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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 4 - Témoignages du 23 mars 2016


OTTAWA, le mercredi 23 mars 2016

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 47 pour étudier les pratiques exemplaires et les problèmes constants du logement dans les collectivités des Premières Nations et les collectivités inuites du Nunavut, du Nunavik, du Nunatsiavut et des Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir. Je désire souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui assistent en personne à la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui la regardent sur la chaîne CPAC ou sur le Web.

Sénateurs, avant de commencer nos travaux, je pense qu'il serait opportun de se souvenir de M. Jim Hillyer, député de Medicine Hat, qui est décédé ce matin. Nos pensées accompagnent sa famille et ses enfants dans ces moments difficiles. Nous allons observer un moment de silence.

[Le comité observe une minute de silence.]

Je m'appelle Lillian Dyck. Je suis de la Saskatchewan et j'ai le privilège et l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J'invite maintenant mes collègues à se présenter. Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.

Le sénateur Sibbeston : Nick Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest.

Le sénateur Moore : Bienvenue. Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Sénateurs, je vous remercie.

Le mandat de notre comité consiste à examiner les dispositions législatives et les questions ayant trait aux peuples autochtones du Canada en général.

Ce soir, nous allons continuer d'entendre des témoignages liés à notre étude sur le logement dans le Nord, puisque nous avons pour mandat d'étudier les pratiques exemplaires et les problèmes constants du logement dans les collectivités des Premières Nations et les collectivités inuites du Nunavut, du Nunavik, du Nunatsiavut et des Territoires du Nord-Ouest.

Sénateur Watt, je vois que vous êtes accompagné d'invités spéciaux. Nous vous saurions gré de nous les présenter.

Le sénateur Watt : En effet. Merci, madame la présidente.

[Note de la rédaction : Le sénateur Watt s'exprime en inuktitut.]

Il s'agit d'élèves de l'école Sautjuit de Kangirsuk, au Québec. Ils sont en visite ici pour en apprendre le plus possible sur la façon dont nous, dans le Sud, tentons de répondre aux besoins de la population canadienne. Je leur souhaite la bienvenue au Sénat; j'espère qu'ils pourront constater le bon travail que nous réalisons de temps à autre pour le compte des gens que nous représentons.

[Traduction]

La présidente : Merci, sénateur Watt.

Bienvenue au Comité des peuples autochtones. C'est toujours formidable d'accueillir des jeunes dans cette enceinte. Nous serons ravis de recueillir les commentaires des jeunes lorsque nous nous rendrons dans le Nord.

Ce soir, notre premier témoin est M. Christopher Duschenes, qui est directeur des Politiques autochtones et du Nord au Conference Board du Canada.

Monsieur Duschenes, vous pouvez présenter votre déclaration préliminaire. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.

Christopher Duschenes, directeur, Politiques autochtones et du Nord, Conference Board du Canada : Merci beaucoup. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. J'ai déjà comparu devant ce comité par le passé alors que j'occupais d'autres fonctions. J'ai passé près de 20 ans au sein du ministère qui s'appelle maintenant Affaires autochtones et du Nord Canada et, il y a de nombreuses années, j'ai aussi travaillé pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, alors que le sénateur Patterson était premier ministre.

[Français]

C'est un plaisir pour moi d'être ici pour partager mes perspectives avec vous.

[Traduction]

Je dois admettre que je ne suis pas un spécialiste du logement. Je suis heureux de constater que Terry Audla et d'autres représentants de la Société d'habitation du Nunavut sont ici aujourd'hui, et que vous avez eu l'occasion d'entendre le témoignage de Natan Obed, de l'Inuit Tapiriit Kanatami, ainsi que de responsables de la SCHL. Je souhaite aujourd'hui, vous présenter le point de vue du Conference Board du Canada, qui est un institut de recherche. Depuis plus de 60 ans, nous réalisons des travaux de recherche fondés sur des données probantes, empiriques et impartiales sur des politiques publiques. Nous ne défendons pas d'intérêts particuliers. Nous effectuons des travaux de recherche au nom des membres du Conference Board et d'autres personnes qui ont recours à nos services dans le cadre de contrats. Nous sommes fiers d'aborder des politiques publiques difficiles et nous employons à conseiller les décideurs et à les aider à mieux comprendre les enjeux de l'heure.

Nous avons réalisé des études importantes sur le logement et les infrastructures dans l'Arctique. Je pourrai vous envoyer plus tard d'autres exemplaires de certains de nos rapports. J'ai en main une copie d'un rapport sur le logement que nous avons publié en 2012; nous réalisons un large éventail de travaux de recherche, dont certains portent sur le logement, tandis que d'autres ont trait à d'autres questions.

Avant d'aborder les travaux effectués par le Conference Board et les observations générales faites par notre équipe de recherche depuis de nombreuses années sur des enjeux touchant l'Arctique, je pense qu'il serait essentiel que le comité réfléchisse aux résultats qu'il souhaite obtenir en menant cette étude. Je suis persuadé que vous y avez déjà pensé. D'après mon expérience à Affaires autochtones et du Nord Canada et au Conference Board du Canada, j'ai compris qu'il était important d'établir une distinction entre deux enjeux très différents. Premièrement, les quatre régions inuites visées par Affaires autochtones et du Nord Canada traversent actuellement une crise sociale. Les solutions immédiates à cette crise sont très différentes de celles qui pourraient être adoptées à long terme. Certaines mesures doivent être prises immédiatement, tandis que d'autres devront faire l'objet de réflexions approfondies, car elles porteront sur la planification et l'avenir des enjeux touchant le logement et la croissance dans ce secteur.

Mes commentaires porteront davantage sur le deuxième élément : quelles questions étudiées par le passé sont plus axées sur la planification à long terme du logement et nous permettent de mieux comprendre ce que nous savons déjà?

J'ai décidé de me concentrer sur la planification à long terme et d'examiner certaines des principales conclusions tirées de centaines de rapports de recherche portant sur divers aspects du logement dans les communautés inuites et les autres communautés autochtones. D'autres témoins experts vous présenteront des renseignements très précis sur leur région respective. Au Conference Board, nous prenons souvent du recul pour avoir une vue d'ensemble des travaux de recherche réalisés dans un secteur donné afin d'en tirer les conclusions principales.

J'espère sincèrement que le comité ne produira pas un autre rapport dans lequel il se contentera de ressasser les mêmes questions. Loin de moi l'idée de vous manquer de respect, mais je tiens à souligner que, selon notre analyse, il existe déjà énormément de renseignements sur cet enjeu.

Les mêmes questions ont fait l'objet d'études innombrables de la part d'autres comités, de nombreux chercheurs, dont le Conference Board — nous avons aussi notre part de responsabilité —, d'universitaires, de consultants et de fonctionnaires. Il existe une quantité phénoménale de renseignements sur les besoins en logement dans les régions inuites, et nous connaissons les solutions à ce problème. Quand je dis « nous », je parle de l'ensemble de la société. Je suis persuadé qu'il n'est pas nécessaire d'agir immédiatement et à long terme. Nous n'avons pas besoin de plus amples recherches. Nous pourrions bénéficier d'autres travaux de recherche, mais ce n'est pas absolument nécessaire.

Pour étayer mon point de vue, j'ai procédé à une analyse très simple de l'information du domaine public. Ma méthodologie n'était pas scientifique ni exhaustive, mais elle montre à quel point cet enjeu a été examiné sous toutes ses coutures. Cet exercice a bien amusé mes enfants. J'ai effectué six recherches simples à l'aide du moteur de recherche Google en anglais. Si vous cherchez sur Google « Autochtones et logement », vous obtiendrez plus de 41 millions de résultats. Si vous cherchez « répercussions des mauvaises conditions de logement sur les peuples autochtones », vous obtiendrez 14,6 millions de résultats. Google va chercher toute l'information qui existe sur un sujet donné dans Internet. Par conséquent, on n'obtient pas 14 millions de rapports, mais on se rend compte qu'il existe une quantité impressionnante de renseignements.

Si vous cherchez « Inuits et logement », vous obtiendrez près d'un demi-million de résultats. L'expression « crise du logement chez les Inuits » donnera 56 000 résultats, tandis que « conception innovatrice de logements dans l'Arctique » fournira un peu moins d'un demi-million de résultats. Je pourrais continuer longtemps. Les chercheurs du Conference Board ont analysé une énorme quantité de renseignements qui existent déjà.

En fin de compte, j'incite ardemment le comité à axer ses travaux en la matière d'abord et avant tout sur l'adoption de mesures concrètes, fondées sur les pratiques exemplaires, dans le but de trouver des solutions immédiates. Nous savons que cette crise ne cesse de s'aggraver depuis de nombreuses années. J'espère que, collectivement, nous pourrons trouver des solutions à long terme.

En analysant un large éventail de renseignements rendus publics, mon équipe de chercheurs a formulé neuf observations liées à l'élaboration d'une solution à long terme. En examinant ces observations, nous avons tenté de déterminer les éléments incontournables, c'est-à-dire les problèmes qu'il faut régler pour pouvoir améliorer considérablement la situation du logement dans les quatre régions inuites.

J'aimerais maintenant vous parler des neuf observations, en commençant par les renseignements. Il existe déjà une énorme quantité de renseignements. Cette question a été étudiée de façon exhaustive. On peut avoir facilement accès à une foule de renseignements sur les tous les aspects de la question du logement.

La deuxième observation porte sur les répercussions de l'état de la situation. Il existe également une très grande quantité de renseignements sur les mauvaises conditions de logement dans l'Inuit Nunangat et un aussi grand nombre d'analyses sur les répercussions de cette situation. Nous savons que la crise fait rage et qu'elle se répercute sur des questions comme la santé, la cohésion sociale et familiale, la violence familiale, la réussite scolaire, les perspectives d'avenir et le bien-être de l'ensemble de la collectivité. Je n'ai pas examiné 141 millions de rapports, mais ces thèmes sont ressortis en ce qui concerne les répercussions des mauvaises conditions de logement.

Le thème suivant porte sur l'offre et la demande. Des preuves cohérentes révèlent que la demande dépasse l'offre et que, dans certaines régions, cette situation est en train de s'aggraver. Un très grand nombre de recherches — et le sénateur Watt est sûrement au courant — indiquent que la situation s'est détériorée encore plus rapidement au Nunavik.

Un autre thème porte sur les technologies et la conception liées au logement dans l'Arctique. On a mis à l'essai de nombreuses conceptions et techniques de construction de pointe, qui ont souvent connu du succès. Des projets concernant des ventilateurs-récupérateurs thermiques, des matériaux isolants, l'efficacité énergétique et des techniques de construction sur le pergélisol ont fait l'objet de nombreuses recherches et ont été mis en œuvre. Nous disposons d'excellentes solutions techniques. La recherche révèle que ces projets ne sont pas tous idéaux, mais la plupart d'entre eux donnent de bons résultats. C'est la même chose lorsqu'on achète une maison à Ottawa. Les systèmes dont elle est munie ne sont peut-être pas à la fine pointe de la technologie, mais on sait qu'ils fonctionnent bien.

Beaucoup de travaux ont aussi été réalisés en vue d'adapter les logements aux différences culturelles. Nous avons également trouvé des exemples de réussite dans ce domaine.

Cette recherche nous a aussi permis de constater que le taux de réussite est plus élevé lorsque la collectivité s'approprie les projets et qu'elle participe activement à leur réalisation. En effet, la conception, la construction et l'entretien des maisons présentent un taux de réussite plus élevé lorsque la collectivité a le sentiment d'avoir un mot à dire dans le processus et les résultats.

Le sixième thème constaté a trait au renforcement des capacités. La construction et la gestion des logements engendrent d'excellentes possibilités de renforcement des capacités dans les collectivités. Il existe de nombreux exemples de réussites dans ce domaine. Ce n'est pas toujours le cas, mais ces projets représentent souvent une occasion idéale de renforcer les capacités à l'échelle locale.

Les trois dernières observations entrent dans une catégorie différente, qui, selon moi, doit absolument faire l'objet d'un financement. Par pure coïncidence, je présente aujourd'hui, mon témoignage le lendemain du dépôt du budget qui, à première vue, semble contenir des engagements encourageants en matière de financement, plus particulièrement pour le logement dans les régions inuites.

La recherche nous révèle que les coûts de construction sont très élevés dans l'Arctique — ils sont trois fois supérieurs à ceux constatés dans le Sud. Cette question n'est pas liée au budget. Les fonds ont toujours été insuffisants pour permettre de régler la crise du logement. L'investissement de fonds publics n'a jamais permis de régler le problème, et il est peu probable qu'il permette un jour de le faire. Un grand nombre de recherches indiquent qu'il est nécessaire de diversifier les modèles de financement. Je ne dis pas que c'est possible ou non, mais c'est ce que révèlent de nombreuses recherches.

La huitième observation porte sur la logistique et la planification à long terme. Il est compliqué de construire des logements dans le Nord, mais, grâce à des mesures efficaces de planification et de gestion à long terme, il est possible de relever entièrement ou partiellement les défis propres à la situation des Inuits. Je suis convaincu que la Société d'habitation du Nunavut fera état des compétences extraordinaires existantes qui permettraient de faire le travail avec efficacité.

Enfin, de nombreux travaux de recherche rapportent que le logement dans les régions inuites rassemble tant de joueurs qu'il est difficile d'établir les rôles et les responsabilités de chacun et la façon dont la gouvernance est assurée en matière de logement, de la conception au produit final. Dans certains cas, les choses sont mieux définies, mais la recherche et les écrits sur le sujet font état du manque de clarté à cet égard, ce qui crée des difficultés, de l'inertie et de la confusion entre les différents ordres de gouvernement.

Il faut donc instaurer une étroite collaboration et coordination entre les différents organismes et ordres de gouvernement. Je suis ravi d'entendre que vous avez consulté plusieurs représentants de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, car je me suis moi-même entretenu avec eux.

Bref, à la suite de son examen, au demeurant quelque peu superficiel, de la vaste quantité d'informations existantes, le Conference Board a conclu qu'il faut augmenter le financement et trouver des formules novatrices pour l'obtenir et l'utiliser.

Pour assurer une gouvernance efficace, il est essentiel d'assurer une coopération et une collaboration soutenue entre les organismes, assorties d'une participation importante de la collectivité. Il faut aussi adapter les modèles de gouvernance à chaque région inuite, voire à chaque communauté inuite.

Troisième conclusion et observation générale : il est indispensable d'effectuer une planification judicieuse à long terme traitant des défis et des possibilités en matière de logistique, d'infrastructures et de développement des moyens.

Je ne prétends pas avoir présenté une revue exhaustive des écrits sur la question. En gros, mon message est qu'il existe une mine d'informations et que ce serait dommage de ne pas tirer profit des meilleurs travaux déjà effectués pour trouver des solutions aux écueils évoqués.

Sans vouloir minimiser la complexité de la question, que je reconnais tout à fait, je dirai qu'à bien des égards, nos connaissances, sans être parfaites, sont suffisantes pour que nous passions à l'action. La crise ne fera que s'aggraver si nous attendons avant d'agir que les circonstances soient parfaites et que la question n'ait plus de secrets pour nous.

Bien que je salue l'engagement du comité à s'attaquer au problème, je l'invite, comme je l'ai évoqué précédemment, à considérer sérieusement le produit final de ses délibérations et le contenu de son rapport, pour que celui-ci influence et aide les intervenants chargés de l'octroi des contrats et de la construction des maisons, de même que les membres des communautés, à être aussi efficaces que possible.

En 2012, on a demandé au Conference Board de faire une revue des études de cas concernant les projets de logement les mieux réussis dans le Nord. Comme je l'ai dit tout à l'heure, j'ai une copie de ce rapport avec moi. L'un des constats les plus positifs de cette recherche — effectuée avant mon arrivée au Conference Board — a été la facilité avec laquelle ont pu être trouvées des études de cas issues de l'Arctique canadien et des régions circumpolaires qui sont emballantes, novatrices et intéressantes. La plus grande difficulté qui se posera à notre pays, à ses gouvernements et à ses organismes de recherche consistera à mettre ces réussites à contribution.

Merci beaucoup. C'est un plaisir d'être ici aujourd'hui.

La présidente : Merci, monsieur Duschenes, de cet excellent aperçu, qui nous indique, ainsi qu'à nos analystes, les informations à notre disposition. Nous devrons veiller à bien concentrer nos efforts et à faire en sorte que notre rapport ne reste pas lettre morte.

En général, je crois que les rapports des comités sénatoriaux sont beaucoup lus et s'avèrent utiles. On pourrait dire que l'un des principaux avantages d'un rapport du Sénat tient au fait que celui-ci s'adresse directement au ministre concerné, à qui nous demandons de porter attention à la question soulevée, contient des recommandations et fait l'objet d'un certain suivi. Nous allons assurément tenir compte de vos propos.

Nous avons entendu des observations semblables, pas plus tard qu'hier soir, sur l'absence de collaboration entre les différents intervenants dans le dossier du logement, qui a une incidence directe sur les occupants, car les politiques et les programmes ne fonctionnent pas comme prévu.

Avant de passer aux questions, étant donné les vastes connaissances accumulées et les recommandations formulées dans les nombreux rapports, quel est le principal facteur à l'origine de l'inertie, si on veut l'appeler ainsi, ou des progrès insuffisants par rapport au logement dans le Nord?

M. Duschenes : Voilà une très bonne question. Je ne peux répondre qu'en avançant des hypothèses.

Tout d'abord, croyez que je ne voulais pas insinuer que les rapports des comités sénatoriaux ne sont pas lus.

La présidente : Ce n'est pas ainsi que j'ai interprété vos paroles, monsieur.

M. Duschenes : C'est bien. Vous m'en voyez content.

La situation s'explique assurément par une série de facteurs. J'ai eu l'occasion de me pencher directement sur cette question lorsque j'ai travaillé très étroitement avec Makivik et la Société d'habitation du Québec sur le problème de logement au Nunavik. Sont en jeu certains facteurs de longue date, dont le sénateur Watt peut sans doute parler avec beaucoup plus d'éloquence que moi. Pensons, par exemple, à la croissance de la population qui, sans être nécessairement imprévue, a certainement été incroyablement rapide et l'a emporté sur la capacité de bâtir des logements. Par ailleurs, l'inconstance du financement au fil des années empêche les gens à la tête des projets de construction de connaître les montants dont ils disposeront et de planifier en conséquence, ce qui touche non seulement la construction, mais aussi l'entretien continu des maisons. Ainsi, les organismes voient leur capacité varier selon le financement qui leur est accordé. Dans l'inconnu, il est difficile de planifier.

Il faut aussi reconnaître le mérite des gens du domaine de la technologie de la construction. Dans le Nord, la technologie de pointe en matière de construction et de logement de qualité représente un marché et une science en pleine évolution. Certaines choses accusent du retard par rapport aux progrès scientifiques.

Il y a quelques semaines, j'ai eu des conversations très intéressantes avec des gens de la SCHL au sujet des ventilateurs-récupérateurs de chaleur, lesquels sont conçus pour un certain nombre d'occupants dans une maison. Étant donné le surpeuplement soudain des maisons, la qualité de l'air se vicie, des problèmes de moisissures apparaissent, les maisons se détériorent à un rythme accéléré et deviennent inhabitables. Voilà qui aggrave le problème.

Pour répondre à votre question, il y a tant de facteurs qui contribuent à la pénurie de logements qu'il m'est impossible d'en cerner un seul. Différents éléments se combinent et s'accumulent au point de créer une crise.

Vous êtes-vous entretenus avec des représentants du Nunatsiavut? Non? Selon l'entente sur l'autonomie gouvernementale du Nunatsiavut, celui-ci obtient un transfert en bloc et décide de la façon dont les fonds seront dépensés, selon les priorités établies. En quelque sorte, les autorités du Nunatsiavut ont les mains liées quant à l'allocation des sommes dont elles disposent annuellement et il n'y a tout simplement pas suffisamment d'argent pour le logement. Elles ont de la difficulté à obtenir les fonds attribués par la SCHL aux provinces dans le cadre de l'Initiative en matière de logement abordable.

Il y a un autre exemple où l'entente sur l'autonomie gouvernementale ne permet pas de toucher les ressources financières nécessaires et où il est impossible d'avoir accès aux fonds fédéraux transférés aux provinces pour le logement social.

La présidente : Merci.

Je cède maintenant la parole au vice-président, le sénateur Watt.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre exposé. Vous nous pressez d'adopter une perspective à long terme plutôt qu'à court terme. Voilà un conseil que nous espérons suivre.

Vous avez mentionné que la question a été beaucoup étudiée et qu'elle est bien connue. Les comités parlementaires y ont consacré beaucoup d'attention, pour une raison ou une autre, ce dont je suis content.

Selon vous, il faut miser sur les meilleures pratiques établies. Comment s'y prendre? La question paraît peut-être un peu sotte, mais, quelle est la meilleure façon de suivre votre conseil, c'est-à-dire découvrir ce qui a été appris au lieu de réinventer la roue?

M. Duschenes : Voilà une question excellente et plutôt troublante. Selon moi, la question a été trop étudiée, ce qui n'aide pas les choses. Ce n'est pas tant que les études individuelles sont mauvaises, mais plutôt qu'il est difficile de séparer le bon grain de l'ivraie — j'ignore l'équivalent dans le Nord : le muktuk de quelque chose d'autre.

Il existe tant d'études que, lorsque moi et ma petite équipe de chercheurs avons entrepris la tâche confiée par M. Palmer, l'énormité de celle-ci nous est tout de suite apparue, à la vue des 140 millions d'entrées Google qu'il nous fallait écrémer.

C'est une très bonne question. Vous aurez besoin d'analystes en mesure de faire le tri dans certains domaines. Quelles sont les meilleures pratiques en matière de conception adaptée à la culture et en matière de technologie, comme la construction sur le pergélisol? Il existe beaucoup de littérature sur ce sujet. Il y a aussi la question de l'enveloppe de l'édifice. Quels sont les meilleurs exemples de participation et de gouvernance communautaires? Et qu'en est-il de la collaboration entre les différents ordres de gouvernement — question pour laquelle il existe les plus grandes lacunes, à mon avis?

Sénateur Patterson, ce n'est pas une mince tâche de se lancer à la recherche des meilleures pratiques de toutes. Les différentes corporations de logement dans le Nord ont peut-être fait ce genre d'études. Toujours est-il que, de l'extérieur et avec le peu de temps dont nous disposions pour préparer notre témoignage, la quantité d'informations nous est parue énorme.

Au Conference Board, nous avons tenu compte de quelques études de cas qu'on avait portées à notre attention. Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, loin de là. Je présume toutefois que les organisations de revendication territoriale des quatre régions inuites, les gouvernements territoriaux et ceux du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador ont une idée des meilleures pratiques, mais il reste que c'est ahurissant. Il existe une énorme quantité d'informations.

Je n'y ai pas pensé pendant mes recherches, mais, à bien y songer, je ne me souviens pas d'avoir vu beaucoup de rapports sur le logement publiés par le Parlement. C'est intéressant. Beaucoup de rapports ont été publiés par des instituts de recherche, des universitaires, des organisations de revendication territoriale, par des corporations de logement ou autre, mais peu d'entre eux proviennent de la fonction publique.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé de réussites dans certains domaines. Dans votre rapport de 2012, elles sont désignées meilleures pratiques ou meilleures démarches. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Où se trouvent ces exemples qui sont prometteurs en ces temps de crise?

M. Duschenes : Oui. Il est bon que vous mettiez les choses en contexte en disant « en ces temps de crise ».

Nous nous sommes penchés entre autres sur les maisons dont les panneaux isolés s'emboîtent et qui prennent peu de temps à construire. Des piles de panneaux sont remises à la communauté. Les maisons sont constituées essentiellement de panneaux isolés transportés depuis le Sud, où ils sont fabriqués. Les panneaux s'emboîtent et les maisons sont rapidement prêtes à être habitées.

Voilà une pratique exemplaire en temps de crise, pour revenir à ce que j'ai dit tout à l'heure. Il faut des abris, des logements. La construction est rapide. Le fabricant se trouve à Prescott, je crois — Kott.

Le sénateur Watt : Il s'agit d'une compagnie ontarienne?

M. Duschenes : La compagnie est établie en Ontario. Les panneaux isolés sont expédiés au Nunavut, où les maisons sont construites. Voilà une pratique exemplaire en matière de construction rapide d'abris et de logements. S'agit-il d'une pratique exemplaire en matière de développement des capacités dans le Nord, de prise en charge par la communauté et de participation communautaire? Non.

La désignation des pratiques exemplaires dépend de l'objectif final. S'il s'agit de planification à long terme, ce n'est pas une bonne solution. S'il s'agit de fournir immédiatement un abri — peut-être « immédiatement » n'est pas le terme juste —, de prendre les dispositions nécessaires pour fournir un abri en très peu de temps, c'est alors une pratique exemplaire.

On catégorise les pratiques exemplaires en fonction de ce qu'on tente d'accomplir. La littérature fait état de différentes pratiques exemplaires. Il n'y a pas de maison qui constitue la pratique exemplaire entre toutes. Une maison sera désignée exemplaire pour une situation donnée, du point de vue de la qualité de l'air, de l'efficacité énergétique ou de construction sur un pergélisol. Il est difficile d'établir qu'une pratique est exemplaire.

Selon ma propre expérience, les pratiques de Makivik le sont en matière de développement des capacités et de construction locale.

Le sénateur Watt : Sans oublier les coûts.

M. Duschenes : Et le coût au pied carré. Makivik est certainement un chef de file à cet égard.

Existe-t-il une pratique exemplaire? En ce qui concerne les formules de financement originales et novatrices, nous n'en avons pas trouvé. La littérature comporte des manques à cet égard. Je pense que vous êtes tous au fait de la situation par rapport au régime de logements du marché, que ce soit dans les réserves ou dans le Nord. Il s'agit d'une approche complexe, voire intenable.

Habitat pour l'humanité offre des exemples intéressants, mais il y a eu peu de documentation et de recherches sur les modes de financement novateurs qui permettent de ne pas dépendre des fonds publics.

Le sénateur Patterson : Il nous faudra évidemment étudier votre rapport, mais, en ce qui concerne les pratiques exemplaires, le Conference Board a-t-il cherché à savoir comment, dans d'autres régions du monde — notamment dans les régions circumpolaires, y compris le Groenland et l'Alaska —, on s'est attaqué aux problèmes de logement, et y a-t- il des leçons que nous pourrions tirer de ce qui se fait au-delà de nos frontières?

M. Duschenes : Nous n'avons pas étudié cet aspect en particulier. Cette question a déjà été abordée de façon relativement exhaustive. J'ai consulté des représentants du Conseil de l'Arctique et d'Affaires mondiales Canada ainsi que la haute représentante au Conseil de l'Arctique, avant qu'elle occupe son poste à Miami, afin de savoir si le Forum économique mondial envisageait, par l'entremise du conseil sur les priorités mondiales relatif à l'Arctique, d'établir une comparaison entre les différents modes de financement et de construction des infrastructures en vue de cerner les pratiques exemplaires. Cependant, le Conference Board ne s'est pas penché sur cette question dans les régions circumpolaires.

Le sénateur Watt : Madame la présidente, ne m'interrompez pas trop vite, cette fois-ci.

Votre approche est très intéressante. J'attends depuis longtemps qu'un membre de la fonction publique prenne part à la discussion et au dialogue — notamment dans le cadre d'un comité, comme nous le faisons en ce moment — afin que nous examinions une question dont nous devons également tenir compte : la capacité d'avoir un toit au-dessus de sa tête. Les coûts font partie des facteurs à considérer, tout comme d'autres facteurs tels que la durée de vie de chaque immeuble. Combien de temps ces matériaux de construction prennent-ils à se détériorer?

J'ai observé des travaux de rénovation de maisons existantes. Le financement de ces travaux provient surtout du gouvernement du Québec, puisque le gouvernement fédéral a tardé à injecter les fonds dont nous avions besoin pour répondre aux problèmes de logement. Le manque d'aide pour répondre aux besoins de notre population est attribuable à bien des facteurs.

Vous avez souligné que nos collectivités sont actuellement aux prises avec une crise sociale, que ce soit au Nunavik, au Nunavut, au Nunatsiavut, ou dans les Territoires du Nord-Ouest. Bon nombre de problèmes sont liés au fait que ces petites maisons sont surpeuplées. Il peut y avoir des gens de deux, trois, voire quatre générations qui vivent dans la même maison. Même sans y réfléchir longuement, on peut comprendre que le fait de vivre dans l'une de ces petites maisons mobiles avec un très grand nombre de personnes puisse causer toutes sortes de problèmes sociaux. Compte tenu des difficultés auxquelles ces gens sont confrontés, on peut comprendre, dans une certaine mesure, que le fait de devoir vivre dans une maison exiguë puisse leur causer un problème social.

Je ne sais pas si nous pouvons trouver une solution à court terme. Peut-être que nous pouvons répondre à une partie des besoins de certaines collectivités à court terme, mais le problème est de déterminer où se procurer les ressources nécessaires à cette fin. Au bout du compte, il s'agit toujours de déterminer qui paiera pour cette solution.

Comme vous le savez, à eux seuls, ceux qui habitent dans ces maisons n'ont pas de pouvoir d'achat. Dans le Nord, que ce soit dans les Territoires du Nord-Ouest ou n'importe où dans l'Arctique, le pouvoir d'achat de la population est pratiquement nul. Sachant cela, comment peut-on devenir plus productif? Prenons l'exemple de Kuujjuaq, la collectivité la plus près, au sud. Selon une étude réalisée par l'Université Laval, le pouvoir d'achat des gens qui y habitent équivaut à 25 cents seulement.

Je crois que ce facteur ainsi que la provenance du financement devraient être pris en compte en vue de trouver au problème du logement une solution qui assure un rapport plus équilibré entre les gens qui vivent dans le Nord et ceux qui vivent dans le Sud, car il y a un déséquilibre complet à cet égard. Les gens du Nord n'ont aucune épargne à cause du coût élevé de la vie, du transport et des marchandises. Il faut payer pour tout, y compris pour se procurer des aliments. Je dirais que les Inuits sont très chanceux dans la mesure où ils peuvent aller chercher de quoi se nourrir dans la nature. Si nous n'avions pas accès à de telles ressources, où en serions-nous aujourd'hui? Nous aurions du mal à joindre les deux bouts.

L'équipement coûte très cher. Il faut avoir un bateau, des canots, des moteurs et une motoneige. Cela coûte très cher. Pour trouver une solution, il faut tenir compte de ces facteurs.

J'aimerais revenir à la question de la rénovation. J'ai vu des maisons dont la construction date d'il y a cinq ou six ans. Cinq ans après avoir investi 500 000 $ pour la construction d'une maison, on doit déjà réinvestir 500 000 $ pour la rénover. Nous sommes aux prises avec un cercle vicieux; il faut donc y trouver une solution.

Pour revenir à vos observations sur les solutions à long terme, je pense qu'il existe une solution. Je crois que l'un des aspects que nous n'avons pas encore commencé à examiner est la possibilité de se procurer des matériaux locaux, notamment des matériaux de construction. L'investissement initial pour l'acquisition d'équipement pourrait coûter très cher, mais, à long terme, cette solution serait probablement beaucoup moins coûteuse. Ce serait probablement plus abordable pour ces gens qui n'ont qu'un pouvoir d'achat de 25 cents. Il faut donc se pencher sur la question de l'approvisionnement.

Je suis porté à croire que la solution novatrice à long terme existe déjà. Je crois qu'elle est à notre portée. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de s'adresser à la communauté internationale. Je crois que cette technologie se trouve dans notre propre pays.

Nous devons trouver une façon de la mettre en œuvre. Qu'allons-nous construire? Allons-nous changer le paysage, le visage de l'Arctique? Autrement dit, à long terme, allons-nous éliminer toutes les maisons actuelles pour les remplacer par des habitations élaborées au moyen d'une technologie novatrice?

Par exemple, avant de commencer à vivre dans des maisons en bois, les Inuits vivaient dans des igloos. En été, ils vivaient dans des tentes. Si nous cherchons une solution à long terme, peut-être que cette nouvelle technologie pourrait s'inspirer de la forme et des caractéristiques de l'igloo et prendre l'apparence d'un dôme. Je pense que cette solution serait beaucoup plus réalisable dans la mesure où elle coûterait moins cher pour ceux qui habiteraient dans ces maisons.

Je pense qu'il existe une solution. Cependant, comme vous l'avez souligné — et je suis d'accord avec vous —, si nous choisissons une solution à court terme afin de répondre aux besoins rapidement, et si nous continuons dans cette voie, je ne pense pas que nous pourrons changer le visage de l'Arctique. Peut-être que l'on devrait commencer à construire des maisons en forme de dôme qui ressemblent à de grands igloos.

La présidente : Sénateur Watt, il y a trois autres sénateurs.

Le sénateur Watt : Voilà qu'elle m'interrompt encore avant que j'aie eu la chance de faire valoir mon point de vue. Vous m'avez encore interrompu dans mon discours, et cela ne me plaît pas du tout.

Quoi qu'il en soit, je crois que vous nous avez considérablement ébranlés. Je ne suis pas du tout en désaccord avec vous. Je crois que vous soulignez ce qui doit être dit. Il y a eu suffisamment de recherches. Il existe déjà bien des sortes de matériaux, mais qui les fournira? Le comité devrait peut-être examiner ce que vous avez porté à notre attention.

Si vous pouviez fournir cette information, elle serait très utile à notre comité, car, ainsi, nous n'aurions pas à refaire ce que nous avons déjà fait auparavant. Je crois que vous êtes en train de nous mettre en garde contre cela, et je suis d'accord avec vous.

La présidente : Merci, sénateur Watt. Je n'ai pas voulu vous manquer de respect, mais il y a d'autres sénateurs qui veulent poser des questions. Nous allons passer au sénateur Sibbeston puis, au sénateur Tannas.

Le sénateur Sibbeston : Merci.

Votre organisation est probablement la mieux placée pour répondre à ce genre de question. En se penchant sur l'histoire du Nord — notamment lorsqu'on remonte aux années 1920, 1930 et 1940, époque où le gouvernement fédéral a commencé à s'intéresser au Nord et aux gens qui y vivent —, on se rend compte que tous ceux qui ont participé à l'administration de cette région, y compris depuis qu'un gouvernement y a enfin été établi, se sont toujours demandé comment loger les gens du Nord, étant donné que ceux-ci vivaient dans des igloos et tiraient leur subsistance de la terre. Il y a eu un phénomène où des populations se sont déplacées pour s'installer en ville.

On s'est toujours demandé comment loger les gens. Comment fournir des logements à la population?

Je sais que, dans des pays comme le Groenland, le gouvernement a adopté une approche centralisée en construisant de grands complexes pour y loger les gens. C'est ce que je crois comprendre de la méthode employée au Groenland. Il y a des images de la Sibérie, en Russie, où l'on voit de grands complexes où les gens peuvent s'installer. Au Canada, nous n'avons pas adopté cette approche. Nous avons misé sur des logements individuels.

En tant que groupe de réflexion qui étudie ce genre de questions, savez-vous si on s'est déjà penché sur les différentes façons de loger les Inuits du Nord, si l'approche adoptée est coûteuse, et s'il serait plus économique et efficace de loger les Inuits dans de grands immeubles et complexes, même s'ils ne sont pas aussi grands qu'au Groenland? Avez-vous déjà examiné la possibilité d'adopter un autre système que celui que nous avons actuellement, étant donné qu'il est très cher de loger les familles du Nord dans des logements individuels?

M. Duschenes : À ce que je sache, le Conference Board ne s'est pas penché sur cette question. Cependant, lors de l'étude sommaire de la documentation que nous avons menée au cours de la dernière semaine, la question des maisons, complexes ou grands immeubles adaptés à la culture est revenue assez régulièrement parmi les points de discorde ou en tant que solution possible. Je suis sûr que la société d'habitation pourrait donner beaucoup plus de détails au sujet des complexes. On parle de plus en plus des complexes, mais il arrive souvent que la documentation nous amène à nous demander si les complexes sont toujours compatibles avec le principe du logement adapté à la culture.

Par ailleurs, au Groenland et dans la région sibérienne d'Irkoutsk, les investissements massifs dans les infrastructures ont été effectués il y a environ 20 ans, et je suppose que, à l'époque, la prise de décisions en matière de logements et d'infrastructures était centralisée et visait à offrir une solution globale.

À ma connaissance, le Conference Board n'a pas comparé les avantages et les coûts liés aux complexes par rapport à ceux liés aux logements individuels, et il n'a pas vraiment étudié en détail la question des complexes ou des grands immeubles. C'est certainement une question que nous aimerions étudier.

Le sénateur Tannas : En passant en revue certaines de nos notes d'information et des questions que nous pouvions poser, et en écoutant le sénateur Watt, j'ai songé à ce qu'ont dû vivre les autorités centrales de Moscou responsables de la planification lorsqu'elles ont voulu résoudre des problèmes de longue date. Nous discutons, mais nous n'allons jamais au fond des choses, et nous n'arrivons pas à résoudre le problème. En y réfléchissant, je me suis dit que, ce qui nous distingue en général, c'est que notre société compte sur des individus et sur leur capacité d'innovation.

J'aimerais connaître votre avis à ce sujet, monsieur Duschenes. J'aimerais aussi savoir ce qu'en pense M. Audla; il a donc un peu plus de temps que M. Duschenes pour répondre.

Il est évident que les fonds investis ne sont pas suffisants pour résoudre ce problème, mais l'argent que nous investissons aujourd'hui, est géré par AANC et par les chefs et les conseils autochtones, qui doivent répondre à une foule de priorités. Nous devons régler une foule de dépenses frictionnelles avant même que l'argent se rende jusqu'aux bénéficiaires ou qu'il serve à offrir les services dont les bénéficiaires ont besoin.

Serait-il envisageable d'éviter tout simplement les intermédiaires et de verser l'argent directement aux personnes concernées? Je ne suis pas en train de parler d'un petit montant, mais d'une somme importante à investir dans une foule de choses différentes. Je me demande combien de sénateurs ont dû, comme moi, se pencher sur ces questions et entendre des témoins à ce sujet. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'idée que notre gouvernement national et les Canadiens permettent aux personnes concernées de se prendre en main et de prendre elles-mêmes les mesures nécessaires tout en leur fournissant les ressources financières dont elles ont besoin pour le faire.

M. Duschenes : J'aimerais être à la place de Terry afin d'avoir plus de temps pour y réfléchir. L'idée est très intéressante.

Ce qui me frappe le plus, c'est qu'il est beaucoup plus compliqué de construire des maisons et de déterminer les étapes et la procédure à suivre dans le Nord qu'ici. Si j'étais un résidant du Nord, et si on me disait que je n'ai pas à m'adresser à la société d'habitation locale, la Société d'habitation du Nunavut, et que c'est à moi de décider, je me sentirais complètement démuni.

Si je vivais dans le Nord, à Grise Fiord ou Kuujjuaq, est-ce que je saurais si je devrais d'abord construire ou acheter une maison? Je ne le pense pas.

Pour répondre à la question du sénateur Sibbeston au sujet des complexes, je dirais que, dans une région difficilement accessible, il doit y avoir d'énormes économies d'échelle liées au transport maritime, à la planification centrale et à l'expertise en conception de logements.

Pour revenir à la question du sénateur Patterson sur les pratiques exemplaires, il y a certainement des cas où on a adopté un modèle de gouvernance hybride qui ne donne pas tous les pouvoirs aux particuliers, mais qui permet aux collectivités et aux particuliers d'avoir leur mot à dire sur le déroulement du processus. Ces modèles semblent très prometteurs. Il ne s'agit pas de tout remettre entre les mains des particuliers, ni de tout centraliser, comme dans l'exemple de la Russie que vous avez cité. En réalité, peut-être que la solution est plus simple, qu'il s'agit d'adopter une approche hybride, de permettre à la collectivité et aux familles de jouer un rôle tout en continuant de confier les services essentiels à des intervenants comme les sociétés d'habitation et les fournisseurs de services de transport maritime. C'est une idée très intéressante.

Est-ce que cela réglerait le problème? Je l'ignore. Peut-être que cette approche fonctionnerait dans certaines collectivités.

Le sénateur Moore : Merci de votre présence, monsieur Duschenes.

Je me demande ce qu'il y avait de mal à utiliser le modèle de l'igloo. Il a fonctionné pendant des milliers d'années. Pourquoi les grands penseurs du Sud n'ont-ils jamais songé à travailler à partir de ce modèle? Je ne comprends pas cela.

Vous dites qu'il y a depuis longtemps un manque considérable de fonds pour résoudre la crise, et que le financement gouvernemental dont la population dépend habituellement n'a pas permis et ne permettra jamais de résoudre le problème. Dans ce cas, le Conference Board s'est-il penché sur d'autres modes de financement? Si le financement gouvernemental n'a jamais été et ne sera jamais une solution, que faut-il faire?

M. Duschenes : C'est une très bonne question qui tombe à point.

Au Conference Board, mon groupe chargé des politiques autochtones et du Nord comprend ce qu'on appelle le Centre pour le Nord, un centre de recherche collective où des groupes autochtones du secteur privé et le secteur public peuvent collaborer, déterminer leurs dossiers de recherche prioritaires et participer à ces recherches avec la collaboration du Conference Board. Nous avons notamment déterminé qu'il faut amorcer une réflexion collective et organiser une table ronde sur d'autres modes de financement pour les infrastructures, y compris le logement; à cette fin, nous collaborons avec le conseil pour les partenariats public-privé, à Toronto.

Pour répondre à votre question, nous n'avons pas encore examiné cette question, mais nous sommes en train de déterminer qui devrait participer à cette discussion sur les autres modes et modèles de financement que l'on pourrait élaborer.

La question avait été soulignée auparavant. La Banque TD fait partie des membres du Centre pour le Nord. J'ai rencontré à plusieurs reprises Clint Davis, vice-président des Services bancaires aux Autochtones de la Banque TD, que vous connaissez peut-être, et c'est l'une des questions qui le préoccupent. En tant que bénéficiaire du Nunatsiavut, il s'est dit qu'il doit y avoir une meilleure façon d'élaborer un modèle de financement qui ne repose pas entièrement sur le secteur public. Ce n'est peut-être pas le cas, mais ce que le Conference Board...

Le sénateur Moore : Le Conference Board existe depuis 60 ans. Je suis quelque peu surpris que vous n'ayez pas étudié cette question.

M. Duschenes : Lorsqu'il a été mis sur pied, il y a 60 ans, le Conference Board devait agir principalement comme un groupe de réflexion sur l'économie. Ce que vous entendez dans les reportages des médias, ce sont probablement les prévisions économiques liées au marché du travail qui sont établies en fonction des territoires.

Ce n'est que beaucoup plus récemment que le Conference Board a commencé à se pencher sur les politiques publiques, et ce n'est que depuis 2009 qu'il a commencé à étudier les politiques autochtones et du Nord.

Le sénateur Moore : Vous n'avez pas étudié cela auparavant?

M. Duschenes : Non. Le groupe Politiques autochtones et du Nord a été formé en 2009. Le conseil d'administration du Conference Board cherche régulièrement à cerner les lacunes que le Conference Board pourrait...

Le sénateur Moore : Le Conference Board s'est-il penché sur des questions qui touchent d'autres nations autochtones avant cela?

M. Duschenes : Il a déjà étudié des questions liées aux milieux de la santé et de l'éducation et aux institutions financières autochtones, mais aucun groupe de réflexion ne s'est penché sur les politiques autochtones avant 2009.

Le sénateur Moore : Merci.

Le sénateur Enverga : Merci de l'exposé.

En examinant les résultats de recherche sur Google qui vous concernent, je suis impressionné par la quantité de renseignements qui s'y trouvent, mais je sais aussi qu'il y a parfois plusieurs occurrences qui se recoupent.

J'ai noté que vous n'avez pas fait d'étude sur les infrastructures inuites ou autochtones. Est-il possible que la crise du logement ou le problème de logement que nous connaissons actuellement soit attribuable à un manque d'infrastructures? Pouvez-vous m'en dire davantage à ce sujet?

M. Duschenes : Lors de nos recherches, il nous a paru évident que l'on ne peut pas étudier la question du logement sans tenir compte des infrastructures connexes. Ainsi, il ressort souvent de nos recherches que tous les éléments dont une entreprise a besoin pour fournir des logements, y compris les réseaux d'aqueduc, d'égout et d'électricité, sont d'une importance capitale. Encore une fois, mon avis n'est pas très scientifique, mais il me semble que ce n'est pas le principal obstacle. Le sénateur Watt et d'autres résidants du Nord sauraient en parler mieux que moi. Le manque d'infrastructures connexes ne semble pas être le principal obstacle. Les collectivités ne semblent pas croire qu'elles ne peuvent pas construire d'autres maisons parce que les autres infrastructures ne le permettent pas. C'est davantage une impression que j'ai, plutôt qu'un avis scientifique.

Pour ce qui est de l'autre aspect de votre question, il est intéressant de souligner que le Conference Board a participé à une évaluation des besoins généraux en matière d'infrastructures dans le Nord. Parmi les principales difficultés, notons que les besoins sont également énormes pour d'autres infrastructures comme des locaux pour le conseil municipal, le centre de loisirs ou le centre de soins de santé d'une localité, si bien que les besoins en matière de logement et les autres besoins en matière d'infrastructures essentielles se font souvent concurrence sur le plan du financement. On a observé une tendance à essayer d'atteindre un juste milieu en cherchant du financement à la fois pour la construction de certains logements et pour la construction d'autres infrastructures. En somme, les gens se font concurrence pour un financement limité. Il arrive souvent que de grands projets d'infrastructure absolument essentiels comme la construction d'un centre de services de santé l'emportent sur les autres projets.

Je crois que les projets de logement n'étaient pas admissibles pour une partie du fonds de relance fédéral offert en 2008 pour les infrastructures. Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas que les projets de logement faisaient partie des projets prêts à la mise en œuvre admissibles.

Le sénateur Enverga : J'aimerais poser une question complémentaire, même si elle n'est peut-être pas reliée à ce sujet. Plus tôt, dans votre exposé, vous avez dit que, à votre avis, le budget est encourageant et permettra d'élaborer des solutions. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Duschenes : Ce que je trouve encourageant, c'est que le budget prend en compte les quatre régions inuites, notamment en mentionnant expressément le Nunavik et le Nunatsiavut. Je n'ai pas consulté les autres budgets, mais, à ma connaissance, je ne pense pas que ceux-ci aient déjà prévu des crédits destinés expressément au Nunavik et au Nunatsiavut.

Je ne sais pas si j'ai bon espoir que cela puisse complètement résoudre un problème. Cependant, en me fondant sur mon expérience de travail dans ce domaine, je trouve encourageant que les documents budgétaires désignent cette question ainsi que d'autres questions qui touchent les Autochtones comme des aspects essentiels.

Le sénateur Enverga : Vous trouvez que le seul fait de mentionner le nom de ces territoires est encourageant, mais croyez-vous que le financement prévu sera suffisant ou qu'il pourrait résoudre une partie des problèmes actuels?

M. Duschenes : Encore une fois, le sénateur Watt serait mieux placé pour répondre. À l'heure actuelle, je pense qu'il manque 1 200 maisons au Nunavik. Le déficit s'élève à...

Le sénateur Watt : Un peu plus de 1 000.

M. Duschenes : ... un peu plus de 1 000 maisons.

Est-ce que les 50 millions de dollars sur deux ans couvriront les coûts de construction au Nunavik? Probablement pas. Cependant, pourrait-il y avoir un financement de contrepartie de la part du gouvernement provincial? La société Makivik pourrait-elle y contribuer?

Je ne pense pas qu'on puisse se fonder seulement sur cette source de financement, compte tenu des autres partenaires qui pourraient contribuer au financement. Cependant, peut-être que le fait que le gouvernement fédéral soit en mesure de fournir un certain montant ouvrira des possibilités, encouragera la mise en œuvre de stratégies novatrices ou incitera les gouvernements provinciaux ou territoriaux à offrir un financement en contrepartie d'autres sources de financement. J'ignore si cela réglera le problème, mais, en me fondant sur ma propre expérience dans ce domaine, je trouve que c'est encourageant.

Le sénateur Enverga : Êtes-vous en train de dire que le budget précédent n'offrait aucun financement?

M. Duschenes : Non, pas du tout. Encore une fois, la société d'habitation serait mieux placée pour en parler. Dans les budgets précédents, un montant considérable a été transféré aux territoires et aux provinces dans le cadre de l'Initiative en matière de logement abordable. Cependant, à ma connaissance, je ne pense pas avoir déjà vu dans n'importe quel autre budget des crédits affectés expressément au Nunavik, dans le Nord du Québec, et au Nunatsiavut, au Labrador. On faisait allusion aux transferts aux provinces, soit aux gouvernements du Québec et de Terre-Neuve-et- Labrador. À ce que je sache, c'est la première fois que l'on mentionne expressément le Nunavik et le Nunatsiavut.

Le Nunavut et la région désignée des Inuvialuits sont également mentionnés, mais ce qui m'a frappé, hier, c'est la mention des deux régions inuites des provinces en question.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup de votre exposé. Votre expérience et vos connaissances nous sont très utiles.

Je me demande si vous pourriez m'éclairer un peu. Je vis dans le Nord-Ouest de l'Ontario, et vous semblez dire qu'il y a, dans tous les ordres de gouvernement, des groupes et des personnes bien intentionnés qui ont étudié cette question sans relâche, et qu'il est temps d'agir. Dans ma région, il y a des modèles qui fonctionnent très bien et qui permettent de répondre aux besoins et d'assurer la prospérité. Êtes-vous en mesure d'étendre vos recherches à l'ensemble du Canada afin de cerner les modèles efficaces dans le Grand Nord, dans l'Ouest, en Ontario, dans le Nord et dans les régions intermédiaires qui pourraient nous servir d'exemples?

M. Duschenes : Oui. Le Centre pour le Nord a un plan de recherche de trois ans qui comprend une étude d'ensemble. Nos membres nous ont notamment demandé de fournir une vue d'ensemble de la situation du logement dans les provinces du Nord et les territoires en donnant un aperçu des grandes réalisations et des principaux obstacles.

Je pense que cette étude ne commencera que dans un an, soit au printemps de 2017. Nous sommes certainement ouverts à l'idée de discuter avec n'importe qui de la possibilité d'accélérer le processus. Y a-t-il suffisamment de personnes pour y parvenir? Tout à fait.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Nous savons tous que c'est une question très complexe. J'ai trouvé intéressant que, dans vos observations préliminaires, vous parliez de solutions à court terme et à moyen terme ainsi que de la nécessité de définir ce que nous cherchons à faire dans le cadre de notre étude.

En ce qui concerne la situation à court terme et la crise actuelle, avez-vous des recommandations ou des exemples de ce qui peut être fait rapidement, à court terme, afin de sauver, en quelque sorte, les gens de cette région qui sont aux prises avec ce genre de difficultés?

M. Duschenes : À cet égard, la question du logement devient particulièrement importante. Quelles sont les mesures d'urgence qui ont été prises ailleurs afin de fournir non pas des logements pour une période de 20 ans, mais des logements durables à court terme qui peuvent être fournis rapidement?

Est-ce que j'ai des recommandations à faire? Pas vraiment. J'ai participé à un atelier organisé par Savoir polaire Canada avec la collaboration du nouvel organisme, la Station de recherche du Canada dans l'Extrême-Arctique, et de la Commission canadienne des affaires polaires. Il y a eu des commentaires intéressants de la part d'une femme inuite membre de la Qikiqtani Inuit Association, qui a dit clairement, par téléphone, qu'elle en avait assez d'entendre parler de modèle adapté à la culture, de ventilateurs récupérateurs de chaleur, d'isolation et de solutions à long terme. Elle voulait s'installer dans une maison qui ne soit pas surpeuplée et où il ne soit pas désagréable de vivre. Dans l'immédiat, son objectif était de trouver des solutions qui correspondent exactement à ce que vous avez évoqué, honorable sénatrice, soit des solutions de logement rapides.

Qu'est-ce qu'on entend par là? Il y a un exemple que nous avons étudié et dont j'ai parlé auparavant, soit les logements construits par assemblage de panneaux structuraux isolés, ou PSI, conçus par Kott. Ce n'est pas une solution immédiate comme ce qui est offert dans un camp de réfugiés, mais c'est une solution à court terme, et 140 maisons construites avec des PSI ont été mises en place au Nunavut en relativement peu de temps, soit 18 mois.

Encore une fois, je ne peux pas voir la réaction des représentants de la société d'habitation derrière moi, mais je suis sûr qu'ils seraient mieux placés que moi pour donner un aperçu des solutions que l'on pourrait adopter immédiatement ou à court terme.

Il y a cependant un risque. Il faut se demander si on veut construire des logements à court terme avec un coût initial très élevé, mais qui, comme le sénateur Watt l'a souligné, sont construits avec des matériaux qui, à long terme, se détériorent très rapidement, si bien que, en réglant un problème à court terme, on crée un autre problème à long terme.

Je reviens encore une fois à ce qu'a dit la représentante de la Qikiqtani Inuit Association. Elle s'intéressait vivement aux solutions à court terme parce que sa vie quotidienne était très difficile dans le logement qu'elle occupait.

La présidente : Merci, monsieur Duschenes, pour ces précieux renseignements et pour les mises en garde que vous avez faites au comité pour son étude.

M. Duschenes : Merci beaucoup de m'avoir reçu.

La présidente : Pour la deuxième partie de notre réunion, nous sommes heureux de recevoir les représentants de la Société d'habitation du Nunavut : le président et chef de la direction, Terry Audla, le vice-président et chef de la direction, Gershom Moyo, et le gestionnaire des politiques et de la planification, Tim Brown.

Nous allons d'abord entendre vos déclarations préliminaires, comme le veut la pratique puis, nous passerons aux questions des sénateurs. Messieurs, vous avez la parole.

Terry Audla, président et chef de la direction, Société d'habitation du Nunavut : Merci, madame la présidente, et bonsoir. Tout d'abord, je vous prie de m'excuser, car je sors tout juste d'un vol de trois heures. Aussi, je me remets à peine d'une grippe de quatre jours et je me suis réveillé à trois heures ce matin. Vous m'excuserez, donc, si je farfouille ou si je bafouille.

Vous devriez avoir en main, avec mon exposé, un document d'information. Il correspond en quelque sorte à mes notes d'allocution. Je vais tenter de vous indiquer les pages au fur et à mesure pour que vous ne vous perdiez pas dans mon exposé et mes commentaires. Je vous remercie de m'avoir invité à discuter des questions relatives au logement dans le Nord. Je suis heureux de voir qu'on se penche de plus en plus sur la question du logement au pays.

Page 2 : Ce n'est pas un secret : le Nunavut est confronté à une grave crise du logement, qui est surtout marquée par une importante pénurie de logements et des taux de surpeuplement inégalés au pays. Aujourd'hui, je vais vous parler des façons d'aller au-delà de ces statistiques alarmantes et de ce que nous pouvons ou devons faire pour veiller à ce que les Inuits du Nunavut aient accès aux mêmes possibilités que les autres Canadiens en matière de logement. Je vais d'abord vous donner un aperçu des défis permanents auxquels le Nunavut est confronté en ce qui a trait au financement de la construction, de l'exploitation et de l'entretien des logements au Nunavut. Tout coûte plus cher dans le Nord et le logement n'y fait pas exception.

Page 3 : Pour mettre la situation en perspective, de 1999 à 2009, les dépenses moyennes de logement du gouvernement du Nunavut représentaient 13 p. 100 des revenus du territoire. Au total, ces dépenses sont 13 fois plus importantes que celles de toutes les provinces et de tous les territoires, qui représentent de 0,7 à 1,2 p. 100.

Page 4 : Les coûts de construction sont très élevés au Nunavut comparativement au Sud du Canada. En moyenne, la construction au Nunavut coûte trois fois plus cher que dans la région du Grand Toronto. Les coûts varient selon les collectivités. Le coût moyen d'une unité de logement subventionné est de 400 000 à 550 000 $. Au cours des dernières années, la Société d'habitation du Nunavut a pris certaines mesures pour réduire ces coûts, notamment en modifiant les méthodes de passation de contrats et en construisant des unités multifamiliales. Toutefois, étant donné tous les coûts connexes comme l'expédition, l'aménagement du territoire et la main-d'œuvre, la construction de logements est et continuera d'être plus coûteuse que dans le Sud du Canada.

Page 5 : De façon similaire, les frais d'exploitation et d'entretien des logements subventionnés sont également très élevés comparativement au Sud du Canada. Les frais d'exploitation annuels d'un logement subventionné sont d'environ 26 000 $ et la majorité de ces coûts sont associés aux services publics comme l'eau et l'électricité.

Page 6 : Le gouvernement du Nunavut a très peu d'occasions de recouvrer ses frais, ce qui représente un défi sous- jacent. Les revenus de location provenant des locataires des logements subventionnés sont limités en raison du manque de possibilités économiques sur le territoire. En 2014-2015, 75 p. 100 des locataires de logements subventionnés gagnaient moins de 23 000 $ par année. Comme le prix du logement est établi en fonction du revenu des locataires, la majorité d'entre eux paient le minimum, soit 60 $ par mois seulement. Le gouvernement du Nunavut ne peut s'attaquer seul à la crise du logement. Nous aurons besoin de l'aide du gouvernement fédéral pour la construction de nouveaux logements et pour gérer l'augmentation des coûts d'exploitation.

Page 7 : Vous savez probablement que les fonds de l'accord sur le logement social ont diminué. Le gouvernement du Nunavut ressent déjà les effets de cette diminution puisqu'il doit augmenter de façon constante le financement pour l'exploitation des logements subventionnés. Au cours du présent exercice, le financement des logements subventionnés a déjà baissé de 10,56 millions de dollars. L'incidence de la diminution du financement des logements subventionnés est exacerbée par la double pression sur les budgets du Nunavut, qui sont déjà restreints. Le gouvernement du Nunavut doit non seulement compenser le financement des logements sociaux à la baisse, mais aussi gérer les coûts associés à l'accroissement du parc résidentiel.

Page 8 : À l'heure actuelle, la contribution du gouvernement du Nunavut aux logements sociaux représente 9 p. 100 de son budget total de fonctionnement et d'entretien de 1,5 milliard de dollars. Alors que nous commençons à combler l'écart de 3 000 unités grâce aux nouvelles constructions, nous prévoyons que le coût d'entretien des logements subventionnés représentera 16 p. 100 du budget total du gouvernement du Nunavut.

Page 9 : En ce qui a trait aux nouvelles constructions, le Nunavut obtient des fonds pour les dépenses de capital de deux façons. D'abord par l'entremise de l'investissement de 2014-2019 de l'entente pour le logement abordable, qui demande un investissement équivalent du gouvernement du Nunavut et qui aura donné lieu à un financement fédéral total de 7,3 millions de dollars, ou 1,46 million de dollars par année, pour répondre aux besoins du Nunavut en matière de construction de nouveaux logements subventionnés.

Bien que le partenariat et la longévité de l'entente soient avantageux, l'engagement se fait en fonction de la population de chaque administration. Ce type de calcul peut fonctionner dans le contexte du Sud du Canada, mais il ne correspond pas à la réalité du Nunavut. Étant donné la taille inadéquate du territoire, l'incidence réelle de l'investissement dans le logement abordable est limitée. À moins d'être associé à d'autres fonds pour les dépenses de capital parrainés par le gouvernement du Nunavut, cet investissement ne peut pas être utilisé pour construire de nouveaux logements pour combler l'écart grandissant. Dans une certaine mesure, l'investissement dans le logement abordable représente un financement symbolique du gouvernement fédéral utilisé pour compléter les fonds pour les dépenses de capital existants du gouvernement du Nunavut pour les nouvelles constructions.

Page 10 : Le gouvernement fédéral injecte également des fonds pour les dépenses de capital au Nunavut par l'entremise d'un financement ponctuel d'envergure. Parmi les exemples se trouvent la Fiducie pour le logement au Nunavut, le Plan d'action économique du Canada et, plus récemment en 2013, le financement de 100 millions de dollars du plan d'action économique. Ces injections de capitaux sont utiles parce qu'elles correspondent davantage au niveau de financement requis pour régler la crise du logement au Nunavut. Toutefois, la nature imprévisible de ces investissements entraîne des défis importants.

Nous aimerions un financement plus linéaire, par opposition à un financement qui monte et qui descend, qui prend de l'expansion et ralentit. Par exemple, les investissements sporadiques nuisent grandement à la capacité de la Société d'habitation du Nunavut, du gouvernement du Nunavut et des municipalités de planifier en vue de mettre en œuvre de meilleures politiques sur l'utilisation des terres et de prévoir les besoins en infrastructures des collectivités en fonction de leurs priorités. Le financement imprévisible restreint également la capacité du gouvernement du Nunavut d'atteindre d'autres résultats économiques par l'entremise d'initiatives qui nécessitent une vision à plus long terme comme les stages et la formation. Le manque de prévisibilité restreint la planification, ce qui crée un environnement d'abondance ou de famine pour les entrepreneurs locaux et nuit à une approche durable à l'égard du développement économique au niveau communautaire.

Toutefois, l'incidence d'un investissement sporadique n'est pas durable. Il ne permet pas d'aborder les effets à long terme comme la croissance de la population. En 2004, la Société d'habitation du Nunavut a collaboré avec Nunavut Tunngavik Incorporated à l'élaboration du plan d'action sur 10 ans pour le logement des Inuits au Nunavut, qui demandait la construction de 3 000 unités pour régler le problème de surpeuplement. En 2016, plus de 10 ans plus tard et après plus de 500 millions de dollars investis dans les nouvelles constructions, nous sommes revenus à la case départ. Nous demandons la construction de 3 000 nouvelles unités pour réduire l'écart qui existe entre le Nunavut et le reste du Canada sur le plan du logement, en plus des fonds nécessaires pour suivre le rythme de la croissance de la population.

Un financement stable, prévisible et adéquat pour de nouveaux logements, de même qu'un soutien accru pour les frais d'exploitation, permettraient au Nunavut de se développer à un rythme beaucoup plus important pour maximiser le rendement des investissements du gouvernement fédéral. Le financement d'une vision à long terme permettrait de développer des quartiers pour améliorer le bien-être des collectivités.

Une planification à long terme permettrait à la Société d'habitation du Nunavut de tirer profit des nouvelles technologies en matière de construction et d'entretien de logements. La capacité de la main-d'œuvre locale est très restreinte dans de nombreuses collectivités du territoire, ce qui signifie que l'installation et l'utilisation des nouvelles technologies dans les logements ne sont pas pratiques puisque, dans de nombreux cas, il n'y a personne dans la collectivité qui a les connaissances ou l'expertise nécessaires pour entretenir ou réparer ces nouvelles technologies. Nous n'avons pas non plus accès à des quincailleries comme Home Hardware, Canadian Tire ou Home Depot.

Fait intéressant, j'ai travaillé avec M. Sanderson de la société d'habitation des Territoires du Nord-Ouest et avec mon homologue au Yukon. Ils m'ont dit qu'ils conservaient les anciens systèmes de chauffage à air chaud pulsé dans les logements subventionnés parce qu'ils étaient plus faciles à entretenir. On peut aussi facilement former des gens pour cela. Au Nunavut, nous sommes passés au chauffage au glycol — le chauffage à radiation — et c'est un problème à l'échelle locale parce que nous n'avons pas l'expertise ou la formation dont nous aurions besoin à cet effet.

Trop souvent, les pressions du Sud pour maximiser l'efficacité énergétique ou améliorer les méthodes de livraison pour réduire les coûts de construction sont faites par opportunisme politique et ne se fondent pas sur des normes de recherche qui correspondent à la réalité du Nord. La société d'habitation du Nunavut a conçu des modèles de logement à haut taux de rendement énergétique, soit 83 ou 85 p. 100. On pourrait les débrancher du réseau et ils conserveraient leur chaleur et la faible énergie nécessaire pour se chauffer, étant donné leur cote R et leur méthode de construction.

La Société d'habitation du Nunavut travaillera avec d'autres partenaires pour aborder la question de la consommation d'énergie des locataires, mais le climat et le taux de surpeuplement font en sorte que la consommation est relativement faible. Lorsque la Société d'habitation du Nunavut aura traité de ses besoins en matière de logement, nous pourrons alors nous consacrer à la recherche sur l'efficacité énergétique.

Les restrictions relatives aux diverses possibilités en matière de logement empêchent le Nunavut de maintenir un continuum du logement. On peut définir le continuum du logement comme une ligne avec deux extrémités : à une extrémité se trouve une maison habitée par son propriétaire et à l'autre extrémité se trouve l'itinérance. Quelque part entre les deux extrémités se trouve le logement supervisé pour les personnes qui ne peuvent vivre de manière indépendante.

Les engagements financiers à long terme permettraient d'établir un continuum du logement plus robuste, non seulement par l'entremise du soutien à la formation des préposés à l'entretien pour les divers types de logements, mais également en permettant une planification à plus long terme de sorte que le gouvernement du Nunavut puisse mieux déterminer les vrais besoins des Nunavois et ait la souplesse nécessaire pour répondre à leurs besoins avec des logements les plus adéquats.

Comme vous le savez, plusieurs arguments ont été avancés pour une participation accrue du gouvernement, notamment pour une obligation fiduciaire d'aide au logement pour les Autochtones vivant dans les régions les plus au nord du Canada, comme l'énonce le plan d'action pour le logement des Inuits de 2004.

Je le répète : le Nunavut a surtout besoin d'une stratégie de financement à long terme avec le gouvernement fédéral pour régler la crise du logement. Je fais écho aux propos de M. Duschenes, qui se fondent sur la recherche. De nombreuses recherches ont été réalisées sur ce sujet et nous croyons que pour régler la crise du logement, nous devons songer à une entente de financement à long terme, à un financement continu.

Nous avons uni nos voix à celles des organisations inuites pour le demander en 2004.

Enfin, cela étant dit, je ne veux pas que vous pensiez que le gouvernement du Nunavut est resté là à attendre qu'une solution à la crise du logement vienne du gouvernement fédéral. Le gouvernement du Nunavut a investi et continue d'investir d'importants capitaux pour la construction de logements au Nunavut et a maintenant pris des engagements à long terme.

La Société d'habitation du Nunavut est également responsable d'une initiative en trois volets pour aider le gouvernement du Nunavut à établir une approche holistique et exhaustive en vue de traiter de la crise du logement sur le territoire. Nous en sommes actuellement à l'étape finale de cette initiative qui vise à réduire le coût du logement, à accroître l'offre de logements et à déterminer de façon définitive les besoins des Nunavois en matière de logement. Toutefois, la réussite de l'initiative dépendra grandement de l'engagement qu'est prêt à prendre le gouvernement fédéral.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler de la crise du logement que vivent les Inuits du Nunavut. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.

La présidente : Nous vous remercions de votre exposé. Il était très exhaustif et vous nous avez transmis beaucoup de renseignements. Si vous me le permettez, j'aurais une brève question à vous poser.

Vous avez parlé de votre plan d'action sur 10 ans pour les Inuits de 2004. Je n'ai pas compris si le plan a été mis en œuvre ou non. Vous avez élaboré ce plan en collaboration avec huit organisations, si j'ai bien compris; est-ce que le plan a été mis en œuvre?

M. Audla : Malheureusement, le plan n'a jamais été mis en œuvre.

La présidente : Si l'on rétablissait ce plan aujourd'hui, est-ce que ses politiques stratégiques et recommandations seraient toujours valables?

M. Audla : Oui, madame la présidente. Les renseignements qui ont été recueillis pour ce plan d'action sont toujours pertinents et nous espérons pouvoir l'utiliser dans le cadre de notre processus de planification également, pour la prochaine étape du plan d'action auquel nous travaillons et que nous élaborons pour le gouvernement du Nunavut et le territoire du Nunavut.

La présidente : Et c'est le plan auquel vous faites référence dans la conclusion de votre exposé?

M. Audla : Oui.

La présidente : Quand pensez-vous avoir achevé le plan?

M. Audla : Nous espérons l'avoir terminé à l'automne. Je crois que nous demanderons l'approbation du gouvernement du Nunavut en octobre.

La présidente : Est-ce que nous pouvons en avoir un avant-goût? Est-ce que vous voudriez nous en montrer quelques parties lorsque nous vous rendrons visite?

M. Audla : Merci, madame la présidente. Nous pourrions vous envoyer les points de discussion de la première séance de mobilisation que nous espérons tenir au gouvernement du Nunavut de même qu'avec les autres intervenants du territoire du Nunavut. Je serais heureux de vous transmettre ce document.

La présidente : Merci.

Le sénateur Patterson : J'ai quelques questions très précises à vous poser, principalement à titre informatif, mais j'aimerais d'abord aborder le sujet de l'accès à la propriété.

Je sais que vous avez dit, dans votre exposé, qu'il n'était pas possible pour les locataires de devenir propriétaires et d'entretenir leur propre logement en raison de leur faible revenu. Vous avez parlé d'un revenu moyen de 23 000 $, je crois; c'est frappant. J'aimerais tout de même que vous me parliez de la possibilité d'accéder à la propriété.

À mon avis, certains locataires des logements sociaux ou subventionnés gagnent beaucoup plus d'argent que la moyenne et sont capables d'entretenir leur logement. La classe moyenne est en croissance chez les Inuits; certains d'entre eux travaillent dans les mines. Je crois que les Inuits ont toujours été autosuffisants, qu'ils souhaiteraient accéder à la propriété si l'on créait les bonnes conditions.

Le sénateur Sibbeston a été ministre du Logement dans les Territoires du Nord-Ouest et j'ai une certaine expérience dans le domaine, alors je vais m'y fier un peu également. J'aimerais que vous me parliez du programme d'aide à l'accession à la propriété du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, qui a permis la construction de maisons dans les collectivités éloignées de l'Arctique, par des gens qui voulaient mettre la main à la pâte et qui pouvaient les entretenir.

À mon avis, le programme a été une grande réussite. C'était intéressant parce qu'on donnait des subventions en espèces appréciables et — c'est peut-être ce que disait le sénateur Tannas — nous avons dépensé beaucoup d'argent, mais cet argent ne se rend pas toujours au propriétaire ou au locataire. On a donné de bonnes sommes d'argent aux gens. Ils pouvaient choisir le style de leur maison, comme le style Groenland avec un toit pointu. La société de logement leur a donné les matériaux, qui ont été assemblés et livrés pour éviter les problèmes de logistique associés au transport maritime et tout cela. De nombreuses maisons ont ainsi été construites dans les années 1980 et sont toujours là aujourd'hui.

Avez-vous étudié ce programme d'aide à l'accession à la propriété? Est-ce qu'on peut le reproduire, puisqu'il s'est avéré une réussite? Pourriez-vous aussi décrire vos programmes d'accession à la propriété? Vous pouvez le faire maintenant ou plus tard. Je crois qu'il s'agit du programme d'aide au versement initial.

Beaucoup de gens disent qu'il est fondé sur le revenu et que les personnes dont le revenu est trop élevé ne sont pas admissibles, mais elles ont besoin d'une bonne injection de capitaux pour commencer.

Ma première question est la suivante : avez-vous analysé le programme d'aide à l'accession à la propriété? Est-ce qu'on pourrait le reproduire aujourd'hui, s'il a été un succès? Comment fonctionnent les programmes d'accession à la propriété au Nunavut?

Un dernier commentaire : nous savons que le barème de prix des loyers est difficile à examiner et à ajuster, mais je comprends aussi que les aînés ont des privilèges dans le Nord et que s'il y a une personne âgée dans une maison, on tend à payer un faible loyer. Je ne sais pas si l'on fait fi du revenu du ménage lorsqu'un des locataires est un aîné et doit payer 60 $ par mois, mais je crois qu'on pourrait aller chercher plus de revenus que ce que montrent les statistiques si l'on avait le courage de revoir le barème de prix des loyers.

Voilà beaucoup de questions, mais j'espère que vous comprenez où je veux en venir.

M. Audla : Merci, madame la présidente et monsieur Patterson.

Vous avez raison, le programme d'aide à l'accession à la propriété qui a été élaboré dans les années 1980 par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a donné de bons résultats et nous avons fait des recherches sur ce qui a permis cette réussite et sur la façon dont nous pourrions le reproduire. Nous avons fait quelques tentatives. Le problème, c'est que les réalités ne sont plus les mêmes puisque nous avons progressé et que les programmes modernisés qui ont suivi n'ont pas connu le même succès que le programme d'aide à l'accession à la propriété.

Est-ce que nous voulons reproduire ce programme d'une certaine façon? Nous offrons divers programmes d'accession à la propriété aux résidants du Nunavut, mais comme je l'ai dit plus tôt, il est difficile d'avoir accès aux entrepreneurs ou à des gens qui ont l'expertise nécessaire pour construire une maison ou l'entretenir, dans les petites collectivités isolées. Nous avons dû gérer de nombreuses renonciations aux droits. Il y a eu des forclusions, mais il s'agit surtout de traiter avec la société de logement puisque nous avons investi des capitaux dans le logement, pour permettre l'accès à la propriété. Le propriétaire peut renoncer à ses droits parce qu'il n'a pas les moyens d'acheter le combustible, l'électricité ou l'eau, toutes les choses nécessaires à l'entretien d'une maison.

Nous devons nous pencher là-dessus. Nous devons réaliser d'autres études sur la façon de reproduire le programme d'aide à l'accession à la propriété créé dans les années 1980. C'est peut-être le bon temps de le faire, étant donné l'augmentation du nombre de travailleurs de la classe moyenne au Nunavut. C'est une chose que nous allons très certainement examiner.

L'autre chose, c'est l'inadmissibilité de certaines personnes, qui ont un revenu trop élevé, aux programmes.

Le sénateur Patterson : Qu'est-ce qui vous empêche de les aider? Est-ce que votre budget de fonctionnement et d'entretien en sera affecté? Qu'est-ce qui vous arrête?

M. Audla : Nous espérons que ces personnes auront les ressources nécessaires pour demander un prêt ou une hypothèque à la banque pour construire leur maison, mais nous pouvons examiner la situation et voir quelles mesures nous pourrions prendre.

Le logement du personnel est un autre élément : certains employés du gouvernement du Nunavut habitent dans des logements subventionnés et nous aimerions les encourager à acheter leur maison pour que nous puissions libérer plus de logements sociaux ou les offrir à d'autres membres du personnel. Nous allons examiner la situation au cours des prochaines années. Le plan d'action abordera cet élément. Nous espérons pouvoir reproduire les éléments qui ont bien fonctionné, les meilleurs exemples, et régler le problème de manque d'expertise ou de préposés à l'entretien dans les collectivités isolées. Nous voulons aussi voir si les organisations d'habitation peuvent être le point d'accès aux matériaux. Nous voulons le faire de manière à ce qu'il y ait un guichet unique pour avoir le pouvoir d'achat en gros. Le manque d'infrastructures et les frais de transport sont des enjeux importants auxquels nous sommes toujours confrontés. Aucune des 25 collectivités du Nunavut n'est reliée à un réseau routier. Nous devons donc profiter de la courte saison d'expédition, l'été.

On encourage toujours l'innovation. M. Duschenes a parlé des maisons préfabriquées du Nunavik, de ces murs prêts à assembler dans la collectivité. Toutefois, nous sommes toujours assujettis aux exigences relatives aux revendications territoriales et au travail, en quelque sorte, en vertu de l'article 24 de la nouvelle entente sur les revendications territoriales.

Le sénateur Patterson : Vous devez embaucher des Inuits?

M. Audla : Oui. Si nous adoptons la solution des maisons préfabriquées dans le Sud du Canada, alors le volet de la main-d'œuvre ne sera pas respecté. Nous devons nous pencher sur cette question et la régler.

On parle également de faire les maisons préfabriquées dans la région, mais cela doublerait le coût de transport des matériaux puisqu'ils devraient être transportés vers le centre de préfabrication puis, transportés à nouveau vers les petites collectivités. Nous sommes donc pris entre l'arbre et l'écorce.

Nous offrons des programmes aux aînés, pour les aider à entretenir leur maison. La tranche de revenus admissibles est un peu plus élevée que celle des autres programmes d'accession à la propriété que nous offrons. Nous devons examiner le nombre de demandes de renonciations aux droits, les forclusions. Parfois, les aînés n'ont plus de revenu, alors ils doivent abandonner leur maison. Ils peuvent la léguer à leurs enfants ou les laisser s'en occuper. Dans de nombreux cas, les enfants ne veulent pas le faire, alors nous devons penser à racheter ces maisons et peut-être offrir aux aînés de devenir des locataires dans ces logements subventionnés. Ce sont les enjeux auxquels nous sommes régulièrement confrontés. Nous espérons pouvoir étudier le programme d'aide à l'accession à la propriété et voir comment reproduire ce qui a bien fonctionné dans les années 1980 et comment le rendre durable. J'espère avoir répondu à vos questions.

Le sénateur Patterson : Le programme des PSI qu'a décrit M. Duschenes, un programme de maisons modulaires, est considéré comme étant un désastre par de nombreux résidants du Nunavut en raison du prix élevé des maisons et des dépassements de coûts. Ces maisons ont joué un rôle dans le dépassement de 110 millions de dollars sur les 300 millions de dollars octroyés par le gouvernement fédéral en 2010-2011.

La société a réalisé une étude sur les leçons apprises à l'époque. Bien que nous ne voulions pas étudier les échecs, nous aurions peut-être des choses à apprendre de cela. Est-ce que vous pourriez nous transmettre ce document, s'il est disponible? Je vous confie cela.

Pourriez-vous nous donner les revenus provenant des locataires? Je ne sais pas si vous en avez parlé dans votre exposé. Nous savons que vous dépensez 127 millions de dollars pour financer le fonctionnement et l'entretien. Combien d'argent recevez-vous des locataires?

Quelle a été l'incidence de la fermeture du bureau de la SCHL au Nunavut sur votre société?

La grande nouvelle annoncée dans le budget cette semaine était l'octroi de 76,7 millions de dollars au Nunavut au cours des deux prochaines années. Pouvez-vous miser sur cet investissement? Avez-vous pensé à accroître ce capital par l'entremise des sociétés de développement inuites, des banques ou d'autres instruments financiers pour répondre aux besoins en matière de logement? Nous savons que vous avez besoin de 3 000 logements et que chaque unité coûte 500 000 $ — mes chiffres ne sont peut-être pas exacts —, donc même avec 76,7 millions de dollars sur deux ans — que nous sommes heureux de recevoir; c'est plus que ce qu'ont reçu les deux autres territoires — ce n'est pas assez. Peut-on obtenir d'autres fonds?

Ce sont là de nombreuses questions, madame la présidente, je voulais seulement les présenter.

La présidente : Oui. Vous pourriez répondre rapidement à certaines questions et répondre à d'autres, qui nécessitent des recherches, par écrit.

M. Audla : Les loyers rapportent actuellement 13,5 millions de dollars et l'arriéré est de 29 millions de dollars. Nous nous employons à améliorer le recouvrement de cet arriéré.

En ce qui concerne les fonds annoncés dans le dernier budget, nous ne pouvons pas les mobiliser en raison du plafond de la dette. La somme de 77 millions de dollars représente les trois quarts de ce que nous avions d'abord demandé. Nous espérions obtenir 105 millions de dollars afin de rattraper le retard accumulé par rapport au nombre d'habitations que nous pouvons construire pendant cette période.

Nous sommes actuellement en pourparlers avec la SCHL quant à la façon dont les 77 millions seront distribués, au type de versements, à la manière dont nous dépenserons ces fonds et au laps de temps dont nous disposerons pour ce faire. La Société d'habitation du Nunavut reçoit habituellement ces énormes sommes par bribes. Nous sommes toujours en attente. Les périodes d'abondance et de disette se succèdent parfois pendant que nous essayons de régler le problème du logement au Nunavut. Ces difficultés nous empêchent de trouver des solutions à long terme à de nombreux problèmes. À l'interne pourtant, nous essayons de voir à long terme, surtout en collaboration avec le gouvernement du Nunavut. Nous espérons présenter notre plan d'action à l'automne. Nous avons toutefois besoin de l'engagement du gouvernement fédéral et de la SCHL et nous devons nous trouver la meilleure façon de remédier à la crise du logement au Nunavut.

Pour ce qui est de la fermeture du bureau de la SCHL, je suis d'accord : nous avons besoin d'un bureau dans le Nord. Nous avons besoin de la SCHL dans le Nord.

Le sénateur Patterson : Certains prétendent que le bureau de Yellowknife s'occupera des affaires du Nunavut.

M. Audla : Eh bien, le Nunavut a justement été créé pour éviter que tout se fasse à Yellowknife et pour rapprocher le gouvernement. C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il manque quelque chose si le gouvernement fédéral n'est pas présent au Nunavut.

Le sénateur Patterson : Je vous ai demandé s'il y avait moyen d'obtenir l'étude faisant état des leçons à tirer.

M. Audla : Nous ne manquerons pas de vous la faire parvenir.

Le sénateur Sibbeston : Je voulais aussi parler de la somme de 76,7 millions de dollars que le gouvernement fédéral verse au gouvernement du Nunavut. Cette somme semble consacrée aux logements abordables.

Je crois comprendre du dossier des logements abordables dans les communautés autochtones du Canada, surtout celles où nous allons, que le gouvernement fédéral offre un programme de logements subventionnés, qui permet aux gens de louer, voire d'acheter une de ces habitations.

Pourriez-vous nous dire ce qui en est, au Nunavut, des logements abordables? Existe-t-il un programme qui permette aux Inuits d'acheter une maison grâce aux subventions fournies par le gouvernement fédéral?

M. Audla : Je vous remercie, sénateur Sibbeston. C'est ce que nous essayons encore de savoir, parce que ces mesures s'inscrivaient dans le programme des logements abordables. La dernière entente de financement conclue avec le gouvernement fédéral exigeait que le gouvernement du Nunavut affecte une somme équivalente à ce qui lui était versé. Je suis persuadé que le gouvernement du Nunavut, vu ses autres engagements, ne pourra pas verser aussi 77 millions de dollars, mais nous sommes toujours en pourparlers avec la SCHL quant à la façon dont nous pourrons nous procurer ces fonds. Pas plus tard qu'hier, nous avons eu une rencontre à ce sujet.

Avec le temps, nous avons constaté que les fonds consacrés aux logements abordables servent surtout pour les logements sociaux. J'ai parlé de certains programmes d'accès à la propriété que nous offrons, mais les sommes engagées sont davantage de l'ordre de 4,6 millions de dollars. Ces fonds servent autant à aider les propriétaires actuels que les éventuels nouveaux propriétaires.

Le sénateur Sibbeston : Il ne fait aucun doute que le principe de la propriété pour tous veut que les gens puissent un jour posséder leur propre maison. C'est ainsi dans le Sud et partout ailleurs : chacun veut avoir sa propre maison. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il faut que ce soit l'un des principaux objectifs du gouvernement du Nunavut et de la Société d'habitation du Nunavut. J'aimerais savoir s'il y a une véritable tendance en ce sens.

Lorsque les Autochtones et les Métis de l'Ouest des Territoires du Nord-Ouest s'enrichissent et deviennent plus autonomes, parce qu'ils ont des emplois stables et progressent dans l'échelle économique, ils veulent pour la plupart avoir une propriété. Ils quittent leur logement subventionné et achètent une habitation, comme une maison mobile, ou construisent leur propre maison. Voilà la tendance. Les personnes qui ont un revenu suffisant peuvent acquérir une propriété. Tout le monde a cet objectif. Tous les gens du Nord veulent avoir une maison et un camion Ford. Ils veulent deux choses : une maison et un camion. C'est ce que tous les gens du Nord cherchent à obtenir. Je serais curieux de savoir si vous observez la même tendance au Nunavut.

Je voulais aussi parler du fait que, depuis les années 1980, et depuis que le gouvernement est actif dans l'Ouest et cherche à aider les gens à se construire une maison, il s'est donné beaucoup de formation. Les gens ont acquis beaucoup de compétences et d'expertise et peuvent même construire leur propre habitation. À certains endroits, les gens ont créé de petites entreprises qui acceptent des contrats de construction de maisons. La même chose se passe-t- elle au Nunavut? Y a-t-il une masse de gens qualifiés qui peuvent construire leur propre maison? Doit-on plutôt faire venir des entrepreneurs du Sud pour faire construire sa maison?

M. Audla : Je vous remercie, sénateur Sibbeston. La réponse à votre dernière question est non. Nous comptons encore beaucoup sur les entrepreneurs et les travailleurs du Sud. Depuis toujours, c'est un dossier que nous essayons de faire avancer afin que le Nunavut puisse former ses propres travailleurs et que la main-d'œuvre locale puisse assurer la continuité nécessaire et soit disponible pour tous les grands projets de construction domiciliaire qui voient le jour dans les communautés ou dans la région.

J'aimerais attirer votre attention sur le continuum des services en matière de logement dont il est aussi question dans les documents qui vous ont été remis. Il s'agit d'un pan important des discussions associées à notre plan d'action, et nous espérons que le tout sera terminé cet automne. On y explique que tous les Canadiens devraient avoir accès à une forme ou une autre d'abri, du jour de leur naissance à celui de leur mort, et que ce type d'abri devrait évoluer au même rythme que la vie.

Savez-vous ce qu'il manque, au Nunavut, quand il est question de propriété? De quoi combler les lacunes. J'en parle d'ailleurs dans la section sur le continuum. Qu'il s'agisse de maisons d'hébergement d'urgence ou de logement, il faut penser aux vulnérables, aux démunis et aux itinérants, mais aussi aux squatteurs de sofa. Il faut faire quelque chose et trouver le moyen de combler ces lacunes. En ce qui concerne le marché locatif, tout est au logement social en ce moment, mais un jour, il faudra aller plus loin et songer à la propriété. Elle est là, la lacune. Et pour le moment, nous en sommes encore à chercher des solutions. Le PAH a connu un vif succès, car il a élargi l'accès à la propriété.

L'an dernier, la société d'habitation a approuvé la demande de 319 personnes, dont 40 avaient besoin d'aide pour se constituer une mise de fonds. Dans la même veine, nous aimerions avoir des projets de type « copropriété », « société de logement » ou « condos » afin, par exemple, qu'un groupe de citoyens puisse acheter un multiplex ou juste une unifamiliale. Mais pour cela, il va falloir beaucoup plus de planification, et il va falloir discuter de la manière dont nous pourrons combler les lacunes du continuum des services en matière de logement. Je vous remercie de vos commentaires.

Le sénateur Tannas : J'aimerais revenir sur la réponse que vous avez donnée à ma question précédente. En fait, voici ce que j'aimerais savoir : si ce changement de paradigme devait se concrétiser et si vos clients, financièrement parlant, étaient désormais ceux pour qui vous deviez auparavant trouver des habitations de rechange, et non plus Ottawa, qu'est-ce qui changerait? Qu'est-ce qui irait mieux et qu'est-ce qui irait moins bien, en supposant qu'il y ait assez d'argent pour répondre aux besoins essentiels?

En fait, oublions l'argent pour un instant : qu'est-ce qui changerait?

M. Audla : Merci pour cette question, sénateur Tannas. En fait, elle n'est pas sans me rappeler celle que votre comité a déjà posée à M. Duschenes : pourquoi ne remet-on pas 400 000 ou 500 000 $ à ces gens pour qu'ils construisent eux- mêmes leur maison? Le problème, c'est qu'ils auraient bien du mal à ne pas payer une fortune pour des matériaux qu'ils seraient obligés d'acheter à la pièce, et non en gros. Et c'est sans parler des plans : il faut qu'ils soient bien conçus, architecturalement parlant.

Le sénateur Tannas : Je comprends. C'est ce que vous faites maintenant, non? C'est votre domaine.

M. Audla : Effectivement, mais il reste à savoir comment nous pouvons, avec 400 000 ou 500 000 $ par unité, trouver le moyen de favoriser l'accès à la propriété. Il s'agit encore là d'une lacune que nous nous employons à combler.

Le sénateur Tannas : Oublions l'idée des 500 000 $, dans ce cas-là, parce qu'elle me semble difficilement réalisable.

M. Audla : En effet.

Le sénateur Tannas : Mais imaginons un instant que ma famille reçoive des transferts du gouvernement pour le logement. Comme nous pouvons nous permettre de dépenser 50 000 $, nous aimerions que vous nous proposiez des solutions de rechange susceptibles de nous intéresser. Serait-ce envisageable, comme scénario? Qu'en pensez-vous? Imaginons un instant qu'au lieu d'attendre que l'argent leur tombe du ciel, c'est-à-dire d'Ottawa, des milliers de gens venaient vous voir pour vous demander une maison et vous faisaient la preuve qu'ils peuvent y consacrer 50 000 $ par année. Pouvez-vous concevoir un tel scénario? Si oui, quel serait alors votre rôle? En quoi serait-il différent de ce qu'il est aujourd'hui?

M. Audla : Oui et non, mais je m'en remets aux réflexions de M. Brown. M. Brown est gestionnaire des politiques. Il travaille à la Société d'habitation du Nunavut depuis 12 ans et il s'y connaît beaucoup. Je viens de commencer, en janvier dernier. Je laisse donc M. Brown répondre, si cela vous va, madame la présidente.

Tim Brown, gestionnaire des politiques et de la planification, Société d'habitation du Nunavut : En ce qui concerne l'accès à la propriété au Nunavut, certains pensent — et je crois que c'est là que le sénateur Sibbeston voulait en venir — que tout le monde rêve naturellement d'être propriétaire. Le hic, au Nunavut, c'est que la capacité est très faible par rapport aux chiffres et aux besoins concrets en matière de logement. Il n'y aura pas des milliers de cas. Nous nous estimerions chanceux s'il y avait une centaine de personnes dans l'ensemble du territoire qui auraient les moyens d'acquérir une propriété dans le cadre du programme de logements sociaux.

Il y a aussi l'aspect des logements destinés aux employés. Environ 20 p. 100 des locataires des logements du gouvernement du Nunavut sont inuits. Ce serait un bassin extraordinaire pour le programme d'accès à la propriété, notamment du point de vue de la viabilité.

Le problème sous-jacent — je crois que c'est là que Terry veut en venir —, c'est le manque de connaissances financières pour pouvoir accéder à la propriété, en plus des autres questions pratiques et pragmatiques, comme les terres disponibles, les coûts généraux de construction ou le prix des maisons dans le Nord.

Je ne peux pas imaginer de situation où nous donnerions autant de subventions, même à 50 000 $ par unité, notamment en raison de ce que nous vivons actuellement, l'héritage laissé par les programmes d'accès à la propriété qui ont été mis en œuvre depuis les années 1970 dans le Nord.

Terry a fait allusion aux problèmes que nous avons en matière de renonciations aux droits et de saisies. Généralement, ces problèmes découlent non pas du coût de financement de l'habitation, mais plutôt des coûts associés à son entretien.

Nous consacrons beaucoup d'argent, environ 4 millions de dollars par année, aux programmes d'accession à la propriété. La majorité de ces fonds est destinée à la réparation et à l'entretien des logements. Par exemple, l'an dernier, 40 des 300 demandes que nous avons reçues concernaient uniquement le programme d'aide pour les mises de fonds.

Ce genre de situation est difficilement concevable dans un contexte comme le nôtre, où 35 p. 100 des logements sont surpeuplés et 80 p. 100 de nos 19 000 locataires gagnent moins de 23 000 $. Quel niveau de financement faudrait-il offrir pour qu'un changement d'une telle ampleur puisse se produire?

La présidente : Honorables sénateurs, nous avons pris du retard. Il ne nous reste plus que cinq minutes, alors je vous demanderais de vous en tenir à de brèves questions.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je dois dire que j'ai hâte d'aller au Nunavut et de voir la situation de mes propres yeux. C'est quelque peu difficile à concevoir.

J'aimerais avoir une précision concernant la page 5. Que signifient les expressions « LHO maintenance » et « LHO administration »?

Le sénateur Patterson : Il s'agit de l'office municipal d'habitation.

La sénatrice Raine : Merci, j'aurais dû le savoir. À la page 7, pourriez-vous expliquer l'historique de l'entente sur le logement social? Il me semble qu'il s'agit d'une bien mauvaise entente, qui, de toute évidence, n'aide pas à résoudre la crise actuelle. S'agit-il d'un programme qui a subitement été abandonné ou est-ce que la situation était prévue dès le départ?

M. Audla : Merci de votre question, sénatrice Raine. C'était prévu dès le départ. L'entente a été conclue en 1998 et elle prendra fin en 2037. Elle prévoit que le financement diminuera progressivement jusqu'au point de devenir inexistant en 2037. En 1998, soit avant la division, c'était le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest qui était en place, et c'est lui qui a conclu l'entente en partant du principe que le financement ne serait plus nécessaire puisque nous serions probablement un peu plus autonomes.

Au fur et à mesure que le financement diminue, du côté du gouvernement du Nunavut, il nous est de plus en plus difficile de nous maintenir à flot, compte tenu du fait que notre parc de logements augmente, ce qui a une incidence directe sur nos coûts d'exploitation et d'entretien associés au parc de logements. On n'avait pas inclus les coûts d'exploitation et d'entretien pour ces logements.

J'ai mentionné que les coûts d'entretien d'un logement s'élèvent à 26 000 $ par année. Ce qui m'a surpris, lorsque je suis arrivé en poste, c'est que c'est l'eau, et non pas l'électricité, qui représente la dépense la plus élevée. J'avais toujours pensé que c'était l'électricité, en raison du coût du mazout.

Qui penserait que le Nunavut, où l'eau est une ressource si abondante, est l'un des endroits où les services d'eau coûtent le plus cher...

La sénatrice Raine : Et qu'est-ce qui explique ce coût élevé?

M. Audla : Il est d'origine locale, puisque les tarifs des services publics sont fixés par les municipalités. Celles-ci ont accès à très peu de sources de revenus; l'eau est l'une d'elles. Elles comptent sur ce service pour accroître leurs revenus, et nous devons composer avec cette situation, d'une façon ou d'une autre.

L'électricité ne suit pas loin derrière. Elle représentait autrefois la dépense la plus élevée, mais maintenant, c'est l'eau, principalement parce que les municipalités se servent des services d'eau pour générer des revenus.

La sénatrice Raine : Ce que vous dites, c'est que les municipalités refilent essentiellement le coût des services d'eau au territoire, au Nunavut?

M. Audla : Oui, jusqu'à un certain point. Je vais cependant laisser Tim vous fournir une réponse plus détaillée à ce sujet, si ça ne pose pas problème, madame la présidente.

M. Brown : La situation s'explique en grande partie par la politique nationale du logement. L'entente sur le logement social est une entente nationale. Chaque province et territoire en a signé une version. Celle du Nunavut a été conclue en 1998, et c'est ce qui avait été convenu. Elle prévoit essentiellement la conversion d'hypothèques en ressources pour couvrir les coûts d'exploitation. Tous ces logements seront libres et quittes de toute charge en 2037; ils nous appartiendront, mais nous avons la responsabilité d'en assurer l'entretien. Ce qui pose problème au Nunavut, c'est que 95 p. 100 de notre financement provient du fédéral; comment pouvons-nous alors assurer l'entretien de ces logements?

Pour ce qui est des coûts et des subventions associés à l'eau, il y a là aussi un aspect historique, en ce sens qu'avant l'entente sur le logement social, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest avait compris qu'il obtenait un meilleur partage des coûts avec le gouvernement fédéral s'il imputait les coûts au programme de logement social, plutôt que de passer par les programmes municipaux. Je crois que c'était dans une proportion de 25-75 au lieu de 50-50.

Or, la loi oblige les municipalités à équilibrer leur budget. La seule façon réaliste pour elles de générer des revenus passe par le programme d'approvisionnement en eau, parce que nous sommes les plus grands consommateurs d'eau dans les collectivités. Sauf à Iqaluit, près de 70 p. 100 des logements qu'on trouve sur le territoire des municipalités sont des logements sociaux.

Le sénateur Enverga : J'ai appris que votre société avait construit à Arviat une maison durable pour le Nord. Pourriez-vous nous parler de cette initiative? Pourrait-on la mettre en œuvre dans d'autres régions du Nord?

M. Audla : Le projet a été réalisé en partenariat avec la SCHL. Malheureusement, comme il a fallu très longtemps pour le mener à terme, ses aspects novateurs ont été intégrés aux logements construits pour le parc de logements à la suite de cette première initiative. Au départ, cette maison devait être unique en son genre, mais ses éléments de conception et ses aspects novateurs ont été repris dans la conception des logements futurs.

Le sénateur Enverga : D'accord. Pouvez-vous nous fournir d'autres détails à ce sujet?

M. Audla : La SCHL et la SHN pourraient accroître leur collaboration à cet égard. Il nous suffirait d'investir le temps et les ressources nécessaires pour réellement nous inspirer du projet d'Arviat à titre d'exemple dont nous pouvons rendre les habitations plus éconergétiques. C'est certainement un objectif que nous aimerions encourager et atteindre. Mais, comme je l'ai mentionné, nous essayons simplement de suivre le rythme à de nombreux autres égards. Nous préférerions nous attaquer au manque de logements, aux 3 000 logements dont nous aurions besoin dès maintenant.

[Note de la rédaction : le sénateur Watt s'exprime en inuktitut.]

Le sénateur Watt : J'aimerais revenir sur ce qu'ont dit d'autres témoins, qui nous encourageaient essentiellement à proposer une solution à long terme plutôt que de nous concentrer sur une solution à court terme, sinon nous nous retrouverons à inventer la roue.

Qu'est-ce que cela voudrait dire pour le Nunavut, où il faudrait construire un nombre considérable d'habitations supplémentaires? Pourrions-nous suspendre le versement du financement alloué par le gouvernement du Canada — celui versé par les territoires et les provinces aussi en fait — pour que nous puissions prendre le temps de réfléchir? Nous devons adopter une vision à long terme, former un comité spécial qui se penchera sur la question, s'il le faut. Nous nous trouvons devant un dilemme en ce moment. Nous savons que les vieilles technologies ont été utilisées pour les logements actuels. Or, nous savons aussi qu'elles ne permettent pas de répondre aux besoins de la population et qu'elles se détériorent très rapidement.

Si nous voulions penser à long terme, seriez-vous en mesure de nous faire des recommandations, en tant que membres de ce comité qui se penche sur la question, sur ce que nous devrions faire? Nous connaissons les problèmes. Les renseignements qu'on nous présente n'ont rien de nouveau. Au cours des 32 années qui se sont écoulées depuis mon arrivée ici, j'ai vu le scénario se répéter année après année, à la manière d'un cercle vicieux. Les mêmes sujets sont discutés, mais nous n'arrivons jamais à trouver de solution.

Le comité pourrait-il produire un rapport dans lequel nous ferions au gouvernement une recommandation expresse concernant un modèle que nous préconisons? Si ce modèle est acceptable, son coût ne serait pas trop élevé, contrairement aux logements actuels, compte tenu du fait que, comme vous l'avez mentionné, les loyers perçus sont très faibles. Vous avez également mentionné que vous avez un manque à gagner de 29 000 $, peut-être même plus. Le problème est généralisé. Il touche l'ensemble du pays, pas seulement le Nunavut; on le retrouve au sein des Premières Nations, pas seulement chez les Inuits.

Si le comité peut contribuer à trouver une solution, nous pourrions envisager une subvention qui, au lieu d'être rattachée directement à la maison, servirait à couvrir les coûts associés aux aspects techniques et architecturaux. Il faut des fonds pour financer ce genre de choses.

Est-ce qu'une telle option serait plus acceptable pour une organisation comme la vôtre? Si on le comprenait et qu'on s'en rendait compte, est-ce que ce serait la voie à suivre? Il faut parfois prendre le temps de s'arrêter. Il ne sert à rien de continuer à faire venir des matériaux du Sud si nous savons que ce n'est pas viable en raison des coûts élevés du transport et des marchandises, du coût élevé de la vie et du pouvoir d'achat quasi nul. Nous devons trouver une solution, et vite. Quelle option devrions-nous retenir en vue de répondre aux besoins de la population?

Il est possible d'y arriver, parce qu'il y a au Canada des spécialistes et des personnes qui sont capables d'innover. Si ces gens unissent leurs efforts, ils réussiront à trouver une solution. J'en ai vu une. Je ne l'ai pas encore présentée au comité, mais je prévois le faire. J'ai parlé à une personne très innovatrice qui propose une structure en forme d'igloo, un genre de dôme auquel sont rattachés des appartements.

Par exemple, on pourrait avoir un dôme auquel seraient rattachés 38 appartements. Les gens vivraient dans leur propre logement, mais ils ne seraient pas à l'étroit. Il est intéressant de penser qu'une telle structure pourrait aussi contribuer à réduire les problèmes sociaux qui touchent les collectivités. Si nous retenons cette option et que nous cherchons à trouver des technologies qui conviennent aux réalités du Nord, je crois que ce serait la voie à suivre.

Qu'en pensez-vous? Nous devons délaisser les solutions que nous employons pour le Nord, parce qu'elles ne fonctionnent pas et qu'elles ne durent pas.

[Note de la rédaction : M. Audla s'exprime en inuktitut.]

M. Audla : Nous nous réjouissons à l'idée de participer, au cours de la prochaine année, à l'élaboration de la stratégie nationale en matière de logement annoncée dans le plus récent budget. Cette mesure tombe à point, mais que permettra-t-elle d'accomplir? Nous espérons que le plan d'action que nous comptons avoir terminé d'ici octobre jouera un rôle important à cet égard. Dans le cadre de ce plan d'action, nous nous pencherons sur les innovations, comme celles que vous avez mentionnées, sur les genres de technologies et de matériaux qui existent et sur les options qui s'offrent à nous. Nous chercherons aussi des moyens de combler les brèches dans le continuum de services en matière de logement, par exemple par l'entremise d'un programme comme celui auquel le sénateur Patterson a fait allusion.

Il s'agit d'un défi de taille, mais je crois que nous disposons de suffisamment de données de recherche et que nous pouvons compter sur suffisamment de gens qui s'intéressent de près à la question depuis des décennies, comme les sénateurs Patterson et Sibbeston et vous-même. Nous discutons de la question depuis des décennies. Le temps est venu de mettre toutes ces discussions à profit de manière à réellement régler la question du logement dans le Nord du Canada. Je crois que le Canada, en tant que pays, doit maintenant comprendre que son Nord...

Le sénateur Watt : Il faut moderniser le Nord.

M. Audla : ... notre Nord a besoin de l'engagement et des infrastructures nécessaires pour loger convenablement sa population.

La présidente : J'aimerais, au nom des membres du comité, remercier les représentants de la Société d'habitation du Nunavut présents ici ce soir : M. Audla, M. Moyo et M. Brown. Merci de nous avoir présenté votre exposé et d'avoir répondu à toutes les questions des sénateurs. Nous avons hâte de traiter avec vous dans un avenir rapproché.

Sur ce, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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