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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 60 - Témoignages du 4 avril 2019


OTTAWA, le jeudi 4 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général (sujets : mise à jour sur la situation au Mozambique; le Printemps arabe — huit ans plus tard).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Distingués sénateurs, bienvenue à la séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité est autorisé à étudier les questions qui peuvent surgir de temps en temps dans le domaine des relations étrangères et du commerce international en général. Fort de ce mandat, il entendra aujourd’hui des fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, qui feront le point sur la situation au Mozambique.

Je demanderai auparavant aux sénateurs de se présenter.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.

La présidente : Et je m’appelle Raynell Andreychuk, sénatrice de la Saskatchewan et présidente du comité.

Je suis enchantée qu’Affaires mondiales Canada ait accepté notre invitation à venir faire le point sur la situation au Mozambique avec un si court préavis. Avec tout ce qui se passe dans le monde, l’attention politique se porte beaucoup ailleurs, mais nous sommes d’avis que non seulement le Mozambique en est à un point important de son développement politique — qui s’avère intéressant, mais difficile —, mais que la catastrophe actuelle est terrible. La population canadienne et le comité doivent en savoir plus sur votre point de vue au nom du gouvernement du Canada.

Cela dit, j’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à Mme Alexandra Mackenzie, directrice générale par intérim de l’Assistance humanitaire internationale; à Mme Cheryl Boon, directrice adjointe par intérim du Programme du Mozambique; et, enfin, à M. Louis-Martin Aumais, directeur de la Direction des relations bilatérales avec l’Afrique australe et de l’Est, qui les accompagne.

Je vous remercie encore une fois d’avoir accepté notre invitation. La parole est à vous. Comme d’habitude, nous aurons des questions à vous poser.

Alexandra Mackenzie, directrice générale par intérim, Assistance humanitaire internationale, Affaires mondiales Canada : Sénatrice Andreychuk, distingués membres du comité, je suis heureuse de faire le point sur la situation humanitaire dans le Sud-Est de l’Afrique, qui doit toujours composer avec les répercussions du cyclone Idai. Mes collègues et moi sommes heureux de vous faire part des mesures prises par le gouvernement du Canada pour faire face à cette crise qui continue de sévir. Je suis accompagnée aujourd’hui de Cheryl Boon, directrice adjointe par intérim du Programme de développement du Mozambique, et de Louis-Martin Aumais, directeur de la Division des relations bilatérales avec l’Afrique australe et de l’Est. Nous représentons tous Affaires mondiales.

Je commencerai par donner un aperçu de la situation actuelle dans le Sud-Est de l’Afrique à la suite du passage du cyclone Idai. J’exposerai ensuite brièvement la réponse du Canada à la crise jusqu’à maintenant et les mesures prises par nos partenaires humanitaires sur le terrain.

Dans la nuit du 14 au 15 mars, le cyclone tropical Idai a frappé le sud-est de l’Afrique près de la ville de Beira, au Mozambique, dévastant des communautés du Malawi, du Mozambique et du Zimbabwe. À ce jour, plus de 700 personnes auraient été tuées dans ces trois pays et des centaines d’autres sont toujours portées disparues. Les vents violents, les pluies diluviennes et les inondations généralisées ont détruit des dizaines de milliers de maisons, déplaçant plus de 200 000 personnes dans la région. Les dommages causés aux puits et aux systèmes d’approvisionnement en eau ont privé les gens d’accès à de l’eau salubre pour boire et pour hygiène personnelle, ce qui accroît considérablement le risque de maladies d’origine hydrique, y compris le choléra, tandis qu’en raison de la destruction des établissements de santé, les autorités locales sont incapables de réagir à d’éventuelles flambées de maladies.

En outre, comme la tempête a détruit les récoltes à l’approche de la saison des récoltes dans une région déjà en proie à l’insécurité alimentaire généralisée, ses effets se feront sentir pendant encore des mois, voire des années. Dans l’ensemble, le cyclone a touché plus de trois millions de personnes dans le sud-est de l’Afrique

Les besoins humanitaires résultant du cyclone Idai sont immenses et variés, mais il y a trois secteurs critiques et deux thèmes transversaux qui doivent être abordés pour sauver immédiatement des vies et protéger les plus vulnérables.

Premièrement, en chiffres absolus, la sécurité alimentaire a été désignée comme le plus grand besoin découlant du cyclone. Plus de 711 000 hectares de cultures ont été détruits, alors même que les populations se préparaient pour la saison annuelle des récoltes. Au Mozambique, environ 1,78 million de personnes étaient aux prises avec une insécurité alimentaire aiguë avant que le cyclone ne frappe. On estime maintenant que ce nombre a augmenté de plus de 44 p. 100, pour atteindre plus de 2,57 millions de personnes ayant besoin de nourriture.

Au Malawi et au Zimbabwe, plus de trois millions et près de cinq millions de personnes, respectivement, étaient en proie à une insécurité alimentaire aiguë à cause des sécheresses avant le passage du cyclone Idai. Il reste à voir quelle incidence Idai aura sur ces chiffres.

Deuxièmement, les inondations généralisées ont endommagé les infrastructures d’approvisionnement en eau et les infrastructures sanitaires. En raison des dommages causés à des systèmes déjà fragiles, l’accès à de l’eau potable propre et à des services d’assainissement adéquats est limité, ce qui menace des vies et accroît les risques liés à la protection pour les femmes et les filles, qui doivent parcourir de plus grandes distances pour trouver de l’eau ou même un endroit privé pour se soulager.

Troisièmement, l’accès aux soins de santé est devenu une préoccupation majeure. Le manque d’eau potable combiné au surpeuplement des centres pour personnes déplacées a accentué les risques de propagation de maladies transmissibles. Plus de 1 400 cas de choléra ont déjà été signalés au Mozambique, malgré une campagne de vaccination d’urgence. De plus, le choléra n’est qu’un des nombreux problèmes de santé engendrés par la tempête. Le nombre de cas de paludisme pourrait également monter en flèche, car les lieux propices à la reproduction des moustiques se sont multipliés. Beaucoup de gens ont été blessés ou mordus par des serpents. De plus, comme les centres de santé ont été endommagés ou détruits, même les services de routine ne sont plus accessibles.

Enfin, la protection et le sexe sont des questions transversales qui ont une incidence sur l’ensemble de la réponse.

Des quelque trois millions de personnes dans les pays touchés, un million sont des enfants. Le cyclone a eu des répercussions importantes sur ces derniers; certains enfants ont perdu leurs parents, tandis que d’autres ont été séparés de leur famille alors qu’ils cherchaient à se mettre en sécurité. En outre, plus de 3 140 salles de classe ont été endommagées, ce qui a perturbé la progression scolaire et les activités normales des enfants. De nombreuses écoles servent de refuges temporaires.

Les risques liés à la protection, particulièrement pour les femmes et les filles, sont également élevés. On estime que 74 650 femmes touchées par le cyclone sont enceintes et que plus de 43 000 femmes dans les régions touchées par les inondations accoucheront au cours des six prochains mois. Le cyclone Idai a causé des dommages majeurs aux établissements de santé. Au moins 45 centres de santé ont été endommagés au Mozambique par la tempête et les inondations qui ont suivi.

Une intervention humanitaire concertée est nécessaire pour répondre aux besoins des populations touchées par le cyclone tropical Idai dans le sud-est de l’Afrique. La situation sur le terrain demeure critique et les ménages déplacés par des inondations ou autrement touchés par la tempête ont besoin d’une aide immédiate et continue.

Je vais maintenant aborder la réponse du gouvernement du Canada au cyclone Idai.

Le gouvernement du Canada a réagi promptement aux répercussions du cyclone tropical Idai au Mozambique, au Malawi et au Zimbabwe, intervenant dans le cadre de partenariats existants avec la Croix-Rouge et des organisations non gouvernementales canadiennes. Au fur et à mesure que des évaluations plus complètes des besoins ont été réalisées, nous avons élargi notre réponse et notre éventail de partenaires pour inclure des organismes essentiels des Nations Unies. Le gouvernement du Canada vient d’annoncer une enveloppe budgétaire totale de 10 millions de dollars pour répondre aux besoins humanitaires au Malawi, au Mozambique et au Zimbabwe.

Ce financement a été octroyé pour répondre aux besoins essentiels en matière de nourriture, d’eau, d’assainissement et de santé que j’ai décrits, ainsi que pour répondre aux besoins de protection et sexospecifiques transversaux.

Un financement important est fourni au Programme alimentaire mondial des Nations Unies sous forme de fonds non affectés destinés aux trois pays frappés par le cyclone. Cela permettra à ce programme de répondre avec souplesse aux besoins alimentaires d’urgence là où ils sont les plus criants, selon les évaluations les plus récentes menées sur le terrain.

Le gouvernement du Canada appuie également les organisations non gouvernementales qui travaillent à assurer l’accès à de l’eau potable et à des installations sanitaires adéquates dans les collectivités touchées. Ces partenaires, comme Aide à l’enfance, Oxfam, Plan et CARE, travaillaient déjà dans les pays touchés et ont rapidement dirigé leur attention vers les besoins critiques engendrés par le cyclone Idai. L’acheminement d’eau d’urgence par camion et, éventuellement, la réparation de puits et d’autres points d’eau sauveront des vies, et la mise à disposition d’installations sanitaires adéquates préviendra la propagation des maladies et protégera la sécurité et la dignité des femmes et des filles.

Pour s’attaquer à la propagation du choléra et d’autres maladies d’origine hydrique, ainsi qu’à d’autres problèmes de santé résultant du cyclone, le gouvernement du Canada offre son soutien à la Croix-Rouge pour la création d’un hôpital de campagne d’urgence au Mozambique, ainsi qu’à Médecins Sans Frontières afin de fournir des soins médicaux d’urgence aux populations touchées dans les trois pays concernés. Ces organismes se spécialisent dans la prestation de soins médicaux dans les situations d’urgence.

Tous les partenaires du gouvernement du Canada tiennent compte des questions cruciales liées au sexe et à la protection lorsqu’ils préparent leurs interventions, en s’assurant de répondre aux besoins uniques de toutes les personnes touchées par des crises humanitaires. Dans ce contexte, on tiendra compte des vulnérabilités particulières des femmes et des enfants déplacés en veillant à ce que les services, comme les soins de santé et les installations sanitaires, demeurent non seulement accessibles, mais soient fournis de manière à réduire les risques liés à la protection.

Enfin, le gouvernement du Canada a lancé le Fonds de contrepartie pour le cyclone Idai en partenariat avec la Coalition humanitaire afin d’encourager les Canadiens moyens à prendre part aux interventions en réponse à cette crise dévastatrice. Le Fonds de contrepartie permettra d’accroître les fonds recueillis par les ONG qui sont à pied d’œuvre pour répondre à la crise, tout en faisant mieux connaître la réponse du gouvernement.

En conclusion, sénatrice Andreychuk, distingués membres du comité, la situation humanitaire au Malawi, au Mozambique et au Zimbabwe à la suite du cyclone est alarmante. Le gouvernement du Canada demeure déterminé à sauver des vies et à répondre aux besoins les plus pressants des personnes touchées par la catastrophe en cours. Soyez assurés que le Canada a réagi rapidement à la catastrophe, et nous continuons de collaborer avec nos partenaires pour veiller à ce que notre réponse soit fondée sur les besoins, efficace et atteigne les plus vulnérables de la région.

Merci.

La présidente : Merci. C’était l’exposé présenté au nom du ministère.

Je demanderai aux sénatrices arrivées depuis les présentations de se présenter aux fins du compte rendu et pour nos invités.

La sénatrice Coyle : Sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse. Je suis désolée d’être un peu en retard. Nous recevions les Héritières du suffrage à la Chambre.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba. Veuillez me pardonner mon retard. J’avais une réunion avec un ambassadeur, je le crains, mais nous sommes maintenant tous là pour discuter du sujet.

La présidente : Je pense que tous les autres sénateurs étaient présents. Je voulais que tout le monde sache qui sont nos invités et qui sont les sénateurs.

Le sénateur Dean : Je tiens tout d’abord à vous remercier de témoigner et, surtout, de l’important travail que vous accomplissez quotidiennement sur place avec les personnes avec lesquelles vous collaborez au nom des Canadiens et avec les Canadiens dans des situations particulièrement difficiles dans le monde. C’est formidable d’avoir l’occasion de vous entendre nous en parler.

Vous nous avez indiqué qu’un grand nombre d’organisations gouvernementales et non gouvernementales travaillent sur le terrain. Cette bonne nouvelle est réconfortante.

Du point de vue d’un observateur distant, que pensez-vous du degré de coordination entre les nombreux acteurs disparates? Au chapitre organisationnel, qui intervient? Je m’interroge sur cette question générale, mais c’est probablement un dénominateur commun à de nombreuses situations d’urgence. Si vous pouviez nous fournir de l’information à ce sujet, cela nous intéresserait.

Mme Mackenzie : Merci beaucoup de me poser cette question. C’est en fait une excellente question à laquelle nous passons beaucoup de temps à répondre dans des contextes précis, et aussi en travaillant dans le cadre de partenariats avec tous nos partenaires humanitaires à l’échelle mondiale afin de tirer des leçons de chaque réponse dans le but d’améliorer la coordination et l’efficacité des actions humanitaires.

Dans le contexte du Mozambique et des pays voisins que sont le Malawi et le Zimbabwe, la coordination est très efficace depuis le début de la crise. Bien entendu, nous faisons appel aux gouvernements locaux et aux capacités nationales. Nous examinons certainement un certain nombre d’éléments clés relativement au mouvement de la Croix-Rouge et à sa capacité de coordonner les activités, de lancer un appel faisant état des besoins et de réaliser une évaluation initiale. Notre réponse initiale visait principalement à examiner cet appel et tirer parti du degré de coordination entre les acteurs.

La famille des Nations Unies dispose évidemment d’une équipe humanitaire au pays et l’a immédiatement mobilisée. Elle a entrepris des évaluations et, dans le cas du Mozambique, a lancé, il y a une dizaine de jours, un appel que nous avons étudié, fondant ensuite notre réponse sur les besoins qui y étaient énumérés.

Pour en revenir à votre question, les organes et les structures de coordination sont très bien établis. Ils comprennent des membres du milieu des ONG, ainsi que, de toute évidence, des organismes des Nations Unies et du mouvement de la Croix-Rouge. Ils travaillent donc main dans la main et étudient des domaines sectoriels précis afin de coordonner adéquatement l’évaluation initiale des besoins, mais aussi une réponse.

Pour ce qui est des partenaires que nous soutenons grâce à l’enveloppe de 10 millions de dollars dont j’ai parlé, nous veillons à ce qu’ils participent activement et soient inclus dans la coordination. C’est un facteur essentiel afin de déterminer qui est le mieux placé pour fournir des ressources et du soutien.

Avez-vous quelque chose à ajouter?

Cheryl Boon, directrice adjointe par intérim, Programme du Mozambique, Affaires mondiales Canada : Notre mission sur le terrain consiste également à participer aux réunions des diverses grappes qui œuvrent dans le domaine de la santé et de la protection. Ces partenaires participent donc aussi à la coordination des activités.

Le sénateur Dean : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie de témoigner. C’était une excellente question, concernant un point très important dans les situations qui exigent une réaction rapide. Je félicite moi aussi notre gouvernement de sa réponse rapide. J’aime la manière dont vous avez approché la situation, jugeant que la crise exigeait une réponse immédiate et qu’il fallait donc évaluer la situation, puis voir comment vous pouviez aller de l’avant en prenant appui sur les nouveaux renseignements.

Je voudrais savoir où se situe le Canada au chapitre de ses partenariats dans la région afin d’appuyer la préparation aux catastrophes. Qu’avons-nous fait avant que cette catastrophe ne frappe la région afin de contribuer au renforcement de la capacité locale? Se passe-t-il quelque chose sur le plan de l’aide canadienne au développement et des tendances à l’appui de la préparation aux catastrophes?

Mme Mackenzie : Notre capacité à réagir rapidement repose beaucoup sur des mécanismes qui ont été établis et que le Canada appuie depuis longtemps. Le Fonds central d’intervention d’urgence, ou CERF, géré par le coordonnateur des affaires humanitaires des Nations Unies, qui est responsable de la coordination des secours d’urgence, constitue un excellent exemple.

Les contributions annuelles de quelque 30 millions de dollars que nous faisons à ce fonds sont ensuite à la disposition des Nations Unies, qui peut s’en servir pour intervenir très rapidement en cas de crise. C’est un bon exemple de la manière dont nous avons contribué à établir un système souple et prompt à réagir après une catastrophe.

En ce qui concerne la préparation et notre engagement de longue date au Mozambique, je demanderai à Cheryl d’ajouter quelque chose.

Mme Boon : En fait, je n’ai pas grand-chose à ajouter. Le financement destiné au développement du Mozambique a en grande partie été dirigé vers les domaines de l’éducation, de la santé et, dans une certaine mesure, de la gouvernance. Nous ne sommes pas beaucoup intervenus sur le plan de la préparation aux catastrophes. Dans le cadre de tous nos projets, nous réalisons certainement des évaluations du risque, nous intéressant notamment aux cyclones dans certaines régions, mais à ma connaissance, ce n’est pas un domaine dans lequel nous avons beaucoup travaillé ces dernières années.

La sénatrice Coyle : Merci. J’ai travaillé dans cette région et j’ai certainement visité le magnifique pays qu’est le Mozambique. Je connais le programme d’aide au développement que le Canada y met en œuvre. Pouvez-vous nous dire quel effet cette catastrophe a sur nos efforts de développement et nous expliquer ce qui se passera maintenant que nous devons composer immédiatement avec la crise humanitaire, en espérant reporter ensuite notre attention sur la question au fil du temps?

Mme Boon : Vous comprendrez, j’en suis sûre, qu’il est encore tôt pour répondre à cette question. Beaucoup d’évaluations ne sont pas terminées. Le Canada, bien sûr, participera à la résorption de la crise. En ce moment même, nous discutons, avec tous nos partenaires sur le terrain, des répercussions du cyclone sur leurs projets particuliers, leur organisation et leurs travaux coordonnés avec ceux d’autres donateurs présents dans la région, pour déterminer en quoi nous pouvons optimiser notre intervention.

Étant donné nos antécédents, les domaines de l’éducation et de la santé seraient ceux où nous pourrions le plus facilement et le plus rapidement intervenir et effectuer quelques adaptations. Par exemple, nous concourons à un financement important du ministère de l’éducation, grâce à un fonds commun qui pourvoit à la construction d’écoles et à la dispense de l’éducation par ce ministère. Ce fonds commun nous permet de rediriger une partie des sommes vers certains des besoins les plus immédiats de dispense de l’éducation et de reconstruction d’écoles. De même, dans le domaine de la santé, une partie de nos dons en argent permet aussi là-bas une certaine latitude. Nous prévoyons qu’une partie ira à la reconstruction de certains établissements de soins et à la distribution de nourriture pour prévenir et traiter la malnutrition.

Heureusement, beaucoup de nos chantiers ne se trouvaient pas dans la région la plus gravement touchée. Des districts ont été touchés, mais pas autant que d’autres parties de la province. Nos partenaires aussi ont des chantiers dans certaines de ces autres régions, et la reconstruction les en détourne un peu.

Le sénateur Boehm : Merci d’être ici. J’ai quelques questions.

L’une d’elles fait suite à une question du sénateur Dean sur la coordination et vos procédures normalisées d’exploitation. Comme ces événements météorologiques gagnent en intensité partout sur le globe, changez-vous votre façon de faire?

Dans ce contexte, une méthode partiellement appliquée — par divers gouvernements — a été d’organiser des fonds de contrepartie avec la Coalition humanitaire. À ma connaissance, nous aurions, il n’y a pas si longtemps, créé un fonds de contrepartie. Les Canadiens sont très généreux. Créé pour une durée déterminée, ce fonds donnerait autant que les divers donateurs. Dans certains cas, les montants n’ont pas répondu aux attentes, parce que ce genre de fonds avait servi à répétition. C’est une attente, je sais, de la Coalition humanitaire, de tous les grands acteurs dévoués à la cause.

Envisagez-vous de revoir le mécanisme réel des fonds de contrepartie, vu que ces sursauts de la météo ne cesseront pas? Ils seront plus nombreux.

Ma dernière remarque concerne la politique et son évolution. L’un des problèmes qui se trouvaient dans le collimateur des chefs d’État et des organisations, y compris au Sommet du G7 dans Charlevoix, l’année dernière, était celui de la résilience côtière, soit après qu’un ouragan a frappé Porto Rico ou la Floride ou qu’un typhon a ravagé les Philippines ou soit après la catastrophe qui s’est abattue sur le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe. Une partie de la réflexion sur l’aide au développement et la capacité d’intervention devrait correspondre aux inquiétudes sur la résilience et des infrastructures côtières ainsi que les méthodes de construction de ces infrastructures de manière à les rendre résistantes à la prochaine grosse tempête. J’ignore si ce travail se fait à l’OCDE, au Comité d’aide au développement ou à Affaires mondiales Canada, mais je voudrais vous entendre sur les trois observations que je viens de faire.

Mme Mackenzie : Merci beaucoup. Relativement à la coordination, à nos procédures normalisées et à leur éventuelle amélioration, nous cherchons constamment à réévaluer et à expliquer nos interventions en cas d’urgence et de crise soudaine. L’année dernière, notamment, des modifications internes nous ont permis d’harmoniser nos ressources et la capacité du ministère d’obtenir le plus efficacement possible les bons renseignements, de mobiliser ses divers services et de prendre en considération la totalité des facteurs humanitaires dans sa réponse aux crises soudaines.

Dans ce contexte, notre capacité d’obtenir de nos divers partenaires les bonnes évaluations de la situation du terrain et de réagir rapidement, en comptant sur les mécanismes existants a vraiment profité de l’analyse de crises antérieures où nous nous sommes trouvés dépourvus de moyens et retardés.

Un exemple éloquent de cela est le Fonds canadien pour l’assistance humanitaire, que nous avons mis en place avec la Coalition humanitaire. Ce fonds préexistant permet de tirer au besoin les montants nécessaires. On s’en est servi pour CARE Canada, Plan Canada et Aide à l’enfance, pour accéder aux montants nécessaires pour faire réagir les opérations de ces organisations rapidement à la situation d’urgence en cours.

Après la crise, nous referons le bilan des beaux comme des mauvais coups et celui des éléments perfectibles. Nous cherchons continuellement à innover et à nous améliorer, parce que chaque crise possède ses particularités, que nous sommes certainement très disposés à prendre en considération.

Je vous remercie d’avoir soulevé la question des fonds de contrepartie. Voilà un autre exemple où nous nous sommes sensiblement adaptés.

Par le passé, nos fonds étaient qualifiés de « caisses de secours ». Ce n’était pas des fonds de contrepartie : ils n’égalaient pas les montants collectés par les organisations au Canada. Nous versions des montants égaux à ceux qui avaient été collectés, mais par l’entremise des organisations que leurs capacités opérationnelles plaçaient en meilleure posture pour intervenir.

Dans ce contexte, nous avons maintenant un véritable fonds de contrepartie. Le 1er avril, la ministre Monsef a annoncé que notre contribution égalerait les montants collectés par la Coalition humanitaire et ses membres jusqu’à concurrence de 2 millions de dollars, dans la période du 15 mars, date du cyclone, au 14 avril. La coalition et ses membres disposent d’une période pour mobiliser les Canadiens, ce qui est le principal objectif de notre fonds de contrepartie, et les inciter, si tout va bien, à faire des dons à ces acteurs. Le gouvernement versera en contrepartie jusqu’à 2 millions à la Coalition humanitaire pour qu’elle le répartisse entre ses membres d’après la capacité opérationnelle et la capacité de réaction sur place, dans le pays.

Ce modèle diffère légèrement de celui du passé. Nous l’avons modifié pour qu’il puisse être plus rapide, pour faciliter la communication et pour qu’il accorde une véritable contrepartie. C’est une innovation dont profite le fonds de contrepartie pour ce cyclone.

Enfin, en ce qui concerne la résilience côtière, je suis tout à fait d’accord. Je pense que c’est un sujet capital, qui a été soulevé à l’échelle du globe, non seulement à celle des membres du G7, mais, aussi, dans beaucoup de tribunes sur lesquelles le Canada est déterminé à examiner les enjeux humanitaires et ceux du développement, particulièrement quand le contexte les met en connexion. Nous suivons cette question de près.

Dans le cas particulier de la construction d’une résilience côtière au Mozambique, je n’ai rien à ajouter, mais je pense que, en ce qui concerne l’intervention, nous devrions manifestement nous assurer, pendant le retour à la normale, que la communauté internationale reconstruit mieux pour pouvoir s’assurer ou nous assurer à nous que nous sommes mieux préparés à un éventuel cyclone ou d’autres manifestations météorologiques.

Mes collègues ont peut-être des précisions à ajouter.

Louis-Martin Aumais, directeur des Relations bilatérales avec l’Afrique australe et l’Afrique de l’Est, Affaires mondiales Canada : Le comité doit savoir que la Conférence mondiale sur l’économie bleue durable a eu lieu en novembre 2018 au Kenya, qui l’a accueillie avec le concours du Canada. Le président Nyusi, du Mozambique, y a assisté et y a participé activement, sur ce sujet, à tel point que lui-même et le gouvernement de son pays se sont engagés à accueillir, plus tard cette année, une conférence sur la « croissance bleue ». Actuellement, nous cherchons des moyens pour financer cette initiative. À ce que nous sachions, ils cherchent toujours à accueillir cette conférence.

Avant la catastrophe, je suppose qu’on privilégiait beaucoup la contribution de l’économie bleue au développement socioéconomique des pays côtiers. À la conférence, je peux prévoir que, dans le contexte de la catastrophe, on prêtera davantage attention à la résilience côtière. Actuellement, le gouvernement canadien cherche une façon d’aider le Mozambique pour cette manifestation.

La présidente : Seulement pour m’éclairer, à combien se chiffre l’argent que, de manière absolue, le gouvernement a donné et qui se répartit de toutes les façons que vous avez décrites? Combien, jusqu’à concurrence de 12 millions, dépend des fonds de contrepartie?

Mme Mackenzie : Je vous remercie pour la question. L’enveloppe de l’argent engagé s’élève à 10 millions, soit jusqu’à 2 millions pour le fonds de contrepartie, plus les 3,5 millions annoncés le 23 mars et les 4,5 millions de plus, annoncés le 1er avril. Donc 3,5 millions, plus 4,5, plus 2. Nous verrons ce que les organisations canadiennes, la Coalition humanitaire, pourront collecter. Nous prévoyons et espérons très près de 2 millions, plus ou moins, sinon 2 millions exactement, mais notre engagement est de verser 2 millions en contrepartie

La présidente : L’arithmétique n’est pas mon fort, mais le total des montants égrenés n’est pas 12 millions. Qu’est-ce qui manque?

Mme Mackenzie : On a annoncé 3,5 millions le 23 mars, puis 5,5 millions le 1er avril.

La présidente : Ce n’est pas plus juste.

Mme Mackenzie : Je suis désolée. Permettez-moi de voir mes notes. Voilà : les 3,5 millions faisaient partie de l’enveloppe initiale, puis on a annoncé 4,5 millions le 1er avril, puis 2 millions se trouveront dans le fonds de contrepartie, ce qui fait, en tout, 10 millions.

La présidente : Pas 12 millions.

Mme Mackenzie : Non. Cela fait 10 millions. Le total de l’enveloppe est de 10 millions.

La présidente : C’est seulement 10 millions. Pas 12.

Mme Mackenzie : Oui. Pardonnez-moi pour la confusion.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Pour continuer sur le même sujet, lorsqu’on parle de 10 millions de dollars d’aide financière versés à une cause aussi importante pour ces gens, cela peut paraître peu. Lorsqu’on regarde tous les déboursés d’un gouvernement, il s’agit d’une somme négligeable.

Comment décide-t-on de la somme qui sera accordée, à savoir si ce sera 10, 20 ou 30 millions de dollars? Nous sommes influencés par notre participation et par nos partenaires de la région. Cependant, ces décisions doivent se prendre rapidement lorsqu’il y a urgence. Comment définit-on la somme?

Mme Mackenzie : C’est une excellente question.

[Traduction]

Je peux vous dire que l’enveloppe de 10 millions se compare aux montants correspondant à nos interventions à des crises antérieures semblables. Nous comparons donc les demandes et les évaluations coordonnées de nos partenaires, puis nous faisons une évaluation fondée sur la proportionnalité et la réponse du Canada après des crises antérieures semblables.

Nous cherchons aussi à répartir convenablement des montants entre les divers acteurs bien placés pour intervenir. J’ai parlé de la diversité des acteurs qui, dans ce cas, comprennent des organisations non gouvernementales, le mouvement de la Croix-Rouge et des organismes de l’ONU. Nous tenons donc compte de qui est bien placé et quelles sont les valeurs qu’il invoquerait en fonction des besoins et pour y répondre. Dans notre étude du terrain, nous nous fions beaucoup aux évaluations de nos partenaires et nous les communiquons.

Après le cyclone, différentes évaluations ont été faites, et nous prévoyons aussi que quelques autres suivront, particulièrement sur la situation au Malawi et au Zimbabwe. L’ONU doit encore lancer ses appels pour ces deux contextes.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Lorsque vous faites le calcul, est-ce un calcul scientifique basé sur des précédents, ou est-ce qu’un premier ministre ou un président étranger peut faire appel à notre premier ministre? Est-ce discrétionnaire ou est-ce vraiment méthodique, c’est-à-dire que tous les pays sont traités de manière égale?

[Traduction]

Mme Mackenzie : Nous privilégions beaucoup une réponse proportionnelle aux besoins. Nous essayons d’être aussi objectifs que possible dans le calcul de notre aide humanitaire. C’est vraiment important de respecter les principes humanitaires de base tout en répondant aux besoins, dans un esprit de neutralité, en nous fondant beaucoup sur les évaluations impartiales fournies dans chaque contexte pour que la contribution du Canada contribue à répondre globalement aux besoins les plus criants et à ceux des personnes les plus vulnérables. Notre réponse dépend donc beaucoup de ces évaluations.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Donc, si le premier ministre appelle un représentant de votre bureau et mentionne que 10 millions de dollars ne sont pas suffisants, après en avoir discuté avec le président du Mozambique, et qu’il recommande une enveloppe de 30 millions de dollars, y a-t-il une résistance assez importante pour s’assurer qu’il y a équité et cohérence ?

[Traduction]

Mme Mackenzie : Oui, une très forte résistance. Nous prenons très au sérieux le critère de la proportionnalité de notre réponse et nous essayons d’assurer la proportionnalité de la réponse du Canada, compte tenu, globalement, des nombreux besoins. Comme vous le faites justement bien remarquer, les besoins sont immenses. J’ai décrit des besoins très importants dans ce contexte, mais, comme vous l’avez probablement entendu dire, au sujet d’autres contextes, globalement, les besoins humanitaires sont immenses. Voilà pourquoi nous cherchons à assurer à nos contributions une très forte proportionnalité aux besoins, ce qui fait de nous un pays qui apporte vraiment son aide dans tous les contextes humanitaires où sa contribution peut être importante.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Busson : Au-delà du financement, en argent liquide ou par des fonds de contrepartie, pour régler ces problèmes, il est clair que l’un des grands enjeux est l’eau et la crise susceptible d’être causée par la pénurie d’eau propre. Dans votre exposé, vous avez parlé de personnes qui, en consommant de l’eau stagnante, s’exposent au choléra et à la malaria. A-t-on discuté d’interventions plus concrètes, sur le terrain, de type humanitaire, c’est-à-dire de stations de dessalement et d’autres moyens de cette nature que nous pouvons fournir?

Mme Mackenzie : Je peux confirmer que l’eau et les installations sanitaires représentent un élément central du soutien qui a été fourni à ce jour. En effet, tous nos partenaires se concentrent sur les besoins de tous les domaines que vous avez mentionnés et que nous avons abordés dans notre exposé, mais je peux parler de certains cas qui vous donneront quelques détails sur la situation actuelle.

Par exemple, Oxfam Canada intervient au Mozambique et travaille dans le cadre d’un consortium avec CARE et Aide à l’enfance pour fournir de l’eau et des installations sanitaires d’urgence, ainsi que des refuges et une protection dans ce contexte. Donc, au cours des six prochains mois, ces organismes travailleront ensemble et se concentreront sur les questions liées à l’eau et aux installations sanitaires.

Encore une fois, Plan Canada et CARE Canada, deux organismes qui travaillent au Malawi, se concentrent de la même façon sur l’eau et les installations sanitaires, ainsi que sur les refuges au Malawi.

Au Zimbabwe, nos partenaires — dans ce cas-ci, il s’agit d’Aide à l’enfance Canada — se penchent encore une fois sur les services d’eau et les installations sanitaires d’urgence pour réduire le risque lié à la propagation de maladies transmissibles par l’eau. Ce sont des exemples d’ONG partenaires que nous appuyons.

De plus, il y a le soutien que nous fournissons à la Croix-Rouge canadienne et par le Fonds d’assistance d’urgence en cas de catastrophe. Par l’entremise des sociétés de la Croix-Rouge, la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge, on tente encore une fois d’intervenir dans ce secteur.

Je crois qu’on accorde la priorité à ces interventions pour de bonnes raisons. En effet, au cours des dernières semaines, nous avons été témoins de l’augmentation des cas de choléra. Cette situation fait l’objet d’une attention particulière dans l’ensemble des interventions.

La présidente : Sénatrice Coyle, vous souhaitiez poser une question, et ensuite ce sera mon tour. Votre question concerne-t-elle la partie sur l’aide?

La sénatrice Coyle : Elle concerne la préparation en cas de catastrophe.

La présidente : D’accord. Allez-y.

La sénatrice Coyle : J’aimerais me faire une meilleure idée de l’ensemble des préparations effectuées au Canada dans le cadre de notre rôle d’intervenant international en partenariat avec les pays et d’autres entités touchées par cette situation. De plus, dans un contexte où nous observons les conséquences de plus en plus graves du changement climatique et d’autres catastrophes naturelles, j’aimerais me faire une idée, si l’un d’entre vous peut m’y aider, de la réflexion engagée et des mesures prises à votre échelon et ailleurs au sein d’Affaires mondiales Canada en ce qui concerne la préparation et les interventions à l’égard de la situation que nous observons ici.

Mme Mackenzie : On peut notamment aborder l’état de préparation en cas de catastrophe en fonction du soutien que nous offrons par l’entremise de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et des sociétés nationales des divers pays. Au Canada, nous appuyons grandement nos collègues de la Croix-Rouge canadienne, évidemment, mais aussi ceux de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et nous tentons de renforcer la capacité d’intervention en cas d’urgence, afin que ces organismes soient en mesure de veiller à ce que l’infrastructure nécessaire à cette préparation en cas d’urgence soit en place dans d’autres pays. En général, c’est l’approche que nous adoptons.

L’autre élément qu’il pourrait être utile de souligner, c’est que nous observons les effets des catastrophes naturelles ou même des sécheresses dans divers contextes. Par exemple, nous devons adopter différentes approches pour regrouper les travaux humanitaires à court terme en cas d’urgence et les travaux de développement qui sont effectués et que le Canada appuie dans de nombreux pays.

L’une des initiatives qui constituent une approche très novatrice vise à renforcer la résilience des pays qui sont sujets à la famine. Dans ce cas, sur une période de cinq ans, nous avons établi un engagement intéressant avec le Programme alimentaire mondial, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et le FIDA — également dans le domaine de l’alimentation, mais davantage axé sur le financement —, pour nous assurer que leurs outils sont tous mis à contribution pour aider à bâtir la résilience. Dans ce cas-ci, nous parlons de trois pays, à savoir le Niger, la Somalie et la République démocratique du Congo. En tenant compte du fait que ces pays sont sujets à la famine et aux sécheresses, nous nous demandons comment nous pouvons agir de façon plus proactive dans le renforcement de leur capacité et de leur résilience.

Dans ce projet particulier, nous avons encouragé ces trois organismes à collaborer dans le cadre de cet éventail d’interventions, et nous avons obtenu de très bons résultats. Nous les aidons également à publiciser ces résultats en vue d’inciter d’autres gouvernements à encourager l’adoption de pratiques plus novatrices pour contrer certains de ces problèmes et de ces lacunes qui découlent des approches plus segmentées et traditionnelles en matière de développement humanitaire.

Manifestement, cela n’est pas directement lié au cyclone, mais c’est certainement un exemple de nos efforts en vue d’être plus innovateurs et proactifs dans l’intégration de ces approches et le renforcement de la résilience dans les collectivités locales.

Cheryl, y a-t-il autre chose à signaler pour le Mozambique?

Mme Boon : Oui. Nous faisons partie d’une communauté de donateurs et nous participons à des dialogues et à des groupes locaux au Mozambique avec d’autres donateurs. Différents domaines sont visés dans différents pays, mais ils discutent également entre eux et collaborent avec le gouvernement sur ces enjeux et tentent de trouver des façons d’appuyer les pays concernés — par exemple le Mozambique — sur la question de la préparation en cas de catastrophe.

Je suis certaine que ces conversations sont en cours et qu’elles se poursuivront. Nous continuerons d’examiner nos programmes pour vérifier où nous pouvons intervenir. Toutefois, en ce moment, il m’est difficile d’être plus précise.

La sénatrice Coyle : Merci. Je n’ai pas utilisé le mot « résilience » pour les programmes, car je voulais voir si vous alliez l’utiliser. C’est la tendance que nous observons sur la scène internationale, et j’imagine que nous verrons beaucoup plus souvent la combinaison de ces deux approches et le lien entre la préparation en cas de catastrophe et le développement de cette préparation. Ensuite, il y a évidemment l’effort d’atténuation. Je vous remercie beaucoup de votre réponse.

La présidente : J’aimerais poser une question sous un angle un peu différent. Le Mozambique a subi une sécheresse et une inondation. Ce n’est pas une situation nouvelle. Cela s’est souvent produit dans ces régions, notamment au Malawi. Ce ne sont donc pas des événements inattendus. Cependant, dans ce cas-ci, l’ampleur du phénomène est inhabituelle.

À cela s’ajoutent les difficultés causées par le manque d’infrastructure au Mozambique. Lorsque nous disons qu’il manque d’établissements de soins de santé, ils étaient réduits au minimum de toute façon, et c’est le dilemme auquel nous faisons face. Le problème le plus important est lié à la question de la gouvernance. En effet, ce pays a connu un conflit interne et les dernières élections ont certainement soulevé des questions. Il est très difficile de s’engager à s’attaquer au problème fondamental de ce pays, c’est-à-dire la corruption. Il est donc aussi très difficile de gouverner et de comprendre la gouvernance dans ce pays. L’infrastructure représente un autre problème. On ne peut même pas aller dans le nord du pays.

Dans quelle mesure se penche-t-on sur la catastrophe actuelle? La résilience dont vous parlez — ou quels que soient les mots utilisés — dépend grandement de la gouvernance. Dans quelle mesure le gouvernement du Mozambique intervient-il dans la crise? Est-il présent? Nuit-il aux interventions ou est-il coopératif? Quels sont les enjeux à long terme?

Il me semble que le Canada était plus engagé à l’égard du Mozambique il y a quelques années, et qu’il l’est moins maintenant en raison des problèmes que j’ai mentionnés. M. Aumais pourrait peut-être répondre à une partie de cette question et Mme Mackenzie pourrait répondre à l’autre partie.

Mme Mackenzie : Certainement. En ce qui concerne la coordination, je confirme que le gouvernement du Mozambique est très coordonné avec l’intervention. Il représente un élément central de l’intervention et ensuite, évidemment, du rétablissement à plus long terme qui sera nécessaire. Il ne nuit donc pas aux efforts; il est plutôt un partenaire important dans le cadre de cette intervention.

Je vais laisser mon collègue vous parler des enjeux liés à la gouvernance.

M. Aumais : En fait, d’après ce que je comprends, le président a organisé une réunion du cabinet à Beira, afin d’aider ses ministres à comprendre l’ampleur de la crise. Selon les renseignements de notre mission, il a également assigné différentes parties des régions touchées par la catastrophe à des ministres précis afin de favoriser la reddition de comptes. Selon nos observations, le gouvernement accorde une grande attention à l’intervention.

En ce qui concerne la gouvernance en général, vous avez parfaitement raison. La gouvernance n’est pas optimale dans ce pays, et ce, malgré le fait que les deux partis principaux, à savoir le parti du gouvernement, qui est au pouvoir depuis l’indépendance, c’est-à-dire depuis les années 1970, et le principal parti de l’opposition, même s’ils sont prêts à résoudre plusieurs enjeux politiques avant les prochaines élections, parlent de la décentralisation du pouvoir et des enjeux militaires, il y a encore du travail à faire. Nous observons la situation de très près au Canada. Notre haut-commissariat dans ce pays nous tient au courant de l’évolution de la situation et s’y intéresse de près, surtout pendant la période qui précède les élections.

La présidente : Je crois que c’est ce qui préoccupe ceux d’entre nous qui suivent la politique étrangère, c’est-à-dire qu’il est trop difficile de tenter de collaborer avec l’opposition ou de donner au moins la parole à l’opposition, et que l’opposition doit être prête à collaborer avec le gouvernement au sein d’un parti.

Donc, avec les élections à venir et maintenant une catastrophe naturelle, l’aide sera-t-elle distribuée où elle doit l’être? La question de savoir si une intervention positive et continue sera possible est plus préoccupante aujourd’hui qu’auparavant. Je pense que le gouvernement canadien pourrait encourager ce rôle qui dépasse le cadre des secours immédiats.

Le sénateur Greene souhaite poser une question de suivi.

Le sénateur Greene : Dans quelle mesure d’autres pays africains participent-ils aux secours?

Mme Mackenzie : Je n’ai pas de réponse précise à cette question, mais nous pouvons certainement faire des recherches et vous revenir là-dessus. Je n’ai tout simplement pas la réponse sous la main.

Le sénateur Greene : Avez-vous l’impression que les secours en cas de catastrophe qui sont apportés dans cette région font partie d’une initiative menée par l’Occident plutôt que par l’Afrique?

Mme Mackenzie : Je ne dirais pas cela. Mon collègue m’a beaucoup aidée lorsqu’il a souligné que la Force de défense nationale sud-africaine avait apparemment apporté son aide. Je n’y pensais plus. C’est donc un exemple.

Je crois qu’en général je peux dire que la contribution des pays en développement dans la région n’est pas souvent de nature financière. Cela dépend manifestement de la situation, mais un grand nombre des donateurs traditionnels, c’est-à-dire les plus grands donateurs en cas d’intervention humanitaire, ont tendance à être des pays plus riches qui ne sont pas en développement. Il y a évidemment des exceptions, comme dans ce cas-ci, où la Force de défense nationale sud-africaine apporte une contribution.

Les médias ont également parlé du déploiement de l’Inde. Ce pays avait un navire au large des côtes, et il a donc rapidement été mis à contribution dans l’intervention. On voit parfois ce type d’exemple, mais je dirais que la vaste majorité du soutien financier du système de l’aide humanitaire provient des pays du G7. Ce sont les plus grands donateurs. Je pense qu’ils représentent 80 p. 100 de l’aide humanitaire fournie par l’entremise de fonds publics. Cela vous donne une idée de la situation.

Dans l’ensemble, le Canada est l’un des plus grands donateurs. En effet, il fait partie des 10 plus grands donateurs du système humanitaire, ce qui signifie qu’il est un important contributeur avec d’autres gouvernements traditionnellement plus riches.

La présidente : Je vous remercie de comparaître devant nous aujourd’hui. Comme vous l’avez souligné, la population du Mozambique est dans une situation très difficile, et le pire n’est pas encore passé. Le rétablissement sera long et difficile, et nous devons continuer de nous soucier de cette situation. Nous vous remercions de nous l’avoir présentée.

Le comité entendra maintenant un représentant d’Affaires mondiales Canada qui nous communiquera une mise à jour du Printemps arabe huit ans après les faits et qui nous parlera de ses conséquences sur l’engagement du Canada en Afrique du Nord.

J’ai discuté avec notre greffière. Nous accueillons M. Troy Lulashnyk, directeur général, Israël, Cisjordanie et Gaza, Égypte et Maghreb. Manifestement, il y a la question de la situation actuelle en Algérie et de son évolution.

J’ai déjà dit à des représentants d’Affaires mondiales Canada, et je le répète maintenant à M. Lulashnyk, que nous comprenons qu’il est difficile de parler de la situation actuelle de l’Algérie, car elle est en constante évolution. Vous avez eu la gentillesse de comparaître pour nous parler des autres enjeux liés au Printemps arabe, mais nous aimerions que vous reveniez à une date ultérieure pour nous fournir une mise à jour de la situation en Algérie et nous parler du point de vue du Canada sur cette question.

Bienvenue au comité. Vous nous parlerez de tous les autres enjeux dont nous sommes saisis et qui sont liés au Printemps arabe. Vous avez la parole.

Troy Lulashnyk, directeur général, Israël, Cisjordanie et Gaza, Égypte, Maghreb, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie de m’avoir invité à vous parler du Printemps arabe, de ses conséquences et de son incidence sur l’engagement du Canada en Afrique du Nord.

Comme vous le savez, tout a commencé en décembre 2010, et les manifestations qui se déroulaient en Tunisie se sont répandues dans toute l’Afrique du Nord et dans le Moyen-Orient élargi. Il s’agissait surtout de populations en quête de changements politiques et économiques importants dans des systèmes qui étaient en place depuis des décennies.

Avec le recul, huit ans plus tard, nous constatons que les résultats ont varié selon les pays, et je les décrirai brièvement. Je dirais que nous avons vu un grand nombre de traits communs dans l’ensemble de l’Afrique du Nord. L’instabilité ou les tensions politiques persistent dans certains pays, ainsi que la présence de groupes extrémistes, le terrorisme et le trafic d’armes, de drogues et de personnes de part et d’autre de frontières parfois poreuses. Ces pays continuent de faire face à des défis migratoires importants, à des économies faibles aux taux de chômage élevés, surtout chez les jeunes — et comme la population est très jeune dans l’ensemble de la région, ce problème est particulièrement prononcé — et à la faiblesse de la gouvernance qui est exacerbée par un degré élevé de corruption et une capacité institutionnelle réduite.

C’est dans ce climat et dans cet environnement que nous examinons les progrès de ces pays et que nous tentons d’établir la démarche à adopter.

Je voudrais parler un peu de l’Algérie. Comme la sénatrice l’a dit, les événements se déroulent rapidement en temps réel. Je peux dire que depuis 2011, le gouvernement algérien a tenté de régler quelques enjeux avec sa population. Dans un pacte commun pour la sécurité et la stabilité, il a travaillé sur des enjeux et a augmenté les subventions, le logement social, les salaires dans le secteur public et les taux d’emploi. Cela a réellement permis d’éviter un conflit majeur et d’autres problèmes dans ce pays.

L’économie algérienne a des problèmes parce qu’elle reste fortement dépendante des ventes de pétrole et qu’elle a souffert de la chute des prix du pétrole et de l’épuisement des réserves en devises étrangères. Le pays a essayé de diversifier son économie, mais les progrès ont été limités.

Le pays dispose d’un budget de défense très important, d’un appareil de sécurité solide et d’une très grande armée. Manifestement, vous avez vu ce qui s’est produit au cours des six dernières semaines, c’est-à-dire les grandes manifestations dans les rues et l’intention déclarée de l’ancien président Bouteflika d’obtenir un cinquième mandat. Cette situation évolue et je serais heureux de revenir devant votre comité pour parler de ces événements en temps voulu.

Vous avez tous entendu dire que le président a démissionné et que, dans les faits, selon la constitution, cela signifie qu’un nouveau gouvernement pourrait être formé dans 90 jours. Nous verrons comment cela se déroulera, car nous ne savons pas encore si les gens appuient le gouvernement et les intervenants actuels. Cette situation se précisera au cours des deux prochaines semaines.

Il est remarquable que les manifestations de masse aient été pacifiques en général et que les manifestants aient même nettoyé après les manifestations, qui étaient particulièrement importantes vendredi.

Parlons maintenant de l’Égypte. C’est un très grand pays qui est très influent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il a connu des changements très importants également. Il y a eu le départ de Moubarak en 2011, suivi de l’arrivée du président Morsi et des Frères musulmans. Ils sont restés au pouvoir pendant environ un an avant d’en être écartés en 2013 à la suite de nombreuses manifestations. Par la suite, l’ancien ministre de la Défense al-Sissi a été élu président en 2014 et a été réélu en 2018.

De plus, en février, le Parlement égyptien a adopté une proposition visant à permettre au président de briguer des mandats supplémentaires. Si elle est approuvée, il pourrait en principe rester en place jusqu’en 2034.

Sur le plan économique, l’Égypte a fait face à des problèmes structurels très importants ainsi qu’à un taux de chômage très élevé. En 2016, le Fonds monétaire international a approuvé un prêt de 12 milliards de dollars à condition que l’Égypte mette en œuvre toute une série de réformes économiques, comme la réduction de subventions, la dévaluation de sa devise et l’introduction d’une taxe sur la valeur ajoutée.

L’Égypte a, de manière plutôt impressionnante, mis en œuvre bon nombre de ces réformes, l’économie va mieux et on commence à voir les résultats de ces réformes, bien que la situation soit encore très problématique. On parle d’un pays de 100 millions d’habitants qui connaît une croissance démographique très rapide. Son taux de chômage est très élevé et elle éprouve encore des difficultés sur le plan du développement des petites et moyennes entreprises.

En ce qui a trait à l’environnement en général, les groupes de défense des droits de la personne ont fait état d’un resserrement des contrôles en Égypte et ils sont fort préoccupés quant aux capacités des gens de s’exprimer et de se rassembler.

Les Égyptiens président l’Union africaine en 2019 et leurs priorités pour tout le continent sont la migration et les réfugiés, l’intégration économique, le développement durable et la paix et la sécurité.

Le pays fait toujours face à des problèmes de sécurité, surtout dans le Sinaï, où les militaires luttent contre des organisations terroristes quotidiennement.

En Libye, la situation est également très problématique et fragile. Lorsque le règne de Kadhafi a pris fin, on a tenté de former un gouvernement d’unité et de dissoudre les milices non officielles. En décembre 2015, un accord politique libyen a été négocié, une entreprise visant à unifier les parties. Malheureusement, des rivalités persistent dans l’Est et dans l’Ouest, et, en fait, dans le Sud de la Lybie, définies comme étant tribales. Plus récemment — et c’est en fait une autre crise que le pays traverse depuis les dernières semaines —, le chef de l’armée nationale libyenne, Haftar, avance au pays, de l’est vers sud, et il se rapproche maintenant de Tripoli, où le gouvernement d’union nationale appuyé par l’ONU est en place. Beaucoup s’inquiètent de la façon dont la situation évoluera.

En 2017, à New York, l’ONU a lancé un plan d’action pour la Libye. Il était question d’une nouvelle constitution, d’une conférence nationale et d’élections. Une date a été fixée pour la conférence — tremplin pour ces mesures et ces réformes — qui aura lieu en avril cette année. Il y a la situation opérationnelle sur le terrain, combinée avec les efforts visant à réunir l’Est, l’Ouest et le Sud dans le cadre d’une conférence pour tenter d’unifier le pays. On parle d’un pays ayant une petite population et d’importantes réserves pétrolières. Si l’on parvient à une unification et à une réforme, la Libye devrait pouvoir être forte. Or, à l’heure actuelle, des rivalités politiques, ajoutées à une faible gouvernance et à la corruption, empêchent la Libye de se développer, de croître et d’évoluer.

J’ai de bonnes nouvelles au sujet de la Tunisie. Elle a fait de grands progrès sur le plan de l’évolution démocratique. En 2014, le Parlement a adopté une nouvelle constitution progressiste. En 2018, des élections municipales ont eu lieu, auxquelles le Canada a contribué. Il s’agissait des premières élections locales libres et équitables de l’histoire du pays. Bien entendu, il reste toujours des différends politiques entre le président et le premier ministre, et les partenaires de la coalition s’opposent les uns aux autres. Des élections présidentielles et législatives auront lieu plus tard cette année, et c’est un test pour la démocratie tunisienne en développement. Le FMI a approuvé un prêt de 2,8 milliards de dollars pour la Tunisie afin de fournir du soutien, qui est indispensable.

Au chapitre de la sécurité, les combattants terroristes sont de retour, ce qui pose un important problème, et encore une fois, la circulation d’armes et de marchandises illégales à la frontière sud continue de miner la stabilité de la Tunisie. Or, je crois qu’elle s’est améliorée quant à l’accès à la justice, aux droits des femmes, ainsi qu’au respect de l’État de droit et des droits civils et politiques. Elle doit maintenir le cap. Je suis ravi de dire que la Tunisie accueillera le XVIIIe Sommet de la Francophonie en 2020. Je crois que cela témoigne — et c’est très positif — de son engagement croissant sur la scène internationale.

L’histoire du Maroc est aussi positive. Il y a eu des manifestations pacifiques liées aux conditions socioéconomiques en 2011. On a créé une commission sur une réforme constitutionnelle consistant à donner un plus grand rôle au Parlement, à accroître l’indépendance de la magistrature et à favoriser les libertés individuelles et l’égalité entre les sexes.

Il y a eu des moments de tensions au Maroc, en particulier dans la région du Rif en 2016. En mai 2017, des manifestations liées à la création d’emplois et au développement économique du Nord ont eu lieu. Récemment, en mars, des enseignants ont protesté pour demander des augmentations de salaire.

Il y a donc des tensions, mais il semble qu’elles soient causées par la situation économique du Maroc.

Le Maroc joue un rôle de chef de file au chapitre des migrations et, en fait, il a accueilli la Conférence intergouvernementale pour l’adoption du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui a été un très grand succès. Il s’améliore au chapitre des droits de la personne, mais il lui reste encore du travail à faire.

Le pays est confronté à des défis liés à la sécurité : problèmes liés à la migration, en particulier vers l’Espagne; combattants terroristes étrangers et extrémisme; et trafic d’armes. Ce sont des menaces constantes au Maroc et partout dans la région.

Je vais parler brièvement de la Mauritanie, qui a aussi été le théâtre de manifestations généralement pacifiques. La situation politique reste tendue et les réformes tardent à venir. Les principaux partis de l’opposition ont boycotté les élections présidentielles de 2014 pour dénoncer l’illégitimité du président Aziz. Néanmoins, il a été réélu, et les prochaines élections présidentielles sont prévues en juin prochain. Le président sortant a annoncé qu’il ne se représenterait pas pour un troisième mandat.

Le Canada est un important investisseur étranger en Mauritanie, surtout dans le secteur minier, mais les Mauritaniens font face à des défis liés à l’eau, au logement, au développement économique et au chômage.

Je vous ai dressé un portrait de la région. Nous surveillons la situation des droits de la personne pour la société civile en Égypte. La situation en Libye est très fluide. Nous encourageons la Libye à s’unifier, conformément au plan d’action de l’ONU.

Nous collaborons étroitement avec le Maroc dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. En fait, le Canada coprésidera avec le Maroc le Forum mondial de lutte contre le terrorisme, un important forum international visant à discuter des questions de lutte contre le terrorisme.

Nous espérons qu’il y aura une transition pacifique, rapide et démocratique en Algérie, et nous continuerons de soutenir la Tunisie dans ses efforts de consolidation de la démocratie.

Partout dans la région, au cœur de cela, il y a les aspirations des jeunes — emplois, espoir pour l’avenir — et ce sont des valeurs, des caractéristiques et des objectifs que nous avons tous en commun. Ils ont tout simplement besoin de soutien et il faudra continuer de les soutenir. C’est ce qui, plus que toute autre chose, aidera à faire avancer la révolution arabe et le Printemps arabe dans une bonne direction et permettra à la région de prospérer.

La présidente : Merci, monsieur Lulashnyk. Vous avez couvert un grand nombre de pays.

Dans les journaux, on parle beaucoup de la Libye, du fait qu’il s’agit d’un point de transit vers l’Europe et la mer Méditerranée et des horribles problèmes concernant les bateaux, et cetera. C’est un mouvement provenant de la situation en Afghanistan, tout dans cette région, qu’il s’agisse de l’Irak, en passant par le Soudan et les autres pays. Il y a la question de la Somalie, et cetera. Je crois que nous entendons parler de cela, de ce point de transit.

Toutefois, de plus en plus, il est question de la migration de gens provenant de l’Afrique subsaharienne par ces pays et de la déstabilisation que cela peut causer. Récemment, un analyste a dit que, à l’heure actuelle, concernant l’Afrique subsaharienne, on parle de mouvements de gens qui ont de l’argent, et certaines des stations en Tunisie, et cetera, sont des points de transit où il y a de nombreux acteurs malfaisants. Toutefois, s’il devait y avoir d’autres mouvements provenant de n’importe lequel de ces pays — non pas seulement du Mali —, des villages, ce serait un point de transit encore plus terrible en raison de la situation instable de ces pays. Pouvez-vous dire quelque chose à cet égard?

L’autre chose, c’est que l’Égypte, bien sûr, s’impose maintenant par l’intermédiaire de l’Union africaine, redécouvre l’Afrique et son rôle, mais il y a une rivalité avec la Turquie et ce lien. Pouvez-vous dire quelque chose à ce sujet?

M. Lulashnyk : Merci beaucoup. Nul doute que les migrations constituent un énorme problème pour la Libye. Il y a un mouvement massif de migrants de l’Afrique subsaharienne qui se rendent en Libye et qui essaient de traverser la Méditerranée, un voyage très dangereux qui mène à des pertes de vies catastrophiques.

Des efforts sont déployés chaque jour pour régler ce problème. Les Européens y ont beaucoup participé. En fait, le nombre de personnes qui arrivent de la Libye a beaucoup diminué grâce au financement et à la formation. Cependant, les problèmes existent toujours. Je crois que la Libye compte environ 690 000 migrants présentement. Dans la plupart des centres de détention, les conditions sont abjectes, très problématiques, et les problèmes de sécurité en Libye posent vraiment problème.

Les gens qui arrivent, à la recherche d’une vie meilleure, sont exploités par le crime organisé et par des passeurs. C’est un très grave problème auquel nous nous attaquons.

Nous donnons un financement humanitaire important à la Libye, mais je dirais que le monde entier regarde cette situation plutôt catastrophique, soit ces gens désespérés de l’Afrique subsaharienne et une situation très instable et dangereuse en Libye, une combinaison qui mène à des problèmes humains importants.

Concernant l’Égypte et l’Union africaine, je crois qu’elle prend cela très au sérieux. L’Égypte essaie de jouer un rôle actif à la présidence. Je suis d’accord avec vous, sénatrice; elle a tourné son attention vers l’Afrique et souhaite renforcer ces liens. Je crois que c’est le cas, et ses relations avec la Turquie sont difficiles.

En ce qui concerne l’Afrique, elle fait partie de l’Afrique et du continent. Je crois qu’elle est plus préoccupée par l’influence qu’exerce la Turquie sur le Moyen-Orient, et elle devra gérer les choses avec des partenaires bilatéraux et multilatéraux dans le contexte de l’Union africaine.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie beaucoup de votre présence. Vous nous avez présenté un exposé vraiment très exhaustif.

L’une des dernières choses que vous avez dites, c’est que les aspirations des jeunes constituent un important facteur et qu’elles ont constitué, évidemment, un facteur très important dans le déclenchement du Printemps arabe. Vous aurez ici une idée de mon âge, mais au début des années 1980, je faisais des recherches dans le cadre de mes études supérieures et je me suis penchée sur l’aide fournie par les donateurs au secteur des petites entreprises et des microentreprises en Égypte et dans d’autres pays du continent africain.

À ce moment-là, nous savions déjà qu’il y avait un problème énorme lié au chômage chez les jeunes, peu importe qu’on parle d’emplois salariés ou de travail autonome. Je suis très curieuse. Lorsque nous voyons l’explosion de groupes qui aspirent à la démocratie, nous savons qu’ils sont constitués de gens souvent très jeunes et qu’ils sont impatients d’être inclus dans la gouvernance et l’économie de leur pays.

Dans tout ce que vous avez observé durant cette période, qu’est-ce qui vous donne en quelque sorte un peu d’espoir sur le plan des investissements que les gouvernements effectuent dans les aspects économiques et les avantages qu’ils apportent aux jeunes et la façon dont cela touche leur capacité d’avoir également une meilleure place dans le volet gouvernance? Voyez-vous où je veux en venir?

M. Lulashnyk : Oui. Merci beaucoup. Je dirais que le Canada participe beaucoup à l’appui au développement, au soutien à la croissance des petites et moyennes entreprises et des microentreprises. En Égypte, en particulier, nous avons un programme qui est en place depuis 40 ans et qui est très axé sur ce secteur; depuis des décennies, il s’agit des emplois et des jeunes, et en très grande partie de ce mouvement.

Le catalyseur, c’est simplement le fait que les jeunes veulent que les choses soient faites d’une manière différente, d’une nouvelle manière, qui leur apporte liberté, succès et prospérité. Le changement qui s’est produit ou qui a fait l’objet de contestation diffère selon les diverses parties de la région et les choses n’ont pas fonctionné parfaitement nulle part. Or, ce que je peux dire de positif, c’est que les jeunes ont cette aspiration et continuent de s’exprimer à ce sujet, de sorte que si les gouvernements ne tiennent pas compte des points de vue des jeunes, c’est à leur péril.

Une nouvelle voix s’ajoute, et elle est très forte. Les gouvernements mettent toujours beaucoup de temps à mettre en œuvre des réformes et à inculquer les changements nécessaires, mais les jeunes savent exactement ce dont ils ont besoin et ce qu’ils veulent. Ils créeront de nouvelles applications et démarreront de plus petites entreprises novatrices qui concordent avec l’environnement en temps réel. Je dirais donc que les jeunes entraînent les gouvernements vers l’avenir et créent les petites et moyennes entreprises qui sont absolument nécessaires. Ce n’est pas ce que les gouvernements ont tendance à faire. Ils sont lents de nature. Ils ont un système qui est en place depuis longtemps.

Il va sans dire que les jeunes imposent ce changement. Les choses évoluent lentement et il y a de la résistance, mais les changements se produiront. Au fil du temps, il se produiront de plus en plus et, je crois, de plus en plus vite.

La sénatrice Coyle : Quel rôle jouent les jeunes femmes dans ce que vous observez?

M. Lulashnyk : Oui. C’est la base de notre politique de développement international. Les femmes et les filles constituent le moteur. Elles gèrent le quotidien plus que quiconque et je dirais qu’elles ont davantage l’esprit d’entreprise, qu’elles prennent plus de risques et qu’elles changent vraiment le visage des économies de la région.

Ce que nous constatons, particulièrement en Afrique du Nord, c’est que les femmes et les filles participent beaucoup moins à l’économie que les hommes. Or, la situation est en train de changer et, par conséquent, l’économie croît d’une manière disproportionnée.

Le sénateur Boehm : Monsieur Lulashnyk, merci beaucoup du bon aperçu que vous nous avez donné. En réalité, je veux vous interroger sur un pays en particulier. C’est un pays que vous connaissez bien, car vous avez été ambassadeur en Égypte. C’est à propos de l’étrange dichotomie qui existe. Nous voyons au sein de ce pays des atteintes aux droits de la personne, des entraves à la liberté de la presse et l’incarcération de journalistes. En ce moment, on est en train d’organiser le système de manière à garantir une très longue détention du pouvoir dans le cadre de ce qui ressemble de plus en plus à un régime autoritaire.

Cependant, il y a l’élément de stabilité qui est requis. Vous avez mentionné le Sinaï, et nous savons que l’Égypte et ses forces armées travaillent très étroitement avec les forces de défense israéliennes au Sinaï. Il est également de l’intérêt d’Israël que l’Égypte soit stable et très sûre. Bien entendu, nos forces canadiennes sont allées dans le Sinaï également, sous l’égide de l’ONU.

Comme nous le savons tous, le Canada entretient des relations bilatérales avec l’Égypte. Nous participons à divers programmes dont vous en avez expliqué certains. Il peut s’agir d’une participation constructive ou de la diplomatie discrète dont les gens parlent. Cependant, si nous voulons vraiment nous assurer d’un changement positif sur le plan des valeurs, que devons-nous faire? Naturellement, nous sommes également convaincus de la nécessité de soutenir Israël dans ses politiques de sécurité. J’ai donc l’impression que nous marchons sur la corde raide concernant le degré de mobilisation que nous souhaitons. J’aimerais entendre vos observations à ce sujet.

M. Lulashnyk : Merci beaucoup. C’est difficile, et dans les relations qu’on entretient avec n’importe quel pays, il y a souvent des objectifs et des buts concurrents. Il est assurément de l’intérêt de tous que l’Égypte soit sûre et stable : ce sont 100 millions de personnes qui ont un pied dans l’Afrique et un pied dans le Moyen-Orient. Vous avez mentionné la relation entre Israël et l’Égypte. En fait, au cours des dernières années, cette relation s’est améliorée nettement, et les deux pays semblent avoir la sécurité comme objectif commun.

C’est un aspect très important, mais l’aspect des valeurs l’est également. Nous essayons de ne pas présenter cela comme une question de tout ou rien : un pays qui a des valeurs ou un pays qui est sûr. Il faut transmettre des messages selon lesquels, pour avoir un pays fort et sûr, il faut un système politique, des discussions ouvertes, de la critique, ainsi qu’un environnement sain qui permet aux citoyens de discuter, de débattre et de participer. À court terme, vous pouvez obtenir la sécurité par la répression et le contrôle, mais à long terme, vous aurez sous la surface une frustration qui peut en fait exacerber la situation dans son ensemble.

Il faut essayer de changer la nature de cette discussion fondée sur le principe tout ou rien, mais je dirais que cela vous amènera à mi-chemin seulement. Nous avons de nombreuses discussions avec nos collègues égyptiens pour leur souligner que ces valeurs sont cruciales. Les droits de la personne sont cruciaux. Ce qu’ils nous disent alors, c’est : « Oui, ils le sont, mais nous avons de graves préoccupations en matière de sécurité et nous devons donc calibrer notre façon d’aborder cela. »

Je n’ai pas de réponse magique à cela, mais je dirais qu’il nous incombe de continuer à dire à nos collègues comment nous pouvons les aider à bâtir un pays fort qui s’appuie fermement sur des valeurs, pas parce que nous trouvons que c’est une bonne idée, mais parce que c’est ainsi qu’on arrive à établir une véritable sécurité et une véritable stabilité.

Le sénateur Greene : Quel rôle est-ce que la Chine joue dans la région? Est-ce qu’elle cible des pays particuliers? Est-ce qu’elle a plutôt une façon générale d’aborder la région?

M. Lulashnyk : La Chine est très active, et je dirais qu’elle le devient de plus en plus avec chaque année qui passe. C’est principalement d’ordre économique. Les Chinois acquièrent ou bâtissent d’énormes éléments d’infrastructure partout en Afrique du Nord et en fait partout en Afrique, mais assurément partout en Afrique du Nord, et ce, dans la plupart des pays.

En Libye, c’est un peu plus difficile en ce moment, étant donné les conditions de sécurité, mais la Chine est partout. Les Chinois créent des relations et font des acquisitions ou concluent des partenariats. Ils rivalisent pour l’obtention d’importants contrats. Ils exercent une très grande influence.

Sur le plan politique, je crois qu’ils ne se sont pas fait entendre au sujet de tout ce qui se passe. Ils exercent une surveillance étroite. Ils sont très bien informés. Ils ont cependant choisi de créer des partenariats fondés sur une base économique, et ce sont des partenariats à long terme, ce qui signifie qu’ils ne cherchent pas seulement à se positionner pour un avantage tactique particulier. Ils sont en train de bâtir une relation à long terme.

Le sénateur Greene : Compte tenu du chemin que nous avons parcouru et de la façon dont nous sommes arrivés au point où nous en sommes maintenant, quelles sont vos prédictions pour la région dans huit ans?

M. Lulashnyk : Par rapport à la Chine, ou en général?

Le sénateur Greene : Par rapport à la Chine en particulier.

M. Lulashnyk : Dans huit ans, si la tendance se maintient — et j’ai toutes les raisons de croire que ce sera le cas —, vous allez voir une augmentation des investissements chinois et de l’engagement des sociétés chinoises, ainsi que de l’ensemble de l’appareil chinois dans ces sociétés, et tout cela va s’accentuer.

Nous voyons un peu de résistance de la part des pays autres, qui disent être reconnaissants à la Chine et apprécier le financement dont ils ont grand besoin. Cependant, ils ne veulent pas être exclusivement partenaires avec la Chine. Ils veulent de la diversité dans leurs partenariats avec l’étranger.

Je crois que la Chine va prendre plus de place. C’est inexorable, mais la Chine n’aura pas l’exclusivité.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie de la vue d’ensemble approfondie que vous nous avez donnée de l’Afrique du Nord. Vous avez fait un excellent travail. J’allais vous interroger au sujet des jeunes gens. La sénatrice Coyle l’a déjà fait très efficacement, mais j’ai une question complémentaire. Est-ce que les jeunes gens restent dans la région? Combien d’entre eux migrent? Est-ce qu’ils restent, pour la plupart?

M. Lulashnyk : Il y en a tellement, et ils sont nombreux à être instruits et sans emploi. Vous allez donc voir, partout dans la région, des manifestations d’étudiants à la maîtrise et au doctorat qui se plaignent de leur incapacité de trouver des emplois. Si on leur offre de s’échapper vers un environnement différent où il y aura des emplois, ils vont partir. Il y a un important mouvement de jeunes professionnels instruits vers l’Europe — la destination de choix — et parfois vers les États-Unis et même le Canada.

Le Canada est un très solide pays d’accueil pour les étudiants d’Afrique du Nord, et nous avons donc des liens très étroits. Bon nombre de ceux qui étudient ici aimeraient rester au Canada.

Ceux qui peuvent partir aimeraient rester, pas parce qu’ils n’aiment pas leur pays, mais en raison des perspectives économiques.

Il y a un mouvement d’exode des pays de l’Afrique du Nord, mais si la situation change ou s’améliore, vous pourriez voir un retour dans ces pays une fois que la situation est un peu plus stable. Cependant, ils vont partir s’ils le peuvent, car la situation est désespérée en bien des endroits.

La sénatrice Cordy : Je m’interroge aussi à propos de l’Égypte. C’est un pays très influent. Je sais qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais est-ce que les autres pays nord-africains voient l’Égypte comme un modèle à suivre dans le contexte des pays nord-africains? Est-ce qu’ils travaillent ensemble, ou est-ce plutôt une attitude d’opposition?

M. Lulashnyk : Je dirais que les deux sont aussi vrais. Ils coopèrent et se font concurrence. Tout dépend de l’enjeu.

Dans le contexte de la Libye, géographiquement parlant, l’Égypte se trouve d’un côté, et les autres de l’autre côté. Tous deux souhaitent la stabilité de la Libye, mais à cause de la bifurcation est-ouest, il se crée des tensions politiques entre eux.

La coopération s’est révélée très limitée. Ils ont essayé d’en inculquer davantage. Même au Maghreb, la coopération est difficile. C’est parce que la situation en Libye est problématique. Même en Tunisie et au Maroc, les choses s’améliorent, mais la situation demeure difficile.

Il est important de collaborer avec vos voisins, mais ils travaillent en réalité à mettre de l’ordre entre leurs propres murs, et c’est préoccupant.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd’hui. Vous nous avez brossé un excellent tableau. Tout le monde avait de grandes attentes, dans le sillage du Printemps arabe. Nous avons toujours pensé que la démocratie l’emporterait et que chacun serait heureux, mais nous avons appris qu’il n’est pas si facile de mettre en place les valeurs et coutumes correspondantes dans ces institutions. Il y a eu une régression par rapport à nos attentes; j’imagine qu’il faut simplement être réaliste.

Vous avez répondu aux questions ayant trait à l’Égypte. À l’époque du Printemps arabe, à un certain moment, de nombreux pays et citoyens disaient que la démocratie, c’était bien, mais qu’il était encore plus important d’avoir la sécurité, un toit et de la nourriture. Qu’en est-il des jeunes en Égypte, à la suite de cette leçon? Est-ce qu’ils se mordent la langue devant la quasi-dictature actuelle? Est-ce qu’ils vont plutôt persister dans la réalisation de leurs rêves, peu importe les leçons tirées au cours des huit ou neuf dernières années? Quel est le résultat de cela? Est-ce qu’on peut s’attendre à un bouleversement? Croyez-vous plutôt qu’on progressera généralement vers une amélioration de la situation?

M. Lulashnyk : C’est une question difficile. Je crois qu’ils avaient de très grandes aspirations. Moubarak a été au pouvoir pendant près de 30 ans et, quand on lui a enlevé le pouvoir, je crois que les jeunes espéraient beaucoup que la démocratie s’installe, qu’un vent nouveau se lève et que ce soit un nouveau départ.

Il y a eu ensuite une année difficile de chaos et d’incertitude. Puis il y a eu, en 2012, des élections avec un très fort taux de participation et des résultats très serrés. Pour bien des gens, c’était quelqu’un qui représentait l’ancien régime. Puis, Morsi s’est présenté et a gagné à 13 millions contre 12 millions de voix. Je pense que bien des gens ont voulu donner une chance au président Morsi.

Quand il est arrivé, je crois qu’il n’avait pas le soutien des tribunaux, de la bureaucratie, des forces armées et même de la population. Son parti ne jouissait pas d’un fort appui.

Ils ont donc élu un président et exercé la démocratie, mais en pratique, au cours de l’année qui a suivi, les choses ne se sont pas bien déroulées et cela a mené à un échec qui a suscité encore plus le chaos. L’économie en a souffert, puis il y a eu en plus un conflit entre la présidence et les institutions.

Vous aviez des aspirations et la démocratie, et cela s’est soldé par deux ou trois années de chaos. Le président al-Sissi est donc arrivé et a affirmé que la sécurité était au sommet des priorités. Le terrorisme était aussi bien installé. L’environnement s’est amélioré et la situation en Égypte est maintenant plus sûre qu’à cette époque-là.

Au bout du compte, le changement est radical. Ils ont essayé la démocratie, et cela n’a pas fonctionné. Nous avons donc maintenant un nouveau régime qui ne répond pas d’après moi à leurs aspirations démocratiques, mais qui est plus stable et qui contribue à la croissance de l’économie.

C’est dire que pour l’avenir et la réalisation des aspirations démocratiques, en Égypte et ailleurs, c’est une évolution. Il est très difficile de mettre cela en place du jour au lendemain. La tenue d’élections n’est pas un exercice démocratique exclusif. Il faut que cela repose sur tout un éventail d’institutions, de groupes, de développements et de changements d’attitude. C’est un processus.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Le sénateur Dean : Merci beaucoup. À l’instar de mes collègues, je tiens à vous féliciter.

Il y a quelques minutes, vous avez dit une chose qui me donne à croire que l’Égypte et la Libye sont probablement sur la liste des pays préoccupants de cette région, si je puis m’exprimer ainsi. Quels types de facteurs de risque seraient des indicateurs de problèmes sérieux dans chacun de ces pays d’après vous?

M. Lulashnyk : En Libye, en ce moment, les gens se battent. Vous n’avez pas de gouvernement central. Vous n’avez pas la stabilité requise, et la petite population de ce pays souffre énormément. C’est un feu rouge en ce moment.

L’ONU et tous les partenaires qui soutiennent la Libye essaient d’en arriver à un point où la Libye peut s’unifier. L’aspect positif, c’est que la population libyenne est peu nombreuse. Vous n’avez pas les différences religieuses ou les conflits sectaires qu’on trouve ailleurs. Avec la reprise de la production pétrolière, ils auront amplement la capacité de subvenir aux besoins de la population. C’est donc un scénario différent, en théorie, par rapport à d’autres situations en Syrie et ailleurs.

En réalité, ce qui compte, ce sont les institutions et la concurrence politique. Il faut essayer d’amener les intervenants — tous les intervenants — à ne pas avoir une optique tribale ou à penser uniquement à leurs propres intérêts, mais plutôt à penser comme des Libyens et à travailler ensemble à unifier le pays. C’est notre objectif, et nous avons espoir que cela se produira.

Ce qui nous préoccupe et ce que nous avons dit, le secrétaire général de l’ONU et nous, c’est qu’il est très problématique de trouver une solution militaire pour la Libye. Il faut une négociation politique qui soit inclusive et qui fasse intervenir tous les secteurs de la société libyenne. S’enfoncer encore plus dans le rouge équivaudrait à ignorer les avertissements du secrétaire général de l’ONU, nos avertissements et ceux d’autres sources.

Ce serait la situation en Libye, et nous espérons que nous pouvons en arriver à quelque chose de positif qui favoriserait la prospérité.

En ce qui concerne l’Égypte, je pense que la difficulté, c’est que vous avez un pays très populeux de 100 millions de personnes, que les jeunes sont très nombreux et qu’il y a du terrorisme. On dit souvent que l’Égypte est trop importante pour échouer. Si ce pays implose ou que la situation devient catastrophique, les répercussions seront invariablement énormes dans toute la région. Nous voulons donc beaucoup la stabilité et la prospérité de ce pays et souhaitons travailler dans ce sens.

Ce n’est pas facile pour eux et pour nous qui les aidons, parce que les besoins sont énormes. Nous essayons de faire obstacle à une telle issue.

Le sénateur Boehm : En ce qui concerne la Libye, j’aimerais savoir de quelle façon notre représentation a évolué. Je crois avoir compris que nous avons un ambassadeur accrédité à Tunis. Est-ce que c’est juste? Est-ce que c’est encore le cas?

M. Lulashnyk : C’est encore le cas. Quelques ambassades sont retournées à Tripoli. Notre ambassadeur et notre mission sont toujours à Tunis.

Nous allons retourner quand la situation le permettra sur le plan de la sécurité. En ce moment, la situation est très instable. En fait, depuis quelques semaines, elle est extrêmement instable. Nous verrons comment la situation évolue, mais nous voulons absolument un retour à Tripoli une fois que la situation se sera améliorée.

Nous nous y rendons périodiquement pour rencontrer les représentants du gouvernement libyen. Je suis allé à Tripoli il y a quelques mois, mais nous n’y sommes pas installés en permanence pour le moment.

La présidente : L’Union africaine a adopté une perspective axée sur le régionalisme, ce qui est un plus pour le commerce. Cela fonctionne à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO. Il y a même des pourparlers avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement, ou IGAD, et ainsi de suite. L’Union africaine mise donc sur des efforts régionaux, particulièrement en commerce. Par exemple, le COMESA, le Marché commun de l’Afrique orientale et de l’Afrique australe, n’existait que sur papier. Il fonctionne maintenant. La communauté de l’Afrique de l’Est parle d’une union douanière. On parle beaucoup de régionalisme, et c’est l’Égypte qui va jouer le rôle prépondérant.

Où en est le régionalisme en Afrique du Nord? Est-ce qu’on l’a mis en veilleuse? Il ne semble pas se passer grand-chose là en ce moment, alors que c’était le point fort de l’Afrique du Nord sur le plan régional.

M. Lulashnyk : Je suis d’accord. Chacun des pays va se prononcer de manière positive sur l’importance du régionalisme et de l’augmentation du commerce, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous en réalité. La situation libyenne nuit dans une grande mesure à cela. De plus, l’Algérie et le Maroc continuent d’éprouver d’importants problèmes concernant le Sahara occidental, ce qui limite les interactions nécessaires. Je crois l’avoir mentionné : à l’intérieur de leurs frontières respectives, ils se battent avec leurs propres problèmes.

Il leur faut un apport en capital, en fonds, en soutien technique et en expertise. Ils souhaitent tous de l’aide, mais ils ne cherchent pas tant à s’entraider; ils se tournent plutôt vers la communauté internationale.

C’est ce que j’observe en réalité. C’est tout à fait sensé, et ils devraient le faire beaucoup plus. Cela contribuerait à les propulser vers l’avenir et à réaliser un scénario où toutes les parties sont gagnantes. Ils sont tous proches les uns des autres et semblables de bien des façons.

Je m’attendrais à voir cela davantage à l’avenir, et il faut simplement que nous stabilisions un peu plus la situation à cette fin.

La présidente : Pourriez-vous nous parler du Mali? On dirait que nous nous retirons. L’ONU nous demande de rester. La situation est encore moins stable maintenant. C’est critique, et cela produit un effet sur l’Afrique du Nord, ainsi que sur le monde, je crois. Où en sommes-nous à cet égard?

M. Lulashnyk : Je ne vais parler que des effets sur l’Afrique du Nord. La frontière est très problématique du point de vue des perturbations et du passage de terroristes, de personnes, d’armes et de drogues. Un Mali déstabilisé crée un problème très grave pour ses voisins de l’Afrique du Nord.

Mes interlocuteurs me disent souvent qu’il faut que le Mali s’améliore pour que nous puissions nous améliorer. Ce qui se passe au Mali a un effet domino. C’est absolument critique pour la stabilité de l’Afrique du Nord en général.

La présidente : Nous aurions tant de questions à vous poser, mais je vous remercie d’être venu. Vous nous avez présenté un compte rendu très utile sur la région. Comme vous l’avez souligné, cela a des effets sur notre sécurité autant que sur celle de l’Afrique. Je vous remercie d’être venu, et nous sommes impatients d’entendre votre prochain exposé.

(La séance est levée.)

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