Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 2 - Témoignages du 17 février 2016
OTTAWA, le mercredi 17 février 2016
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 48 pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières Nations, des Inuits et des Métis (sujet : questions relatives au passage des frontières et le traité de Jay).
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. Je tiens à souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui observent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ici, dans la salle, ou encore à l'écran sur CPAC ou sur le Web. Je m'appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan et j'ai le privilège de présider le comité.
J'aimerais maintenant inviter mes collègues sénateurs à se présenter; nous commencerons par le vice-président.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, sénateur de l'Alberta.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, sénatrice de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, de la province de Québec.
[Traduction]
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Sibbeston : Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.
La présidente : Merci. Le mandat du comité est d'étudier les questions concernant les peuples autochtones du Canada en général. Aujourd'hui, nous entendrons des témoignages sur notre ordre de renvoi général, c'est-à-dire examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières Nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.
C'est pourquoi, aujourd'hui, nous poursuivons avec une réunion sur des dossiers particuliers pour discuter des enjeux liés au traité de Jay, surtout en ce qui concerne le passage aux frontières. Nous accueillons notre premier groupe de témoins; il est formé de représentants ministériels. Je vais les présenter, et j'espère qu'ils ne prendront pas plus de cinq minutes pour livrer leur exposé, afin de permettre aux sénateurs de poser des questions.
Nous accueillons d'abord, de l'Agence des services frontaliers du Canada, Lisa Janes, directrice générale régionale, Région du Nord de l'Ontario. Nous accueillons également, d'Affaires autochtones et du Nord, Joe Wild, sous-ministre adjoint principal, Traités et gouvernement autochtone; David Millette, directeur général, Négociations — Centre, Traités et gouvernement autochtone et Claudia Ferland, directrice générale, Direction générale des affaires individuelles, Résolution et affaires individuelles.
Nous entendrons d'abord les témoins d'Affaires autochtones, et ensuite le témoin de l'Agence des services frontaliers du Canada. Merci. Vous avez la parole.
Joe Wild, sous-ministre adjoint principal, Traités et gouvernement autochtone, Affaires autochtones et du Nord : Merci, madame la présidente. J'aimerais également remercier les honorables sénateurs. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler aujourd'hui du traité de Jay et de son incidence possible sur les Autochtones canadiens qui traversent la frontière canado-américaine et, de manière plus générale, de questions concernant la gestion de la frontière. J'aimerais d'abord mentionner que les questions relatives au passage de la frontière sont complexes et englobent des questions sur la citoyenneté, la souveraineté internationale et la sécurité. Peut-être plus que jamais, elles concernent aujourd'hui un certain nombre de ministères fédéraux, notamment l'Agence des services frontaliers du Canada, Immigration, Affaires mondiales et, dans une moindre mesure, Affaires autochtones et du Nord.
Mes collègues vous ont déjà été présentés; ils m'aideront à répondre aux questions que vous nous poserez aujourd'hui. Mme Janes livrera également un bref exposé.
Je suis ici pour vous offrir une brève récapitulation de l'historique du traité de Jay. Le traité communément appelé le traité de Jay est un traité d'amitié, de commerce et de navigation conclu entre la Grande-Bretagne et les États-Unis en 1794. Il a été négocié pour régler les conflits non résolus découlant du traité de Paris de 1783, lequel avait mis fin à la guerre de l'Indépendance américaine et établi une frontière internationale entre un tout nouveau pays, les États-Unis d'Amérique, et ce qui restait des colonies britanniques, au nord.
L'un des objectifs du traité était de fournir aux Indiens les mêmes droits que les Américains et les sujets britanniques en ce qui a trait au libre passage, car les deux pays reconnaissaient que la création de la frontière pourrait causer préjudice aux peuples autochtones. Fait important, qui est indiqué clairement à l'article 3 du traité, ce droit n'était pas exempt de réglementations et plusieurs stipulations ont été incluses au traité de manière à circonscrire le droit au libre passage.
Le traité de Jay a été abrogé par la guerre de 1812, et la disposition sur le libre passage n'a jamais été rétablie. D'après ce que nous comprenons, selon son statut juridique actuel, le traité de Jay n'est pas en vigueur au Canada et n'offre par conséquent aucun avantage aux Canadiens ou aux Autochtones du Canada ou autres. Les Premières Nations étaient des bénéficiaires tiers du traité et l'avènement de la guerre a entraîné la perte de leurs avantages.
La confusion liée au statut juridique du traité de Jay a amené certains à affirmer que le traité garantit aux Autochtones — appelés Indiens par le traité — et à leurs biens un droit de passage non restreint à la frontière canado- américaine. C'est l'article 3 du traité de Jay qui donne lieu à cette position, puisqu'il traite du commerce des fourrures et des effets personnels des Autochtones.
Ces complexités liées à l'interprétation du traité mises à part, Affaires autochtones et du Nord Canada reconnaît que la question du passage frontalier revêt une grande importance tant pour le Canada que pour les Premières Nations. Pour sa part, le Canada doit garantir la sécurité nationale et protéger les frontières, et c'est l'une des raisons pour lesquelles cet enjeu a évolué sur une si longue période de temps.
Pour les Indiens inscrits résidant dans une réserve des Premières Nations qui chevauche la frontière ou qui est située très près de la frontière américaine, le fait de devoir traverser la frontière tous les jours pour se rendre au travail, aller chercher leurs enfants à l'école et retourner à leur domicile au Canada peut être difficile. Comme le dit le juge Binnie de la Cour suprême du Canada, cela « va au-delà du simple inconvénient. »
Les tribunaux ont, à maintes reprises, rejeté l'idée que l'article 3 du traité de Jay conférait des droits en matière de liberté de passage des marchandises. Les tribunaux ont déclaré qu'aucune personne autochtone au Canada ne pouvait tirer des avantages du traité de Jay.
La jurisprudence appuie la position selon laquelle le traité de Jay n'est pas en vigueur au Canada et qu'il ne confère aucun avantage à des Canadiens, qu'ils soient Autochtones ou non. Dans la décision de 1997 Mitchell c. Canada (Ministre du Revenu national), la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, a conclu que le traité de Jay n'est pas un traité ayant la même signification que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et que les dispositions de l'article 3 ne confèrent pas les droits d'un traité dans la définition de ce paragraphe. L'expression « issus de traités » de l'article 35 fait référence à des droits relatifs ou conférés à des groupes autochtones avec qui des traités ont été conclus, contrairement aux traités entre des gouvernements nationaux.
Le traité de Jay n'est pas le seul à être mis de l'avant en ce qui concerne les droits de passage à la frontière. En effet, un certain nombre de Premières Nations au Canada ont invoqué des droits relatifs au commerce transfrontalier, par exemple ceux qui datent d'avant la création de la frontière.
Il se peut qu'il y ait, pour certaines Premières Nations, un droit ancestral au commerce transfrontalier, et nous faisons la distinction entre les droits autochtones et les droits issus de traités. Jusqu'à présent, les tribunaux n'ont pas statué que le passage frontalier ou le commerce frontalier constituait un droit ancestral. Cela ne signifie pas que cette conclusion ne sera jamais atteinte à l'avenir, mais jusqu'à présent, ce n'est pas le cas. On peut s'attendre à ce qu'une discussion sur un tel droit ancestral inclue une discussion des faits et du contexte précis donnant lieu à un tel droit.
C'est ce qui termine mon exposé. Je crois que Mme Janes livrera un exposé, et nous serons ensuite heureux de répondre aux questions.
Lisa Janes, directrice générale régionale, Région du Nord de l'Ontario, Agence des services frontaliers du Canada : Bonjour, et merci, madame la présidente. Je suis heureuse de comparaître devant votre comité pour contribuer à la question que vous étudiez et à cette importante discussion.
S'étendant jusqu'au cercle polaire arctique au nord, jusqu'à la frontière du Manitoba à l'ouest, jusqu'à la frontière du Québec à l'est et jusqu'aux abords du Grand Toronto au sud, la région du Nord de l'Ontario est la deuxième plus grande région administrative de l'ASFC — elle couvre près de 3 millions de kilomètres carrés. Chaque année, les cas de plus de 8 millions de voyageurs et de près de 500 000 importations commerciales sont traités dans cette région. En plus de ses défis géographiques, la région du Nord de l'Ontario est chargée d'initiatives et de services distincts de l'ASFC qui pourraient intéresser tout particulièrement votre comité. Par exemple, nous avons une présence importante dans le Grand Nord, où l'aéroport international d'Iqaluit est devenu un tremplin de plus en plus achalandé pour les personnes qui se rendent en Europe, et où le nombre de bateaux de plaisance et de navires commerciaux transportant des personnes qui souhaitent explorer ce territoire majestueux a considérablement augmenté.
[Français]
Au point d'entrée de Cornwall, nous travaillons en étroite collaboration avec les résidents de la communauté autochtone mohawk de l'île de Cornwall et de la ville de Saint-Régis, au Québec, qui constituent la grande majorité des voyageurs à cet endroit. Le point d'entrée de Cornwall a été le premier bureau de l'agence à embaucher, en 2011, un agent de liaison qui assure le lien avec la communauté et qui apporte son aide lors de la tenue d'événements.
[Traduction]
Chaque jour, l'ASFC repère, évalue et atténue efficacement les menaces à la sécurité et à la prospérité des Canadiens, tout en gérant efficacement la circulation des marchandises légitimes et des voyageurs admissibles. Il s'agit donc de veiller à ce que les marchandises et les voyageurs qui arrivent au Canada, ainsi que les résidents qui rentrent au pays, se conforment aux lois et aux règlements du Canada relatifs à l'admissibilité. Pour les personnes, il s'agit principalement de l'application et de l'exécution de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Toutefois, l'agence est aussi responsable de l'exécution de plus de 90 lois et règlements au nom d'autres ministères et organismes fédéraux, des provinces et des territoires.
[Français]
Comme vous le savez, le traité de Jay n'est pas reconnu au Canada, et la Cour suprême du Canada a décidé, en 2011, que le fait de passer à la frontière sans payer n'était pas un droit ancestral établi. L'agence ne peut que veiller à l'exécution de la législation reconnue par les tribunaux et le Parlement du Canada. Par conséquent, le fait de se prononcer sur le traité ou sur ses répercussions sur les Autochtones du Canada qui franchissent la frontière dépasse les compétences de l'agence.
[Traduction]
Compte tenu du cadre législatif existant, toutes les personnes qui veulent entrer au Canada, y compris les citoyens canadiens, doivent se présenter à l'ASFC et démontrer qu'elles satisfont aux exigences pour entrer ou demeurer au Canada, et il se peut qu'elles fassent l'objet d'un examen plus approfondi.
De plus, toutes les marchandises entrant au Canada peuvent faire l'objet d'un examen plus poussé, et nos agents sont formés pour chercher des indices leur permettant de déterminer quelles marchandises il faut inspecter de plus près.
Nous veillons à l'exécution des lois du Canada, en collaboration avec la Gendarmerie royale du Canada et les organismes d'exécution de la loi provinciaux et municipaux.
[Français]
À l'échelle fédérale, l'agence travaille en étroite collaboration avec un certain nombre de partenaires, notamment avec le ministère de la Justice, l'Agence du revenu du Canada, le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, le Bureau de l'immigration et de l'application des mesures douanières des États-Unis et le Bureau de l'alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs des États-Unis.
[Traduction]
Le ministère du Patrimoine canadien est un autre important partenaire, et il est responsable de l'application de la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels, laquelle régit le passage à la frontière de biens culturels. Cette loi vise à protéger le patrimoine national du Canada en établissant des contrôles à l'exportation pour les objets ayant une importance historique, scientifique et culturelle, notamment les objets sacrés autochtones. La loi a permis au Canada de satisfaire à ses obligations prévues dans la Convention de l'UNESCO de 1970 de récupérer et de retourner les biens culturels importés illégalement.
Les responsabilités précises de l'ASFC dans le cadre de cette loi sont d'appliquer les exigences relatives aux documents et aux permis pour les exportateurs de biens culturels et de veiller à ce que soient déclarés les objets pouvant être assujettis à des contrôles à l'importation.
[Français]
Les biens culturels, notamment ceux des peuples autochtones, peuvent être retenus par l'agence au nom de Patrimoine canadien conformément à la Loi sur les douanes. La période de temps pendant laquelle les biens culturels sont retenus varie, car chaque objet doit être évalué individuellement.
L'agence tient à offrir à ses clients un excellent service, un service juste, transparent et empreint de respect.
[Traduction]
Nous donnons maintenant une formation sur la sensibilisation à la culture d'Akwesasne aux agents des services frontaliers en vue de renforcer l'importance des artefacts sacrés, ainsi que de faciliter les interactions constructives lors du traitement des voyageurs aux points d'entrée.
Pendant deux ans, nous avons interrogé des agents des services frontaliers au point d'entrée de Cornwall, des aînés de la communauté et des membres du Conseil des Mohawks d'Akwesasne, et nous avons effectué des recherches approfondies sur l'histoire de la collectivité. Nous avons examiné des problèmes découlant de la prestation des services au point d'entrée et élaboré des stratégies de prestation de service, afin de permettre aux agents d'exécuter leurs fonctions de manière respectueuse et professionnelle.
Nous avons créé un outil d'apprentissage en ligne pour fournir des faits et des données historiques sur la communauté d'Akwesasne et accroître les connaissances culturelles. Dissiper les mythes et fournir des possibilités de communication bidirectionnelle entre l'ASFC et la communauté a mené à l'élaboration de nouveaux outils importants, notamment des lignes directrices sur le traitement des objets sacrés.
[Français]
Madame la présidente, honorables sénateurs, favoriser la circulation des personnes et des marchandises admissibles au Canada, tout en veillant à ce que la frontière ne serve pas à des activités illégales, constitue la mission de l'agence.
[Traduction]
La responsabilité de l'ASFC est de veiller à l'exécution des lois que le Parlement juge nécessaires pour la protection de la frontière. Nos agents sont de nombreuses façons le visage du Canada, car ce sont les premières personnes avec lesquelles les voyageurs et les entreprises interagissent en entrant au pays. C'est un travail que l'agence accomplit avec fierté. À la base de cette responsabilité se trouve un effectif professionnel dont les principales valeurs sont enracinées dans l'intégrité, le respect, la justice et la reddition de comptes.
[Français]
Voilà la fin de ma présentation. Je vous remercie. Je suis maintenant disposée à répondre à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie de vos exposés. Nous allons entamer la première série de questions. La parole est d'abord à notre vice-président.
Le sénateur Patterson : J'aimerais remercier les témoins de leurs exposés.
J'ai été très surpris d'apprendre que la région du Nord de l'Ontario de l'Agence des services frontaliers du Canada est responsable de ma région du Nunavut et de ma collectivité, Iqaluit. On en apprend tous les jours.
J'aimerais poser quelques questions à Mme Janes. Tout d'abord, vos postes frontaliers en Ontario — et je crois que vous avez mentionné la région d'Akwesasne — permettent aux peuples autochtones des États-Unis et du Canada de traverser la frontière. J'aimerais que vous nous précisiez si le Canada et les États-Unis ont des dispositions différentes en ce qui concerne les peuples autochtones. Certaines différences visent-elles les résidents autochtones du Canada et des États-Unis?
Mme Janes : Lorsque les gens entrent au Canada au poste frontalier, c'est de plein droit ou par privilège, et les gens qui entrent de plein droit sont notamment les Indiens inscrits au Canada. Certains membres de la communauté d'Akwesasne ne sont peut-être pas des Indiens inscrits, mais ils peuvent avoir une carte de tribu des États-Unis. Ces personnes font donc l'objet d'une distinction. En effet, elles n'entrent pas au Canada de plein droit, et on considère leur admissibilité lorsqu'elles entrent au Canada.
Le sénateur Patterson : Y a-t-il des différences entre les Américains et les Canadiens?
Mme Janes : Pour les citoyens américains?
Le sénateur Patterson : Les peuples autochtones.
Mme Janes : Cela dépend des documents présentés par la personne. S'il ne s'agit pas d'un Indien inscrit reconnu par le Canada, c'est la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés qui s'applique, ce qui peut entraîner des problèmes liés à l'admissibilité. Cette personne n'entrera donc pas de plein droit au Canada, contrairement aux citoyens canadiens ou aux titulaires d'un Certificat de statut d'Indien du Canada.
Si des problèmes liés à son admissibilité sont soulevés par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, il se peut qu'elle ne soit pas en mesure d'entrer au Canada.
Le sénateur Patterson : Je présume que je parle des personnes qui entrent de plein droit. Dans ce cas, y aurait-il une différence entre les citoyens autochtones canadiens et les citoyens autochtones américains qui entrent de plein droit, comme vous l'avez décrit?
Mme Janes : Si ces personnes entrent de plein droit et sont titulaires d'un Certificat de statut d'Indien, il n'y aurait aucune différence entre les deux.
Le sénateur Tannas : Puis-je poser une question liée à celle du sénateur Patterson? Les Américains nous traitent-ils de la même façon que nous les traitons? Ce que j'entends, c'est qu'au Canada, nous laissons entrer nos citoyens titulaires d'un Certificat de statut d'Indien sans problème, car c'est leur droit.
Mme Janes : Oui.
Le sénateur Tannas : Un Américain, c'est-à-dire un membre de la même Première Nation, n'aurait pas ce droit. Est- ce exact?
Mme Janes : C'est exact.
Le sénateur Tannas : Les Américains gèrent-ils la situation inverse de la même façon?
Mme Janes : Les Américains permettent à des personnes d'entrer dans leur pays. Que vous déteniez un Certificat de statut d'Indien canadien ou que vous soyez un Indien américain, ils vous permettront d'entrer au pays de plein droit.
Le sénateur Patterson : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter que d'après ce que je comprends, des discussions se sont tenues à l'échelon fédéral pour permettre aux Autochtones américains d'entrer librement au Canada pour des raisons liées à l'emploi, aux études, à la retraite, à l'investissement ou à l'immigration. Ai-je raison? Ces discussions ont-elles eu lieu? Si oui, ont-elles abouti?
Mme Janes : Je suis désolée, mais je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Je n'ai pas ces renseignements, mais je serai heureuse de chercher la réponse et de l'envoyer au comité.
Le sénateur Patterson : Merci.
La présidente : D'autres questions?
Le sénateur Patterson : Non, je n'ai pas d'autres questions.
Le sénateur Enverga : Je sais qu'il y a des questions relatives aux droits. En ce qui concerne les Autochtones, de quelle façon les dispositions législatives sur les douanes et l'immigration sont-elles appliquées? Y a-t-il des exceptions pour eux? Si c'est le cas, dans quelles circonstances?
Mme Janes : Comme je l'ai déjà dit, il y a deux groupes. Pour simplifier les choses, je veux dire qu'il existe deux groupes d'individus : ceux qui entrent au pays de plein droit et ceux qui y entrent en vertu d'un privilège. Dans le premier cas, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne s'applique d'aucune façon. Des questions pourraient se poser en vertu de la Loi sur les douanes. Des dispositions pourraient s'appliquer quant aux marchandises qu'une personne rapporte — ou au véhicule qu'elle conduit. Certaines mesures pourraient s'appliquer selon cette loi ou d'autres dispositions, car nous sommes responsables de l'exécution de 90 lois et règlements. Des questions liées aux aliments, aux végétaux et aux animaux peuvent se poser, mais indépendamment de cela, la personne est autorisée à entrer au Canada.
Les individus qui entrent au pays en vertu d'un privilège sont assujettis aux dispositions législatives sur l'immigration. Il peut y avoir des problèmes relatifs à l'admissibilité d'une personne si elle a un casier judiciaire ou des problèmes liés à des questions de sécurité nationale, au crime organisé, soit des choses que nous examinons au sujet de cette personne. Elle n'entre pas au pays de plein droit. Si des problèmes font en sorte que la personne n'est pas autorisée à entrer, si elle signale qu'elle vient travailler au Canada, il se peut qu'elle n'ait pas le permis de travail ou d'études qu'il faut. Ce sont alors les dispositions législatives sur l'immigration qui s'appliquent, et la personne ne se voit pas accorder l'entrée au pays de façon automatique.
Le sénateur Enverga : Si vous me le permettez, j'aimerais parler de la question des douanes. Que peuvent-ils rapporter? Ont-ils les mêmes droits qu'un Canadien ordinaire? Peuvent-ils rapporter tout ce qu'ils veulent? Ce sont les questions que je me pose.
Mme Janes : La Loi sur les douanes s'applique à tous, qu'on entre de plein droit ou non. Les dispositions législatives sur les douanes s'appliquent aux marchandises qui entrent au pays. Nous avons la responsabilité de nous assurer que la loi est respectée, que l'entrée des marchandises est autorisée, que les documents requis sont fournis, et s'il s'agit de l'entrée de marchandises commerciales, que l'information commerciale pertinente est fournie. Si l'on parle de marchandises pour lesquelles l'entrée est conditionnelle à la présentation d'un permis au nom d'un autre organisme, comme Santé Canada, ou l'Agence canadienne d'inspection des aliments, nous l'exigeons. Pour cette raison, la Loi sur les douanes s'applique à tous.
Le sénateur Enverga : Il n'y a aucune exception. Ils ne peuvent pas rapporter, disons, plus de boissons alcoolisées; ou après 48 heures, il y a une obligation. Est-ce qu'une exception s'applique à cet égard?
Mme Janes : Il n'y a aucune exception.
La sénatrice Lovelace Nicholas : La seule chose qui me désoriente concerne le moment où la frontière a été créée. À une certaine époque, nous formions une seule nation, et en raison des frontières qui ont été établies par le Canada, la Grande-Bretagne et les États-Unis — nous avions librement accès au commerce —, tout à coup, on arrêtait les gens à la frontière sans leur dire qu'ils devaient payer des droits sur les marchandises pour pouvoir faire du commerce aux États-Unis et qu'ils devaient payer des droits pour revenir au Canada avec des marchandises. C'est pourquoi je pense que la frontière en tant que telle est la source de confusion, c'est-à-dire le moment où elle a été établie.
Êtes-vous de cet avis? Ce n'est pas que nous ne comprenions pas nos droits commerciaux. C'est vous qui nous embrouillez sur nos droits; vous dites que pour que le traité de Jay soit reconnu, nous devons retourner devant les tribunaux, n'est-ce pas?
M. Wild : Les tribunaux se sont penchés sur le statut juridique du traité de Jay, et au Canada, ils ont toujours conclu qu'il n'avait aucun statut juridique. Il n'a jamais été inclus dans la législation canadienne. On peut toutefois se demander s'il existe un droit ancestral. Abstraction faite de l'idée de déterminer s'il y a un droit conféré par traité, il y a celle qu'il peut exister un droit ancestral. Les droits ancestraux sont protégés par l'article 35, par la Constitution. Or, pour ce qui est de déterminer la portée d'un droit ancestral, cela se fait au cas par cas.
Il y a un cas de jurisprudence au pays où l'on a essayé précisément de déterminer si, dans le cas des Mohawks d'Akwesasne, il existait un droit ancestral protégé par l'article 35 quant au commerce transfrontalier. En 2001, la Cour suprême du Canada a jugé qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour déterminer que la collectivité des Mohawks participait à un commerce nord-sud spécifique. Elle a conclu qu'il n'y avait pas de droit protégé par l'article 35.
Dans ses motifs dissidents, le juge Binnie a souscrit à la conclusion qu'il n'existait pas de droit, et il a ajouté que même si l'on devait conclure le contraire, il est difficile de savoir si le droit en question aurait subsisté à l'affirmation de la souveraineté de la Couronne. Certains droits ancestraux incompatibles avec la souveraineté de la Couronne auraient pu être éteints.
Par exemple, le juge Binnie fait référence au déploiement d'une force militaire. Ainsi, les Mohawks, par exemple, dans cette région, avaient de toute évidence une tradition guerrière importante, mais le juge a conclu qu'aucun droit ancestral d'organiser une armée ou de se livrer à des opérations militaires sur le territoire qui est maintenant celui du Canada n'aurait survécu à la souveraineté de la Couronne. Il a également souligné que dans la mesure où la souveraineté d'une nation est fonction du pouvoir qu'elle exerce sur ses frontières, encore là, aucun droit ancestral de traverser librement la frontière pour faire du commerce, si l'on en trouvait un, n'aurait subsisté à la souveraineté de la Couronne, et il a jugé qu'il n'y avait pas assez d'éléments de preuve.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a nulle part au pays, mais jusqu'à maintenant, on n'en a trouvé aucun. En ce qui concerne les négociations de traités, la question n'a pas été soulevée de façon fréquente, et nous sommes un peu pris en ce sens que tous les traités que nous négocions de nos jours s'appliquent au Canada. Nous ne concluons pas de traités avec des gouvernements autochtones sur l'exercice des droits aux États-Unis.
Voilà où en sont les choses actuellement sur le plan juridique. Je ne sais pas si cette information vous est utile, mais c'est, à mon sens, la situation actuelle.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Dans ces transactions, les Autochtones ont-ils été consultés lorsque toutes ces règles sur les peuples autochtones et leurs droits conférés par traité ont été présentées?
M. Wild : Encore une fois, si vous parlez du moment où le traité de Jay a été conclu et, ultérieurement, lorsque le traité de Paris a été signé au cours du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne ou les États-Unis n'ont sans doute pas consulté les Autochtones, à mon avis. Je ne suis pas convaincu que l'état du droit les obligeait à les consulter, et je ne crois pas qu'ils l'auraient fait.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je pense que les Autochtones ont toujours eu ce droit, c'est-à-dire que lorsqu'une décision a des répercussions sur eux, il faut les consulter. Quand je traverse la frontière, les agents me demandent si je suis une Autochtone américaine ou canadienne. Je réponds que je suis une Autochtone nord-américaine, ce qui est vrai, n'est-ce pas? C'est vrai, car à une certaine époque, nous ne formions qu'une seule nation. J'essaie seulement de comprendre pourquoi, tout à coup, je ne peux pas traverser une frontière en tant qu'Autochtone nord-américaine.
M. Wild : Je pense que nous essayons de trouver des moyens de régler la question du passage à la frontière, et Mme Janes a parlé de certaines mesures que prend l'Agence des services frontaliers pour que les choses se passent avec le moins de heurts possible. Je crois que nous reconnaissons qu'il y a des problèmes quant à la façon dont se déroule le passage, et nous sommes toujours disposés à discuter des moyens d'améliorer le processus.
La sénatrice Lovelace Nicholas : J'ai reçu une lettre d'une femme qui fait partie de ma collectivité. Elle me disait que vous pourriez peut-être l'aider. Je ne le sais pas. Je ne suis pas avocate. Elle m'a dit qu'elle est allée travailler aux États- Unis. Vous avez d'ailleurs mentionné que les Autochtones du Canada peuvent aller y travailler ou y faire autre chose, sauf s'il s'agit de commerce. Elle veut maintenant recevoir sa pension de vieillesse. Elle a fait sa demande, et voici ce qu'on lui a dit : « oh non, vous ne pouvez pas demander votre pension de vieillesse, car vous avez quitté le pays pour aller travailler pendant six mois et vous êtes maintenant considérée comme une immigrante. »
Je ne crois pas que ce soit juste du tout. Que doit-elle faire? Faut-il qu'elle retourne aux États-Unis? Je ne sais pas si quelqu'un peut répondre à ma question pour que je puisse l'aider.
M. Wild : Je ne crois pas que l'un ou l'une d'entre nous puisse l'aider à cet égard. Il semble que cette question relève de Service Canada, qui est responsable du programme de la Sécurité de la vieillesse au pays. À mon avis, c'est la ressource qu'il faut consulter en premier.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
Le sénateur Sibbeston : Je suis ravi que des membres du Conseil des Mohawks d'Akwesasne comparaissent devant nous tout à l'heure. Je vais leur poser la même question. J'aimerais que les représentants fédéraux y répondent. Existe- t-il une situation permanente de conflit sur les déplacements entre les pays? S'agit-il d'une situation où nos Autochtones ne font que faire valoir leurs droits et insistent pour qu'on les laisse traverser librement la frontière? Êtes- vous dans une situation de conflit à laquelle vous devez faire face chaque jour? Quel est l'état actuel des choses? Est-ce que la paix règne sur le territoire à cet égard? Y a-t-il de grandes divergences d'opinions? Les gens essaient-ils de se soustraire à ce que vous considérez comme les lois canadiennes sur ce plan?
Mme Janes : Je vous remercie beaucoup de la question. L'ASFC collabore étroitement avec la collectivité mohawk. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, nous avons embauché un agent de liaison qui travaille au point d'entrée de Cornwall. Le véritable objectif, c'est que cette personne puisse communiquer directement avec la collectivité pour régler tout type de problème qui peut survenir, des questions liées au passage frontalier que des membres de la collectivité d'Akwesasne peuvent soulever. Nous fournissons un service de liaison afin de bien communiquer avec la collectivité et de régler tous les problèmes au fur et à mesure.
Le sénateur Sibbeston : Est-on présentement dans une situation où le gouvernement fédéral, ou vous-mêmes — en tant que fonctionnaires —, n'en dites pas beaucoup sur ce qui se passe en réalité? De temps à autre, on entend dire que des Autochtones, ou d'autres personnes au pays, font de la contrebande. Or, on a l'impression que beaucoup de choses se passent. Est-ce que dans une certaine mesure, le gouvernement fédéral ferme les yeux là-dessus simplement pour ne pas provoquer de conflits entre le gouvernement et les Autochtones? Quel est l'état actuel des choses? Pouvez-vous nous dire ce soir l'état réel de la situation, ou vous ne dites pas toute la vérité en quelque sorte, en ce sens que vous ne dites pas aux Canadiens quelle est la situation exacte, de crainte de révéler la véritable situation du trafic et des activités qui sont menées?
Mme Janes : Dans la région de Cornwall, l'ASFC collabore étroitement avec ses partenaires de la GRC, avec d'autres policiers de Cornwall et la Police provinciale de l'Ontario, ainsi qu'avec ses homologues américains, pour lutter contre toute activité de contrebande. Ce n'est pas uniquement à Cornwall, mais bien partout au pays. Nous avons le mandat d'assurer la sécurité de notre pays et d'empêcher l'entrée illégale de marchandises et de personnes au Canada, qui peut constituer une menace pour nous.
Lorsque nous interdisons le passage de marchandises illégales, ou d'individus, nous diffusions des communiqués de presse dans lesquels nous informons la collectivité du travail que nous effectuons, que ce soit en collaboration avec des partenaires ou non. Nous leur disons s'il y a eu des interceptions réussies.
Le sénateur Sibbeston : J'ai une dernière question. Est-ce vous qui avez le contrôle absolu à la frontière par rapport aux personnes et aux marchandises qui la traversent, particulièrement en ce qui concerne les Autochtones?
Mme Janes : L'ASFC s'occupe du travail qui est effectué aux points d'entrée. C'est la GRC qui est chargée de surveiller les activités entre les points d'entrée, et ce serait à ses membres de répondre à votre question.
Le sénateur Tannas : J'aimerais bien comprendre quelque chose. Dans cette pièce, dans ce lieu de discussion, lorsqu'il est question d'un traité, il s'agit habituellement d'un traité qu'ont conclu une Première Nation, ou un groupe autochtone, et le pays. Monsieur Wild, si j'ai bien compris, le traité de Jay n'a pas fait l'objet de négociations entre un groupe autochtone et la Couronne ou les États-Unis, n'est-ce pas? Il s'agissait en gros d'un traité entre deux pays dans lequel il se trouve qu'on mentionne quelque chose qui concerne les activités des Autochtones. Est-ce exact? Il n'y a pas de signataire. Au sens des traités dont nous entendons parler dans le cadre de nos travaux, il n'y a pas eu de participation autochtone ou de cérémonie, ou quoi que ce soit indiquant que les Autochtones étaient signataires. Est-ce juste?
M. Wild : À ce que je sache, il s'agit d'un traité international qui a été conclu entre la Grande-Bretagne et les États- Unis d'Amérique à la fin du XVIIIe siècle.
Le sénateur Tannas : Voici une question intéressante, par contre : pourquoi en ont-ils fait mention? Comment en sont-ils venus à être au courant de cela — on parle de deux pays qui sont à des milliers de kilomètres l'un de l'autre — et pourquoi ont-ils pris la peine de le mentionner s'ils n'avaient pas, en fait, parlé à un membre de la collectivité autochtone — des chefs autochtones, je présume — et essayé protéger ce droit pour eux? J'ai le sentiment que les tribunaux des États-Unis l'ont peut-être pris d'une certaine manière, et peut-être que nous n'avons pas présenté les choses de la bonne façon ou que notre opinion était différente. Comment expliquer que nos tribunaux ont été capables de justifier cela? Il faut qu'ils aient été consultés et qu'ils aient participé. Autrement, pourquoi auraient-ils soulevé la question?
M. Wild : Je ne sais pas tout ce qui s'est passé dans le processus qui a mené à la conclusion du traité de Jay. Mon hypothèse, c'est que pour les deux pays à l'époque, les relations avec les différentes Premières Nations des deux côtés de la frontière qui allait être établie, étaient très importantes et ont occupé une place importante dans les relations entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui se dirigeaient vers la guerre de 1812. Les Premières Nations ont donc eu un énorme rôle à jouer en ce qui concerne les deux pays et ce qui se passait sur les territoires à l'époque. J'ignore si cela signifie que chacun des deux pays consultait des Premières Nations dans le cadre de ses activités qui devaient mener à la conclusion du traité de Jay. Je ne connais tout simplement aucun fait historique qui semble indiquer que des consultations ont eu lieu. Au bout du compte, quand on regarde l'histoire, il se peut qu'il y ait une différence de traitement, mais je pense qu'aux États-Unis, le traité de Jay a été surpassé essentiellement par les dispositions qui ont été adoptées en 1928, et que ces dernières sont grosso modo ce qui régit les droits d'entrée, tant pour les Autochtones « américains » nés aux États-Unis que pour les Autochtones « américains » nés au Canada.
Après 1813 et 1824, le traité de Jay disparaît des lois nationales; il n'existe plus dans la législation canadienne. Les lois du Haut-Canada et du Bas-Canada y ont fait référence pendant un certain temps, mais après ces années, on ne l'y trouve plus. Il a disparu. Pour qu'un traité international soit intégré aux lois nationales canadiennes, il doit être adapté en conséquence et le Canada doit légiférer en ce sens, et cela n'a pas été fait.
Le sénateur Tannas : N'est-ce pas un peu étrange qu'on trouve des traces datant de 250 ans qui indiquent que les deux pays ont tenté de protéger ce droit reconnu? Je ne comprends pas que nos tribunaux n'aient pas été saisis de la question, car cela démontre qu'il y avait quelque chose à régler de ce côté.
Si vous voulez me donner raison là-dessus, ce serait merveilleux; sinon, nous pouvons passer à la prochaine question.
M. Wild : Bien, je ne pourrais certainement pas me contenter de vous dire « oui ». À vous de voir si vous voulez passer à autre chose.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Si je ne m'abuse, selon le traité de Jay, les États-Unis sont censés protéger les peuples autochtones — canadiens ou américains. C'est ce que prévoyait le traité de Jay. Je n'arrive pas à le trouver, mais comme vous le disiez, cela a été nationalisé. Le traité prévoyait que les États-Unis devaient protéger les peuples autochtones des deux côtés de la frontière en temps de guerre ou de conflit.
M. Wild : Je ne peux pas vraiment répondre à votre question. Je ne sais pas si les États-Unis ont interprété le traité de Jay de cette façon ou non.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci.
La présidente : J'ai une question à vous poser relativement à ce que disait le sénateur Tannas. Cela me paraît étrange que les États-Unis aient plus ou moins affirmé concernant les décisions relatives au traité de Jay que les tribunaux ont reconnu un droit inhérent aux Premières Nations, avant d'adopter des dispositions législatives à cet égard. Je crois qu'il est nécessaire d'adopter une loi pour valider ce qu'on pourrait qualifier de droit ancestral existant. Ce n'est peut-être pas accessible à tout le monde. Le gouvernement canadien doit adopter une loi pour valider ce droit ancestral existant, même s'il ne s'agit pas d'un droit issu d'un traité. Est-ce que c'est logique?
M. Wild : Du point de vue d'Affaires autochtones et du Nord, les droits ancestraux n'existent que s'ils sont validés par une loi canadienne adoptée par le gouvernement du Canada. La common law valide toutes sortes de droits ancestraux existants, qui sont maintenant protégés par l'article 35 de la Constitution.
Il y a une autre catégorie de droits, et ce sont ceux issus des traités conclus entre le Canada et les gouvernements autochtones. Notre histoire en regorge. Les droits ancestraux sont répartis en deux catégories. Dans ce cas précis, pour ce qui est de traverser la frontière, le Canada estime qu'il n'y a pas de droit issu d'un traité. Il se peut qu'il y ait des droits ancestraux, mais à ce jour, ils doivent être établis ou définis par la common law.
La présidente : Vous avez dit plus tôt que dans l'arrêt Mitchell, en 2001, la Cour suprême a tranché que ce droit n'existait pas. À moins que j'aie mal compris. Mais selon l'information que nous avons reçue, la cour a statué que les preuves soumises n'étaient pas suffisantes pour démontrer l'existence de ce droit, mais en fait, aucune décision validant ou invalidant ce droit n'a été rendue.
Puisqu'il faut déterminer cela au cas par cas, comme vous le disiez, il me semble que la question reste en suspens, qu'elle n'est pas totalement réglée. Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Wild : Vous avez raison, la question n'est pas réglée. Il se peut très bien qu'il existe un droit ancestral pour une Première Nation en particulier concernant le passage de la frontière ou même le commerce transfrontalier, mais la common law du pays n'en reconnaît aucun. Les tribunaux n'ont toujours pas rendu de décision à cet égard.
Pour ce qui est de l'arrêt Mitchell, c'est un exemple de ce que les tribunaux ont dû examiner dans ce contexte précis pour déterminer si la Première Nation avait réussi à démontrer l'existence de ce droit, et sa conclusion a été que non, cette Première Nation n'avait pas réussi à prouver l'existence de ce droit dans ce cas précis.
La sénatrice Raine : Merci d'être ici aujourd'hui. Jusqu'à maintenant, nous avons parlé de la question de la frontière et du traité de Jay par rapport à l'Ontario, notamment en ce qui a trait au peuple d'Akwesasne et aux Mohawks, mais j'aimerais savoir, étant donné que le traité a été conclu entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, s'il s'appliquait à la frontière de la côte atlantique à la côte pacifique? Y a-t-il d'autres villages des Premières Nations au Canada qui sont à cheval sur la frontière et qui sont aux prises avec différentes interprétations, celle des États-Unis et celle du Canada?
M. Wild : Malheureusement, je ne peux pas vous dire quelle frontière visait exactement le traité de Jay en 1783 ou 1793. Je ne suis pas certain jusqu'où s'étendait la frontière à l'époque. Je présume que c'était d'un océan à l'autre, mais ce n'est que ma présomption; je ne pourrais le garantir.
Quelle était la deuxième partie de votre question?
La sénatrice Raine : D'après les notes d'information, il est évident que les Américains n'interprètent pas les rites de passage de la même manière que les Canadiens. Voici un extrait : « ... permettant ainsi aux Autochtones canadiens d'entrer librement aux États-Unis aux fins de l'emploi, des études, de la retraite, de l'investissement ou de l'immigration ». Mais l'inverse n'est pas vrai. Je me demandais seulement si la situation était la même partout au Canada.
Mme Janes : Pour ce qui est de la retraite, comme je l'indiquais tout à l'heure, je vais devoir vérifier avant de vous revenir là-dessus. Toute loi relative aux frontières s'applique à l'ensemble du pays. On ne fait pas de distinction à cet égard.
La sénatrice Raine : Lorsque le traité de Jay a été abrogé par la guerre de 1812, il l'a été partout, parce que je suppose que la situation entre la Grande-Bretagne et les États-Unis avait changé, et que le Canada établissait ses propres contrôles le long de la frontière. Je ne suis pas très ferrée en histoire, mais j'ai l'impression que c'est une situation historique, et elle ne cesse de refaire surface. Il y a manifestement beaucoup de malentendus qui l'entourent.
La présidente : Vous voulez savoir pourquoi la guerre de 1812 est venue annuler le traité.
La sénatrice Raine : Oui.
La présidente : Bonne question.
M. Wild : Elle a invalidé le traité parce que les pays étaient en guerre. Je ne crois pas qu'il y ait d'autres raisons. Ce qui complique l'histoire, c'est qu'après la conclusion du traité de Jay entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, le Haut-Canada et le Bas-Canada ont tous les deux mis en œuvre le traité par l'entremise de lois nationales.
Il importe davantage de se concentrer sur ces lois nationales, car elles appliquent le traité au droit interne canadien, du Haut-Canada et du Bas-Canada, les précurseurs du Canada tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Le point à se rappeler est que la législature du Bas-Canada a laissé cette loi venir à échéance en 1813, et au Haut- Canada, elle est venue à échéance en 1824. À partir de ce moment-là, le traité de Jay n'avait plus d'effet dans les lois nationales canadiennes. C'est ce que les tribunaux ont réitéré en 1956, 1993 et 1997, encore et encore, soit que le traité de Jay n'avait pas sa place dans le droit canadien en raison de ces événements historiques.
Je ne pourrais pas vous dire exactement à quel moment on a décidé d'invalider cette loi. Je ne le sais pas.
[Français]
Le sénateur Maltais : Monsieur Wild, j'ai besoin que vous apportiez des éclaircissements. Lorsque le Canada a signé le pacte de la Confédération avec les provinces de l'époque, est-il devenu le successeur de la Grande-Bretagne du point de vue des traités conclus avec les Amérindiens? Le Canada est-il devenu responsable des traités qui avaient été signés avec la Grande-Bretagne?
[Traduction]
M. Wild : Lors de la Confédération, au moment de la création du Canada, le pays a pris la responsabilité des traités qui avaient été signés avec la Grande-Bretagne avant la Confédération — particulièrement les traités conclus avec les Premières Nations.
[Français]
Le sénateur Maltais : J'aimerais soulever un autre point. Si on n'a pas reconnu le traité de Jay, comment les tribunaux canadiens peuvent-ils se prononcer sur cette question?
[Traduction]
M. Wild : Les tribunaux déterminent si le traité de Jay appartient au droit canadien, et ils concluent que ce n'est pas le cas, car il n'a pas été validé de la même manière que les autres traités internationaux conclus entre deux pays et intégrés au droit canadien par le biais de lois nationales.
[Français]
Le sénateur Maltais : Est-ce un oubli volontaire ou est-ce parce que nous étions en guerre à l'époque?
[Traduction]
M. Wild : Je crois que c'est volontaire en ce sens qu'au moment de la Confédération, le traité de Jay ne faisait pas partie des préoccupations des Pères de la Fédération. Il semble évident qu'à partir de 1824, le droit canadien n'en fait pas mention, puisque le Haut-Canada a choisi de laisser le traité de Jay venir à échéance. Pourquoi au juste en a-t-on décidé ainsi, je ne le sais pas, mais rien ne laisse croire qu'il s'agissait de décisions fortuites.
Je répète que le traité avait été conclu entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, et je présume que c'est dans cette optique qu'on le voyait à l'époque.
La présidente : Il reste quelques minutes au deuxième tour.
Le sénateur Tannas : Je serai bref. Madame Janes, malgré tout cela, si le gouvernement devait adopter une loi pour faire cadrer notre position avec celle des États-Unis, qui accordent les mêmes droits, les mêmes privilèges, et cetera, aux membres des Premières Nations des États-Unis et du Canada, quels problèmes cela pourrait-il permettre de régler au quotidien, selon vous, pour vous et vos employés? Mais aussi, quels problèmes est-ce que cela pourrait engendrer?
Mme Janes : Il est très difficile pour moi de risquer une réponse à ce stade-ci, car nous ne savons pas vraiment comment pourraient fonctionner les choses selon un cadre harmonisé, ni quels problèmes cela pourrait engendrer. Les droits à la liberté de circulation ont été examinés par les tribunaux également. Je serais heureuse de vous communiquer des décisions à ce sujet et au sujet des déplacements transfrontaliers des peuples autochtones. Si cela peut être utile au comité, je serais heureuse de vous les faire parvenir.
La présidente : C'est une bonne idée. Nous vous en serions reconnaissants si vous pouviez transmettre tout cela au comité.
Mme Janes : Je le ferai avec plaisir.
Le sénateur Patterson : Je crois que la sénatrice Lovelace Nicholas a parlé des intentions derrière le traité de Jay, mais je crois qu'elle fait référence à tous les pays qui acceptent, à l'article III, que :
[. . .] en tout temps libre aux sujets de Sa Majesté... ainsi qu'aux Indiens résidant sur l'un ou l'autre côté des frontières, de passer et repasser librement par terre ou par la navigation intérieure dans les territoires et pays respectifs des deux parties... et de s'adonner librement aux affaires et au commerce les uns avec les autres.
On apprend maintenant que le traité n'est plus valide, du moins en ce qui concerne le Canada. Nous allons entendre des représentants des Premières Nations ce soir qui vont sans doute nous parler des frustrations qu'ils vivent depuis de nombreuses années.
Il y a le Décret de remise visant les résidents d'Akwesasne. J'aimerais avoir un peu plus de détails sur son origine. Je comprends qu'il permet aux peuples autochtones de traverser la frontière sans payer de droits sur certaines marchandises. Était-ce une initiative de l'Agence des services frontaliers du Canada? Est-ce bien compliqué de mettre en place une telle initiative?
Reconnaître ou réinstituer un traité, cela me paraît complexe, mais on dirait qu'on a au moins essayé de régler le problème des droits appliqués à certaines marchandises.
Est-ce un mécanisme que nous pourrions utiliser? Cela semble moins compliqué que de faire appel à la Cour suprême pour réinstituer un traité datant du XIXe siècle. Pouvez-vous nous faire part de vos commentaires à ce sujet, s'il vous plaît?
Mme Janes : Malheureusement, je ne peux pas vous répondre, car c'est le ministère des Finances qui est responsable du Décret de remise visant les résidents d'Akwesasne, mais je pourrais certainement vous mettre en contact avec la personne-ressource au ministère des Finances, qui pourrait vous en dire davantage à ce sujet.
La présidente : Monsieur Wild, avez-vous des commentaires là-dessus?
M. Wild : Je ne suis pas au courant des détails entourant le décret de remise.
Je note simplement que, selon nous, l'accent devrait être mis sur la résolution des problèmes pratiques liés à la vie dans cette collectivité, compte tenu de ce contexte précis. Il ne s'agit pas vraiment de régler la question du traité de Jay et tout ce que cela implique; c'est secondaire. Nous devons encore régler les problèmes pratiques au quotidien. À notre avis, il faut trouver des façons de rendre la collectivité la plus fonctionnelle possible pour ses membres.
La présidente : Merci. Le temps nous presse. C'est tout pour notre premier groupe de témoins. Je veux remercier tous nos invités pour leurs témoignages et les sénateurs pour leurs questions.
Avant d'entamer la deuxième partie, le comité doit régler un point à son ordre du jour. Nous pourrons ensuite passer à nos prochains témoins.
Sénateurs, vous avez tous reçu la nouvelle version de l'ordre de renvoi, qui tient compte des changements apportés hier à la réunion du comité et examinés par votre comité de direction. Pourriez-vous y jeter un coup d'œil et m'indiquer si vous avez des commentaires à formuler? Si tout vous convient, et que l'ordre de renvoi vous paraît acceptable, nous aurons besoin d'une motion pour que je puisse présenter le tout au Sénat demain.
La sénatrice Raine : J'en fais la proposition.
La présidente : La sénatrice Raine en fait la proposition. Êtes-vous d'accord?
Des voix : Oui.
La présidente : C'est d'accord. Merci beaucoup.
Nous passons donc au deuxième groupe de témoins pour la séance de ce soir. Nous recevons donc, du Conseil des Mohawks d'Akwesasne, le grand chef Abram Benedict; James W. Ransom, directeur de Tehotiienawakon; et Rasennes Pembleton, chercheuse, Bureau de recherche sur les droits des Autochtones. Nous accueillons également, de l'Assemblée des Premières Nations, le chef régional Bill Erasmus.
Entendons d'abord le Conseil des Mohawks d'Akwesasne; après vos déclarations préliminaires, les sénateurs pourront vous poser des questions.
Grand chef Abram Benedict, Conseil des Mohawks d'Akwesasne : Bonsoir, madame la présidente, honorables sénateurs. Merci de me permettre de m'adresser à vous ce soir. Je vous transmets les salutations du Conseil des Mohawks d'Akwesasne et de la collectivité d'Akwesasne.
Je suis heureux de pouvoir parler des enjeux frontaliers et du traité de Jay. Je suis accompagné de Rasennes Pembleton, du Bureau de recherche sur les droits des Autochtones, et de James Ransom, directeur de Tehotiienawakon. J'ai demandé à Rasennes Pembleton de vous parler brièvement du traité de Jay. Cela permettra de mettre les choses en contexte et de faire un lien avec les conclusions de la Commission de vérité et de réconciliation, comme moyen pratique pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. James Ransom va conclure notre exposé en vous expliquant ce que fait Akwesasne pour atténuer les répercussions de la vie en bordure de la frontière sur notre quotidien.
Je tiens également à signaler que nous avons deux photos. L'une montre la carte de notre communauté et illustre exactement où se trouve notre communauté dans ladite province de l'Ontario, dans ladite province du Québec et dans le nord de l'État de New York aux États-Unis. À gauche, on voit une jeune femme de notre communauté qui, en vertu de la Loi canadienne sur l'immigration, a récemment été accusée d'être entrée illégalement dans le pays.
Je vais laisser Rasennes Pembleton vous parler du traité proprement dit.
Rasennes Pembleton, chercheuse, Bureau de recherche sur les droits des Autochtones, Conseil des Mohawks d'Akwesasne : Merci, grand chef, et bonjour à tout le monde. Je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de prendre la parole devant ce distingué conseil.
Pour situer la conversation de ce soir, il est important de bien comprendre en quoi consiste le traité de Jay. Il ne s'agit pas d'un traité conclu avec les peuples autochtones ni d'un traité donnant aux Premières Nations des droits de passage à la frontière. Le traité de Jay confirme simplement les droits préexistants de passage à la frontière qu'avaient les Premières Nations et renforce la protection de ces droits. L'article III du traité de Jay stipule en particulier :
Il est convenu qu'il sera en tout temps libre aux sujets de Sa Majesté et aux Citoyens des États-Unis, ainsi qu'aux Indiens résidant sur l'un ou l'autre côté des frontières, de passer et repasser librement par terre ou par la navigation intérieure dans les territoires et pays respectifs des deux parties sur le continent américain (à l'exception exclusivement du territoire compris dans les limites de la Compagnie de la Baie d'Hudson) et de naviguer sur tous les lacs et rivières d'iceux et de s'adonner librement aux affaires et au commerce les uns avec les autres [. . .]
Aucun droit d'entrée ne sera imposé par aucune des parties sur les fourrures transportées d'un territoire à l'autre par voie terrestre ou par navigation dans les eaux intérieures, et les Indiens passant et repassant avec leurs effets et marchandises propres de quelque nature que ce soit ne seront sujets à aucun droit ou impôt quelconque pour ces dits effets et marchandises. Mais les marchandises en ballots ou autres gros colis peu communs chez les Indiens ne devraient pas être considérés comme effets appartenant bona fide aux Indiens.
Le traité de Jay affirme que les Indiens de chaque côté de la frontière internationale ont le droit de passer et de repasser librement par terre ou par la navigation intérieure. Il stipule également que ces mêmes Indiens n'ont pas à payer de droit d'importation ou quelque autre droit lorsqu'ils emportent leurs propres biens et effets de quelque nature que ce soit.
M. Benedict : Honorer la vérité, réconcilier pour l'avenir : le Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada lance un appel à la réconciliation et demande de réparer les erreurs du passé d'une manière qui vient à bout des conflits et établit une relation saine et respectueuse entre les peuples, et pour l'avenir. Je le cite :
La réconciliation doit inspirer tant les Autochtones que les non-Autochtones de partout au pays à transformer la société canadienne afin que nos enfants et nos petits-enfants puissent vivre ensemble dans la paix, la dignité et la prospérité sur ces terres que nous partageons.
La CVR formule 94 appels à l'action afin de remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et faire avancer le processus de réconciliation au Canada. L'appel à l'action 45 stipule et je cite :
Nous demandons au gouvernement du Canada d'élaborer, en son nom et au nom de tous les Canadiens, et de concert avec les peuples autochtones, une proclamation royale de réconciliation qui sera publiée par l'État. La proclamation s'appuierait sur la Proclamation royale de 1763 et le traité du Niagara de 1764, et réaffirmerait la relation de nation à nation entre les peuples autochtones et l'État.
L'appel à l'action 43 stipule, et je cite :
Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de même qu'aux administrations municipales d'adopter et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation.
L'article 36 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones stipule ce qui suit :
Les peuples autochtones, surtout ceux qui sont divisés par des frontières internationales, ont le droit de nouer et de garder des contacts, des relations et des liens de coopération, y compris de mener des activités à des fins spirituelles, culturelles, politiques, économiques et sociales, avec leurs propres membres de même qu'avec d'autres gens au-delà des frontières.
Les appels à l'action 45 et 43 de la Commission de vérité et réconciliation constituent une solide justification pour examiner le traité de Jay et les questions de passage à la frontière des Premières Nations. La ratification du traité, qui affirme les droits de passage à la frontière des Premières Nations, devrait être inscrite dans une proclamation royale de réconciliation. À titre de communauté internationale de Premières Nations, Akwesasne est le modèle exact de communauté visée par l'article 36 de la déclaration onusienne. Nous sommes une excellente étude de cas des défis associés au fait de nouer et de garder des contacts, des relations et des liens de coopération avec nos propres membres de même qu'avec d'autres gens au-delà de la frontière.
Je vais d'ailleurs demander à James Ransom de vous faire un exposé sur la frontière d'Akwesasne.
James W. Ransom, directeur de Tehotiienawakon, Conseil des Mohawks d'Akwesasne : Merci, et merci au comité d'avoir organisé ce soir ce rassemblement.
Ce que je veux dire, c'est qu'Akwesasne est l'incarnation même de communauté frontalière. Notre situation est vraiment unique en ce sens que la moitié de notre communauté se trouve au Canada et l'autre, aux États-Unis. On peut le voir sur la carte que nous vous avons distribuée. La moitié de la communauté qui se trouve au Canada est répartie entre deux provinces, l'Ontario et le Québec. Nous avons quotidiennement affaire à deux provinces, à un État et à deux gouvernements fédéraux. Nous sommes donc habitués à un milieu dans lequel il y a plusieurs administrations.
Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne est l'instance de gouvernance reconnue au niveau fédéral du côté canadien et il comprend plus de 12 000 membres. Géographiquement, nous sommes enclavés par le fleuve Saint-Laurent. Le seul moyen de se rendre d'un district à l'autre — et l'on peut les voir sur la carte, ce sont les districts de Kawehnoke, de Kanatakon et de Tsi Snaihne en Ontario — est d'entrer aux États-Unis et de revenir au Canada dans le district du Conseil des Mohawks d'Akwesasne.
Ce trajet est incontournable et nous devons le suivre tous les jours de la vie, que ce soit pour aller à l'école ou travailler, pour assister à des offices religieux, pour faire des achats ou à des fins récréatives, sociales et culturelles. On ne peut pas aller d'Akwesasne au Canada sans passer par un point d'entrée de l'Agence des services frontaliers du Canada. Il faut passer soit par le point d'entrée de Cornwall, en Ontario, ou celui de Dundee, au Québec.
Les Mohawks continuent, comme ils le font depuis la Confédération, à exercer leur droit de nouer et de conserver des contacts, des relations et des liens de coopération avec les deux districts du Québec. Or, depuis 2009, l'agence crée des difficultés aux résidents mohawks de notre district de l'Ontario. Quand on revient dans ce district, alors même que les trois sont enclavés, il faut le contourner, se rendre dans la ville de Cornwall, se présenter aux agents des douanes et puis revenir — même si tout ce que nous faisons est de circuler au sein de la communauté.
Nous devons reconnaître que l'Agence des services frontaliers du Canada a pris des mesures positives pour régler le problème dans la communauté, et dans le district de l'Ontario en particulier. Les autobus scolaires et les véhicules d'urgence, que ce soient les véhicules de pompiers, ceux de sauvetage ou ceux de la police mohawk d'Akwesasne, sont dispensés de cette formalité. En sont également dispensées les funérailles qui comportent un enterrement dans le district de l'Ontario.
L'Agence des services frontaliers a refusé tout autre accommodement en faveur des Mohawks qui se déplacent dans la communauté, en passant d'un district à l'autre, et notamment dans le district de l'Ontario. Au lieu de cela, elle a décidé de criminaliser notre communauté qui essaie d'exercer ses droits en vertu de l'article 36 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
On peut voir à gauche la photo d'une mère et de ses deux enfants. Elle a fait l'erreur de se rendre dans le district de Kawehnoke en laissant son enfant à l'aréna avant de se présenter aux agents des douanes de Cornwall. Elle a donc été accusée de complicité. Est-ce que vous pensez qu'elle a l'air d'une criminelle? Et nos jeunes en particulier sont de plus en plus surveillés.
Ce qui est intéressant, c'est que l'Agence des services frontaliers a trouvé des solutions pour régler dans tout le Canada les problèmes des gens autres que ceux des Premières Nations. CANPASS fait partie de la série des programmes de l'agence qui permettent d'accélérer le passage à la frontière de voyageurs préapprouvés qui représentent un faible risque. Le Canada et les États-Unis ont lancé à d'autres postes frontaliers des projets qui concilient les besoins de leurs pays respectifs et la liberté de circulation des résidents locaux. Angle Inlet, au Minnesota, est seulement accessible par bateau à partir des États-Unis. L'accès routier n'est possible qu'à partir du Manitoba. Les déclarations à distance sont autorisées par vidéophone.
Le point d'entrée canadien de Stanstead, au Québec, qui se trouve en face de Morses Line, au Vermont, participe à un projet pilote de cinq ans qui permet à un agent des services frontaliers du Centre de traitement à distance de Hamilton, en Ontario, de traiter après les heures de travail des voyageurs inscrits au programme. C'est faisable dans ces cas-là, mais on refuse de le faire pour Akwesasne.
À maintes reprises, le Conseil des Mohawks d'Akwesasne a proposé des solutions pour que nous puissions exercer notre droit de circuler librement dans les territoires qui sont les nôtres. Depuis 2013, nous avons fait de nombreux exposés destinés à divers publics, dont Affaires indiennes et du Nord canadien et l'Agence des services frontaliers du Canada. On a proposé d'éventuelles solutions, dont une méthode de déclaration de rechange inspirée du système CANPASS. En outre, nous avons eu des rencontres avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'Agence des services frontaliers du Canada et le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis pour proposer une carte d'identité sécuritaire du Conseil des Mohawks d'Akwesasne pour faciliter les passages à la frontière.
Nous avons en particulier invité le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à se joindre à nous à Washington pour une rencontre, en 2014, du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, afin de proposer la carte d'identité sécuritaire du Conseil des Mohawks d'Akwesasne. Le ministère a refusé.
Le Canada n'a pas réagi à nos tentatives de trouver des solutions. Au lieu de cela, on semble trouver des raisons pour lesquelles ces solutions ne marchent pas. Ironiquement, le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis appuie la création d'une carte d'identité sécuritaire mohawk.
Merci.
M. Benedict : Pour terminer, je tiens à vous remercier de l'occasion que vous m'offrez ce soir de parler de nos problèmes frontaliers et du traité de Jay, qui touchent particulièrement notre communauté et de façon plus générale d'autres communautés autochtones. J'invite donc les membres du Sénat à rendre visite à notre communauté pour se rendre compte des réalités sur le terrain. Je sais qu'on posera des questions à ce sujet ultérieurement, mais je vous invite tous à venir voir notre communauté, à prendre connaissance de la situation et à constater le fait que la non- reconnaissance législative du traité de Jay a des répercussions sur la vie quotidienne.
Encore une fois, je tiens à vous remercier de la possibilité que vous m'offrez de témoigner. Nous sommes situés à une heure de distance de ce que certains ont qualifié de bourbier juridique, mais en tant que communauté autochtone mohawk, nous continuons d'avancer. Merci.
La présidente : Chef Erasmus, si vous pouviez prendre trois ou quatre minutes; nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.
Bill Erasmus, chef régional, Assemblée des Premières Nations : Merci, madame la présidente. Je suis le chef Bill Erasmus. Je porte un certain nombre de chapeaux ou de titres. Je suis le chef national de la nation dénée et, en vertu de ce statut, je suis également chef régional de l'Assemblée des Premières Nations et donc membre exécutif de cette assemblée. Je m'adresse à vous au nom de toutes nos tribus du Canada. J'ai en outre le privilège de faire partie du Conseil des Athabaskans de l'Arctique, qui est un organisme de surveillance des traités qui a un siège permanent au Conseil de l'Arctique. J'en suis le président international.
Si je mentionne le Conseil des Athabaskans de l'Arctique, c'est que je voudrais parler d'autres peuples que ceux de l'Est. Comme vous le savez, dans l'Ouest, nous leur avons été très reconnaissants de prendre contact bien avant nous avec les Européens. En effet dans l'extrême ouest et le nord, il faisait bien trop froid pour qu'on vienne nous déranger.
En allant vers l'ouest, ils ont conclu des traités avec nous, mais ce « ils » n'était pas le Canada, mais plutôt la Grande-Bretagne ou d'autres pays. Lorsqu'ils ont conclu un traité — et j'ai avec moi un exemplaire de deux de nos traités, soit le traité no 8 qui a été conclu en 1899 et 1900, et le traité no 11, conclu un peu plus tard, au moment de la découverte du pétrole dans la vallée du Mackenzie, en 1921 et 1922. Ces deux traités, l'un signé avec la reine Victoria, l'autre avec le roi George V, ont été conclus avec la Grande-Bretagne, car le Canada n'en avait pas le pouvoir, même en 1921. Il a fallu attendre les années 1930 pour qu'il obtienne ce pouvoir.
Ce que j'aimerais dire — et le temps passe vite, je le sais — est que, si vous examinez ces traités, qui sont valides et qui expriment la doctrine jurisprudentielle autochtone, ils montrent clairement qu'ils accordent à nos peuples — les premiers habitants de ces terres et leurs descendants — des droits inhérents. Ils montrent clairement, surtout en 1921, au moment où les Européens voulaient avoir accès à l'océan Arctique, que nous les y avons autorisés par ces traités de paix et d'amitié, qui ont été confirmés ultérieurement à deux occasions dans l'affaire Paulette. Le droit canadien nous appuie. Nous n'avons jamais été conquis; nous avons permis aux gens d'avoir accès à notre territoire dans la paix et la bonne volonté.
Vous allez jusqu'à l'océan Arctique. À l'époque, le Nunavut était les Territoires du Nord-Ouest. Nous avons donc Coppermine, une communauté inuite qui — et c'est là un fait très intéressant — est comprise dans le traité no 11. Vous avez Coppermine, Paulatuk, Inuvik, Aklavik, Tuktoyaktuk, Holman — communautés qui font toutes partie de ce territoire, parce que chaque instrument international s'applique sur une distance de 200 milles. Ainsi, le sort de toutes ces terres du Nord, depuis la frontière du Yukon et qui s'étendent jusqu'à une distance de 200 milles — je n'en connais pas les dimensions exactes — a été réglé en 1921. Il s'agit de droits conférés en vertu de l'article 30 et non pas en vertu de l'article 91 ou 92.
Ce que je veux dire, madame la présidente, est qu'il s'agissait pour nous de collaborer avec la Grande-Bretagne, avec laquelle nous avons réglé le sort de ce territoire. Tout cela est prouvé dans la législation.
Nous, en tant que Dénés — certains nous appellent Athabaskans, c'est comme cela que l'on nous désigne dans la documentation —, nous sommes en Alaska. Nous sommes aussi en Sibérie, où l'on nous appelle les Kets. Nous sommes donc en Sibérie, en Alaska et dans le territoire que l'on appelle aujourd'hui le Yukon. En fait, l'Alaska n'a été occupé par les États-Unis qu'en 1959, je crois. Vous avez donc le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, le nord du Manitoba jusqu'à la Colombie-Britannique et jusqu'au sud, en Amérique du Sud, avec les Navajos et les Apaches. Geronimo était un Déné. Nous sommes une seule famille linguistique qui a été séparée par les frontières et pas par nous, évidemment.
Ce que nous voulons dire est que, selon ce que nous comprenons du traité de Jay, celui-ci s'appliquait aux Indiens d'Amérique du Nord, ce que nous sommes, y compris les Esquimaux qui, jusqu'en 1951 ou 1952, étaient considérés selon la loi comme Indiens, à titre de premiers habitants du continent. C'est un accord nord-américain qui a reconnu nos échanges et notre négoce, et qui nous a reconnus en tant que peuples indépendants.
Dans la documentation, on parle d'un Déné de la baie Hudson qui s'est rendu jusqu'en Alaska pour commercer avec les Russes. Le récit est documenté. Le voyage lui a pris environ un an. Il s'est déplacé avec 100 ou 200 personnes. À son retour, il commerçait avec tous les gens. S'il s'est rendu aussi loin dans le Nord, qu'est-ce qui l'empêchait d'aller dans le sud, commercer avec les Mohawks ou d'autres tribus de l'Est ou de l'Ouest? Rien. Les routes commerciales s'étendaient sur toute l'Amérique du Nord.
C'est ce que le traité de Jay a reconnu — notre bonne volonté, notre désir de commercer et notre capacité de fonctionner et de prospérer. Le problème, madame la présidente, est qu'en 1812, le Canada s'est inscrit en faux contre ce traité, pour une raison ou une autre. Or, ce n'était alors qu'un nouveau venu, qui ne participait même pas aux négociations.
Les parties aux négociations étaient d'une part les Indiens, les Esquimaux et la Grande-Bretagne, au nom de l'entité qu'on appelait le Canada, et, d'autre part, les Américains. Si une partie devait s'inscrire en faux, on aurait pensé que ce serait la Grande-Bretagne ou les Indiens. Or, ce ne fut ni l'une ni l'autre mais plutôt le Canada qui, jusqu'en 1931, n'avait même pas le pouvoir de signer un traité.
Pour en arriver à une résolution, particulièrement compte tenu de la conjoncture économique actuelle, de la faiblesse du dollar et du changement de gouvernement, il incombe à nos nouveaux dirigeants d'émettre une directive. Le premier ministre en a le pouvoir; la reine n'a pas dit de cesser de respecter le traité. Elle souhaite que les choses aillent bien.
Le premier ministre doit dire, pour le bien du Canada, pour la paix, l'ordre et la bonne gouvernance, en l'occurrence en vertu de la disposition sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement, pour les relations commerciales et pour nos partenaires — soit dit en passant, j'ai en main une lettre du premier ministre qui nous invite à la rencontre des premiers ministres qui aura lieu dans deux semaines. Il nous appelle ses partenaires et c'est précisément ce que nous sommes.
Pour assurer la viabilité de ce partenariat, il suffit au premier ministre de déclarer que le traité de Jay est une entente judicieuse et de reconnaître les instruments qui sont en place. C'est aussi simple que cela; il ne faut rien de plus. Nul besoin d'adopter une mesure législative, de mettre sur pied un groupe de travail ou d'entreprendre une étude. Le premier ministre dispose du pouvoir nécessaire pour agir.
Nous pourrions nous inspirer des pratiques exemplaires et collaborer, particulièrement dans le contexte actuel où nous sommes confrontés au changement climatique et à nombre d'autres problèmes. Voilà ce que nous suggérons, notamment parce que les Gwich'in dans le Nord doivent se déplacer d'est en ouest et ont de la difficulté à traverser la frontière pour aller en Alaska, un nouvel État de création contemporaine.
La présidente : Merci, chef Erasmus, d'avoir proposé cette élégante solution.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie de vos exposés.
J'ai été frappé par les efforts de la communauté d'Akwesasne pour élaborer des solutions pratiques aux problèmes que vous avez soulevés et par les exemples que vous avez donnés pour montrer que, avec de la bonne volonté, il a été possible de trouver des solutions ailleurs au Canada où la géographie pose des obstacles au libre passage.
Vous avez mentionné à plusieurs reprises avoir communiqué avec l'ASFC et avoir appris que le Service américain des douanes et de la protection des frontières serait disposé à appuyer une initiative pour accélérer le passage à la frontière, comme le système CANPASS que vous avez décrit.
L'ASFC a-t-elle précisé pourquoi elle n'est pas disposée à mettre en place dans votre région un système qu'elle a instauré ailleurs au Canada où il y avait des problèmes similaires? L'agence a-t-elle justifié le rejet de vos suggestions pour trouver une solution pratique?
M. Ransom : L'ASFC ne nous a pas très bien expliqué sa position. Néanmoins, je peux dire que les États-Unis ont mis en place l'IVHO, l'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental. En vertu de cette initiative, les bandes autochtones des États-Unis ont l'autorisation d'émettre leurs propres cartes d'identité sécuritaires. Pour pouvoir être utilisées à la frontière, ces pièces d'identité doivent respecter les exigences en matière de technologie et de sécurité.
Le Mexique a fait de même. Les Autochtones mexicains peuvent émettre leurs propres cartes d'identité et traverser la frontière du Mexique aux États-Unis. Les bandes autochtones des États-Unis sont également autorisées à entrer sur le territoire mexicain.
Un nombre croissant de bandes autochtones du Nord ont commencé à faire la même chose. La bande la plus près du Canada est celle des Sénécas qui se trouve dans l'ouest de l'État de New York. Les Sénécas ont créé une carte d'identité conforme aux exigences de l'IVHO.
Le Canada avait dans un premier temps accepté la carte d'identité d'une bande autochtone de l'Ouest, mais il a par la suite fait volte-face et il ne reconnaît désormais aucune carte d'identité d'un peuple autochtone des États-Unis. Nous estimons que des raisons politiques sous-tendent cette position qui exige une solution politique.
Comme les tribunaux ne sont pas réceptifs à l'égard des questions autochtones, ils ne constituent pas l'arène idéale pour résoudre ce genre de problèmes. Néanmoins, avec de la volonté politique, il sera possible de faire bouger les choses, et vous pouvez y arriver.
Le sénateur Patterson : Il vous est peut-être difficile de répondre, mais vous dites que l'ASFC n'a pas vraiment justifié son refus de collaborer et que, dans un cas en particulier, elle a même fait volte-face après avoir fait preuve d'ouverture. Quelles sont les raisons politiques? Si je comprends bien, comme le problème dure depuis longtemps, plusieurs gouvernements canadiens de diverses allégeances ont adopté la même position.
Pourriez-vous émettre des hypothèses en ce qui concerne les motifs politiques qui entrent en jeu?
M. Benedict : Au cours du procès d'un membre de notre communauté, de hauts fonctionnaires de l'ASFC ont témoigné pour dire que l'agence examinait attentivement diverses possibilités pour passer au point d'entrée. Cela signifie que l'ASFC s'est demandé ce qu'il faudrait pour mettre une solution en place. C'est le coût de la mise en place d'un poste d'identification spécial qui pose problème, lorsqu'il y a une installation douanière à proximité.
Il y a toujours eu des allées et venues — à cause du traité — et de ce fait, le problème de l'identification à la frontière a toujours existé. Comme vous l'avez entendu lors du témoignage précédent, bon nombre des membres de notre communauté n'ont pas de certificat de statut d'Indien parce qu'ils n'y sont pas admissibles, ce sont des Indiens nés aux États-Unis.
Compte tenu de cette différence, ce ne sont pas tous les membres de notre communauté qui pourraient se prévaloir d'un programme d'identification spécial, parce qu'ils n'ont pas de certificat de statut d'Indien. Plus tôt, dans le cadre de certaines questions, on vous a dit que l'entrée aux États-Unis ne pose pas de problème pour un Indien, qu'il soit né aux États-Unis ou au Canada. Au contraire, il y a un problème, car certains pourront se prévaloir du programme d'identification spécial alors que d'autres n'y seront pas admissibles.
Notre point de vue diffère de celui du gouvernement du Canada qui se base sur le certificat de statut d'Indien pour établir l'admissibilité. Ainsi, le coût et l'admissibilité figurent au nombre des problèmes politiques.
Le sénateur Patterson : Vous avez entendu le témoignage de la représentante de l'ASFC. Malheureusement, comme les fonctionnaires de l'agence ne sont pas ici, ils ne peuvent entendre votre point de vue. Néanmoins, ils ont exprimé une certaine fierté du fait d'avoir embauché un agent de liaison autochtone en 2011. Cette initiative a-t-elle porté fruit dans ce dossier? A-t-elle contribué à résoudre certains des problèmes dont vous avez fait état?
M. Benedict : Elle a peut-être aidé à résoudre certains conflits sur le terrain et à interpréter la loi dans des cas d'admissions ou de transport de marchandises. Comme vous l'avez demandé plus tôt, il y a eu le Décret de remise visant les résidents d'Akwesasne. Il y a parfois des problèmes d'interprétation liés à ce document. L'agent de liaison de l'ASFC est la première personne-ressource pour l'agence, qui collabore alors avec un représentant du Conseil des Mohawks d'Akwesasne. En fait, cette initiative contribue à aplanir les difficultés.
La Loi sur les douanes pose davantage problème, car elle est très prescriptive et n'offre pas beaucoup de marge de manœuvre. Par conséquent, advenant une inspection ou la prise d'une mesure d'exécution, il y a peu d'alternatives. C'est après coup que l'agent de liaison peut intervenir. Il y a parfois des mesures d'atténuation avant, mais la plupart du temps, elles entrent en jeu après le fait.
Le sénateur Tannas : Merci beaucoup. La situation est devenue beaucoup plus claire pour moi à la dernière série de questions. Je crois que M. Pembleton a également ajouté que le traité de Jay ne confère pas de droits mais prouve plutôt que le droit des Autochtones existait déjà. Dans ce traité qui remonte à 250 ans, on a pris la peine de reconnaître qu'il y avait un problème. Cet aspect de la question est devenu clair pour moi et je vous remercie de l'avoir souligné.
Ce que nous faisons actuellement est relativement nouveau pour nous. Nous tenons ce que nous appelons des audiences sur des questions spéciales. L'objectif est de faire la lumière sur certains problèmes persistants. Ce n'est pas uniquement le Comité des peuples autochtones qui doit faire cet exercice. Les autres comités commencent également à tenir ce genre d'audiences. Nous sommes ici pour comprendre certains problèmes et y apporter des solutions et, le cas échéant, inviter les intéressés à collaborer pour remédier à la situation.
Je siège au Sénat depuis trois ans. Depuis mon arrivée, j'ai beaucoup entendu parler de la déclaration des Nations Unies entre autres. Or, ce document ne résoudra pas le problème parce que les États-Unis n'en sont pas signataires et qu'ils n'ont pas l'intention de le devenir et nous ne réussirons pas à leur faire changer d'idée. Par conséquent, c'est à nous qu'il incombe de trouver une solution pratique.
Pourriez-vous nous dire exactement, en deux ou trois phrases, ce dont vous avez besoin pour que le programme fonctionne, notamment pour vous. Que doit faire le gouvernement du Canada pour que ce programme vous soit utile? Est-ce simplement une question d'harmonisation, de procéder comme l'administration américaine, de traiter tout le monde de la même façon ou faut-il faire autre chose? Je m'arrête ici. Nous apprécierions que vous disiez par écrit de façon très simple, en termes pratiques, essentiellement ce que nous devrions recommander dans notre rapport au gouvernement du Canada pour remédier à ce problème. Merci.
M. Ransom : J'ai quelques suggestions à faire en réponse à votre demande. Premièrement, il faudrait emboîter le pas aux États-Unis et reconnaître les cartes d'identité sécuritaires des Autochtones. Cela faciliterait le passage à la frontière et permettrait aux Autochtones de s'identifier eux-mêmes comme originaires d'un côté ou de l'autre de la frontière.
Deuxièmement, il faudrait reconnaître les droits dont il est fait état dans le traité de Jay en ce qui concerne le passage de la frontière, particulièrement dans le cas de notre communauté qui chevauche la frontière entre le Canada et les États-Unis et dont les habitants doivent forcément traverser la frontière pour aller d'un district à l'autre. Ces deux mesures feraient une énorme différence. Elles devraient d'ailleurs être mises en œuvre dans le cadre d'un effort coopératif entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations.
Le sénateur Tannas : Merci.
Le sénateur Sibbeston : Pourriez-vous nous donner des précisions sur la carte d'Akwesasne? Je vois sur la carte que j'ai ici que la frontière entre les États-Unis et le Canada longe la rive. L'île en brun est-elle Kawehnoke?
M. Ransom : Kawehnoke est en fait le district ontarien de la communauté d'Akwesasne. La ligne qui le traverse représente la route où se trouve le point d'entrée de l'Agence des services frontaliers du Canada dans la ville de Cornwall, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent. Kanatakon est le petit district qui se trouve au-dessus du nom Akwesasne, dans la portion de la réserve qui se trouve au Québec. Tsi Snaihne est l'autre district d'Akwesasne au Québec. Ces trois districts relèvent du Conseil mohawk d'Akwesasne. Il est impossible d'aller de l'un à l'autre de ces districts sans passer par la portion sud d'Akwesasne, qui se trouve aux États-Unis.
Pour entrer à Tsi Snaihne et à Kanatakon, il n'y a pas de point d'entrée officiel. On accède directement au territoire. Toutefois, pour aller de l'un de ces deux districts à Kawehnoke, il faut passer par le point d'entrée de Cornwall pour s'identifier, puis rebrousser chemin et reprendre sa route. C'est insensé alors qu'on n'entre pas au Canada, mais qu'on se rend tout simplement à Akwesasne.
Le sénateur Sibbeston : J'ai simplement essayé de savoir des fonctionnaires du gouvernement ce que ces déplacements causent comme problème chaque jour. Je vous demande donc ceci : au quotidien, combien de conflits et de désaccords le passage de la frontière cause-t-il? Dans quelle mesure la vie des habitants de la communauté est-elle affectée? La situation est-elle à peu près tolérable ou y a-t-il une tension constante ou un conflit permanent entre les gens d'Akwesasne et le gouvernement fédéral?
M. Benedict : Je crois que le juge Binnie a sous-estimé la situation en disant qu'il s'agit bien plus que d'un désagrément. Il n'y a pas de conflits tous les jours. Néanmoins, il y a parfois des désaccords en matière d'interprétation ou d'admissions, en fonction de qui a le droit d'entrer au pays et qui ne l'a pas. Le plus grand problème est celui de l'attente. Les temps d'attente ont considérablement diminué, mais ils illustrent ce que nous répétons : lorsque nous nous déplaçons d'une partie de notre territoire à une autre, nous devons nous identifier au bureau de l'ASFC, pour ensuite rebrousser chemin. Voilà de loin le plus grand inconvénient, le plus grand irritant, auquel les habitants d'Akwesasne sont confrontés au quotidien.
Il arrive souvent qu'on achète des produits alimentaires ou qu'on aille chercher du courrier aux États-Unis, mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, certains produits sont inadmissibles au Canada, notamment les légumes. Des règles insensées interdisent de faire entrer certains produits au Canada. Les gens l'oublient parce qu'ils se déplacent vraiment d'une partie du territoire d'Akwesasne à une autre, mais ces lois et règlements leur sont rappelés au point de contrôle. Voilà un aperçu de la situation au quotidien.
Comme je l'ai dit, certains problèmes d'interprétation surviennent de temps à autre. Par exemple, un parent qui habite une collectivité iroquoise aux États-Unis mais qui n'a pas de certificat de statut d'Indien peut souhaiter rendre visite à un membre de la famille qui a épousé un membre de la nation sénéca à Akwesasne, mais il ne peut entrer au Canada parce qu'il a été trouvé coupable d'une infraction de conduite avec facultés affaiblies, ou qu'il a commis un petit larcin lorsqu'il avait 16 ans. Ces antécédents au dossier sont immédiatement signalés et empêchent cette personne de se rendre dans une autre collectivité iroquoise. Il va sans dire que ce genre de situations cause une certaine tension. Il pourrait par exemple s'agir d'un oncle qui souhaite rendre visite à sa famille pour assister au 13e anniversaire de sa nièce mais qui en est empêché à cause d'un problème similaire. Voilà des situations qui engendrent des problèmes.
M. Ransom : J'aimerais vous présenter quelques statistiques : le point d'entrée de Cornwall, le corridor de Cornwall, arrive au 10e rang en termes d'achalandage au Canada. Chaque année, 1,2 million de véhicules passagers passent par ce point d'entrée et 70 p. 100 d'entre eux sont des véhicules mohawks. Voilà qui donne une idée de l'utilisation que nous faisons de ce point d'entrée. Il se trouve en territoire mohawk et il fait part de notre communauté. Voilà ce qu'il en est.
Voici d'autres chiffres. Depuis que l'ASFC a déménagé ses installations à Cornwall, les entreprises de Kawehnoke ont enregistré une perte de profits de 50 p. 100 parce que leurs clients ne sont pas autorisés à s'arrêter sur l'île; ils doivent se rendre à Cornwall pour se présenter au point d'entrée d'ASFC. Une fois que c'est fait, ils ne reviennent pas sur leurs pas.
Il y a une boutique hors taxes sur la rive sud. Les automobilistes peuvent s'arrêter à cet endroit, faire des achats, rester aussi longtemps qu'ils le souhaitent avant de poursuivre leur route, mais ils ne peuvent pas s'arrêter à l'île de Cornwall ou à Kawehnoke pour acheter une bouteille d'eau. Cette situation crée des difficultés financières pour les entreprises qui se trouvent à ces endroits.
Le sénateur Sibbeston : Je vous remercie de nous avoir invités à nous rendre sur les lieux pour voir la situation de plus près. Je crois qu'une telle visite nous aiderait énormément à mieux comprendre. Pour le moment nous n'avons qu'une carte et il est difficile de visualiser exactement ce qui se passe. Par conséquent, il va sans dire que je suis intéressé à visiter le territoire d'Akwesasne, pour comprendre précisément de quoi vous parlez. D'ailleurs, j'inciterai le reste de mes collègues à visiter la réserve. J'ose espérer que nous pourrons faire cette visite au cours des prochaines semaines.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous souhaite la bienvenue. À titre de précision pour les auditeurs de l'extérieur, la frontière divise la réserve et ce découpage géographique de votre territoire vous a été imposé. Vous l'a-t-on fait savoir? Vous a-t-on consultés avant de prendre cette décision? Vous a-t-on demandé si vous étiez d'accord pour que la frontière passe là où elle est?
M. Ransom : Je vous donne un exemple. Si vous regardez la carte où il est indiqué Kawehnoke, on voit à gauche un petit territoire en blanc. Il s'agit d'une autre île, plus précisément l'île Barnhart. C'est une île mohawk. Lorsque les autorités gouvernementales ont fait passer l'île de la partie canadienne d'Akwesasne à la partie américaine, l'île est alors devenue une île américaine. C'était pourtant un territoire mohawk. On ne nous a jamais demandé notre avis. Les autorités ont pris la décision et nous ont enlevé cette île qui nous appartenait.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de cette précision. J'aimerais vous poser juste une autre question. Comme vous le savez, lorsque la frontière a été tracée, de part et d'autre de celle-ci, soit au Canada et aux États-Unis, des familles ont été séparées, n'est-ce pas? Compte tenu de cette réalité, comment peut-on faciliter le passage de la frontière pour que les familles autochtones puissent se rendre visite?
M. Ransom : Comme le territoire de la réserve est vaste, nous nous efforçons de dire que toute la communauté est celle d'Akwesasne, qu'elle représente un seul peuple, une seule communauté. Par conséquent, on voit sur les cartes Akwesasne, Ontario; Akwesasne, Québec; ou Akwesasne, New York. Ce sont des mesures positives comme celle-là qui nous permettent de nous affirmer et de dire que nous sommes d'Akwesasne, peu importe de quelle partie de la réserve nous venons. Nous nous efforçons de minimiser autant que possible l'incidence de la frontière.
Je suis né du côté américain d'Akwesasne, alors que ma femme est née du côté canadien. Mes enfants sont nés dans la ville de Cornwall, en Ontario, mais ils ont vécu toute leur vie dans la partie américaine d'Akwesasne. C'est une situation courante chez nos familles; on trouve ce genre de relations. C'est ce qui caractérise notre communauté.
M. Benedict : Si vous me le permettez, madame la sénatrice, vous avez dit que la frontière avait séparé les familles. Je vous dirai que c'est toujours le cas, et ce, pour diverses raisons : l'emplacement de la frontière, l'inconvénient d'avoir à présenter une pièce d'identité au poste frontalier, l'imprévision des délais d'attente à la frontière ou le fait de ne jamais savoir si on va tomber sur un agent frontalier d'humeur massacrante. Si vous regardez le diagramme, les résidents qui vivent dans la partie québécoise doivent s'adapter aux circonstances si jamais ils veulent assister à des fonctions familiales en Ontario, parce qu'ils doivent traverser la frontière pour s'y rendre. Il faut tout planifier en fonction du passage de la frontière. Si c'est une longue fin de semaine et que votre enfant veut aller à une fête d'anniversaire dans la partie ontarienne, vous renoncerez peut-être à l'idée d'y aller ou vous aurez à partir tôt parce qu'il faudra tenir compte du temps passé au poste frontalier, alors qu'en réalité, s'il n'y avait pas les délais d'attente à la frontière ni les problèmes d'identification, il s'agirait probablement d'un trajet de 12 minutes en voiture. Donc, la frontière continue de séparer les familles encore aujourd'hui.
M. Erasmus : Merci, madame la présidente. C'est vraiment très simple. Les facteurs économiques y ont toujours été pour beaucoup, et il en sera toujours ainsi. Vous constaterez que, pour une raison quelconque, le Canada n'a pas voulu appuyer, reconnaître et mettre en œuvre les droits qui reviennent aux peuples autochtones. Sans nos efforts, le Canada n'aurait pas eu l'occasion de conclure ce traité de toute façon. Voilà donc le premier point.
Vous remarquerez que l'ALENA a été conclu non pas pour les peuples autochtones, mais pour la population canadienne. Donc, le Canada a protégé ses intérêts, mais ce faisant, il ne suit pas la directive de la Cour suprême du Canada pour ce qui est de reconnaître les trois gouvernements souverains. Le Canada affirme que la souveraineté est assumée par les peuples autochtones, les provinces et le gouvernement fédéral. Il y a donc trois gouvernements souverains, c'est indéniable. Comme d'autres l'ont mentionné, c'est une question de volonté politique.
Je crois qu'il est important de le dire. Par ailleurs, nous avons ici une belle occasion de réconciliation, parce que cela s'est fait dans le passé; nous ne comprenons vraiment pas pourquoi les choses en sont là. Mais nos yeux sont maintenant grand ouverts. Nous parlons tous l'anglais. Nous savons tous lire et écrire. Nous sommes tous allés aux mêmes écoles. Le sénateur Sibbeston et moi sommes allés tous deux à l'Université de l'Alberta. Nous sommes des diplômés. Nous avons fait des études supérieures. Il n'y a donc aucune excuse aujourd'hui, en 2016.
Parlons un peu de ce qui s'est passé à nos peuples. Les Gwich'in ont presque perdu leur langue. Pourquoi? Parce qu'ils ne sont plus liés aux membres de leur clan qui se trouvent en Alaska et qui, eux, ont toujours leur langue. Ils ont gardé leurs pratiques, comme l'utilisation du bâton d'orateur. Par contre, ils ont perdu quasiment toutes leurs chansons. S'ils pouvaient se rassembler librement comme autrefois, comme le prévoit le traité de Jay, cela renforcerait tellement leur culture. Ils n'auraient plus à se battre entre eux pour la harde de caribous de la rivière Porcupine. En effet, ils se rendent aux États-Unis pour se disputer à propos de cette espèce. En tout cas, une telle mesure permettrait de resserrer leurs liens. Voilà pour l'axe est-ouest.
Dans l'axe nord-sud, il y a les Hupa en Californie, qui sont des Dénés. On trouve d'autres tribus dénées en Californie. Par exemple, il y a la tribu de Lake Tahoe, dans les montagnes — et d'ailleurs, « tahoe » signifie, dans notre langue, « près de Dieu ». Ce sont des Dénés. Les Navahos sont, eux aussi, des Dénés. Ils parlent leur langue. Nous comprenons leur langue et nous communiquons ainsi avec eux. Mentionnons aussi les Apaches au Mexique. Bref, ce traité permettrait de rassembler tous nos peuples et de renforcer notre culture.
Je pense que, sur le plan de réconciliation, nous pouvons faire beaucoup du côté du Canada. Nous en avons le pouvoir, et je suis sûr que le président Obama appuierait ces efforts.
La présidente : Je vous remercie de ces observations.
Le sénateur Enverga : Merci de vos témoignages. Comme vous l'avez sûrement entendu, l'ASFC a dit que les déplacements de part et d'autre de la frontière entre le Canada et les États-Unis ne posent pas de problème. Vous en avez sans doute pris acte.
Vous avez dit, chef, que vous êtes ici par souci de commodité. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous devrions étudier le traité de Jay.
J'essaie de trouver une solution simple qui pourrait vous aider peut-être à court terme. L'ajout de ports d'entrée aiderait-il les membres de votre communauté à traverser la frontière de façon plus commode?
M. Benedict : L'ajout d'un autre port d'entrée?
Le sénateur Enverga : Ou de plusieurs ports d'entrée.
M. Benedict : Non, je ne crois pas que ce soit tout à fait la solution. Il y a quelque temps, le Canada et les États-Unis ont signé l'entente Par-delà la frontière, qui visait à regrouper les douanes du Canada et des États-Unis sous un même toit. Ce projet ne s'est pas concrétisé. Pourtant, ce serait là une des solutions immédiates à Akwesasne. Mais, là encore, cela nous ramène à la question de savoir qui peut entrer au pays et qui ne le peut pas. C'est un des problèmes fondamentaux sur lesquels il y a divergence d'opinions entre les Mohawks, c'est-à-dire la communauté iroquoise, et le gouvernement canadien. De toute évidence, la colocation serait une solution.
Une autre piste de solution serait l'amorce d'un dialogue avec notre communauté en vue de mener un projet pilote sur l'instauration d'une carte sécurisée qui convient à tous.
Le sénateur Enverga : J'ai entendu parler du Décret de remise visant les résidents d'Akwesasne. Ces dispositions vous suffisent-elles? Y a-t-il des questions en suspens au sujet des droits de douane sur les marchandises importées au Canada par les membres de votre communauté?
M. Benedict : Le décret de remise satisfait partiellement certains de nos membres. Le problème réside dans l'interprétation du mot « membre ». Autrement dit, qui peut profiter du décret de remise? En fait, cette mesure ne s'applique qu'aux membres d'Akwesasne ayant le statut d'Indiens inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens.
Encore une fois, cela nous ramène au fait que le gouvernement du Canada n'utilise pas les mêmes critères que nous pour déterminer qui est membre. Il y a là une divergence. En outre, le décret ne reconnaît pas la capacité de passage frontalier des autres communautés iroquoises ni, en fait, de toute autre communauté autochtone. Il s'applique uniquement à Akwesasne, et il définit de façon encore plus contraignante le statut de membre d'Akwesasne en fonction du Registre des Indiens, au lieu de s'appuyer sur les critères utilisés par notre communauté. Voilà le nœud du problème.
Le décret de remise pourrait s'avérer utile de façon générale, mais il date de plus de 20 ans. D'ailleurs, si vous le lisez, vous verrez qu'il y est question d'importation d'huiles et de couvertures. C'est donc très précis, mais les marchandises doivent servir à l'usage personnel des membres.
Le sénateur Enverga : Que recommanderiez-vous? Si nous devions apporter des modifications au Décret de remise visant les résidents d'Akwesasne, auriez-vous des suggestions précises qui feraient l'affaire de tous?
M. Benedict : Il serait très utile d'engager un dialogue pour moderniser le décret. Récemment, le gouvernement du Canada nous a présenté une offre pour le règlement d'une revendication territoriale. Les terres en question figurent sur la carte, ici, un peu à droite.
Le hic, c'est que nos membres devront se présenter à un autre poste frontalier pour pouvoir se rendre dans la région visée par la revendication territoriale en vue d'acheter des terres là-bas. Les terres dont ils feront l'acquisition ne leur seront pas restituées.
Le problème avec le Décret de remise visant les résidents d'Akwesasne, c'est qu'il ne s'applique qu'au port d'entrée de Cornwall. Une fois que nous commencerons à élargir notre territoire, le décret ne s'appliquera pas à l'autre poste frontalier, celui de Fort Covington-Dundee, au Québec.
Voilà un énorme problème qui se pointe à l'horizon et que nous devons régler. La modernisation du décret de remise serait d'un grand secours dans l'immédiat.
M. Ransom : Si vous me le permettez, j'ajouterai que la reconnaissance du commerce intertribal est un autre sujet qui mérite d'être examiné, et j'entends par là les échanges commerciaux entre les Premières Nations et les tribus aux États- Unis.
L'ALENA permet le commerce entre le Canada et les États-Unis. Pourquoi pas le commerce entre les tribus des Premières Nations? Faites-nous participer au processus. Incluez-nous. Aidez-nous à améliorer notre situation économique. Merci.
La sénatrice Raine : J'ai trouvé très intéressant d'apprendre comment vous déterminez le statut de citoyen ou de membre d'Akwesasne, une communauté située de part et d'autre de la frontière des deux pays et des deux provinces. Avez-vous compilé les données de vos citoyens de sorte qu'elles puissent être transférées sur une carte sécurisée?
Vous avez 12 000 membres. À mon avis, une telle initiative ne devrait pas coûter cher. Ce serait, me semble-t-il, la première mesure à prendre pour rassurer tout le monde, puisqu'on saurait qui entre et qui sort, et pour faciliter le processus.
Je crois que vous avez raison de dire qu'avec la technologie actuelle, vous devriez être en mesure de le faire à partir de votre communauté, à Kawehnoke, à l'île de Cornwall. Si vous voulez vous rendre au Québec, je ne vois pas pourquoi vous devez conduire jusqu'au poste frontalier à Cornwall.
M. Ransom : Oui. J'ai oublié la question.
La sénatrice Raine : Avez-vous établi une citoyenneté commune pour Akwesasne?
M. Ransom : Nous avons un bureau des statistiques de l'état civil, qui maintient un registre des membres du Conseil des Mohawks d'Akwesasne. Du côté américain, il y a un greffier tribal, qui administre le registre des membres américains. Nous avons aussi un conseil traditionnel, qui administre son propre registre.
Les trois gouvernements mohawks ont la possibilité de travailler ensemble. On peut produire une carte d'identité sécurisée pour les trois, mais chacun y apposera son logo pour permettre aux gens de s'identifier comme membres du côté américain, du côté canadien ou du côté du gouvernement traditionnel à Akwesasne.
La technologie existe déjà. Reste à voir si la volonté politique sera au rendez-vous pour régler les problèmes et pour obtenir des résultats.
La sénatrice Raine : À titre de précision, les critères d'admission — ce qu'il faut faire pour être considéré comme un membre d'Akwesasne dans les trois catégories, pour ainsi dire — sont-ils les mêmes?
M. Ransom : Je ne suis pas un expert en la matière, mais on doit prouver une filiation mohawk, par l'entremise des grands-parents du côté maternel et paternel. J'ai oublié à combien de générations il faut remonter. Bref, on doit démontrer ce lien de filiation.
La sénatrice Raine : Est-ce la même chose au Canada?
M. Ransom : C'est ce qui se fait au Canada.
La sénatrice Raine : Donc, si on épouse un non-Mohawk, on n'est automatiquement pas un membre d'Akwesasne?
M. Ransom : Non. C'est le non-Mohawk qui ne l'est pas.
Le sénateur Moore : Merci, messieurs, d'être des nôtres.
Je veux revenir à la question de la sénatrice Raine. J'étais membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce à l'époque où nous avons collaboré avec le département américain de la Sécurité intérieure, immédiatement après les attentats du 11 septembre. Ce travail a abouti à la création de l'Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental qui a permis d'instaurer, comme vous le savez sans doute, monsieur Ransom, le permis de conduire Plus. Nous avions un projet à la frontière entre la Colombie-Britannique et l'État de Washington, ainsi qu'un autre à la frontière entre New York et l'Ontario. Ce fut un franc succès, et le permis était reconnu par les deux pays quand on traversait la frontière.
Douze mille personnes, c'est un groupe très gérable, me semble-t-il, pour mettre en place une carte améliorée. La carte contient certains renseignements personnels. La technologie est déjà là. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire cela? Pourquoi ce travail n'a-t-il pas été fait? Avez-vous essayé de le faire?
M. Ransom : Il n'y a absolument aucune raison pour que nous n'y arrivions pas, à moins que des facteurs d'ordre politique nous en empêchent.
Le sénateur Moore : À qui devez-vous vous adresser pour y parvenir?
M. Ransom : C'est entre les mains du premier ministre, en ce qui nous concerne. Il pourra décider de donner le feu vert et de demander au personnel de travailler avec les Premières Nations pour faire en sorte que nous respections les obligations de l'IVHO.
Notre gouvernement traditionnel a passé un contrat avec Siemens, qui a déjà produit un prototype. Le projet est prêt à démarrer, mais on n'arrive pas à s'atteler à la tâche au Canada.
Le sénateur Moore : Dans le cas de notre initiative, c'était une collaboration entre Sécurité publique Canada et le département de la Sécurité intérieure. Nous avons trouvé une solution. Cela s'est déjà fait.
M. Ransom : Oui.
Le sénateur Moore : La technologie est là. Nous savons quels renseignements doivent figurer sur la carte pour en garantir la fiabilité et en assurer la reconnaissance au Canada et aux États-Unis, à l'intérieur de la frontière.
Avez-vous essayé de vous adresser à notre ministre de la Sécurité publique, l'honorable Ralph Goodale? Avez-vous tenté l'expérience, ou vous en tenez-vous au Cabinet du premier ministre?
M. Ransom : Nous avons tout essayé. Même le Service américain des douanes et de la protection des frontières a essayé de convaincre le Canada de reconnaître les cartes d'identité tribale Plus, mais en vain.
Le sénateur Moore : L'approche consiste-t-elle à utiliser le même type de renseignements que ceux inclus dans les cartes conformes à l'IVHO? Est-ce bien ce que vous préconisez?
M. Ransom : Pouvez-vous répéter la question?
Le sénateur Moore : Je veux simplement m'assurer que ce que vous demandez sur le plan des renseignements à inclure dans la carte correspond, à tout le moins, à ce qui est déjà utilisé dans les projets et les permis de conduire Plus — bref, je veux m'assurer que c'est le même type de renseignements.
M. Ransom : Tout à fait. Il faut que ce soit une carte d'identité conforme à l'IVHO. Elle doit inclure tous les éléments de sécurité qui se trouvent sur un permis de conduire Plus. Les renseignements doivent être reliés à une base de données accessible. Nous sommes donc prêts à travailler là-dessus et à passer à l'action. Il est grand temps d'agir.
Le sénateur Moore : C'est ce qui s'impose. La technologie existe déjà. C'est ridicule.
Le sénateur Tannas : Pour enchaîner là-dessus, nous en sommes au tout début de ces audiences spéciales et, pour ma part, je tiens à ce que nous fassions toute la lumière sur ce dossier. Vous nous avez fait des demandes très succinctes, très concrètes et très précises. Ce dont vous avez besoin pour améliorer la vie des membres de votre communauté est, à nos yeux, l'évidence même. Il est tout à fait inadmissible que cette situation perdure depuis si longtemps. Nous nous sommes enquis auprès de l'ASFC, et le sénateur Sibbeston a pressé les représentants de l'agence de nous faire part de toute question dont ils auraient voulu discuter ou de tout point qui n'avait pas été soulevé. Y avait-il un problème caché ou quelque chose de ce genre? Non, rien de tel.
J'espère donc que vous êtes enfin venus au bon endroit et que nous pouvons vous aider. C'est certainement ainsi que je vais voter, et je pense que d'autres sénateurs sont du même avis. Nous travaillerons fort pour faire pression en votre nom. Nous vous remercions de votre présence ici.
Le sénateur Patterson : Bravo! Bien dit!
Le sénateur Watt : J'appuie mon collègue, et je pense qu'il est grand temps de passer à l'action; voilà longtemps qu'on aurait dû livrer le message à la bonne personne — une personne qui, comme vous l'avez souligné, a le pouvoir d'agir. Il faut en discuter avec cette personne et arrêter de faire traîner le dossier.
Je crois que les membres du comité de direction se réuniront pour décider de la manière de traiter cette question. Ai- je bien compris?
La présidente : Oui, nous avons certes l'intention d'y donner suite.
Le sénateur Watt : Comme je ne suis pas membre à part entière du comité, je m'abstiens de poser des questions. Quand je m'y mets, j'ai tendance à parler indéfiniment, mais il faut que je m'arrête à un moment donné. Je ne veux déranger personne.
La présidente : Merci, sénateur Watt. Je remercie tous les membres du comité et, en particulier, nos témoins. Le sénateur Tannas l'a très bien résumé : c'est l'évidence même. Nous n'oublierons pas, et nous tiendrons compte de vos recommandations pour faire toute la lumière sur le dossier.
Voilà qui met fin à notre séance de ce soir.
(La séance est levée.)