites valoir, est très important, notamment par l'intermédiaire de l'Organisation des États américains. L'enjeu bilatéral est aussi important, et j'ai deux questions à ce sujet. Doit-on comprendre que les relations bilatérales et la communication dans les faits sont rompues entre le Canada et le gouvernement du Venezuela?
Mme Cesaratto : Avez-vous une deuxième question?
La sénatrice Saint-Germain : Elle concerne l'aide humanitaire. Vous avez dit que l'aide humanitaire transite par l'intermédiaire de l'Organisation des Nations Unies et de la Croix-Rouge canadienne. Il est rassurant de savoir que cette aide se rend directement. Pouvez-vous nous donner un aperçu des plans qui seront mis en oeuvre en matière d'aide humanitaire au cours des prochains mois, compte tenu du contexte que vous avez décrit?
Mme Cesaratto : Merci beaucoup. Je vais demander à mes collègues d'apporter des précisions, au besoin.
En ce qui concerne votre première question sur les relations bilatérales, j'espère que je ne vous ai pas induite en erreur. Non, les relations bilatérales ne sont pas rompues. Nous maintenons toujours des relations bilatérales avec le Venezuela. L'ambassadeur, ici au Canada, travaille de concert avec l'ambassadeur au Venezuela. Je pourrais catégoriser nos communications avec le gouvernement. Nous établissons des communications actives et ouvertes avec les hauts fonctionnaires des deux gouvernements. Nous communiquons régulièrement avec l'ambassadeur du Venezuela au Canada. Par l'entremise de notre ambassadeur au Venezuela, avec les techniciens ou les bureaucrates du gouvernement vénézuélien, nous leur faisons part de nos préoccupations et de nos désirs pour arriver à une solution convenable.
Sur le plan politique, la ministre Freeland et le premier ministre ont fait plusieurs annonces. J'ai en main un sommaire de ces annonces. Jusqu'à présent, il y a eu trois déclarations ministérielles concernant nos préoccupations sur la situation au Venezuela. Nous sommes très actifs au chapitre de la communication au moyen des réseaux sociaux, tant au bureau de la ministre qu'avec l'ambassade au Venezuela. Évidemment, comme l'a souligné mon collègue, nous sommes appuyés par l'Organisation des États américains. Le Canada a fait environ sept déclarations et a joué un rôle clé pour obtenir le consensus d'un certain nombre de membres de l'organisation. Nous tentons toujours de profiter des occasions qui se présentent pour mettre en lumière les points clés, comme je l'ai indiqué dans mon discours.
La sénatrice Saint-Germain : Et sur le plan de l'aide humanitaire?
Mme Cesaratto : Voilà. En matière d'aide humanitaire, nous travaillons toujours par l'intermédiaire des organisations internationales avec lesquelles nous entamons des pourparlers. Nous serons prêts à agir dès qu'une demande officielle sera émise par le gouvernement du Venezuela.
[Traduction]
Sean Sunderland, directeur adjoint, Relations avec l'Amérique du Sud, Affaires mondiales Canada : Le problème que nous avons en matière d'aide humanitaire au Venezuela en est un d'accès. Pour des raisons évidentes, le Canada ne fournit aucune aide humanitaire entre gouvernements. Il travaille par l'entremise d'organisations internationales crédibles et réputées, comme les organismes spécialisés des Nations Unies ou la Croix-Rouge.
Pour l'essentiel, ces organismes, bien qu'ils se soient dits prêts à aller au Venezuela et à effectuer les évaluations des besoins nécessaires pour déterminer comment intervenir et quel type d'aide humanitaire est requis, doivent obtenir l'accord du gouvernement vénézuélien, ce qui, jusqu'à maintenant, ne s'est pas concrétisé.
Nous sommes en contact avec des intervenants humanitaires dans la région. Bon nombre d'entre eux se trouvent juste de l'autre côté de la frontière, en Colombie, et ils pourraient donc intervenir facilement, mais il faut le consentement du gouvernement vénézuélien.
À l'heure actuelle, au Venezuela, la situation est telle que ces intervenants ne peuvent pas agir là-bas et effectuer l'évaluation des besoins qui nous permettrait de prendre des décisions.
Toutefois, nous avons le Fonds canadien d'initiatives locales, qui est une petite source d'aide financière dont l'ambassade du Canada à Caracas est directement responsable, et nous avons été en mesure d'utiliser ces fonds plutôt limités et ciblés pour appuyer les droits de la personne et les ONG au Venezuela qui axent leurs efforts sur les droits de la personne et la démocratisation. Nous commençons à étudier la possibilité de renforcer les capacités des ONG qui concentrent leur attention sur la crise sanitaire au Venezuela également dans le cadre du fonds canadien que l'ambassade gère.
C'est un travail difficile pour ces organismes également parce que c'est un environnement très politisé.
La sénatrice Eaton : Je ne veux pas être impolie ou maladroite, mais je trouve votre témoignage plutôt troublant. Au cours des deux ou trois dernières séances, des Vénézuéliens, du Venezuela et du Canada, nous ont parlé de la crise que les Vénézuéliens sont en train de vivre. Un parlementaire m'a dit qu'ils craignaient vraiment pour leur vie, que parfois, ils ne mangent pas plus qu'un repas par jour.
De grandes rencontres réunissant tous ces merveilleux ministres des Affaires étrangères ont lieu. Notre ministre a dit ceci :
On ne peut absolument pas s'attendre à voir de réels progrès sans processus crédible de dialogue ou de médiation. Lorsque des principaux dirigeants politiques sont emprisonnés et qu'on leur interdit de se porter candidats, les chances de voir de réels progrès deviennent hors de portée.
Je sais que nous ne voulons pas que des violences ou une guerre éclatent, mais avons-nous pensé à des stratégies indirectes, comme celle consistant à fournir à M. Maduro et aux dirigeants militaires une porte de sortie vers, peut-être, un autre pays sud-américain sans que des poursuites pour crimes de guerre ne soient intentées contre eux? Travaillons- nous à trouver des solutions? Prenons-nous des mesures un peu plus ingénieuses que de simplement discuter dans le cadre de rencontres?
Nous voyons la situation en Syrie et ce qui s'est passé dans ce pays, ainsi que dans des pays africains, tout simplement parce que nous jouons un rôle de médiateurs en restant polis et en nous conformant à la rectitude politique. Nous ne voulons pas de guerre. Nous ne voulons pas qu'une guerre et que des violences éclatent, mais il nous faut peut-être opter pour d'autres types de stratégies.
Concernant l'aide humanitaire, hier, nous avons interrogé à ce sujet le professeur vénézuélien qui a comparu, et il a dit que ce que les Mexicains ont fait pour arriver à fournir de l'aide humanitaire, c'est que lorsque le gouvernement vénézuélien a rejeté leur offre, ils ont dit simplement que le gouvernement mexicain était solidaire du peuple et ils ont demandé au Venezuela s'il accepterait que de l'aide soit fournie si c'était fait par solidarité avec les gens. Ils ont pu fournir de l'aide au Venezuela.
Ne serait-il pas déplorable que le Canada ne puisse pas faire preuve d'autant d'imagination que le Mexique et trouver des moyens d'agir? Je sais que vous êtes des diplomates et que vous devez agir sagement et suivre les consignes données; or, en attendant, il nous est difficile d'entendre des Vénézuéliens qui vivent au Venezuela et d'autres qui vivent au Canada, nous expliquer à quel point la situation est désastreuse, et tous les trois, vous nous dites que vous participerez à une autre réunion et que vous continuez de discuter et que les Nations Unies sont formidables.
J'imagine que vous ne pouvez évidemment pas nous le dire, mais envisagez-vous d'exercer davantage de pressions économiques? Est-ce que les États-Unis exercent plus de pressions économiques et utilisent d'autres stratégies, comme une stratégie pour faire sortir M. Maduro et ses militaires du pays et les envoyer dans un pays tiers? On nous a dit hier que la Bolivie accepterait peut-être.
Mme Cesaratto : Madame la présidente, certes, la situation au Venezuela est très troublante et préoccupante, et nous prenons au sérieux ce qui se passe là-bas. Cependant, concernant de possibles discussions sur une stratégie de sortie pour le président et d'autres principaux membres du parti au pouvoir, je ne peux vraiment pas émettre des hypothèses sur les discussions à huis clos ou sur la préparation d'une transition, le cas échéant.
Ce que je peux vous dire, c'est que le gouvernement du Canada s'engage résolument à maintenir la pression sur le gouvernement du Venezuela, à se faire entendre et à défendre ardemment la démocratie et les droits de la personne. Je peux dire également que notre ministre collabore beaucoup avec des pays aux vues similaires dans la région pour maintenir ces pressions, tant dans un cadre bilatéral et que dans le cadre de l'OEA, et tant avec le secrétaire général de l'OEA qu'avec les États membres de l'organisation.
La sénatrice Eaton : Je suis certaine que vous m'auriez donné la même réponse si je vous avais posé des questions sur la Syrie. Merci. C'est très aimable. Je ne voulais pas vous mettre sur la sellette.
Mme Cesaratto : C'est bien.
Le sénateur Woo : Je vous remercie de vos exposés. Je suis très heureux d'apprendre que nous utilisons tous nos moyens diplomatiques, que nous collaborons avec des pays aux vues similaires, pour essayer d'amener des changements au Venezuela, et en particulier que nous soyons présents sur le terrain, à Caracas, pour accomplir une partie de cette tâche.
Je veux vous poser une question sur le fonctionnement de l'ambassade et sur les membres du personnel à Caracas et dans l'ensemble du Venezuela. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure ils sont capables de faire leur travail, de rencontrer des groupes de la société civile, des chefs de l'opposition, la société civile dans son ensemble? Dans quelle mesure sont-ils sont capables d'avoir des candidats pour le prix des droits de la personne, qui est une excellente idée, et de communiquer des renseignements exacts, à votre bureau principal, et à nous, qui émettons des hypothèses à cette table? Je félicite vraiment les gens qui travaillent sur le terrain, mais dans quelle mesure est-ce difficile pour eux?
Mme Cesaratto : Je vous remercie de la question. Il est certain que nos collègues à Caracas ne travaillent pas dans un environnement normal. C'est particulièrement vrai depuis les trois derniers mois, compte tenu des manifestations quotidiennes, qui ont souvent lieu dans le secteur où se trouve notre ambassade, donc dans l'une des principales places ou l'une des principales voies publiques dans le centre de la ville. Pendant ces jours-là, en particulier, ils doivent être particulièrement conscients des risques pour leur santé et leur bien-être et des mêmes risques non seulement pour les Canadiens qui travaillent à l'ambassade, mais bien entendu, du personnel recruté sur place. Ces jours-là, lorsque de grandes manifestations sont prévues, on doit réduire, disons, le nombre de personnes qui se rendent sur les lieux de travail ou peut-être envoyer les gens travailler à un autre endroit pour qu'ils ne se retrouvent pas dans une situation dont nous avons été témoins, une situation qui se détériore et qui parfois se transforme en altercations violentes.
Malgré tout, ils continuent courageusement de faire leur travail et de communiquer avec des représentants du gouvernement, des membres du parti de l'opposition, la société civile, et ils travaillent très fort — dans le cadre de nos programmes, comme on l'a mentionné, et en collaboration avec des ambassades de pays aux vues similaires sur le terrain également — pour coordonner les efforts.
Notre ambassade est très active aussi dans les médias sociaux, en particulier sur Twitter et Facebook, où nous avons... Je ne connais pas le nombre de personnes qui nous suivent, mais il y en a beaucoup. Bien entendu, grâce à la retransmission des gazouillis, nous joignons un large public dans la société civile au Venezuela.
Une partie de nos messages, y compris une partie des déclarations émises par notre ministre, sont devenus viraux, si j'ose dire, et il est donc certain que la position ferme du Canada quant au respect des droits de la personne et à la démocratie et à la nécessité que le gouvernement vénézuélien respecte sa propre constitution attire l'attention. Nous travaillons énormément, malgré l'environnement de travail difficile.
Le sénateur Woo : Il n'y a pas d'obstacle à l'accès ou relativement pas d'obstacle à l'accès?
Mme Cesaratto : Je dirais que jusqu'à un certain point, ils ont un bon accès. Il y a eu beaucoup de changements au ministère des Affaires étrangères.
Le sénateur Woo : Excusez-moi, je parle davantage des efforts non gouvernementaux : société civile, chefs de l'opposition, syndicats, universitaires.
Mme Cesaratto : À ma connaissance, c'est le cas. Le prix des droits de la personne — qui en est maintenant à sa septième ou huitième édition, comme on l'a mentionné, est l'un des piliers dans ce que nous essayons de faire au chapitre de la démocratie et des droits de la personne au Venezuela — n'est certainement pas passé inaperçu au gouvernement du Venezuela. Nous savons bien que c'est un prix qui met en évidence ce qu'accomplissent ses propres citoyens dans la défense de leurs droits. Cela ne passe donc pas inaperçu, mais cela ne les empêche pas de faire ce travail.
M. Shore : Je veux seulement dire quelque chose au sujet des efforts bilatéraux et multilatéraux. Je veux signaler que nous nous assurons que nous agissons d'une façon très intégrée parce que, bien entendu, certaines des déclarations que nous pourrions faire à l'OEA peuvent avoir un effet néfaste sur la capacité d'agir de notre ambassade, par exemple, ou elles peuvent avoir un effet positif. Nous nous assurons donc que nous profitons de chaque occasion qui se présente, mais nous le faisons d'une façon calibrée et, disons, nuancée, de sorte qu'il n'y ait pas de conséquences involontaires, ce qui pourrait arriver si le gouvernement se vexe.
Ils surveillent ce que nous disons. Cela m'a frappé. Je me rappelle qu'à l'assemblée générale, l'an dernier, pendant que notre chef de délégation faisait une déclaration, j'ai jeté un coup d'œil au siège du Venezuela, et il était vide. Je me suis dit que c'était dommage, car nous allions dire quelque chose de façon assez franche au sujet du Venezuela.
J'ai vu la ministre des Affaires étrangères vénézuélienne se précipiter vers son siège. Elle regardait notre chef de délégation et prenait des notes soigneusement. C'est bien, mais cela signifie également que nous devons nous assurer qu'il n'y a pas d'effets qui pourraient être nuisibles ailleurs.
Le sénateur Marwah : Je vous remercie de vos observations. On nous a dit, hier, que certains pays des Caraïbes qui achètent du pétrole vénézuélien — et, étonnamment, même du pétrole de compagnies américaines — sont réfractaires à toute mesure vigoureuse. Voudriez-vous nous donner votre point de vue à ce sujet? Est-il possible de renverser les choses à cet égard et d'exercer des pressions pour qu'ils agissent dans l'intérêt de la région plutôt que dans leur propre intérêt?
Mme Cesaratto : Je vous remercie de la question. Nous étions en train de discuter de la meilleure façon de répondre à votre question, qui est très pertinente.
Bien entendu, vous parlez de la diplomatie vénézuélienne dans l'alliance Petrocaribe qui se poursuit. Le Venezuela continue de fournir du pétrole à des taux subventionnés à un certain nombre de pays des Caraïbes, bien que le montant de la subvention et la quantité de pétrole ont diminué en raison de la réduction de la production de pétrole au Venezuela.
J'imagine que le Venezuela continue d'exercer une influence sur les pays qui achètent ce pétrole subventionné. J'ai une liste des pays en question, mais je laisserais peut-être mon collègue vous expliquer de quelle façon Petrocaribe a une influence sur l'unité hémisphérique à l'OEA concernant le Venezuela, ou peut-être vaudrait-il mieux parler d'un manque d'unité.
M. Shore : Pour revenir à ce que je disais un peu plus tôt sur la mesure dans laquelle chaque État membre de l'OEA a accepté librement de soutenir la Charte démocratique interaméricaine et tout ce qui l'accompagne, il est clair également que les gens ont différents points de vue géostratégiques sur la situation, et l'aspect économique est très important à cet égard.
Il y a assurément des États de l'Amérique centrale et des Antilles qui ont des liens économiques très étroits avec le Venezuela. Certains sont sur la même longueur d'onde que le Venezuela sur le plan idéologique. Certains risquent de subir beaucoup de pressions quant à la situation du pétrole, c'est-à-dire qu'ils dépendent vraiment du maintien de cet arrangement sur le pétrole, et nous croyons comprendre que le Venezuela ne se gêne pas pour insister là-dessus.
Donc, encore une fois, nous tenons compte du fait que les membres de l'OEA sont soumis à différentes considérations quant à la façon dont ils veulent influencer la situation et gérer les répercussions possibles sur leur situation. Une grande partie des discussions qui ont lieu à l'heure actuelle portent sur la façon de gérer une crise qui continue de se détériorer, même dans une situation où le Venezuela continuera, de toute évidence, à utiliser n'importe quel levier dont il dispose. Or, la question économique fait assurément partie de cela.
Le sénateur Marwah : Pourriez-vous parler des compagnies pétrolières américaines? Je trouve fascinant qu'elles continuent à faire du commerce tout à fait librement, pour ainsi dire, alors que le gouvernement américain s'insurge publiquement contre le gouvernement vénézuélien. C'est comme si l'on parlait de deux choses différentes.
M. Sunderland : Sénateur, je peux en parler. Évidemment, cela dépend de la compagnie. Au Venezuela, la plupart des actifs d'ExxonMobil ont été expropriés durant l'ère Chávez. L'ancien PDG est maintenant secrétaire d'État aux États-Unis. Le Venezuela produit du brut lourd. Une partie importante de ce brut — je ne sais pas si l'on parle encore de la plus grande partie — est exportée vers des raffineries situées le long de la côte américaine du golfe du Mexique. Elles sont précisément conçues pour transformer ce type de brut lourd, ce qui constitue une autre raison pour laquelle, par exemple, le Canada exporte aussi du brut lourd vers la côte du golfe, parce que nous produisons un type de brut lourd similaire. Il y a donc manifestement des intérêts économiques en jeu des deux côtés.
Je ne peux émettre d'hypothèses sur ce qui motive chaque compagnie, ou le gouvernement américain, mais c'est entre autres pour cette raison que les États-Unis et le Venezuela ont encore des relations commerciales dans le secteur pétrolier.
Le sénateur Oh : Je vous remercie de votre exposé. Nous avons entendu des témoignages à ce sujet ces dernières semaines, et pour une raison ou pour une autre, il y a beaucoup de discussions, même aux Nations Unies, mais il ne se passe rien de concret au Venezuela. Même concernant le problème de l'aide humanitaire, il y a des recours. La ministre Freeland, peu importe ce qu'elle fait, reçoit des conseils de vous tous. Vous la conseillez au sujet de la situation. Est-ce que des mesures concrètes seront prises bientôt puisque le Canada jouera dorénavant un rôle important sur la scène internationale? Pouvez-vous faire des observations à ce sujet?
Mme Cesaratto : Oui. Je vous remercie de la question, sénateur.
L'un des principaux piliers de notre engagement dans la question vénézuélienne, c'est la tribune multilatérale qu'offre l'OEA, comme je crois l'avoir expliqué. Nous examinons les possibilités d'action qui pourraient s'appliquer dans un cadre bilatéral. Il y a une série de possibilités, y compris fournir davantage de soutien à notre ambassade sur le terrain pour pouvoir en faire davantage avec la société civile, par exemple. Il y a donc un examen des options que nous pouvons proposer qui est en cours en ce moment, au sujet duquel on ne me permet pas de donner beaucoup de renseignements.
M. Shore : L'un des arguments que je n'ai pas fait valoir plus tôt à propos du rôle de l'OEA concerne le fait qu'il vaudrait peut-être la peine de reconnaître la valeur du secrétaire général de l'OEA. Certains d'entre vous ont peut-être eu la chance de le rencontrer soit à Washington, soit quand il est venu ici en décembre dernier. Il a vraiment marqué cet emploi de son empreinte. Il occupe ce poste depuis quelques années maintenant, et il est très différent des secrétaires généraux précédents. C'est un ancien ministre des Affaires étrangères de l'Uruguay et, dès le premier jour, il a essentiellement déclaré qu'il allait tâcher de remettre l'OEA sur la carte au chapitre de la démocratie et des droits de la personne. Il s'est exprimé haut et fort à ce sujet, à tel point que certains membres de l'OEA, dont le Venezuela, désirent vraiment qu'on lui retire son poste. Ces membres considèrent aussi que le Venezuela fait l'objet de critiques injustes.
Il est intéressant de noter que le secrétaire général a rendu publiques quelques évaluations très détaillées de la situation — humanitaire, politique, et cetera — au Venezuela. L'une d'elles comptait plus de 100 pages, je crois. Certains pays ont eu beau critiquer vertement sa façon de procéder et son franc-parler, en plus de l'accuser d'être sélectif, je ne me souviens pas avoir entendu l'un ou l'autre de ses critiques — sauf peut-être le Venezuela — discréditer son évaluation de la situation. Ses rapports étaient très détaillés et ses sources très fiables.
Il a contribué à faire avancer l'organisation dans une direction qu'elle aurait peut-être encore plus hésité à prendre, il y a quelques années. Cela ne veut pas dire que la situation progresse aussi rapidement que certains aimeraient qu'elle le fasse, compte tenu de la détérioration de la situation observée sur le terrain, au Venezuela. Toutefois, le consensus régional n'a pas encore atteint le niveau que le Canada aimerait qu'il ait, et c'est la raison pour laquelle nous ne cessons de dire qu'avec un peu de chance, l'affaire sera dans le sac dans les prochaines semaines.
Nous avions, par exemple, pour but de proposer une mission dans le cadre de laquelle les ministres des Affaires étrangères, à la suite de leur réunion, chercheraient à obtenir une invitation du gouvernement vénézuélien à se rendre au Venezuela pour rencontrer ses dirigeants et entendre leur point de vue sur les enjeux, mais aussi pour rencontrer les autres acteurs de la société civile, et ainsi de suite. Cette mission n'a pas découlé de la réunion des ministres des Affaires étrangères. Cela ne veut pas dire que la mission ne bénéficiera pas d'un soutien accru lors de l'assemblée générale. Nous verrions alors si le gouvernement du Venezuela souhaite entamer ce genre de dialogue. Jusqu'à maintenant, ses dirigeants ont indiqué clairement qu'ils ne désiraient pas vraiment prendre part à un processus sur lequel ils n'exercent aucun contrôle. Cependant, la situation s'aggrave, et leur position évoluera peut-être.
Le sénateur Gold : Premièrement, je vous remercie de votre présence, et je vous prierais de remercier vos collègues du travail qu'ils accomplissent ici et sur le terrain. La situation est difficile, et il y a de nombreux héros méconnus dans cette histoire, certes du côté vénézuélien, mais aussi ici et à notre ambassade. Je vous en remercie donc.
Vous avez parlé des efforts multilatéraux et, dans une certaine mesure, bilatéraux que le Canada déploie grâce à sa bonne volonté et à son influence un peu limitée. Dans quelle mesure, dans la présente situation, la question du Venezuela est-elle abordée au cours de nos discussions bilatérales avec la Chine, par exemple, qui, comme nous l'avons entendu dire, joue un rôle important à cet égard; ou avec les États-Unis, bien entendu; ou avec Cuba, un pays avec lequel le Canada a une relation historique et économique; ou avec tout autre État? Le Venezuela fait-il partie de nos priorités lorsque nous entamons des discussions bilatérales avec ces acteurs?
Mme Cesaratto : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je peux confirmer que, oui, le Venezuela fait partie de nos points de discussion, en particulier avec nos partenaires hémisphériques, et, je le répète, pas seulement dans le contexte de l'OEA, mais aussi à l'échelle bilatérale. Lorsque nos ministres — non seulement la ministre Freeland, mais aussi le ministre du Commerce international et la ministre du Développement international — rencontrent leurs homologues de la région, nous nous efforçons de discuter du Venezuela afin d'échanger nos points de vue et nos idées sur la façon de faire avancer les choses dans ce dossier.
Nous mettons également le Venezuela à l'ordre du jour lorsque nous menons des consultations bilatérales à l'échelon des représentants officiels, ce que nous faisons avec la plupart des pays de la région. Nous dialoguons au sujet du Venezuela surtout avec des pays de l'hémisphère Sud qui ont des vues semblables aux nôtres, parce que nous croyons qu'il est important que la région ait le vent dans les voiles à cet égard et que les partenaires hémisphériques se joignent au Canada et aux États-Unis, ce qui leur évite de rester en retrait.
En fait, le Venezuela a permis au pays de l'hémisphère de faire preuve d'unité en affichant leur position par rapport à la situation au Venezuela. C'est un phénomène que nous n'avons peut-être pas observé dans d'autres dossiers.
M. Shore : Même si aucun de nous n'est nécessairement un expert en ce qui concerne le Conseil de sécurité, j'aimerais simplement mentionner que les Américains ont soulevé récemment la question de la situation au Venezuela devant les membres du Conseil de sécurité. Je pense que leur position était qu'ils tentaient d'éviter qu'une crise s'aggrave, et je crois que c'est un sujet dont les gens parlent fréquemment lorsqu'il est question de la réforme de l'ONU.
Si je me souviens bien de la situation, la Chine et la Russie, bien sûr, n'appuyaient aucune idée en ce sens, et je ne fais que reconnaître en quelque sorte publiquement la position de ces gouvernements, du moins par rapport à un engagement du Conseil de sécurité.
Je tente de me souvenir. Des pays peuvent avoir un statut d'observateur au sein de l'OEA. Je ne me souviens pas si... Bien entendu, comme vous le savez, la Chine participe aux Amériques de diverses façons intéressantes. Le Venezuela en est un exemple, mais j'essaie de me souvenir si les Chinois ont cherché à obtenir le statut d'observateurs. Malheureusement, je crains de ne pas le savoir par cœur.
Mme Cesaratto : En ce qui concerne la question de Cuba, je peux vous dire qu'il y a quelques jours seulement, le gouvernement cubain a publié une déclaration qui appuie sans équivoque le gouvernement du Venezuela. À mon avis, cela n'a rien de très étonnant. Il sera intéressant de voir le rôle que les Cubains pourront jouer en tant que médiateurs à la recherche d'une solution pour les prochaines étapes. Pour le moment, ils soutiennent fermement le gouvernement.
Le sénateur Gold : Compte tenu de vos observations, je ne peux que supposer que l'influence que nous avons ou non, quelle qu'elle soit... et il faut que nous soyons réalistes en ce qui concerne l'influence que nous pouvons exercer sur la Chine relativement au Venezuela. En ce qui a trait à Cuba, soit nous n'avons pas exercé ou tenté d'exercer notre influence, soit notre influence a été inefficace. Je ne sais pas trop si le Canada tente d'influencer Cuba à cet égard, même si cela pourrait être futile, pour des raisons idéologiques ou autres.
Mme Cesaratto : Comme je l'ai indiqué, c'est un sujet qui fait partie de ceux dont nous discutons avec les autorités. Je ne suis pas vraiment en mesure de vous dire si un dialogue a été amorcé à l'échelon politique, mais je peux vous affirmer que les représentants officiels de notre ambassade à Cuba et ailleurs se portent à la rencontre de leurs homologues afin de discuter du Venezuela.
M. Sunderland : Si vous me permettez d'intervenir brièvement, je dirais qu'outre l'aspect politique — et je ne fais que citer un fait —, Cuba reçoit quotidiennement environ 80 000 barils de pétrole du Venezuela. Je vais vous laisser tirer pour propres conclusions à cet égard.
Mme Cesaratto : De plus, il semble que 50 000 Cubains travaillent au Venezuela en ce moment. Les deux pays entretiennent donc une étroite relation.
La présidente : Je souhaite revenir sur la question des négociations que le Canada mène au sein de l'OEA afin que plus de gens se rallient au point de vue de l'organisation. Nous ne cessons d'entendre dire que les pays des Caraïbes sont à blâmer, parce qu'ils reçoivent aussi du pétrole. Dans le passé, nous entretenions de solides relations avec les pays des Caraïbes en raison de notre appartenance au Commonwealth et d'autres liens. Au cours des dernières décennies, nous n'avons pas joué un rôle aussi important là-bas. De plus, la situation des Américains dans les Caraïbes a énormément changé, de même qu'en Amérique du Sud. Dans le passé, les Américains prenaient certainement des mesures interventionnistes dans cette région, d'un point de vue militaire et autre.
Étant donné qu'à mon avis, le Canada n'a pas beaucoup mis l'accent sur les Caraïbes récemment, peut-il contribuer à convaincre certains de ces pays qu'en ce moment, le Venezuela n'est pas un bon partenaire pour eux et que, dans leur intérêt à long terme, ils devraient plutôt appuyer l'OEA?
M. Shore : Je ne sais pas trop comment répondre à votre question. En un certain sens, la réponse est oui. Les discussions que nous avons avec les pays des Caraïbes sont fondées sur le fait que, malgré les contraintes faciles à comprendre qu'ils peuvent avoir l'impression de subir en ce moment, nous devons tous adopter un point de vue plus général et plus durable. Si la situation devait continuer de s'aggraver, certaines des répercussions liées à l'accentuation de la crise humanitaire les toucheraient plus directement que nous, par exemple, simplement en raison de leur proximité géographique.
Le lien créé par l'appartenance au Commonwealth a certainement été remarqué parce que, bien sûr, dans la mesure où nous parlons de la Charte démocratique interaméricaine dans le contexte de l'OEA, l'adhésion au Commonwealth comporte des obligations semblables en matière de droits de la personne et de principes démocratiques. En fait, un pays membre de l'OEA a mentionné à quelques reprises qu'il serait bien que l'organisation dispose d'un mécanisme semblable au Groupe d'action ministériel du Commonwealth qui forcerait l'OEA à dépêcher une délégation au Venezuela. Eh bien, nous sommes d'accord. Cependant, il s'avère que le pays membre qui a mentionné cela n'appuie pas la prise de mesures à l'encontre du Venezuela.
Donc, en théorie, il est vrai que... Bien entendu, nous souhaitons toujours que les organisations multilatérales aient à leur disposition autant d'outils qu'elles en ont besoin pour influer sur les situations d'une façon positive, mais, dans ce cas en particulier, le promoteur de cette approche n'avait pas l'intention d'assurer un suivi.
J'estime donc qu'on peut établir d'intéressants parallèles à cet égard et que cela ne fait que démontrer, une fois de plus, qu'il n'y a pas d'affaires internes. Bien sûr, le Venezuela n'est pas membre du Commonwealth, mais il a aussi des obligations à respecter en matière de droits de la personne, des obligations qui transcendent son adhésion à l'OEA.
Je crois que tous ces exemples démontrent pourquoi différents modèles existent. Nous n'avons pas à réinventer la roue; des solutions aux problèmes du Venezuela existent, et des mesures incitatives doivent être présentées pour favoriser un dialogue. Certains pays ne sont pas tout à fait prêts à contrarier le gouvernement actuel du Venezuela ou à être perçus comme l'ayant fait. Ils sont très préoccupés par l'incidence que cela pourrait avoir sur eux, et ces pays ont tendance à être des membres du Commonwealth.
La présidente : À la lumière de la Déclaration de Harare, j'estime que cette mesure n'a pas été très efficace au Zimbabwe — je dois donc éliminer cette option —, pas plus que les résolutions des Nations Unies en Syrie.
Compte tenu de tout le travail que nous avons accompli en Haïti et dans un si grand nombre de pays des Caraïbes, cela n'a-t-il pas pour effet de les inciter à travailler avec nous au Venezuela?
M. Shore : Je peux certainement dire que, dans le contexte de l'OEA, au moins Haïti n'appuie pas les mesures prises par nous et les pays ayant des vues similaires aux nôtres. Je signalerais également que ces pays n'ont pas fait preuve d'un grand progressisme en proposant d'autres approches. En ce qui concerne les pays qui entretiennent avec le gouvernement actuel du Venezuela des relations plus étroites que le Canada, nous aimerions certainement entendre les idées qu'ils pourraient proposer en ce qui concerne des solutions susceptibles d'influer sur la situation.
Je ne peux pas dire que nous avons été témoins de cela de la part d'Haïti et, comme je l'ai mentionné plus tôt, il est intéressant de noter qu'Haïti a fait appel à l'OEA, il n'y a pas si longtemps, afin de trouver des solutions pour éliminer sa propre obstruction du processus de l'élection présidentielle.
Dans le discours que la ministre Freeland a prononcé la semaine dernière à Washington, elle a souligné qu'Haïti était un excellent exemple où l'OEA et la Charte démocratique interaméricaine ont été utilisées d'une façon créative et tout à fait souhaitable. Il ne s'agissait pas d'une sanction contre Haïti, mais plutôt d'une solution vers laquelle les Haïtiens ont tendu la main, parce qu'ils ont déclaré avoir besoin d'aide et ne pas se sentir menacés par l'organisation.
Il est essentiellement bon de rappeler à Haïti et à d'autres pays qu'il y a des exemples de réussite où ce type d'aide offerte a donné de bons résultats. Cette aide n'est pas censée être menaçante ou avoir une connotation négative.
La présidente : Pour donner suite à l'exemple du Zimbabwe, des initiatives ont été prises pour déloger le président Mugabe, mais, en fin de compte, le problème n'était pas là. Les militaires craignaient encore plus ce qui allait leur arriver. Par conséquent, lorsqu'on examine l'effet de spirale des événements survenus au Zimbabwe, on constate que la destitution du président ne pouvait pas résoudre le problème, parce que trop de gens étaient investis dans le régime.
Je vois le parallèle avec le Venezuela. D'une part, nous disons que l'intensification du dialogue est liée à tous les outils dont nous disposons, à la persuasion, au nombre de partenaires supplémentaires que nous pouvons réunir et aux intervenants qui exercent une influence sur le président Maduro.
Au cours de nos audiences, nous avons entendu trop souvent parler de la Russie, et je crois comprendre que cela pourrait être un moyen d'action, parce que les Russes exercent certainement une influence sur le régime actuel ou, du moins, les Russes l'appuient verbalement. Est-ce ainsi que vous voyez la Russie?
Mme Cesaratto : J'essaie simplement de déterminer qui est le mieux placé pour répondre à la question. Aimeriez- vous commencer?
M. Sunderland : La Russie a d'importants intérêts commerciaux au Venezuela. Elle est le principal pays exportateur de matériel militaire vers le Venezuela. Les pétrolières russes sont grandement investies dans l'industrie pétrolière et gazière du Venezuela. Rosneft, une société pétrolière russe, a récemment émis un emprunt de 1,5 milliard de dollars à l'intention de PDVSA, la société nationale vénézuélienne de pétrole et de gaz naturel — tout cela est de notoriété publique — et a obtenu une participation en capital de 49 p. 100 dans la filiale américaine de PDVSA, appelée CITGO. Alors, je crois que la Russie est probablement grandement investie dans le gouvernement actuel du Venezuela. Voilà la conclusion que je tirerais.
La présidente : D'après les commentaires qui vous sont parvenus, l'aide humanitaire que les ONG internationales tentent de fournir parvient-elle à certains Vénézuéliens qui en ont besoin? Ou le gouvernement entrave-t-il les activités des ONG internationales et locales?
Mme Cesaratto : Je vais commencer à répondre à cette question. Nous savons que le gouvernement a confié aux militaires la tâche de recevoir et de distribuer tous les aliments, médicaments et fournitures médicales qui entrent au Venezuela. Ce que nous pouvons présumer — et j'ignore si cette information provient directement des organisations internationales —, c'est que tous les médicaments ne se rendent pas à destination ou là où ils sont les plus nécessaires. Je n'ai pas l'impression qu'il y a beaucoup d'organisations internationales qui évaluent la situation sur le terrain, et c'est en réalité ce que nous réclamons, que ces organisations internationales soient autorisées à entrer au Venezuela et à procéder à une évaluation adéquate des besoins.
Oui, les militaires sont responsables de la réception et de la distribution de l'aide, et toute cette aide ne se rend pas à destination.
La présidente : Je ne suis pas certaine d'avoir souhaité conclure la séance sur une note aussi pessimiste, mais, au nom du comité, je vous remercie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui afin de nous communiquer les dernières nouvelles, du point de vue du ministère et du gouvernement du Canada.
Il s'agit là d'une situation difficile qui survient dans notre hémisphère. Nous ne pouvons donc pas l'ignorer. Je ne sais pas si quelqu'un, mis à part des forces négatives, je crois, a trouvé une formule pour influencer le président et son personnel. Nous espérons qu'il est toujours possible de trouver des initiatives positives qui pourraient ramener tout le monde à la table des négociations au Venezuela, même si, aux yeux de bon nombre de gens, cet espoir s'amenuise de plus en plus. Je vous remercie de nous avoir aidés à comprendre les points de vue canadiens au Venezuela.
Mme Cesaratto : Merci, madame la présidente.
(La séance est levée.)