Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 13 - Témoignages du 23 novembre 2016
OTTAWA, le mercredi 23 novembre 2016
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été déféré le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription), se réunit aujourd'hui, à 18 h 48, pour étudier le projet de loi.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir, tout le monde. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je dis bienvenue aux gens dans la salle, mais aussi à ceux qui nous regardent peut-être grâce à la version Web de la CPAC. Ce soir, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription).
Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins ce soir. Nous accueillons Perry Bellegarde, chef national de l'Assemblée des Premières Nations. Bienvenue. Nous avons aussi parmi nous Denise Stonefish, grande chef adjointe, qui témoigne par vidéoconférence. Nous accueillons également Stuart Wuttke, avocat général. Soyez les bienvenus.
À l'autre bout de la table, nous avons les témoins de l'Association des femmes autochtones du Canada : Francyne Joe, présidente; Lynne Groulx, directrice exécutive; et Marilee Nowgesic, conseillère spéciale et liaison.
Ce sont nos participants pour la table ronde de la première heure.
Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles des peuples algonquins.
J'invite maintenant les sénateurs à se présenter.
Le sénateur Moore : Bonsoir et bienvenue. Wilfred Moore, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.
La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l'Ontario.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.
Le sénateur Oh : Je suis le sénateur Oh, de l'Ontario.
La sénatrice Bovey : La sénatrice Bovey, du Manitoba.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La présidente : Nous comptons parmi nous deux sénatrices non affiliées, à savoir la sénatrice Lankin, marraine du projet de loi, et la sénatrice Bovey, qui est sans affiliation et qui est ici pour en apprendre le plus possible au sujet du projet de loi. Merci à vous d'être ici.
Nous allons commencer par les déclarations préliminaires des témoignages. Je vous prie de bien vouloir vous en tenir à un exposé de 5 ou 10 minutes afin que les sénateurs puissent vous poser des questions.
Nous allons commencer, je présume, par M. Bellegarde.
Perry Bellegarde, chef national, Assemblée des Premières Nations : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais d'abord céder la parole à notre invitée et grande chef. Elle est également présidente du Conseil des femmes de l'Assemblée des Premières Nations.
La présidente : Madame Stonefish, allez-y.
Denise Stonefish, grande chef adjointe et présidente du Conseil des femmes, Assemblée des Premières Nations : Mesdames et messieurs, bonsoir. Je vous remercie de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui des efforts déployés par le Canada en vue d'éliminer la discrimination fondée sur le sexe grâce à cette dernière modification de l'article 6 de la Loi sur les Indiens.
Le Conseil des femmes est un organe consultatif essentiel de l'Assemblée des Premières Nations, en vertu de sa charte, et il a pour mandat de représenter les intérêts et les points de vue des femmes qui sont membres de nos 634 Premières Nations à l'échelle du Canada.
En tant que présidente, je participe aux réunions du comité exécutif, à nos assemblées des chefs et à d'autres réunions, y compris à des exposés devant des comités parlementaires, à l'occasion.
Comme nous le savons tous, malheureusement, la Loi sur les Indiens avait été promulguée dans le but d'assimiler complètement les Premières Nations en tant que nations distinctes. Depuis 1867, elle mine nos systèmes de parenté, nos systèmes de gouvernance et de nombreux autres aspects de nos vies, et elle a permis l'imposition de la tragédie des pensionnats. Or, un des principaux outils utilisés pour arriver à ces fins a été la discrimination visant les femmes des Premières Nations.
C'est la troisième fois que le Parlement tente de régler la question de la discrimination fondée sur le sexe dans la loi. En 1985, les changements apportés dans le cadre du projet de loi C-31 n'ont pas permis de régler tous les problèmes; et, en 2009, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a conclu que la règle des deux parents, la hiérarchie des différents types de statuts aux termes des paragraphes 6(1) et 6(2) de la Loi sur les Indiens et la clause limitant la deuxième génération, combinées, perpétuaient la discrimination fondée sur le sexe sous le régime de la loi. Maintenant, l'affaire Descheneaux force le Parlement à s'y attaquer une troisième fois.
Nous comprenons pourquoi le gouvernement doit réagir à la discrimination décrite dans la décision Descheneaux. Malheureusement, le projet de loi S-3 ne va pas régler le problème. En outre, les modifications proposées dans le projet de loi S-3 vont ajouter à la complexité actuelle des dispositions relatives à l'inscription en ajoutant trois sous-alinéas à l'alinéa 6(1)c). L'approche fondamentale derrière ce projet de loi consiste à maintenir le pouvoir arbitraire du gouvernement fédéral sur l'identité des membres des Premières Nations et à repousser la discrimination fondée sur le sexe résiduel d'une génération.
Notre examen du projet de loi S-3 nous porte à croire que d'autres formes de discrimination ne seront pas corrigées. Premièrement, sous le régime du projet de loi C-3, qui visait à donner suite à la décision McIvor, une femme qui récupère son statut est visée par le paragraphe 6(1), et ses enfants seraient également admissibles au statut prévu au paragraphe 6(1), ce qui permet de le transmettre aux générations futures. Toutefois, une femme qui a perdu et récupéré son statut pour toute autre raison que celle visée par le projet de loi C-3 était considérée comme étant visée au paragraphe 6(2), ce qui désavantage tout enfant qu'elle aurait par la suite.
Deuxièmement, le projet de loi C-31 visait à donner suite à la décision du Comité des droits de l'homme des Nations Unies dans l'affaire Sandra Lovelace, ainsi qu'à des problèmes de conformité avec la Charte. En vertu du projet de loi C-31, une femme qui récupère son statut est considérée comme étant visée au paragraphe 6(1). Une personne — homme ou femme — qui a perdu ou récupéré son statut dans toute autre circonstance qu'un mariage est, selon le projet de loi C-31, considérée comme étant visée au paragraphe 6(2), et tout enfant futur pourrait ne pas avoir droit au statut.
À notre avis, la discrimination fondée sur le sexe est perpétuée par l'imposition soutenue par le Canada d'une règle des deux parents, combinée à la hiérarchie de transmission du statut établi aux paragraphes 6(1) et 6(2) du projet de loi C-31.
Nous remarquons, non sans grande préoccupation, qu'il semble toujours ne pas y avoir de redressement à l'égard de la discrimination de longue date injuste inhérente à la politique ministérielle régissant la soi-disant paternité non déclarée. Je souligne qu'il s'agit habituellement de situations où la paternité est connue, mais que la femme a d'autres raisons de ne pas vouloir identifier le père de l'enfant.
M. Bellegarde : Merci, chef Denise. Encore une fois, merci à vous, mesdames et messieurs, de nous donner l'occasion de poursuivre cet exposé de l'Assemblée des Premières Nations. Je remercie à nouveau la chef Denise d'être intervenue en tant que présidente du Conseil des femmes de l'APN. Ses commentaires, ses directives et son orientation nous sont précieux.
Mon exposé fait environ deux pages, alors je vais tenter d'aller à l'essentiel : je vais résumer les quatre points exposés à la fin. Il s'agit de quatre aspects simples que j'aimerais inviter les sénateurs à prendre en compte. Nous recommandons que le Canada et les Premières Nations mènent un examen conjoint des lois et des politiques fédérales et que le Canada collabore avec nous de façon à veiller à ce que tout ce travail reflète les enjeux touchant le sexe et la citoyenneté. De nombreux aspects de la Loi sur les Indiens violent les traités et portent atteinte au droit à l'autodétermination et aux droits de la personne à un point tel que nous nous demandons s'il est même possible d'éliminer la discrimination d'un instrument législatif colonialiste visant à démembrer nos nations et à séparer nos citoyens au moyen d'une discrimination fondée sur le sexe et de concepts racialisés.
Nous avons un défi de taille à relever, car il ne sera pas facile de laisser derrière nous le fardeau terrible laissé par la Loi sur les Indiens. Je suis certain que vous conviendrez que nous n'y arriverons pas au moyen de simples modifications de la Loi sur les Indiens. Quelle que soit la voie empruntée, nous disons toujours que le processus doit se faire sous l'impulsion des peuples autochtones. Il est guidé par nos droits inhérents et issus de traités ainsi que par les normes minimales énoncées dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Je rappelle aux membres du comité que, selon le droit international régissant les droits de la personne, le droit à l'autodétermination et les droits de la personne sont interdépendants et inextricablement liés; on ne peut les séparer.
Nous sommes encouragés par le leadership dont le premier ministre a fait preuve à l'égard de l'égalité des sexes et par son engagement à mettre en œuvre la déclaration de l'ONU telle quelle. Nous sommes également très encouragés par l'enthousiasme des ministres Bennett et Wilson-Raybould. Je sais que cet enthousiasme va nous permettre de travailler à l'établissement de processus allant au-delà de la Loi sur les Indiens, mais il faut que ce travail se fasse ensemble, dans un esprit de collaboration. Ce travail n'a pas vraiment commencé encore.
Nous reconnaissons l'urgence de tenter — encore une fois — de corriger la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Pour mettre un terme aux répercussions de la discrimination qui est toujours bien présente, le gouvernement fédéral doit enfin travailler avec les peuples autochtones pour que nous puissions aller au-delà de la Loi sur les Indiens, car nous savons qu'elle est désuète.
Au sujet des concepts coloniaux du statut d'Indien et de l'appartenance à une bande : je me demande toujours si mes droits découlent vraiment de la Loi sur les Indiens. Si la Loi sur les Indiens disparaissait demain, est-ce que je cesserais d'exister en tant que personne autochtone? Je souligne constamment à nos peuples autochtones que nous sommes devenus si colonisés que nous appelons nos cartes de statut des « cartes de traité ». Quelle vision fausse des choses.
Nous devons nous informer à nouveau de l'origine de nos droits en tant que peuples autochtones. Nous avons un droit inhérent à l'autodétermination, et en raison de celui-ci, nous avons noué avec la Couronne une relation — fondée sur des traités — de nation à nation.
Alors, je formule les points suivants.
La discrimination fondée sur le sexe et le refus du droit à l'autodétermination sont des violations des normes internationales en matière de droits de la personne, y compris ceux énoncés et réaffirmés par la déclaration.
La Loi sur les Indiens est un outil d'assimilation forcée, et nous savons qu'elle viole les droits de la personne.
Je vais passer à autre chose. Vous avez le texte de mon exposé.
Les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens ont été utilisées pour refuser le statut juridique à nombre de nos citoyens. Elles ont été utilisées pour refuser notre statut en tant que bénéficiaires de traité. Encore aujourd'hui, les politiques d'AANC relient le statut de bénéficiaire de traité au statut d'Indien, et c'est une violation fondamentale des traités, de nos droits inhérents, du droit autochtone et du droit à l'autodétermination. Nous avons toujours dit que cela doit cesser.
Au sujet de la mise en œuvre du projet de loi S-3, je note qu'AANC a réservé 19 millions de dollars, sur les cinq prochaines années, pour répondre aux besoins en ressources internes parce que vos modifications créeront davantage d'Indiens inscrits. Je crois que le nombre potentiel est de 35 000. Cela va exercer des pressions sur différents programmes. Le Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire, en particulier, a été mentionné.
De même, du côté des soins de santé, une personne qui obtiendra le statut va faire appel au Programme des services de santé non assurés. Cela s'applique au nettoyage des dents et à toutes ces choses. Il n'y a pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins actuels, alors est-ce que ces ressources suffiront à combler les besoins cernés?
L'aspect sur lequel j'aimerais insister, c'est que si vous accordez le statut à des Indiens en vertu des nouvelles dispositions proposées dans le projet de loi S-3, qu'en est-il de la question des terres? Dans les traités, la formule est très claire : 128 acres par personne, 640 pour une famille de cinq. Cela reviendrait à la taille d'une réserve. Cela ne s'applique pas seulement à l'éducation ou aux soins de santé offerts dans le cadre du Programme des services de santé non assurés. Il y a la question de la terre, et personne n'a même fait allusion ou songé à cet aspect.
Alors, notre message global à l'égard du projet de loi, c'est qu'il faut prendre le temps de bien faire les choses. Ne vous pressez pas, malgré l'exigence juridique d'adopter ce projet de loi d'ici le 3 février. Vous avez la possibilité de travailler avec la décision Descheneaux et de collaborer avec la Couronne afin de demander à la cour de proroger le délai afin que vous puissiez mener un processus de consultation plus complet et plus fructueux avec les peuples autochtones d'un bout à l'autre du Canada, avec les groupes et les organismes de femmes autochtones et avec les conseils de chefs, car cela aura un impact énorme.
Je ne crois pas qu'on a prévu suffisamment de temps pour bien réfléchir à l'élaboration de ce projet de loi. Sans vouloir manquer de respect au travail fantastique de la ministre Carolyn Bennett, je crois tout simplement que tout se fait trop vite. Je dirais à son ministère de ralentir. Faites une demande bien étayée à la cour, et je crois que vous obtiendrez de meilleurs résultats dans l'avenir qu'avec ce projet de loi.
Dans la décision Descheneaux, la juge Masse a formulé les directives suivantes à l'intention du Canada :
Il n'exempte pas pour autant le législateur de prendre les mesures appropriées afin d'identifier et de régler toutes les autres situations discriminatoires pouvant découler de la problématique identifiée, fondées sur le sexe ou sur d'autres motifs prohibés, et ce, en conformité avec son obligation constitutionnelle de s'assurer que les lois respectent les droits consacrés à la Charte canadienne [...]
Une lecture aussi stricte du présent jugement que celle qui a été faite de la décision de la CACB dans McIvor, n'est pas la voie que devrait emprunter le législateur. S'il souhaite jouer pleinement son rôle, plutôt que de laisser le champ libre aux litiges, il fera autrement cette fois-ci, tout en apportant rapidement des correctifs suffisamment larges pour remédier à la discrimination constatée en l'espèce. L'un n'exclut pas l'autre.
Ce sont des points importants à garder à l'esprit.
L'APN est prête à travailler avec le Canada à promouvoir les droits, la reconnaissance et la réconciliation dans le cadre d'un processus élaboré de concert pour assurer la mise en œuvre pleine et entière de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de mener conjointement un examen complet des lois et des politiques, car un tel exercice s'impose.
Mes quatre points, mesdames et messieurs, sont les suivants : il vous faut plus de temps. Vous devez faire les choses comme il faut. Faites la demande. Une telle chose peut être accomplie. Même les plaideurs dans l'affaire Descheneaux disent qu'il leur faut plus de temps.
Deuxièmement, l'examen des lois et des politiques. La Cour suprême le dit. La magistrature dit très clairement quelque chose au sujet de la reconnaissance des droits, des titres, des compétences et des traités. Les organes exécutifs et législatifs n'arrivent pas à suivre ce que dit la magistrature, alors les examens des politiques — la politique sur les revendications globales, la politique sur les revendications particulières, la politique d'ajout aux réserves et la politique sur le droit inhérent — sont toujours désuets. Il faut que les politiques suivent la cadence. La magistrature dit très clairement quelque chose ici.
Appuyez l'appel à un examen complet des lois et politiques fédérales afin qu'on puisse les aligner sur ce que dit la magistrature. C'est la recommandation no 2.
Troisièmement, nous devons, en tant que peuples autochtones, être investis de pouvoirs touchant la citoyenneté et aller au-delà de la Loi sur les Indiens de créer non pas des codes régissant l'appartenance, mais plutôt nos propres lois sur la citoyenneté, et exercer notre compétence dans le domaine afin que les lois fédérales et nos lois provinciales ne s'appliquent pas. Cela peut s'appliquer à tous les domaines, pas seulement la citoyenneté. Je dis aux chefs : « Si vous ne voulez pas que la loi provinciale s'applique lorsqu'il s'agit des services à l'enfance et à la famille, créez votre propre loi sur les services à l'enfance et à la famille des Premières Nations. Si vous ne voulez pas que la Loi sur les biens immobiliers matrimoniaux s'applique à votre réserve, élaborez votre propre loi, et veillez à ce qu'elle soit équitable et juste pour les hommes et les femmes des Premières Nations. Alors, soyez présents dans le domaine, créez les lois et exercez votre pouvoir. »
Si l'inscription continue d'être régie par la Loi sur les Indiens, il n'y aura plus d'Indiens inscrits au Canada dans 50 ans : c'est une loi totalement raciste et discriminatoire.
Il n'y a aucun doute sur le fait que nous devons aller au-delà de Loi sur les Indiens, mais il faut le faire selon notre processus, à notre rythme et avec notre pleine participation et inclusion.
Mon quatrième point : j'ai déjà parlé de la question des terres. Vous créez davantage d'Indiens inscrits, mais avez- vous prévu suffisamment de ressources au budget? Certains programmes et services seront plus sollicités, alors vous devez veiller à ce que ceux-ci soient dotés de ressources adéquates. Il y aura des exigences et des besoins d'ordre financier, assurément, mais je vous dis très clairement que, dans le projet de loi C-31 de 1985, selon nous, vous n'avez créé qu'un statut partiel, car la terre fait partie intégrante de la relation fondée sur des traités avec la Couronne. Et où est la terre? Par conséquent, vous devez envisager tous les aspects lorsque vous tentez de mettre un terme à la discrimination.
Il y beaucoup à faire, mais prenez le temps de bien faire les choses. C'est tout ce que nous disons.
La présidente : Merci, chef national.
Écoutons maintenant la représentante de l'Association des femmes autochtones du Canada.
Francyne Joe, présidente, Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, témoins et invités distingués, bonsoir. Je m'appelle Francyne Joe, je suis présidente de l'AFAC et je suis fière d'appartenir à la nation Nlaka'pamux, de la Colombie-Britannique. J'ai travaillé à l'Agence des services frontaliers du Canada pendant cinq ans, et je possède de l'expérience dans les domaines de la gestion des ressources humaines, du développement économique, de l'entrepreneuriat et de l'assurance, autant que choses que je me suis efforcée d'apprendre dans le but d'instruire les Autochtones et de les encourager à réaliser leurs aspirations.
Je suis accompagnée aujourd'hui de Lynne Groulx, directrice exécutive de l'AFAC, et de Marilee Nowgesic, conseillère spéciale et liaison à l'AFAC.
J'aimerais tout d'abord reconnaître que nous nous réunissons aujourd'hui sur le territoire traditionnel de la nation algonquine. J'incarne la voix de mes ancêtres, les préoccupations des femmes autochtones du Canada et les espoirs de nos dirigeants de demain, nos jeunes.
Depuis 1974, l'AFAC est le seul organisme autochtone national canadien à représenter les femmes autochtones et à promouvoir leurs intérêts et leurs nombreuses préoccupations. L'AFAC est constituée de 12 associations provinciales et territoriales membres de partout au Canada.
Notre réseau de femmes des Premières Nations et de femmes métisses s'étend du nord au sud et de l'est à l'ouest et comprend les communautés urbaines et rurales, dans les réserves et à l'extérieur des réserves.
Notre identité personnelle est reliée à notre nation, et l'AFAC doit donc prendre part à toute discussion de nation à nation. Il est crucial que notre point de vue axé sur les sexospécificités soit entendu et pris en compte.
L'Association des femmes autochtones du Canada reconnaît que le gouvernement du Canada s'est engagé à éliminer toutes les formes connues de discrimination fondée sur le sexe inhérentes à la Loi sur les Indiens. C'est un enjeu prioritaire de longue date qui pourrait nous faire manquer des occasions de bâtir une relation de collaboration et de nous attaquer aux couches complexes et aux multiples formes de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens.
Je vous transmets trois messages clés aujourd'hui. Le premier concerne l'arriéré actuel au chapitre de l'inscription à AANC. Le projet de loi S-3 exclut les femmes autochtones et va porter atteinte à leurs droits fondamentaux. Il s'agit d'une violation fondamentale de leurs droits touchant le logement, l'éducation, la santé et le développement économique, entre autres, sous le régime de la Loi sur les Indiens.
D'un point de vue traditionnel, on ne peut séparer les femmes autochtones des répercussions de la colonisation, des problèmes systémiques et des politiques et lois qui ont miné la stabilité de notre environnement, la pratique de notre spiritualité et l'expression de notre droit inhérent à l'autodétermination.
Nous voulons mettre en garde le gouvernement au sujet de l'échéancier. Les femmes autochtones ont de multiples priorités à ce moment-ci dans l'année. Nos enfants sont à l'école. Nos enfants ont des activités. Nous nous préparons pour la récolte, pour la chasse, pour l'aménagement des lignes de piégeage et, bien sûr, pour Noël. C'est le temps de célébrer avec parents et amis.
Le deuxième message clé est que participation ne veut pas dire consultation et que consultation ne veut pas dire consentement. Les femmes autochtones doivent jouer un rôle de premier plan dans ces discussions. Le processus en deux volets décrit par le gouvernement du Canada doit reposer sur la réconciliation avec les peuples autochtones au moyen d'une relation de nation à nation renouvelée fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat.
À ce moment-ci, en date du 28 septembre, l'AFAC n'a pris part qu'à une seule séance d'information avec des représentants du ministère. On ne saurait qualifier cela de participation, de partenariat, ni de respect.
Le gouvernement a déjà annoncé son intention d'adopter une approche en deux étapes dans le sillage de la décision de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Descheneaux, et cela doit se faire d'ici le 3 février 2017. L'AFAC est particulièrement impatiente de s'attaquer non seulement aux enjeux systématiques, mais aussi aux enjeux qui ont un impact sur les femmes autochtones, y compris sur notre sentiment d'identité : nous faisons partie d'une nation, mais certaines communautés ne reconnaissent pas l'appartenance de femmes voulant revenir dans leur communauté; on mine la capacité des femmes d'exercer leurs rôles au chapitre de la gouvernance et de coordonner le recensement des problèmes; et, bien sûr, les ressources financières ne sont pas au rendez-vous.
L'AFAC est l'organisme qui possède l'expertise à l'égard des enjeux touchant les Autochtones et les sexospécificités.
Le troisième message est que les femmes autochtones elles-mêmes ont le droit de déterminer leur identité. Les articles 33.1 et 33.2 de la Déclaration des Nations Unies respectent les droits des Autochtones de définir leur propre identité et leurs propres structures conformément à leurs propres procédures. Je paraphrase, bien sûr.
En tant qu'organisme de femmes autochtones national, l'AFAC a passé 10 ans à se faire dénigrer et ignorer par le gouvernement fédéral, en plus de voir son financement réduit de plus de 60 p. 100. Nous sommes en train de renforcer activement notre capacité de réagir avec force et de coordonner une intervention nationale en peu de temps. Il faut que l'état actuel de notre reconstruction soit pris en compte dans le cadre du processus de mobilisation et il ne devrait pas être utilisé comme un moyen de miner notre participation à ces discussions et décisions clés.
En plus de travailler actuellement sur les procédures et les processus qui guideront les activités de la commission d'enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues, nous sommes l'organisme responsable de mettre en avant les enjeux et les préoccupations des femmes autochtones — et parfois de parler pour celles qui sont disparues — afin de réagir efficacement aux iniquités.
L'AFAC va travailler avec les gens de tous les niveaux au gouvernement du Canada pour mettre fin aux iniquités et à la discrimination qui font partie de la Loi sur les Indiens depuis 1876.
Il y a eu beaucoup de discussions à la table de l'AFAC. Nous cherchons à faire partie d'un processus de consultation qui est robuste, fructueux et complet. Cela va supposer l'octroi des ressources financières qui seront nécessaires dans les communautés lorsque nous jouerons un rôle accru. Maintenant, j'aimerais dire à tout le monde kukshem — merci — et céder la parole à Marilee, qui abordera certains aspects techniques.
Marilee Nowgesic, conseillère spéciale et liaison, association des femmes autochtones du Canada (AFAC) : Merci beaucoup. Nous avons parlé de la séance du 28 septembre, au cours de laquelle nous avons eu l'occasion de parler de l'affaire Descheneaux avec des membres de nos associations membres parties à un traité provincial. L'événement s'est avéré très frustrant, car nous n'avions qu'une demi-journée pour le faire.
Vu les années et le nombre de tracas et de cas mis de l'avant par les femmes, nous étions reconnaissantes que des représentants du ministère soient à notre disposition pour prendre connaissance de certaines des préoccupations très frustrantes de nos APTM, comme se faire dire que leur demande d'inscription est en attente de traitement depuis sept ou huit ans, ou que leur carte de membre est expirée, alors qu'elles existent toujours. Les représentants ont pris connaissance des frustrations liées au fait que le ministère veut décider qui est un Indien et qui ne l'est pas, ils ont pris connaissance des frustrations de la communauté, ils savent qu'il y a des dissensions au sein des communautés et qu'il y a de la ségrégation. Vous n'êtes pas un Indien : vous ne pouvez pas monter dans l'autobus.
Ces frustrations que nous avons entendues étaient minimales, puisque nous n'avions que quatre heures, mais elles étaient le fruit de nombreuses années à écouter et à vivre la frustration. C'est grâce aux ATPM qu'on a pu tenir des discussions et songer à des façons d'aider le gouvernement du Canada à examiner le projet de loi S-3.
Elles n'avaient pas besoin d'une leçon d'histoire ce matin-là. Elles avaient besoin d'une oreille compatissante, à l'intérieur du gouvernement du Canada, qui prendrait connaissance de leurs frustrations et aiderait, d'une façon ou d'une autre, à trouver des solutions. Merci.
Le sénateur Patterson : Je m'excuse de m'écarter un peu du sujet ce soir. C'est en quelque sorte un hommage au sénateur Watt. Concernant la déclaration que vient de faire l'Association des femmes autochtones du Canada au sujet du droit des femmes autochtones de déterminer leur propre identité, et celle du chef Bellegarde au sujet du fait que les Premières Nations doivent déterminer leurs propres progrès sur cette question, je dois souligner que les Inuits qui ont eu affaire au même gouvernement fédéral impliqué dans cette décision se sont vu accorder le droit de déterminer leur propre identité dans le cadre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, de la Convention définitive des Inuvialuit, de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et de l'entente sur le Nunatsiavut, et tout va bien.
Alors, je ne peux m'empêcher, en tant que représentant du Nunavut, de me réjouir du fait que les Inuits, même s'ils ont des défis à relever, n'ont pas à s'inquiéter de la possibilité que des représentants du gouvernement établissent un complexe processus pour définir leur identité. Je voulais seulement faire cette observation.
Chef Bellegarde, vous avez recommandé que l'on consacre plus de temps à cet exercice afin de bien faire les choses, très clairement, et vous vous dites d'avis que cela ne devrait pas être excessivement long, que les plaideurs se joindraient à cette demande. De fait, nous avons entendu le témoignage de plaideurs hier, et ils ont fait savoir clairement qu'ils n'étaient pas satisfaits du projet de loi et qu'ils aimeraient le voir amendé et amélioré.
On pourrait faire valoir que certaines personnes vont tirer parti des dispositions du projet de loi, qui ne va peut-être pas assez loin et qui pourrait être étendu à l'étape 2. Des gens attendent des mesures de redressement. Qu'adviendrait-il des personnes qui seraient lésées par un retard ou qui se retrouveraient exclues pendant une plus longue période? Pourriez-vous commenter cela?
M. Bellegarde : Certainement. Il ne s'agirait pas de retarder le processus très longtemps, car on ne voudrait pas perpétuer le préjudice qui est là. Si les chiffres que j'ai entendus sont valables, environ 35 000 personnes seraient admissibles au statut si le projet de loi S-3 est adopté. On ne veut pas pénaliser ces gens en consacrant une quantité extraordinaire de temps à la tenue de consultations convenables alors que ce nouveau projet de loi devrait être perfectionné et étudié. Alors, comment définirait-on un délai raisonnable? On ne voudrait pas faire du mal à d'autres personnes et créer d'autres préjudices comme, évidemment, le racisme et la discrimination. On veut mettre un terme à cela. Nous comprenons cela.
Alors, aux 35 000 personnes susceptibles d'obtenir le statut d'Indien, je dirais qu'il ne faut pas croire que nous tentons de vous faire du mal et de perpétuer les préjudices et la discrimination qui existent maintenant. Ce n'est pas l'intention.
Nous disons que cela se fera à terme, mais que, vu les répercussions du projet de loi sur une foule d'autres choses, des ressources financières jusqu'aux droits inhérents, en passant par le pouvoir en matière de citoyenneté, il faut consacrer plus de temps à la consultation, au consentement et au dialogue, car nous demanderions que les gens, les sénateurs et les députés et les Canadiens... Chaque fois que le gouvernement doit se pencher sur un nouveau projet de loi, il y a une obligation de consulter les peuples autochtones et de prendre des mesures d'adaptation lorsque des droits prévus à l'article 35 risquent d'être affectés.
Or, ce nouveau projet de loi aura une incidence sur les droits prévus à l'article 35, où il est indiqué que les « droits existants — ancestraux ou issus de traités — [...] sont [...] reconnus et confirmés ». Le nouveau projet de loi aura une incidence sur cela. Alors, vous allez peut-être même exacerber les choses, poser d'autres litiges, amener des gens à formuler d'autres arguments juridiques selon lesquels le projet de loi affecte leur citoyenneté, leurs droits inhérents à l'autodétermination. Il pourrait y avoir des contestations judiciaires. Menez une consultation digne de ce nom et ralentissez le processus. Aux gens qui sont susceptibles d'obtenir le statut, je dis que le processus ne sera pas éternel. Nous n'allons pas l'étirer sur 5, 10 ou 15 ans. Il doit y avoir une consultation adéquate.
Monsieur le sénateur, c'est une bonne question. J'ignore quel délai est acceptable. Est-ce six mois, neuf mois, un an? Je l'ignore. Tout ce que je dis, c'est qu'il n'y a pas eu de consultations dignes de ce nom jusqu'à maintenant et qu'il faudrait du temps pour le faire. Le Sénat est censé effectuer un second examen objectif. Je vous demande tous, en tant que sénateurs, d'effectuer un second examen objectif du projet de loi S-3 et de trouver le temps qu'il faut pour le faire, car il a effectivement un impact sur les droits prévus à l'article 35; fait plus important, en faisant cela, vous respecteriez la volonté du Canada en tant que pays lorsque le premier ministre et les ministres ont adopté la Déclaration des Nations Unies telle quelle. L'article 19 — et j'ai pris le temps de le noter — prévoit ce qui suit :
Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d'adopter et d'appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Alors, vous avez la Déclaration de l'ONU, l'article 19, mais ce qui importe encore plus, c'est que vous avez l'article 35 de la Constitution du Canada. C'est ma réponse.
Le sénateur Patterson : Si vous le permettez, madame la présidente, j'aimerais adresser la même question à l'Association des femmes autochtones du Canada. J'ai été surpris par votre description de l'unique séance de consultation, tenue en septembre pendant une demi-journée, et de toutes les frustrations liées au fait d'avoir si peu de temps pour aborder un sujet si complexe et important.
On nous a dit que le ministère a consulté des organismes nationaux comme le vôtre, ainsi que l'APN. On a dit au comité que ces organismes se sentaient à l'aise avec l'approche en deux étapes dont vous avez entendu parler. Est-ce que cela décrit bien votre position?
Mme Joe : Lorsqu'on nous a consultées en septembre, nous tenions notre assemblée générale annuelle. Nos déléguées ont eu probablement deux jours, sans préavis ni information de base fournie à l'avance. Non, il n'y avait pas suffisamment de temps pour la discussion. Il n'y avait pas suffisamment de temps pour que les déléguées de l'Association des femmes autochtones du Canada puissent vraiment exprimer leurs sentiments aux représentants du MAINC venus discuter.
Nous voulons une discussion beaucoup plus exhaustive. Nous avions environ 70 déléguées à l'assemblée générale annuelle, et comme nombre d'entre elles devaient retourner à la maison, à leur famille, il en restait probablement 40. Je vais céder la parole à Marilee, qui était également présente.
Mme Nowgesic : Monsieur le sénateur Patterson, en réponse à votre question, il est regrettable que vous ayez entendu ce que vous avez entendu. Alors laissez-moi clarifier les choses :
« Consulter les organismes » — si c'est ce que vous appelez une consultation, eh bien... c'est tout ce que j'ai à dire sur le sujet. On nous a remis le document cinq minutes avant que les représentants du ministère nous présentent leur exposé, durant lequel ils nous ont servi, pendant 90 minutes, une leçon d'histoire sur nous-mêmes. Le reste du temps a été consacré aux gens de la collectivité qui exprimaient leur frustration et leur colère terribles de voir le ministère présenter un exposé comme celui-là, puis demander des commentaires sur-le-champ. Nous n'avons pas été pleinement consultées. On vous a dit que nous étions à l'aise avec cette approche en deux étapes. Non, nous ne le sommes pas.
Nous voulions travailler avec le ministère afin de voir comment cela pouvait se faire dans le respect du ministère comme de nos organismes membres, afin que nous puissions écouter les gens qui font face à ces frustrations à l'échelon communautaire.
Je revois dans mon esprit l'image de ce qui restait de notre assemblée générale annuelle : des participantes invitées à se présenter le lundi matin, après une fin de semaine occupée par un processus organisationnel chargé, qui se présentent dans une pièce et se font demander — sans examen préalable d'un document, sans analyse préalable et sans discussion de groupe — de dire ce qu'elles pensent d'un document qu'on leur a montré au dernier instant. Et les femmes nous ont dit comment elles se sentaient.
Nous avons une transcription qui témoigne des frustrations et du niveau des discussions que ces femmes ont eues avec nous. En raison de préoccupations touchant la protection de la vie privée et vu la nature de certains commentaires, et parce que le document n'est pas caviardé, nous avons décidé de ne pas distribuer le document. Mais, au sujet de certains témoignages, nous avons obtenu de ces femmes un consentement écrit afin que nous puissions utiliser des extraits qui n'identifient personne, pour illustrer ce qu'elles pensaient de cette séance et de la façon dont les choses allaient se dérouler.
Nous sommes déjà à la fin septembre. Octobre, novembre, décembre... le 3 février? Peut-on même accomplir cela? Elles étaient plus intéressées à savoir pourquoi on s'adressait à elles maintenant, quatre mois et demi avant l'échéance. « Pourquoi nous consultez-vous de cette façon? Comment pouvez-vous vous attendre à obtenir des réponses valides, de façon coordonnée, de la part de toutes nos femmes et de toutes nos communautés? » Voilà comment s'est déroulée la journée consacrée aux aspects techniques. Merci, monsieur le sénateur Paterson.
Mme Stonefish : Je suis d'accord avec Marilee. Elle parle de consultations dignes de ce nom, et nous pouvons dire la même chose au nom du Conseil des femmes de l'APN : il doit y avoir un dialogue fructueux avec nos Premières Nations aussi.
Je crois savoir et on m'a dit que les Premières Nations sont prêtes et disposées à travailler avec le Canada, de nation à nation, afin de proposer des solutions et des approches utiles pour contrer la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens. Merci.
La sénatrice Lankin : Merci, chef Stonefish. Nous serons plus attentifs à vos signaux.
J'aimerais poser des questions à l'AFAC et au chef national. Je vais commencer par dire, tout d'abord, au chef national que mon amie Paulette Tremblay ne tarit pas d'éloges à votre endroit et pense que vous marchez sur l'eau. C'est donc un honneur de vous rencontrer.
J'aimerais vous parler à tous de notre situation dans le cadre du processus actuel. Tous les enjeux dont vous avez parlé avec conviction, au sujet d'exemples de discrimination bien précis, comme vous l'avez fait chef Stonefish, lorsque vous avez parlé de la clause limitant la deuxième génération et des parents inconnus, vous en avez mentionné deux ou trois, puis nous avons entendu le témoignage des plaideurs et de leur avocat : ils ont mentionné certains aspects soulevés dans la décision Descheneaux, mais il ne s'agissait pas des directives précises contenues dans le projet de loi S- 3. Ils ont suggéré, soit dit en passant, qu'on intègre ces enjeux particuliers dans le projet de loi, et pas nécessairement tous les autres points soulevés qu'il est essentiel pour nous d'aborder.
J'appuie fermement vos déclarations relatives au besoin d'aborder les grandes questions touchant la Loi sur les Indiens et le fait que le Canada détient toujours le pouvoir de déterminer qui est un Indien ou a droit à ce statut. Abordons ces grandes questions de façon exhaustive. D'après ce que j'ai compris, c'est le travail qui a été prévu pour l'étape 2 — tous ces enjeux que vous avez soulevés —, et on va rencontrer les organismes afin de concevoir le processus de consultation comme tel, et on va mettre de 12 à 18 mois pour déployer tous les efforts nécessaires et accomplir le travail.
Au sujet des répercussions financières auxquelles vous faites allusion, on m'a dit que des crédits ont été accordés à l'égard des soins de santé, qu'une autre affectation s'en vient qui n'était pas prévue dans le budget. Mais il y aura des crédits dans le prochain budget pour l'éducation, et on va instaurer un processus afin de travailler avec les chefs à suivre l'incidence sur les services communautaires locaux d'un afflux éventuel de personnes retournant à la réserve, et ce qui va s'ensuivre.
Je n'ai entendu personne parler de la question des territoires, et je suis tout à fait d'accord pour dire que cette question doit aussi être abordée.
Ma question, toutefois, est la suivante : « Au sujet du fait de s'adresser à la cour et de demander une prorogation du délai — et je m'en réjouirais si vous aviez des renseignements différents —, je crois savoir, d'après ma propre expérience et après avoir posé la question à des représentants du ministère de la Justice et du MAINC, que si nous devions obtenir une prorogation, elle serait de trois mois, tout au plus six. Par conséquent, dans le cas improbable où nous obtiendrions une prorogation, elle serait de trois à six mois.
Lorsque vous greffez à cela le processus législatif dans le cadre duquel ce projet de loi doit être soumis au Cabinet, puis déposé et débattu à la Chambre des communes et au Sénat et adopté, un délai de trois mois suffirait à peine à l'adoption d'un projet de loi amendé, et on ne parle même pas encore de consultations. Si nous avions six mois de plus, je ne crois pas que nous pourrions mener le genre de consultations approfondies touchant toute la gamme d'enjeux que vous avez relevés et que nous devons aborder dans le cadre de l'engagement pris par la ministre à l'égard de la deuxième étape.
Compte tenu des 35 000 personnes qui vont profiter du projet de loi S-3, pourquoi ne pourrions-nous pas procéder à la révision du projet de loi et, immédiatement au moment de son adoption — et avant —, commencer le processus de l'étape 2 des consultations? Je pense qu'il est déplorable que nous soyons tous placés dans cette situation, mais une décision a été rendue par un tribunal, à laquelle il faudra donner suite à un certain moment ou au moyen d'une prorogation. La prorogation de trois ou six mois serait-elle suffisante pour procéder aux consultations? Je suppose que non, et, dans ce cas, pourquoi ne pouvons-nous pas procéder à l'adoption des dispositions du projet de loi S-3 et nous attaquer au travail important? Je pense que, au sein du comité, nous sommes tous favorables aux dispositions que vous présentez concernant une mobilisation sérieuse, de nation à nation, entre le Canada et les nations autochtones, visant à trouver une autre voie à suivre que ce que nous avons fait de façon répétée dans le passé. Cela nous ramène encore une fois à la modification d'un texte de loi qui est fondamentalement vicié et fondé sur une attitude colonialiste.
M. Bellegarde : Tout d'abord, selon la loi des Premières Nations, encore une fois, Paulette est ma grande sœur. En langage cri, nous avons un terme qui désigne une cérémonie d'intégration dans la famille, alors elle est ma sœur. Sa défunte mère était venue dans la hutte de la danse du soleil, et elle avait été adoptée au sein de notre famille, et c'est arrivé il y a presque 18 ans. Nous sommes très proches d'elle. Il s'agit là d'un exemple de citoyenneté, et je le mentionne comme cela en guise d'exemple de loi autochtone reconnue et de la façon dont elle va au-delà de la common law et du droit civil et, en fin de compte, notre espoir, notre rêve, un jour, c'est que la loi des Premières Nations soit reconnue au Canada, en plus de la common law et du droit civil, et que nos gouvernements soient également reconnus, en plus des gouvernements fédéral et provinciaux. Tout est une question de compétence. C'est à long terme.
Vous posez une question valable au sujet des consultations, en nous demandant si nous pouvons aller de l'avant avec le projet de loi S-3 maintenant, puis étudier les 35 000 cas. Vous ne corrigez toujours pas le problème d'une manière suffisamment importante, si vous procédez à son adoption. Voilà la façon la plus simple dont je peux l'expliquer. Vous ne régleriez pas le problème. Même si c'était 6 ou 9 mois... reportez son adoption tant que vous le pouvez, car le procureur de la Couronne et les avocats de M. Descheneaux ont l'occasion d'unir leur voix pour demander une période adéquate. Nous ne savons pas encore combien, mais nous avons simplement besoin de plus de temps pour régler cette question et mettre en place le projet de loi. Là où je veux en venir, c'est que, si on procède à son adoption, des gens seront encore exclus. Il y aura encore de la discrimination et du racisme à l'intérieur de cette loi.
La sénatrice Lankin : Oui.
M. Bellegarde : Pourquoi se donner la peine? Vous allez vous exposer à d'autres accusations potentielles également. La situation est vraiment désastreuse, alors ne perpétuez pas le désastre.
Je dis que, même si c'est six ou trois mois, prenez-les. Cette période pourrait vous donner le temps de faire les choses comme il faut. Voilà ce que je dirais.
L'autre élément de cette question, c'est qu'il s'agit en réalité du fait que, dans le cas de toute loi qui est élaborée et qui aura une incidence sur les droits visés à l'article 35 et dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, des consultations doivent être tenues et un consentement doit être obtenu, et, dans ce cas-ci, cela n'a pas été le cas. C'est tout ce que je peux vraiment ajouter à cela.
La sénatrice Lankin : Pendant que nous tenions cette discussion législative, j'ai entendu une femme, une sage, dire que les droits des femmes autochtones ont été relégués au second plan des consultations et de la mobilisation entre le Canada et les Premières Nations, qui sont menées par des hommes depuis longtemps. Une partie de moi — en tant que féministe et personne qui défend les droits des femmes autochtones, maintenant et dans l'avenir, relativement à toutes les questions de base que vous abordez — se sent contrainte d'appuyer l'idée d'apporter ces modifications maintenant. Les 35 000 personnes — des femmes et leurs enfants — qui seront touchées favorablement par ces modifications feront en même temps partie d'une voix puissante qui oblige le gouvernement à respecter ses engagements relativement à l'étape 2, où se situent les grands enjeux. Je voulais dire cela avant que nous cédions la parole à l'Association des femmes autochtones du Canada pour connaître sa réponse.
Mme Joe : Je me demanderais presque si vous étiez assise dans notre salle de réunion plus tôt. Vous avez répété un certain nombre des discussions que nous avons tenues dans le passé. L'AFAC représente un très grand nombre de mères, et, quand nous ne bénéficions pas des mêmes droits — surtout nos enfants — en matière de logement, de santé et de scolarisation, tout cela en raison de cette carte de statut, cela nous brise le cœur.
Procédons à l'adoption du projet de loi, et, à la deuxième étape, rendons vraiment ce processus inclusif pour des collectivités autochtones nationales. Faisons en sorte que, dans le cadre du processus, les femmes autochtones soient vraiment consultées.
Je connais Sharon McIvor. Elle est ma cousine et assurément féministe. Elle mène un combat long et difficile; elle passe maintenant le flambeau, et nous voudrions qu'il se passe quelque chose. Nous savons que la réponse ne sera pas facile, mais, si nous pouvons commencer par ceci, maintenant, et continuer à travailler d'arrache-pied pour obtenir les résultats que nous souhaitons, que ce soit dans trois ou six mois, ne le faisons pas aux dépens de nos femmes et de nos enfants.
La présidente : Si j'ai bien compris, le chef national Bellegarde et la présidente Joe ont affirmé que ce sont les femmes autochtones touchées qui n'ont actuellement pas de statut qui devraient être incluses dans les consultations. Jusqu'ici, elles ne l'étaient pas.
En ce qui concerne les droits des femmes autochtones, leurs droits traditionnels ont été violés dans les années 1800 lors de l'adoption de la règle relative au mariage avec un non-Autochtone. On pourrait dire que les droits autochtones dont elles jouissaient en tant que femmes autochtones ont été violés. Pensez-vous que cela, en soi, pourrait constituer une violation de leurs droits constitutionnels? Par conséquent, cela signifierait qu'elles doivent être consultées. Elles n'ont pas été consultées relativement au projet de loi, alors elles devraient l'être. Quelle est votre opinion à ce sujet?
M. Bellegarde : Je suis tout à fait d'accord.
Le sénateur Moore : J'ai un commentaire complémentaire à formuler. J'ai entendu Mme Joe parler d'une réunion tenue le 28 septembre. Des représentants du ministère nous ont dit qu'ils en avaient tenu 12, y compris une, hier, et une rencontre avec des chefs et des représentants régionaux. Je ne les ai jamais entendus dire qu'ils avaient rencontré les femmes. Supposons que l'une d'entre elles devait être votre réunion, cela n'en fait encore que 11.
J'ai toujours pensé que, chez les Premières Nations, c'était les femmes aînées qui avaient le premier mot. Je me rappelle la situation à Oka. Les femmes aînées sont intervenues pour régler cette situation et ont dit aux gens quoi faire et comment se comporter. Ce n'étaient pas les chefs.
Où en sommes-nous à cet égard? Je suis surpris que l'AFAC et la grande chef adjointe Stonefish n'aient pas fait partie des toutes premières à être consultées. Je veux entendre vos commentaires à ce sujet. Est-ce que je me trompe au sujet de cette tradition concernant l'autorité et le pouvoir des femmes aînées? Ce n'est pas pour vous enlever quoi que ce soit, grand chef.
M. Bellegarde : Ma mère me regarde.
Le sénateur Moore : Puis-je entendre vos commentaires à ce sujet?
Mme Nowgesic : Vous ne vous trompez pas, et, dans le cas de la tradition de la plupart de nos nations, vous avez tout à fait raison : le pouvoir s'exerce par le processus mené par les femmes qui évoluent au sein de nos communautés traditionnelles et selon nos façons de faire traditionnelles.
Quand on apporte l'argent à la maison, l'épicerie est faite, on apporte les choses aux enfants et à la famille, et, pendant que nous préparons les repas pour qui que ce soit... lorsqu'on se rend dans les réserves et dans nos maisons, on prépare des repas et du thé pour tout le monde. Peu importe qui s'arrête pour nous rendre visite. Les conversations qui ont cours au sujet de l'école, de l'aide sociale, de ceci et de cela, de la consommation d'alcool ou de drogue... « Ils dépensent tout leur chèque d'aide sociale, et, maintenant, nous devons payer leur facture d'hydroélectricité ». Vous, les hommes, allez rassembler des sommes d'argent; cela m'est égal si vous devez jouer au poker, c'est ainsi que vous allez le faire.
Lorsque les pensées des hommes sont exprimées, si vous regardez la femme qui se tient derrière cet homme, vous verrez la vision qu'apporte ce ménage aux réflexions traditionnelles et à la cérémonie, aux huttes, par l'intermédiaire de nos systèmes de clans, de nos systèmes de maisons longues et de tous ces types de cérémonie traditionnels. Ça a toujours été la femme, car nous sommes celles qui interviennent auprès de jeunes, de nos bébés, et qui leur enseignent comment respecter, honorer, remercier... comment tenir compte de la personne qu'ils côtoient.
C'est au travers de ces cérémonies que nous regardons. Cela a toujours été une longue partie des consultations, des accords, du consentement et de la recherche de cette collaboration des uns avec les autres. Voilà pourquoi, grâce à la coopération et à la collaboration de nos organisations partenaires, comme l'APN, le Congrès des Peuples Autochtones, le RNM et des cinq nations ici présentes, nous devons discuter entre nous de la façon dont nous étudions ces approches. Nous savons, d'après les représentantes de l'AFAC, qu'il ne s'agit pas que d'une représentation des Premières Nations; c'est aussi une représentation des femmes métisses, à l'intérieur et à l'extérieur des réserves, dans les collectivités urbaines et rurales.
Le sénateur Moore : Madame la chef ajointe Stonefish, avez-vous un commentaire à formuler à ce sujet?
Mme Stonefish : Concernant la raison pour laquelle les femmes autochtones, en tant que telles, n'ont pas été consultées à ce sujet, c'est à cause de la colonisation continue et des comportements paternalistes qui ont changé notre société matrilinéaire. Nous avons déjà été comme vous l'avez indiqué dans certaines collectivités, où les femmes aînées jouaient un rôle majeur au sein de la communauté. Certaines de nos collectivités sont endoctrinées dans la tradition chrétienne, également, où le rôle des femmes a été affaibli.
À mesure que nous progressons, maintenant, nous constatons que cette situation commence lentement à changer et que les femmes s'imposent maintenant et commencent à obtenir ce respect au sein de nos collectivités.
Le sénateur Moore : Le ministère a-t-il déployé un quelconque effort pour tendre la main aux dirigeantes des collectivités? Avez-vous reçu une quelconque indication de leur part? Est-ce que cela a été votre seule tentative? Est-ce que c'était tout?
Mme Joe : Nous espérons que l'étape 2 sera plus inclusive. À l'étape 2, nous pourrons mieux travailler ensemble et inclure nos jeunes et surtout nos aînés.
La présidente : Nous avons pas mal d'autres sénateurs qui n'ont pas eu l'occasion de poser une question. Il en reste environ cinq sur la liste. Veuillez poser une courte question.
Le sénateur Enverga : Nous vous avons entendus et nous croyons que quelque chose doit être fait. Monsieur le chef Bellegarde, je sais que vous voulez bien faire les choses du premier coup. Voilà ce que vous voulez.
Actuellement, combien de personnes — celles qui sont admissibles... il y en a environ 37 000 qui seront admissibles, si le projet de loi est adopté? Combien de personnes vivent actuellement dans la réserve?
M. Bellegarde : Bonne question. En tant qu'Autochtones, nous comptons pour environ 4,5 p. 100 de la population du Canada. Nos 634 nations sont réparties partout au Canada. Du point de vue des langues, nous comptons 58 nations différentes. Elles sont toutes différentes, des Micmacs et Malécites, sur la côte Est, aux Algonquins, en passant par les Mohawks, les Dénés, les Pieds-Noirs, et les Ojibways. Il y en a 58, alors, quand nous disons « Premières Nations », de qui parlons-nous? Parlons-nous des Cris? Des Ojibways? Nous sommes tous différents.
Le sénateur Enverga : Je parle de celles qui seront touchées par le projet de loi S-3.
M. Bellegarde : Nous sommes 634 nations qui comptent environ 1,5 million de personnes; la moitié de nos gens habitent dans des réserves, et l'autre, à l'extérieur. Grâce au projet de loi, selon le chiffre qui m'a été donné, environ 35 000 personnes pourraient être admissibles au statut. Ensuite, la question est de savoir si elles vont l'obtenir. Vont-elles aussi être acceptées dans la bande?
Une liste est tenue à AANC, à Ottawa — la liste de statut —, et on tient aussi une liste des membres. On tient les deux.
Ce sont les chiffres.
Les 35 000 nouveaux « Indiens » vont générer des besoins financiers. AANC a établi un budget de 19 millions de dollars sur cinq ans pour deux programmes, dont un à Affaires autochtones pour les étudiants de niveau postsecondaire, et nous savons déjà que 10 000 étudiants figurent sur cette liste d'attente. Maintenant, il y aura de nouveaux Indiens inscrits, et vous pensez que ce sera suffisant pour répondre à ce besoin? Je ne le pense pas.
Ensuite, dans le cas de Santé Canada, il y a le Programme des services de santé non assurés. Les besoins financiers touchent ces deux ministères : Affaires autochtones et du Nord Canada et Santé Canada. Ainsi, on recourra à ces deux programmes, car nous les considérons comme des droits prévus dans les traités et comme des obligations de la Couronne. Alors, sont-ils visés à l'article 35?
Il y a tout cela. Le projet de loi pourrait entraîner un épuisement des ressources, cela ne fait aucun doute. L'argument que j'ai formulé plus tôt... oui, ils ont accès à deux programmes. Il y en a d'autres, s'ils obtiennent le statut de membre d'une bande également, comme le logement et tout le reste.
L'obtention du statut permet à une personne d'avoir accès à certains programmes et services. Si elle devient membre d'une bande, c'est une autre panoplie de choses, et toute la question des terres. Donc, voilà vos chiffres : la moitié dans les réserves, et l'autre, à l'extérieur.
Alors, la grande question que j'essaie d'amener les gens à comprendre, quand nous commençons à parler d'autodétermination, de gouvernements, de relation de nation à nation et du fait de s'occuper de nos citoyens et d'en être responsables non seulement dans les réserves, mais aussi à l'extérieur... car, selon la décision Corbiere récemment rendue par la Cour suprême, tous les Autochtones ont le droit de voter pour leur chef et leur conseil, quel que soit l'endroit où ils habitent. Ils ont maintenant ce droit.
Le prochain élément sera une attente raisonnable à l'égard des services et des programmes et de la transférabilité des droits. Vous n'êtes pas un Indien inscrit uniquement si vous vivez dans une réserve; les services et les programmes dont vous bénéficiez sont transférables. Ce sera le prochain grand défi. Il y a une longue réponse à votre question. Certains chiffres... 1,5 million de personnes... 35 000 personnes pourraient s'ajouter à cette population. Je ne pense pas que la planification a été effectuée adéquatement.
Le sénateur Enverga : Des 35 000, vous avez mentionné que peut-être la moitié se trouve dans les réserves actuellement?
M. Bellegarde : Non, je ne sais pas où habitent ces 35 000 Indiens potentiels. Leur statut est potentiel. Selon mon estimation très approximative, ils se trouvent probablement à l'extérieur des réserves autochtones. Voilà ce que j'aurais tendance à penser.
La sénatrice Martin : Cela semble certainement complexe, mais je pense que vous vous êtes tous exprimés très clairement et avec éloquence dans la façon dont vous avez expliqué cette situation. Vous êtes les chefs des personnes qui seront directement touchées par le projet de loi, alors vous êtes directement au cœur de cet enjeu. Il s'agit des gens que vous représentez.
Madame la présidente Joe, avez-vous affirmé, en réponse à la deuxième question de la sénatrice Lankin, que vous pensez que nous devrions passer à autre chose, puis nous assurer que la deuxième étape est très complète? Alors, est-il important pour nous d'étudier le projet de loi et de l'adopter? D'accord.
Monsieur Bellegarde, vous ne partagez pas ce point de vue?
M. Bellegarde : Je partage ce point de vue.
La sénatrice Martin : Ce que je vous ai entendu dire, qui a été la phrase-choc de la soirée, c'est ne perpétuez pas le désastre.
M. Bellegarde : Tâpwêw. Cela veut dire que vous avez tout à fait raison.
La sénatrice Martin : J'essaie de concilier les deux positions. Je peux comprendre pourquoi nous devrions être contraints d'étudier le projet de loi maintenant, de répondre aux besoins des plus ou moins 35 000 personnes qui seront directement touchées, même si cela perpétuera la complexité de toute cette situation, car le projet de loi ne règle pas tout à fait le problème. Je ne sais pas si les tribunaux devraient écouter et dire si nous avons besoin de plus de temps, afin de nous en accorder davantage.
M. Bellegarde : C'est ce que je dis.
La sénatrice Martin : Je suis curieuse à ce sujet. Il y a là deux positions distinctes, alors je veux les clarifier.
J'ai une question qui s'adresse à vous, monsieur le grand chef. Vous avez consulté M. Wuttke.
M. Bellegarde : Conseiller juridique extraordinaire.
La sénatrice Martin : Si vous avez la possibilité de rédiger un projet de loi que vous pourriez proposer, disposez-vous des conseils de la capacité nécessaires pour rédiger un tel projet de loi au nom de l'Assemblée des Premières Nations?
M. Bellegarde : Nous n'avons pas de rédacteur législatif au sein de notre personnel, alors la réponse est non. Vous pouvez toujours trouver cela.
La sénatrice Martin : Mais, vous pouvez donner des conseils et fournir ce genre d'apport?
M. Bellegarde : Encore une fois, il faut d'abord trouver les ressources financières, puis affecter les ressources humaines nécessaires pour que le travail se fasse. Voilà ce qui doit être fait.
La sénatrice Martin : J'ai posé la question parce qu'en tant que sénatrice, je ne suis pas experte en droit, mais je peux poser des questions à une personne qui possède l'expertise nécessaire, et je peux travailler avec ce conseiller afin de m'assurer que le projet de loi aborde les particularités et les nuances réelles de ce que je tente de saisir. Alors, concernant le projet de loi en question, a-t-on sauté ce processus, ou n'a-t-il pas été suffisamment approfondi?
M. Bellegarde : Il n'a même pas été amorcé. Il n'a même pas commencé.
La sénatrice Martin : D'accord. Merci. Donc, il y a un problème, mais je comprends la contrainte liée au temps.
Le sénateur Meredith : Monsieur le chef, je vous remercie infiniment, tous les deux, de votre présence, ainsi que celle des représentantes de l'AFAC. J'ai entendu vos points de vue. Je siège au comité depuis maintenant un certain temps, et j'ai entendu le même genre de plaintes — soyons honnêtes à ce sujet — concernant l'obligation de tenir des consultations, le caractère approprié des consultations et l'obtention du consentement.
Je n'arrive tout simplement pas à le croire, lorsque le ministère affirme que nous avons tenu des consultations et que ces consultations n'ont pas eu lieu. Qu'a dit le ministère à votre groupe et à l'AFAC concernant le fait qu'aucune consultation n'a eu lieu et qu'il n'y a pas eu d'application régulière de la loi relativement à la présentation du projet de loi? Comment a-t-il réagi directement à votre opposition au projet de loi?
M. Bellegarde : La seule chose qui est arrivée, dans le cas de l'Assemblée des Premières Nations, c'est une réunion qui a été tenue pendant deux heures, en juillet, et cela a été la seule fois que l'Assemblée des Premières Nations a participé, et c'est tout.
On nous a expliqué les étapes 1 et 2 de ce processus, et c'est tout.
La présidente : Veuillez laisser la présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada répondre.
Mme Joe : C'est la même chose. Nous n'avons disposé que d'une courte période avec les représentants d'AANC. Ils étaient censés nous redonner des nouvelles, mais nous n'en avons pas eues.
Le sénateur Meredith : Il n'y a absolument rien eu.
La présidente : Notre temps est écoulé.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Nous sommes tous déçus par tout ce processus. Il est évident que, lorsqu'un tribunal rend une décision et l'assortit d'un délai, les choses évoluent rapidement et ne sont pas faites comme il faut.
Mes pensées vont aux 35 000 personnes qui auront la possibilité, d'ici le 3 février, d'obtenir leur statut et de commencer à profiter de certains de leurs droits. Je détesterais perpétuer en quelque sorte l'obligation d'attendre de ces personnes, mais je serais d'accord pour dire que, si nous devons adopter le projet de loi, d'une manière ou d'une autre, nous devons y intégrer quelque chose qui donne vraiment du mordant à l'étape 2 des consultations. Cela doit être fait adéquatement. Je veux vous demander si vous avez des commentaires à formuler à ce sujet.
Mme Joe : Vous avez tout à fait raison. C'est ce que nous voulons voir : les femmes qui attendent depuis des années, depuis des décennies, pour obtenir ces rôles, les avantages dont leurs frères et sœurs et leurs cousins bénéficient actuellement, mais qu'elles n'ont jamais reçu... nous voulons que la partie 2 de ce processus devienne plus importante et plus consultative. Nous devons saisir à ce moment-là le reste des femmes qui veulent obtenir le rôle de membre.
M. Bellegarde : Vous devez répartir les 35 000 personnes qui sont admissibles. Combien d'entre elles seront admissibles à fréquenter l'université? Elles ne le seront pas toutes. De qui parlez-vous? S'agit-il de jeunes, d'enfants de 5 ans ou de 10 ans, ou bien de femmes? Qui sont ces personnes? Il faut répartir cette population, car, pour être admissible au Programme d'aide aux étudiants de niveau postsecondaire, il faut être admissible à l'université ou à une formation professionnelle technique. Si c'est tout ce dont il s'agit, il faut les répartir davantage. Ce ne sont pas les 35 000 au complet.
Concernant les services de santé non assurés, c'est vraiment un programme médiocre. On se fait nettoyer les dents une fois par année, examiner les yeux deux fois par année... comme les lunettes. Il n'a rien de formidable, les gars. Il ne l'est tout simplement pas. On obtient de meilleurs avantages sociaux de son employeur. Les services de santé non assurés et le PAENP... il faut les répartir, alors il ne s'agit pas d'une énorme perte. Là où je veux en venir, c'est que ce ne sera pas une longue période.
L'argument selon lequel nous allons mettre fin à la discrimination pour 35 000 personnes, selon moi, n'est pas le bon argument à étudier. Ce ne sera pas le cas de toutes, et je n'essaie pas de blesser les personnes qui sont visées. Je dis simplement que, dans ce cas-ci, dans cette affaire, le tribunal a tout simplement ordonné que quelque chose soit fait d'ici le 3 février. C'est ce qui est arrivé, alors, le gouvernement réagit et se précipite, et il fait des erreurs. Voilà tout.
La sénatrice Beyak : On en revient à ce que M. le chef Bellegarde disait. En tant que sénatrices et que députées de sexe féminin, nous avons été très emballées, seulement à lire le titre, élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription, et nous avons pensé que c'était merveilleux.
Mais, tout ce que je viens d'entendre, c'est qu'il y a encore les paragraphes 6(1) et 6(2) et qu'un très grand nombre de gens n'auront pas un statut égal... même leurs sœurs et leurs frères. Un sera visé par le paragraphe 6(1), et l'autre, par le paragraphe 6(2), alors je pense que nous devons au moins corriger cette partie du projet de loi grâce à un amendement ou à quelque chose et, comme vous le dites, commencer à faire quelque chose, mais pas de façon hâtive. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous n'avons pas pu obtenir de prorogation de deux ans du tribunal à l'égard de quelque chose d'aussi important, mais accomplissons quelque chose aussi, entre temps, afin que nous ne nous contentions pas de rester assis en attendant.
Comprenez-vous ce que je dis au sujet des paragraphes 6(1) et 6(2), et est-ce bien ce qu'on me dit?
Mme Joe : Oh, oui.
La sénatrice Beyak : Merci.
Mme Nowgesic : Madame la sénatrice Beyak, je vous remercie de poser cette question, et nous étions également très enthousiastes, en tant qu'organisation qui parle au nom d'une très vaste population composée non seulement de femmes, mais de leurs enfants, en nous penchant sur cet enjeu frustrant. Nous étions très enthousiastes, mais, quand on commence à examiner les divers degrés, les multiples et la complexité de toutes les questions dont nous devons tenir compte... Une fois, quand nous avons fait cela, en 1985, dans le cadre du projet de loi C-31, nous avons obtenu de l'argent pendant deux ans à la suite de ce processus. Alors, nous avons fait augmenter les chiffres; nous avons obtenu de l'argent pour aider cette population pendant deux ans, deux ans et demi, puis le financement a cessé. On nous a coupé l'herbe sous le pied, et tout le monde se battait. Au bout du compte, nous étions de retour à la case départ. Merci, madame la sénatrice Beyak.
M. Bellegarde : Une réponse courte et rapide, mesdames et messieurs les sénateurs, et ce sera mon dernier commentaire. Les choses doivent être réglées dans un texte plus complet, et, quand le premier ministre s'est présenté devant notre assemblée des chefs, l'an dernier, il a pris cinq engagements à son égard : premièrement, qu'une enquête serait menée sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues; deuxièmement, que les 94 appels à l'action seront mis en œuvre — les 94 appels à l'action, et cela comprend la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones —; troisièmement, que le plafond de financement de 2 p. 100 qui nous était imposé depuis 20 ans en tant qu'Autochtones serait supprimé et qu'un processus serait établi afin que l'on puisse travailler sur — selon ses dires — un financement à long terme durable et prévisible; quatrièmement — l'éducation —, qu'il y aurait des investissements dans l'éducation du point de vue des écoles, des droits de scolarité dans les réserves et à l'extérieur, des programmes de changement, de la formation, des éléments clés.
Le cinquième engagement était un examen des lois et des politiques. Il s'agit de celui qui vise à appuyer la tenue d'un examen des lois et des politiques dans le cadre du processus et à pousser maintenant la Couronne à mobiliser l'Assemblée des Premières Nations afin d'entreprendre ce processus.
Il y a deux choses qui ne bougent pas. Les appels à l'action de la CVR doivent être mis en œuvre, de même que l'examen des lois et des politiques. Ce sont les deux éléments.
Parmi les trois autres éléments, la revitalisation des langues est une priorité, surtout durant l'année de réconciliation, le 150e anniversaire du Canada, l'importance d'investir dans les langues — les langues autochtones — parce que, quand un jeune autochtone parle couramment sa langue, il réussit mieux à l'école et, par conséquent, il réussit mieux dans la vie. Même cela, c'est un investissement... alors, les langues.
Changer l'appareil gouvernemental de l'institution. Le Canada a été fondé à l'aide d'un commissaire aux traités et par la mise en œuvre de l'article 35. Voilà comment le pays a été fondé. Où est notre commissaire aux traités fédéral qui relève de la Couronne? Où est notre commissaire aux langues autochtones chargé de protéger, de promouvoir et d'améliorer les langues autochtones? Les institutions, l'appareil gouvernemental.
Le troisième autre élément, ce sont essentiellement les processus qui permettront de passer au-delà de la Loi sur les Indiens. Voilà les éléments qui doivent être mis en place, et, une fois que nous commencerons à passer au-delà de la Loi sur les Indiens, ce dont nous discutons actuellement sera sans objet. Cela n'existera plus, car, à ce moment-là, la compétence des Premières Nations sur la citoyenneté sera reconnue, et nous trouverons des processus permettant d'aller au-delà de la Loi sur les Indiens en appliquant le droit autochtone, surtout aux citoyens, mais ce changement doit être lié à une nouvelle entente fiscale, afin que nos gens puissent s'occuper de leur statut de membre, à l'intérieur comme à l'extérieur des réserves, car, actuellement, l'entente fiscale en vigueur ne fonctionne pas. Il ne s'agit là que de cinq éléments à garder à l'esprit : la situation dans son ensemble.
La présidente : Merci. Nous sommes arrivés à la fin de la séance. Je voudrais remercier nos témoins de l'Assemblée des Premières Nations et de l'Association des femmes autochtones du Canada. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, des questions que vous avez posées.
Ce soir, nous accueillons dans notre deuxième groupe de témoins M. Robert Bertrand, chef national, et Frankie Cote, gestionnaire principal, Engagement, du Congrès des Peuples Autochtones. Nous accueillons Drew Lafond, de MacPherson Leslie Tyerman, S.E.N.C.R.L., pour l'Association du Barreau Autochtone.
Nous allons commencer par vos exposés, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
Robert Bertrand, chef national, Congrès des Peuples Autochtones : Madame la présidente, monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les membres du comité, représentants et invités, je m'appelle Robert Bertrand, et je suis le chef national du Congrès des Peuples Autochtones.
[Français]
J'aimerais reconnaître le territoire traditionnel des Algonquins, sur lequel nous sommes tous privilégiés de nous rencontrer, y compris mes ancêtres.
[Traduction]
Je voudrais remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d'avoir invité le Congrès des Peuples Autochtones à aborder cette discussion nécessaire et importante sur le projet de loi S-3. Je voudrais féliciter le premier ministre Justin Trudeau et le gouvernement fédéral d'avoir retiré son appel concernant la décision rendue le 3 juin 2015 par la Cour supérieure du Québec à l'égard de l'affaire Descheneaux interjeté devant la Cour suprême du Canada. La décision de régler l'affaire Descheneaux selon une approche en deux étapes visant à éliminer les iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription à titre d'Indien et de ne pas se limiter aux faits propres à cette affaire est prometteuse à entendre.
Depuis 1971, le Congrès des Peuples Autochtones — anciennement appelé le Conseil national des Autochtones — s'est engagé à défendre les besoins des Indiens, des Métis et des peuples inuits du Sud inscrits et non inscrits vivant hors réserve. Nous servons également de voix nationale pour ses organisations affiliées provinciales et territoriales — nos OPT. Elles sont situées dans l'ensemble du pays, de la côte Ouest de la Colombie-Britannique aux extrémités orientales du sud du Labrador. Le Congrès des Peuples Autochtones possède également un conseil national des jeunes.
[Français]
Le congrès représente un nombre considérable d'Autochtones du Canada. Il représente actuellement plus de 70 p. 100 des Autochtones qui vivent hors réserve.
[Traduction]
Depuis plus de 45 ans, le Congrès des Peuples Autochtones s'engage à régler les problèmes touchant nos électeurs et participe activement à des affaires qui concernent les iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription, qui ont mené à l'adoption du projet de loi C-31 et du projet de loi C-3, connu sous le nom de l'affaire McIvor.
Dans le cadre de la collaboration en vue de l'examen du projet de loi S-3, il y a deux cas actuels que le Congrès des Peuples Autochtones estimait être des modèles de changement efficace pour la réconciliation avec les peuples autochtones hors réserve. La première, c'est la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones; et la deuxième, c'est la décision historique rendue par la Cour suprême du Canada dans Daniels c. Canada.
Il y a 17 ans, notre ancien chef national, le défunt Harry Daniels, et le Congrès des Peuples Autochtones sont allés devant les tribunaux afin de forcer le gouvernement fédéral canadien à reconnaître que les Métis et les Indiens non inscrits sont des Indiens au titre de l'article 91.24 de la Loi constitutionnelle et que le gouvernement fédéral a une responsabilité fiduciaire à leur égard.
[Français]
Le congrès a intenté cette poursuite, l'a financée tout au long des procédures et l'a soutenue à chaque étape du processus juridique. Je suis très fier d'avoir annoncé, le 14 avril 2016, que nous avions finalement gagné.
[Traduction]
Il a fallu la décision Daniels rendue par la Cour suprême du Canada pour mettre fin au blocage judiciaire des Métis et des Indiens non inscrits pris entre les provinces et le gouvernement fédéral, qui se renvoyaient la balle quant à celui à qui nous devrions avoir affaire et qui a la responsabilité fiduciaire. La route vers la réconciliation avec les peuples autochtones que défend le Congrès des Peuples Autochtones n'aurait pas pu être tracée avant que l'affaire Daniels ait été réglée.
Concernant cet arrêt, la juge Rosalie Abella de la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :
À mesure que le rideau continue de se lever sur l'histoire des relations entre le Canada et ses peuples autochtones, de plus en plus d'iniquités se font jour et des réparations sont instamment réclamées.
Une occasion d'obtenir de telles réparations repose dans la possibilité distincte pour le gouvernement fédéral et le Congrès des Peuples Autochtones de s'unir dans le cadre de la réconciliation progressive sous la forme d'une mobilisation et de consultations sur toutes les questions qui touchent nos peuples. Cela inclut fort certainement la prise de mesures à la première étape relativement à l'affaire Descheneaux.
Dans le cadre des modifications législatives proposées dans le but d'éliminer les iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription à titre d'Indiens, certaines personnes qui se désignent en tant que Métis et qu'Indien non inscrit deviendront admissibles au statut d'Indien.
Je voudrais déclarer clairement que la nation métisse, selon la définition du Règlement national des Métis, ne parle pas au nom de tous les Métis. Toutefois, le Congrès des Peuples Autochtones respecte le fait qu'il s'agit d'une nation métisse, comme elle se définit elle-même.
Je soutiens respectueusement que nous, en tant qu'Autochtones qui font partie du Congrès des Peuples Autochtones, exerçons depuis 45 ans les droits énoncés à l'article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L'article est ainsi libellé :
1. Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones d'obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l'État dans lequel ils vivent.
2. Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d'en choisir les membres selon leurs propres procédures.
Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
Les peuples autochtones, dans l'exercice de leur droit à l'autodétermination, ont le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.
Conformément à l'article 18 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l'intermédiaire de représentants qu'ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles.
Je cite ces articles parce qu'ils ont une incidence directe sur les membres du Congrès des Peuples Autochtones. Nous comptons une multitude de peuples autochtones différents provenant de diverses nations vivant dans des collectivités hors réserve.
En ce qui concerne le projet de loi S-3, comme je l'ai déjà déclaré, je suis heureux que le gouvernement ait décidé de retirer son appel dans l'affaire Descheneaux et qu'il ait entrepris ce processus visant à éliminer les iniquités fondées sur le sexe qui perdurent dans la Loi sur les Indiens, même après l'entrée en vigueur des projets de loi C-31 et C-3.
Le projet de loi S-3 conférera le statut d'Indien aux personnes qui auraient toujours dû l'avoir et permettra aux personnes nées après 1951 de devenir des Indiens inscrits. Toutefois, la Cour supérieure du Québec a clairement affirmé que les modifications ne devraient pas être essentiellement axées sur les faits de l'affaire Descheneaux. Cela dit, je ne vois pas pourquoi le gouvernement s'est arrêté à 1951 et n'est pas remonté plus loin. Par exemple, le projet de loi C-31 retournait jusque dans les années 1860. Pourquoi le projet de loi S-3 est-il différent? Il pourrait y avoir — et il y en aura probablement — des personnes qui vont tomber entre les mailles du filet parce que l'écart n'est pas comblé entre les années 1860 et l'année 1951.
Je reconnais que ce problème pourrait être réglé à l'étape 2, mais cela n'aide pas immédiatement la personne qui pourrait être admissible au statut d'Indien et aux avantages qui s'y rattachent, comme les services de santé non assurés et les études postsecondaires.
[Français]
Ce sont ces questions qui demeurent un enjeu important pour le CPA et son mandat comme porte-parole national des Indiens inscrits, des Indiens non inscrits hors réserve, des Métis et des Inuits du sud.
[Traduction]
Je voudrais vous remercier encore une fois de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Meegwetch. Merci.
La présidente : Monsieur Lafond, veuillez prendre la parole.
Drew Lafond, MacPherson Leslie Tyerman, S.E.N.C.R.L., Association du Barreau Autochtone : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis un Indien visé par le paragraphe 6(1) qui appartient à la nation crie du lac Muskeg, en Saskatchewan. Je suis aussi un procureur exerçant le droit pour le cabinet MacPherson Leslie and Tyerman, à Calgary, en Alberta. Aujourd'hui, je suis là pour représenter l'Association du Barreau Autochtones du Canada, où l'ABA.
J'occupe actuellement le poste de directeur de l'ABA ainsi que celui de trésorier. Je siège au conseil d'administration depuis maintenant environ 9 ans. En guise de brève introduction, l'ABA est une société sans but lucratif qui représente les intérêts de juges, d'avocats, d'universitaires, d'étudiants en droit et de techniciens juridiques autochtones de partout au Canada. Nous comptons actuellement environ 300 membres.
En plus des observations que je présenterai de vive voix aujourd'hui, vous n'avez pas encore reçu de copie, mais nous allons vous présenter un mémoire écrit plus tard cette semaine. Je m'excuse de ce délai. Compte tenu de la nature de l'avis que nous avons reçu dans le cas qui nous occupe, nous avons dû travailler avec ce qui nous avait été donné.
Pour vous faire une brève description de la façon dont mon exposé se déroulera aujourd'hui, je vais vous faire un petit discours préliminaire au sujet de notre compréhension du but de cette tribune et des thèmes qu'a pour but d'aborder cet exposé. Pour commencer, nous allons faire un petit survol de ce que l'ABA considérerait comme une déception en ce qui a trait à la tribune que le Parlement a choisie pour procéder à l'étude de cet enjeu. Ensuite, nous voulons transmettre un message un peu plus positif au sujet de l'orientation que nous pouvons donner à cette initiative, collectivement, en tant qu'Autochtones et en tant que Parlement. Le message final, c'est que, même si nous ne voulons pas consacrer trop de temps à cet aspect particulier, nous avons un petit commentaire d'ordre technique à formuler sur le projet de loi qui a été présenté très récemment et que nous voudrions aborder.
Donc, dès le départ, je voudrais amorcer mon exposé en formulant deux ou trois commentaires. Tout d'abord, en ce qui concerne les changements qui sont instaurés au titre du projet de loi S-3, à cette étape, nous ne sommes pas certains de l'incidence qu'ils auront sur nos membres, car il ne s'agit pas d'une formule rigide de personnes inscrites, non inscrites ou métisses. Essentiellement, toute personne qui est autochtone ou qui s'autodésigne en tant qu'Autochtone et qui exerce une profession juridique est libre de s'inscrire afin d'être membre de notre organisation. Ainsi, dans la mesure où les changements proposés par le projet de loi S-3 sont censés toucher ou atténuer les iniquités fondées sur le sexe prévues dans la Loi sur les Indiens, à cette étape, nous ne pouvons pas formuler de commentaires sur l'incidence qu'il aura sur la composition de nos membres.
Ensuite, en guise d'introduction à l'exposé, nous reconnaissons que le comité permanent a été créé dans le seul but de revoir les dispositions techniques actuelles de la Loi sur les Indiens et que nous sommes là parce que la cour vous a donné pour mandat d'éliminer essentiellement la discrimination ou les iniquités fondées sur le sexe prévues dans la Loi sur les Indiens. Nous reconnaissons que l'ABA a été invitée ici afin de formuler des commentaires concernant la substance du projet de loi. Nous reconnaissons également la déclaration faite par la ministre Bennett plus tôt cette année et le fait que l'enquête en cours va se dérouler conformément à un processus en deux étapes. Il s'agit de la première de deux étapes. Nous croyons savoir que la deuxième sera un peu plus complète que l'analyse des simples conditions du projet de loi.
Néanmoins, la majeure partie de notre exposé aujourd'hui sera axée sur l'approche globale. À la fin de l'exposé, nous allons revoir certaines des questions que nous aimerions voir le texte du projet de loi aborder.
Mais j'aimerais dire aujourd'hui que l'ABA éprouve beaucoup de difficultés à prendre part à un dialogue qui s'appuie, en fin de compte, sur le rafistolage d'une formule utilisée pour déterminer qui est ou non un Indien en vertu de la Loi sur les Indiens.
L'ABA estime qu'il est décourageant de voir que, 34 ans après la promulgation de l'article 35 de la Loi constitutionnelle, 31 ans après l'adoption du projet de loi C-31, 21 ans après la rédaction du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones et, 6 ans après l'arrêt McIvor et les modifications apportées au projet de loi C-3, nous sommes toujours ici à débattre de la question de la citoyenneté autochtone dans le cadre de la Loi sur les Indiens. À nos yeux, c'est extrêmement inquiétant. Nous sommes en désaccord avec la tribune qu'a choisie le Parlement pour procéder dans ce dossier. Les raisons sont très simples. Je ne peux pas parler pour tous les membres; ils sont diversifiés. Certains sont des Métis, donc, chose certaine, il reste à voir si cela les touche ou non.
Je vais revenir un peu en arrière pour donner aux membres du Sénat — je ne veux pas m'attarder sur ce point — une mise en contexte sur les origines de la définition du mot « Indien ». La définition vise un seul but : déterminer les personnes qui ont droit ou non aux bénéfices ou aux avantages qui découlent de la Loi sur les Indiens. À titre de rédacteur législatif, d'avocat et de législateur, je peux vous dire qu'il s'agit de l'intention qui sous-tend la définition du terme « Indien ».
Bon, si nous jetons simplement un coup d'œil à l'histoire, nous constatons qu'il s'agit d'une simplification à outrance de la signification du statut d'Indien en vertu de la loi. Je ne veux pas entrer dans les détails complexes de ce que signifie être un Autochtone, mais les relations durant l'ère coloniale et les différences entre les intérêts collectifs et individuels ont très bien été abordées dans le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation. Toutefois, il y a trois aspects que l'ABA trouve particulièrement troublants au sujet de l'approche adoptée et de la définition du terme « Indien ».
Le premier tient au fait que le mot « Indien » était, selon nous, principalement utilisé pour désigner les gens de l'État colonial du Canada qui devaient être isolés — et cela renvoie aux personnes qui ont été déplacées dans les réserves — de la société dominante ou qui devaient être assimilées.
En ce qui concerne le renvoi aux gens qui ont été assimilés, un passage de l'une des versions antérieures de la Loi sur les Indiens pourrait nous être utile. Essentiellement, il est question d'Indiens de sexe masculin, âgés de 21 ans ou plus, capables de s'exprimer, de lire et d'écrire, suffisamment instruits, de bonne moralité et exempts de dettes.
Essentiellement, si vous répondiez à ces critères, vous n'étiez plus un Indien. À cet égard, la définition du terme « Indien » a une origine honteuse.
Le deuxième point concerne le fait que la Couronne, en utilisant le terme « Indien », a essentiellement enlevé aux nations autochtones l'autorité ou le pouvoir de déterminer qui sont les citoyens de leur nation. Cette pratique est particulièrement paralysante pour les collectivités autochtones et a essentiellement fait en sorte que les tentatives des Autochtones de déterminer qui sont leurs propres citoyens sont insignifiantes et inefficaces.
En fait, comme l'ont exprimé, je crois, les témoins qui ont comparu précédemment, le système d'appartenance à une bande décrit à l'article 10 de la Loi sur les Indiens aujourd'hui est principalement un moyen secondaire de prouver sa citoyenneté autochtone.
Le dernier point qu'aimerait soulever l'ABA pour expliquer sa déception et la raison pour laquelle nous continuons à remanier ou à revoir le terme « Indien » dans le contexte de la Loi sur les Indiens est le suivant : nous ne pouvons accuser personne, mais la Couronne ne s'est pas vraiment montrée apte à rédiger une formule qui respecte les principes de l'égalité des sexes. C'est la deuxième fois en six ans que nous discutons de cette question, et c'est la troisième fois depuis 1895 que nous débattons de la question de l'égalité des sexes au titre de la Loi sur les Indiens. Aujourd'hui, nous discutons de l'égalité des sexes, mais nous n'avons même pas abordé la question de la clause limitant la deuxième génération. Ces problèmes persistent, et ce n'est pas en apportant quelques changements mineurs au projet de loi que nous pourrons les éliminer.
Comme je l'ai mentionné, je ne veux pas consacrer l'intégralité de ma déclaration préliminaire à dénigrer le processus. Selon l'ABA, l'avenir sera très prometteur. Nous pourrions adopter une approche de nation à nation. Ce n'est rien de nouveau. Ce n'est pas sans précédent. Je vais répéter ce qui a déjà été dit, mais les nations autochtones ont un droit en vertu de l'article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et il se lit comme suit : « Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions. » C'est impossible d'être plus clair.
Le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones a conclu qu'au titre de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, une nation autochtone a le droit de déterminer quelles personnes appartiennent à sa nation en tant que membres et citoyens. On peut voir que la notion selon laquelle les peuples autochtones peuvent déterminer qui est ou non autochtone n'est pas un nouveau concept, loin de là.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, il existe des codes d'appartenance à l'effectif de bande qui sont autorisés en vertu de l'article 10 de la Loi sur les Indiens. Un nombre appréciable de Premières Nations au Canada ont mis en vigueur des codes d'appartenance et exercent actuellement leurs activités selon ces codes d'appartenance, comme je l'ai dit, parce que le concept de statut d'Indien qui persiste toujours rend essentiellement ces codes inefficaces ou secondaires.
Les Premières Nations autonomes du Yukon ont étudié les enjeux liés à la citoyenneté ou à la détermination de leurs citoyens, en marge du système d'appartenance prévu dans la Loi sur les Indiens. Certains accords, comme la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, ont donné à des collectivités des Premières Nations et à des collectivités inuites la possibilité déterminer qui profite de ces accords, et, dans ces cas, la citoyenneté est établie par les liens de parenté ou la participation dans la collectivité.
Tout cela pour vous dire que les communautés internationales et universitaires ont reconnu le besoin de faire progresser une approche différente, de trouver une solution de rechange. Les nations autochtones elles-mêmes prennent des mesures pour exercer leur compétence en matière de citoyenneté en marge de la Loi sur les Indiens. Je pense que la question qui sera posée au Sénat et à la Chambre des communes sera la suivante : Êtes-vous prêts à travailler avec les Premières Nations ou les collectivités autochtones pour les aider à exercer cette compétence?
Cela termine mon exposé en ce qui concerne notre point de vue sur la tribune. Comme il a été dit, nous aimerions que les discussions tenues au sujet de la citoyenneté autochtone soient beaucoup plus globales, qu'elles tiennent compte de la possibilité que les nations autochtones exercent leur compétence en matière de citoyenneté, et qu'elles leur donnent cette possibilité.
En ce qui a trait aux aspects techniques du projet de loi, il se peut que j'aie un peu de difficulté à les expliquer, alors veuillez m'en excuser. J'ai sous les yeux des copies de toutes les versions antérieures de la Loi sur les Indiens ainsi que des modifications qui y ont été apportées. Il y en a eu 25 en tout depuis 1840.
Selon nous, il y a une catégorie de personnes qui n'est pas visée par le projet de loi S-3, et ce sont les enfants illégitimes. Ce que fait le projet de loi S-3 en réalité, c'est qu'il introduit une formule selon laquelle les enfants illégitimes d'un homme nés avant 1985 obtiennent essentiellement la capacité de transmettre leur statut. Les enfants illégitimes d'une femme nés avant 1985 ne jouissent pas du même privilège.
Un peu à la blague, mais quand même de façon sérieuse, nous estimons qu'il existe une autre inégalité qui n'est pas abordée — nous n'adhérons pas entièrement à cette vision des choses puisque nous n'avons pas pleinement étudié ses conséquences —, et c'est le fait que l'homme sans statut est désavantagé au titre de la formule actuelle, car avant 1985, si vous étiez une femme sans statut, vous pouviez acquérir le statut en épousant un homme ayant le statut. Si un homme sans statut épousait une femme, celle-ci était privée de ses droits. Elle perdait son statut. Mais quand les droits de la femme ont été rétablis, l'homme sans statut n'a pas bénéficié du même privilège. Selon votre manière de définir les avantages découlant du statut d'Indien, l'homme sans statut n'a pas bénéficié du même avantage que la femme.
C'est ainsi que se termine mon exposé au sujet de ce que nous croyons être les lacunes liées à l'approche adoptée par le Parlement dans ce cas-ci et en ce qui concerne le projet de loi en soi.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie de vos exposés. J'aimerais demander à chaque témoin de dire ce que nous devrions faire, selon lui, à l'égard du projet de loi.
Je vais m'adresser à M. Lafond, qui nous a dit qu'il était très troublé de nous voir rafistoler la Loi sur les Indiens, je pense que c'est ce que vous avez dit — et perturbé à l'idée de discuter de la question de la citoyenneté dans le cadre de la Loi sur les Indiens, et je comprends cela.
Si vous êtes troublé, que nous recommandez-vous donc de faire? Certains proposent que nous allions de l'avant, que nous surmontions nos réticences, que nous adoptions ces modifications mineures et que nous abordions les problèmes qui restent dans le cadre d'un autre processus qui nous a été confié.
Nous avons également entendu ce soir que nous devrions appuyer la demande visant à obtenir plus de temps pour bien faire les choses. Je présume qu'une autre possibilité serait de carrément rejeter le projet de loi.
Quels conseils avez-vous à nous donner?
M. Lafond : Merci de la question, monsieur le sénateur.
En ce qui a trait à l'approche, à titre d'organisation, l'Association du Barreau autochtone n'a pas eu le temps voulu pour prendre la parole au sujet du projet de loi S-3 sous sa forme législative actuelle.
Cela dit, sous réserve des changements et des préoccupations soulevées plus tôt, le projet de loi n'est plus un secret pour personne, et si nous permettons à la discussion de se poursuivre sur cette seule base, d'être axée uniquement sur la question de l'inégalité des sexes au sein de la Loi sur les Indiens, cela pourrait détourner l'attention des parties des questions plus importantes.
Maintenant que ce n'est plus un secret, nous devrons demander une ordonnance de la cour pour prolonger la période, mais tout cela ne fait que repousser l'inévitable, c'est-à-dire qu'à très court terme, nous devrons remédier aux inégalités que contient la Loi sur les Indiens. Mais je ne veux pas détourner indûment votre attention davantage de la question générale.
Le sénateur Patterson : Je pense que vous proposez d'adopter le projet de loi.
M. Lafond : Sous réserve de nos préoccupations au sujet du projet de loi, oui.
Le sénateur Patterson : Lesquelles exigent des amendements?
M. Lafond : Oui.
Le sénateur Patterson : Merci. Je vais m'adresser à M. Bertrand.
M. Bertrand : Au sein du CPA, nous sommes d'accord pour passer à la première étape. Nous savons qu'il y a certaines inégalités dans le projet de loi S-3 et nous en sommes conscients, mais si nous n'allons pas de l'avant... Selon les chiffres avancés par AANC, environ 35 000 personnes pourraient s'inscrire au Registre des Indiens. Si nous décidions de retarder l'adoption du projet de loi, cela voudrait dire que ces 35 000 personnes devraient attendre beaucoup plus longtemps pour pouvoir s'inscrire. Nous sommes d'avis qu'il faut choisir le moindre des deux maux; c'est donc pour cette raison que nous recommandons d'adopter le projet de loi, et nous espérons que les problèmes seront abordés et qu'ils seront réglés à la deuxième étape du projet de loi.
Le sénateur Patterson : Il faudra du temps pour examiner le cas des 35 000 personnes, je crois. On travaille encore à traiter des demandes. Je crois qu'un petit nombre de personnes travaillent encore sur les demandes découlant de l'arrêt McIvor. Donc vous êtes d'accord pour dire que les 35 000 personnes ne seront pas soudainement émancipées? Il faut du temps.
M. Bertrand : Je suis d'accord. Il faut du temps, mais si nous repoussons l'adoption du projet de loi, il en faudra encore plus. Ce que nous sommes en train de dire, c'est que nous ferions aussi bien d'aller de l'avant et commencer l'inscription de ces personnes.
Le sénateur Patterson : Merci.
La sénatrice Lankin : Pour répondre à la suggestion de M. Lafond selon laquelle nous devons envisager un amendement de forme, j'aimerais qu'on inscrive au compte rendu qu'il y a eu une discussion, brièvement, un avis transmis à l'Association du Barreau autochtone au ministère, et je pense que le ministère de la Justice va organiser une rencontre pour examiner la question. S'il est déterminé que la question cernée en est une de discrimination fondée sur le sexe, elle pourrait être visée par cette loi, qui a pour but de mettre un terme à la discrimination fondée sur le sexe. Donc, je pense que ces discussions vont se tenir, et, en tant que comité, nous serons informés de la nature de la discussion et de sa conclusion. Je voulais m'assurer que nous en étions informés et que les gens étaient au courant de l'évolution des choses.
Monsieur Lafond, je pense qu'il est possible que cette réunion se tienne très bientôt.
Je comprends votre exposé et le fait que nous devrions, à contrecœur, aller de l'avant, mais le véritable enjeu doit être la tenue de grandes discussions plus approfondies. La mobilisation, la consultation et le partenariat doivent se faire de manière appropriée, de nation à nation, entre le Canada et les collectivités et gouvernements autochtones, afin que l'on puisse se pencher sur ces autres questions liées à la clause limitant la deuxième génération et sur la grande question : pour quelle raison le Canada continue-t-il de prendre part à cet exercice visant à déterminer qui est citoyen d'une autre nation? Je pense donc que cela est vrai.
Lors de discussions tenues avec des représentants, on m'a dit que l'intention était de travailler avec les organismes nationaux à la conception de ce en quoi consisteraient réellement les consultations, ce qui est important, selon moi. Autrement, nous pourrions très bien nous tromper de nouveau.
Je me demande si vous avez eu la chance, depuis que vous avez entendu parler de cette deuxième étape, de réfléchir à la forme que devrait prendre cette mobilisation et en quoi il s'agit d'une approche concertée visant à résoudre certaines de ces grandes questions. Je pense qu'il est dans notre intérêt d'entendre la réponse puisque le comité voudra continuer de prendre part aux efforts visant à mieux comprendre la progression du dossier à la deuxième étape.
Frankie Cote, gestionnaire principal, Engagement, Congrès des peuples autochtones : Donc, vous vous interrogez au sujet de la deuxième étape et vous avez l'intention de travailler avec les organisations autochtones à l'élaboration du processus de consultation de mobilisation dans le cadre de la deuxième étape?
La sénatrice Lankin : On nous a dit que c'est ce que le ministre a l'intention de faire et que ce processus allait être lancé aussitôt que nous aurons terminé cette tâche. Le processus de mobilisation proprement dit sera probablement d'une durée de un an à 18 mois. Mais j'aimerais savoir si vous avez des opinions quant à la forme que devrait prendre ce processus de consultation et de mobilisation.
M. Cote : C'est une bonne question. En tant que gestionnaire principal, Engagement, du Congrès des peuples autochtones, je peux vous dire nous avons été bombardés. Et c'est une bonne chose parce que cela faisait huit ans que personne — de façon générale — ne nous parlait, donc on nous pose cette question tout le temps. C'est une question à laquelle il est difficile de répondre parce que vous pouvez discuter jusqu'à la fin des temps, mais il y a une limite aux discussions qu'on peut tenir avant de devoir passer à l'action et changer les choses.
En ce qui concerne la forme que cela prendra, il s'agira d'une consultation avec les dirigeants des peuples autochtones. Ils devront consulter leurs mandants pour savoir ce qu'ils ont à dire puisque cela aura une incidence localement, à l'échelon communautaire.
L'une des choses que j'aimerais qu'on inscrive dans le compte rendu, c'est que lorsque le projet de loi C-31 a été adopté, on y a injecté un certain montant, mais pas grand-chose. Dans le cas du projet de loi C-3, aucune somme n'a été allouée.
Le financement doit venir avec les changements. Vous parlez de la séance de consultation et de mobilisation; c'est indispensable pour les organisations parce que la plupart d'entre elles exercent leurs activités avec une capacité limitée. Les gens autour de la table qui ont travaillé pour des ONG savent tous que la capacité pose un problème. Nous ne pouvons pas être experts en tout. Comme mon ami M. Lafond l'a dit précédemment, nous n'avons été informés de la rencontre qu'hier, je crois. Nous avons présenté un exposé au comité de la Chambre des communes plus tôt, donc nous étions préparés. Mais en ce qui concerne l'étude du projet de loi, tout comme les représentants de l'ABA ici présents, nous avons dû l'examiner; c'est complexe, et il est difficile de légiférer sur l'appartenance.
McIvor... Ceux d'entre vous qui ont tenté de comprendre le fonctionnement du projet de loi S-3 le savent. Je suis désolé de ne pouvoir répondre à la question; vous voulez manifestement une réponse précise au sujet de la mobilisation.
La sénatrice Lankin : Ce que j'ai entendu et ce que j'en ai retenu tient au fait que la capacité de nouer le dialogue doit être comprise et appuyée par le gouvernement, et nous avons entendu AANC le dire également. Elles sont essentielles au processus lié à la commission d'enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Leur capacité a été diminuée au cours des dernières années, et elles commencent tout juste à se reconstruire. Je pense que la capacité est là.
Il faut aussi comprendre que les membres des organisations autochtones et les personnes sur place dans les collectivités doivent prendre part au processus et avoir la possibilité de façonner les positions finales qui seront adoptées et que le tout est peut-être différent du processus hiérarchique que les gouvernements du Canada ont la possibilité de mettre en place. Le processus et les relations avec les gens sont différents dans le cas des gouvernements autochtones; il faut donc comprendre cela au moment de préparer la consultation également. Ce sont les deux aspects que j'ai retenus de vos propos.
M. Cote : Votre dernier point était tout à fait juste. Tout au long de l'histoire, il a toujours été question d'un processus hiérarchique, et nous ne serions pas présents à cette table si cela avait été le fruit d'une collaboration. Le gouvernement fédéral a déterminé l'appartenance dans le cadre d'un processus en une étape.
M. Lafond : Merci de la question, sénateur.
À l'heure actuelle, non. J'aimerais seulement réitérer mes commentaires antérieurs selon lesquels nous faisons encore des pieds et des mains pour réagir au texte du projet de loi en soi. J'ai fourni quelques idées générales au sujet de l'approche.
En ce qui concerne la consultation, nous avons une feuille de route très colorée en matière de travail avec diverses organisations, et pour ce qui est d'approfondir le sens de la consultation pour les Premières nations, je peux vous assurer que nous participerons très activement lorsque le processus sera entamé, soit la deuxième étape, comme l'appelle la ministre Bennett. Nous sommes vivement intéressés par la forme que prendra la consultation, et nous y participerons activement.
À l'heure actuelle, je ne peux malheureusement pas vous donner un aperçu de ce à quoi le processus pourrait ressembler.
Le sénateur Patterson : Je comprends que vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour examiner le projet de loi en profondeur, monsieur Lafond, mais vous nous avez dit que nous devrions adopter le projet de loi. Je suis curieuse de savoir comment vous pouvez être à l'aise d'appuyer le projet de loi alors que vous n'avez pas eu le temps de l'étudier, et nous comprenons cela.
M. Lafond : Comme nous l'avons dit plus tôt, nous avons été informés à la dernière minute de l'approche générale, et notre organisation a été quelque peu bouleversée. Cela étant dit, nous nous préparons à ce changement législatif depuis un certain temps, et cela fait partie de nos priorités depuis l'arrêt McIvor et depuis qu'on nous a demandé de l'étudier de nouveau à la fin des années 1990, alors que je n'étais pas membre de l'organisation. Certains de nos membres ont donné leur point de vue au sujet de ce projet de loi. En définitive, je ne peux pas dire que nous sommes à l'aise avec le texte du projet de loi, mais à l'heure actuelle, sous réserve de nos préoccupations, nous devons nous assurer de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éliminer l'inégalité des sexes dans le projet de loi actuellement. Nous pensons avoir apporté notre contribution. La grande bataille touche l'approche générale, et c'est sur cet aspect que l'accent doit être mis.
M. Bertrand : Puis-je ajouter quelque chose à la question de la sénatrice Lankin? Il n'y a pas qu'AANC qui a vu sa capacité financière diminuer; je peux vous dire que le soutien financier de l'ABA a aussi subi des compressions majeures.
J'ai l'impression que le gouvernement oublie que le Canada n'est pas seulement composé du Québec et de l'Ontario; nous avons des mandants aux quatre coins du pays. Si nous voulons savoir ce que chaque partie du pays a besoin de nous dire, nous devons avoir la capacité de nous y rendre et de parler avec nos mandants et de leur poser des questions. Nous pouvons faire un très bon travail de consultation, mais nous devons avoir les outils nécessaires pour y arriver. Merci.
La présidente : J'ai une question supplémentaire également. Monsieur Bertrand, vous avez dit que vous espériez que les problèmes liés au projet de loi soient abordés et réglés à la deuxième étape.
De quelle manière pouvons-nous faire en sorte que ce souhait se concrétise? Que pouvons-nous faire? Cette promesse a été faite à l'époque du projet de loi C-31 en 1985. On a fait cette promesse dans le cadre du projet de loi C-3 en 2010; nous avons donc encore cette promesse en 2016. De quelle manière pouvons-nous nous assurer que le processus fonctionne réellement?
M. Bertrand : Madame la présidente, nous devons espérer. Je sais que ce n'est pas l'idéal, mais nous devons espérer que le gouvernement consulte toutes les personnes concernées et qu'il écoute les réponses que — je ne peux parler que pour le CPA — nos membres apporteront à la discussion.
J'ai toujours dit que si vous parlez aux gens de la région du Lac-Saint-Jean, par exemple, chacun aura une option différente. Mais je pense que c'est grâce à tous ces points de vue que le Canada est si diversifié. Nous devons être attentifs, et le gouvernement également doit écouter ce que les gens ont à dire. Si le gouvernement n'écoute pas, nous devrons simplement revenir en arrière, et je ne dirais pas qu'il faut enfoncer la porte, mais nous devons cogner à la porte et dire : « Vous avez mal compris. Voici ce que notre peuple veut. »
La présidente : Monsieur Lafond, y a-t-il une solution que nous pourrions insérer dans le projet de loi en tant qu'amendement? Avez-vous des suggestions quant à la façon dont vous pouvez donner un peu de consistance ou de sens à cette promesse?
M. Lafond : Non, malheureusement, c'est quelque chose que nous n'avons pas examiné. Comme je l'ai mentionné durant mon exposé, nous comprenons ou nous reconnaissons que nous avons été invités ici pour discuter des dispositions distinctes prévues dans le projet de loi actuel, et pas pour examiner l'approche générale.
La présidente : Merci.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Nous sommes pratiquement confrontés à un dilemme. Je pense que la majorité d'entre nous sentent le besoin d'aller de l'avant à cause de l'ordonnance de la cour et aussi parce que nous savons que 35 000 personnes devraient avoir droit à certains services qu'elles ne peuvent recevoir actuellement. Nous sympathisons avec elles.
Même si c'est une bonne chose de dire que la deuxième étape s'en vient, à la lumière de ce que j'ai entendu au cours des derniers jours de témoignage, c'est une question très complexe. Selon le projet de loi, la deuxième étape durera un an. La question que je vous pose est très simple : est-ce suffisant?
M. Lafond : Merci de votre question, madame la sénatrice. À première vue, nous n'avons pas eu la possibilité de discuter avec les Premières Nations, ni d'ailleurs avec la grande majorité de nos membres. Nous ne pouvons donc pas fournir de commentaires quant aux délais dans lesquels il conviendrait d'aborder la question.
M. Bertrand : Comme le disait mon collègue, nous en avons été informés à la dernière minute. Nous avons fait certains travaux préliminaires à ce sujet, mais je ne croyais pas que la deuxième étape aurait une durée de un an; je croyais plutôt que le gouvernement devait le faire dans son premier mandat, ce qui nous laisserait un autre trois ou quatre ans. Ai-je mal lu?
La sénatrice Raine : J'ai tellement de documents avec moi... Nous avons entendu dire, à maintes reprises, que la consultation était très précipitée et que ce n'était pas réellement une consultation. Essentiellement, on a dit : « Nous vous donnons ces renseignements et nous allons de l'avant. » Donc, des renseignements ont été fournis, mais ce n'était pas réellement une consultation.
La sénatrice Lankin : À ce sujet, si c'est utile, ça figure non pas dans le projet de loi, mais dans les notes d'information que vous avez reçues et dans l'annonce au sujet de la deuxième étape. Lorsqu'on nous l'a expliqué, on espérait que cela dure de 12 à 18 mois — c'est ce qu'on m'a répété —, c'est ce qui est prévu. Mais personne ne veut révéler le nombre de mois pour l'instant en raison de l'engagement visant à travailler avec les organisations autochtones pour concevoir la deuxième phase ainsi que le processus de consultation. Si cette question revient et que quelqu'un dit que nous voulons le faire en 12 mois ou qu'il faudra 24 mois pour le faire, le gouvernement est ouvert à intervenir dans le cadre de ces discussions. C'est ce que nous savons jusqu'à présent.
Le sénateur Enverga : Merci d'être ici aujourd'hui. Monsieur Bertrand, vous avez mentionné plus tôt que 70 p. 100 du peuple autochtone vivaient hors-réserve.
Selon notre étude, environ 35 000 personnes tireront certains avantages du projet de loi S-3 s'il est approuvé. Combien de ces 35 000 personnes font partie de votre organisation?
M. Bertrand : Il faudrait que je vérifie ces chiffres, monsieur le sénateur. Je ne les ai pas avec moi. J'y vais avec un point de vue tout à fait personnel, mais si nous extrapolions, sachant que 70 p. 100 des Autochtones vivent à l'extérieur des réserves, nous pourrions probablement dire sans nous tromper que 50 p. 100 de ces gens vivent hors-réserve.
Le sénateur Enverga : Lorsqu'on vous a demandé si nous devrions ou non adopter le projet de loi S-3, vous avez dit que nous ferions aussi bien de le faire; vous êtes donc en quelque sorte insatisfait de tout cela.
S'il y a une chose que vous aimeriez nous voir modifier, quelle serait-elle? Avez-vous une idée de la meilleure approche que nous pourrions adopter pour que cela vous convienne?
M. Cote : Merci de me poser la question. Je pense que le chef national Bertrand y a fait allusion un peu plus tôt dans sa déclaration lorsqu'il a dit qu'il fallait remonter plus loin dans le passé. Nous savons tous qu'après avoir eu gain de cause, Sharon McIvor a essayé d'interjeter appel, car à ses yeux, on n'était pas remonté suffisamment loin dans le passé.
Ce projet de loi ne remonte qu'à 1951. La discrimination au titre de la Loi sur les Indiens a commencé à sa création, et même avant, en fait. La loi a été édictée en 1876, mais les dispositions législatives concernant la discrimination liée à l'appartenance et la définition du terme Indien existaient déjà depuis une décennie ou plus.
Le projet de loi a un effet rétroactif pour corriger les erreurs qui ont été commises, mais en réalité, à l'avenir, la Loi sur les Indiens aura tout de même des répercussions au chapitre des limites imposées à la deuxième génération. Il faut aborder cette question.
Nous espérons que cela sera réglé à la deuxième étape. Ce sera une chose à faire, je présume, car nous avons entendu dans les exposés précédents certains des éléments qui ont été mis en évidence.
Pour répondre précisément à votre question, il s'agit là d'une des choses qui pourraient se faire, remonter jusqu'en 1860. C'est tout ce que je peux répondre de spontanément.
Comme l'a mentionné Drew plus tôt, l'étude du projet de loi et de ses répercussions réelles était une tâche difficile compte tenu du peu de temps accordé.
Le sénateur Enverga : Y a-t-il quoi que ce soit que nous pourrions faire pour que cela convienne à tous?
M. Lafond : Au sujet de l'inégalité des sexes ou dans l'ensemble?
Le sénateur Enverga : Du projet de loi S-3 particulièrement.
M. Lafond : Comme le projet de loi porte sur les inégalités fondées sur le sexe, les commentaires que j'ai formulés plus tôt et l'invitation que j'ai reçue à travailler avec le ministère sont satisfaisants.
Le sénateur Meredith : Vous avez tous les deux dit qu'il fallait adopter le projet de loi. Il comporte certains problèmes. Qu'en est-il des contestations judiciaires? Je suis préoccupé par les milliards de dollars dépensés depuis 1876 pour lutter contre la Couronne. Il aurait été mieux d'investir cet argent dans l'éducation, la jeunesse, le logement et l'infrastructure sur les réserves des Premières Nations.
Monsieur Lafond, veuillez commencer par nous donner votre point de vue quant au fait d'aller de l'avant avec le projet de loi; lorsqu'il sera adopté puis contesté, ce qui compliquera davantage les choses pour toutes les personnes visées, y compris chaque membre du comité, qui veulent voir ces personnes obtenir les droits dont elles sont privées actuellement?
Ces enjeux me préoccupent. Pourriez-vous me donner votre opinion à ce sujet?
M. Lafond : Pour revenir à la formulation de votre question, nous sommes en faveur de l'adoption du projet de loi non pas dans sa forme actuelle, mais sous réserve des commentaires que nous avons formulés plus tôt à l'égard de révisions éventuelles.
Le sénateur Meredith : En un mot, pourriez-vous en dire davantage au sujet de l'aspect technique du projet de loi, pour nous éclairer un peu plus?
M. Lafond : C'est uniquement dans le contexte des inégalités fondées sur le sexe contenues dans le projet de loi et d'un amendement ou d'une révision qui permettraient de faire progresser la cause de l'égalité des sexes.
Pour faire suite à mes commentaires antérieurs, dans le cas des enfants nés avant 1985, ce sont les enfants illégitimes dont la mère avait le statut d'Indien qui sont traités différemment des enfants illégitimes dont le père avait le statut d'Indien. Le deuxième point concerne évidemment le fait que l'homme sans statut est traité différemment de la femme sans statut.
Si l'on considère uniquement l'aspect de l'égalité des sexes du projet de loi, sous réserve de nos commentaires et des révisions proposées, vous pouvez dire que nous acceptons le point de vue selon lequel nous devrions adopter le projet de loi dans sa forme actuelle afin de respecter les obligations imposées au Parlement par les tribunaux; une mise en garde s'impose : nous pensons que l'approche la plus responsable consiste à s'attaquer à la totalité du problème en ce qui concerne la citoyenneté au titre de la Loi sur les Indiens.
Pour reformuler ou préciser ma position antérieure, je paraphrase énormément, veuillez m'en excuser. En ce qui a trait aux contestations judiciaires, dans le cas qui nous occupe, c'est un problème puisque les tribunaux ont ordonné qu'un amendement soit apporté au projet de loi afin qu'il soit conforme à la Charte.
En outre, vous avez évoqué la question des contestations judiciaires et à quel point ces affaires d'inégalité fondée sur le sexe sont coûteuses pour les plaideurs et privent les Premières Nations de la capacité d'affecter ces fonds à d'autres fins. Je ne veux pas me laisser emporter dans cette discussion, car nous sommes d'avis que le Parlement a l'obligation d'être proactif à cet égard et de cibler les problèmes quel qu'en soit le coût.
Essentiellement, c'est le monde à l'envers. Il y a eu des affaires judiciaires depuis 1985 où les Premières Nations ont affirmé le droit à l'autonomie gouvernementale dans le contexte de l'appartenance. Elles dépensent de l'argent pour prouver leur droit autochtone de déterminer qui sont les citoyens de leur nation, et je présume que cela coûte des centaines de milliers de dollars également.
À cet égard, l'approche la plus responsable consiste à travailler de manière proactive, en tant que Parlement, avec les Premières Nations pour trouver une solution.
La présidente : Nous avons largement dépassé notre temps, et je vais me prévaloir du droit de poser une dernière petite question.
Je suis heureuse d'entendre que l'Association du Barreau autochtone envisage de soutenir des amendements qui permettront de corriger certaines des lacunes du projet de loi.
Il a été souligné que le projet de loi comporterait tout de même une lacune en ce qui concerne l'élimination des iniquités fondées sur le sexe s'il ne fixe pas la date avant 1951. Vous n'avez pas parlé de la possibilité de fixer la date avant 1951 ni de la fixer à 1868 ou à 1869. Pourquoi? Sans cet amendement, les inégalités fondées sur le sexe ne pourront pas toutes être éliminées du projet de loi.
Pourquoi n'avez-vous pas envisagé de proposer un amendement qui aurait un effet rétroactif jusqu'à la date originale où la discrimination a été introduite?
M. Lafond : Dans le contexte de la discrimination mentionnée dans le projet de loi actuel, les dispositions qui ont donné lieu à la discrimination fondée sur le sexe proviennent la loi de 1951.
La présidente : Elles sont dans la loi de 1951, oui, mais également dans celle de 1869.
M. Lafond : Je peux revenir en arrière. En vertu de la loi de 1951... Je suis désolé, mais c'est un processus un peu complexe.
La présidente : À l'alinéa 12(1)b).
M. Lafond : Oui, vous avez raison.
La présidente : Mais cela figure également dans une ancienne version de la Loi sur les Indiens qui remonte à 1869.
M. Lafond : Oui, et la façon dont nous avons interprété les règlements de 1985 ainsi que toutes les modifications subséquentes, c'est que, à l'alinéa 6(1)c), on peut lire que le nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d'une liste de bande. Cela fait donc allusion aux suppressions ou aux omissions survenues avant 1951 au titre de l'alinéa 12(1)b). Puis, l'alinéa mentionne ensuite « ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui de l'une de ces dispositions ».
Donc, selon notre interprétation, cela inclut non seulement les dispositions introduites en 1951 et qui ont été modifiées en 1970, mais toutes les dispositions qui portent sur le même sujet dans les versions de la Loi sur les Indiens qui ont précédé celle de 1951.
La présidente : D'accord. Le témoin précédent qui a abordé l'affaire Descheneaux avait une interprétation différente, c'est donc très confondant. Nous allons noter cette confusion.
La sénatrice Lankin : Vous allez tenter d'obtenir plus de renseignements auprès du ministère de la Justice, dont les représentants rencontreront M. Lafond au sujet de l'amendement technique qu'il a proposé. La réponse à cette question peut aussi servir au comité.
La présidente : D'accord, merci.
Souhaitez-vous répondre, monsieur Bertrand?
M. Bertrand : Si je comprends bien, le projet de loi S-3 émane du Sénat. Ai-je raison?
La présidente : Il a été déposé par le Sénat, mais c'est un projet de loi émanant du gouvernement.
M. Bertrand : Vous demandiez pour quelle raison nous n'avions pas fixé la date avant 1951.
La présidente : En ce qui concerne le projet de loi en soi?
M. Bertrand : S'il émanait du Sénat, ma question s'adresse peut-être à vous. Pourquoi est-ce que ce n'était pas inclus lorsque le Sénat l'a préparé?
La présidente : Nous n'avons pas rédigé le projet de loi. Le ministère de la Justice a rédigé le projet de loi. Pas nous. Ce n'est pas notre projet de loi.
M. Bertrand : Veuillez m'excuser.
Le sénateur Patterson : Il a été déposé au Sénat, mais ce n'est pas notre projet de loi.
M. Bertrand : Je vois.
M. Cote : Essentiellement, pour préciser un peu là où le chef Bertrand voulait en venir, la question est en fait renvoyée au gouvernement. C'est le gouvernement qui a créé ce projet de loi. En ne fixant pas la date avant 1951, la Cour supérieure du Québec a été très claire dans l'affaire Descheneaux, où elle a statué dans une remarque incidente qu'il ne faut pas seulement se concentrer sur les faits dans l'affaire Descheneaux. La question a essentiellement été renvoyée au Parlement : pourquoi le Parlement n'a-t-il pas tenu compte de ce qu'a dit la Cour supérieure du Québec?
La présidente : La réponse est aussi limpide que de la boue à l'heure actuelle.
Merci messieurs de vos exposés. Nous avons reçu des témoins de l'Association du Barreau autochtone et du Congrès des peuples autochtones. Merci, mesdames et messieurs. La séance est levée.
(La séance est levée.)