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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 10 - Témoignages du 21 juin 2016


OTTAWA, le mardi 21 juin 2016

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières Nations, des Inuits et des Métis (sujet : jeunes leaders autochtones).

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ici présents et aux membres du public qui suivent cette séance en personne ou sur Internet.

Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire non cédé des peuples algonquins du Canada.

Je m'appelle Lillian Dyck, et j'ai le privilège et l'honneur de présider le comité. J'invite maintenant les sénateurs à se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, Nunavik.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, Ontario.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

La présidente : Avant de commencer ce matin, je voudrais savoir si les membres du comité accepteraient que le service des communications prenne des photos durant les délibérations. Êtes-vous d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Merci.

Ce matin, à l'occasion de la Journée nationale des Autochtones, nous sommes heureux d'inviter 12 jeunes des quatre coins du pays à raconter leurs histoires.

Ce n'est pas la première fois que notre comité entend les témoignages de jeunes Autochtones canadiens. En novembre 2011, nous avons reçu des témoins du Conseil national des jeunes Inuits, du Conseil national des jeunes de l'Assemblée des Premières Nations et du Conseil des jeunes de la Nation Métisse de l'Ontario afin de discuter des questions qui préoccupent les jeunes autochtones. À l'époque, nous avions eu droit à une discussion très captivante sur un vaste éventail de sujets, dont l'éducation, le logement, l'emploi des jeunes, la santé et la culture.

Tout récemment, en avril, lors des déplacements du comité dans le cadre de son étude en cours sur les problèmes de logement dans le Nord, nous avons rencontré, à Kuujjuaq, deux jeunes leaders extraordinaires, qui représentaient le Conseil de la jeunesse de Qarjuit. Leurs témoignages étaient si révélateurs et si importants que nous avons invité les deux à Ottawa, au mois de mai, en vue d'une comparution officielle.

Les témoignages de tous ces jeunes leaders remarquables ont toujours été judicieux et propres à susciter la réflexion. Je sais que ce sera également le cas ce matin avec les témoins que nous accueillons aujourd'hui.

En ce qui concerne la procédure, chaque jeune représentant aura 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire au comité. Si votre exposé dure moins de 10 minutes, les sénateurs auront le temps de vous poser quelques questions. Nous allons commencer par Caitlin Tolley, de Kitigan Zibi, du Québec.

Caitlin, vous avez la parole.

Caitlin Tolley, Kitigan Zibi, Québec, à titre personnel : [Mme Tolley s'exprime dans une langue autochtone.]

Bonjour, tout le monde. Je m'appelle Caitlin Tolley, et je suis membre de la nation algonquine anishinabeg de la communauté de Kitigan Zibi. Je tiens à remercier le Sénat de m'avoir invitée à venir vous parler ce matin.

Je vais entamer ma troisième année en droit à l'Université d'Ottawa, et c'est pour moi un privilège d'être des vôtres ce matin.

Le peuple algonquin occupe ce territoire depuis des temps immémoriaux. Le territoire sur lequel nous nous trouvons est celui de mes ancêtres. Le Parlement surplombe la rivière qui tenait lieu jadis de route traditionnelle pour mes ancêtres. Ils se déplaçaient en canot d'écorce de bouleau sur la rivière juste derrière nous. Mes ancêtres pensaient à nous au moment de négocier avec les colons; c'est pour nous qu'ils ont accepté de partager la terre que nous foulons aujourd'hui.

Autrefois, cette région s'appelait le territoire Kichi Sibi, ce qui signifie le « territoire de la grande rivière ». Je crois que mes ancêtres étaient conscients, bien avant l'arrivée des Européens, de l'importance du territoire Kichi Sibi, aujourd'hui connu comme la ville d'Ottawa, le siège du Parlement et la capitale nationale. Le Parlement et la ville d'Ottawa se trouvent sur un territoire ancestral algonquin qui n'a été ni cédé ni abandonné.

Je suis ici pour vous dire que les Algonquins sont toujours là. Nous continuons d'occuper le territoire. Je suis également ici pour vous dire que les jeunes Algonquins sur ce territoire s'en tirent très bien, qu'ils caressent de grands rêves et qu'ils sont promis à un bel avenir.

Mais je suis également ici pour vous dire que les jeunes Algonquins ont besoin d'aide pour réaliser leur plein potentiel. Je suis ici pour vous rappeler — à vous, les dirigeants — de tenir compte, au moment de prendre des décisions, de la perspective des Algonquins sur le territoire desquels vous êtes tous des invités.

J'aimerais que vous envisagiez de parler aux aînés algonquins, car ils peuvent mettre à profit leur sagesse et leur connaissance du passé. J'aimerais que vous parliez aux jeunes Algonquins, car ils ont de bonnes idées et ils savent quels changements doivent s'opérer au sein de leur communauté.

Aujourd'hui, de jeunes Algonquins retracent le parcours de leurs ancêtres. Ils apprennent leur histoire, leur langue Omàmiwininìmowin, et ils demandent conseil à leurs aînés. Nous pratiquons nos cérémonies et nous continuerons de maintenir nos danses traditionnelles.

Nous devons revitaliser et préserver notre culture, ce qui n'est pas une tâche facile. Il s'agit d'une énorme responsabilité que doivent assumer les jeunes Algonquins d'aujourd'hui. Je crois que nous devons tous travailler ensemble pour devenir des champions du changement au Canada.

J'aimerais également mentionner que les dirigeants d'aujourd'hui doivent s'efforcer d'écouter plus et de parler moins, car telle est l'humble façon de faire des Algonquins.

J'encourage les dirigeants autour de cette table à envisager la possibilité de se doter d'un conseiller algonquin, qu'il s'agisse d'un aîné ou d'un jeune; ce serait là une façon de vous rappeler que vous êtes des invités. Notre culture algonquine est tellement belle. En tant qu'Algonquins, nous avons tant de raisons d'être fiers, malgré les épreuves que nous avons subies. Si nos traditions et notre culture sont bien vivantes aujourd'hui, c'est grâce aux sacrifices de nos ancêtres et à la lutte menée par nos aînés, nos chefs et les jeunes.

En tant que jeune, je crois que même si nous livrons peut-être des batailles différentes de celles de nos ancêtres, nous luttons pour les mêmes raisons : conserver notre culture et nos traditions et améliorer la vie des générations futures. Ce combat ne sera pas facile, mais je suis convaincue que nous disposons des outils nécessaires pour réussir si nous conjuguons nos efforts et si nous prenons le temps de nous écouter les uns les autres.

Je suis ici aujourd'hui parce que mes ancêtres avaient la persévérance et la détermination de survivre, de s'adapter et d'évoluer tout au long des plus de 500 ans de colonisation. Nous, les futurs leaders de la prochaine génération au Canada, avons un rôle très important à jouer. Les membres des Premières Nations et les autres citoyens doivent travailler ensemble pour résoudre certains des grands problèmes auxquels fait face le Canada aujourd'hui.

J'aimerais vous remercier tous de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Dans ma langue, on dit Kikinendam Nongom, Niganin Wabang, ce qui signifie « apprendre aujourd'hui, guider demain ». Kitchi Migwetch. Merci.

La présidente : Merci. Il nous reste quelques minutes. Sénateur Oh, aviez-vous une question à poser?

Le sénateur Oh : Je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui. Pouvez-vous nous dire comment les services de santé touchent votre communauté en ce qui concerne le bien-être individuel, familial et communautaire?

Mme Tolley : Pouvez-vous répéter la question?

Le sénateur Oh : Comment le manque d'accès aux services de santé et les pénuries en professionnels de la santé ont- ils un effet sur votre santé et sur celle de votre communauté?

Mme Tolley : D'accord, vous parlez de l'accès aux soins de santé au sein de notre communauté. Je viens de Kitigan Zibi, une communauté à deux heures au nord d'ici, du côté du Québec. Pour ce qui est de l'accès aux soins de santé dans la communauté, nous avons la chance d'avoir un établissement de soins de santé; dans la réserve, nous avons notre propre centre de santé qui offre certains services de base aux membres de la communauté. On y trouve des médecins et un personnel infirmier qui assurent différents niveaux d'accès aux services de santé.

Pour moi, l'accès aux soins de santé comprend la santé spirituelle, mentale, émotionnelle et physique. Dans l'établissement de santé de Kitigan Zibi, nous adoptons une telle approche holistique au moment d'offrir des services à nos membres.

La présidente : Nous avons du temps pour une dernière question.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je souhaite la bienvenue à tous les jeunes ici présents. Vous avez dit que le Parlement se trouve sur des terres non cédées. Y a-t-il une revendication territoriale pour le territoire non cédé sur lequel nous nous réunissons?

Mme Tolley : En disant cela, j'espérais transmettre le message que vous devez, à chaque séance du Sénat, prendre en considération les points de vue des peuples autochtones.

Je ne suis ni une élue ni une chef en conseil, alors je ne peux pas vraiment parler des revendications territoriales qui pourraient être en cours.

Le sénateur Tannas : Vous avez parlé un peu des aspirations futures. Si vous aviez tout l'argent et tout le pouvoir du monde, quelle serait la chose la plus importante, selon vous, que vous pourriez faire pour votre peuple?

Mme Tolley : Le thème qui ressort de mon exposé, c'est l'importance de la revitalisation de la culture et de la langue. En tant que jeune — j'ai 25 ans —, je trouve que la question la plus importante dans ma vie pour le moment, c'est la préservation de ma culture et de mes traditions. Si j'avais tout le financement voulu ou si je pouvais réaliser n'importe quel rêve, ce serait de faire en sorte que la prochaine génération reçoive et puisse préserver nos enseignements traditionnels, parce que nous savons que la survie de nos langues est en péril. Nous savons que nos aînés meurent en emportant avec eux des connaissances sacrées. Nous savons que le territoire que nous occupons est en train de changer. Voilà donc ce sur quoi j'insisterais : la préservation de notre culture et de notre identité.

Le sénateur Tannas : Très intéressant. Merci.

La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer au témoin suivant, Tenille McDougall, de Fort Macleod. Elle est membre de la Première Nation Tsuu T'ina, en Alberta.

Tenille McDougall, Fort Macleod, Alberta, à titre personnel : Bonjour. C'est pour moi un honneur d'être ici aujourd'hui. Merci infiniment. C'est un privilège de compter parmi les nombreux jeunes remarquables qui sont ici aujourd'hui. J'en suis ravie et quelque peu étonnée, c'est le moins qu'on puisse dire. Je suis membre de la nation Tsuu T'ina. Ma mère vient de la famille Crowchild de la nation Tsuu T'ina et mon père, de la famille McDougall de la nation Piikani.

Je vis actuellement à Fort Macleod, en Alberta, une région nichée entre deux réserves dans le sud de l'Alberta, soit la nation Kainai et la nation Piikani. J'ai un mari merveilleux et d'un grand soutien, qui m'encourage à réaliser mon plein potentiel, et c'est la raison pour laquelle je suis ici. Je veux encourager mes enfants à faire preuve de leadership et à devenir des personnes fortes.

Je suis actuellement la coordinatrice du projet Welcome to Parenthood, dans le cadre d'une étude menée par l'entremise de l'Université d'Alberta. Cette initiative me tient à cœur, parce que j'ai moi-même des enfants. J'établis des liens avec des femmes qui sont enceintes d'environ 32 semaines et qui attendent leur premier enfant, et je leur donne de l'information sur la prise en charge des fonctions de parent. Je leur parle du développement de l'enfant, du développement cérébral des jeunes enfants et des expériences négatives pendant l'enfance, et je les invite à réfléchir à leur propre expérience pour les aider à appliquer leurs compétences parentales de manière positive.

Il y a tellement de choses que j'aimerais vous dire, mais je sais que je dispose de peu temps. J'ai réfléchi à la teneur de mon intervention devant vous aujourd'hui, et je me suis dit que je devrais vous parler de moi, de qui je suis et de ce que je fais dans ma communauté.

J'ai eu mon premier enfant à l'âge de 20 ans, ce qui est très jeune. Je venais de terminer mes études, et j'ai dû retourner chez moi parce que j'avais besoin de soutien pour savoir quelle serait la prochaine étape de ma vie. Je suis donc retournée dans ma communauté, à Fort Macleod, et je suis devenue une gardienne en milieu familial. J'ai beaucoup appris de cette expérience. J'ai acquis des connaissances sur le développement de la petite enfance, notamment la façon d'interagir avec les enfants, de jouer avec eux et de voir les choses de leur point de vue. Cela m'a menée dans une direction tout à fait inattendue.

Toutefois, je me suis rendu compte que je m'isolais parce que j'étais entourée d'enfants tout le temps. On essaie de fournir les meilleurs soins possible aux enfants des autres. Donc, quand j'ai eu mon troisième enfant, j'ai décidé que j'allais prendre le temps de me concentrer sur mes enfants. Ensuite, j'ai peu à peu compris que j'avais besoin de plus. C'était un besoin intérieur. Je devais sortir de ma zone de confort et rejoindre ma communauté. J'ai commencé à faire du bénévolat au sein de la coalition de la petite enfance. Cette occasion s'est présentée parce que mon fils était suivi dans le cadre d'une étude appelée ECMap, dont les résultats ont révélé que les enfants ne franchissent pas les étapes du développement lorsqu'ils entrent à la maternelle. Nous devions trouver les moyens d'appuyer ces enfants âgés de zéro à cinq ans. Ce n'était que le point de départ pour notre communauté.

Plusieurs communautés en Alberta avaient pris des mesures à cet égard, mais j'ai su que je devais appuyer ma communauté dans ce domaine parce que ce problème avait des effets sur moi et mes enfants. Je tenais à trouver une réponse à la question suivante : comment faire pour aider mes enfants à réaliser leur plein potentiel dans la vie?

Je suis donc devenue membre de cette communauté. Nous avons animé des groupes de jeu et fourni du soutien aux parents.

Je suis ici parce que je suis une Autochtone, mais le plus gros problème pour moi, c'est que je ne sais pas vraiment qui je suis en tant qu'Autochtone. Je crois que c'est l'élément le plus important, parce que je suis toujours en quête de mon identité et de mes racines familiales. Nous connaissons une partie de l'histoire. Je sais d'où je viens. C'est un parcours formidable, mais ces traditions ont été transmises progressivement. Je n'en suis pas encore là, mais je cherche toujours à acquérir ce savoir. Je compte y arriver par l'entremise de ma communauté, en interagissant avec les personnes qui sont là, en étant moi-même, en m'exprimant et en tenant à cœur ce que je fais. Je veux être une source d'encouragement pour tous les autres Autochtones et leur dire qu'ils doivent se faire entendre et qu'ils peuvent compter sur leur communauté, peu importe laquelle, pour obtenir de l'aide. Selon moi, c'est ainsi que nous parviendrons à avoir un impact positif les uns sur les autres et à nous entraider.

Cela va au-delà des Autochtones, puisque cette question touche l'ensemble du pays. Il s'agit d'apprendre à mieux se connaître, à comprendre les convictions des autres et à s'épauler mutuellement.

Je veux terminer en disant que je suis très honorée d'être ici. Je me sens très privilégiée d'être parmi des gens de votre calibre. Vous accomplissez un travail remarquable.

Au lieu de nous demander ce qui ne va pas, commençons par nous demander ce qui s'est produit et comment nous pouvons venir en aide. Je vous remercie.

La présidente : Merci, Tenille. Nous avons du temps pour deux brèves questions, mais avant, j'aimerais accueillir un nouveau membre à notre comité, le sénateur Sinclair. Bienvenue.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie d'être des nôtres aujourd'hui. C'est pour moi un plaisir de vous entendre, et je trouve votre histoire touchante.

Je sais que vous prenez soin des enfants, mais d'ici 20 ans, que pourrez-vous dire à vos enfants? Où les voyez-vous d'ici là? Comment les aiderez-vous à atteindre leurs objectifs?

Mme McDougall : J'espère les appuyer dans tout ce qu'ils entreprendront. Je serai là pour les guider. Ils feront certes des erreurs, comme tout le monde, mais c'est ainsi qu'on évolue. J'espère qu'ils vivront pleinement leur culture. J'espère aussi apprendre avec eux d'ici là, parce qu'il s'agit d'une période importante. Mes enfants ont entre 4 et 10 ans, et ils sont maintenant en plein développement. Les cerveaux des enfants sont comme des éponges. Nous allons découvrir ensemble notre culture, et j'espère que nous ferons d'eux des individus fiers et résilients.

Le sénateur Enverga : Comment entrevoyez-vous leur avenir? La communauté peut-elle faire quelque chose pour vous aider?

Mme McDougall : Ma communauté m'aide beaucoup. Elle se montre très solidaire. Si je n'avais pas ma communauté, je ne crois pas que je serais ici. On tient compte de mes suggestions et de mes idées. On m'aide à réaliser mon plein potentiel.

À l'heure actuelle, nous essayons de créer un centre communautaire pour les parents; il s'agit, en fait, d'un centre de la famille pour les enfants âgés d'au plus cinq ans. Nous voulons appuyer ces enfants. Nous organisons des activités de financement. En ce moment, nous essayons d'amasser 2 millions de dollars pour construire ce centre communautaire. J'adore organiser des activités pour ces enfants. Nous préparons d'ailleurs un carnaval familial, qui aura lieu le 9 juillet. C'est quelque chose d'amusant pour les enfants et les familles; les gens se sentent appuyés et inclus dans leur communauté et ils apprennent en même temps qu'ils peuvent compter sur le soutien de leur communauté.

La présidente : Merci. Chers collègues, comme notre temps est limité, je vous prie de vous en tenir à une question. Nous allons maintenant entendre notre troisième témoin, Willie Sellars, de Williams Lake, en Colombie-Britannique.

Willie Sellars, Williams Lake, Colombie-Britannique, à titre personnel : Je vous remercie de votre accueil. Tout d'abord, je tiens à rendre hommage au territoire ancestral des Algonquins de l'Ontario et je les remercie de nous autoriser sur leur territoire.

Je m'appelle Willie Sellars, et je suis membre de la bande indienne de Williams Lake, ou de la réserve Sugar Cane, située à l'intérieur des terres de la Colombie-Britannique, sur la côte Ouest. Ma communauté comprend environ 750 membres de la bande, dont 400 habitent dans la réserve, moi y compris.

La communauté de Williams Lake a fait les manchettes au Canada en raison de la violence liée aux gangs. Je suis fier d'être un pilier de la communauté et de représenter les Premières Nations dans l'ensemble de la province et du Canada sous un jour positif. Je suis entraîneur de soccer pour les enfants. À vrai dire, je suis surtout là pour les motiver. Je suis également entraîneur de hockey, et je suppose que la devise chez nous se résume à ceci : « les cours de sport plutôt que la cour de justice ».

Au fil des 10 dernières années, je suis passé d'un jeune homme timide à un leader bien respecté au sein de ma communauté de Première Nation. Je suis père de trois enfants, dont je suis fier — ils sont âgés de huit ans, de six ans et de six mois —, et je suis l'humble époux d'une belle femme de Chilcotin.

J'en suis à mon deuxième mandat comme membre du conseil de la bande indienne de Williams Lake. Je suis fier de dire que nous faisons des choses assez extraordinaires. Notre conseil est très proactif. Nous recevons un appui solide de la communauté, ainsi que de nos aînés. Dans une région où l'on parle trois dialectes différents appartenant aux Premières Nations locales — Chilcotin, Carrier et Secwepemc —, c'est certainement agréable de voir que nous nous entendons bien et que nous allons de l'avant dans un esprit collectif, mais cette situation comporte aussi son lot de difficultés.

En plus de siéger au conseil, je travaille dans le domaine du développement économique, en collaboration avec la bande. Dans une économie axée sur l'exploitation minière et forestière, nous faisons notre possible à Williams Lake.

Cet été, nous nous apprêtons à achever un projet d'infrastructure de 8 millions de dollars, qui englobe 10 terrains commerciaux et 28 terrains résidentiels viabilisés dans la réserve. Tout y est inclus : trottoirs, aqueducs, égouts et éclairage des rues. Ces lots entourent notre terrain de golf Coyote Rock, qui se trouve également dans la réserve.

Ce projet d'aménagement ainsi que notre réserve sont desservis par une installation de traitement de l'eau, construite il y a cinq ans, grâce à un financement de 5 millions de dollars. Je suis fier d'affirmer que je peux boire mon eau du robinet. C'est la première fois de ma vie que je peux dire cela, et j'ai commencé à le faire plus tôt cette année.

Parallèlement au projet dans la réserve, le ministère provincial des Transports mène un projet d'élargissement à quatre voies sur la route 97 et la RI no 1 de la réserve Sugar Cane. Avant que ces travaux commencent, nous avions conclu un partenariat avec une entreprise de construction appelée Lake Excavating. L'économie était alors au ralenti à Williams Lake. Dans le secteur minier, le volume des activités a connu une baisse, comme vous pouvez l'imaginer; par ailleurs, dans le secteur forestier, les possibilités annuelles de coupe diminuent de plus en plus. Nous avons formé cette coentreprise de construction parce que nous allions entreprendre un projet d'envergure, grâce à une injection de 8 millions de dollars dans l'économie locale, et nous savions que le projet routier serait également lancé. D'ailleurs, celui- ci est évalué à environ 50 millions de dollars pour notre région.

Grâce à ce partenariat, nous avons réussi à réaliser notre projet dans la réserve. Nous avons également fait des travaux de remise en état de 6 millions de dollars au mont Polley en raison de la rupture du bassin de décantation des résidus miniers dont vous avez sûrement tous entendu parler. La digue qui retenait les résidus miniers du mont Polley s'est rompue et a causé un déversement sur le territoire ancestral de la Bande indienne de Williams Lake et de la Bande indienne de Soda Creek. Les travaux de remise en état sont toujours en cours et ont assurément causé beaucoup de maux de tête à notre communauté et perturbé la région de Williams Lake.

Il est toujours délicat de trouver l'équilibre entre l'économie et l'environnement. Quand on envisage de signer des accords de participation ou des ententes sur les répercussions et les avantages avec les Premières Nations et d'établir des partenariats avec les entreprises, il faut également reconnaître les besoins environnementaux. Il est très difficile pour ma communauté d'appuyer l'industrie en sachant qu'il y a eu un déversement d'un bassin de décantation dans notre cour. Il est difficile de trouver l'équilibre entre l'économie et l'environnement.

Je vais vous citer un chef très respecté de la Colombie-Britannique, le chef Clarence Louie : « le cheval économique tire la charrette sociale. » Grâce au cheval économique, nous pouvons offrir beaucoup de services aux Premières Nations, dont un service de loisirs, un groupe pour les aînés, une école primaire et une garderie, qui sont tous financés à 100 p. 100. La liste continue. Ce sont ces services qui nous permettent d'être une communauté en santé.

J'ai également des loisirs. Je suis auteur et j'ai écrit un livre pour enfants intitulé Dipnetting with Dad, qui a remporté des prix. J'ai oublié mon livre à l'hôtel. Je voulais vous en remettre un exemplaire autographié. Je suis désolé.

Il raconte la première fois où je suis allé pêcher à l'épuisette avec mon père, ma mère, mon grand-père et mes oncles. C'est un mélange entre l'éducation que je donne à mes enfants aujourd'hui et celle que j'ai reçue près de la rivière. Le livre met l'accent sur les récits et les histoires, qui font intégralement partie de la culture des Premières Nations comme des non-Autochtones.

Les souvenirs les plus chers de mon enfance, ce sont les moments où j'écoutais les membres de ma famille me raconter des histoires près de la rivière pendant que j'attrapais un poisson que j'adore, le saumon sockeye. J'ai eu la chance de faire une tournée, de remporter des prix et de vendre des livres. Nous en sommes actuellement à notre troisième réimpression avec les Presses Caitlin, donc je leur fais un peu de publicité. Mon livre continue de se faire connaître.

La partie la plus gratifiante dans l'aventure n'est pas le volet financier, mais plutôt la tournée de huit semaines que nous avons effectuée en janvier et février derniers, afin d'aller raconter mon histoire à des gymnases pleins d'enfants, pour leur dire que je suis un Autochtone de l'intérieur de la Colombie-Britannique. Je voyais les visages des jeunes Autochtones dans la foule s'illuminer.

Je me rappelle un jeune garçon autochtone dans la foule. C'était le seul enfant autochtone d'une petite école, et il a dit : « Wow! Je suis Autochtone moi aussi. » Il s'est levé et il était vraiment fier. Ce genre de moment me remplit vraiment le cœur. C'était vraiment une belle expérience.

Pour me garder en forme, j'ai formé une équipe de hockey AA senior, les Tomahawks du Lac La Hache. Nous jouons un peu partout en Colombie-Britannique, jusqu'à Prince Rupert et à Kitimat. C'est une équipe composée en majorité d'Autochtones, une équipe compétitive. Je suis gardien de but et je reçois plus de 60 tirs par match, donc cela me permet de rester bien en forme. Le but est vraiment de me mettre en forme pour la saison de tournois, qui est un aspect important de la culture autochtone. En fait, c'est le sujet du deuxième livre pour enfants que je suis en train d'écrire.

Le hockey m'a permis de voyager partout dans l'Ouest canadien et dans les territoires, puis de découvrir les cultures autochtones de ma région. J'ai récemment participé à un tournoi au Nunavik, j'ai donc eu la chance de voir une partie du pays que je n'aurais jamais vue autrement, et c'était super. J'ai rapporté des cadeaux fantastiques à mes enfants et à ma femme, et de la viande de baleine séchée comme petite gâterie. C'est vraiment intéressant.

Je vis ma culture. Je vis dans l'instant présent et j'adore ce que je fais. Pour l'avenir, je prévois continuer de travailler pour mon peuple et d'écrire des livres à succès pendant que j'élève mes enfants et que j'embrasse ma femme, bien sûr. Je vous remercie de votre temps.

La présidente : Merci.

Le sénateur Patterson : Eh bien, je souhaite vous remercier de ce récit inspirant sur ce que vous faites pour renforcer votre communauté. J'ai bien entendu la recommandation de Tenille de ne pas vous demander ce qui ne va pas, mais je serais tout de même tenté de vous poser une question sur les gangs et de vous demander si vous avez des recommandations à nous faire sur la façon dont nous pourrions aider les jeunes qui s'égarent et qui se tournent vers la violence.

M. Sellars : Il y a beaucoup de façons différentes de s'attaquer au problème. Dans ma communauté, tout part de la maison. Les parents doivent vraiment adopter une approche plus proactive. La vie peut parfois être assez dure quand on grandit dans une réserve. Je peux dire que j'ai grandi dans ma réserve toute ma vie. J'en suis parti et j'ai eu l'occasion de voir diverses parties du pays et de vivre différentes expériences.

On ne se rend pas compte à quel point on est bien chez soi. C'est comme on l'a déjà dit : il faut que ces enfants soient fiers d'où ils viennent, fiers d'être autochtones et qu'ils ne se laissent pas séduire par la mentalité des gangs.

Nous parlons d'un mode de vie sain, nous parlons d'offrir des activités et d'autres choses à faire à ces jeunes. Il faut aller les chercher à un très jeune âge, avant qu'ils ne tombent entre les griffes de ces groupes « cools » ou de ces gangs. Je sais que dans notre communauté, c'est vraiment difficile, parce que beaucoup de jeunes, d'adolescents ou de jeunes adultes d'un certain âge se font prendre et sombrent dans l'alcool et la drogue. Il est vraiment difficile de se sortir de ce cycle.

Nous employons beaucoup de gens dans ma communauté, et je suis certain que nous passons 90 p. 100 de notre temps à essayer d'aider 10 p. 100 de la population. C'est vraiment difficile, et il nous faudra beaucoup d'aide et d'outils différents pour trouver une solution. Il faut peut-être surtout financer davantage ces communautés pour qu'elles puissent offrir des activités à leurs membres et offrir à ces personnes toute l'aide dont elles ont besoin.

La santé mentale est également un facteur important.

La présidente : Passons maintenant à notre prochain témoin, Maatalii Okalik.

Maatalii Okalik, Panniqtuuq (Pangnirtung), Nunavut, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie infiniment de me permettre de témoigner devant vous ce matin.

J'aimerais prendre un instant pour souligner que nous nous trouvons sur le territoire ancestral non cédé de la nation algonquine. C'est un territoire magnifique. Ce matin, j'ai eu l'occasion d'emmener un groupe de jeunes Inuits à la cérémonie du lever du soleil, et nous étions bien contents d'y voir l'honorable présidente, de même que d'autres sénateurs présents ici aujourd'hui, venus partager l'expérience avec nous.

Bonjour, honorables sénateurs, madame la présidente, les autres jeunes Autochtones et Inuits comme moi qui sont ici aujourd'hui (Alethea, de même que Shelby, que vous entendrez bientôt), mon sénateur du Nunavut, l'honorable sénateur Dennis Patterson — et je ne sais pas si je peux oser dire que vous êtes « mon sénateur préféré », je blague. C'est l'un de mes modèles, je suis ce qu'il fait depuis toujours. Il travaille et est toujours disponible pour conseiller le Conseil national des jeunes Inuits.

[Mme Okalik s'exprime dans une langue autochtone.]

Je m'appelle Maatalii Okalik. Je viens de Panniqtuuq, au Nunavut. Je vis maintenant à Iqaluit, où je travaille pour le gouvernement du Nunavut comme chef du Protocole.

Quoi qu'il en soit, j'ai été élue présidente du Conseil national des jeunes Inuits l'an dernier. À ce titre, je représente les jeunes Inuits de 15 à 30 ans de partout au Canada et je travaille avec un Conseil national des jeunes Inuits extrêmement dynamique et dévoué, très présent dans les 53 collectivités qu'il sert, par son travail avec les associations inuites régionales associées aux ententes sur les revendications territoriales de l'Arctique canadien. Cela passe par Inuvialuit jusqu'aux Territoires du Nord-Ouest; il y a trois membres du conseil qui viennent du Nunavut et représentent le Kitikmeot et les régions de Baffin, du Nunavik et du Nunatsiavut.

Je sais que j'ai aujourd'hui l'occasion de vous montrer qui je suis et de vous faire part de mes expériences de jeune Inuite. C'est étroitement lié à ce que je fais dans ce contexte. Comme je l'ai dit, je viens de Panniqtuuq. Je suis déménagée ici, à Ottawa, où j'ai été élevée par une mère inuite monoparentale de trois enfants extrêmement forte. Malgré le fait que nous vivions hors de notre territoire ancestral, j'ai grandi dans un foyer inuit et j'ai été ancrée dans la culture, les bases et les sources de connaissances inuites.

J'ai étudié à l'Université Carleton. Il me manque deux cours pour terminer mon diplôme (après une petite pause) en sciences politiques et des droits de la personne, avec une mineure en études autochtones. J'ai eu l'occasion de travailler comme fonctionnaire pour divers ministères, une expérience qui a commencé par un stage d'été pour étudiants pour Affaires autochtones et du Nord Canada et le gouvernement du Nunavut, à titre de conseillère principale en matière de transfert des responsabilités auprès du négociateur en chef et de conseillère des députés de l'Assemblée législative. J'ai récemment été nommée chef du Protocole.

Les gens me demandent pourquoi je suis si déterminée et motivée à travailler pour et avec les jeunes Inuits. C'est parce que je vois dans quel état se trouvent les affaires de mon peuple et que je ne les comprenais pas quand j'étais enfant et adolescente. Je suppliais les adultes de m'aider à comprendre pourquoi les choses étaient ainsi et j'ai commencé à poser des questions critiques chez moi. Je suis très reconnaissante envers ma mère, qui a su me donner des réponses quand elle s'est sentie prête à le faire. Mais il n'y a pas toujours cet espace de sécurité dans les autres maisons. Il y a un discours ouvert, non seulement sur notre territoire ancestral, mais partout au Canada; je pense que les choses changent et que c'en est un exemple.

Le Conseil national des jeunes Inuits a cinq priorités, qui ont été établies par les jeunes Inuits de partout sur notre territoire. Tous les deux ans, nous tenons le Sommet national des jeunes Inuits et rassemblons les jeunes Inuits en une seule et même communauté. Cela change d'une région à l'autre.

J'ai eu l'occasion, un mois ou deux après mon élection, de tenir le 10e Sommet national annuel des jeunes Inuits à Iqaluit, au Nunavut. Les jeunes Inuits ont alors eu l'occasion de se rassembler et de passer cinq jours ensemble pour discuter de toutes sortes de choses, travailler ensemble pour promouvoir les pratiques exemplaires, renforcer les relations entre nous et entre les régions et établir les priorités futures du conseil. Notre mandat est directement et intrinsèquement lié aux jeunes Inuits, qui nous racontent les réalités qu'ils vivent.

Cela change d'une région à l'autre, d'une communauté à l'autre, d'un jeune Inuit à l'autre. Cependant, je pense que les priorités sont claires à l'échelle nationale. De même, d'après ce que j'ai entendu jusqu'à maintenant, il semble qu'il y ait des points communs avec les autres jeunes Autochtones du Canada.

La priorité no un est la langue inuite. Nous célébrons le fait qu'il y a un fort taux de rétention de notre langue au Canada; cependant, nous reconnaissons que cela diffère d'une région à l'autre, selon le lien qui nous unit, l'histoire récente de la colonisation et les pratiques d'assimilation, que nous connaissons tous. Le niveau de maîtrise de la langue varie de 25 à 99 p. 100, selon des études récentes, mais nous savons que notre langue est en déclin.

Ces pourcentages ne reflètent pas nécessairement la réalité des jeunes Inuits en particulier. Les jeunes Inuits souhaitent vivement se rapprocher de notre langue et comprennent que c'est l'épine dorsale de notre identité. C'est une façon de continuer de communiquer avec nos aînés et les membres de nos familles, d'embrasser le savoir inuit avec le cœur et l'esprit ouverts et de continuer de faire ce que des leaders comme le sénateur Watt et d'autres ont fait et devaient faire il y a à peine 60 ou 70 ans, peut-être moins encore, soit mener un mode de vie qui reflète notre identité culturelle dans la société moderne.

Nous, les jeunes Inuits, souhaitons vivement continuer de suivre le chemin de ceux qui l'ont tracé pour nous.

La priorité no deux est la culture et les pratiques inuites. Nous parlons une langue unique. En tant que Canadiens, nous sommes liés à nos familles et à notre environnement. De par notre culture et nos pratiques, nous avons réussi à survivre et à continuer de vivre sur le territoire que nous considérons nôtre.

Nous possédons 50 p. 100 de la superficie terrestre et de la ligne de côte du Canada. Nous affirmons notre souveraineté dans ce pays, en tant qu'Inuits, et nous le faisons depuis des milliers et des milliers d'années.

Cela ne me semble absolument pas logique parfois, quand vous essayez de comprendre pourquoi notre niveau et notre qualité de vie diffèrent tellement du niveau et de la qualité de vie au sud du Canada et dont peuvent profiter les autres Canadiens malgré le fait qu'il s'agisse de droits fondamentaux.

Nous aimerions pouvoir continuer de renforcer notre culture et nos pratiques et demeurer fermement Inuits. Les jeunes Inuits qui participent à nos sommets ou qui ont eu la chance d'échanger avec nous plusieurs fois sont fiers de rester Inuits et de se faire des ambassadeurs de notre culture. Nous avons la population qui connaît la croissance la plus rapide au Canada. Les jeunes Inuits constituent la majorité de la population inuite totale et ont des parents jeunes. Certains autres jeunes Autochtones veulent eux aussi élever leurs enfants sur les bases des principes de notre culture et de notre langue. Ce sont nos deux grandes priorités.

La troisième est la prévention du suicide. Je sais que cela a fait l'objet de discussions nationales dernièrement, et j'en suis bien heureuse, parce qu'il y a une crise nationale qui mérite une réponse nationale.

Nous affichons le taux de suicide le plus élevé au Canada, et certains disent que ce serait même le plus élevé au monde. Je pense que c'est étroitement lié à notre histoire récente. C'est pourquoi nous voulons renforcer notre langue et notre culture, malgré le fait que l'intention était de les faire disparaître. Nous nous réjouissons d'avoir conservé des liens avec notre langue et notre culture, mais nous devons les resserrer si nous voulons remédier au problème du suicide. Je suis très heureuse que notre président national, Natan Obed, publie une stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits à la fin de l'été. J'ai beaucoup d'espoir pour l'avenir. Les jeunes Inuits souhaitent voir le suicide éradiqué de nos vies.

Notre priorité no quatre est l'éducation et l'autonomie. Plus nous serons éduqués, non seulement selon l'épistémologie occidentale, mais selon les connaissances inuites, plus nous serons en santé et heureux et plus nous pourrons faire de véritables choix, individuellement, en famille, dans nos communautés et nos régions, sur la façon dont nous pouvons contribuer vraiment à la société canadienne. Nous faisons de notre mieux pour faire valoir la nécessité de terminer ses études. Nous aimerions que le taux de décrochage diminue.

Nous avons lancé, hier, notre trousse d'outils sur la littératie financière pour les jeunes Autochtones en collaboration avec le Club économique du Canada. Nous voulons vraiment que les 53 communautés inuites se l'approprient pour que les jeunes Inuits y aient accès et l'utilisent.

La dernière priorité est la réconciliation. La réconciliation est absolument nécessaire pour l'avenir de ce pays, non seulement la réconciliation dans nos communautés, mais au Canada en général.

Comme je l'ai indiqué quand je me suis présentée, je me suis toujours demandé pourquoi les choses étaient telles qu'elles le sont aujourd'hui. Ce dialogue est totalement lié à notre histoire récente. Nous aimerions créer un espace sûr, soit par les sommets nationaux des jeunes ou par le travail que nous faisons, pour les jeunes Inuits, afin qu'ils puissent comprendre cette histoire et analyser de façon critique l'état actuel de nos affaires et déterminer comment ils comptent s'orienter pour l'avenir.

Il y a une chose que je souhaite, non seulement pour les jeunes Inuits ou les jeunes Autochtones du Canada, mais aussi pour ce gouvernement, c'est que l'appel à l'action no 66 de la Commission de vérité et de réconciliation porte fruit. Cet appel à l'action demande au gouvernement fédéral d'investir dans des programmes destinés aux jeunes Autochtones afin de favoriser la réconciliation et de créer un réseau national d'échange sur les pratiques exemplaires, parce que nous avons des histoires et des cultures uniques, mais nous partageons aussi des réalités très collectives en tant que jeunes Autochtones. J'aimerais que cette recommandation se concrétise. Si vous avez des conseils à nous donner sur la façon d'y arriver, je suis très ouverte.

Ce sont nos priorités. Elles sont ancrées dans mon identité personnelle et, je pense, dans l'identité des jeunes Inuits. Avant de conclure, j'aimerais vous dire que je comprends l'importance du travail effectué par le comité des peuples autochtones. Je vois tout l'intérêt que vous portez à votre travail en permettant à divers témoins de venir présenter leurs points de vue à chacun de vous. Je suis très heureuse que vous vous penchiez sur la crise du logement, et j'ai hâte de lire votre rapport et vos recommandations. Je souligne aussi que je suis contente que les jeunes Autochtones aient la chance aujourd'hui de venir participer à cette étude, d'une façon pas trop officielle. Je pense qu'il serait bon que le comité envisage, pour étudier certaines questions spéciales, d'entendre les jeunes Autochtones dans un cadre informel sur leurs priorités, parce que les jeunes Autochtones savent de quoi ils ont besoin dans leurs communautés.

Comment le comité peut-il entendre les recommandations des jeunes dans le cadre de ce travail, comment pouvez- vous nous permettre de naviguer parmi les réalités complexes qui relient de diverses façons le Cabinet et les ministères dans ce gouvernement fédéral? Si je peux vous faire cette recommandation, je vous en remercie à l'avance.

[Mme Okalik s'exprimait dans une langue autochtone.]

Merci beaucoup.

La présidente : Merci. Nous allons maintenant entendre notre prochain témoin, Kluane Adamek, qui vient de Whitehorse, au Yukon.

Kluane Adamek, Whitehorse, Yukon, à titre personnel : Bonjour à tous.

Je suis très heureuse d'être ici, mais je suis aussi un peu tendue, donc j'aimerais que tout le monde s'étire un peu, honorables sénateurs. Veuillez vous étirer. Levez-vous et étirez-vous. Les gens qui nous regardent riront un bon coup.

Je suis très contente d'être ici. Je fais partie de la Première Nation Kluane, une petite communauté du Yukon. Environ 80 personnes vivent dans ce village à l'année. Oui, c'est un très petit village. Tout le monde y est mon cousin ou ma cousine, comme vous le comprendrez sûrement. Je fais partie du Dakhl'aweidí, le clan de l'épaulard. Nous descendons des lignées du loup et de l'aigle, selon le système de clans utilisé sur la côte. Je vis à Whitehorse, mais je viens de la Première Nation Kluane. Mon nom traditionnel est Aagé, la Fille du lac. C'était le nom de mon arrière- arrière-grand-mère.

Pour ceux qui connaissent l'histoire du Yukon, ce serait Skookum Jim qui a découvert l'or, même si ce n'est pas toujours reconnu, et sa sœur s'appelait Aagé. Je suis d'une lignée de la côte, et je descends également du peuple athabascan de l'Alaska.

Pour ce qui est de mon témoignage devant les sénateurs aujourd'hui, je voulais montrer des images pour mettre un peu de piquant. Je recommande que nous ayons la possibilité de le faire la prochaine fois. Je voulais parler de quelques éléments essentiels ainsi que d'un projet auquel je travaille présentement.

En réfléchissant à ce dont j'allais vous parler aujourd'hui, la première chose qui m'est venue à l'esprit, c'est l'idée d'aider et de construire les collectivités par la culture et l'identité, ce qui commence avec les jeunes.

Dans ma carrière, je me suis concentrée sur le travail auprès des enfants et des jeunes dans les domaines de l'éducation, du renforcement communautaire et du développement économique au Yukon et ailleurs. Dans ce cadre, la culture, l'art et l'identité ont été au centre des projets auxquels j'ai participé. J'ai obtenu mon diplôme de premier cycle à l'Université Carleton en 2009 et je voulais saluer la nation algonquine et ma collègue Caitlin Tolley. Nous faisions toutes les deux partie du Conseil national des jeunes de l'Assemblée des Premières Nations.

Par la suite, je suis retournée au Yukon et j'ai mené des initiatives au Conseil des Premières Nations du Yukon et j'ai été membre du Conseil national des jeunes, comme je l'ai mentionné. Ces possibilités m'ont permis de devenir conseillère auprès de Shawn A-in-chut Atleo, l'ancien chef national de l'APN. Toutes ces expériences m'ont permis d'apprendre et d'acquérir des aptitudes au leadership.

Parmi d'autres projets auxquels j'ai participé et dont je suis heureuse de vous parler, il y a mon expérience au Skookum Jim Friendship Centre, où j'ai géré des programmes sportifs parascolaires, et au bureau du chef national de l'APN. Je travaillais auprès de nations de partout au pays, je me rendais dans un certain nombre d'écoles différentes et j'ai vraiment été témoin des situations que vivent les Premières Nations de très petites collectivités rurales.

Dans le cadre de mon travail à l'APN, j'ai commencé également un projet avec la Fondation Walter et Duncan Gordon. J'ai choisi de mener un projet au Yukon qui porte sur l'engagement des jeunes.

Hier soir, j'ai dit à ma collègue Caitlin en plaisantant que j'allais pleurer aujourd'hui, mais je vis ce moment, alors voilà, je pleure. Si je suis émotive, c'est qu'en 2013, un jeune cousin à moi — il avait 18 ans — venait de terminer ses études secondaires et il avait essentiellement la vie devant lui, mais il s'est suicidé. Cela a été incroyablement difficile. Dans ces moments, où je me trouvais seule dans la capitale — mis à part un membre de ma famille qui y faisait ses études —, quelque chose m'a frappée : il y a tellement à faire dans nos collectivités. Je voulais donc souligner ce qu'a dit la personne qui m'a précédée sur les Inuits — mais c'est vraiment quelque chose qui se produit dans les collectivités autochtones partout au pays.

Dans une période de noirceur et de désespoir, j'ai envoyé un message Facebook à quelques amis du Yukon. Il y avait eu un certain nombre de suicides et d'homicides au Yukon plus tôt dans l'année. J'ai envoyé un message dans lequel je leur demandais ce qu'ils faisaient dans leurs collectivités. À part les responsabilités du gouvernement et des Premières Nations — que faisons-nous pour nos jeunes?

Nous avons d'abord communiqué par conférence téléphonique. Nous étions environ 10 personnes la première fois. Nous avons décidé de tenir un rassemblement pour les Autochtones du Yukon afin de créer un endroit leur permettant de discuter, de tisser des liens, un endroit où ils savent qu'ils ne sont pas seuls s'ils font face à des difficultés et qu'ils vivent des moments de désespoir, de violence et s'ils sont confrontés à des problèmes de toxicomanie.

Nous entendons constamment ce genre d'histoires dans les nouvelles. Malheureusement, on ne parle pas de toutes les très bonnes choses qui se passent, et on ne dit pas que de jeunes autochtones, comme bon nombre d'entre nous le disent ici aujourd'hui, ont des solutions, et que nous savons quelles mesures doivent être prises dans nos collectivités. Nous avons simplement besoin de l'appui qu'il faut pour les prendre.

Après que nous nous sommes établis en tant que Yukon First Nations Emerging Leaders, nous avons planifié le rassemblement estival. J'ai fini par réaliser mon projet, et il s'agissait de préparer un rassemblement jeunesse au Yukon. Nous l'avons appelé « Our Voices, Yukon First Nations Emerging Leaders Gathering ». D'anciens dirigeants y ont participé et des chefs de Premières Nations du Yukon ont donné leur appui. Nous voulions nous assurer que tout jeune autochtone du Yukon peut être représenté de sorte que les gens se sentent inclus.

Plus de 100 jeunes étaient présents. C'était incroyable. La dynamique était vraiment formidable. Cela nous a conduits à devenir un groupe officiel, qui s'appelle Our Voices. Je vous encourage tous à nous « aimer » sur Facebook.

Nous sommes devenus officiellement un groupe en janvier 2014. À l'époque, nous étions deux coprésidents, l'autre étant Jordan Peterson, du Conseil tribal des Gwich'in, et je voulais le saluer — et je salue tous les autres membres de Our Voices. Notre comité de direction comprend maintenant sept membres. Nous constituons un projet financé par Tides Canada. Nous sommes en mesure d'accéder à des ressources publiques, privées et provenant de fondation, ce qui est fantastique.

Nous avons préparé notre deuxième rassemblement l'an dernier, qui était axé sur la santé mentale et le bien-être. Nous avons coopéré avec la Première nation des Kwanlin Dun. À chaque rassemblement, nous coopérons avec une Première nation de la région qui nous donne des conseils sur les cérémonies et le protocole dont il faut tenir compte pour le territoire traditionnel sur lequel nous nous rencontrons.

Chaque année, 50 participants s'ajoutent, et la réaction des jeunes est incroyable. Des jeunes de 17 ans veulent faire partie du comité de direction, et je me dis, vraiment? Cela représente beaucoup de travail, mais ils disent que cela ne leur importe pas et qu'en nous voyant faire, ils veulent participer. Nous avons créé un système qui permet à n'importe qui de devenir membre. Notre site web est presque totalement fonctionnel. Lorsqu'il le sera, je vous incite tous, les sénateurs et les autres personnes ici présentes ou en ligne, à devenir membres de Our Voices.

C'est ouvert à tous. Nous voulons vraiment nous assurer que notre travail — notre mandat, c'est que nous soyons des leaders autochtones émergents du Nord inspirés, mobilisés et dynamiques — est intégré dans tout ce que nous faisons, qu'il s'agisse de l'éducation, du développement économique ou de l'identité, ce qui constitue une priorité.

Pour résumer les choses, je veux dire qu'au cours du processus, nous avons appris que nous n'avons pas à demander la permission à qui que ce soit pour réaliser ces choses. En fait, il nous incombe à nous, les jeunes, d'apporter les solutions. Il faut régler les problèmes systémiques auxquels nous faisons face, et la réconciliation doit être à l'avant- plan de notre travail. De plus, il faut qu'on donne la possibilité aux jeunes de mettre en œuvre les solutions qui doivent être appliquées dans nos collectivités et l'espace voulus pour le faire.

Je voulais seulement conclure en vous remerciant, encore une fois, de nous accueillir tous, que nous provenions de très loin dans le Nord ou de Kitigan Zibi. Je pense que c'est important. Je vous remercie encore une fois.

La présidente : Merci beaucoup, Kluane. Vous avez montré à quel point le suicide est dramatique et la mesure dans laquelle cela vous a inspirée à faire quelque chose de positif.

Nous allons maintenant entendre Justin « Jah'kota » Holness.

Justin « Jah'kota » Holness, Winnipeg, Manitoba, à titre personnel : J'aime qu'il soit écrit « Jah'kota » sur mon porte- nom. C'est parfait.

[M. Holness s'exprime dans une langue autochtone.]

Dans ma langue, le nakota, je vous ai demandé comment vous alliez et j'ai dit que j'étais heureux de vous voir. Mon nom spirituel est Owicagi'yesa, qui signifie « celui qui aide ». J'ai appris ma langue récemment, soit au cours des six derniers mois. Le nakota est presque disparu, et je suis fier que ma grand-mère m'ait transmis ces enseignements.

Je suis né et j'ai grandi à Winnipeg, où il y a le plus important ratio d'Autochtones. Mon père vient de Kingston, en Jamaïque, et ma mère vient de la Première nation Ocean Man, en Saskatchewan.

Avant que je déménage ici, j'ai vécu une période très difficile. On a pointé une arme sur moi à bout portant; et j'ai fait partie des gangs de rue. Je peux donc comprendre les jeunes qui vivent des choses similaires.

Juste avant de déménager ici, j'ai eu le privilège et l'honneur de travailler au premier événement national de la Commission de vérité et de réconciliation à Winnipeg. J'étais coordonnateur. C'était la première fois que je vivais cette partie de mon histoire. J'étais dans la vingtaine à l'époque, et pour moi, c'est fou; j'aurais dû connaître mon histoire et mon identité le plus tôt possible. Lors de cet événement, j'ai été témoin de choses qui m'accompagneront toute ma vie.

Or, cet événement m'a appris qui je suis en tant qu'Autochtone. J'ai saisi l'occasion de déménager à Ottawa, parce que mes parents sont séparés et que ma mère vit ici. J'en ai profité pour repartir à neuf et essayer d'enrichir mon expérience professionnelle dans la capitale du Canada.

En déménageant ici, j'ai présenté ma candidature aux Forces canadiennes dans le cadre du Programme Black Bear, qui est destiné aux recrues autochtones. J'ai été désigné comme meilleur candidat et j'ai obtenu le prix de camaraderie. J'ai pensé que je me débrouillais bien, et je croyais poursuivre dans cette voie. Le Programme Black Bear est le seul qui inclut du mentorat. J'ai eu le privilège d'y participer en tant que mentor l'année suivante, et c'est cette expérience qui m'a fait comprendre que je voulais travailler auprès des jeunes.

Peu après les deux années que j'ai passées dans les Forces armées canadiennes, j'ai compris que ce n'était pas vraiment un domaine pour moi. Je suis passionné de musique et j'ai fondé Un1ty Entertainment. Nous offrons un milieu créatif permettant aux Autochtones de s'exprimer et de faire connaître leur patrimoine sous toutes les formes d'art, de musique et de mode.

Je suis fier également de dire que nous sommes responsables de l'INDIGENIUS Art, Music, and Fashion Show annuel d'Ottawa qui aide à inspirer des jeunes à trouver leur génie.

Je suis aussi un artiste autochtone de hip-hop, d'où mon nom, Jah'kota, et il y a deux ou trois ans, j'ai lancé un album intitulé Indigenius, car je suis fermement convaincu que chacun de nous a un génie en lui et que nous avons simplement besoin de l'exploiter.

Nous venons de célébrer notre troisième événement annuel. J'en suis très fier. Par conséquent, j'ai créé le Urban Aboriginal Scholarship Fund pour soutenir nos jeunes dans leur transition de l'école secondaire au collège ou à l'université. J'estime que c'est très important. L'éducation et le savoir sont synonymes de pouvoir.

Récemment, il y a deux semaines, en collaboration avec Annie and Company, nous avons organisé une activité de financement à Attawapiskat pour prévenir le suicide chez les jeunes. Nous sommes fiers d'avoir amassé 10 000 $. L'événement affichait complet, et je suis très reconnaissant et touché par la réaction de la ville d'Ottawa.

La fin de semaine dernière, j'ai organisé le premier événement Boys with Braids en collaboration avec Elaine Kicknosway, Florence et le Minwaashin Lodge, et je suis vraiment très heureux que nous puissions sensibiliser les gens sur les problèmes d'intimidation dont sont victimes nos jeunes garçons et les hommes qui portent des tresses.

Je comparais aujourd'hui simplement pour raconter mon histoire. Je suis très heureux d'avoir été invité. Je suis profondément convaincu que les jeunes sont les personnes les plus résilientes au monde et que les arts et la culture constituent la plus grande forme d'intelligence humaine; et à mon avis, la meilleure façon dont nous pouvons revitaliser nos collectivités, c'est en amenant ces jeunes à être fiers de leur identité et à comprendre à quel point leur culture est importante.

Je vais terminer peut-être en marquant l'histoire et en chantant un couplet au Sénat :

Dix fois supérieur à la moyenne nationale, leur taux de mortalité.
Les jeunes vivent des choses impossibles à exprimer.
À nous de décider quel monde nous voulons créer.
Jah'kota, je fais de la musique pour militer.
Je rends hommage aux Autochtones en difficulté.
Même si nous mourons, notre nombre ne cesse de doubler.
Le traumatisme intergénérationnel n'est pas synonyme de conspiration.
Demandez aux familles éprouvées par les assassinats ou les disparitions.
150 ans de génocide.
Pas étonnant que ces enfants se suicident.
Pas de culture, d'enseignement et d'identité.
Notre passé colonial, notre ennemi, il est.
Crime national transmis au fil des générations.
Ceci est un appel que je lance à tous mes parents, attention.
À tous mes dirigeants et défenseurs du pays entier.
Il est temps que nous éradiquions la pauvreté.
À une situation urgente, nous sommes confrontés.

Meegwetch.

La sénatrice Raine : J'écoute simplement. Je suis votre conseil. J'aime vraiment écouter ces histoires aujourd'hui. Merci à tous.

La présidente : Notre prochain témoin s'appelle Kelly Duquette. Elle vient d'Atikokan, en Ontario.

Kelly Duquette, Atikokan, Ontario, à titre personnel : Merci. Bonjour à tous. Je veux tout d'abord souligner que nous nous trouvons sur un territoire algonquin qui n'a pas été cédé. Je remercie tout le monde de nous accueillir et de nous permettre de raconter nos expériences.

Je m'appelle Kelly Duquette. Je viens d'Atikokan, dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Je suis représentante des jeunes de la région 1 au Conseil des jeunes de la Nation Métisse de l'Ontario, zone d'adhésion au Traité no 3.

J'ai grandi dans un petit village isolé dans lequel, malheureusement pour moi, on n'enseignait pratiquement rien sur les peuples ou les arts autochtones. J'ai grandi en connaissant mes origines écossaises et françaises, que j'ai beaucoup célébrées, en fait. C'est à l'âge de 12 ans que j'ai découvert mes origines métisses, et c'est à ce moment-là qu'a commencé mon cheminement vers la réappropriation de mon identité culturelle.

Cela a vraiment été une époque déroutante pour moi. Je me demandais pourquoi mes ancêtres avaient gardé secret notre héritage pendant si longtemps et pourquoi c'était tellement essentiel pour la survie de notre identité et de notre peuple. Ces questions sont devenues les forces motrices de mon engagement dans la collectivité métisse, et elles ont également eu une influence sur mes choix d'études.

En 2014, j'ai été élue représentante des jeunes de la région 1 au Conseil des jeunes de la Nation Métisse de l'Ontario. Avec ma mineure en études autochtones, j'ai commencé à trouver ma place dans ma collectivité. J'ai commencé à comprendre où je me situe dans la grande histoire.

J'ai utilisé l'art comme un cadre, un moyen de faire connaître aux autres ma culture et mes expériences en tant que membre d'une nouvelle génération de Métis. Comme l'a dit Louis Riel, « quand mon peuple s'éveillera, après un sommeil séculaire, ce sont les artistes qui l'animeront ».

Notre génération est en train de préparer l'avenir. Nous sommes les enseignants maintenant, puisque le transfert de connaissances autochtones a été interrompu pour bon nombre de nos familles il y a 100 ans. Notre génération n'a pas à craindre de célébrer son identité. Nous pouvons raconter nos histoires avec fierté.

À titre d'artiste dont les œuvres ont été publiées, j'ai pris ces paroles au sérieux. En 2012, ma toile intitulée Disconnected, qui dépeint les répercussions de la colonisation sur le transfert du savoir autochtone, a figuré dans l'ouvrage intitulé Dreamcatcher and the Seven Deceivers, de David Bouchard. En 2013, mon œuvre intitulée Robbed of Their Culture, une photographie sur pellicule en noir et blanc, décrit les effets des pensionnats sur notre peuple, le processus d'assimilation et les origines des stéréotypes. Elle a été publiée dans le guide de l'enseignant du Canada à propos du système de pensionnats dans les Territoires du Nord-Ouest.

Au cours de la présente session, je me suis exprimée grâce à un nouveau style de peinture. Ce processus est devenu un des éléments les plus importants de mon travail, car il rend compte de ma personnalité et des difficultés que moi et bien des jeunes Autochtones devons affronter.

Les gens ne voient que le produit fini et non le processus. Pour une de mes œuvres, j'ai décidé d'enregistrer mon processus sur vidéo afin de souligner l'importance de ma démarche artistique et de révéler une partie de mon travail que très peu de gens connaissent. Par ce film, je tente de conférer au processus une importance égale à celle de mes peintures achevées.

Chaque scène du film montre une étape de mon processus, et chaque processus témoigne d'une facette de notre histoire au Canada. Le film s'ouvre sur le mélange des pigments, qui symbolise l'ethnogenèse et l'émergence du peuple métis. Le flou représente la perte et le rejet de notre culture. La désagrégation de la frisquette liquide représente les efforts déployés dans les pensionnats pour dépouiller les Métis de leur culture afin de tuer l'Indien à l'intérieur de l'enfant. La peinture blanche couvrant le mélange de couleurs symbolise le processus d'assimilation qui a mis fin au transfert de savoir autochtone et nous a poussés à nous fondre dans la culture dominante.

Le perlage que l'on voit à la fin représente la réappropriation de notre culture après des années de silence et d'oppression de notre peuple. Les mots que je prononce à la fin sont en français michif, un dialecte de la langue traditionnelle du peuple métis. Je me suis adressée à un groupe de gardiens du savoir de ma communauté pour apprendre la phrase Chrpren ma keultseur, erprend ma voyoi, erprend kikchu, qui signifie : « Nous recouvrons notre culture, notre voix et notre identité. »

On entend ces mots alors qu'on me voit en train d'effectuer un travail de perlage, ce qui fait ressortir encore plus la force et la résilience de notre people.

Le film était montré à côté de ma série de toiles intitulée I forgot who I was but now I remember, présentée à l'occasion de mon exposition de fin d'études en avril. Même si j'ai fait face à de nombreux obstacles après avoir terminé mes études secondaires, j'ai travaillé dur pour atteindre mes objectifs. Inspirée par la détermination de mes ancêtres, j'ai reçu le prix le plus prestigieux remis à un peintre de mon groupe, alors que j'avais été acceptée de justesse à l'université parce que je ne possédais aucune formation artistique.

À titre de Métisse, j'ai écouté les points de vue des deux côtés, prêtant l'oreille tant aux Autochtones qu'aux non- Autochtones, et je constitue un pont entre les deux nations. Je suis déterminée à continuer de défendre la voix des Autochtones et à représenter ces derniers dans le cadre de leur lutte pour obtenir la reconnaissance juridique de leurs droits.

J'entamerai mon doctorat en droit dans le programme de common law de l'Université d'Ottawa à l'automne, mais j'ai l'intention de continuer de créer des œuvres artistiques au cours de mes études en droit. Meegwetch.

La présidente : Nous avons le temps de poser des questions. Vous avez indiqué que vous aviez 12 ans quand vous avez découvert l'identité métisse de votre famille. Comment avez-vous pu retrouver la trace de vos ancêtres métis?

Mme Duquette : Un jour que je feuilletais un album de photos, j'ai vu une vieille photo de ma grand-mère en compagnie de sa grand-mère. Il m'a semblé que cette dernière était de toute évidence autochtone. J'ai demandé à ma grand-mère : « Ne savais-tu pas que ta grand-mère était autochtone? », ce à quoi elle m'a répondu qu'elle l'avait toujours ignoré parce qu'elle était écossaise, point final.

Un grand nombre de nos familles ont rejeté notre culture pour éviter d'être victimes de discrimination. C'était un moyen de survie. Quand nous découvrons nos origines, c'est par intuition. Ma grand-mère a retrouvé son dossier à Red River et c'est ainsi que nous avons tout découvert. Bien des gens découvrent la vérité dans la cinquantaine ou dans la trentaine. Que de temps perdu!

La présidente : Quel était le nom de famille écossais?

Mme Duquette : Des deux côtés de ma famille, c'est Davidsons et MacKay.

Le sénateur Patterson : Kelly, je crois comprendre que vous êtes une artiste qui se destine au droit. Avez-vous songé à la manière dont vous pourriez utiliser votre diplôme en droit et peut-être réfléchir aux conséquences de la décision que la Cour suprême a rendue récemment au sujet des Métis? Vous orientez-vous dans cette voie?

Mme Duquette : Bien sûr. Après avoir vu les avocats de ma communauté accomplir de grandes choses pour notre nation, je considère qu'il est en quelque sorte de ma responsabilité d'aider maintenant ma communauté et d'autres communautés autochtones à faire valoir leurs droits. Le droit de récolte est crucial. Je suis incapable d'obtenir ma carte de récolteur parce que ma famille est originaire du Manitoba et que je suis résidante et citoyenne de l'Ontario. Il importe que notre peuple puisse faire entendre sa voix dans des dossiers comme celui-là. Si je peux obtenir les moyens d'aider notre peuple à progresser et à faire reconnaître ses droits, alors c'est quelque chose que je voudrais vraiment faire.

La présidente : Nous allons maintenant entendre notre prochain témoin : Katelyn LaCroix, de Penetanguishene, en Ontario.

Katelyn LaCroix, Penetanguishene, Ontario, à titre personnel : C'est un bel effort.

La présidente : Merci.

Mme Lacroix : Je m'appelle Katelyn et je suis originaire de Penetanguishene, que je considérais comme une petite ville située à quelques heures de route au nord de Toronto, mais maintenant que j'entends des gens qui viennent de localités de 80 âmes, je suppose que c'est presque une ville.

J'aimerais commencer en saluant les sénateurs, les autres jeunes leaders autochtones et toutes les personnes ici présentes aujourd'hui pour avoir organisé cette séance. Merci beaucoup. Vous nous offrez là une excellente occasion de nous exprimer.

Je suppose que je commencerai mon exposé en parlant brièvement de moi-même. J'ai commencé mes démarches de représentation politique en tant que représentante locale des jeunes au sein du Conseil des Métis de la baie Georgienne. Ma terre historique métisse est un magnifique endroit sur la baie Georgienne. Je me suis ensuite jointe au Conseil des jeunes de la Nation Métisse de l'Ontario, au sein duquel je représentais les jeunes de la région 7. Je fais aujourd'hui partie du CPNMO, où je représente tous les étudiants de niveau postsecondaire de ma communauté.

J'ai aussi eu l'occasion fabuleuse de travailler à titre d'interprète culturel dans le cadre du Programme d'été culturel pour jeunes de la Nation Métisse de l'Ontario. C'est là que j'ai vraiment commencé à en apprendre beaucoup sur ma culture et mon patrimoine, en les mettant en pratique physiquement. J'ai donc apprivoisé la gigue métisse, le perlage, la broderie et le tissage à la main, et appris énormément au sujet de l'histoire et des traditions de mon peuple.

Vous aurez probablement remarqué un thème dans les propos des témoins d'aujourd'hui. Nous sommes nombreux à ne pas avoir eu la chance de connaître notre culture à la naissance. Pour certains d'entre nous, cette révélation n'est venue que bien plus tard. J'ai pris connaissance de ma culture lorsque j'avais 16 ans, après avoir suivi un cours d'ojibwa à l'école secondaire. Mon père m'a dit qu'il y avait des Ojibwas dans la famille; j'ai donc effectué des recherches à ce sujet et découvert toute cette facette totalement inconnue de ce que je suis, de mon identité. Je remercie le Créateur chaque jour d'avoir fait cette découverte, car cette facette est devenue une partie importante de ce que je suis.

Je sais que tous n'ont pas eu cette chance. J'ai entendu dire que certains de mes pairs n'ont découvert leur identité autochtone que dans la cinquantaine avancée, voire la soixantaine.

J'ai eu la chance de pouvoir trouver une famille métisse élargie; j'ai ainsi pu m'informer au sujet de ma culture et de mon histoire, car ce n'était pas facile d'en apprendre à ce sujet dans ma famille.

C'est forte de ces connaissances que je suis allée à l'université. J'ai pris part à un programme intitulé Infinite Reach Metis Student Solidarity Network. J'ai pu informer d'autres jeunes Métis qui n'avaient peut-être pas eu l'occasion de connaître leur culture — notre culture — et les initier aux divers métiers d'art traditionnels que j'avais appris.

Dans l'avenir, à titre de représentante des étudiants de niveau postsecondaire au sein du CPNMO, j'ai certainement l'intention d'accroître et de diversifier les occasions de financement pour les jeunes Métis et, à l'instar des autres jeunes Autochtones qui ont pris la parole ici aujourd'hui, de créer davantage de programmes de soutien de la santé mentale et de bien-être destinés aux étudiants. Un grand nombre de nos étudiants doivent quitter leur communauté et subissent un certain choc culturel, particulièrement au cours de la phase de transition. Il importe donc de faciliter leur passage à l'université.

J'espère également travailler avec le secrétariat des femmes du CPNMO pour encourager l'élaboration d'un plus grand nombre de programmes pour les jeunes, comme un programme de saine masculinité axé sur la culture destiné aux hommes et aux garçons. Ces projets sont en grande partie inspirés de mes études universitaires de premier cycle, qui combinent un baccalauréat spécialisé en psychologie et des études sur les femmes et les genres.

Le bien-être mental est une question qui me tient à cœur, puisque j'ai constaté les effets de la maladie mentale dans ma ville natale. Au cours de la dernière année, j'ai travaillé bénévolement au refuge et à l'hôpital de santé mentale locaux. Une grande partie de ceux avec qui j'ai travaillé étaient Métis ou Autochtones. En échangeant avec eux, j'ai découvert les lacunes qui existent au chapitre des services sociaux dans l'ensemble de la société, particulièrement pour les Autochtones. J'ai donc décidé d'effectuer ma maîtrise en travail social, car j'espère représenter et défendre les personnes neuro-atypiques de ma communauté et mettre en lumière la nécessité d'offrir davantage de soutien, particulièrement à ceux qui quittent les établissements pour retourner au sein de la communauté.

La culture remet les gens en contact avec leurs racines, ce qui les aide dans de nombreux domaines de leur vie, qu'il s'agisse de leur bien-être mental et physique, de leurs objectifs d'études ou de carrière ou d'autres facettes de leur vie. J'ai eu l'occasion d'enseigner la gigue métisse à un groupe d'étudiants autochtones dynamiques dans le cadre d'un programme parascolaire et de parler au nom de la Nation Métisse de l'Ontario dans diverses écoles. Nous devons nous assurer que les jeunes Autochtones ont davantage d'occasions d'être en contact avec leur culture pour qu'ils sentent qu'ils font partie de quelque chose de plus grand.

Je pense qu'un des plus grands dangers qui guettent nos jeunes, c'est un sentiment d'isolation à l'égard de leur famille, leurs amis ou leur communauté. En leur permettant de connaître leur histoire et de socialiser avec leurs pairs, nous pouvons favoriser l'épanouissement d'un sentiment de fierté et contribuer à leur bien-être.

Mes ancêtres ont travaillé comme traducteurs et ont aidé divers groupes à se comprendre mutuellement. Une responsabilité m'a été transmise aujourd'hui, et je m'efforcerai toujours d'aider les autres à comprendre ma culture et mon patrimoine, qu'il s'agisse de non-Autochtones ou de personnes qui découvrent à peine qui ils sont.

Telle un pont, j'aiderai aussi les autres à passer d'un endroit à un autre, que ce soit des étudiants qui arrivent dans une nouvelle école ou de personnes qui quittent un établissement pour retourner dans leur communauté. Mon histoire et ma culture m'ont appris comment agir à titre de guide auprès des autres, et c'est un rôle que je suis fière de perpétuer. Merci. Meegwetch.

La présidente : Je pense que nous avons le temps de poser une question.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé d'une étude que vous avez réalisée au sujet de la santé mentale et des personnes neuro...

Mme Lacroix : J'ai employé le terme « neuro-atypique ». Essentiellement, nous ne sommes pas différents. Je souffre d'anxiété, mais nous ne sommes pas divergents ou différents du reste de la société. Notre structure neurologique est simplement différente. Cette explication suffit-elle?

Le sénateur Patterson : Pourriez-vous également nous expliquer ce qu'est la masculinité saine?

Mme Lacroix : Oui. Je fréquente l'école à Waterloo, et Kitchener offre un programme formidable appelé MAASV, dans le cadre duquel des intervenants se rendent dans des écoles élémentaires pour proposer aux jeunes garçons des programmes sur la masculinité saine. Il existe à cet égard une lacune importante, à mon avis. De nombreux programmes sont offerts aux jeunes filles au sujet de l'identité et de l'estime de soi, mais il n'y a rien de tel pour les jeunes garçons. Nous parlons des femmes portées disparues ou assassinées, et des problèmes de violence envers les femmes. Ce n'est pas qu'aux femmes qu'il devrait revenir de discuter de la question, mais à nous tous, car c'est un problème qui nous touche tous. Si nous avions davantage de programmes proposant des modèles inspirants, surtout des modèles adaptés à une culture en particulier — j'ai devant moi aujourd'hui des modèles extraordinaires —, cela aurait une incidence considérable dans la vie des jeunes garçons. Je pense que ce serait là une manière efficace de susciter un changement.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

La sénatrice Raine : Je voulais simplement savoir si vous et Kelly saviez que le Sénat a étudié la question de l'identité métisse. Notre rapport, publié il y a maintenant trois ans, vaudrait probablement la peine d'être lu. Nous y concluons, à la fin, que ce ne sont que les Métis qui peuvent s'identifier comme tels et qu'on ne peut régir la question. C'est ce qu'ils sont, ce qu'ils découvrent qui ils sont. Je suis enchantée que vous ayez toutes les deux découvert votre identité et que vous fassiez entendre votre voix. Merci.

Mme Lacroix : Merci.

La présidente : Nous allons maintenant entendre notre prochain témoin : Jenna Burke, de Charlottetown, à l'Île-du- Prince-Édouard.

Jenna Burke, Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard, à titre personnel : Bonjour à tous. Je voudrais souligner que nous sommes en territoire non cédé traditionnel des Algonquins et remercier ces derniers de nous accueillir ici aujourd'hui.

Merci, distingués sénateurs, d'avoir permis la tenue de cette rencontre. C'est un véritable honneur que de comparaître pour m'adresser à vous, surtout que je sais que notre pays compte un grand nombre de jeunes formidables qui accomplissent un travail extraordinaire dans leur communauté, mais qui ne connaissent peut-être pas les gens qu'il faut pour participer à des forums comme celui-ci. J'ignore si vous organiserez d'autres séances semblables; si c'est le cas, c'est bien, mais vous devriez peut-être chercher à trouver des moyens de joindre ces jeunes qui méritent vraiment de se faire entendre également.

Je vais vous parler brièvement de moi. Je commence toujours en parlant de ma grand-mère, car elle est vraiment la matriarche de ma famille. C'est une femme forte et une battante. Cette survivante des pensionnats a, par amour, épousé mon grand-père, un non-Autochtone; elle a ainsi perdu son statut et dû quitter sa communauté. Elle a quand même élevé des enfants forts et s'est tenue loin des drogues et de l'alcool. Elle est la raison de ma présence ici aujourd'hui.

J'appartiens à la nation micmaque. Je suis membre de la Première Nation de Lennox Island et d'un conseil d'administration du Conseil des Autochtones de l'Île-du-Prince-Édouard. J'ai obtenu mon statut par suite de l'affaire McIvor, en 2010. C'est donc un ajout récent à mon identité, ce qui constitue pour moi un périple intéressant.

Après avoir grandi sans le statut d'Indienne inscrite, ma mère est restée non inscrite jusqu'en 1985, l'année de ma naissance, quand elle et ma grand-mère ont obtenu leur statut d'Indiennes inscrites. Ma grand-mère s'est impliquée au sein du Conseil des Autochtones de l'Île-du-Prince-Édouard, un groupe d'Autochtones hors réserve qui défend les droits des personnes inscrites et non inscrites vivant sur l'Île-du-Prince-Édouard. Elles ont ensuite assumé des rôles de meneuses. Ma mère a été membre du conseil des jeunes et elle m'a encouragée. Je dis « encouragée », mais je n'ai pas eu le choix. Elle m'a dit « C'est ce que tu vas faire, car cela fait partie de notre famille. Tu vas le faire. », et toute ma vie en a été transformée. J'ai grandi sans vraiment comprendre qui j'étais. J'ai fréquenté l'école, mais je ne cadrais pas tellement avec les autres. J'ai fait le minimum d'études qu'il faut effectuer pour se débrouiller dans la vie. Je n'aimais pas l'école, car je ne m'y sentais pas à l'aise. J'étais très timide. Je pleurais très facilement si on me disait un mot de travers ou qu'on me regardait curieusement. Mon adhésion au Conseil des Autochtones m'a changée. J'y ai été entourée par de nombreux mentors qui ont vu en moi des dons que je ne me connaissais pas et qui m'ont encadrée. Plus tard, j'ai été représentante du conseil des jeunes au sein du Conseil des Autochtones, ce qui m'a donné l'occasion de faire partie du Conseil national des jeunes du Congrès des peuples autochtones. J'y ai rencontré un grand nombre de jeunes leaders autochtones solides qui m'ont eux aussi encadrée et avec lesquels je suis encore en rapport. Il est intéressant de voir comment nous avons tous choisi notre voie dans ce monde et d'observer toutes les choses extraordinaires que nous accomplissons encore.

Je m'écarte un peu de mon exposé. Mon travail auprès des jeunes m'a vraiment poussée à m'instruire, si bien que j'ai obtenu un diplôme en soins des enfants et des jeunes. C'était la première fois que j'étudiais dans un domaine. Je suis allée à l'école pour étudier et j'aimais vraiment ce que je faisais, et quand on trouve quelque chose qu'on aime vraiment, on s'applique vraiment. La différence entre mes résultats scolaires à l'école secondaire et ceux au collège est marquée.

J'ai trouvé ma passion. Après mes études, j'ai travaillé au sein du conseil des Autochtones de ma collectivité et j'ai élaboré un programme pour les jeunes que j'ai dirigé pendant de nombreuses années. Je pense qu'il a obtenu du succès, car ce n'était pas l'organisation qui disait, « C'est le programme et c'est que vous devez faire. » J'ai consulté les jeunes et je leur ai demandé, « Sur quoi voulez-vous apprendre — la santé, la société, la politique culturelle? » Nous recevions à l'époque du financement de Connexions culturelles pour la jeunesse autochtone. Ce sont dans les activités culturelles que les jeunes autochtones participaient le plus, car ils doivent vraiment apprendre à se connaître et à connaître les aînés et d'autres personnes, ainsi que nos traditions et nos cérémonies.

J'ai ensuite déménagé à Ottawa et j'ai travaillé au Congrès des peuples autochtones en tant que coordonnatrice de la Politique nationale de la jeunesse. J'ai pu travailler avec notre Conseil national des jeunes, ce qui était un heureux changement par rapport à mes fonctions de coordonnatrice de la Politique nationale de la jeunesse. J'aidais les jeunes à se retrouver dans le processus. Nous avons créé la trousse d'outils « Find your voice », qui aide les jeunes autochtones à découvrir l'engagement civique. Il comporte différents modules pour apprendre avec votre collectivité et comprendre les gouvernements fédéral et provinciaux, savoir à qui vous devez vous adresser si vous voulez apporter des changements dans votre collectivité, et apprendre comment lancer une campagne de lettre, un mouvement, et cetera.

Le fait de vivre à Ottawa et de rencontrer une foule de personnes différentes m'a fait réaliser que je devais retourner à l'école et obtenir un diplôme universitaire, alors c'est ce que j'ai fait. Je suis retournée dans ma collectivité en 2012. Je suis devenue directrice du Conseil des Autochtones de l'Île-du-Prince-Édouard, et j'étudie actuellement pour obtenir un baccalauréat ès arts avec spécialisation en sciences politiques. Il n'y a pas de mineure ou de majeure en affaires autochtones à mon université. En fait, il n'y a que deux cours sur les affaires autochtones dans toute l'université, et l'un d'eux a été annulé l'année où j'ai commencé mes études. Je me suis jointe au Centre d'étudiants autochtones de la Première Nation Mawi'omi et j'ai commencé à apporter des changements en rencontrant le président pour trouver des pistes de solution. Les universités déploient beaucoup d'efforts pour attirer les Autochtones, mais lorsqu'ils fréquentent les universités, nous devons les appuyer. Si nous ne le faisons pas, nous leur rendons un très mauvais service.

Notre Centre d'étudiants autochtones de la Première Nation Mawi'omi n'a qu'un conseiller pédagogique autochtone à temps partiel et ne reçoit aucun financement, si bien que nous ne pouvons offrir aucun programme. C'est quelque chose que j'essaie vraiment de changer. En fait, un grand nombre d'étudiants ne savent même pas que le centre existe. Heureusement, j'ai fait beaucoup de vagues et j'ai réussi à attirer l'attention des médias sur notre centre. Nous faisons de la sensibilisation et invitons les étudiants non autochtones à notre centre dans le cadre de journées portes ouvertes ou de conférences que nous organisons. Ces initiatives ont permis de sensibiliser davantage les étudiants sur le campus aux problèmes qui touchent les Autochtones, tels que les femmes disparues et assassinées et la campagne REDress. J'ai mené une campagne semblable à mon université. C'était la première chose qui attirait le regard des gens parce que les robes rouges étaient suspendues aux arbres et on ne pouvait pas les manquer. Les gens sont curieux de savoir ce que ces robes représentent.

Je travaille avec l'université pour qu'un cours sur les affaires autochtones y soit offert. Elle a créé un cercle de consultation des Autochtones. J'ai assisté à la première réunion — je n'y étais pas invitée, mais j'ai su que cette rencontre allait avoir lieu alors j'y suis allée sans invitation. J'étais l'une des trois seules personnes autochtones à une table d'environ 15 personnes — et il devait y avoir plus de gens présents. J'ai donc pris la parole et j'ai dit : « Ce que vous faites est formidable, mais il est inacceptable qu'il n'y ait pas à tout le moins une représentation égale d'Autochtones. » À l'heure actuelle, les questions qui touchent les Autochtones sont importantes et les médias en parlent. Tout le monde semble s'en soucier. Je crains que nous ayons peu de temps pour faire ce qui s'impose. Je m'en rends bien compte lorsque j'assiste à des réunions ou que je siège à des comités. J'espère que l'université prendra ce que j'ai dit au sérieux et amènera plus d'Autochtones à la table de discussion.

Je viens de terminer mon avant-dernière session à la fin d'avril et il me restait un mois avant de déménager à Victoria, en Colombie-Britannique. Je me suis demandée : est-ce je me trouve du travail ou non? Une jeune activiste métisse m'a téléphoné, Gabrielle Fayant, qui fait partie de l'Assemblée des sept générations. Elle m'a présenté sa vision et son projet de mener un exercice général à grande échelle partout au Canada en collaboration avec KAIROS. Elle voulait que je dirige le projet à Charlottetown. Je savais que c'était ce que j'étais censée faire pendant mon dernier mois à l'Île-du-Prince-Édouard. J'ai vécu une expérience enrichissante en réunissant des Autochtones et des non- Autochtones pour qu'ils apprennent l'histoire du Canada du point de vue des Autochtones et en voyant les répercussions que cela a sur les gens. Lorsque tout le monde avait pris place sur la couverture, on leur disait, « Vous êtes les Autochtones. » C'est une façon de raconter l'histoire du point de vue du colonisateur. On leur disait donc : « C'est ce qui vous est arrivé. Vous avez perdu vos terres. On vous a enlevé vos enfants. Vous faites partie des femmes disparues et assassinées, alors vous devez vous asseoir à côté de la couverture parce que vous êtes maintenant dans le monde des esprits. » Le fait de vivre cette expérience avec les gens et de voir leur réaction était percutant. J'espère que c'est une initiative qui peut être menée dans les écoles et les collectivités de partout au pays. C'est une excellente façon de raconter notre histoire et de travailler ensemble, car la seule façon que le Canada peut aller de l'avant dans ce dossier, c'est si tout le monde connaît notre histoire — même si elle n'est pas belle et rend les gens mal à l'aise.

En ce qui concerne mon expérience personnelle, j'ai obtenu mon statut en 2010. C'était un moment étrange pour moi, car j'ai ressenti comment certaines personnes — même ma propre collectivité — me considéraient comme étant une Indienne légitime parce que j'étais une Indienne inscrite. J'étais désormais une Indienne légitime parce que le gouvernement reconnaissait mon statut. Je pense que c'est ce sur quoi je vais me concentrer à l'avenir dans le cadre de mon enseignement, à savoir comment nous internalisons les normes en matière d'identité, non seulement pour la collectivité non autochtone, mais aussi pour la collectivité autochtone.

Comme je l'ai dit, j'ai participé au Congrès des peuples autochtones pendant de nombreuses années et j'ai pris part à différentes réunions, mais je me suis toujours sentie comme une étrangère à ces rencontres. Dans l'affaire Daniels qui a eu lieu récemment, j'espérais que nous pourrions collaborer, car je pense vraiment que c'est ce que nous devons faire en tant qu'Autochtones. Dans ma province, le gouvernement dit, « Non, c'est la responsabilité fiduciaire du gouvernement fédéral, et non pas du gouvernement provincial. » À mon avis, c'est faux. Au niveau fédéral, mon organisation nationale a été exclue de la rencontre des premiers ministres. Je ne sais pas si ce sera encore le cas, mais j'ai bien peur que les Indiens non inscrits vont continuer d'être laissés de côté. Cela me blesse, car c'est ma collectivité, et je connais des gens qui ont travaillé à mes côtés et qui font partie de la collectivité. Je pense que notre identité devrait relever de la collectivité. Nous décidons qui nous sommes et nous décidons qui fait partie de notre collectivité. C'est ce que nous avons fait. Nous n'avons jamais adhéré au système de cartes ou de degré de sang indien. Ce n'est pas notre façon de faire.

Je terminerai mes études de premier cycle en décembre 2016, si tout se passe bien, et je veux continuer mes travaux dans le cadre du programme de gouvernance autochtone à l'Université de Victoria. J'espère que je saurai la voie que je dois suivre. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous devons passer au prochain témoin. Le temps file. Nous allons entendre Mitch Case, de Sault Ste. Marie, en Ontario.

Mitch Case, Sault Ste. Marie, Ontario, à titre personnel : J'ai préparé un exposé, ce que je ne fais pas habituellement. Comme mon temps est limité cependant, j'ai préparé des notes. Autrement, je pourrais parler beaucoup plus longtemps.

Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je veux vous remercier de me donner l'occasion d'être ici. Je tiens à souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel de la nation algonquine et à saluer les jeunes Autochtones qui sont ici pour raconter des histoires extraordinaires très inspirantes.

Je suis de Sault Ste. Marie, d'une communauté métisse située au cœur de la région des Grands Lacs en Ontario, la porte d'entrée de l'est de la Nation Métisse. Je viens d'une région où, pour être honnête, trop de gens ne reconnaissent même pas qu'ils sont sur des terres appartenant aux Métis à l'origine.

Ma collectivité, qui est très souvent négligée et oubliée, a joué de nombreux rôles importants dans l'histoire de mon peuple, la Nation Métisse. C'est l'une des plus vieilles collectivités métisses au pays. Elle a été une plaque tournante durant le commerce de fourrure et durant la guerre de 1812, une guerre dans le cadre de laquelle notre collectivité a pris les armes et s'est défendue. C'est une guerre que la Grande-Bretagne n'aurait pas pu gagner sans aide.

En 1816, notre collectivité s'est ralliée encore une fois pour envoyer un petit groupe de guerriers à Red River pour aider Cuthbert Grant à Victoire de la Grenouillière, mieux connue sous le nom de la bataille de Seven Oaks, dont le 200e anniversaire vient de passer il y a de cela quelques jours.

En 1849, un autre membre de notre collectivité, Guillaume Sayer, a été traduit en justice à Red River pour avoir enfreint le monopole de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Louis Riel Sr a rallié la collectivité. Ils ont gagné leur cause; ils ont obtenu gain de cause.

En 1850, une année plus tard, notre collectivité, sous le leadership de nos chefs, Eustache Lesage et Charles Boyer — conjointement avec la collectivité des Premières Nations — ont affronté les sociétés minières et le gouvernement qui volaient illégalement nos ressources d'un endroit du nom de la baie Mica, située à deux heures au nord d'où je vis, à Sault Ste. Marie. Après cet affrontement, le Traité Robinson-Huron et le Traité Robinson-Supérieur ont été conclus à notre grand désarroi et malgré les protestations des dirigeants des Premières Nations. Notre collectivité a été exclue du traité. Des promesses ont été faites pour protéger nos rivières, ainsi que pour signer un autre traité avec nous un an plus tard. Nous attendons depuis environ 160 ans. Nous attendons toujours, et nous serons prêts quand vous le serez.

Ces promesses de protéger nos terres ne semblent avoir aucune importance. En 10 ans, 90 p. 100 de notre village qui est maintenant le centre-ville de Sault Ste. Marie nous avaient été enlevés de force par différents moyens. Notre collectivité était dispersée en collectivités de plus petite taille au nord et à l'est de Saut Ste. Marie et à l'ouest de Red River.

Une centaine d'années plus tard, après avoir perdu notre village à Sault Ste. Marie, la même chose s'est produite lorsque l'Ontario a décidé de créer le parc provincial du lac Supérieur. La province a déménagé l'une de nos collectivités de la baie Agawa et a incendié les maisons. C'est toujours vivant dans la mémoire des aînées de ma collectivité; ils se souviennent encore de ce qui s'est passé. Un aîné avec qui je travaille beaucoup a dit, « Je me rappelle le jour où un hydravion a atterri et où l'on nous a dit de partir. » Ce sont des souvenirs encore vivants dans la mémoire de ces gens.

Dans les années 1960, ma collectivité a commencé à travailler avec d'autres collectivités en Ontario pour faire valoir nos droits en tant que personnes. Nous l'avons fait par l'entremise de l'Association des Métis et Indiens non inscrits de l'Ontario. Dans les années 1980, nous avons joint les rangs de l'Association des Métis autochtones de l'Ontario.

Dans les années 1990, nous n'étions plus intéressés à être un groupe de défense des droits; nous étions prêts à devenir notre propre gouvernement. Nous, conjointement avec d'autres collectivités, avons mis sur pied l'Association des Métis autochtones de l'Ontario. De mon vivant, ma collectivité a été sollicitée pour se battre afin de défendre nos droits et notre place dans le monde.

Dans mon enfance, deux hommes de ma collectivité se sont retrouvés devant les tribunaux — c'était notre collectivité, l'ensemble de notre nation, en fait. Je fais référence à l'affaire Powley, où deux hommes de ma collectivité, Steve et Roddy Powley, ont été accusés d'avoir chassé illégalement. Ils soutenaient qu'ils avaient le droit en tant que Métis de vivre de la terre et d'exercer leurs droits en tant que Métis.

Le gouvernement soutenait que nous n'en avions pas le droit, car nous n'existions pas et que notre collectivité n'était pas réelle. La beauté de cette histoire est que nous avons non seulement eu gain de cause, mais la vérité a triomphé. Nous avons non seulement gagner notre cause, mais la vérité historique a triomphé. À la fin, 14 juges de quatre instances différentes nous ont donné raison en déclarant que nous étions une nation autochtone en Amérique du Nord et que nous avions des droits qui devaient être respectés.

Je vous fais part de ces histoires pas pour vous donner un cours d'histoire sur la collectivité métisse de Sault Ste. Marie, mais pour vous expliquer ce qui fait de moi la personne que je suis et ce qui me donne la force, le courage et la détermination de faire le travail que je fais.

J'étais assez jeune lorsque j'ai commencé mes activités politiques. J'ai commencé en tant qu'organisateur. Nous avons créé la première association d'étudiants autochtones à mon école secondaire, et nous avons réussi à convaincre le conseil scolaire de créer un programme d'études autochtones à l'école secondaire, et ce programme existe toujours à l'heure actuelle. Je fais encore du bénévolat pour ce programme lorsque je peux le faire.

J'ai commencé à faire du bénévolat pour l'Association des Métis autochtones de l'Ontario en tant que jeune représentant au Conseil des Métis de Sault Ste. Marie à l'âge de 16 ans et, deux ans plus tard, j'ai été un représentant régional de la Region 4 Sault Ste. Marie sur la côte nord du lac Huron.

Il y a quatre ans, j'ai été élu président du Conseil des jeunes de la Nation Métisse de l'Ontario et, il y a deux mois, j'ai été réélu pour mon deuxième et dernier mandat.

La première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne, m'a nommé pour deux mandats au Conseil de la première ministre pour de meilleures perspectives pour la jeunesse, où j'ai aidé un groupe incroyable de jeunes à conseiller 18 ministères différents en Ontario sur des enjeux qui touchent les jeunes.

Je suis diplômé de la Three Fires Midewiwin Lodge et diplômé de la Shingwauk Kinoomaage Gamig et de l'Université Algoma, où j'ai étudié les Anishinaabe et leur histoire. En 2014, j'ai reçu la Médaille de l'Ontario pour les jeunes bénévoles et, en 2015, la bourse d'études Charlie Hunter. Au quotidien, je suis le coordonnateur du programme d'études sur les Anishinaabe à la Shingwauk Kinoomaage Gamig. Je travaille actuellement avec des aînés de ma collectivité à compiler un recueil d'histoires révisées de nos collectivités, et je collabore avec Kelly à la rédaction d'un livre pour enfants pour raconter bon nombre de ces histoires.

Certaines personnes de ma collectivité ont dit que je suis un leader. J'ai beaucoup de réserves à accepter ce titre. J'hésite. Je suis plus à l'aise de dire que je suis un politicien, car ce titre est moins lourd de sens.

Si c'est vrai, et que j'accepte ce titre, alors c'est en raison des histoires que je vous ai racontées il y a quelques instants. Ces histoires ont façonné mes opinions, car elles sont restées gravées dans la mémoire des gens de ma collectivité et ont résisté à l'épreuve du temps d'une façon ou d'une autre. Les leçons tirées de ces histoires ont façonné ma perspective. J'ai eu l'occasion d'entendre ces histoires, et j'ai travaillé d'arrache-pied pour faire des recherches, pour en savoir le plus possible à propos de ces histoires, car elles m'ont donné une base sur laquelle m'appuyer.

Ma communauté perpétue ces histoires, et aujourd'hui, je fais de mon mieux pour en faire autant. Dans mes temps libres, je fais beaucoup de perlage. J'essaie de perpétuer la tradition métisse du perlage aux motifs floraux. La veste que je porte est faite de tissus typiques de la Compagnie de la Baie d'Hudson — la compagnie qui s'est servie de mon peuple pour créer son empire, et qui a ensuite travaillé contre lui à Sault Ste. Marie et partout dans notre patrie lorsque nous faisions valoir nos droits.

Regardez cette grande fleur entourée de perles noires. Quand j'ai assemblé le tout, cela représentait pour moi la noirceur qui entoure notre communauté, mais au centre, nous avons survécu; nous avons tout simplement poursuivi notre chemin et fait ce que nous devions faire. Nous avons survécu au centre, d'où émane une nouvelle vie, de nouvelles pousses et une nouvelle énergie. Il y a ici beaucoup d'espace pour en faire plus — pour remporter d'autres victoires et renaître davantage comme j'espère le voir de mon vivant.

Il y a quelques années, une société américaine d'investissement a acheté la Compagnie de la Baie d'Hudson, et ma communauté est toujours là; elle est florissante. Pensez-en ce que vous voulez.

Pour conclure, une des quelques questions qu'on nous a demandé d'examiner concernait nos plans d'avenir. C'est une question très difficile pour moi; à vrai dire, c'était la plus difficile. Au-delà du dîner, j'ai de la difficulté à faire des plans personnels, mais ma communauté a été très occupée à préparer des plans. Elle s'organise et prépare des plans depuis maintenant des générations. Ce travail se poursuit. Nous nous organisons et nous nous préparons, et nous voulons que justice soit rendue à notre communauté.

Je veux tout simplement contribuer à ce mouvement. Voilà mes plans. Sur ce, je vous remercie de m'avoir accordé votre attention.

La présidente : Nous devons malheureusement poursuivre. Nous sommes un peu en retard.

Notre prochaine témoin est Alethea Arnaquq-Baril, d'Iqaluit, au Nunavut.

Alethea Arnaquq-Baril, Iqaluit, Nunavut, à titre personnel : Bonjour. Bonne Journée des Autochtones.

Merci à Caitlin de nous avoir souhaité la bienvenue sur le territoire algonquin, et merci aux membres du comité de nous accueillir.

Il est toujours délicat pour un Autochtone venant d'un peuple colonisé de comparaître devant un gouvernement qui prétend encore prêter allégeance à la reine, mais je vous suis reconnaissante du travail positif que vous essayez de faire aujourd'hui et de nous donner l'occasion de nous adresser à vous ainsi qu'aux Canadiens.

[Mme Arnaquq-Baril s'exprime dans une langue autochtone.]

Je m'appelle Alethea Arnaquq-Baril. Je viens d'Iqaluit, au Nunavut. Mes parents sont Naullaq et Peter. Mes grands-parents, Baaqtitaq et Anugaaq, venaient de la région près de la collectivité qu'on appelle maintenant Kimmirut.

J'ai étudié l'informatique et ensuite l'illustration à l'Institut Sheridan. Je suis maintenant cinéaste. En plus de mon travail de cinéaste, j'ai travaillé pendant des années à l'administration scolaire de district local de ma collectivité, et je continue de faire du bénévolat dans le cadre de diverses initiatives.

Je suis membre du conseil d'administration de la société de télédiffusion d'émissions éducatives du Nunavut, qui vise à offrir au territoire un diffuseur de contenu éducatif en langue inuktitut. Je suis également membre du collectif Qanak — qanak.com —, qui ressemble beaucoup au projet Our Voices dont Kluane a parlé. Si vous voulez en apprendre davantage à ce sujet, vous pouvez consulter la page qanak.com.

Je me passionne pour les arts et la possibilité que le cinéma devienne l'un des principaux secteurs de l'économie des Inuits, un secteur qui non seulement assure un revenu, mais qui renforce aussi notre langue et notre culture tout en nous permettant de défendre nos gens.

Il est important de défendre ceux d'entre nous qui sont dans une situation désavantageuse. Je dois dire que le projet de loi C-51 me fait peur, et j'espère qu'il sera abrogé pour que les gens comme moi puissent parler sans craindre d'être considérés comme des criminels parce qu'ils se préoccupent des autres et essaient de faire quelque chose.

J'ai fait un documentaire sur les tatouages traditionnels des femmes inuites. Nos tatouages étaient un rite de passage à la féminité, notre façon de célébrer la féminité et la force nécessaire pour être une femme et une mère. C'était une belle tradition, et les significations des tatouages varient d'une région à l'autre, mais une chose que nous avons tous en commun dans l'ensemble des terres inuites, c'est que cette tradition nous aide à nous préparer à la douleur ressentie par les femmes ainsi qu'à la douleur ressentie par les mères à l'accouchement et sur le plan émotionnel.

Je pense que c'est une belle tradition pour les jeunes filles, lorsqu'elles grandissent, d'avoir hâte d'être des femmes, de mériter les marques qui disent qu'elles sont bonnes, qu'elles sont gentilles et qualifiées, et qu'elles ont une raison d'être et une responsabilité dans leur communauté.

Malheureusement, le gouvernement canadien et l'Église, ainsi que les Canadiens d'origine européenne, nous ont couverts de honte pour que nous abandonnions cette tradition, comme ils l'ont fait pour nos tatouages, notre langue, notre culture et tout ce que nous étions. Mon travail vise en grande partie à rejeter la honte que le gouvernement canadien a essayé avec acharnement de nous infliger. L'ensemble des citoyens et des dirigeants politiques du Canada sont encore complices de cette honte lorsqu'ils continuent de sous-financer notre rétablissement nécessaire à la suite des programmes néfastes d'hier et de maintenir en place les programmes néfastes d'aujourd'hui.

Tout ce que je veux, c'est parler de la force de mon industrie et de ce que des gens comme vous doivent faire pour la soutenir. Je dois toutefois saisir cette occasion pour parler d'un énorme obstacle à la réussite de mon peuple, à savoir le logement.

Je suis très heureuse d'entendre que votre comité se penche sur la question. À cause de nombreux programmes racistes du gouvernement du Canada, autorisés par les citoyens canadiens, une crise du logement sévit partout dans le Nord. Lorsque nous étions indépendants, on nous a forcés d'abandonner nos terres et entassés dans des collectivités mal conçues. Beaucoup d'Inuits se sont laissé séduire par la promesse de bons logements et de loyers qui ne dépasseraient jamais 5 $ par mois.

D'anciens fonctionnaires qui vivent encore aujourd'hui s'en souviennent et le confirment. Nous avons une crise du logement qui s'explique par la coercition, les mensonges, les déplacements forcés, l'enlèvement d'enfants, l'abattage de milliers de chiens de traîneau ainsi que la délimitation des territoires de chasse en vertu de la loi et pour l'exploitation des ressources.

On nous a privés d'une grande partie des compétences et des ressources qui nous permettent d'assurer notre indépendance. Notre peuple a été mis à genoux. Cette crise du logement est attribuable à des programmes désastreux et se perpétue parce qu'on tolère leur maintien.

À l'heure actuelle, des victimes de viol doivent choisir entre vivre avec leurs agresseurs ou être condamnées à mort en étant forcées d'affronter le froid. Dans l'Arctique, ce n'est pas un choix. Lorsque 14 personnes vivent dans une maison de trois chambres à coucher et que l'une d'elles subit un traumatisme, le reste de la famille est exposé aux conséquences de ce traumatisme.

Le trouble du stress post-traumatique et la toxicomanie peuvent être contagieux. Il est également parfaitement possible de les traiter. Le manque de logements fait en sorte qu'il est impossible pour nous de circonscrire et de régler ces problèmes.

Mon peuple survit depuis des millénaires dans un des climats les plus rigoureux au monde. Nous savons comment survivre. Nous sommes efficaces, résilients, créatifs et innovateurs, et nous avons une bonne capacité d'adaptation. Notre volonté de vivre n'a pas son pareil. Elle est profondément ancrée en nous. Notre sagesse, notre passion et nos connaissances ont été perfectionnées en fonction de l'endroit où nous vivons. Pourquoi alors nous entretuons-nous au point d'avoir l'un des pires taux de décès au monde?

Lorsque certaines des personnes les plus résilientes et ayant la plus grande capacité d'adaptation au monde meurent à cause de nous, que faut-il penser des conditions dans lesquelles elles vivent? Nous devons mettre fin à la prolifération des traumatismes; nous devons enrayer l'hémorragie.

Tout ce que je voulais faire aujourd'hui est parler de cinéma et de ce que cela signifie pour moi que mon dernier film ait gagné le prix du choix de l'auditoire au plus grand et plus prestigieux festival du documentaire en Amérique du Nord — Hot Docs à Toronto.

Mon film, Angry Inuk, porte sur la façon dont les Inuits sont touchés par les groupes de défense des animaux qui mènent depuis longtemps une campagne contre la chasse au phoque. Les groupes de défense des animaux se décrivent comme de petits activistes qui luttent contre de grandes sociétés, mais, en réalité, ils encaissent des centaines de millions de dollars par année tandis que les quelques milliers de chasseurs de phoques — dont la majorité est inuite — dans notre pays vivent dans la pauvreté. La majorité des personnes qui pratiquent la chasse commerciale au phoque est inuite.

Nous avons besoin des revenus générés par la vente de peaux de phoque pour pouvoir continuer de chasser et de nourrir nos familles. La chasse au phoque est une industrie durable dans une région qui donne très peu d'options économiques ne causant pas de dommages considérables à l'un des écosystèmes les mieux préservés et les plus délicats de la planète.

J'aimerais pouvoir parler des mesures concrètes et très envisageables que nous pourrions prendre pour que d'autres jeunes Inuits aient les mêmes possibilités que j'ai eues de créer des emplois durables qui renforcent notre langue et notre culture. Nous avons besoin d'une chaîne de télévision en inuktitut. Nous avons besoin d'un port. Nous avons besoin d'une université. Nous avons besoin d'un centre des arts.

Je veux être en mesure de mener les activités dans lesquelles j'excelle. Je connais beaucoup de choses sur la politique cinématographique, les arts et l'industrie durable dans l'Arctique. Beaucoup d'entre nous ont d'excellentes idées sur la façon dont nous pouvons développer les industries durables qui renforcent notre langue et notre culture, qui offrent des emplois aux Inuits de sorte que l'argent ait tendance à rester dans notre région et à aider ceux qui en ont le plus besoin.

Beaucoup d'industries nous obligent à faire un compromis entre avantages financiers et pertes de culture et de langue. Pour occuper un emploi, nous sommes nombreux à devoir quitter notre région et renoncer à notre langue et à notre connaissance approfondie du territoire et de la mer. Le cinéma et la chasse au phoque représentent toutefois deux industries qui font le contraire : elles renforcent notre sentiment d'appartenance en tant que peuple.

Il est cependant difficile pour les artistes d'apporter une contribution et d'aider à rendre nos collectivités plus fortes et plus résilientes lorsque les victimes de mauvais traitement doivent vivre avec leur agresseur à cause de la pénurie de logements.

En tant qu'artiste, je voulais utiliser les 10 minutes de ma déclaration pour parler de l'importance de l'art et expliquer à quel point nous avons grandement besoin d'infrastructures pour les arts. Cela dit, aujourd'hui, compte tenu du peu de temps que j'ai pour vous parler, je ne pense pas pouvoir me permettre ce luxe. La crise du logement dans le Nord ne permet à aucun de nous de mettre l'accent sur les activités dans lesquelles nous excellons. Nous devons constamment nous demander si un enfant innocent est exposé à la violence, ce qui peut être si facile à prévenir.

Si seulement le gouvernement prenait un véritable engagement en matière de logements sociaux. J'en ai assez des crédits budgétaires qui permettent à peine d'effleurer le problème. J'en ai assez des engagements qui ne règlent pas le problème, qui ne maintiennent même pas le statu quo. Lorsque les Canadiens hésitent à s'adapter à la croissance démographique, nous faisons marche arrière, et cela finit par nous coûter tous plus cher. Cela coûte plus cher à tous les contribuables canadiens, ainsi qu'aux Canadiens autochtones.

Cessons d'accorder des crédits budgétaires qui ont l'effet d'une goutte d'eau dans l'océan. Attaquons-nous vraiment au problème. Développons des économies durables qui renforcent la culture et la langue. Si le gouvernement du Canada réglait le problème du logement qu'il a créé, nous pourrions mener les activités dans lesquelles nous excellons.

La volonté de survivre des Inuits est inflexible. Elle fait partie de nous. Nous avons l'esprit créateur nécessaire pour trouver des solutions. Veuillez juste nous aider à trouver l'espace dont nous avons besoin pour faire notre travail. Qujannamiik.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à notre dernière témoin, Shelby Angalik, d'Arviat, au Nunavut.

Shelby Angalik, Arviat, Nunavut, à titre personnel : Bonjour. Merci de l'invitation. Je m'appelle Shelby Angalik; j'ai 18 ans et je viens d'Arviat, au Nunavut. Comme certains d'entre vous le savent, la population de ma ville est celle qui connaît la plus rapide croissance au Canada.

Je viens tout juste d'obtenir mon diplôme d'études secondaires, et je voulais parler un peu de moi pour montrer aux gens qu'être Autochtone ne se limite pas qu'aux difficultés auxquels nous faisons face. Je veux vaincre le préjugé selon lequel nous éprouvons tous des difficultés et que c'est ce que nous sommes. Je veux parler de moi et de ce que j'ai fait pour vaincre ce préjugé, pour montrer que les problèmes auxquels nous faisons face ne nous définissent pas.

Lors de la dernière session, en janvier, j'ai créé un programme de lecture intitulé Imagination's Destination — [Mme Angalic s'exprime dans une langue autochtone.] — pour augmenter le taux de littératie au Nunavut. Mon hameau m'a accordé une subvention afin d'obtenir des livres d'Inhabit Media, tant en anglais qu'en Inuktitut. Ils portent tous sur le Nunavut, sur des légendes et des mythes inuits.

Je suis membre de notre comité du mieux-être. J'ai reçu récemment une bourse d'études TD pour le leadership communautaire. J'ai porté le drapeau du Nunavut aux Jeux d'hiver de l'Arctique de 2016.

J'ai participé à neuf pièces de théâtre organisées par le club d'art dramatique d'Arviat. Nous avons récemment présenté une pièce qui porte sur tous les problèmes auxquels nous faisons face, de l'alcoolisme et du suicide à la violence familiale, en passant par les agressions sexuelles. À certains égards, je pense que les Inuits sont chanceux d'avoir des soins de santé gratuits et la gratuité scolaire, mais cela ne veut rien dire lorsque nous n'avons pas de bonnes écoles. J'ai donc décidé d'en tirer parti, et je crois qu'un plus grand nombre d'Inuits devraient en faire autant.

J'ai été élevée à l'aide des principes de l'Inuit Qaujimajatuqangit, comme le travail en collaboration — [Mme Angalic s'exprime dans une langue autochtone.] —, ce qui m'a aidé à franchir les obstacles et m'a mené où j'en suis aujourd'hui.

Je veux également parler des enseignants dans ma communauté. L'un d'eux est d'ailleurs ici aujourd'hui pour m'accorder son soutien.

Mes enseignants ont vraiment influencé mon choix d'université et m'ont aidé dans mes autres démarches, notamment pour obtenir une bourse et décrocher des emplois. Ils m'ont également aidé à créer mon programme et des équipes sportives — pour faire du sport après l'école —, des clubs et des activités. Ils le font dans leurs temps libres, car leurs élèves leur tiennent vraiment à cœur. Je tenais à remercier tous mes enseignants. Même si nos écoles ne sont pas à la hauteur des écoles du Sud, les enseignants sont ceux qui les rendent vraiment meilleures.

Les gens de ma communauté m'ont également appuyé, presque autant que ma famille. Ils m'ont beaucoup encouragé, parfois même lorsque je marchais dans la rue. Ils sont très heureux de voir une jeune Inuite réaliser autant de choses.

En septembre, je vais faire des études anglaises à l'Université Brock. J'espère devenir bibliothécaire, revenir au Nunavut et accroître la portée de mon programme.

La présidente : Merci beaucoup. Nous avons le temps pour une ou deux questions.

Puisqu'il n'y en a pas, je tiens à remercier tous les témoins que nous avons entendus ce matin. C'était très inspirant. Vous êtes tous des modèles exceptionnels pour vos collectivités, et il est évident que vous êtes également d'extraordinaires chefs de file. Vous avez abordé aujourd'hui de nombreux thèmes concernant le rétablissement de votre langue et de votre culture, la découverte de qui vous êtes et l'impression d'avoir la responsabilité de mettre à profit vos leçons pour aider ceux qui vous emboîtent le pas. Je tiens à vous en remercier.

Au nom de tous les sénateurs, merci beaucoup. Je sais que vous serez occupés le reste de la journée. Sur ce, nous allons mettre fin à la séance.

Le sénateur Patterson : J'aimerais moi aussi, madame la présidente, remercier très rapidement tous les témoins. C'était inspirant.

L'un de vous nous a proposé de faire fond sur ces exposés et de trouver des façons de poursuivre le dialogue avec les jeunes. Je pense que c'est une idée méritoire. Les exposés étaient très émouvants.

Pour conclure, je vous prie de m'excuser, mais j'aimerais faire de la publicité pour ma concitoyenne, Alethea. Vous êtes tous invités à une projection d'Angry Inuk, qui aura lieu ce soir, à 19 heures, dans la salle 256-S. C'est un film percutant. Qujannamiik.

La présidente : Merci. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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