Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 17 - Témoignages du 14 février 2017
OTTAWA, le mardi 14 février 2017
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 3, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux honorables sénatrices et sénateurs ainsi qu'aux membres du public qui assistent à la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit en personne ou sur Internet.
Dans l'intérêt de la réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles des peuples algonquins.
Je m'appelle Lillian Dyck. Je viens de la Saskatchewan et j'ai l'honneur et le plaisir de présider le comité. J'inviterais maintenant mes collègues sénateurs à se présenter, en commençant par le vice-président, à ma droite.
Le sénateur Patterson : Bonjour. Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
La sénatrice Raine : Bonjour. Sénatrice Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, sénateur de l'Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, sénatrice de l'Ontario.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Québec.
La présidente : Aujourd'hui, nous allons continuer notre étude sur la forme que pourraient prendre les nouvelles relations entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada. Nous allons donc poursuivre notre examen des études et des discussions qui ont été faites sur le sujet jusqu'ici.
Aujourd'hui, nous accueillons un expert de l'histoire des peuples métis du Canada : Larry Chartrand, professeur à l'Université d'Ottawa. Monsieur Chartrand, vous avez la parole. Ensuite, le comité aura des questions à vous poser. Nous allons prendre environ une heure pour cela, puis nous allons faire une courte pause avant de reprendre pour une deuxième période de questions.
Larry Chartrand, professeur, Faculté de droit, Section de common law, Université d'Ottawa, à titre personnel : Merci beaucoup. Je tiens aussi à souligner que nous sommes sur un territoire souverain des peuples algonquins.
Je vous suis très reconnaissant de me donner l'occasion de venir vous parler de l'histoire des peuples métis dans le but tout particulier de faire progresser la réconciliation. Je crois que c'est une initiative importante, et je salue le Sénat de l'avoir prise.
Commençons par remonter un peu dans le passé, dans le secteur supérieur des Grands Lacs — la région du lac Supérieur et du lac Huron — autour des années 1850. À l'époque, le Canada n'était pas encore un État du Commonwealth, mais le Haut-Canada avait le dessein de s'étendre vers l'intérieur des terres afin d'y coloniser la région. Il a donc été nécessaire de négocier avec les Autochtones qui s'y trouvaient. Dans le cadre de cette entreprise, le commissaire Robinson a été nommé pour rencontrer certains des chefs des Anishinabes et répondre à leurs questions à propos de la reconnaissance des Métis dans la région.
Les nations métisses — dans ce temps-là, on utilisait surtout le terme half-breed en anglais, ce qui veut dire sang- mêlé — étaient déjà bien établies à l'époque. Elles se distinguaient des Premières Nations de la région par leurs caractéristiques, en particulier le rôle économique qu'elles jouaient dans la traite des fourrures. Cela a contribué à les différencier sur le plan culturel, social et politique. Autant pour les gens de l'époque que pour eux-mêmes, les Métis ne s'identifiaient pas aux nations autochtones de la région.
Lorsqu'on lui a demandé de participer à la négociation des traités, le commissaire Robinson a dû réagir. Malheureusement, les autorités coloniales avaient adopté, avant 1850, une politique de non-reconnaissance collective des Métis. Malgré leur existence en tant que nation distincte sur le plan politique, les autorités coloniales n'étaient pas prêtes à les accepter comme telles dans le cadre de leurs négociations. Du point de vue des autorités coloniales, il n'y avait que deux possibilités : vous étiez soit un Indien, soit un Blanc. Il n'y avait rien entre les deux.
Dans les années 1850, la politique dominante était de civiliser les Indiens. L'objectif était de les assimiler — car ils étaient perçus comme des sauvages à l'époque — afin de les intégrer pleinement dans la civilisation.
Le fait de reconnaître qu'une nation peut-être seulement à moitié civilisée allait complètement à l'encontre de cette politique. Sur le plan conceptuel, voyez-vous, le fait de reconnaître que les Métis formaient un groupe distinct reviendrait à avouer l'échec de la politique coloniale visant à assimiler et à civiliser les Indiens. L'existence avérée de ce groupe d'appartenance, de ce groupe à mi-chemin entre les Indiens et les Blancs, était incompréhensible et incohérente du point de vue des objectifs coloniaux de « progrès ». Du point de vue du Canada, il ne pouvait pas y avoir un intermédiaire entre les sauvages et les gens civilisés.
Selon le raisonnement racial du XIXe siècle, la dilution du sang indien grâce au mariage mixte était censée affaiblir de plus en plus l'identité autochtone, et les demandes des Métis d'être reconnus en tant que groupe distinct et de négocier des traités indépendants allaient complètement à l'encontre de ce but.
La majeure partie de ce que je vais dire est aussi abordée dans un article que j'ai rédigé et qui sera bientôt publié dans un livre. Le titre est Métis Treaties in Canada : Past Realities and Present Promise. J'en ai remis une copie au greffier, Mark Palmer, afin que vous puissiez en prendre connaissance, si vous le souhaitez.
Remontons plus loin dans le passé. Il n'a pas toujours été possible d'appliquer cette politique de non-reconnaissance des nations métisses, comme l'ont révélé les événements de la guerre du Pemmican en 1812 et en 1815. Donc, même si les autorités coloniales avaient une politique de non-reconnaissance, celle-ci n'était pas toujours pleinement mise en œuvre lorsque les Métis étaient en position de force et qu'ils pouvaient résister à ce genre d'approches qui niaient leur identité collective.
Par exemple, en 1812, lord Selkirk a tenté d'établir une colonie dans la région de la rivière Rouge. Les Métis de la région se sont opposés à cet empiétement sur leur territoire. Pour eux, l'établissement d'une colonie venait interférer avec la traite des fourrures sur laquelle reposait leur mode de vie et constituait une ingérence inacceptable dans leur gouvernance indépendante. Ils se sont fermement opposés à l'établissement de la colonie de lord Selkirk. Cela a même mené à des hostilités et à des combats dans la région.
En 1815, les hostilités ont finalement cessé avec la signature d'un traité entre les Métis, les autorités britanniques et la Compagnie de la Baie d'Hudson. Il s'agissait du premier traité distinct conclu avec les Métis, et grâce à ce traité, il était désormais impossible de faire fi de la nation métisse de cette région. Elle était simplement trop puissante pour qu'on l'ignore, et ce, malgré la politique coloniale voulant le contraire.
Malgré tout, l'histoire a oublié cette première étape de 1815 avec les Métis. Ce n'est que plus tard, en 1869, quand le Canada est devenu membre du Commonwealth et a décidé d'étendre son territoire jusqu'à l'océan Pacifique, que les Métis se sont à nouveau opposés à lui, quand le Canada a voulu acheter la Terre de Rupert de la Compagnie de la Baie d'Hudson afin de se rapprocher de son but. À l'époque, les Métis se sont fortement opposés à l'établissement d'un gouvernement canadien dans le Nord-Ouest. On connaît tous l'histoire de la résistance des Métis de la rivière Rouge en 1870.
À nouveau, à cause de la forte présence des Métis dans cette région, il n'a pas été possible de nier leur existence en tant que peuple ayant un pouvoir politique distinct. Le Canada a donc accepté de négocier, et l'Assemblée législative de l'Assiniboine — qui faisait partie du gouvernement provisoire du Manitoba de l'époque — a ratifié un traité englobant la Loi sur le Manitoba. Au moment où l'entente concernant la Loi sur le Manitoba a été déposée devant l'Assemblé législative de l'Assiniboine, celle-ci possédait déjà une bonne expérience pour ce qui est de légiférer.
Donc, après avoir été assurée que c'était dans l'intérêt des Métis de devenir membres de la fédération canadienne en tant que province indépendante, l'Assemblée a ratifié l'entente et a accepté de devenir une province indépendante au sein de la Confédération. C'est un autre exemple de situation où les Métis ont été reconnus en tant que nation, mais encore une fois, cela a seulement été possible parce que les Métis étaient en position de force, obligeant le Canada à les reconnaître comme entité politique indépendante.
Le problème avec la façon dont la Loi sur le Manitoba a été mise en œuvre tient au fait que les certificats des Métis étaient accordés à titre individuel. Comme vous le savez, en vertu de l'article 31 de la Loi sur le Manitoba, 1,4 million d'acres de terres devaient être mises de côté pour les Métis. Il s'agissait d'un élément essentiel de l'entente pour convaincre le gouvernement métis de l'époque d'accepter de faire partie du Canada. Il avait besoin de voir que les terres des Métis allaient être protégées. Cependant, on a mis cette loi en œuvre en accordant à titre individuel les certificats des Métis; c'était essentiellement une façon très pratique pour le gouvernement canadien de continuer à rejeter les pouvoirs collectifs des nations métisses pendant l'expansion vers le nord, l'ouest et le sud de la région de la rivière Rouge, de la région du Manitoba.
Cette façon d'utiliser les certificats des Métis pour attribuer aux Métis des terres à titre individuel a permis au Canada de régler les revendications territoriales des Métis plus loin vers l'ouest sans avoir à reconnaître l'autorité indépendante collective de leurs nations dans les Prairies, par exemple les brigades de chasseurs de bison, entre autres la brigade métisse Trottier. Brenda Macdougall a probablement déjà abordé l'aspect sociopolitique de la société métisse dans les Prairies à cette époque, alors je ne vais pas y revenir.
Malgré de nombreuses requêtes pour s'y opposer, les nations métisses du territoire de la Saskatchewan et dans d'autres régions des Prairies pouvaient seulement adhérer à un traité si elles faisaient partie d'une nation autochtone ou en acceptant un certificat des Métis, essentiellement un moyen rapide de les assimiler.
Ottawa n'a pas réagi aux requêtes du gouvernement métis de la région de Batoche, et les Métis ont à nouveau pris les armes pour défendre leur territoire. Cela a fini par déclencher la guerre de 1885.
Essentiellement, les Métis qui acceptaient un certificat des Métis au-delà de la rivière Rouge, dans la nouvelle province du Manitoba, acceptaient de renoncer à leur titre indien de Métis. Cela ne faisait partie d'aucun traité ni d'aucune entente. Simplement, on les forçait de façon unilatérale à accepter un certificat des Métis. Pour le Canada, l'attribution de certificats des Métis dans tout le Nord-Ouest était une façon de se libérer de toute responsabilité future. Les certificats des Métis enlevaient aux Métis leurs droits, et ils devenaient automatiquement des Blancs. Cette politique ne s'est interrompue que pendant une brève période. Soit vous étiez un Indien, soit vous étiez un Blanc. Les certificats des Métis n'ont pas vraiment changé grand-chose à ce chapitre.
Cependant, ce processus d'attribution des certificats des Métis a été mis en œuvre unilatéralement à l'extérieur de la région du Manitoba en vertu de l'Acte des terres fédérales. En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones ainsi que d'autres universitaires ont mentionné que cette loi était probablement inconstitutionnelle, puisqu'elle allait à l'encontre de la Proclamation royale de 1763, laquelle avait été incluse dans le décret de 1870 sur la terre de Rupert, qui autorisait le Canada à poursuivre son acquisition des territoires de l'Ouest. Aux termes de la Proclamation royale, comme vous le savez, le Canada doit négocier et prendre en considération les intérêts des peuples autochtones dans l'aménagement du territoire. Cela n'a pas été fait avec les Métis. La loi a annulé de façon unilatérale le titre Métis, et les collectivités à l'ouest de la région de la rivière Rouge n'ont pas été reconnues ni n'ont pu prendre part aux négociations.
En conséquence, il reste encore des titres ancestraux métis qui ne sont pas reconnus dans la majeure partie du Nord- Ouest. De fait, il y a une déclaration qui a été déposée pour revendiquer la majeure partie du nord-ouest de la Saskatchewan. Il s'agit de l'affaire Morin. L'argument est que, bien sûr, la tentative d'éteindre de façon unilatérale le titre ancestral métis dans cette région était inconstitutionnelle et qu'il reste donc des titres ancestraux métis non reconnus dans une majeure partie de l'Ouest et que ceux-ci doivent être reconnus.
Puisque le Canada avait la fausse impression qu'il avait réglé la question des revendications des Métis grâce aux certificats, il n'a jamais cru bon d'inclure les Métis dans le processus des revendications particulières ni dans le processus de règlement des revendications globales. Effectivement, jusqu'à dernièrement dans l'affaire Daniels, le Canada avait l'impression de ne plus avoir de responsabilité envers les Métis. Bien sûr, l'affaire Daniels est venue remettre cette idée en question, mais cela ne change pas le fait qu'il y a néanmoins des revendications territoriales métisses non réglées dans l'Ouest. Pour que les Métis obtiennent justice, de nouveaux processus doivent être mis en place afin que les Métis puissent participer au règlement de ces revendications territoriales.
Comme vous le savez, on a empêché — et on empêche encore aujourd'hui — aux Métis de participer aux processus de règlement des revendications particulières et des revendications globales parce que l'histoire des Métis est mal interprétée et qu'il reste des revendications territoriales non réglées.
Pour terminer, je veux souligner le travail de Thomas Isaac, qui recommande dans son rapport soit de permettre aux Métis de participer à l'un ou l'autre des processus de règlement des revendications particulières et des revendications globales, soit d'élaborer une approche distincte, mais similaire pour les Métis afin de régler ces revendications territoriales. Plus que tout, il faut trouver une solution de rechange pour éviter de passer par les tribunaux. Les revendications territoriales des Métis ne sont pas traitées parce que, comme vous le savez, cela exigerait simplement trop d'argent et de ressources. Ce n'est pas une solution pour eux. Ça leur est impossible.
Je vais conclure ici mon bref témoignage. Je sais qu'il s'agit d'une version très condensée de l'histoire des Métis, mais je serai heureux de répondre à toutes les questions du comité.
La présidente : Merci, monsieur Chartrand. Vous avez très bien résumé l'histoire pour nous. Nous allons passer à la période de questions, en commençant par le vice-président, le sénateur Patterson.
Le sénateur Patterson : Merci, monsieur Chartrand. Je vous souhaite la bienvenue à nouveau devant notre comité.
J'ai bien aimé votre petit survol de l'histoire des Métis. Vous nous avez amenés jusqu'aux revendications métisses non réglées dans l'Ouest. Vous avez mentionné l'affaire Morin. Vous avez présenté un argument solide — et je ne le conteste pas — selon lequel ces revendications reposent sur une interprétation erronée de l'histoire des Métis et sur le fait que la Proclamation royale n'a pas été honorée.
Ma première question est très précise. À propos de cette interprétation erronée de l'histoire, de cette approche inconstitutionnelle liée aux certificats des Métis et à l'Acte des terres fédérales — vous avez mentionné l'affaire Daniels —, je voulais savoir si les tribunaux ont reconnu le principe que vous nous avez décrit. Sont-ils d'accord avec l'interprétation historique que vous nous avez présentée très clairement ce matin?
M. Chartrand : Dans les faits, le caractère inconstitutionnel de l'Acte des terres fédérales — l'annulement unilatéral du titre indien des Métis à l'extérieur de la province du Manitoba — n'a jamais été contesté directement devant un tribunal jusqu'ici. L'affaire Morin est probablement la première à être instruite, et elle est encore à l'étape de la déclaration. Aucun tribunal ne s'est penché sur l'affaire jusqu'ici. Ce sera la première fois qu'une instance juridique devra traiter de cette question.
Les revendications des droits ancestraux métis réussissent surtout lorsqu'on fait valoir les droits ancestraux de chasse et de pêche, lesquels peuvent exister indépendamment du titre. Il y a eu certaines réussites de ce côté, puisque ces droits peuvent exister indépendamment du titre, mais les tribunaux n'ont pas eu à se pencher sur la question du caractère inconstitutionnel de l'Acte des terres fédérales. Cette question est toujours en suspens, et elle est très importante si nous voulons déterminer comment nous pouvons régler ces revendications.
Le sénateur Patterson : Merci. J'ai une autre question très précise. Vous avez dit qu'il faudrait élaborer un processus pour que les Métis fassent reconnaître leurs droits fonciers, si je résume correctement la situation. Vous avez mentionné le processus de règlement des revendications particulières et le processus de règlement des revendications globales ou un autre processus de substitution, mais vous avez aussi dit que les coûts sont prohibitifs.
D'après ce que je sais, un revendicateur autochtone peut obtenir un prêt dans le cadre du processus de règlement des revendications globales. Selon vous, est-ce une façon satisfaisante de régler le problème des Métis qui n'ont pas les ressources pour faire valoir leurs droits? Est-ce que cette solution fonctionne?
M. Chartrand : C'est certainement mieux que s'ils n'avaient pas accès à ces prêts et à ces ressources pour mener à bien leurs revendications. Le processus de règlement des revendications globales leur permet de faire cela, et les Métis qui utilisent ce processus pour faire valoir leurs revendications sont avantagés. Il faut qu'ils aient cette possibilité. Jusqu'à présent, le gouvernement fédéral a nié toute responsabilité, sauf dans le cas de l'affaire Daniels. Nous devons donc attendre de voir s'il va réagir à l'affaire Daniels et permettre aux Métis de participer équitablement dans le processus de règlement des revendications globales.
Si on en donne le droit aux Métis, alors je crois que nous pourrons, dans une certaine mesure, amorcer le règlement de ces revendications non réglées, parce que présentement, les collectivités métisses en général ne peuvent pas se permettre de payer les procédures judiciaires si on ne leur accorde pas un soutien financier.
Le sénateur Patterson : Notre étude porte sur les nouvelles relations entre le Canada et les peuples autochtones. Votre témoignage de ce matin concernait presque exclusivement le territoire. Vous avez mentionné la chasse et la pêche, qui sont bien sûr deux questions importantes. Croyez-vous qu'il soit crucial pour les nouvelles relations souhaitées entre le Canada et les peuples Métis que le gouvernement fédéral cherche à régler la question des territoires? Est-ce un problème fondamental qui doit être réglé?
M. Chartrand : Je vous ai peut-être donné l'impression que je mets surtout l'accent sur la question des revendications territoriales métisses non réglées. En réalité, il s'agit plutôt d'un raccourci pour comprendre l'ensemble des revendications métisses quant à la souveraineté, au territoire ou aux pouvoirs de gouvernance, puisque la non- reconnaissance politique des nations métisses était une négation de leurs droits dans tous ces domaines. Il ne s'agit pas seulement du refus de les laisser gouverner leur territoire : c'est également un rejet de leur indépendance et de leur gouvernance.
C'est quelque chose que je veux souligner, parce que je veux que le comité comprenne que je ne mets pas l'accent uniquement sur le territoire : il est question de l'autodétermination globale des peuples métis. C'est là-dessus que je veux insister.
Pour que toute forme de réconciliation soit véritable, il faut aller plus loin que le simple règlement des revendications territoriales. Il faut aller bien au-delà. C'est pourquoi l'idée d'un processus distinct pour les Métis est attrayante, car cela vous permettrait de pousser les choses plus loin, vu qu'actuellement, le processus de règlement des revendications globales est un peu limité à cet égard.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de nous avoir présenté votre exposé. Pendant que je vous écoutais, j'ai reconnu, bien sûr, qu'on appelait les Métis half-breed, en anglais. Soit vous étiez un Blanc, soit vous étiez un Indien. Toutefois, ma question porte sur leur ascendance avant d'être Métis. Ces gens venaient-ils des Premières Nations ou de n'importe quelle collectivité autochtone? Où se sont-ils mariés? Ces Blancs, dans quelle collectivité se sont-ils mariés?
M. Chartrand : Vous posez une question plutôt complexe. Il faudrait des années pour y répondre. Par souci de concision, je dirais que c'est à cause de la traite des fourrures et des voyageurs français qui se sont aventurés à l'intérieur du territoire afin d'y établir des relations commerciales. Le mariage était une façon de nouer des liens entre les marchands et les Premières Nations. Après cela, ils pouvaient négocier et ils devenaient membres de la famille à part entière.
Les enfants issus de ces mariages — et il y en a eu beaucoup — sont devenus les Métis d'aujourd'hui. Leur socialisation ne s'est pas faite au sein de la collectivité de la mère, parce que, la plupart du temps, les marchands de fourrures vivaient à un poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson ou à l'intérieur des terres dans d'autres régions, et ils ne faisaient pas partie de la société européenne. Ils étaient liés au territoire. Cela a donné lieu à la formation d'un peuple très distinct qui a fini par prospérer, en particulier dans les plaines de l'Ouest, puisque la colonisation à grande échelle n'y a pas eu lieu avant la fin des années 1870. Donc, cette nation a été en mesure de prospérer indépendamment, avec sa propre langue, sa propre culture, ses propres systèmes politiques et ses traditions juridiques datant, selon certains, de la fin des années 1700, lorsque la première collectivité métisse autodéclarée a affirmé son indépendance.
Le sénateur Enverga : Je suis curieux, que se passait-il avec les collectivités autochtones d'origine? Faisaient-elles aussi partie des Métis, ou étaient-elles mises à l'écart?
M. Chartrand : La relation entre les collectivités métisses et les collectivités des Premières Nations — les Saulteaux, les Assiniboines, les Cris, en particulier dans les Prairies — était très étroite. À dire vrai, il faut aussi garder à l'esprit le fait qu'il s'agissait d'un peuple semi-nomade, et qu'il leur arrivait de partir ensemble en expédition de chasse. Une bande crie et une bande métisse pouvaient travailler ensemble. Il y a des universitaires qui parleraient de multiculturalisme pour décrire ces expériences ou ces organisations sociales. Il y avait des Métis, des Cris, des Saulteaux et des Assiniboines qui travaillaient ensemble, et, effectivement, certains universitaires ont décrit cette relation en termes plus formels, en parlant d'un pacte ou d'un genre de confédération, en quelque sorte.
Donc, il n'y avait pas d'exclusivité en ce qui concerne qui occupait le territoire. Ils comprenaient qu'ils occupaient le même espace et qu'ils partageaient le territoire, mais ils avaient une compréhension internationale très distincte de leur relation mutuelle. Ils étaient indépendants, mais ils travaillaient ensemble. C'est ce que les universitaires ont conclu, d'après les plus récentes études. Je crois que c'est probablement la façon la plus exacte de voir les choses.
Le sénateur Enverga : Je comprends qu'ils sont devenus des Métis, mais il y a aussi une autre collectivité à laquelle appartient la moitié de leur sang et de leur âme. Cela est-il déjà arrivé que les Métis désirent revenir à leurs sources? Cela est-il arrivé à un moment donné? Pourquoi y a-t-il eu ce genre de résistance? Y a-t-il eu une opposition à ce retour aux sources, à ce retour aux Premières Nations d'origine?
M. Chartrand : Pour répondre à cette question, il faudrait prendre les Métis de façon unidimensionnelle. Les Métis avaient aussi du sang européen, et cela faisait également partie, de façon importante, de leurs racines. La culture des Métis est une réflexion de cela : une combinaison des institutions européennes et autochtones. Dans certains cas, les Métis, pour ce qui est de la gouvernance, montraient davantage leurs racines européennes; d'autres fois, lorsqu'il était question de droit privé, ils s'appuyaient sur des traditions juridiques autochtones, assiniboines ou ojibways pour régler les différends. Donc, c'est un mélange des deux, mais ils demeurent indépendants et distincts.
Si vous êtes un Métis, vous êtes un Métis et rien d'autre. Il n'y a pas de racines autochtones ni européennes. Vous êtes un Métis, et voilà votre identité. Vous êtes né Métis, votre grand-père était Métis, votre arrière-grand-père était Métis, votre arrière-arrière-grand-père était Métis, et c'est là que la lignée s'arrête. C'était une nouvelle nation, et c'est ainsi qu'elle est née.
Le sénateur Enverga : Qu'arrive-t-il si une personne métisse dit : « Je veux aller faire partie d'un groupe ou d'un autre? » Ce genre de chose est-il déjà arrivé?
M. Chartrand : C'est arrivé souvent. J'ai des parents au lac Cold qui sont membres des Premières Nations. Il y a eu beaucoup de personnes dans l'histoire qui sont passées des collectivités métisses aux collectivités des Premières Nations, et vice-versa. Les frontières identitaires entre eux étaient très poreuses. Beaucoup de personnes passaient d'un groupe à un autre, mais les distinctions essentielles étaient toujours là, et ils négociaient ensemble, de nation à nation, et les collectivités travaillaient souvent ensemble à cause de cette relation étroite.
Le sénateur Sinclair : Je m'excuse de mon retard. Je devais assister aux travaux d'un autre comité sénatorial, mais quand j'ai appris que vous étiez ici, il fallait absolument que je vienne vous poser une question, parce que je sais que vous allez pouvoir y répondre. C'est une question que j'ai posée à l'un des témoins de la semaine dernière. Elle concerne également une partie de votre exposé d'aujourd'hui, d'après ce que j'en sais. Si on jette un coup d'œil rapide à votre exposé, il semble que vous avez insisté sur un sujet dont j'ai parlé plusieurs fois dans le passé et dont je veux maintenant traiter. C'est à propos des biens fonciers par rapport au droit de régie des terres.
La semaine dernière, nous avons reçu un autre témoin, et je lui ai demandé pourquoi on ne commençait pas à voir le titre indien comme étant le droit de gouverner le territoire, au lieu d'être simplement un droit de propriété du territoire. J'ai utilisé l'exemple de la Ville de Toronto, dont le territoire s'étend sur 7 000 kilomètres carrés, mais qui, dans les faits, en possède très peu.
Donc, ma question est la suivante : lorsque notre comité commencera à débattre de la façon dont les relations doivent évoluer dans l'avenir, à la lumière de la nature des décisions prises par les tribunaux au cours des dernières années à propos des Métis et de la reconnaissance de leurs droits en tant que peuple autochtone, devrait-on étudier la question des droits fonciers des Métis en insistant sur la gouvernance ou sur la propriété?
M. Chartrand : Merci beaucoup, sénateur Sinclair. Oui, absolument. À dire vrai, c'est de cette façon que j'envisage la relation avec le territoire : c'est le pouvoir de le gouverner. C'est le genre de pouvoir qui existait pendant la colonisation européenne. Le fait que nous devons utiliser tout ce vocabulaire lié aux titres révèle véritablement que cette interprétation juridique de la relation avec le territoire nous a été imposée. C'est une interprétation en common law qui refuse à ce peuple son statut de nation, parce qu'il n'est pas obligatoire de reconnaître le statut de nation pour reconnaître un titre foncier.
À vrai dire, c'est pourquoi la Cour suprême du Canada a fait ce commentaire dans l'affaire Tsilhqot'in. Elle a dit qu'il n'y a jamais eu de terra nullius en Amérique du Nord. Ce qu'elle veut dire, c'est que les peuples autochtones ont ce droit en common law, défini par le pouvoir colonial, d'occuper le territoire. Cependant, cela est très éloigné de l'interprétation originale de la relation avec la territoire, c'est-à-dire une relation de gouvernance du territoire.
Dans la tradition juridique autochtone, les peuples déterminaient entre eux comment le territoire allait être réparti. Les Premières Nations avaient une façon très particulière de définir la façon dont cela allait se faire. Entre eux, les Métis ont une façon très distincte de répartir le territoire, et c'est quelque chose dont on a fait fi dans l'affaire Manitoba Métis Federation. Le tribunal n'a pas pris en considération le fait que même si les Métis gouvernent leur territoire collectivement, ils reconnaissaient tout de même les titres individuels à l'intérieur de leur groupe; ils ont hérité cette façon de faire des Européens. Le système seigneurial français de biens fonciers faisait partie de la culture métisse. Donc, ils avaient de propriétés individuelles, mais ils avaient également des propriétés collectives au-delà du bien foncier individuel, inscrit dans le système seigneurial.
Lorsque la Cour suprême du Canada a dû se pencher sur la question dans l'affaire Manitoba Métis Federation, elle n'a pris en considération que les biens fonciers individuels. Elle a fait fi du contexte plus large et a conclu que les Métis n'avaient pas droit au titre ancestral. Selon elle, les Métis n'ont que des titres individuels.
Je suis complètement en faveur de la réconciliation, et cela veut dire qu'il faut outrepasser notre interprétation des titres ou notre interprétation limitée de la common law en ce qui concerne la relation d'une personne autochtone avec le territoire. Il faut que le pouvoir de la gouverner fasse partie de notre interprétation de la relation avec le territoire. Si nous voulons vraiment réussir la réconciliation, alors c'est ce que nous devons faire. Nous devons oublier ce titre en common law qui ne mène à rien.
Le sénateur Sinclair : Relativement aux affaires judiciaires en cours que vous avez mentionnées, le gouvernement du Canada a annoncé, la semaine dernière, que le Programme de contestation judiciaire allait recevoir à nouveau des fonds et qu'il allait être relancé. En lisant l'annonce, j'ai remarqué que les revendications liées à des affaires juridiques autochtones n'allaient pas être couvertes dans le cadre du Programme. Êtes-vous préoccupé par cela?
M. Chartrand : Oui. À dire vrai, cela m'a beaucoup déçu. En tant que membre de l'Association du Barreau autochtone, je siège au comité du Programme de contestation judiciaire. Quand nous nous sommes réunis pour discuter du relancement du Programme, j'ai fortement recommandé — de fait, beaucoup de membres du comité ont fait de même — d'ajouter au Programme de contestation judiciaire une interprétation de l'égalité axée sur le concept de nation. Il faut prendre les questions d'égalité dans leur sens élargi, c'est à dire en insistant non pas sur l'égalité individuelle, mais sur l'égalité collective. Notre position est qu'il serait logique d'ajouter ce type de revendications dans le mandat du Programme de contestation judiciaire.
Quand j'ai vu l'annonce, j'étais loin d'être content, c'est le moins qu'on puisse dire. Cela m'a même énervé, parce qu'une autre option venait d'être écartée. Comme vous le savez, ces procédures coûtent très cher. J'ai donc été très déçu de cela. J'espère que les gens du Programme de contestation judiciaire nous regardent.
Le sénateur Sinclair : Je vais avoir d'autres questions au deuxième tour.
La présidente : J'ai aussi une question complémentaire à poser. Admettons que le gouvernement actuel décide qu'il ne veut pas régler ces affaires autochtones devant les tribunaux, et admettons que le Programme de contestation judiciaire ne va pas financer les revendications territoriales autochtones, quelles options, selon vous, reste-t-il aux Métis, aux Premières Nations et aux Inuits s'il leur est impossible d'aller devant les tribunaux? Lorsqu'il semble que les décisions sont prises, la plupart du temps, en suivant une politique ou une loi qui est inconstitutionnelle, selon certains, quelles autres options reste-t-il? Aux fins de la réconciliation, comment peut-on régler ces revendications?
M. Chartrand : Je suis en faveur des recommandations avancées par la Commission de vérité et de réconciliation. Elles visent un contexte élargi. Elles s'appuient sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. C'est une idée importante de vouloir une nouvelle proclamation afin d'amorcer un nouveau processus sur l'égalité.
Aux fins de la réconciliation, tout est possible, sauf ce qui menace la souveraineté et l'intégrité territoriale du Canada. Cependant, tout le reste est sur la table, et il faut que ce soit le cas si nous voulons réussir la réconciliation. Il serait donc important de mettre en œuvre une sorte de processus qui examine ou qui essaie de régler les traités non réglés.
Dans le passé, la reine Anne avait déjà fait cela, il y a très longtemps. Son règne a été très court, mais elle a quand même mis sur pied un comité afin de régler les différends entre les Autochtones et les Britanniques au sujet des revendications. Ce comité était formé à parts égales de membres autochtones et britanniques.
Depuis, il n'y a rien eu de tel. Nous n'avons plus ce genre d'organisation. Nous avons des tribunaux, qui sont des institutions imposées unilatéralement. Nous n'avons pas de commission où il y a une représentation égale afin de traiter de ces problèmes en suspens. Je crois que quelque chose de ce genre serait une bonne chose si nous voulons nous pencher sur de plus grandes questions.
La sénatrice McPhedran : Madame la présidente, vous avez posé une partie de ma question. C'est très bien, je vais pouvoir poursuivre.
Bienvenue, monsieur Chartrand. C'est un plaisir de vous voir ici. Comme vous le savez, je suis l'une des nouveaux sénateurs indépendants du Manitoba, et il y a des commentaires que vous avez faits ici qui sont très pertinents. Je sais que vous avez fait d'importantes contributions pendant que vous étiez au Manitoba. Je suis sûre que vous continuez, et cela ressort évidemment de vos commentaires, d'avoir une grande influence sur la façon dont ces questions sont traitées au Manitoba.
J'aimerais poursuivre le sujet qui a été abordé dans les trois questions précédentes, en partie parce que je compte parmi les millions de Canadiens qui ont été très déçus lorsque le gouvernement actuel est revenu sur sa promesse de réformer le système électoral. Je voulais savoir si vous aviez réfléchi à l'idée d'importer une réforme électorale, par exemple, en suivant certains modèles de représentation proportionnelle. Celui de la Nouvelle-Zélande me vient à l'esprit, mais il y en a d'autres. Pouvez-vous nous faire part de vos idées ou de vos recommandations à ce sujet?
M. Chartrand : Oui, j'y ai réfléchi, en particulier quand je donnais mon cours sur la politique autochtone à l'Université de Winnipeg. À vrai dire, un des sujets dont nous avons discuté portait sur la forme que devrait prendre la réforme électorale et comment les peuples autochtones pourraient être mieux représentés dans le gouvernement en général.
Je crois que le Canada devrait vraiment songer à prendre comme exemple le modèle en vigueur en Nouvelle- Zélande. Là-bas, il y a des circonscriptions autochtones ainsi que des sièges réservés à leur intention au parlement. Ce sont les collectivités autochtones elles-mêmes qui vont élire les personnes qui vont remporter ces sièges. Cela ne veut pas dire qu'elles sont obligées d'élire seulement un représentant autochtone; elles peuvent également renoncer à ce droit et voter dans les élections générales. Cependant, selon moi, cela garantit que les peuples autochtones auront une voix au parlement. Ainsi, d'une certaine façon, on reconnaît que les peuples autochtones sont un troisième ordre de gouvernement et ont droit à une voix. Actuellement, il n'y a aucun parlement autochtone ni sénat autochtone en tant que troisième entité gouvernementale au Canada. Donc, c'est une option qui est réalisable et qui pourrait être mise en œuvre.
Cela fait un moment que je n'y avais pas réfléchi, alors je ne peux pas en dire plus.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. J'espère que vous allez continuer d'y réfléchir. Certains d'entre nous sont de fervents partisans de la réforme électorale, et nous croyons que cela pourrait engendrer une démocratie plus inclusive, plus représentative. Nous allons devoir continuer de collaborer là-dessus.
Le sénateur Watt : Bonjour. Ces affaires non réglées que vous avez mentionnées ne datent pas d'hier. Nous nous connaissons depuis un certain nombre d'années, et je crois fermement que la Cour suprême du Canada reconnaît de plus en plus votre peuple, même si ça ne fait pas longtemps. Je crois que l'on peut attribuer cela à Harry Daniels.
Le fait est que la Constitution vous reconnaît. C'est toujours le cas — le même principe s'applique aux Premières Nations et aux Inuits —, et jusqu'à maintenant, sauf en ce qui concerne la décision qui a été rendue, il n'y a pas vraiment eu d'initiative ni de volonté, d'après ce que j'en sais, de la part du gouvernement afin d'amorcer des discussions pour clarifier ces différences afin d'en arriver à une revendication globale. Croyez-vous que cela s'applique toujours aujourd'hui?
M. Chartrand : Je crois, en partie, qu'on a peut-être fait un peu de chemin dans la bonne direction afin de régler cela. Comme vous le savez, des protocoles d'entente ont été conclus entre le Canada et la Manitoba Métis Federation, la Métis Nation of Ontario et la Métis Nation of Alberta. Ces protocoles d'entente ont été conclus à des fins exploratoires, c'est-à-dire qu'ils visent à concevoir un processus pour régler ces revendications. On dirait qu'il y a beaucoup d'efforts déployés afin de réfléchir à la façon dont ces discussions exploratoires pourront régler les revendications métisses. D'après ce que j'en sais, il devrait y avoir un rapport produit en septembre de cette année, mais c'est difficile de prévoir ce qui va en ressortir. Ce qui me préoccupe, toutefois, c'est que certains exercent une pression pour maintenir le statu quo.
L'une des choses qui me préoccupent le plus dans le rapport de M. Isaac est le fait qu'il n'y a aucune mention de la Déclaration des Nations Unies, ou plutôt, elle est mentionnée, puis rejetée. Selon le rapport, elle n'est pas pertinente, et j'ai trouvé que c'était un problème grave avec le rapport. Nous devons suivre un programme qui s'appuie sur la Déclaration des Nations Unies et non sur la doctrine dominante qui veut maintenir le statu quo pour les droits autochtones. Les droits qui y sont établis sont beaucoup plus limités que ceux dans la Déclaration des Nations Unies. Donc, c'est ce qui me préoccupe, et il n'y a non plus aucune mention de la Déclaration des Nations Unies dans les protocoles d'entente. J'espère que les parties vont prendre cela en considération. J'espère qu'elles n'ont pas le sentiment de devoir se contenter du minimum à cause de la façon dont les négociations ont été menées jusqu'ici avec les Autochtones. Il semble que ce soit... Non, je ne devrais pas m'aventurer trop sur le sujet de la politique métisse.
Le sénateur Sinclair : Je comprends.
Le sénateur Watt : Donc, que recommandez-vous, vu cette incertitude qui plane sur les Métis? Si j'ai bien compris la dernière décision rendue par la Cour suprême du Canada, les Métis ont obtenu une certaine reconnaissance, dans la mesure où ils peuvent accéder à des programmes à peu près comme le peuvent les Premières Nations. Même dans ce domaine où rien ne semble vraiment bouger — si je ne me trompe pas —, que recommandez-vous que notre comité fasse pour sensibiliser la société, disons, ou le gouvernement?
M. Chartrand : La reconnaissance des Métis à l'article 35 de la Constitution, grâce aux efforts de Harry Daniels, est très importante, puisque cela veut dire que les Métis sont un peu plus reconnus dans la Constitution canadienne, ce qui va à l'encontre de la politique du Canada qui était, jusqu'alors, de nier les droits des collectivités métisses. Une grande étape a été franchie.
Puis, bien sûr, les tribunaux ont reconnu, dans l'affaire Powley, que les Métis pouvaient exercer leurs droits ancestraux en tant que peuple distinct. Dans cette affaire, le tribunal a reconnu que les Métis de la région de Sault Ste. Marie avaient le droit ancestral de chasser. Il y a aussi eu quelques autres causes gagnées devant les tribunaux grâce à la décision Powley, par exemple les décisions Goodon et Laviolette. On a reconnu le droit d'accès aux ressources des collectivités métisses de la région.
C'est bien, mais ça ne règle pas certaines des questions en suspens, soit celles de la relation avec le territoire et du pouvoir de gouvernance. Ces questions sont encore en suspens et ne peuvent être réglées par l'entremise des tribunaux sans grandes difficultés ou dépenses.
Je recommande donc de mettre en place un processus comme celui des revendications globales, dont la portée est étendue, pour régler non seulement la question des droits aux ressources et au territoire des Métis, mais aussi celle du droit des Métis d'exercer leur pouvoir de gouvernance. Il existe une longue tradition de Métis exerçant leur pouvoir de gouvernance.
Depuis toujours, la relation entre le Canada et les Métis est très mauvaise. C'est pourquoi Louis Riel a fait la guerre en 1885, et la situation s'est plus ou moins détériorée depuis. Ce type d'approche globale est préférable.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Je vous remercie des renseignements que vous avez fournis, particulièrement ceux qui touchaient l'histoire. Comme vous le savez, nous avons réalisé une étude sur l'identité des Métis il y a quelques années, et, chose certaine, c'est une question très complexe.
J'aimerais que vous me donniez un peu plus de renseignements, si vous en avez. À une époque lointaine, lorsque les Métis avaient des collectivités, si vous le voulez, dans les Prairies, quel était leur mode de gouvernance? Était-il fondé sur un établissement où ils habitaient en permanence? Quel était le mode de gouvernance dans une collectivité semi- nomade?
M. Chartrand : Merci de poser la question. J'ai fait beaucoup de recherche dans ce domaine, pour donner suite à de nombreux travaux réalisés par Brenda McDougall, Nicole St-Onge et Robert Innes. Je m'appuie plus particulièrement sur des collaborations antérieures avec des Aînés métis. Durant la conférence des Aînés métis, cette question a aussi été abordée.
La gouvernance est dynamique, mobile et multidimensionnelle. Tout commence au sein de la famille, puis s'étend dans la collectivité et dans la nation tout entière. Le pouvoir est fonctionnel. Il émane de la famille, qui jouit d'une indépendance considérable.
Elle peut s'étendre à l'échelon de la collectivité, et quand je dis collectivité, je ne parle pas d'un emplacement immobile comme un village installé à un endroit précis. Je parle d'une collectivité mobile, dans de nombreux sens, qui voyageait à l'échelle des Prairies, qui ne restait pas nécessairement longtemps dans un lieu, mais qui comptait sur l'appui d'institutions de gouvernance. Ces collectivités régionales qui se déplaçaient travaillaient aussi avec la nation tout entière, au besoin, au moyen de processus de gouvernance, particulièrement lorsque la nation tout entière était menacée.
Ces collectivités et leurs membres travaillaient ensemble à l'échelle de la nation. C'est ce qui s'est passé en 1869, puis en 1885. Dans un sens, cela reflète en quelque sorte l'organisation politique des Métis aujourd'hui, à l'échelle provinciale, mais aussi à l'échelle locale, de la famille jusqu'au Ralliement national des Métis. La gouvernance est donc multidimensionnelle, mais elle est enracinée dans la famille et les réseaux sociaux avec les autres familles.
C'est un peu de cette façon que nous devons comprendre les collectivités métisses. Le fait de dire que les droits appartiennent à un village installé à un endroit précis n'est pas approprié. C'est beaucoup plus nuancé que cela, et, malheureusement, les tribunaux sont restés obnubilés par ce critère de village installé à un endroit précis et ont en quelque sorte fait fi de la nature inhérente des traditions de gouvernance des Métis. Nous devons critiquer la façon dont les tribunaux ont appliqué ce critère jusqu'à maintenant à cet égard.
La sénatrice Raine : Revenons-en à la terre et à la période où, dans l'histoire, les colons sont venus ici et se sont emparés de terres que les Métis considéraient vraisemblablement comme les leurs; ils avaient leur propre compréhension du mode de propriété des terres, celui utilisé en Europe. Je pense que nous pouvons tous reconnaître que lorsqu'on décide de construire une ferme et qu'on investit toute notre énergie et notre travail dans un seul lopin de terre, on considère alors la propriété d'une manière différente, et cette manière a été reconnue par le gouvernement colonial de l'époque. Donc, il y a eu une évolution vers un titre de propriété en fief simple.
À l'époque, les Métis ont-ils eu la possibilité, s'ils le voulaient, de s'approprier des propriétés familiales, comme l'ont fait les colons? Je ne parle pas de certificats des Métis. Je parle de ceux qui auraient pu souhaiter devenir agriculteurs. Avec le recul, il semble évident que ce n'est pas ce qu'ils voulaient, mais ont-ils eu la possibilité de le faire?
M. Chartrand : Une grande partie des travaux de Paul Chartrand portent sur les coutumes originales de propriété des terres des Métis et sur la façon dont elles ont évolué. Les Métis ont une culture assez mixte à cet égard, parce qu'ils accordent depuis toujours de la valeur au concept de propriété individuelle des terres ainsi qu'au système de division des terres en lots riverains étroits, qu'ils préféraient au système anglais de division en lots carrés.
Les Métis avaient des lots riverains très étroits qui mesuraient deux milles de largeur, mais le reste de la terre à l'arrière était une terre communautaire détenue par la collectivité. Les lots riverains étroits étaient des propriétés indépendantes et individuelles, et il s'agissait de la façon de faire de la collectivité métisse quant à la gestion interne des terres.
Ils reconnaissaient donc deux types de propriété : la propriété individuelle et la propriété collective, toutes les deux sous l'égide de la gouvernance de la nation métisse dans son ensemble.
Avant que les Métis se joignent à la Confédération, l'Assemblée législative des Assiniboines a promulgué une loi — ou a proposé une loi; je ne pense pas qu'elle soit réellement entrée en vigueur — visant à convertir la propriété individuelle de lots riverains, suivant la coutume des Métis, en terres détenues en fief simple. Ils étaient en fait sur le point de le faire, mais ils se sont alors joints au Canada en vertu de la Loi sur le Manitoba.
La sénatrice Raine : Qu'est-il advenu ensuite de la possibilité de conversion en terres détenues en fief simple après la Confédération?
M. Chartrand : Sous le régime de la Confédération, il y avait deux dispositions dans la Loi sur le Manitoba. Une visait ceux qui possédaient déjà leurs parcelles et leur permettait de les convertir terres détenues en fief simple. L'administration de ce processus de conversion posait toutefois problème, et les difficultés connexes ont perduré. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles l'affaire Manitoba Metis Federation a été portée devant les tribunaux en premier lieu.
Puis, les autres terres correspondaient aux 1,4 million d'acres de terrain mises de côté pour les enfants afin de leur permettre d'acquérir des droits sur les terres à l'avenir. Mais nous savons que ce n'est pas ce qui s'est passé en raison de la mauvaise gestion du processus des certificats de Métis par les autorités fédérales, et cela a donné lieu à l'affaire Manitoba Metis Federation.
La sénatrice Raine : Je me demande ce qui s'est passé durant cette période, plus à l'ouest, lorsque les Métis ont migré dans cette région. Ont-ils eu la possibilité de s'approprier les terres lorsqu'ils sont allés à l'ouest, ou est-ce que cela se limitait seulement à la vallée de la rivière Rouge?
M. Chartrand : Non. Au fil de la transition d'une économie axée sur la traite des fourrures et la chasse aux bisons vers une économie davantage axée sur l'agriculture, les groupes de chasse de Métis, par exemple, ont commencé à s'établir dans des collectivités plus permanentes. Il y a donc Batoche à St. Lawrence, Willow Bunch, et toutes ces autres collectivités métisses qui ont commencé à former des établissements plus permanents, et les Métis au sein de ces établissements faisaient l'acquisition de terres, soit selon la coutume métisse, soit par l'entremise du processus de certificats de Métis qui leur étaient imposés.
Les Métis ont aussi eu la possibilité de simplement s'installer sur des propriétés familiales, comme le prévoyaient les dispositions de la Homestead Act. En fait, mon grand-père s'est installé sur une propriété familiale à Pierceland, en Saskatchewan, lorsqu'il était jeune, puis il est parti de Willow Bunch dans les années 1930. Mais c'était un trappeur et il chassait dans ce qui est devenu le polygone de tir aérien de Primrose Lake. Il a donc perdu son territoire de piégeage et, bien sûr, il a perdu sa terre parce qu'il ne pouvait pas payer les taxes.
La sénatrice Raine : Ça se passait encore dans les Prairies?
M. Chartrand : Oui.
La sénatrice Raine : Alors que s'est-il passé en Colombie-Britannique?
M. Chartrand : Je ne suis pas certain de ce qui s'est passé en Colombie-Britannique. Il n'y a jamais eu de certificat de Métis là-bas, donc les actifs des Métis étaient probablement fondés sur la coutume de la région. Quant à la question de savoir s'ils ont été reconnus par les autorités coloniales ou non, c'est un processus compliqué dans son ensemble.
La sénatrice Raine : Oui. Et bien sûr, le fait qu'il n'y avait aucun traité pour la plus grande partie de la Colombie- Britannique est une tout autre question.
Ce qui intéresse le comité, je pense, c'est de regarder vers l'avenir. Vous avez dit quelque chose que j'aimerais vous entendre approfondir. Essentiellement, vous avez dit que le droit foncier en vigueur dans le Commonwealth devrait être éliminé. L'ensemble de notre pays, après l'arrivée des Européens, a mis en place un régime d'enregistrement des titres fonciers qui est enchâssé dans le droit. Ce système existe, donc nous essayons maintenant de déterminer de quelle façon procéder. Mais vous dites que tout devrait être pris en compte, y compris le titre en fief simple privé. Pourriez- vous nous en dire davantage à ce sujet? Cela va faire en sorte qu'il sera très difficile de progresser.
M. Chartrand : Oui, je sais. Je pense que le problème tient au fait que le régime en fief simple a été imposé dans les Prairies — je pense aux Prairies en particulier — et le certificat de Métis s'inscrit en quelque sorte dans ce régime.
Si les Métis avaient eu la possibilité de négocier des traités au lieu de subir une extinction unilatérale de leurs droits et un processus de certificats de Métis, le territoire sur lequel ils avaient autorité aurait pu être régi selon les coutumes traditionnelles des Métis, et leur relation avec le territoire et leur mode de propriété des terres. Cela ne s'est pas produit.
Je ne sais pas si nous pourrions dire, tout à coup : « cette collectivité de Métis dans cette région a une revendication non réglée, donc toutes les terres détenues en fief simple qui existent ne sont maintenant plus légitimes ni valides ». Bien sûr, nous devons réfléchir aux conséquences de cette éventualité pour que la solution soit satisfaisante pour toutes les parties.
Parfois, on verse une indemnité en remplacement de l'autorité territoriale; parfois, l'indemnité prend la forme d'allocation de terres à l'extérieur de zones privées détenues en fief simple pour régler les revendications. C'est une question de négociation.
Nous ne pouvons pas revenir en arrière et dire que la colonisation n'a jamais eu lieu, et il y a des gens qui résident sur des terres privées dans les Prairies, mais nous pouvons faire autre chose qui respecterait tout de même ces actifs privés tout en dédommageant adéquatement les Métis et en reconnaissant leur gouvernance et leur autorité accrues dans une situation où ils pourraient avoir certaines parcelles de terre, mais où une bonne partie relève tout de même de l'autorité et du droit provinciaux ou canadiens.
Le sénateur Enverga : J'aimerais revenir sur mes questions au sujet des Métis dans leur ensemble.
D'abord, vous avez mentionné plus tôt qu'il y a eu une époque où les Métis sont réellement remontés jusqu'aux racines de leurs parents, soit les Autochtones ou peut-être les colons européens. L'existence des Métis tient justement à une mixité raciale, selon la note que j'ai ici. Y a-t-il une chance que des gens venant d'autres Premières Nations ayant épousé des Européens au même moment — il y a en a beaucoup, je présume — aient déjà pensé se joindre à une tribu métisse? Y a-t-il un moyen de les accepter de votre côté? Dans une perspective historique, est-ce déjà arrivé auparavant?
M. Chartrand : Oui. Cela a déjà eu lieu, puisque les communautés métisses existent depuis longtemps et que, en même temps, la Loi sur les Indiens a commencé à restreindre les critères liés au statut d'Indien. Si une femme des Premières Nations épousait un homme non autochtone, eux et leurs enfants perdaient leur statut. Bien souvent, ils finissaient par être rejetés par leur collectivité des Premières Nations. Souvent, nombre d'entre eux voulaient se joindre à une collectivité métisse, en faire partie ou y appartenir.
Essentiellement, ce sont des Indiens non inscrits, mais ils se joignent à une collectivité métisse. Comme les Métis et les Premières Nations vivent souvent à proximité les uns des autres, il y a eu des mariages interraciaux. Beaucoup d'Autochtones se sont joints à une collectivité métisse à cause de la privation des droits découlant de la Loi sur les Indiens. L'inverse s'est produit en raison du projet de loi C-31.
C'est déjà arrivé. Cela tient tout simplement au fait que les Métis forment une communauté inclusive, qu'ils reconnaissent que ces relations font partie de leur identité et, de cette manière, qu'ils intègrent de nouveaux membres. Ça arrive, mais c'était un peu une conséquence du colonialisme, dans un certain sens, étant donné la façon dont la Loi sur les Indiens a été mise en œuvre.
Le sénateur Enverga : Si je pose la question, c'est pour la raison suivante : diriez-vous que les traités conclus avec les Métis sont meilleurs que ceux conclus avec les Premières Nations et que cela tient à leurs origines différentes, d'une certaine manière?
M. Chartrand : Non, je ne pense pas que les traités que les Métis ont signés avec la Couronne sont meilleurs que ceux qu'ont signés les Premières Nations. Je dirais tout simplement qu'ils devraient être équivalents, c'est-à-dire qu'il faudrait que les Métis et les Premières Nations soient traités de manière équitable. Le résultat réel et concret dépend des négociations entre les parties. Les traités varient, puisqu'ils reflètent le résultat de ces négociations, mais le processus devrait être équitable. Les Métis devraient pouvoir s'asseoir à la table et négocier un traité, mais cela leur a longtemps été interdit; il a fallu utiliser la force.
Le sénateur Enverga : Avez-vous établi des comparaisons?
M. Chartrand : Étant donné que la politique consistait à nier l'existence de collectivités métisses, il n'y a pas beaucoup de traités avec les Métis dans notre histoire. Il y a deux ou trois exemples. Il y a le Traité no 3, auquel les Métis ont adhéré, par exemple, à Angle Nord-Ouest. Le gouvernement du Canada considère que ce traité avec la communauté métisse est une anomalie, mais cela montre qu'elle a été capable de s'affirmer comme étant indépendante des Premières Nations, malgré leurs liens de parenté. La communauté a négocié son inclusion dans le Traité no 3 selon les mêmes modalités, ce qui en fait que c'est un traité conclu avec les Métis.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, des traités modernes ont été signés avec les Métis. L'Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu est un traité avec les Métis. C'est un traité moderne. C'est également un traité avec les Dénés du Sahtu. Mais c'est un traité mixte. Les Dénés du Sahtu et les Métis sont parties au même traité.
Des négociations sont en cours actuellement, dans les Territoires du Nord-Ouest, avec les Métis de la région de South Slave; elles en sont à l'étape de l'entente de principe. Ce traité concerne uniquement les Métis des Territoires du Nord-Ouest.
Il existe des modèles, et ceux dont je parle ressemblent beaucoup aux traités déjà conclus avec les Premières Nations, tant les traités historiques que les traités modernes.
Cependant, le Canada a écarté toute possibilité de conclure des traités au sud du 60e parallèle, au sud des Territoires du Nord-Ouest, parce qu'il avait toujours nié l'existence des Métis et qu'il considérait que le processus des certificats avait éliminé toute responsabilité ultérieure de la part du Canada.
Le sénateur Enverga : Si vous considérez qu'un de ces traités est une anomalie, diriez-vous que c'est parce qu'il est meilleur que les autres ou qu'il est trop beau pour être vrai? Pourquoi s'agit-il d'une anomalie? J'aimerais que vous donniez un peu plus d'explications, s'il vous plaît.
M. Chartrand : C'est parce que la politique du gouvernement fédéral consistait à ne pas conclure de traités avec les Métis, malgré les nombreuses requêtes présentées par les Métis du Canada. La politique a toujours été rigoureusement appliquée. Un traité n'était signé avec les Métis que dans des circonstances tout à fait uniques, si les Métis n'acceptaient rien d'autre qu'un traité, comme cela s'est passé à la rivière Rouge en 1869 et à la rivière à la Pluie... Les Métis sont devenus partie au Traité no 3 en 1875. Des circonstances comme celles-là sont uniques. Les Métis ont dit : « Bon, nous aimerions bien signer un traité. » Le fonctionnaire responsable de la région a donné son accord, et le traité a été conclu. Mais, quand Ottawa a eu vent de cette signature, il a été très contrarié et, depuis ce temps, il fait tout pour que le traité ne soit pas mis en œuvre. Il reste donc des obligations prévues dans ce traité qui ne sont toujours pas respectées, mais les Métis ne peuvent pas se présenter devant le Tribunal des revendications particulières, justement parce qu'ils sont des Métis.
Le sénateur Sinclair : C'est un sujet fascinant, et j'espère que nous pourrons continuer d'en discuter à une autre occasion parce que j'ai d'innombrables questions à vous poser, monsieur, et j'aimerais que vos réponses figurent au compte rendu.
Permettez-moi d'en poser une. Il y a environ 30 minutes, la Cour supérieure de l'Ontario a déclaré que le Canada était juridiquement responsable à l'égard des enfants qui avaient été pris dans la rafle des années 1960. Et cela concerne uniquement l'Ontario. J'imagine qu'un certain nombre de ces enfants étaient métis, et j'imagine que cela veut dire que le Canada doit maintenant les dédommager de la perte de leur identité, de leur culture et de leur langue.
Vous pourriez peut-être aider le Canada en nous aidant à comprendre : comment pensez-vous que le Canada devrait agir dans le dossier de la perte d'identité des jeunes Métis?
M. Chartrand : C'est une bonne question. Je crois que la perte d'identité subie dans ce contexte n'est pas très différente de la perte d'identité subie dans le contexte des pensionnats puisque, d'une façon ou d'une autre, les gens ont été séparés de leur culture.
Lorsque les femmes perdaient leur statut et leur droit de vivre dans une réserve, elles perdaient également leur lien avec la culture. Cette situation a trouvé une réponse dans la décision Lovelace. L'affaire a été portée devant le Tribunal international des droits de la personne, et c'est lui qui a tranché. Je ne sais pas exactement ce qu'il a ordonné. Je crois qu'il a conclu que le Canada avait eu tort d'agir comme il l'avait fait et que tout cela a mené au projet de loi C-31.
En ce qui concerne la communauté métisse et tous ceux qui ont été arrachés à leur collectivité durant la rafle des années 1960, je serais d'avis que le Canada a l'obligation de les réunir, dans la mesure où ils désirent qu'il en soit ainsi. Je ne crois pas que nous puissions forcer quiconque à reprendre contact avec sa collectivité s'il ne le désire pas, mais je crois qu'il faut offrir un soutien à ceux qui veulent retrouver leur culture, et je crois que de simples programmes et services faciliteraient cette réunion. Je ne peux rien vous dire de plus sans d'abord réfléchir davantage à la question.
Le sénateur Sinclair : Et c'est pour cette raison que nous pourrions peut-être vous inviter de nouveau à comparaître une fois que vous y aurez réfléchi et que vous pourrez soumettre la solution parfaite.
Je vous demanderais maintenant soit de réfléchir à notre prochaine question, soit d'y répondre, car elle est liée à cela. Elle concerne la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Premièrement, notre comité, puisqu'il étudie la question de l'avenir des relations entre les peuples autochtones et le Canada, devra probablement réfléchir à ce qu'il devrait faire au sujet de cette déclaration des Nations Unies et ce qu'il doit en dire et établir s'il convient de recommander au Canada de se prononcer publiquement en faveur de cette déclaration ou de certaines de ses dispositions. Auriez-vous quelques réflexions quant au discours que les Métis tiennent à ce sujet, que nous puissions inscrire au compte rendu?
M. Chartrand : Je crois que la Déclaration des Nations Unies défend autant les intérêts des Métis que ceux des Premières Nations et des Inuits. À mon avis, il serait tout indiqué que le droit canadien tienne compte de façon plus officielle de cette déclaration. Il serait par exemple possible de modifier la Constitution. Je ne crois pas que nous devrions écarter cette possibilité.
L'autre option serait d'intégrer officiellement ces principes dans nos lois. Ainsi, après un certain temps, les tribunaux pourraient peut-être s'y appuyer lorsqu'ils ont à interpréter l'article 35, ce qui rapprocherait davantage les principes applicables aux droits autochtones des principes énoncés dans la déclaration. Je crois que, si le Canada prenait cette initiative, cela communiquerait clairement qu'il prend la réconciliation au sérieux. Ensuite, il ne lui resterait qu'à mettre en œuvre les dispositions de la déclaration conformément au mode d'adoption que choisira le Canada.
D'autres pays, les Philippines, par exemple, ont repris mot pour mot la déclaration des Nations Unies. En fait, certaines des dispositions adoptées par les Philippines vont encore plus loin que les normes minimales en matière de droits de la personne mentionnées dans cette déclaration. Je crois qu'il est important de ne pas perdre cet aspect de vue. Il s'agit tout simplement de normes minimales, et les principes s'appliquant aux droits autochtones, selon le droit ordinaire et l'interprétation des tribunaux, n'atteignent même pas cette norme; on peut donc dire que les principes de justice, à l'heure actuelle, ne respectent pas la norme minimale touchant les droits de la personne. Je crois que les Philippines nous offrent un magnifique modèle de façon de faire. Remarquez qu'elles n'ont pas les ressources pour en assurer la mise en œuvre, mais tout cela est désormais intégré dans leurs lois. Et ce n'est qu'un exemple.
Le sénateur Watt : Encore une fois, merci, Larry. En ce qui concerne la position des Métis dans le dossier de la Constitution, c'est plutôt clair, et c'était clair dès le début. Vous arrive-t-il parfois de vous demander, étant donné que la question des Métis est un peu renvoyée d'un côté puis de l'autre, comme un ballon de football, depuis de nombreuses années, en fait, s'il serait possible qu'un jour le système essaie de modifier l'importance et l'interprétation des droits constitutionnels? Est-ce que cela vous inquiète? Pensez-vous que vous êtes reconnus en tant que nation, selon le libellé de la Constitution? Vous arrive-t-il de craindre que, lorsqu'on traite de ces différents sujets, on essaie d'en miner l'importance? Vous avez dit qu'il existait probablement une façon d'aborder ce sujet, au moyen d'une modification, mais le résultat n'est pas garanti. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
M. Chartrand : Décider de modifier la Constitution, ça peut être risqué. Les choses ne vont pas vite, mais il semble qu'elles évoluent en faveur d'une relation avec les peuples autochtones et d'une compréhension de ces peuples qui sont meilleures qu'elles ne l'étaient à l'époque de la génération précédente. Il semble que les choses évoluent dans la bonne direction.
Toutefois, on craint toujours que les peuples autochtones soient considérés comme des minorités plutôt que des nations, et cette façon de voir les choses influe sur la façon dont on comprend les politiques et les droits des Autochtones. Je crois qu'il serait souhaitable que nous puissions modifier la Constitution pour qu'elle précise de manière explicite que les peuples autochtones forment une nation, et non pas une minorité, de façon qu'il soit impossible de négliger leurs intérêts en affirmant que les autres intérêts du public priment, ce qui est, relativement aux droits prévus par la Charte, le processus habituel utilisé pour reconnaître les droits d'une minorité à sa religion. L'État peut toujours bafouer ces droits dans l'intérêt supérieur du public, mais il ne peut pas bafouer les droits d'une nation. Les nations ont le droit à un traitement égal. Vous ne pouvez pas bafouer les droits d'une autre nation. Vous devez négocier. Voilà pourquoi l'obligation liée au consentement éclairé, prévue dans la déclaration des Nations Unies, a une telle importance. Si vous voulez établir une relation, vous devez négocier. Vous ne pouvez pas l'imposer.
C'est le problème que pose l'interprétation actuelle de l'article 91.24 de la Constitution. Joshua Nichols, un des témoins précédents, a peut-être abordé le sujet, mais à mon avis, c'est par erreur qu'on interprète cette disposition comme donnant un pouvoir sur les peuples autochtones plutôt qu'un pouvoir à exercer avec les peuples autochtones, ce qui constituait la prémisse coloniale qui à l'origine sous-tendait les négociations entre les Britanniques et les peuples autochtones, comme le reflète la Proclamation royale. D'une façon ou d'une autre, l'erreur a perduré de façon que l'article 91.24 est considéré comme donnant les pleins pouvoirs sur un peuple, alors qu'en fait, il visait tout simplement le pouvoir de négocier.
Quant à la question des gouvernements provinciaux ou fédéral, il est plus logique que ce soit le gouvernement fédéral qui négocie. J'ai été très déçu que les plaignants dans l'affaire Daniels ne contestent pas cette interprétation. Cela m'a vraiment déplu. J'ai toujours critiqué la décision Daniels pour cette raison-là. Mais il est logique que le gouvernement fédéral participe à ces négociations. Je crois que, sur cet aspect, la décision Daniels était correcte.
Je crois m'être un peu éloigné du sujet, n'est-ce pas? Je m'excuse, sénateur Watt.
Le sénateur Watt : Merci, Larry.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup de cet exposé et de votre opinion.
J'aimerais revenir à une chose que vous avez dite à propos de la Nouvelle-Zélande, car nous avons entendu d'autres témoins dire que la Nouvelle-Zélande offrait un modèle intéressant, évolué à certains égards. J'aimerais que vous nous expliquiez brièvement quels aspects de ce modèle pourraient être utiles pour nous, à l'avenir.
M. Chartrand : Un aspect intéressant, c'est le fait qu'il pourrait être possible de réserver des sièges, en proportion de la population, de façon que les Autochtones aient toujours un nombre de sièges proportionnellement représentatif au Parlement. Ce serait probablement un minimum, mais cela permet de garantir que la représentation au Parlement sera proportionnelle. Sinon, il n'existe au Canada que très peu de circonscriptions où les Autochtones sont suffisamment nombreux pour faire changer les choses, et c'est parce que les peuples autochtones sont largement disséminés. Ils ne sont pas aussi nombreux qu'en Nouvelle-Zélande.
En ce qui concerne la promotion de la réconciliation, il serait bien d'aller un peu plus loin, cependant, en reconnaissant l'absence historique d'une voix autochtone au Parlement. L'ajout de sièges supplémentaires au-delà de la proportionnalité peut être une façon de régler ce problème serait un autre exemple de promotion de la réconciliation.
N'oubliez pas, bien sûr, que c'est seulement parce que les peuples autochtones sont aussi canadiens, parfois par choix, mais parfois non. Ce n'est pas mon cas. Nous avons été forcés à devenir Canadiens, et ça m'a toujours déplu, en réalité. En fait, l'autre jour, je consultais le site du ministère de l'Immigration et j'ai lu qu'on pouvait renoncer à sa citoyenneté canadienne. Je suis maintenant prêt à faire cela. Comment pouvez-vous attacher de l'importance à la primauté du droit lorsque vous savez que le pays est illégitime au départ, et comment pouvez-vous être un Canadien qui accorde de l'importance à cette primauté du droit? Ces deux éléments ne sont pas compatibles. Alors vous verrez peut-être ma demande de renonciation à la citoyenneté canadienne.
Le sénateur Sinclair : Bonne chance pour entrer aux États-Unis.
M. Chartrand : Mon épouse me dit que je suis stupide d'envisager cela et que des personnes paieraient cher pour devenir un Canadien. Je le reconnais, mais ce serait davantage un geste symbolique de ma part qu'autre chose.
La sénatrice Raine : Encore une fois merci. Vous parlez de citoyenneté, et nous avons nombre de différentes façons de catégoriser les gens, que ce soit un membre d'une bande ou un membre d'une collectivité métisse enregistré comme une personne métisse faisant partie de ses propres groupes. Il existe de nombreuses façons différentes de considérer si vous appartenez à un groupe et comment et pourquoi vous y appartenez. Souvent, cela revient à une question de droits et uniquement à ce que vous ressentez vous-même.
Mais lorsqu'on prend un pays comme le Canada, qui s'étend d'un océan à l'autre et où l'on retrouve de nombreux types de peuples autochtones dans le Nord et partout au pays et des collectivités de colons, qui se divisent en administrations gouvernementales faisant face à toutes sortes de différents problèmes de compétence, il doit y avoir, en cours de route, ce qu'on appelle la souveraineté canadienne. Je me demande donc si vous pouviez définir le terme « Canadien ».
Je sais que ce que vous venez de dire reflète peut-être le fait que vous ne croyez pas que le pays a été fondé de manière légitime pour ce qui est de notre Constitution. Toutefois, il est ce qu'il est aujourd'hui, et la souveraineté est un terme qu'on utilise beaucoup, mais nous comprenons peut-être les choses différemment. Pouvez-vous expliquer ce qu'est la souveraineté du point de vue d'un Métis?
M. Chartrand : Je ne sais pas si le point de vue d'un Métis sur la souveraineté est bien différent du point de vue de membres de Premières Nations. L'idée selon laquelle la Couronne pourrait simplement affirmer sa souveraineté, bien sûr, a toujours été contestée, que vous soyez un Métis ou non. Selon les principes du droit international, sur le plan de l'acquisition d'un territoire, vous ne pouvez pas simplement affirmer votre souveraineté lorsqu'il existe déjà des peuples souverains sur ce territoire. Vous devez entamer un processus de négociation afin de trouver une façon de partager cette souveraineté, si c'est le désir de ces peuples. Je pense que les Métis verraient également les choses sous le même angle.
Une manière utile d'examiner la question consiste à tenir compte de la distinction entre la souveraineté de droit, la souveraineté légitime juridique et la souveraineté de facto. Le fait que le Canada, au moyen de sa force, de sa puissance et de l'arrivée de la population, a écrasé les peuples autochtones est une forme de souveraineté de facto. Il ne s'agit pas de souveraineté de droit ni juridique; elle n'est pas légitime. Mais elle existe néanmoins.
Je crois que nous voulons changer cette perception du Canada. Qui veut voir le Canada comme un pays qui s'est essentiellement imposé à un autre peuple sans son consentement? Nous voulons, je pense, adopter une version consensuelle de la façon dont le Canada est bâti. C'est pourquoi les traités sont si importants. Que vous soyez Métis, Inuit ou issu des Premières Nations, ça ne fait aucune différence. Vous avez besoin d'une relation consensuelle, sinon la souveraineté du Canada sera toujours entachée. Elle ne sera jamais pleinement légitime.
La sénatrice Raine : Comment faisons-nous cela?
M. Chartrand : Le processus de traités est la façon d'y arriver avec également une participation des tribunaux parce qu'ils ont interprété les traités de manière très étroite, comme un contrat familial. Ils ne les comprennent pas ni ne les ont jamais compris traditionnellement comme des documents constitutionnels, de nation à nation. C'est une façon de comprendre les traités : ils ont une importance constitutionnelle. Ils font autant partie de la Constitution que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ou la Loi constitutionnelle de 1982. Ils font partie intégrante de la relation qui consiste à bâtir un pays. Si on les considérait ainsi, cela aiderait beaucoup la réconciliation.
La sénatrice Raine : Si vous avez une nation souveraine, par exemple, le Canada, vous pouvez aussi avoir d'autres nations au sein de la nation souveraine, avec leur propre gouvernance de leurs affaires. Et s'il y a des différends avec le gouvernement souverain, comment les résout-on?
M. Chartrand : Je crois qu'une façon de faire juste consisterait à disposer d'un accord préétabli sur la façon dont on doit résoudre les différends entre les deux peuples.
À l'heure actuelle, les traités numérotés n'ont pas réglé ce problème, mais ils ont réglé celui des répercussions advenant que les lois soient violées, et certaines dispositions des traités numérotés s'appliquent dans ce cas. Nombre de traités historiques ne renferment pas explicitement ces dispositions, mais si vous parlez aux Aînés, ils vous diront qu'il était entendu que le droit qui régirait les différends serait un droit interculturel; il s'agissait d'élaborer un droit interculturel. Il ne s'agirait pas exclusivement de la common law ou du droit cri. On résoudrait tous ces différends au fil du temps, au fil de l'élaboration d'un droit interculturel.
Dans les traités modernes, des groupes d'arbitrage sont conçus pour résoudre des différends. Ils sont explicitement enchâssés dans les traités modernes. Mais il n'existe pas de compréhension explicite selon laquelle le droit des Dénés, par exemple, devrait être utilisé de concert avec la common law dans l'interprétation de différends. Je sais que le groupe d'arbitrage composé de membres des Saulteaux et des Dénés croit cela parce que j'en ai été membre pendant une certaine période. Cependant, le Canada n'était pas de cet avis. Les tribunaux ont dit que seul le droit canadien s'applique, non pas le droit déné. Il va sans dire que je ne fais plus partie du groupe.
La sénatrice Raine : Il y a du travail à faire. Merci beaucoup.
M. Chartrand : Il y a du travail à faire.
Le sénateur Watt : Dans le même ordre d'idées, comme vous le savez, selon le règlement conventionnel moderne, il n'existe aucun mécanisme pour régler un différend entre le peuple, les propriétaires fonciers et les signataires de l'entente, ni entre le gouvernement du Canada et les provinces. En d'autres mots, il n'existe pas de système relativement au règlement de différends.
Sachant cela, si nous faisons effectivement en tant que comité une recommandation selon laquelle nous exigeons la création d'un mécanisme de résolution des différends entre peu importe la nation avec qui vous avez un différend, que ce soit les Métis, les Premières Nations ou les Inuits, il devrait y avoir un mécanisme suffisant... qui a du mordant. À ma connaissance, il n'en existe pas à l'heure actuelle.
Je me demande comment nous pouvons faire avancer les choses et faire en sorte qu'il soit absolument clair que, si on veut conclure un règlement entre deux groupes, par exemple, le gouvernement et les Premières Nations ou les Inuits ou les Métis, on a absolument besoin d'un mécanisme en place. Cela devrait faire partie d'une nouvelle façon de s'occuper du concept de troisième ordre de gouvernement. Seriez-vous d'accord pour que le comité examine ce type de formule?
M. Chartrand : Je serais d'accord avec cela. Au cours des processus modernes de négociations concernant les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale, certains d'entre eux sont effectivement assortis de processus de résolution des différends. Ils doivent être peaufinés. Ils doivent reconnaître qu'il y a autre chose qu'uniquement la tradition juridique de la common law. Il y a aussi la tradition juridique dénée ou crie qui devrait influencer le processus décisionnel. Ce processus peut habituellement faire l'objet d'un appel dans un système de justice ordinaire en ce qui concerne son application, au besoin. Nous abordons maintenant les problèmes liés au fait que le système de justice ne reflète pas non plus la tradition juridique autochtone.
C'est pourquoi le Québec a insisté, au moment de la Confédération, sur le fait que trois des juges nommés à la Cour suprême du Canada viennent du Québec afin de s'assurer que ses traditions juridiques et sa culture font partie du processus décisionnel lorsque surviennent des différends au Québec. Les mêmes principes s'appliquent également aux enjeux des peuples autochtones. Je suis d'accord; nous devons avoir ce type d'approche pour résoudre les problèmes de ce genre.
La présidente : Monsieur Sinclair, avez-vous une question complémentaire?
Le sénateur Sinclair : Oui. Elle va dans le même sens que la question que le sénateur Watt vous a posée, et la sénatrice Raine a aussi soulevé la question de la façon de résoudre des conflits de compétence entre nations lorsqu'une des deux a un pouvoir public prépondérant.
Je pensais, en écoutant la question de la sénatrice Raine, aux problèmes de conflit de compétence entre Rome, qui est une nation et l'État de l'Italie, qui est aussi une nation. Elles doivent avoir un mécanisme avec lequel elles peuvent résoudre leurs conflits de compétence. Nous avons souvent également au Canada ces conflits entre les provinces et le gouvernement fédéral qui sont résolus d'une manière ou d'une autre. Parfois, seulement le passage du temps et le décès de personnes permettent de résoudre des conflits.
Depuis Johnson v. McIntosh et Worcester v. Georgia aux États-Unis, de 1812 à 1830, lorsque la Cour suprême des États-Unis s'est penchée sur la question des nations souveraines et dépendantes et a reconnu cela comme un statut pour les tribus amérindiennes, savez-vous comment la question des conflits entre les tribus et le gouvernement fédéral et celle des conflits entre les tribus et les gouvernements des États a été résolue aux États-Unis?
M. Chartrand : Oui. Ça n'a pas toujours été une situation idéale du point de vue des tribus. Initialement, leur souveraineté était assez bien reconnue à l'égard d'une compétence civile et criminelle, par exemple, mais elle a été effritée par le Congrès au fil du temps, et cet effritement a cessé à un moment donné dans les années 1960, je crois. Les tribus détiennent encore une souveraineté inhérente importante relativement aux affaires civiles et criminelles, et les États doivent respecter cela.
Si la nation Navajo se trouve au Nouveau-Mexique, le Nouveau-Mexique doit respecter la souveraineté de la nation Navajo, et vice versa. À un moment donné, cependant, si une personne du Nouveau-Mexique commet un crime dans la nation Navajo, la nation Navajo ne peut pas poursuivre cette personne parce que le droit de l'État précise que seul l'État peut le faire, et les États faisaient alors fi du problème. Cela a été corrigé sous l'administration Obama, dans une certaine mesure, afin que ce pouvoir vise une personne du Nouveau-Mexique qui commet un crime sur le territoire de la nation Navajo. Les tribunaux de cette nation peuvent maintenant poursuivre cette personne, en quelque sorte.
Il existe certaines nuances de ce problème, mais il s'agit d'une analyse traditionnelle du partage des compétences. Si vous reconnaissez que des peuples autochtones disposent du pouvoir voulu, vous appliquez l'analyse du partage des compétences. Alors les principes comme l'essence, la suprématie et l'exclusivité des compétences aident à résoudre tout conflit de compétence.
La même chose peut également s'appliquer à des gouvernements autochtones. Cela n'a pas été fait, cependant. Leur situation a été interprétée au moyen du cadre de l'article 35 jusqu'à maintenant.
Le sénateur Patterson : J'ai une question difficile, probablement, et je ne suis pas certain si M. Chartrand a le temps d'y répondre, mais je vais m'assurer que ma question figure au compte rendu.
Nous espérons bien évidemment, en tant que comité, aider le Canada à atteindre son noble objectif d'établir une nouvelle relation avec les peuples autochtones. Nous espérons humblement que nous pouvons aider à relever ce défi en tant que comité.
Le Canada a fait certaines déclarations importantes concernant la réconciliation. Je pense qu'une d'elles tient à l'adoption entière de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En mai 2016, la ministre des Affaires autochtones et du Nord a annoncé que le Canada soutient maintenant pleinement et sans réserve la déclaration des Nations Unies. Cette annonce a été bien accueillie dans bon nombre de sphères.
Ensuite, l'automne passé, la ministre de la Justice a exprimé un point de vue plus nuancé sur la façon dont la déclaration des Nations Unies pourrait être intégrée au système juridique canadien en disant qu'elle ne pouvait pas l'être intégralement. Elle a poursuivi son discours prononcé devant des dirigeants des Premières Nations et des ministres du Cabinet du gouvernement de la Colombie-Britannique en disant que la réalité dure et parfois douloureuse est que nombre de nos réalités actuelles ne sont pas alignées sur les normes de la déclaration des Nations Unies et, par conséquent, qu'elles doivent être déconstruites de manière systématique et cohérente. Elle a parlé de le faire en consultation avec les peuples autochtones.
Certains pensent que la Loi sur les Indiens est une de ces réalités actuelles qui ne sont pas alignées sur les normes élevées de la déclaration des Nations Unies. Vous avez dit aujourd'hui, si je vous ai bien compris, que la Loi canadienne sur les droits de la personne n'atteint pas les normes de la déclaration des Nations Unies. Je vous ai peut- être mal compris, mais je vais poursuivre.
Ce matin, vous avez mentionné l'importance d'un consentement éclairé et avez beaucoup parlé des traités. Inuit Tapiriit Kanatami a récemment publié un article sur la déclaration des Nations Unies donnant à penser que certains des plus importants règlements d'une revendication territoriale touchant les Inuits ont été négociés sous l'effet de la contrainte : sous la menace d'une mise en valeur imminente des ressources.
C'est ma grande question à laquelle il peut être difficile de répondre en peu de temps. Pouvez-vous nous aider à comprendre votre point de vue sur la façon dont la déclaration des Nations Unies devrait être appliquée au Canada dans un esprit de réconciliation? L'adoption par le Canada de la déclaration des Nations Unies va-t-elle jusqu'à exiger la renégociation d'anciens traités et même de traités modernes?
M. Chartrand : La réponse courte est qu'elle l'exigera possiblement parce que nous savons, en nous fondant sur l'histoire des traités historiques, que la compréhension des autorités coloniales et celle des Premières Nations n'ont pas toujours été la même, particulièrement en ce qui concerne les dispositions relatives à la cession et l'idée que le Canada pourrait unilatéralement affirmer sa souveraineté. Ce type de compréhension ne cadre pas avec la compréhension autochtone de la nature de l'entente. On peut voir la déclaration des Nations Unies comme un moyen de remettre de l'avant le besoin d'en venir à une entente mutuelle sur les traités historiques. La situation peut aussi exiger une certaine réévaluation des accords modernes sur une revendication territoriale à la lumière de certains des principes les plus fondamentaux de la déclaration des Nations Unies.
Comme je l'ai mentionné auparavant, la réconciliation est davantage un processus qu'un objectif déterminé. Cela prendra du temps, mais du moment où nous pouvons mesurer les progrès fondés sur les normes de la déclaration des Nations Unies, je crois que nous avons maintenant quelque chose qui nous sert d'objectif, et je crois que nous pouvons mesurer les progrès en nous fondant sur ces principes. Nous n'avons pas toujours eu cela.
Le sénateur Patterson : La réconciliation est donc un processus. Vous savez, bien sûr, que le premier ministre était au Nunavut la semaine dernière pour signer un accord visant à créer un comité de partenariat entre la Couronne et les Inuits. Selon vous, est-ce un bon exemple d'un processus qui devrait et pourrait être établi avec d'autres peuples autochtones au Canada afin d'aborder les problèmes que vous avez décrits?
M. Chartrand : Oui, je crois qu'arranger les choses et régler des problèmes est toujours préférable à un litige et à d'autres façons d'essayer de régler des différends. Je sais qu'il y a eu des litiges dans le contexte inuit, et le fait de s'asseoir à la table et de les résoudre vaut mieux que d'aller devant les tribunaux, alors oui, c'est une bonne idée.
Le sénateur Patterson : Merci.
La présidente : Avant de lever la séance, il y a une question à laquelle je pensais depuis un certain temps, et j'espère pouvoir la formuler clairement.
Une des choses que vous avez dites qui m'a vraiment frappée lorsque vous parliez du paragraphe 91.24 de la Loi constitutionnelle de 1867 était que le droit canadien interprète cette loi comme un « pouvoir sur » contrairement à un « pouvoir avec ». Le « pouvoir avec » reconnaîtrait la souveraineté de chacune des Premières Nations et des Métis du Canada.
L'autre chose dont vous avez parlé était l'idée d'un territoire concernant la Fédération des Métis du Manitoba; vous avez dit que les Métis avaient aussi le concept du titre individuel par rapport au titre collectif. Lorsque nous pensons au Canada, nous nous concentrons sur l'idée du titre individuel parce que nous y pensons en tant que particuliers canadiens ayant droit à une certaine partie d'un territoire où nous avons acheté une maison. Mais le Canada, ne croyez-vous pas, a également un titre individuel et un titre collectif parce que le territoire n'appartenant pas aux particuliers appartient au Canada?
En réalité, les deux modèles de propriété de terres sont foncièrement les mêmes. Nous nous attachions peut-être trop au concept du titre individuel par rapport au concept selon lequel le Canada a en quelque sorte revendiqué tout le reste du territoire et, par conséquent, le contrôle pour ainsi dire. Y a-t-il une façon de détourner notre attention du titre individuel dans le cadre duquel, en tant que particuliers, les Canadiens veulent protéger le titre qu'ils ont... et pourtant nous oublions le fait que ce ne sont probablement pas des particuliers qui possèdent la plus grande partie du territoire du Canada? Je ne connais pas le pourcentage, mais je dirais probablement que la plus grande partie est en réalité une propriété canadienne, provinciale ou territoriale.
J'espère que c'est logique.
M. Chartrand : Oui, selon moi, c'est logique. C'est une bonne comparaison, je pense, en ce qui concerne la compréhension interne qu'ont les Métis de la relation avec le territoire qui touche la propriété collective et la propriété individuelle. Dans un sens, il y a beaucoup plus de points communs avec les compréhensions du territoire qu'ont les Métis et les Canado-Britanniques que nous avions peut-être pensé au départ. Il s'agit seulement de savoir qui a le pouvoir de gérer ces régimes des terres et comment on partage ce pouvoir. C'est vraiment là la question.
La présidente : Sur ce, nous allons conclure la présente séance du Comité sénatorial permanent des Peuples autochtones. Au nom des membres du comité, j'aimerais remercier M. Larry Chartrand de son témoignage ce matin. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)