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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 16 - Témoignages du 8 février 2017


OTTAWA, le mercredi 8 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 46, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui suivent ces délibérations sur le Web ou ici même, dans la salle.

Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles des peuples algonquins du Canada.

Nous accueillons aujourd'hui un groupe de témoins distingués que je vais présenter dans un moment. Pour l'instant, j'invite les sénateurs à se présenter. Commençons à ma droite.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Tobias Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair, de la nation de Peguis, au Manitoba.

Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, de la nation de Membertou, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, Nunavik.

La présidente : Merci aux sénateurs.

Ce soir, nous en sommes à la deuxième semaine de notre nouvelle étude. En décembre dernier, le comité a accepté d'étudier les questions relatives à l'établissement d'une nouvelle relation entre le Canada d'une part et, d'autre part, les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous en sommes à la première étape de cette étude, qui consiste à examiner l'histoire de la relation entre les peuples autochtones et l'État.

Nous accueillons ce soir quatre témoins distingués qui comparaissent grâce à la magie de la vidéoconférence : John Borrows, FRSC, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit autochtone, de l'Université de Victoria; James Tully, professeur émérite de sciences politiques, de droit, de gouvernance autochtone et de philosophie, également de l'Université de Victoria; Michael Asch, professeur au Département d'anthropologie de l'Université de Victoria; et un nouveau docteur, Joshua Nichols, de la Faculté de droit de l'Université de Victoria.

Distingués témoins, vous pouvez commencer. À la fin de vos exposés, les sénateurs pourront vous poser des questions et vous pourrez répondre.

James Tully, professeur émérite de sciences politiques, de droit, de gouvernance autochtone et de philosophie, Université de Victoria, à titre personnel : Je vais commencer puisque, au départ, c'est à moi que l'invitation a été adressée. Et puis, l'occasion s'est présentée de témoigner tous les quatre ensemble.

C'est un grand honneur de vous adresser la parole ce soir. Nous aussi, nous nous trouvons ici, à l'Université de Victoria, dans un territoire non cédé des Salish de la côte, nous admettons ce fait.

Je vais me contenter de quelques mots, après quoi nous pourrons passer directement aux questions et réponses, à moins que les autres témoins ne veuillent s'exprimer après moi.

J'ai cru comprendre, dans l'invitation que vous m'avez fait parvenir, que vous voudriez peut-être commencer par jeter un coup d'œil sur ce que la Commission royale sur les peuples autochtones pensait d'une nouvelle relation dans les années 1990. Je me suis dit que je commencerais par là, car le rapport de cette commission est un document très important et qu'il valait peut-être la peine de vous en rappeler le contenu.

Des centaines d'Autochtones se sont présentés devant la commission royale et nous ont parlé de la relation qu'ils souhaitaient avoir avec le Canada. On a discuté de la question pendant quatre ans. On a proposé différents énoncés qui ont circulé un peu partout au Canada. Néanmoins, en quatre ans, on est parvenu à un consensus assez large sur ce qui serait une bonne conception d'une relation renouvelée entre les Autochtones et le Canada.

Dans votre invitation, vous m'avez posé des questions sur la relation et ses principes. À la commission royale, la réponse est venue dans un chapitre du premier volume du rapport final. Le chapitre s'intitule « Les principes d'une relation renouvelée ». Cette relation repose sur quatre principes, que je vais énumérer rapidement, et une façon d'appliquer ces quatre principes dans une nouvelle relation est proposée.

Le premier principe de la commission est celui d'une reconnaissance réciproque. C'est dire que les peuples autochtones et les Canadiens entameraient des négociations en se considérant réciproquement comme des égaux, comme des entités qui se gouvernent elles-mêmes et coexistent sur ces terres depuis longtemps. Autrement dit, les peuples autochtones et les Canadiens ont le droit à l'autodétermination en droit international et les peuples autochtones ont l'autonomie gouvernementale, possèdent leurs propres systèmes juridiques et peuvent avoir leurs propres systèmes socioéconomiques et des relations propres avec la Terre vivante.

Tout cela est englobé dans le premier principe, appelé, par souci de concision, le principe de la reconnaissance mutuelle des partenaires et de la nouvelle relation.

Le deuxième principe est celui du respect mutuel. Ce qu'on veut dire par là? Lorsque les Autochtones et les Canadiens entrent dans une relation, ce doit être selon leurs propres traditions de négociation. C'est-à-dire fidèlement à leur propre culture et peut-être à leurs systèmes juridiques. C'est le point de départ, et les parties s'inspirent de leurs propres traditions pour essayer de présenter correctement leurs conceptions du vivre-ensemble. Le respect mutuel, c'est le respect de la diversité culturelle entre les Autochtones ainsi qu'entre les Autochtones et les divers groupes de Canadiens.

Le troisième principe est celui du partage, et c'est l'un des plus importants. On trouve là l'idée que les peuples autochtones estiment que non seulement les Canadiens peuvent partager ce territoire correctement, mais aussi qu'ils peuvent partager les pouvoirs, la gouvernance, le savoir et les diverses formes d'aide mutuelle dans tous les domaines de la vie.

Le principe du partage repose sur l'idée que les Autochtones veulent une relation qui reconnaît à la fois l'indépendance et l'interdépendance; ils sont donc indépendants et autonomes, mais ils s'engagent tout de même dans des négociations pour voir ce qu'ils peuvent partager — accords de cogestion, accords en matière environnementale, partage de certains pouvoirs de gouvernance, et ainsi de suite — avec le temps. On dit, au nom du principe de partage : « Très bien, nous sommes indépendants, mais le fait que nous soyons des peuples fédérés interdépendants est tout aussi important. »

Le quatrième principe est celui de la responsabilité mutuelle. L'idée centrale de ce principe, c'est qu'il n'y a pas que les gouvernements autochtones et provinciaux et le gouvernement fédéral qui ont des responsabilités. Tous les Autochtones et tous les colons doivent aussi dans toutes leurs relations s'efforcer d'appliquer ces quatre principes, que ce soit à l'école ou sur le marché ou simplement lorsqu'ils se rencontrent dans l'espace public. Nous devons apprendre à vivre mieux ensemble en respectant ces principes.

Le moyen d'actualiser, d'appliquer ces quatre principes, ce serait des relations de négociation entre les Autochtones et les Canadiens, qu'il s'agisse de gouvernements, d'entreprises, de particuliers, de conseils scolaires ou d'organismes d'aide sociale, par exemple. Les négociations s'engageraient de façon conforme à ces quatre principes et, au fil du temps, ces relations deviendraient des relations de réconciliation.

Le terme « réconciliation » avait deux sens. Selon le premier, la façon dont les parties négocient comme des égaux — partage et responsabilités — concrétise les relations, la réconciliation, mais l'idée, c'est que, en négociant de cette manière, on fait apparaître des relations de réconciliation dans la société en général, c'est-à-dire des relations marquées au coin de l'indépendance et de l'interdépendance.

En vertu du principe du partage et des responsabilités mutuelles, ces relations et les principes qui valent pour les humains s'appliquent aussi à la Terre vivante. Il y a ici toute une démarche de réconciliation de notre relation avec la Terre vivante pendant que nous retravaillons nos relations entre nous. Ce sont des responsabilités qui s'étalent sur sept générations non seulement pour nos parents humains, mais aussi pour nos autres relations, des relations autres qu'avec des humains.

Lorsque cette conception a été présentée à la commission royale et discutée, celle-ci s'est fait dire que l'idée n'était pas nouvelle; c'est une idée renouvelée qui remonte aux premières relations modernes fondées sur des traités et illustrées par les traités du wampum à deux rangs, à compter du XVIIe siècle. C'est ce qu'on appelle le modèle Kaswentha de deux peuples indépendants représentés par deux rangs qui tissent néanmoins des liens d'interdépendance avec le temps et partagent ces responsabilités pour vivre sur la Terre en se soutenant mutuellement. C'est là une idée très complexe : nous développerions des relations sur la base de ces quatre principes, ce qui aiderait à assurer la santé et le bien-être des personnes, des collectivités et des écosystèmes dont nous dépendons tous.

Voilà ce que disaient la commission et ceux qu'elle a entendus. C'était leur façon de renouveler la relation très ancienne des premiers traités modernes de paix et d'amitié.

On a pensé que cette vision s'était incarnée dans la Proclamation royale de 1763 et le Traité de Niagara en 1764, un an plus tard. Elle a été reprise dans plusieurs traités du XIXe siècle, et on a estimé que cette relation de nation à nation fondée sur l'indépendante et l'interdépendance, sur le partage et les responsabilités mutuelles s'était concrétisée.

Mon collègue Michael Asch peut parler de la question. Il est une autorité en matière de traités canadiens. Mais il est important de se rappeler que cette vision est reprise dans l'article 25 de la Charte des droits et libertés, qui reconnaît et confirme la Proclamation royale de 1763.

Il y a différentes façons de penser cette relation. L'une d'elles, toujours dans le respect de tous les principes que je viens d'énoncer, est celle de la réciprocité des cadeaux. Beaucoup d'Autochtones — les Inuits, les Métis et les membres des Premières Nations — sont plus à l'aise avec cette conception de la relation comme une réciprocité de cadeaux. C'est ce qui caractérisait les premiers traités de paix et d'amitié : on partage des choses, mais on le fait parce que les gens reconnaissent l'indépendance de l'autre sur d'autres plans. Cette relation fondée sur la réciprocité des cadeaux est ce qui a soutenu aussi bien les communautés autochtones que leur relation avec les communautés de colons.

Le deuxième point, à propos de cette réciprocité, c'est qu'elle est devenue plus importante à propos des questions environnementales à compter du milieu des années 1990. Nous avons appris grâce aux enseignements de la Terre, que le monde qui ne se limite pas à l'humain se maintient grâce à des relations symbiotiques qui sont au fond des relations de réciprocité des cadeaux. La relation découlant des traités a pour modèle le soutien mutuel ou la relation symbiotique dans le monde naturel.

Il s'est fait bien sûr un travail énorme sur cette question dans le domaine des sciences de la vie. On a travaillé avec des experts du savoir traditionnel sur l'écologie à compter des années 1990. Cela, pour dire simplement que cette relation est inspirée par une relation que les Autochtones et les spécialistes de l'ethnobotanique perçoivent dans la façon dont les écosystèmes se maintiennent.

L'idée, ici, c'est que, si nous commençons à négocier dans le respect de ces principes, nous serons les agents du changement que nous souhaitons apporter dans l'ensemble de la société.

Voilà une description générale de ce qu'a été la commission royale.

Le plus grand obstacle, comme tout le monde se l'est fait dire à la commission royale, c'est que, à cause d'une fausse interprétation de l'article 91.24 de la Constitution canadienne de 1867, l'État se perçoit comme souverain à l'égard des terres et des Autochtones. Cela veut dire que toutes les négociations que nous avons eues, avec cette mauvaise interprétation de l'article 91.24, ont mal démarré. Elles n'assurent pas la réconciliation avec les peuples autochtones comme égaux, qui sont perçus d'une façon ou d'une autre comme subordonnés ou déjà assujettis à la loi canadienne. Ces négociations, dans le cadre de relations de nation à nation, doivent permettre de préciser quelles dispositions juridiques s'appliquent dans les divers domaines, et dans quels domaines un partage est possible.

L'argumentaire, à ce moment-là, qui a ensuite été développé davantage par les témoins ici présents, est le suivant : comment pouvons-nous modifier ce qu'on appelle la conception générale de l'article 91.24 pour une conception plus en accord avec la Proclamation royale de 1763, avec le modèle de traité du wampum à deux rangs et avec la vision que la commission royale a proposée?

Nous voyons des exemples de cette démarche aujourd'hui dans le protocole des Haïdas, en 2011, sur les Haïdas Gwaii.

Voilà ce par quoi je voulais commencer. Merci beaucoup.

La présidente : Merci.

Un autre témoin de votre groupe veut-il intervenir également?

John Borrows, FRSC, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit autochtone, Université de Victoria, à titre personnel : Je vais dire quelques mots.

[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]

Je viens de la réserve indienne de Cape Croker, sur les rives de la baie Georgienne, en Ontario.

Je tiens à réaffirmer ce que Jim vient de dire : il doit y avoir au cœur de nos relations des rapports de reconnaissance mutuelle, de respect, de partage et de responsabilité.

Ces valeurs sont enracinées dans des lieux. Ma famille vient de la région qui correspond aujourd'hui aux comtés de Bruce et de Grey, et mon arrière-arrière-grand-oncle était Tecumseh. Lorsque Tecumseh a eu des contacts avec les premiers colons qui arrivaient en Ontario, il a établi une relation de reconnaissance mutuelle dans laquelle, par alliance, il s'est fait du travail pour pouvoir défendre militairement la région que nous savions être notre patrie.

Cela a fini par mener à sa mort, mais le travail qu'il a amorcé a été poursuivi par la famille. Mon troisième arrière- grand-père, Kegedonce, qui était son beau-frère, est celui dont je porte le nom. Il a continué à nouer des alliances par reconnaissance mutuelle, invitant des gens dans le territoire et puis, dans le respect mutuel, apprenant ce qu'il y avait de mieux dans les méthodes agricoles des nouveaux venus et acquérant d'autres connaissances qui nous ont été communiquées en même temps que nous tentions d'initier les nouveaux venus à notre façon de vivre dans le territoire.

Mon arrière-arrière-grand-père, Peter Kegedonce Jones, a signé un traité portant sur 1,5 million d'acres en Ontario, sur les bords de la baie Georgienne, de Goderich à Arthur, au milieu de la province, jusqu'à Collingwood, dans le Nord. À propos de ces lignes dans le Nord, le long de la péninsule de Bruce, il a mis son doodem sur un traité qui invitait les gens à vivre conformément aux lois des Anishinaabés. Nous avons invité les gens à comprendre que les meilleures relations dans ce territoire étaient possibles grâce à une évaluation et à une compréhension de la vie qui reposent sur la loi des Ojibway. Telles étaient les normes de jugement, les évaluations, les critères, l'autorité, les précédents et les modes de décision que nous espérions que les autres adoptent, lorsque nous avons adhéré au traité. Le traité était donc une invitation à vivre conformément aux façons de faire de la Terre, dont Jim a parlé.

Cet arrière-arrière-grand-père a participé à la rébellion du Haut-Canada, reconnaissant qu'il était important de régler les problèmes d'égalité. Il s'inquiétait du pouvoir envahissant de l'administration centrale.

Puis, mon arrière-grand-père, Charles Kegedonce Jones, a été chef pendant 50 ans, sous le régime de la Loi sur les Indiens et des traités. Il a essayé d'appliquer l'idée des responsabilités mutuelles. Il était coureur. Comme coureur, avant de devenir chef, il pouvait parcourir le chemin de Wiarton et d'Owen Sound à Toronto en environ quatre jours. Il pouvait se rendre à Ottawa en à peu près six jours. Il pouvait se rendre à la course jusque dans la région de Windsor en huit jours environ. Autrement dit, l'infrastructure que les Ojibway possédaient leur donnait le moyen de communiquer entre eux dans ce réseau de responsabilité mutuelle.

Ainsi, dans la vie de Tecumseh, c'était la reconnaissance mutuelle. Dans celle de Kegedonce, c'était le respect mutuel. Dans celle de Peter, qui a signé le traité, il y avait l'idée du partage. Et dans la vie de Charles, c'était la notion de responsabilité mutuelle.

Nous pouvons trouver toutes ces valeurs enracinées dans les territoires que les Anishinaabés et d'autres peuples autochtones ont occupés dans l'ensemble de ce qui est aujourd'hui le Canada. Grâce à nos normes de jugement, lois, évaluations, balises, normes et critères, nous avions l'impression de pouvoir créer une relation inspirée de ces qualités. Voilà ce qui se passe dans ma génération. Ces voix qui ont vécu dans notre expérience émergent de nouveau.

Je veux vraiment me faire l'écho des propos de Jim et réaffirmer la vision de la commission royale, car c'est une vision qui remonte beaucoup plus loin et a des racines dans les enseignements de la Terre, là où les peuples autochtones ont vécu dans l'ensemble de ce territoire.

Meegwetch.

La présidente : Nous allons passer aux questions, à moins que quelqu'un d'autre ne veuille intervenir.

Michael Asch, professeur, Département d'anthropologie, Université de Victoria, à titre personnel : Il me suffira de deux ou trois minutes. Je ne veux pas abréger la période réservée aux questions.

Mon travail sur les traités porte sur la période de la Confédération. C'est donc beaucoup plus tard. La chose importante que cette recherche fait ressortir, c'est que, à l'époque de la Confédération, il y avait encore au Canada des dirigeants qui avaient des idées semblables à celles dont John et Jim ont parlé et qui remontent au XVIIIe siècle.

Plus particulièrement, j'ai remarqué, en étudiant les transcriptions des négociations sur les Traités nos 4 et 6 entre le commissaire et lieutenant-gouverneur Morris et les Premières Nations qui négociaient avec lui, qu'il y avait un large chevauchement dans la façon dont ils parlaient du type de relation qui devrait se développer grâce aux traités.

Je me contenterai de signaler deux principes qui semblent être ressortis de tout cela et qui, selon moi, méritent réflexion au moment où nous tentons de renouer avec ces relations, de les dynamiser.

Le premier principe tient dans le mot « bonté ». Il revient sans cesse dans les Traités nos 4 et 6, dans lesquels l'objectif, de part et d'autre, est de traiter l'autre partie avec bonté. Cela ne veut pas dire donner à l'autre tout ce qu'il veut ni être gentil. Cela veut dire penser à l'autre quand on agit et essayer de travailler en relation avec lui.

Le commissaire Morris le dit un certain nombre de fois dans le Traité no 4 et les dirigeants autochtones le lui disent aussi. En fait, ce sont eux qui ont amorcé cet échange et ont parlé de la bonté avec laquelle ils ont traité les colons lorsqu'ils sont arrivés ici.

Le commissaire Morris dit également que son objectif est de partager le territoire et non de s'en emparer : « Nous voulons être ici. Vous avez invité d'autres peuples. Nous voulons nous joindre à vous, non pas nous emparer du territoire. »

Le Traité no 6 comprend l'une des clauses les plus importantes, à mon avis, et qu'il ne faudrait pas perdre de vue aujourd'hui, quant à la façon de nous y prendre. L'accord s'appelle la disposition sur la famine, et elle dit que si un malheur frappe nos partenaires... Nos partenaires nous ont dit la même chose et nous avons mis cela dans le traité et dans aucun autre. Je vais vous dire comment le commissaire Morris l'a expliqué, ce qui ne correspond pas nécessairement à ce qui figure dans le texte : « Nous n'allons pas vous laisser crever comme des chiens. » Nous ferons ce que nous pourrons pour vous aider. Nous allons vous appuyer. C'est là ma paraphrase, mais la première phrase est de lui. Si nous ne perdions pas cela de vue et revenions sur notre parcours, si nous tentions de nous orienter davantage vers ce genre de compréhension, nous pourrions commencer à mettre en place le type de relation dont nous discutons ici, me semble-t-il.

La présidente : Monsieur Nichols?

Joshua Nichols, Faculté de droit, Université de Victoria, à titre personnel : Je crois que nous pouvons passer aux questions. Ce serait préférable.

La présidente : Merci beaucoup, messieurs.

Le sénateur Enverga : Merci de vos exposés, messieurs. Je constate que vous avez fait beaucoup de recherches et raconté l'histoire des peuples autochtones du Canada. Je suis plutôt certain que le résultat de vos recherches fait partie du programme de votre université. Tous les résultats des recherches que vous avez faites sont-ils largement diffusés au Canada?

M. Borrows : Oui. Il y a beaucoup de ces recherches qui se retrouvent dans les cinq volumes de la commission royale. Elles sont citées dans les documents de la Commission de vérité et de réconciliation et elles sont reprises et enseignées aux quatre coins du Canada dans des universités et même dans des écoles secondaires. Certains de nos écrits se situent à ce niveau.

Le sénateur Enverga : Si je pose la question, c'est parce que je crois toujours que nous devons donner aux élèves, et plus spécialement aux élèves autochtones, l'accès au type d'éducation que vous dispensez. Estimez-vous que c'est l'un des droits de vos étudiants autochtones que d'avoir davantage accès à vos études? Cela se rattache-t-il à la responsabilité que, selon vous, le gouvernement devrait confier aux élèves et étudiants?

M. Borrows : Ce serait une bonne chose que le gouvernement puisse travailler à la facilitation; à l'université nous faisons des efforts dans ce sens. Mes collègues un peu partout au Canada font la même chose.

En faculté de droit, je donne un cours sur les peuples autochtones. C'est un programme d'introduction. Il tient en 24 cours qui sont offerts à tous sur YouTube. Chacun peut les écouter au moment qui convient et ainsi se renseigner sur l'histoire du Canada selon une perspective juridique.

Je sais que, grâce à ces écrits, à ces cours et à d'autres travaux qui se font au Canada, le gouvernement fédéral intervient et contribue à faciliter l'exercice de ce rôle. Bien des choses peuvent se faire lorsque les gens reçoivent l'information dont ils ont besoin.

M. Nichols : Je voudrais intervenir brièvement. J'ai l'impression que beaucoup d'universités canadiennes prennent aussi très au sérieux les appels à l'action lancés par la CVR, c'est-à-dire la Commission de vérité et réconciliation. Ainsi, je vais prendre un poste qui a été créé l'été dernier à Dalhousie comme titulaire de la chaire de recherche du Canada en gouvernance et leadership autochtones. Beaucoup d'universités canadiennes ont très envie de favoriser ce travail et de prendre au sérieux les appels à l'action de la CVR et d'offrir plus de cours. Il se fait donc aussi des choses dans les établissements d'enseignement aussi.

Le sénateur Enverga : Corrigez-moi si j'ai tort, sénateur Sinclair, mais la Commission de vérité et de réconciliation réclame des mesures afin d'améliorer l'accès aux études postsecondaires pour les étudiants autochtones et demande notamment que le gouvernement fournisse des fonds suffisants pour qu'on puisse résorber l'arriéré des étudiants des Premières Nations qui veulent entamer des études postsecondaires. Ne croyez-vous pas que nous devrions agir dès maintenant pour pouvoir avancer dans la voie de la réconciliation pour tout le monde?

M. Borrows : Je suis certainement d'accord.

Une autre recommandation, la 50e, parle de la création d'un institut d'étude du droit autochtone. Nous avons travaillé dans l'ensemble du Canada à essayer de convaincre le gouvernement d'appuyer la création d'un établissement de savoir autochtone qui permettrait d'accomplir ce travail en établissant des liens entre Dalhousie, McGill, l'Université de Toronto, Osgoode, Western, Windsor et, bien entendu, les établissements de l'Ouest.

Dans cet institut, nous enseignerions — comme nous le faisons dans notre institution — les lois des peuples autochtones pour que les gens comprennent que le droit du Canada ne se limite pas au droit civil et à la common law, et qu'il est possible d'apprendre et d'appliquer les normes juridiques des peuples autochtones. Cela fait partie de l'appel lancé au gouvernement fédéral, du 50e appel à l'action lancé par la Commission de vérité et de réconciliation.

M. Tully : Je vais citer un autre exemple, cette fois en dehors des facultés de droit au Canada.

Ici, à l'Université de Victoria, Taiaiake Alfred, un érudit mohawk de Kahnawake, et moi-même avons créé un programme de gouvernance autochtone pour les étudiants des cycles supérieurs. C'était le premier programme consacré à la gouvernance autochtone au Canada. Nous l'avons créé en 1996. Il attire surtout des étudiants autochtones, mais aussi d'autres étudiants qui viennent faire une maîtrise ou un doctorat en études autochtones et retournent ensuite dans leur milieu. Puisque le sénateur Sinclair est là, je dirai que le premier diplômé du programme a été Paulette Regan, documentaliste principale à la CVR.

Ces connaissances se répandent. Ce modèle d'enseignement en sciences politiques, en gouvernance autochtone, en études autochtones et autres dans les universités a pris une très grande ampleur. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais je dirais qu'il y a eu des progrès depuis la commission royale.

Le sénateur Enverga : Un dernier mot, si je peux me permettre. Je remercie les étudiants de la Fédération canadienne des étudiants qui sont parmi nous aujourd'hui pour suivre les délibérations parce qu'ils veulent faire valoir les besoins des étudiants autochtones.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je me réjouis d'entendre toutes ces réflexions. Comme vous le savez, certains de nos ancêtres sont morts comme des chiens.

Poursuivons. Comme vous le savez, aux termes de nos traités de paix et d'amitié, le gouvernement a une responsabilité fiduciaire à l'égard de tous les peuples autochtones. Nous devons maintenant recommencer parce que ce fait n'a pas été reconnu, et je ne peux tout simplement pas l'accepter.

Grâce à mon collègue, le sénateur Sinclair, le mouvement est amorcé. Est-ce la raison pour laquelle nous devons renégocier?

M. Borrows : Les mots utilisés par le comité au sujet de l'idée de renouvellement sont une pierre de touche importante. On parle aussi de « résurgence » et de « revitalisation ». L'idée, c'est que les principes et les traités sont là, mais que nous devons donner un nouveau lustre à la chaîne d'alliance ou que nous devons redonner de l'éclat à ce qui en a perdu à cause d'histoires tragiques dans les relations entre les peuples autochtones et les colons.

J'applaudis également le travail du sénateur Sinclair et d'autres personnes, car il nous a rappelé ces anciennes relations qui reposent sur les idées de reconnaissance mutuelle, de respect, de partage et de responsabilité qui sont essentielles à nos avenirs à tous.

Ce qui est réconfortant, c'est la reconnaissance du fait que certaines réponses se trouvent dans le passé. Il ne s'agit pas de ramener le passé sans tenir compte de la situation contemporaine, mais plutôt de comprendre que, dans notre propre histoire, comme M. Asch le dit, il y a des moments éclairants. Ranimer ces moments, c'est le travail de tous les Canadiens.

La sénatrice Lovelace Nicholas : L'un de vous a dit que les gens veulent partager les ressources. Mais vous n'ignorez pas qu'il y a du racisme, que certains voudront avoir plus que les autres ou refuseront de partager. Je dis simplement que les traités sont là et que nous devrions y faire quelque chose.

M. Borrows : C'est exact.

Une partie de la loi du partage, lorsque mon arrière-arrière-grand-père a invité des gens dans nos territoires, voulait que le partage se fasse conformément aux principes juridiques des Ojibway : les principes de la bonté, de l'entraide, de l'amour, de l'humilité, du courage, du respect et de l'honnêteté. Ce sont les principes incarnés dans le droit des Anishinaabés, qui ont été repris dans les traités. Ce sont les idées que nous devrions adopter pour régir l'utilisation des ressources dans nos territoires.

Si nous jugions de l'utilisation des ressources conformément aux lois autochtones des peuples de ces territoires, cela ferait beaucoup pour faire reculer le racisme et l'exploitation, qui n'ont pas un enracinement durable. Ce n'est pas que les lois des Ojibway ou autres lois autochtones soient parfaites; il y a encore beaucoup de choses que nous essayons d'apprendre dans le monde. Mais dans ces traditions juridiques, nos idées gravitent autour d'une relation plus durable avec la Terre, et les traités devaient favoriser l'enracinement de la paix et de l'amitié, ce qui était propice à l'épanouissement de la relation selon cette orientation.

M. Tully : Du côté des colons, de nombreux étudiants apprennent ces réalités dans nos universités et nos établissements d'enseignement secondaire, et ils créent des alliances avec les communautés et les étudiants autochtones. Ils protestent souvent dans des mouvements comme Idle No More ou Standing Rock. Ils s'élèvent contre le racisme et luttent contre les formes perverses de développement économique et contre la destruction de l'environnement.

Il y a maintenant tout un autre monde d'alliances, dans la jeune génération, entre les étudiants des colons et autochtones qui travaillent dans les universités, et qui travaillent aussi sur le territoire, partageant leurs connaissances et s'attaquant aux problèmes de racisme et à la remise en état de l'environnement.

Je crois donc que votre comité est soutenu par un élan. L'une des choses qu'il pourrait apprendre de ces divers mouvements qui se manifestent partout au Canada... En fait, ils n'ont pas de contacts entre eux, si vous voyez ce que je veux dire. S'ils avaient le moyen d'en avoir grâce au comité ou s'ils s'arrangeaient pour avoir une meilleure coordination... Il y a tant de choses qui se passent sur la côte Ouest, comme vous pouvez l'imaginer. En sciences politiques, nous avons un programme qui réunit des étudiants en sciences politiques, en droit et en gouvernance autochtones. Ils travaillent ensemble et ont des stages dans les collectivités locales. Celles-ci, la communauté autochtone et celle des colons travaillent ensemble aux bonnes relations au sujet du territoire, aux bonnes formes de développement économique et social, aux problèmes de pérennisation, à des enjeux qui amènent une réflexion sur sept générations, et ainsi de suite. Il se passe bien des choses au Canada en ce moment, mais la coordination n'est pas très bonne.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Étant donné tout ce qui va se passer grâce aux protestations, par exemple, estimez- vous que le projet de loi C-51 aura un impact sur les peuples autochtones?

M. Borrows : Je crois que oui. La question qui surgit est celle de l'organisation que la collectivité se donnera. A-t-elle un espace pour avancer des idées permettant de régler les différends de façon pacifique et ordonnée? Par exemple, les Tsleil-Waututh ont réalisé des évaluations environnementales en vertu de leurs propres lois, ou les Nisga'a du nord de la côte ont fait aussi des évaluations environnementales sur le GNL conformément à leurs lois. Voyez ce qui se fait ailleurs au Canada là où les enfants et les familles éprouvent des problèmes. Les Secwepemc ont recours à leurs propres lois pour résoudre les difficultés avec lesquelles ils sont aux prises.

Ces Autochtones n'ont pas recours uniquement à leurs lois. Ils veulent aussi se servir de ce qu'il y a de mieux dans les lois canadiennes, dans l'ensemble, ainsi que ce qu'il y a de mieux dans leurs propres lois, mais lorsqu'il y a des interactions entre toutes ces lois, on constate qu'il y a des moyens de s'attaquer aux difficultés que les peuples autochtones devront affronter lorsque le projet de loi C-51 et d'autres questions susciteront des protestations et des divergences d'opinions.

Autrement dit, nous avons besoin d'un droit autochtone parce que nous avons des divergences d'opinions. Nous n'avons pas recours au droit autochtone parce que nous sommes tous d'accord. Le droit est là pour les situations où nous ne nous entendons pas. Il y a dans le droit des mécanismes et des principes tels que, lorsqu'on délibère et tente de se convaincre mutuellement, on fait appel à ce qu'il y a de mieux dans les réflexes démocratiques, même dans l'ensemble de la société canadienne. Cela permet d'avoir des échanges participatifs, car on a les structures et les cadres qui permettent parfois de dépasser les blocages ou de surmonter les protestations pour affronter les difficultés de façon constructive.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci beaucoup de vos réponses.

La présidente : La sénatrice Lovelace Nicholas a fait ressortir quelque chose lorsque vous avez cité un extrait du Traité no 6 : « Nous n'allons pas vous laisser crever comme des chiens. » Pourtant, ce principe énoncé par Morris ne traduisait probablement pas une vision identique à celle de Macdonald. Il y a donc là deux points de vue très différents.

Nous avons de magnifiques objectifs ambitieux. Vous avez énoncé les quatre principes, qui me semblent fantastiques, mais nous avons eu par ailleurs un gouvernement qui s'est emparé de l'autorité sur les peuples autochtones et qui a dit ostensiblement croire en ces quatre principes, mais s'est comporté d'une manière différente à partir de l'époque de Macdonald — peut-être pas tout à fait autant maintenant; certainement pas des mesures draconiennes.

La question qui s'impose est la suivante : comment appliquer ces quatre principes à l'époque moderne pour concrétiser cette vision et incarner ces principes? Pourrions-nous prendre un exemple précis, comme les protestations pacifiques ou l'extraction des ressources? Serait-ce un bon point de départ pour appliquer ces principes au règlement d'un problème particulièrement critique? J'espère que ces propos ont du sens.

M. Asch : Je comprends très clairement ce que vous dites, et cela se rapproche, sans y être identique, de ma propre compréhension de ce qui s'est produit à l'époque. À l'époque de la Confédération, il existait une très importante divergence d'opinions entre des gens comme Morris et aussi le troisième gouverneur général, lord Dufferin, et le gouvernement au sujet de la relation qui devait se développer après la Confédération comme relation de guérison avec les peuples autochtones.

Pendant six ou sept ans après la négociation du Traité no 4, la situation semblait tendue mais incertaine quant à l'évolution qui allait suivre. C'est après que Morris eut été retiré de ses fonctions ou ait quitté le poste de gouverneur général et que Dufferin fut parti en Inde — car c'est là qu'il a été affecté ensuite, je crois — que la faction de Macdonald a vraiment pris le dessus.

Je peux vraiment percevoir, dès lors, c'est-à-dire au début des années 1880, et non en 1867, un virage remarquable vers la domination de ce point de vue même : nous n'avons rien à faire de ces gens-là et nous ne voulons pas établir de relation avec eux.

L'autre position est submergée dans le discours pendant la plus longue période, bien que des gens soient intervenus sans cesse, comme des médecins qui soutenaient par exemple que mettre les enfants dans les pensionnats équivalait à les tuer.

Cette autre position semble vraiment émerger dans le discours juridique à l'époque de l'arrêt Calder, donc en 1969, en 1973. Pendant une longue période, c'est l'autre attitude qui a prévalu.

Ce que j'espère de tout cœur, c'est que nous puissions changer la façon dont l'histoire est enseignée du point de vue du colonisateur pour que nous puissions voir que ces contestations, ces divergences jalonnent notre histoire et ne pas présenter celle-ci comme une simple narration. Cela donne aux enfants du colonisateur un certain courage, prenant conscience qu'ils n'inventent pas complètement une nouvelle personne, qu'ils n'ont pas à rejeter tout leur propre passé, mais qu'ils reviennent à ce qu'il y a de meilleur chez nous aussi.

M. Borrows : Dans le cadre juridique, il y a une doctrine semblable lorsqu'il peut exister des approches différentes des traités. La cour dit qu'il faut toujours préserver l'honneur de la Couronne, ce qui veut dire qu'il faut éviter les apparences de traitements durs, préférant les meilleures interprétations proposées par Dufferin et Morris.

La cour a estimé que vous donniez des traités une interprétation large, libérale et généreuse en faveur des Indiens — les canons de l'interprétation des traités. Vous levez les ambiguïtés d'une manière telle que les Indiens doivent les comprendre. Vous ne donnez pas des traités une interprétation technique, les considérant plutôt dans leur esprit naturel et selon l'intention qui se profile derrière.

Devant ces points de vue qui se contredisent, la société a un choix à faire. Faut-il opter pour la voie de l'honneur ou accréditer les points de vue qui ont mené à une situation où des gens crevaient comme des chiens? La réponse me semble claire : nous voulons nous engager dans la voie de l'honneur et non sur un chemin très sombre. Et nous sommes tenus à ce choix par les doctrines des tribunaux.

Le sénateur Sinclair : Je commencerai par présenter mes excuses aux témoins, car je dois partir tôt. Dans 20 ou 25 minutes, je dois me rendre à une autre activité. Si j'ai l'air de vous laisser en plan, sachez qu'il n'en est rien. Je dois m'occuper d'autres affaires.

Tout d'abord, je vous remercie de vos exposés. Comme d'habitude, vous êtes éblouissants et limpides dans vos exposés. Je vous en suis très reconnaissant. J'ai cité la plupart d'entre vous dans le travail que j'ai fait. Je vous remercie donc de votre travail.

Je commence par une observation qui aboutira à une question.

L'une des plus grandes erreurs que j'ai commises au cours de ma carrière et depuis les travaux de la Commission de vérité et de réconciliation, et même depuis mon arrivée au Sénat, c'est de présumer que les gens acceptent ce que je dis de cette question. Il existe en fait une population importante d'Autochtones, de jeunes Autochtones, en particulier, qui veulent en savoir davantage pour trouver leur identité, pour trouver une voie qui corresponde mieux à l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes.

Un segment important de la population — et nous l'avons identifié pendant les travaux de la CVR — croit que les peuples autochtones devraient simplement oublier le passé, tourner la page, passer à autre chose et aller de l'avant, cherchant ce que nous pouvons faire pour devenir de meilleurs Canadiens, plus semblables les uns aux autres.

Ce point de vue est partagé par certains Autochtones, soit dit en passant. Je me souviens d'une survivante qui s'est adressée à nous pendant l'une des audiences de la CVR et a dit, exhortant d'autres survivants et peut-être aussi les commissaires : « Nous devons cesser d'avancer vers notre avenir à reculons. » Elle voulait dire par là que nous devons cesser de regarder seulement ce qui est arrivé par le passé, que nous devons commencer à nous intéresser à ce que nous voulons comme avenir.

Vous pouvez tous répondre, mais je commencerai par vous, monsieur Borrows, étant donné que je suis vos travaux avec un vif intérêt depuis un certain temps. Peut-être pourriez-vous expliquer en quoi vos travaux sont importants pour le Canada. Quelle en est l'importance notamment pour les jeunes Autochtones? Vous demandent-ils ce travail ou est-ce quelque chose que vous faites, vous tous, pour justifier vos postes à l'université?

M. Borrows : Je vous sais gré de votre question. Je crois que c'est là que vous avez commencé. Nous devons reconnaître en nous nos faiblesses et nos erreurs. Cette philosophie ou cette conception de notre travail d'universitaires, de nos relations comme citoyens, est un élément clé. Ce que cela fait ressortir, c'est que ce travail est un examen de soi, puis un regard vers l'extérieur pour essayer de comprendre ce qui pourrait se faire dans notre travail dans les communautés.

L'une des erreurs que j'ai souvent commises, c'est de croire qu'il y existe une compréhension plus large qu'elle ne l'est en réalité. Je partage sans doute votre point de vue. Là où il faut agir, c'est sur le plan de l'importance des institutions qui nous encadrent. Je songe au travail que fait le comité, aux travaux de la Commission de vérité et de réconciliation, aux tribunaux et, à certains égards, au travail qui n'a aucun retentissement, dont les résultats ne se font pas sentir dans tous les aspects de la vie comme nous l'espérerions.

Comment cela peut-il changer quoi que ce soit pour le Canada? L'effet se fait sentir lorsque les institutions se saisissent de ce travail, après quoi il y a un rayonnement dans le petit magasin du coin, dans le milieu de travail, dans la « quotidienneté » de ce qu'est le Canada pour mettre ces questions en évidence.

Comment faut-il s'y prendre? En réfléchissant aux principes affirmés par des gens comme Tecumseh et Kegedonce, et aussi mon arrière-arrière-arrière-grand-père : créer des amitiés, créer des groupements, trouver des moyens d'affronter les problèmes au niveau local pour faire valoir ces préoccupations.

Jim a parlé tout à l'heure de choses qui se font sur la côte. Les gens participent au développement économique ensemble de façon durable. Ils s'efforcent de favoriser le développement d'un enjeu local, d'une dimension qui fait partie de leur vie.

Autrement dit, le travail de renouveau, de dynamisation, doit unir les personnes aux institutions, et ces personnes ne peuvent être réunies dans cette sphère plus large que lorsqu'elles perçoivent la pertinence de ce dont nous parlons.

Et voici ce qui fait cette pertinence : nous sommes tous concernés. L'ouvrage de Michael, On Being Here to Stay, présente l'idée que nous ne pouvons vivre dans ce pays les uns sans les autres. Les Anishinaabés, lorsqu'ils se saluent, disent nindinawemaaganidook, c'est-à-dire : Bonjour, tous mes parents.

C'est là un ouvrage pertinent pour le Canada parce qu'il permet aux Canadiens de s'apaiser, pour peu que nous nous y prenions correctement. Si les traités sont respectés et si les lois sont identifiées et correctement appliquées, alors ceux qui sont venus ici d'autres parties du monde peuvent se sentir les bienvenus dans le respect des principes de paix, d'amitié, de respect et de participation.

L'autre voie, c'est la doctrine de la découverte, de la coercition, de la prise de possession hostile et de la force. Le Canada se présente — et nous aspirons à être des gens qui ont une approche participative — comme une terre de paix, d'ordre, d'amitié, de discussion et de persuasion, non une terre de coercition.

Il y a donc des conséquences pour ce que nous sommes comme Canadiens, pour la conception que nous nous faisons de nous-mêmes. Nous valons plus que la doctrine de la découverte, de la coercition, de l'adversité et de la possession. Si nous nous rallions aux principes dont nous parlons, nous sommes des Canadiens parce que nous nous reconnaissons mutuellement, nous nous respectons, nous partageons et nous avons des responsabilités les uns envers les autres.

C'est là une conception positive du Canada, qui témoigne d'un esprit ouvert, de générosité, qui n'est pas étriquée et étroite comme cela se voit ailleurs dans le monde. Cette conception hospitalière est propre aux Anishinaabés, mais ce peut être aussi bien une conception canadienne.

M. Tully : Cela s'observe aussi dans l'éducation au Canada. J'enseigne à beaucoup d'étudiants des colonisateurs en sciences politiques et en philosophie, et je le fais depuis des années. Bien sûr, il y a beaucoup de débats et de désaccords, mais ce que John a dit, c'est que les principes de la commission royale que nous avons évoqués sont en harmonie avec ceux dans lesquels grandissent les Canadiens issus des colonisateurs et qu'ils estiment respecter : voilà ce que c'est, être Canadien. Puis, nous apprenons le côté sombre de notre histoire, et cela les dérange. C'est difficile dans la salle de classe et il est difficile pour eux de suivre les cours que nous donnons en ce moment. Souvent, comme vous le dites, la réaction ne témoigne pas d'un appui aussi solide que nous pourrions l'espérer pour ces principes. J'ai vécu la même chose à McGill, dans les années 1980 et 1990. Et je croyais que je pouvais amener tout le monde à changer d'avis en un an ou deux.

Sur le plan de l'éducation, il y a une longue lutte à mener pour approfondir la réflexion, penser à la façon de vivre avec des personnes différentes de soi et, comme John l'a dit, à en tirer de la fierté. Mais nous avons un très long chemin à parcourir.

Les étudiants qui suivent ces cours et en discutent avec d'autres étudiants pendant les week-ends y réfléchissent lorsqu'ils retournent dans leur milieu. Ils se disent : « Voyons, sous le régime de quel traité ai-je grandi? Je n'en connaissais même pas l'existence. Que puis-je faire maintenant? » Souvent, établir un lien avec les questions environnementales est une façon de bâtir une relation à l'extérieur de l'université.

Sur la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique, il s'est produit un changement profond depuis que j'y ai fréquenté l'école et l'université, il y a de longues années. Les étudiants ont aujourd'hui une attitude bien différente à l'égard de ces questions.

Alors oui, c'est une lutte difficile et longue. On a souvent l'impression de ne pas beaucoup avancer, mais alors on regarde autour de soi ce qui se passe et on constate où en sont les nouvelles générations d'étudiants, et c'est très réconfortant.

Je dois dire que vos appels à l'action ne font que renforcer le mouvement. Ils trouvent une résonnance dans les réseaux d'enseignement, dans les universités de tout le Canada ainsi qu'au centre que vous avez établi à l'Université de Winnipeg pour poursuivre ce travail.

Il y a des moments de découragement, mais toutes ces initiatives, notamment en droit, mais aussi dans le réseau d'enseignement et dans le domaine économique... Notre petite ville de Victoria a désigné 2017 comme l'année de la réconciliation.

Nous pouvons donner une foule d'exemples. Comme je l'ai déjà dit, l'un des grands problèmes, c'est que, souvent, les Canadiens ne s'aperçoivent pas de ces initiatives et de ce qu'il en advient.

M. Nichols : Je partage tout à fait votre point de vue. Une partie de la population qui observe ce qui se passe et estime qu'il s'agit d'un travail portant avant tout sur le passé, sur un ensemble de griefs, conçoit la réconciliation comme une sorte d'indemnisation. C'est une erreur de conception totale. Il faut travailler davantage pour amener ces gens à comprendre comme les systèmes politiques et juridiques qui sont les leurs ont été bâtis et les principes qui les ont guidés. Cela les aidera à prendre conscience du fait que cette question ne concerne pas leur passé, mais l'application de ces systèmes aujourd'hui.

Ce genre de travail consiste à reprendre depuis le début notre conception de la souveraineté de l'État aujourd'hui et à essayer de voir comment nous allons construire l'avenir de notre pays. Nous ne pouvons pas continuer à avancer sans jeter un coup d'œil sur le passé. Nous devons voir comment nos conceptions de la souveraineté de l'État continuent d'informer nos actes et comment nous travaillons dans le territoire.

Ainsi, nos tribunaux ont continuellement interprété l'article 91.24, depuis la fin du XIXe siècle, comme conférant au gouvernement fédéral un pouvoir unilatéral sur les Indiens et leurs terres. C'est une interprétation de cette disposition constitutionnelle. C'est une version de notre avenir, mais il n'est pas forcé que ce soit la seule.

Une partie du travail consiste à montrer à ceux qui limitent l'enjeu aux griefs du passé qu'il s'agit en fait d'un avenir commun dans lequel ce principe de pouvoir unilatéral suscitera des problèmes non seulement dans nos relations réciproques, mais aussi dans la façon dont nous continuons à vivre sur cette planète.

M. Asch : J'ai une chose à ajouter. J'ai enseigné pendant un bon nombre d'années, et je constate qu'il y a un profond changement par rapport aux années 1980, lorsque j'enseignais en Alberta, et aujourd'hui. Je n'ai pas autant d'étudiants qui disent : « Cela ne m'intéresse plus. » Au moins à l'université où je suis, ils se disent intéressés.

J'entends des gens dire : « Je ne veux pas me tourner vers le passé, mais vers l'avenir. » Outre bien d'autres raisons, j'ai l'impression que c'est notamment parce que, vu notre façon de présenter notre passé, il est très difficile pour ceux qui ont compris ce passé, de concevoir avec confiance ce qu'il y a lieu de faire maintenant. Je ne parle pas d'excès de confiance, mais de confiance en ce sens qu'ils peuvent se positionner dans les échanges.

Bien des choses qui se passent en ce moment les aident à cet égard, mais une partie de la sensibilisation que nous devons faire consiste à les aider à se croire capables d'agir de façon responsable aujourd'hui. C'est ce que certains de nos cours visent à faire, en tout cas je l'espère.

La sénatrice Raine : Merci. C'est très intéressant, bon et utile.

Deux choses font toujours problème pour moi. Nous célébrons cette année le 150e anniversaire du Canada, ce qui, je crois comprendre, n'est pas une chose extraordinaire à célébrer pour les Autochtones, puisque, au fond, c'est à ce moment-là que leur mode de vie et leur système ont été sacrifiés. Je me sens vraiment mal lorsque nous parlons d'accueillir des gens du monde entier dans ce merveilleux pays qu'est le Canada, oubliant en quelque sorte que nous avons été accueillis par quelqu'un d'autre dans ce pays, dont nous nous sommes emparés. Il y a un grand travail de réconciliation à accomplir.

La difficulté, pour moi, est de savoir comment s'y prendre. Cela ne peut pas se limiter au monde universitaire ni au réseau scolaire, de la maternelle à la 12e année. Nous devons aller sur le terrain et rejoindre le Canadien moyen par toutes nos ressources éducatives, par les médias, pour parler de notre histoire et expliquer pourquoi les valeurs de la culture autochtone sont si importantes pour les fondements de ce qui fait de nous des Canadiens. Quel est votre avis?

Ce qui me dérange vraiment, c'est que nous avons un radiodiffuseur canadien, CBC/Radio-Canada, qui est très bien financé et peut utiliser les ondes pour nous faire profiter de ses ressources, mais que nous ne voyons rien de ce que nous devons apprendre. Tout le monde ne regarde pas la SRC ou CBC. Par ailleurs, APTN fait de l'excellent travail, mais sans avoir la puissance voulue pour rejoindre l'auditeur moyen.

Comment pourrions-nous mieux utiliser les médias de toutes natures pour sensibiliser et informer tous les Canadiens?

M. Borrows : J'ai enseigné aux États-Unis pendant un certain nombre d'années. J'y ai enseigné le droit indien fédéral et le droit constitutionnel américain en travaillant dans des communautés autochtones. Ce que j'ai trouvé intéressant, dans certaines régions des États-Unis, c'est que les peuples autochtones ont un pouvoir économique. Ainsi, dans la péninsule supérieure du Michigan, autour de la région de Sault Ste. Marie et à l'ouest, la tribu des Sioux, ainsi qu'on les appelle, est le principal pouvoir de la région.

De la même façon, dans certaines régions du Minnesota, du Montana, de l'Oklahoma et de l'Arizona, les gens considèrent que c'est d'abord vers la population autochtone qu'il faut se tourner pour avoir un emploi, que c'est sur elle qu'on peut compter parce qu'elle sait s'organiser sur le plan économique.

Même dans une grande ville comme Phoenix, qui compte des millions de personnes, ce qu'on appelle les tribus sont des forces qui comptent. Lorsqu'il y a du développement économique dans des collectivités, elles commencent à contrôler les messages. Elles peuvent faire des démarches auprès du Congrès. Elles interviennent sur les ondes et dans les écoles. Elles créent le programme scolaire. Elles occupent des fonctions de relations publiques parce qu'elles ont l'autodétermination économique nécessaire pour atteindre leurs objectifs. Elles peuvent faire des choses sur Indian Country Today et dans d'autres réseaux médiatiques aux États-Unis. Sur NPR et PBS, on entend souvent parler de ce que font les peuples autochtones.

Autrement dit, ce que nous devons faire à notre propre manière, dans le contexte canadien, c'est nous inspirer de cette expérience. Les messages des Autochtones seront mieux reçus lorsque les Autochtones auront plus de pouvoir économique au Canada. Il leur faut pour cela contrôler les ressources qui ont été les leurs par le passé et qui sont à proximité. Ce contrôle des ressources ne fait pas gagner certains au détriment des autres. Lorsque les Sioux de la péninsule supérieure du Michigan contrôlent les ressources, tous leurs voisins en profitent.

Au Canada, les économies autochtones font penser au saut à l'élastique. Celui qui saute reste suspendu un moment et remonte. Dans les économies des collectivités autochtones, un dollar qui est injecté par le gouvernement fédéral en ressort aussitôt et il est dépensé dans les collectivités environnantes.

Nous avons besoin d'occasions de développement économique telles que, lorsqu'un dollar est injecté dans la collectivité et passe entre deux, trois ou quatre mains, dans la même collectivité, il y a de la croissance. Cet argent passe de main en main dans les collectivités des Premières Nations, métisses ou inuites. Puis, il n'y a pas seulement un dollar qui sort de cette collectivité pour être dépensé à Kamloops, à Kelowna, à Sudbury ou ailleurs. Il y a davantage d'argent qui sort des réserves pour être dépensé dans les localités environnantes.

Il en résulte ce dont vous avez parlé : des médias, un effort de sensibilisation et toutes sortes de possibilités de faire entendre son point de vue dans le débat public. Tout le monde peut y trouver son compte, si on considère les pratiques judicieuses qui ont cours dans certaines de ces collectivités.

On observe cela au Canada aussi. À certains endroits isolés, comme dans la nation de Westbank, et autour de Sechelt et de la nation Chippewas de Rama, en Ontario. Il y a des endroits où la même chose se produit, mais il faudrait que ces cas prennent plus d'ampleur et qu'il y ait des contacts entre eux dans tous les territoires. Ce renouveau a une dimension économique, ce qui a certainement un lien avec ce que vous dites sur une diffusion plus complète des messages.

La sénatrice Raine : Je conviens que l'indépendance économique des collectivités autochtones est sans doute le premier objectif. Pour en arriver là, il faut, entre beaucoup d'autres choses, abattre le racisme qui a cours, faire de la sensibilisation, et ainsi de suite. La fierté culturelle est indispensable, tout comme les langues et la culture le sont. Il est difficile de savoir, quand on essaie de tracer la voie à suivre, comment tout faire fonctionner. Comment créer une synergie? Quel est le point de départ?

M. Borrows : Le mouvement peut démarrer à bien des endroits différents. Cela ne doit pas venir d'une seule source. Nous ne sommes qu'un groupe de personnes, et vous en rencontrerez d'autres.

L'une des choses que Josh a dites à propos de l'article 91.24 est vraiment importante. L'une des raisons qui font que les tribus américaines ont réussi, c'est que le gouvernement fédéral a écarté l'application des lois des États dans les réserves. Autrement dit, aux États-Unis, les réserves sont protégées par la loi fédérale pour pouvoir appliquer leurs propres lois dans leur sphère. Lorsqu'on a une plus grande responsabilité à l'égard des décisions courantes et qu'on sait qu'on devra assumer les conséquences de ses erreurs et qu'on pourra revendiquer ses victoires, on est plus prudent dans les décisions qu'on prend.

Au Canada, aux termes de l'article 88 de la Loi sur les Indiens, toutes les lois provinciales d'application générale s'appliquent aussi bien aux Indiens. Cette délégation fédérale de responsabilité aux provinces est contraire à ce qui se fait aux États-Unis. Il y a du développement économique aux États-Unis parce que le gouvernement fédéral a exercé son pouvoir prépondérant pour permettre que, dans une enclave ou une certaine sphère, il y ait une croissance qui peut s'harmoniser de façon à être bénéfique pour les environs, mais il faut qu'il y ait un lieu où chacun peut prendre ses propres décisions.

D'après mon expérience — je suis professeur de droit depuis 25 ans et j'ai enseigné aux États-Unis pendant 10 ans —, le changement le plus important pour les tribus américaines est que le pouvoir fédéral l'a emporté sur le pouvoir des États. Le pouvoir fédéral prime celui des États dans les réserves, de sorte que celles-ci peuvent exercer leur souveraineté et leur pouvoir inhérent, ce qui favorise la croissance.

C'est une avenue que nous n'avons pas explorée. Le rapport Penner a tenté de le faire dans les années 1980, après le rapatriement de la Constitution. La Commission royale sur les peuples autochtones parle de la possibilité d'une prépondérance sur le pouvoir provincial dans les réserves comme moteur de développement économique et de responsabilisation, mais nous n'en sommes pas là, en réalité. Ce n'est pas une tâche facile pour le gouvernement fédéral que de s'imposer par rapport au pouvoir provincial là où il existe une sphère de pouvoir autochtone.

Si toutefois nous nous engageons dans cette voie, je crois qu'une des meilleures choses que le comité puisse faire, c'est de renforcer la responsabilité au niveau local. Alors, les décisions, souvent des décisions d'ordre économique, seront bénéfiques non seulement pour les membres de la collectivité, mais aussi pour ceux qui vivent autour d'elle.

La sénatrice Raine : Si on considère la répartition des attributions au Canada, où les gouvernements provinciaux ont compétence sur les ressources, les minéraux et les forêts, cela veut dire que cette compétence reviendrait au gouvernement fédéral, qui la céderait directement à chaque nation, qui exercerait un contrôle?

M. Borrows : Le gouvernement fédéral instaurerait un écran, une protection, autour de l'exercice de ce pouvoir par les Premières Nations, les Métis ou les Inuits. Le gouvernement fédéral, en exerçant son rôle prépondérant, permettrait à la compétence des Premières Nations de s'exercer et de s'affirmer.

L'idée, c'est que les provinces contrôlent les décisions sur les ressources en dehors des réserves. En réalité, la province contrôle la plupart des décisions dans les réserves, puisque la plupart des lois qui s'y appliquent sont des lois provinciales dites d'application générale. Le problème, c'est que, lorsqu'elles font adopter ces lois, les provinces ne peuvent pas faire d'exception pour les Indiens. Si elles le faisaient, ce serait anticonstitutionnel, car elles n'ont pas le pouvoir d'agir de la sorte. Elles font donc adopter des lois qui s'appliquent aux Indiens en étant obligées de s'abstenir de penser à leur situation particulière, parce que, si elles le faisaient, leurs lois ne seraient pas valides.

Pour sa part, le gouvernement fédéral n'exerce pas ce pouvoir parce qu'il le cède aux provinces : « Vous pouvez édicter des lois d'application générale. » Par conséquent, il détourne le regard à cause de l'article 88 et les gouvernements provinciaux font la même chose parce qu'elles ne peuvent pas faire une exception pour les Indiens. Ainsi, les Indiens, dans leur espace, sont régis par d'autres peuples, sans orientation précise ni, habituellement, attention particulière pour leur mode de vie.

L'idée de la prépondérance fédérale, ce serait de dire que le gouvernement fédéral a, en vertu de l'article 91.24, la responsabilité des Indiens et des terres qui leur sont réservées. Nous pouvons exercer cette prépondérance dans cette sphère, ce qui veut dire que nous pouvons reconnaître qu'il y a là un droit inhérent. Puis, l'article 35 de la Constitution, qui reconnaît les droits ancestraux et issus de traités, pourrait jouer et accorder le pouvoir nécessaire aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits pour qu'ils puissent légiférer afin de faire le genre de travail dont nous discutons ici, c'est-à-dire créer une réciprocité : reconnaissance, respect, partage et responsabilité.

La sénatrice Raine : Cela semble bien au plan théorique, mais dans les faits, quand vous vivez dans une province... Je viens de la Colombie-Britannique où, comme vous le savez, il y a très peu de traités. Il serait vraiment difficile de savoir comment s'y prendre.

Cela dit, un projet de loi, le S-212, a été étudié au Sénat il y a quelques années, permettant l'adhésion volontaire des Premières Nations à l'autonomie gouvernementale, ce qui leur aurait donné beaucoup d'occasions de prendre en main leurs propres affaires. Il y a peut-être d'autres manières de s'y prendre, mais ce ne sera pas facile.

Ce à quoi je pensais, lorsque j'ai posé une question sur l'éducation et la sensibilisation de la population en général, c'est au fait que nous devons créer un contexte dans lequel tout le monde veut apporter ces changements, et pour en arriver là, il faut un travail intense de sensibilisation.

M. Borrows : Effectivement. Lorsque la sensibilisation est appuyée par le pouvoir économique et la compétence politique, on peut faire beaucoup plus de choses.

C'est un gros travail qui semble difficile au plan pratique. Mais considérons ce qui s'est passé au sud de la frontière. Cette évolution s'est faite depuis l'époque de Nixon. Cet acquis est peut-être menacé, vu le climat politique dans lequel les tribus sont plongées aux États-Unis, mais pendant une quarantaine d'années, le Congrès s'est toujours rangé de leur côté. C'est aussi ce que le président a fait, de façon que le pouvoir fédéral l'emporte sur le pouvoir des États, et cela a permis un développement économique de plus de 25 milliards de dollars par année.

Beaucoup de ces tribus sont très semblables à celles que nous avons chez nous. Elles ne sont pas très importantes. Elles ont beaucoup de défis à relever sur le plan des capacités des ressources humaines. Elles sont parfois isolées des marchés. Mais avec l'appui du Congrès et du président ou, dans notre cas, avec l'appui du gouvernement fédéral — pour peu qu'il y ait cette volonté de franchir le pas, étant donné que les provinces ne s'occupent pas des lois et de l'économie dans les réserves —, cela ouvrirait peut-être des possibilités correspondant à ce que proposait le projet de loi dont vous avez parlé à l'instant, sur le plan de la reconnaissance.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Très intéressant.

La présidente : Deux autres sénateurs ont des questions à poser.

Le sénateur Enverga : Monsieur, vous avez dit que la voie à trouver, au sujet de notre étude, la façon de répondre à la question d'une nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations était la reconnaissance mutuelle, le respect mutuel, la responsabilité réciproque. Nous avons eu des contacts avec les Premières Nations et avec d'autres groupes autochtones, et nous avons appris que la même solution ne convenait pas à tous. Il y a beaucoup de différences même entre les Premières Nations et d'autres groupes.

Nous essayons d'accélérer cette étude de façon à pouvoir servir les groupes autochtones plus rapidement. Dans votre propre optique, pouvez-vous proposer quelque moyen de concrétiser, peut-être, la reconnaissance mutuelle, le respect mutuel et la responsabilité réciproque? Y a-t-il un raccourci à emprunter pour réaliser l'étude beaucoup plus facilement, au lieu de prendre encore 5 ou 10 ans pour la mener à bien? Avez-vous une idée de la façon d'y parvenir sans avoir à consulter chacune des nations, chaque groupe autochtone un à la fois? Y a-t-il un moyen d'accélérer toute la démarche?

M. Tully : Les quatre principes énoncés par la commission royale sont largement partagés. Pendant quatre ans, les Autochtones — Inuits, Métis et Premières Nations — ont parlé de ces principes à la commission. Ils sont souvent interprétés différemment, mais il y a une conception commune d'une bonne coexistence avec ses voisins. Chaque année, l'Assemblée des Premières Nations continue de rappeler cet aspect du rapport final et réaffirme son appui à ces principes. Dans toutes les négociations que nous avons eues en Colombie-Britannique, depuis le début des années 1990, nous avons entendu les mêmes principes.

Même dans l'accord le plus récent — et je ne veux pas parler du processus des traités, mais de ce qui se passe en dehors —, nous constatons que ces principes sont toujours invoqués. Mon impression, c'est qu'ils sont toujours largement partagés chez les Autochtones du Canada.

Du côté des colons, la commission royale a aussi demandé : « Dans les traditions occidentales, que veulent dire le respect, le partage, la reconnaissance et le reste? » Là aussi, nous avons passé beaucoup de temps à expliquer que ces notions veulent dire telle ou telle chose dans les traditions occidentales de la pensée politique, de la philosophie morale ou dans les diverses formes de négociation.

Je pense donc qu'il se manifeste déjà beaucoup de bonne volonté autour de ces principes de part et d'autre. Je ne vois pas que leur acceptation puisse donner lieu à de gros problèmes.

Le sénateur Enverga : J'espère que c'est vrai.

M. Borrows : L'autre élément, c'est que le gouvernement actuel s'est engagé dans son programme politique à reconnaître la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Et la Commission de vérité et de réconciliation a aussi fait cette recommandation, qui peut être mise en œuvre. Autrement dit, il y a quelque chose dans ce document qui esquisse les différents champs de responsabilité et des possibilités de donner une suite concrète à notre travail. Certains critiquent la déclaration, mais ses principes sont largement appuyés.

Dans la mesure où on peut harmoniser les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation et celles de la commission royale, ainsi que les principes de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, on ne court- circuite pas le travail, mais il y a déjà un cadre en place. Ce cadre que nous devons à la commission royale, à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et à la CVR, comprend beaucoup de propositions précises dont on a largement discuté pendant des dizaines d'années non seulement au Canada, mais aussi dans le monde entier.

Le sénateur Enverga : Avez-vous des études ou d'autres documents auxquels vous pensez concernant les moyens d'obtenir la reconnaissance mutuelle et concernant toutes ces questions qui touchent les différentes organisations sur le terrain? Pourriez-vous nous les communiquer pour que nous puissions nous en servir à l'avenir?

M. Borrows : Oui, nous pourrions le faire. Josh Nichols et moi travaillons au CIGI, le Centre for International Governance Innovation, et nous travaillons à un projet lié à la Déclaration des Nations Unies sur les droits de peuples autochtones pour faire avancer précisément ce programme. Nous pourrions donc vous présenter cela aussi, lorsque les documents seront achevés.

Le sénateur Enverga : Merci.

M. Borrows : Ce sera un plaisir.

La présidente : Merci beaucoup, messieurs.

Existe-t-il dans le monde des exemples de relation nouvelle ou renouvelée qui tiennent compte de ces quatre principes? Y a-t-il d'autres peuples autochtones dans le monde qui ont atteint des objectifs semblables à ceux que vous avez définis?

M. Borrows : J'ai parlé de gens qui, aux États-Unis, travaillent de cette manière. Comme en témoignent une quarantaine de lois adoptées au Congrès, ils ont fait de l'autodétermination l'élément central du travail dans une foule de sphères. Ces lois portent sur la langue et l'éducation, le bien-être de l'enfant et la propriété intellectuelle, la propriété culturelle et le développement économique. La liste continue. On peut donc trouver des exemples de ce côté.

En Nouvelle-Zélande, un ensemble de principes très solides encadre ce qu'on y appelle le biculturalisme. Les Néo- Zélandais essaient de concilier les principes du traité de Waitangi et ceux de la common law dans ce qu'elle a de meilleur et d'en constituer un ensemble réciproquement reconnaissable, respectueux et responsable. Je suis allé là-bas et j'y ai passé beaucoup de temps. Il y existe des difficultés, mais il y a aussi beaucoup d'enseignements à retenir.

M. Tully : Ici, sur la côte Ouest, le protocole des Haïdas conclu avec le gouvernement de la Colombie-Britannique en 2011 a été modelé autour de ces principes.

La présidente : À propos de l'accord de Waitangi, en Nouvelle-Zélande, où, essentiellement, on a opérationnalisé l'accord pour appliquer ces quatre principes, a-t-il fallu beaucoup de temps? A-t-il fallu un ou deux ans ou bien des dizaines d'années?

M. Borrows : Ces choses-là demandent beaucoup de temps, mais il y a parfois un point de bascule ou beaucoup de choses semblent arriver d'un seul coup parce qu'il y a eu une accumulation d'information, d'initiatives politiques et de bonne volonté. Soudainement, le paysage est transformé. Ce n'est pas une utopie. Les Néo-Zélandais ont accompli beaucoup de choses en peu de temps parce qu'ils ont fait beaucoup de travaux préparatifs pendant des générations.

Notre situation est semblable. Nous avons fait beaucoup de travail pendant des générations. Je crois que le moment est venu. Nous sommes à un point de bascule. Il y a la Commission de vérité et de réconciliation avec en arrière-plan la CRPA et la déclaration des Nations Unies. Il y a tellement de choses maintenant qui nous permettraient d'en arriver là par une action rapide, alors que les préparatifs ont pris des générations.

Le sénateur Christmas : Merci, messieurs, de nous avoir parlé de votre travail. De toute évidence, vous avez apporté une grande contribution par vos recherches et votre enseignement. J'ai aussi aimé que vous nous rappeliez les quatre principes qui ont servi d'assise à la CRPA. Je leur attache de l'importance, c'est sûr.

Monsieur Asch, si je vous ai bien compris, vous avez ramené ces quatre principes à deux : la bonté et le partage. Pour quelque raison, je me suis demandé, en écoutant ces principes, si les aînés les enseignaient. Il m'est venu à l'esprit que les principes que nous essayons de définir et de transmettre à l'ensemble de la population sont des principes très anciens qui ont guidé nos peuples pendant des siècles.

Je songe aux quatre quadrants de la roue médicinale. Ce sont les quadrants mental et physique qui sont les plus familiers. Les deux autres mettent un peu mal à l'aise les non-Autochtones. Voilà pourquoi je fais cette mise en garde.

Les quadrants spirituel et affectif apportent une conception holistique à beaucoup d'Autochtones. Quand je songe à ces quatre principes ou aux deux dans lesquels vous les résumez, j'ai en tête la voix des aînés qui profèrent des mots d'une dimension spirituelle qui renforcent les autres quadrants, qui donnent de la force aux éléments affectif, mental et physique.

Il est très important d'enseigner ces principes. La connaissance est très importante, tout comme l'est la prise de conscience de ces choses-là. Ce qui me semble manquer ici, ce sont les dimensions spirituelle et affective. On doit être porté à être bon et inciter les autres à partager. Il faut non seulement un savoir, mais aussi une dimension spirituelle. Je cherche un aîné pour m'enseigner ces choses de nouveau pour être plus fort et pour être édifié et m'engager de nouveau dans cette voie.

Quand vous enseignez dans les universités, pouvez-vous initier vos étudiants à la dimension spirituelle de ces valeurs? Ces valeurs et ces principes ne sont pas un programme, on ne peut pas leur accoler une valeur monétaire. Ce sont évidemment des enseignements très anciens qui sont très forts et peuvent être une source d'inspiration. J'oriente le débat dans un sens qui est probablement assez peu confortable pour certains, mais il me semble que ces principes prennent vie grâce à la dimension spirituelle. Qu'en pensez-vous?

M. Asch : Excusez-moi. Nous sommes en plein blizzard, même si ce n'est pas normal d'avoir des blizzards à Victoria. Ma femme a gentiment décidé de venir me chercher au milieu de la tempête, et j'ai accepté de l'attendre à l'extérieur. Je vais donc devoir partir sous peu.

Je n'ai aucun moyen d'enseigner directement ce dont vous parlez. Je ne suis pas là pour enseigner cela directement. Dans mon enseignement, j'essaie d'incarner cela autant que possible dans mes échanges avec les étudiants. Je leur demande aussi d'aller chercher cette information ailleurs.

Ce que j'essaie de dire, surtout, et c'est peut-être une ouverture à ce que vous proposez, c'est qu'il faut s'attarder au terme « partage ». Je demande aux étudiants d'y réfléchir sérieusement. La façon naïve d'imaginer le partage divise. Il est étonnant que le partage divise autant.

Et je demande : si vous adoptez le point de vue de la bonté pour l'autre personne, pas seulement la « personne », mais aussi l'« autre », le partage n'est-il pas différent? Ne revêt-il pas une dimension affective? C'est le mieux que je puisse faire.

D'autres gens, ici, sont beaucoup mieux placés que moi pour s'engager dans cette direction, bien que j'essaie d'orienter les gens en ce sens. C'est le mieux que je puisse faire. Telles sont mes limites.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur.

M. Tully : Je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet de l'importance de la dimension spirituelle de la vie et pour dire que jusqu'à maintenant, dans la discussion, la motivation affective pour agir conformément à ces principes fait défaut. C'est une énorme discussion. Ce sera peut-être pour une autre fois, lorsqu'il n'y aura pas de blizzard à Victoria.

Une façon d'enseigner cela à l'université, c'est l'éthique et ce qu'on appelle les « pratiques du soi ». Il s'agit de s'accorder à un meilleur mode de vivre-ensemble et au type de comportement ou de conduite avec autrui qui fait évoluer la personne dans le bon sens. Ce sont les questions autour desquelles nous pouvons réunir ces principes : « Comment incarner ces principes dans notre philosophie, dans notre conduite? »

C'est là une discussion très courante dans les universités au sujet de ces principes. On parle parfois à ce propos d'éthique de la vertu. Dans les cours autochtones, il y a des choses comme les sept enseignements de la grand-mère ou du grand-père, qui ne sont pas seulement des principes, mais des façons d'être au monde avec d'autres humains, dans un monde qui ne se limite pas à l'humain. Ce sont des façons de se conduire.

On peut parler de cela dans les classes. On peut amener la classe à l'extérieur et se promener ensemble dans une forêt de l'île de Vancouver et demander : « Quelles sont, ici, nos relations entre nous? Quel est notre rapport avec ces écosystèmes? » Ce sont des principes de partage; on observe ces principes dans la nature, on les voit surgir ou être produits dans la coopération entre les étudiants, qu'ils soient autochtones ou descendants des colons. Ces principes prennent vie, si vous voyez ce que je veux dire.

Le rôle le plus important du comité, c'est en quelque sorte d'être exemplaire de cette façon. Il ne s'agit pas simplement d'énoncer une série de principes ex cathedra, mais de trouver aussi des moyens dans les médias, d'encourager le gouvernement, de lancer des appels à l'action aux universités pour qu'elles illustrent ces principes dans leurs cours, dans la façon dont elles sont en lien avec leur milieu, d'où elles tirent leur force. Nous pouvons faire toutes ces choses-là ici et incarner « le changement », un peu dans le sens de Gandhi : nous incarnons ces principes et les gens peuvent voir transparaître cet esprit dans notre façon d'agir ensemble, de parler ensemble et d'être d'accord ou en désaccord. L'esprit de ces principes se retrouve directement dans la salle de classe.

M. Borrows : Lorsque nous étions à Dalhousie, nous avons eu la chance de côtoyer des Micmaques. Ils ont parlé du principe de Netukulimk, qui était important pour nous dans notre réflexion sur le travail dans lequel nous sommes engagés. Pour moi, ce mot évoque un ensemble de relations respectueuses et responsables, avec un lien tant avec les personnes qu'avec la terre.

J'amène des étudiants de cinq universités dans ma réserve, en Ontario. Ils ont la possibilité de marcher avec des aînés et d'être sur le territoire, dans la forêt et sur les eaux et ainsi de vivre eux-mêmes ces principes. Ce n'est pas moi qui les leur inculque. Ils ont l'occasion de côtoyer des gens qui incarnent ces idées dans leur vie.

Depuis maintenant 20 ans, à l'Université de Victoria, nous amenons le tiers des étudiants en droit dans la péninsule de Saanich pour qu'ils séjournent avec les communautés autochtones pendant quatre jours. Ils font du camping, vont en canoë sur l'océan et passent du temps avec les aînés et dans les maisons longues. On leur raconte des histoires et ils chantent autour du feu. Ils ont des échanges intellectuels, mais ils parlent aussi une autre langue qui a un impact sur eux et sur moi-même.

Comme Jim l'a dit, dans la mesure où le comité lui-même peut incarner ces principes, dans la mesure où vous pouvez entendre cette voix en vous... Voilà de quoi je veux parler. C'est ce à quoi mes ancêtres ont convié les Ontariens en leur disant : « Si vous voulez conclure un traité, voici les principes qui guident notre vie : le partage, la bonté, la responsabilité et le respect. » Ce sont les termes employés par les Anishinaabés, mais les Micmaques en ont d'autres. Il serait merveilleux que le comité cerne ces termes.

Bien sûr, les gens doivent vivre leur spiritualité à leur manière, mais s'ils constatent que ces principes font partie d'une relation consacrée par un traité et, à bien des égards, ont leur place dans la genèse de notre pays, ils commenceront peut-être à se dire : « Oui, ce sont les principes qui guident notre jugement. »

Oui, nous croyons dans la paix, l'ordre et le bon gouvernement, la vie, la liberté, la sécurité, l'égalité et l'association. Ce sont autant de grandes valeurs, mais il y a aussi l'amour, la bonté, le respect, l'humilité, l'honnêteté, la sagesse, le courage et l'authenticité. Elles sont tout aussi précieuses pour nous que celles qui ont été consacrées par la Charte en 1982. Ce sont des valeurs de la Charte plus anciennes, mais ce sont les valeurs de ceux qui habitent ce territoire depuis des générations.

Le sénateur Christmas : J'ai été impressionné par les 24 cours que vous donnez gratuitement en ligne pour que chacun en profite. De toute évidence, vous vivez selon ces principes et vous y croyez. J'entends clairement l'invitation que vous lancez au comité pour qu'il les adopte également.

Merci, messieurs. Nous vous sommes vraiment reconnaissants.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup à vous tous.

En vous écoutant parler et en écoutant les questions, je me suis demandé — et je voudrais avoir votre réaction également, madame la présidente — comment nous pourrions incarner cette idée de relation de nation à nation au Sénat comme mode de fonctionnement, puisque nous sommes à la recherche d'une nouvelle façon de fonctionner. Ce pourrait être une excellente manière d'illustrer notre propos et d'atteindre notre objectif.

Mon voisin et moi nous disions qu'il serait extraordinaire d'en discuter. Peut-être pourriez-vous diriger cette discussion, et les témoins pourraient nous aider à faire ce débat, à un moment où nous discutons du renouvellement du Sénat.

La présidente : Cela n'est pas directement lié au sujet de ce soir, mais ce n'en est pas moins une idée intéressante.

Les témoins auraient-ils quelque chose à dire à ce sujet?

M. Borrows : Il y a des exemples de cela dans d'autres assemblées. Les Passamaquoddy ont un rôle officiel à l'Assemblée législative de l'État du Maine. Dans cette assemblée législative, ils sont reconnus de diverses manières.

L'an dernier je me trouvais en Nouvelle-Zélande à ce temps-ci de l'année. Il y avait des choses qui s'y faisaient dans les instances officielles du Parlement et qui consacraient certains aspects de la reconnaissance des Autochtones et de leur procédure.

À l'Assemblée législative du Nunavut, les Inuits utilisent ces principes directeurs pour la convocation de certaines de leurs sessions.

Bien sûr, les universités et d'autres instances font la même chose dans leurs assemblées et les séances de gouvernance. Je crois que c'est une bonne idée.

La présidente : Merci, messieurs. Vous êtes là à patienter pendant que le blizzard souffle dehors, derrière ce grand écran noir que nous pouvons distinguer.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier. Nous sommes très honorés d'avoir pu entendre vos témoignages ce soir.

Je crois que la sénatrice Lovelace Nicholas a une autre question à poser. Mes excuses. Je vous en prie.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Comme vous êtes des universitaires, je vais vous demander si, d'après vous, le gouvernement fédéral se défile en cédant des compétences aux gouvernements provinciaux, étant donné que nous relevons des provinces?

M. Borrows : À bien des égards, ce que j'ai essayé de dire, c'est précisément cela : la compétence des collectivités des Premières Nations, des Métis et des Inuits devrait être reconnue. L'article 88 de la Loi sur les Indiens, par laquelle le gouvernement fédéral cède aux provinces la compétence sur les terres des Indiens, n'est pas sain. Il est destructeur parce qu'il ne permet pas aux gens de prendre leurs propres affaires en main. Cela n'a rien de démocratique. Au Canada, nous estimons que les gens doivent pouvoir dire leur mot dans la gestion de leurs affaires au jour le jour. L'article 88 de la Loi sur les Indiens cède tout aux provinces en disant que les lois d'application générale s'appliquent à nous. Comme je l'ai dit, les provinces ne peuvent même pas se soucier des Indiens lorsqu'elles légifèrent, car cela serait inconstitutionnel, cela outrepasserait leur compétence. Il y a donc là un gros problème.

Je réaffirmerai ce que 25 ans d'expérience m'ont appris : sur le plan des compétences, sur le plan juridique, la meilleure chose que nous puissions faire, c'est créer l'espace voulu pour que les Premières Nations, les Métis et les Inuits puissent assumer cette compétence et recourir à la prépondérance du pouvoir fédéral pour mettre de côté les lois provinciales.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Autrement dit, nous n'avons rien dont nous puissions nous réjouir pendant cette fête des 150 ans. Merci.

La présidente : Merci, madame la sénatrice Lovelace Nicholas. Vous avez toujours une façon merveilleuse de tout ramener sur terre.

Le blizzard qui fait rage à l'extérieur nous dit autre chose. À mes yeux, le blizzard, c'est un recommencement. Nous avons une belle page blanche pour écrire.

Merci encore, messieurs, de votre sagesse, des mots de sagesse que vous avez apportés au comité, de vos magnifiques intuitions dont nous nous inspirerons dans un rapport.

(La séance est levée.)

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