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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 19 - Témoignages du 28 mars 2017


OTTAWA, le mardi 28 mars 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (La présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : La séance est ouverte. Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et membres du public ici présents et à ceux qui regardent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le Web.

Dans l'intérêt de la réconciliation, je tiens à souligner que nous sommes sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins.

Mon nom est Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et j'ai le privilège et l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J'inviterais maintenant les membres du comité à se présenter en commençant par le sénateur à ma gauche.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair, du Manitoba.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

Le sénateur Plett : Don Plett, du Manitoba.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Raine : Nancy Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La présidente : Merci, sénateurs.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur la forme que pourraient prendre les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous poursuivons notre examen des études et discussions menées sur le sujet.

Nous sommes heureux d'accueillir de nouveau Jim Miller, professeur émérite d'histoire, Université de la Saskatchewan, mon vieux patelin. M. Miller vient nous parler des traités et du processus de négociation des traités.

Monsieur Miller, nous sommes heureux de vous accueillir une nouvelle fois. Comme vous le savez, après votre exposé, nous passerons aux questions des sénateurs. Vous avez la parole.

J. R. (Jim) Miller, professeur émérite d'histoire, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci, sénatrice Dyck. Sénatrices et sénateurs, bonjour. Je suis heureux de venir témoigner de nouveau devant vous pour parler d'un autre sujet extrêmement important. En guise d'exposé, j'aimerais faire un résumé de ce livre qui relate l'histoire de la conclusion de traités et dont j'ai fourni un exemplaire au comité.

Le Volume VI du Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, intitulé « Réconciliation », souligne l'importance des traités :

Il est important pour tous les Canadiens de comprendre que sans traités, le Canada n'a aucune légitimité comme nation. Les traités conclus entre les nations autochtones et la Couronne établissent les fondements constitutionnels et juridiques de ce pays.

Le quarante-cinquième appel à l'action de la Commission recommande ceci au Canada : « établir des relations qui se rattachent aux traités et qui sont fondées sur les principes de la reconnaissance mutuelle, du respect mutuel et de la responsabilité partagée, et ce, de manière à ce qu'elles soient durables, ou renouveler les relations de ce type déjà nouées. »

La Commission reconnaît que les traités sont essentiels à la réconciliation. Ils sont essentiels à la création d'une meilleure relation avec les peuples autochtones.

Quels sont ces accords et pourquoi sont-ils si importants? Les traités ont toujours été au cœur de la relation entre les peuples autochtones et les immigrants, du premier contact survenu au XVIe siècle à aujourd'hui. D'ailleurs, ils sont si centraux à cette relation, qu'il est devenu courant de dire que les Canadiens « sont tous des peuples visés par un traité ».

Toutefois, ce qui est moins bien compris, c'est que ces pactes entre la Couronne et les peuples autochtones ont suivi une évolution complexe au cours des 500 dernières années; ils ont pris de nombreuses formes au cours de cette transformation.

Les premiers traités conclus étaient des ententes commerciales entre les nouveaux arrivants européens débarqués sur les côtes nord-américaines à la recherche de poissons et fourrures, et les Autochtones qui devenaient souvent des partenaires dans le cadre de ces activités économiques. La coopération était essentielle, surtout en ce qui a trait à la traite de fourrures, car les premiers peuples étaient plus nombreux, avaient beaucoup de connaissances et étaient très compétents sur le plan commercial, alors que les Européens étaient peu nombreux et ne connaissaient presque rien à la flore et à la faune de l'Amérique du Nord.

Les Européens ignoraient comment obtenir les fourrures et leur donner une valeur marchande. La coopération était donc une solution évidente. Toutefois, contrairement aux Européens qui voyaient les échanges comme une relation commerciale, les Premières Nations ne traitaient pas avec les inconnus. Ils devaient d'abord établir si ces étrangers étaient hostiles. Pour eux, la solution était de créer des liens de parenté fictifs fréquemment renouvelés, une sorte de relation familiale avec les nouveaux arrivants. Les « nouveaux parents » devaient participer à des cérémonies, comme des cérémonies officielles d'accueil, des discours de bienvenue, des échanges de cadeaux et, surtout, fumer le calumet de paix.

Pour faire la traite de fourrures avec les Premières Nations, les Européens devaient d'abord participer à ces cérémonies et à intervalles réguliers par la suite afin de devenir et demeurer parents des Autochtones avec qui ils souhaitaient faire des affaires. Puisque les premières entreprises de traite de fourrure représentaient respectivement la monarchie française et anglaise, ces pactes cérémonials étaient considérés légitimement comme des ententes commerciales. Il s'agit de la première forme de traité.

Au fil des ans, les nouveaux arrivants ont découvert une deuxième raison pour conclure des ententes avec les Autochtones, ce qui a mené à la deuxième forme de traité. Dès le XVIIe siècle, les Français et Britanniques de l'est du Canada cherchaient à conclure des accords diplomatiques faisant des Premières Nations des partenaires en temps de paix et des alliés en temps de guerre. À cette fin, les Français et Britanniques ont conclu des traités de paix et d'amitié avec les Premières Nations sur la base de la traite de fourrures. Ces traités étaient conclus habituellement selon la même méthode, soit par l'entremise de cérémonies autochtones. Dès les années 1700, dans les maritimes, les traités officiels conclus par les Britanniques prenaient la forme de documents signés, alors que les Français continuaient de conclure des alliances non officielles de paix et d'amitié.

De leur côté, les Premières Nations ne faisaient aucune distinction entre les traités d'amitié et les ententes commerciales. Comme l'a souligné un diplomate Onondaga au gouverneur de New York, en 1735 : « Commerce et paix sont pour nous la même chose. » Pour eux, cette « même chose » faisait référence à la relation de parenté établie par l'entremise des cérémonies. Commerce et diplomatie, traite et alliance, formaient les deux côtés de la même médaille, une médaille de parenté forgée et préservée grâce aux cérémonies.

Les Premières Nations enregistraient ces accords selon leurs propres méthodes. Dans les Northeast Woodlands, les Premières Nations ont enregistré leurs accords avec les Britanniques et Français sur du wampum — des perles fabriquées à partir de petits coquillages enfilées sur des peaux de chevreuil. Au XVIIIe siècle, ces traités de paix et d'amitiés ont pris beaucoup d'importance, car le continent se trouvait de plus en plus mêlé à une guerre entre deux rivaux européens.

Par exemple, la Grande paix de Montréal de 1701 réunissait 35 Premières Nations réparties sur une grande partie du continent et a mis fin à six décennies de guerres intermittentes entre les Iroquois et leurs alliés français.

Dans la première moitié du XVIIIe siècle, en Nouvelle-Écosse, l'Angleterre a négocié une série de traités avec les Micmacs dont certains figurent dans la décision Marshall de la Cour suprême, une décision cruciale rendue en 1999. La décision Marshall nous rappelle que même si les traités sont ancrés dans le passé du Canada, ils demeurent pertinents aujourd'hui.

La fin de la longue guerre entre la France et l'Angleterre dans les années 1760 a ouvert la voie à une nouvelle politique et à une nouvelle forme de traités. En faisant l'acquisition de presque toutes les possessions françaises en 1763, l'Angleterre a dû prendre des dispositions particulières pour ses colonies, des dispositions différentes du modèle traditionnel britannique. Les colonies françaises, comme le Canada et l'Acadie, n'avaient ni assemblée élue ni tribunaux axés sur le droit britannique. De plus, les habitants étaient des catholiques qui ne jouissaient pas des mêmes droits civils dans un monde britannique de plus en plus anticatholique.

Cette nécessité d'adopter des dispositions différentes pour faire l'acquisition des possessions françaises a mené à la Proclamation royale de 1763. Bien que la majeure partie de cette proclamation porte sur les frontières et les institutions de gouvernance et de droit, les six derniers paragraphes concernent les Premières Nations et leur relation avec l'Angleterre. Afin d'empêcher l'achat frauduleux de terres indiennes, situation qui avait causé des problèmes par le passé dans les Treize colonies, l'Angleterre a institué un nouveau régime pour les terres des Premières Nations précisant que ces terres « leur sont réservées à titre de territoire de chasse. »

Désormais, lorsque les Premières Nations souhaitaient céder leurs terres, elles ne pouvaient les céder qu'à la Couronne et uniquement dans le cadre d'une réunion publique des Premières Nations organisée dans le seul but de procéder à cette transaction. La procédure établie par la proclamation royale a ouvert la voie à la troisième forme de traité remplaçant les activités d'amitiés ou commerciale, soit les traités territoriaux pour les terres des Premières Nations.

En 1764, le ministre des Affaires indiennes, William Johnson, a organisé une conférence, à Niagara, en compagnie des chefs des Premières Nations où ces derniers ont accepté les procédures mises de l'avant dans la proclamation royale en ce qui a trait à l'acquisition de terres autochtones. Ainsi, la proclamation royale et le Traité de Niagara ont inauguré l'ère des traités traditionnels qui a duré de 1764 à 1923.

Même si la proclamation a fourni un cadre pour la conclusion de traités territoriaux, les anciennes méthodes n'ont pas pour autant été oubliées au cours de cette époque, enfin, pour un certain temps. Au cours du centenaire qui a suivi, les cérémonies autochtones sont restées au cœur des conseils organisés par les représentants de la Couronne et des Premières Nations concernant les terres pendant que le processus de conclusion des traités territoriaux a été perfectionné dans le Haut-Canada, l'Ontario d'aujourd'hui.

Une série de phases sur la conclusion de traités a permis à la Couronne de conclure des accords sur le partage de terres destinées aux nouveaux colons. La première phase s'est entamée lorsque les loyalistes, autochtones et non autochtones, ont migré après la victoire des États-Unis en 1783. La deuxième phase s'est entamée lorsque les alliés déplacés puis de nombreux immigrants britanniques ont inondé le Haut-Canada après la Guerre de 1812. La dernière phase s'est amorcée en 1850 lorsque les entrepreneurs miniers dans le nord rapproché de l'Ontario ont voulu avoir accès aux terres riches en ressources de la région.

À chacune de ces étapes, de nouveaux éléments de la conclusion de traités ont été adoptés pour créer la méthode canadienne pour conclure des traités territoriaux. Les premiers traités du Haut-Canada concernaient des régions plutôt petites le long des Grands Lacs inférieurs et du fleuve Saint-Laurent en retour de paiements uniques.

Le deuxième groupe d'arrivants, ceux qui sont arrivés après la Guerre de 1812, se sont dirigés plus loin dans les terres et ont convenu de faire des paiements annuels, connus sous le nom de rentes, plutôt que de faire un paiement unique.

Finalement, les Traités Robinson de 1850 et le Traité de l'île Manitoulin de 1862 concernaient des étendues plus grandes, la création de réserves pour les Premières Nations signataires et le maintien de la reconnaissance explicite des droits des Premières Nations à la pêche, à la chasse et à la récolte sur les territoires concernés.

Autrement dit, par la Confédération, le système de traités que nous connaissons aujourd'hui a été établi sur les bases de la proclamation royale. Toutefois, ce faisant, le recours aux cérémonies autochtones a été presque entièrement éliminé, car les nouveaux colons n'avaient aucune connaissance des vieilles relations axées sur le commerce et l'alliance.

Il est bien connu qu'après la Confédération, le nouveau Dominion du Canada était impatient d'acquérir les terres de la Compagnie de la Baie d'Hudson connues sous le nom des Terres de Rupert, dans le nord-ouest. Fait un peu surprenant, les cérémonies autochtones sont réapparues dans le cadre de la conclusion des traités numérotés du sud entre 1871 et 1877, des traités qui concernaient de grandes étendues de terres situées entre le lac des Bois et les contreforts des Rocheuses. Le retour de ces cérémonies est attribuable au fait que les Premières Nations signataires des traités numérotés de l'ouest avaient appris à traiter avec les nouveaux arrivants par l'entremise de la traite de fourrures qui se faisait encore à l'époque. Évidemment, la parenté et les cérémonies étaient au cœur de cette relation. Donc, après 1871, les négociateurs canadiens sont devenus des spécialistes des discours officiels, des échanges de cadeaux, des offrandes de nourritures et de la cérémonie du calumet de paix.

En apparence, on aurait dit que les parties avaient à nouveau recours aux vieilles méthodes, mais, en réalité, la relation sous-jacente avait beaucoup changé et allait continuer d'évoluer, mais pas au profit des Premières Nations.

La perception qu'avaient les parties de ces accords était différente. Les Premières Nations voyaient les traités numérotés comme des engagements formels, soit des accords conclus entre deux parties humaines et une divinité. À l'occasion, les négociateurs du Canada avaient recours au libellé utilisé dans le cadre d'engagements formels, mais il est rapidement devenu évident qu'ils voyaient les traités comme des contrats.

Un changement important et dévastateur s'est immiscé dans la relation lors de la négociation de traités numérotés. En avril 1876, le Parlement a adopté la Loi sur les Indiens, une compilation de lois en vigueur concernant les Premières Nations et traitant les Indiens comme des enfants légaux sous la tutelle de la Couronne. Les chefs des Premières Nations de l'ouest parlaient toujours de cérémonies et de relations de parenté, mais le nouveau cadre législatif témoignait de la perception du Canada par rapport à sa relation avec les Premières Nations : il affirmait la domination paternaliste du Canada sur les Premières Nations. Ce passage des liens de parenté à la relation de pupille-curateur qui s'est amorcé en 1876 est probablement l'élément le plus dévastateur de la relation entre les Autochtones et les nouveaux arrivants.

Ce nouveau système est demeuré en vigueur jusqu'en 1923, année où a pris fin l'ère des traités territoriaux. Malgré les demandes répétées des Premières Nations entre les années 1880 et 1923 pour la conclusion d'autres traités, Ottawa a systématiquement fait la sourde oreille, sauf si le Canada avait besoin de plus de terres appartenant aux Premières Nations.

Par exemple, le Traité 8 a été conclu en 1899, car le Canada souhaitait régulariser la relation sur les artères routières menant aux champs aurifères du Klondike. Le Traité 9, dans le Nord de l'Ontario, a finalement été négocié en 1905- 1906 lorsque le Canada et l'Ontario se préparaient à exploiter les ressources minérales de la région.

Peut-être l'exemple le plus flagrant de l'approche opportuniste et égoïste du Canada est survenu dans la région sud des Territoires-du-Nord-Ouest. Les Premières Nations de la région avaient longtemps demandé la conclusion de nouveaux accords, mais la Couronne les avait ignorés. Puis, en 1920, un gisement de pétrole découvert à Norman Wells a mené à la conclusion du Traité 11, en 1921.

Les Traités Williams, en Ontario, les derniers traités territoriaux, n'ont de traité que le nom. Ils n'ont pas été négociés, mais bien proposés comme étant à prendre ou à laisser. Ils ne contenaient aucune disposition sur les réserves et les droits à la récolte et ne prévoyaient que quelques petits paiements uniques pour résoudre des différends qui remontaient aux premiers traités du Haut-Canada conclus dans les années 1780 et 1790.

Après 1923, il n'y a plus eu de traités territoriaux conclus pendant 50 ans. Les Premières Nations n'étaient plus aussi importantes aux yeux du gouvernement préoccupé plutôt par la Grande dépression des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale. Mais, après 1945, la forte expansion du secteur des ressources naturelles a rehaussé l'intérêt pour les terres autochtones.

Parallèlement à l'émergence de ces conditions, d'autres changements importants sont survenus. Les Premières Nations se sont mieux organisées sur le plan politique menant, dans les années 1960, à la création de leur premier organisme pancanadien. De plus, l'opinion publique et l'attitude des tribunaux ont changé. Cette transformation est devenue évidente en 1973 lorsque la Cour suprême du Canada, dans sa décision dans l'affaire Calder, a reconnu l'existence des titres ancestraux dans le droit commun, offrant ainsi aux Premières Nations un outil puissant pour défendre leurs intérêts territoriaux.

Donc, lorsque le gouvernement du Québec a amorcé son énorme projet hydroélectrique dans le bassin hydrographique de la baie James, dans les années 1970, les Autochtones ont pris des mesures qui allaient mener à l'ère moderne de la conclusion de traités. Les Cris de la Baie James ont obtenu une injonction temporaire pour interrompre les travaux à la baie James. Cette injonction a été rapidement annulée, mais peu importe. L'assurance des Premières Nations jumelée à la décision Calder a poussé le gouvernement à créer un régime de règlement des revendications, y compris le règlement des revendications de titres ancestraux. Cette catégorie, que le gouvernement appelle les « revendications globales », allait mener à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, à l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et à l'Accord définitif Nisga'a et d'autres accords liés au nord du pays, comme la Convention définitive des Inuvialuit. Le processus des revendications globales est toujours en vigueur, quoique plus lent.

L'autre type de traité moderne, c'est celui qui a résulté du processus de la Commission des traités de la Colombie- Britannique. Depuis 1992, le processus de la CTCB a débouché sur quatre nouveaux traités pour huit Premières Nations dans une province dont la majorité des terres sont toujours visées par un titre ancestral. De plus, des jugements récents de la Cour suprême du Canada, comme ceux rendus dans la cause Delgamuukw en 1997 et la cause Tsilhqot'in en 2014, ont renforcé la position des Premières Nations. Or, dans le cadre du processus de la CTCB, les progrès demeurent lents, et on se montre peu optimiste au sujet des perspectives. N'empêche qu'il faudra trouver une façon de conclure un plus grand nombre de traités en Colombie-Britannique et, en fait, dans bien des régions du Canada parce qu'autrement, les coûts de ne pas le faire sont tout simplement trop élevés pour tout le monde.

Voilà donc où nous en sommes en 2017. Le Canada se retrouve au beau milieu d'une quatrième étape dans la conclusion de traités, celle du système moderne de revendications globales et du processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Cette étape suit les étapes des accords commerciaux et des traités de paix et d'amitié, de même que la très longue période des traités territoriaux.

Bien que parfois la conclusion de traités ait été un processus difficile, elle reste essentielle. Dans un pays dont la Constitution comprend l'article 35 et dont les dirigeants aiment dire que « nous sommes tous parties aux traités », il est tout simplement impensable qu'on mette fin à la conclusion de traités. Plus important encore, cependant, ce sont les arguments en faveur de la conclusion de traités qui ont été présentés dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation.

Si le passé du Canada comprend une mise en garde précisant ce qu'il ne faut pas faire, il renferme également une leçon d'histoire plus constructive pour l'avenir. Les traités constituent un modèle qui montre aux Canadiens, en tant que peuples divers, qu'ils peuvent cohabiter de façon respectueuse et paisible sur ces terres que nous partageons désormais.

Le gouvernement fédéral pourrait donner suite à l'exhortation de la CVR en respectant convenablement les traités actuels. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Miller. Vous avez couvert plusieurs centaines d'années d'histoire en très peu de temps.

Les sénateurs poseront maintenant leurs questions.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie de votre présence, monsieur Miller. Les bonnes leçons d'histoire que nous donnent des gens comme vous nous aident dans notre étude, qui a pour but de préparer l'avenir. Je m'interroge sur le processus de conclusion de traités pour le nouveau millénaire. Je crois comprendre que vous êtes le plus grand spécialiste des traités et de leurs bons et mauvais côtés.

Au moment où nous nous apprêtons à faire des recommandations — mais plus encore, disons que nous recommandons qu'un nouveau cadre des traités doive être établi pour le siècle actuel —, en fonction de ce que vous avez lu et appris, qui devrait négocier? Des avocats? Des bureaucrates? Les deux? Est-ce que les dirigeants des différents groupes devraient se lancer dans le processus? Selon vos observations et vos connaissances, lorsque viendra le moment de conclure une entente, sur qui devrions-nous compter?

M. Miller : Je présume que nous convenons tous que du côté des Autochtones, ce sont les dirigeants des collectivités qui participeront aux négociations.

De l'autre côté, je pense que nous sommes toujours assujettis à la proclamation royale, selon laquelle si des nations autochtones souhaitent renoncer à des terres, elles doivent les céder seulement à nous, c'est-à-dire la Couronne. Cela signifie la Couronne du chef du Canada, le gouvernement du Canada et ses agents. Je crois que vous voulez savoir qui seraient ces agents.

Le sénateur Tannas : C'est vraiment cela. Devrions-nous faire un bon ensemble de recommandations et proposer que le ministère des Affaires autochtones négocie sur l'avenir pour nous? Croyez-vous que ce soit la bonne façon de procéder? Comment amener les bonnes personnes à participer et qui sont-elles? C'est ce que je veux savoir, je pense.

M. Miller : Nous vivons dans une démocratie parlementaire et il faut que ce soit les gens qui sont responsables devant l'électorat, et il doit donc s'agir des gens que le gouvernement nomme. Dans le passé, il a nommé un nombre considérable d'avocats pour ce travail, mais pas uniquement des avocats. Dans certains cas, il s'agit de gens éminents qui connaissent bien ces questions.

Je ne crois pas que ce soit les gens que le gouvernement a nommés pour le représenter qui ont posé problème, mais plutôt le mandat qu'il leur a confié. Quand on pense au processus de la CTCB, par exemple, au moins une personne près du processus m'a dit que les négociateurs fédéraux n'avaient pas de mandat précis pour conclure des ententes véritables. Voilà pourquoi nous n'arrivions pas à la conclusion d'accords pour le processus de la CTCB.

Je pense donc qu'il s'agit de gens d'expérience et bien informés, qui ne sont pas nécessairement des avocats, mais les avocats ont souvent les compétences voulues. Or, ce sont d'abord et avant tout des gens qui reçoivent un mandat du gouvernement.

Le sénateur Tannas : Pouvez-vous nommer une personne ou indiquer une situation, une courte période dans l'histoire, qui pourrait être vue comme un bon exemple pour l'avenir à certains égards?

M. Miller : Il n'y a pas qu'un seul type de négociateur de la Couronne qui a réussi dans le passé. William Johnson était commerçant de fourrures et un bureaucrate. Sir Frederick Haldimand était officier et Alexander Morris était avocat et juge. Je ne crois donc pas qu'il s'agit du type de personne, tant que la personne a le tempérament et le mandat voulus.

La sénatrice Raine : Bien entendu, vous savez que dans la fédération canadienne, les terres relèvent des provinces, mais la responsabilité fiduciaire à l'égard des Premières Nations relève du gouvernement fédéral. Ce qui me préoccupe quant à la situation actuelle en Colombie-Britannique, c'est que deux gouvernements dûment élus représentent les gens, mais on ne sait pas trop qui a les droits.

Le problème, c'est qu'il y a beaucoup de détenteurs de titre ou de gens en Colombie-Britannique qui ne sont pas membres d'une Première Nation, qui se sont établis dans des régions faisant l'objet de revendications et qui ont investi dans les terres depuis des générations. Il semble que personne ne les représente dans les négociations.

Je pense qu'en Colombie-Britannique, la situation est un peu différente par rapport à d'autres provinces. Pouvez- vous imaginer l'établissement d'un tribunal qui s'occuperait précisément des revendications en Colombie-Britannique? Je pense que nous savons tous que pour que les choses progressent, nous devons en arriver à des résolutions justes.

M. Miller : Je pense que le processus de la CTCB avait des dispositions concernant un organisme consultatif représentant les intérêts de tiers. Peut-être qu'une version plus efficace serait utile, certainement pour les tierces parties, les gens touchés, comme vous le dites, mais tout traité conclu devrait être représenté d'une manière ou d'une autre.

Vous pouvez comprendre que les Premières Nations hésitent à ce que le processus soit inondé de représentants de tiers, cependant, parce que le processus pourrait traîner encore plus qu'au cours des 25 dernières années. Or, il serait légitime qu'ils soient représentés. De façon officielle et de façon institutionnalisée — c'est-à-dire avec ou sans la participation de certains agents, je n'en suis pas certain.

La sénatrice Raine : En Colombie-Britannique, les politiciens ont toujours affirmé qu'aucune terre en fief simple ne faisait l'objet de négociations sans compensation. Les terres en fief simple, c'est une chose, mais les droits de pâturage pour les propriétaires de ranch, c'est différent. Toutefois, sans pâturage, le ranch ne vaut rien. Une grande anxiété règne actuellement. Je me demande si vous avez vu ce type de situation ailleurs au pays, à d'autres moments de l'histoire, une situation où des accords avec le gouvernement par des tiers peuvent devenir caducs dans la conclusion de traités.

M. Miller : L'exemple que vous venez de donner montre très bien certains des problèmes qui peuvent survenir durant les négociations.

Il existe un bon modèle pour régler ce type de choses depuis les années 1990, soit ce qu'on a appelé le système des droits fonciers issus de traités en Saskatchewan. Un nombre important — j'ai oublié le nombre exact — de Premières Nations n'ont pas obtenu la superficie des terres à laquelle elles avaient droit dans la conclusion d'un traité. En vue d'essayer de régler la situation en 1992, un accord a été conclu et il leur a permis d'acquérir la superficie de terres voulue.

Par contre, le principe déterminant au sujet des terres, c'était le principe de vente de gré à gré. C'était l'un des deux moyens d'acquérir des terres en vertu des accords sur les droits fonciers issus de traités. L'autre moyen, c'était le simple transfert de terres contrôlées par la Couronne.

Dans les provinces des Prairies, nous avons aussi ce problème de droits de pâturage sur les terres de la Couronne. C'est une question très complexe. Or, globalement, dans le cas de la Saskatchewan, l'utilisation du principe de vente de gré à gré semble avoir assez bien fonctionné.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de votre exposé. À la toute fin, vous avez dit ceci :

Le gouvernement fédéral pourrait donner suite à l'exhortation de la CVR en respectant convenablement les traités actuels.

Nous avons des traités modernes depuis 1973 environ. Pouvez-vous me donner un exemple de traités actuels qui ne sont pas respectés? Dans quelle mesure est-ce le cas? Les respecte-t-on aujourd'hui? Pouvez-vous nous donner des explications?

M. Miller : Il y a environ 1 000 revendications en suspens. Bon nombre d'entre elles sont liées à des traités. Je vais vous donner un exemple précis de ce que j'avais en tête lorsque j'ai écrit ce passage.

Récemment, devant un tribunal fédéral, la Première Nation de Beardy et Okemasis en Saskatchewan a eu gain de cause dans une revendication qui concernait des rentes non versées, les paiements annuels aux termes du Traité no 6. Après la rébellion du Nord-Ouest, en 1885, la Couronne a cessé unilatéralement de verser des rentes à plus d'une douzaine de Premières Nations, en déclarant qu'elles étaient rebelles. Ce n'était pas le cas, mais la Couronne l'a prétendu et a refusé de payer les rentes.

Je pense que 13 bandes se sont présentées devant les tribunaux en disant que la Couronne ne respectait pas son obligation légale et qu'elle devait leur verser ces rentes ainsi que les intérêts.

La cause type, c'est celle de la Première Nation de Beardy et Okemasis. Elle a eu gain de cause. Les avocats de la Première Nation ont alors dit à la Couronne que 12 autres Premières Nations étaient exactement dans la même situation et qu'ils voulaient régler les choses sur la même base; autrement dit, ils demandaient un règlement global de toutes ces revendications.

La Couronne n'a toujours pas répondu à cette proposition. Je ne dis pas que cela ne se produira pas, mais il est possible qu'elle continue de se défendre dans chaque cause pour laquelle un précédent a déjà été établi, exactement comme dans le cas des revendications relatives à des mauvais traitements subis dans les pensionnats autochtones entre la fin des années 1990 et 2005. C'est un exemple précis de ce que j'ai à l'esprit.

Le sénateur Enverga : Pourquoi le gouvernement résiste-t-il s'il s'agit de la même situation?

M. Miller : Je ne saurais vous le dire dans ce cas. Je peux seulement vous dire ce qu'un ancien sous-ministre de la Justice m'a dit lorsque je lui ai demandé pourquoi ils se sont battus devant les tribunaux dans toutes les causes qui concernent des mauvais traitements subis dans les pensionnats. Il m'a répondu que le rôle du ministère de la Justice est de servir son client, qu'il n'a qu'un client, et qu'il s'agit du gouvernement du Canada. Il m'a dit aussi que le ministère donnait au client les meilleurs conseils possible sur l'information qu'il détient. C'est l'explication qu'il m'a donnée. À ce moment-là, il croyait que c'était dans l'intérêt du gouvernement.

Le sénateur Enverga : Cela n'a pas de sens.

M. Miller : Les choses ont changé par la suite et une convention de règlement importante a été conclue.

Le sénateur Enverga : Il s'agit des vieux traités. Il y a de nouveaux traités, des traités modernes. Sont-ils meilleurs que les autres? Sont-ils suivis à la lettre?

M. Miller : J'ai bien peur que non. Je ne devrais pas rire, car ce n'est pas drôle.

Les dirigeants des Cris de la baie James ont dit qu'après 15 années d'application de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, qui a été conclue en 1975, la négociation du traité ne représente que la moitié de la lutte; ils ont dit que l'autre moitié correspond à la mise en œuvre. En fait, les Premières Nations du Québec ont dû aller devant les tribunaux pour obliger les gouvernements à respecter tous les traités. Il semble que la mise en œuvre soit toujours une bataille de tous les instants.

Le sénateur Enverga : Je crois comprendre que les vieux traités posent problème. Vaudrait-il mieux que nous renégociions les vieux traités ou que nous les transformions en traités modernes, si les nouveaux traités sont quelque peu meilleurs?

M. Miller : Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de changer ce que le gouvernement appelle les traités historiques, sénateur. Ils peuvent être interprétés et modernisés sans qu'ils soient changés pour autant. Ce serait rassurant pour les Premières Nations si cette démarche était adoptée, c'est-à-dire celle consistant à réinterpréter les vieux traités dans le cadre d'un accord et d'une négociation, en gros. C'est ce qu'on a tenté en Saskatchewan dans le cadre de la Commission des traités entre la fin des années 1990 et il y a environ 10 ans, ce qui a donné des résultats limités, je dois dire.

Le sénateur Enverga : Cela me surprend.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup, monsieur Miller. Compte tenu de votre appartenance à l'Université de la Saskatchewan, je tiens à signaler que c'est là que j'ai passé deux de mes meilleures années d'enseignement universitaire.

Ma question porte non seulement sur le passé, mais également sur ce que vous croyez possible maintenant et pour l'avenir. Pour revenir sur la question du sénateur Tannas, je me demande si vous pourriez donner des exemples de femmes qui ont participé à des négociations de traités et au règlement de revendications. De plus, pourriez-vous dire ce que vous pensez de la possibilité de faire appel davantage à l'expertise et à l'expérience des femmes?

M. Miller : Si vous me permettez de parler tout d'abord des traités historiques, dans ce cas, d'après ce que nous ont dit des Premières Nations, des historiens et d'autres personnes, il y avait un processus à deux étapes et les gens qui participaient aux négociations avec la Couronne consultaient des femmes, de sorte qu'elles ont participé indirectement. Elles n'étaient pas, pour ainsi dire, à la table de négociations, mais elles participaient de façon indirecte.

Le meilleur exemple récent que je peux vous donner concerne la Première Nation de Tsawwassen. Il s'agit d'un des quatre traités en Colombie-Britannique. Bien entendu, elle était dirigée par Kim Baird, qui a été extraordinaire dans ses fonctions de chef. Compte tenu du nombre croissant de femmes qui deviennent chefs d'une Première Nation, il y a tout lieu de voir de plus en plus de femmes participer directement à ces négociations.

En toute honnêteté, ce serait une bonne chose si cela se produisait. J'avais l'habitude de blaguer, peut-être inopportunément, lorsqu'on me demandait quelles seraient les solutions aux problèmes, à mon avis. Je disais qui si tous les chefs des Premières Nations étaient des femmes, les choses s'amélioreraient considérablement.

De toute évidence, ce n'est pas une solution viable, mais il existe un lien entre le fait qu'il y ait des dirigeantes et un leadership efficace. Moins de problèmes ont été rapportés, en particulier dans la région des Prairies. Je me réjouirais si ce que j'ai décrit se réalisait — si les femmes participaient de plus en plus directement aux négociations.

La sénatrice McPhedran : À ce sujet, si nous plaçons les choses dans le contexte international, ce que nous commençons à voir à l'échelle internationale, c'est que manifestement, les accords sont maintenus plus longtemps et instaurent une plus grande stabilité lorsque des femmes ont participé aux négociations et à la mise en œuvre des conditions des accords de paix.

On voit apparaître des protocoles et des exigences selon lesquels les négociations ne peuvent pas commencer sans la présence de femmes à la table, selon des droits de participation désignés. Cette idée aurait-elle du potentiel dans les scénarios possibles au Canada?

M. Miller : Je crois que ce sont les groupes autochtones et leurs dirigeants politiques eux-mêmes qui devraient répondre à cette question. Je ne pense pas qu'on devrait leur imposer. Si vous consultiez l'APN et l'Inuit Tapiriit et que vous les mettiez à contribution, ce serait fantastique.

Le sénateur Sinclair : J'ai beaucoup de questions à vous poser, mais je vais essayer de mettre l'accent sur la Proclamation royale et la négociation de traités qui en a découlé.

Premièrement, dans un témoignage qu'il a présenté au comité quelques semaines après votre première comparution devant le comité, le professeur John Borrows, auteur de nombreuses publications sur la Proclamation royale, sa mise en œuvre et les discussions qui ont eu lieu à Niagara en 1764, considère la démarche de 1764 à Niagara comme la négociation d'un traité dans son sens historique. Il parle du traité de Niagara et soutient qu'il reprend les dispositions de la Proclamation royale.

Par la Proclamation royale, on a garanti aux chefs autochtones et à leurs tribus qu'ils conserveraient leurs terres tant qu'ils ne les céderaient pas à la Couronne. On leur a également promis que la Couronne ne s'ingérerait pas dans leur fonctionnement interne tant qu'ils occuperaient ou détiendraient ces terres.

Voyez-vous l'entente qui a suivi la Proclamation royale en 1764 — le traité de Niagara de 1764 — comme un traité au même titre que les autres traités historiques que vous avez mentionnés?

M. Miller : Oui, l'argumentaire et les preuves présentés par le professeur Borrows m'ont convaincu. En fait, j'étais en train de travailler à la rédaction d'un livre sur l'histoire des traités quand les résultats de ses travaux sont sortis. Mes assistants de recherche et moi avons épluché toutes les références que John a citées. Nous constatons que William Johnson, qui était alors à la tête du ministère des Indiens (son titre officiel était surintendant des Indiens du Nord, au sein du ministère britannique des Indiens), avait fait préparer des copies de la Proclamation royale à l'hiver 1763-1764 et les avait distribuées afin qu'elles soient remises aux Premières Nations, pour qu'elles en soient informées par l'intermédiaire d'interprètes. Il a ensuite invité un grand nombre de chefs des Premières Nations à cette conférence organisée à Niagara en 1764.

C'est là où les éléments de preuve deviennent un peu faibles, parce que nous savons qu'il avait l'intention de la leur présenter et d'obtenir leur accord, mais nous n'avons pas de document formel attestant du fait qu'il leur a présentée et qu'ils étaient tous d'accord. Nous avons toutefois une ceinture wampum qui incarne un accord, et je pense que cela peut valoir autant qu'un document de style européen.

Donc, pour conclure, je crois que c'est une interprétation totalement raisonnable. Borrows a déduit et conclu à juste titre que la Proclamation a été convertie en traité avec l'accord des dirigeants des Premières Nations lors de cette conférence tenue à Niagara en 1764.

Le sénateur Sinclair : Quand on regarde les traités à numéros conclus après la Confédération, ils ont toute l'apparence de documents de cession de terres. Bien sûr, ils contiennent toutes sortes de dispositions sur les munitions ou les médicaments ainsi que d'autres dispositions relativement mineures sur des questions de paiement, mais l'élément principal en est le transfert de terres, comme vous l'avez dit, la question de la territorialité et de la cession de territoire.

J'ai participé à plusieurs groupes de discussion où les gens ont soulevé la question suivante, relativement à l'autonomie gouvernementale : pourquoi les dirigeants autochtones n'ont-ils pas insisté pour obtenir la reconnaissance de leur autonomie gouvernementale, de l'autodétermination, et la protection de leurs pouvoirs de préserver leurs cultures, leurs langues, leurs identités et leur patrimoine dans les traités, si c'était si important? N'était-ce pas implicite, de par le document de cession, qu'ils avaient l'intention d'abandonner tout cela dans le processus de conclusion de traités?

Quand vous analysez la Proclamation royale, les garanties qu'elle confère, en tenant compte de l'idée selon laquelle la tradition orale aurait perpétué ces garanties au sein des Premières Nations, êtes-vous persuadé qu'au moment de la Confédération et après, quand les traités ont été signés, les protections garanties par la Proclamation royale étaient telles que les Premières Nations auraient dû avoir le droit de continuer de fonctionner comme elles le souhaitaient et qu'il n'était pas nécessaire de l'indiquer dans les traités? Peut-on considérer que ces protections faisaient toujours partie de la relation entre les parties aux traités et la Couronne et que les traités eux-mêmes ne portaient que sur la cession de terres?

M. Miller : En toute déférence, sénateur, j'aimerais corriger une chose que vous avez dite.

Quand on regarde la version du traité du gouvernement, comme vous l'avez dit au début, ce n'est qu'une version du traité. Il y en a aussi des versions orales. Quand on examine les versions orales du traité que les Premières Nations se sont réservé, on peut voir, comme j'ai essayé de l'exposer dans mon introduction, que l'accent n'est pas tellement mis sur des termes précis, comme les rentes, la quantité de terres totale et tout le reste, mais plutôt sur la relation fondée sur l'engagement entre les représentants de la Couronne et les Premières Nations sous l'œil divin.

Pourquoi n'ont-ils pas adopté de dispositions détaillées sur les divers éléments que vous mentionnez? Parce que ce n'était pas nécessaire. Dans une relation proche de soutien mutuel et d'amitié, ces détails étaient inutiles. Les partenaires amis adapteraient leur relation en fonction des circonstances, parce que c'est ce que font les amis proches. C'est la raison pour laquelle ils n'ont pas insisté pour prescrire en détail tout ce à quoi on aurait pu s'attendre.

Ils ont insisté pour obtenir des choses comme des garanties d'éducation et des particularités concernant les limites des réserves, entre autres choses, mais dans l'ensemble, les détails étaient superflus en raison de cette relation d'amitié, et c'est ce qui comptait.

Le sénateur Sinclair : Dans un discours qu'elle a prononcé au Sénat, la sénatrice Beyak a affirmé que les Autochtones devraient renoncer à tous leurs droits ancestraux et issus de traités, puis simplement accepter une indemnité forfaitaire pour la cession de ces droits et s'assimiler à la société canadienne. En tant qu'historien et que chercheur, constatez-vous des mouvements en faveur de cette proposition parmi les communautés autochtones?

M. Miller : Non, je ne vois aucun appui à cette idée dans les communautés autochtones. À titre d'historien, je sais aussi que le Canada essaie depuis les années 1830 de faire adopter ce genre de résolution, mais que toutes ses tentatives ont échoué parce que les Premières Nations ont toujours résisté à l'idée de perdre leur culture et leur identité.

Le sénateur Sinclair : Merci.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie d'être ici. J'ai bien aimé votre exposé. J'aimerais m'arrêter un instant pour mieux comprendre votre allusion au traité Williams. Vous avez dit qu'il n'avait de traité que le nom. Pouvez-vous vous expliquer un peu plus? Il semble y avoir eu un tournant dans les négociations à partir de là.

M. Miller : Je pense que les historiens vous diront que le contexte a toujours son importance, bien sûr, mais qu'il compte particulièrement pour comprendre les traités Williams signés en 1923. À l'époque, le sous-ministre des Affaires indiennes était Duncan Campbell Scott. En 1920, lors d'une comparution devant un comité parlementaire, il a affirmé vouloir « se débarrasser du problème des Indiens ». Il a ensuite expliqué qu'il voulait se débarrasser de l'identité indienne pour qu'il n'y ait plus qu'un corps politique commun et que tout le monde fasse partie de la communauté. C'était la philosophie du gouvernement à l'époque.

Les traités Williams ont été adoptés pour régler une série d'anomalies, d'erreurs et d'omissions survenues pendant de la première phase de négociation de traités, dans les années 1780 et 1790, pour accommoder les Loyalistes et les soi- disant Loyalistes tardifs, qui sont arrivés à cette époque. La définition des terres visées était parfois incomplète, et divers détails manquaient. Ils essayaient donc simplement de faire le ménage et de régler tous ces problèmes. La solution du gouvernement, à prendre ou à laisser, qui peut probablement s'expliquer par la personnalité même du sous- ministre, c'était : « Nous allons vous donner cet argent, et ce sera la fin de toutes ces revendications. »

La sénatrice Boniface : Merci.

Le sénateur Christmas : Monsieur Miller, je vous remercie de comparaître de nouveau devant le comité. Je n'étais pas là lors de votre premier témoignage. J'ai lu la transcription avec beaucoup d'intérêt, donc j'étais très content que vous reveniez nous voir.

J'ai été très intrigué par votre description de l'histoire canadienne et des quatre phases du processus de la conclusion de traités. Je pense qu'on a dit beaucoup de choses sur les trois premières phases. Comme vous le savez, notre comité se demande comment relancer la relation entre la Couronne et les Autochtones du Canada. Je réfléchis donc à cette nouvelle phase, à ce que vous appelez la quatrième phase de la conclusion de traités.

Il y a essentiellement deux choses qui me préoccupent. La première concerne la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Comment la situeriez-vous dans la phase quatre?

Ma deuxième préoccupation rejoint la question du sénateur Tannas : qui devrait négocier au nom de la Couronne?

J'ai mes doutes sur la question de savoir si l'actuel ministère des Affaires autochtones et du Nord a le bon cadre pour représenter la Couronne dans les négociations de traités. En gros, c'est une créature de la Loi sur les Indiens, qui a des fonctions de réglementation et représente les intérêts de la Couronne.

J'ai également trouvé très intéressante votre caractérisation du ministère de la Justice, lorsque vous avez dit qu'il n'avait qu'un client, c'est-à-dire le gouvernement du Canada. Donc si les négociateurs de la Couronne sont les représentants du ministère des Affaires autochtones et du Nord et du ministère de la Justice, il semble tout de suite y avoir un biais. Les efforts de renouvellement de cette relation semblent biaisés.

Ma deuxième question est la suivante : comment la Couronne devrait-elle mener ses négociations dans cette quatrième phase de conclusion de traités ou qui devrait négocier au nom de la Couronne?

M. Miller : Je dois répéter ce que j'ai dit en réponse à la question du sénateur Tannas : nous vivons dans une démocratie parlementaire, et les personnes investies de la responsabilité, qui doivent répondre de leurs actes à l'électorat sont les personnes qui doivent prendre cette décision. C'est donc le gouvernement, sous réserve de l'approbation des deux chambres du Parlement, bien sûr. Je ne vois aucune façon d'y échapper. Si le gouvernement choisit de laisser ce mandat à AANC et au ministère de la Justice, c'est ainsi que les choses se feront, à moins qu'il ne soit persuadé par des moyens électoraux ou d'autres formes de pressions de changer de stratégie.

Je vous pose la question : si ce ne sont pas ces ministères, qui serait-ce? Devrait-on créer un tout nouveau ministère, qui devrait surmonter les souffrances de la naissance et de la maturation d'une nouvelle bureaucratie, qui devrait apprendre les règles du jeu? Il pourrait y avoir de véritables inconvénients à cela aussi. Personnellement, je préférerais qu'il y ait une réforme d'Affaires autochtones et du Nord Canada plutôt qu'une nouvelle structure bureaucratique.

Le sénateur Christmas : Monsieur Miller, qu'en est-il de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones? Où se situe-t-elle dans la prochaine phase de conclusion de traités au Canada?

M. Miller : Je pense que nous devons établir et redéfinir nos protocoles de négociation en fonction des besoins du Canada à la lumière des principes mis de l'avant dans la déclaration de l'ONU. Nous devons cependant aussi continuer de mettre l'accent sur notre territoire et nos communautés : leurs histoires, leurs cultures, leurs aspirations. Bien sûr, nous devons veiller à ne pas contrevenir aux principes de cette déclaration, mais il faut faire attention de ne pas « mettre le feu à la maison ».

La sénatrice Raine : Pouvez-vous nous parler du Traité de Waitangi et de la commission des traités ou du tribunal créé en Nouvelle-Zélande? Ce n'est pas un ministère en tant que tel. D'après ce que je comprends, il s'agit d'une organisation chargée de se pencher sur les problèmes découlant des traités. Pourrait-il y avoir quelque chose de comparable au Canada? Encore une fois, je me questionne sur le partage des compétences entre les provinces et le gouvernement fédéral.

M. Miller : Nous avons quelque chose du genre, à plus petite échelle, un organisme doté d'un mandat beaucoup plus limité. En effet, le Tribunal des revendications particulières est saisi de toute allégation selon laquelle le gouvernement contreviendrait à ses obligations juridiques envers les Premières Nations et d'autres groupes.

Le Tribunal Waitangi connaît ses succès, mais s'attire aussi sa part de critiques en Nouvelle-Zélande, en raison de tout le temps et des ressources qu'il consomme. Les chercheurs l'adorent, parce qu'il finance toutes sortes de recherches fantastiques qu'ils mènent avec leurs étudiants. Il produit d'excellentes bourses, ce qui est important, mais ne vient pas sans critiques.

Il y a une énorme différence entre la situation de la Nouvelle-Zélande et celle du Canada, cependant, parce que la Nouvelle-Zélande n'a qu'un traité à interpréter, comme nous en avions discuté lors de ma comparution précédente. Les chercheurs néo-zélandais et les Maoris vous diront : « Oui, mais nous en avons des milliers d'interprétations », ce qui est assez vrai. À l'inverse, au Canada, ce genre de tribunal aurait des centaines de traités à interpréter.

Nous avons quelques organismes particuliers. Il y a le BCTC dans votre province. Il y a le Tribunal des revendications particulières. Il y a le processus des revendications globales. Nous devrions peut-être améliorer ce que nous pouvons améliorer plutôt que de créer quelque chose de totalement nouveau.

La sénatrice Raine : J'ai une question à vous poser sur le traité négocié et conclu avec les Nisga'a. Au sein des communautés Nisga'a, il y en a qui avaient l'impression que leurs chefs ne représentaient pas leurs intérêts. Le chef Mountain en a interjeté appel. Il a tenté de saisir la Cour suprême de l'affaire, mais à coup de ressources, divers gouvernements successifs ont réussi à prévenir l'appel.

Le message du chef Mountain m'a frappé. Il disait essentiellement : « Je suis Canadien. Pourquoi n'y aurait-il pas un Canada uni, où nous marchons tous côte à côte, d'égal à égal devant la loi? » Ses partisans et lui déploraient vivement qu'il y ait deux statuts juridiques différents pour les Canadiens. La constitutionnalité du traité conclu avec les Nisga'a était remise en cause, et je pense que certains juges de la Cour suprême étaient favorables à cet appel, mais il ne s'est jamais rendu jusqu'à la cour.

C'est un peu une histoire inachevée, sur le plan juridique, puisque la constitutionnalité du traité avec les Nisga'a et des traités subséquents n'a jamais vraiment été évaluée. Est-ce que cela fera partie de la phase quatre?

M. Miller : Vous connaissez probablement cette page de l'histoire mieux que moi, sénatrice, mais je pense que le traité avec les Nisga'a a fait l'objet d'une contestation juridique avant d'être ratifié. Les tribunaux l'ont rejetée, donc c'est passé.

Je pense que les contestations des termes des traités sont communes et prévisibles, comme le montre l'exemple des Nisga'a. Les intérêts des diverses communautés diffèrent. Chacune voit les choses à sa façon. Comme on le voit souvent dans le contexte des traités modernes, dont celui conclu avec les Nisga'a, il y a des revendications qui se chevauchent. C'est ce qui se passe quand une autre Première Nation vient dire : « Hé, vous venez de négocier un territoire que nous considérons nôtre. » C'est la même chose qui s'est passée lors des négociations de l'entente du Nunavut, par exemple. Ce genre d'enjeu ressort lorsqu'on conclut des traités sur des territoires.

Le problème des deux régimes de droit interpelle beaucoup de gens, pas seulement les Nisga'a. Beaucoup de Canadiens non autochtones déplorent aussi la situation. J'aimerais simplement leur rappeler, comme je vous le rappelle, que l'entente sur l'autonomie gouvernementale qu'on trouve dans le traité conclu avec les Nisga'a vient avec un certain nombre de conditions. Il est assujetti au Code criminel du Canada, ainsi qu'à l'application de la Charte des droits et libertés et même à l'application de lois fiscales.

Il y a donc des limites à l'autonomie gouvernementale des Premières Nations en vertu du traité conclu avec les Nisga'a. Les trois éléments que je viens de mentionner correspondent pour ainsi dire au strict minimum du gouvernement fédéral dans toutes les négociations d'entente d'autonomie gouvernementale ou de traité en Colombie- Britannique. J'ai déjà posé la question en privé à un négociateur fédéral : « Faut-il en déduire que le Canada ne signera aucune entente qui ne respecterait pas ces conditions? » Il m'a donné raison.

Le sénateur Patterson : Monsieur Miller, vous avez fait valoir de façon très convaincante que le processus de conclusion de traités visait, au moins en partie, à donner à la Couronne accès aux ressources, à commencer par le commerce des fourrures, puis comme vous l'avez expliqué, il y a eu l'or dans le Traité no 8, les minéraux dans le Traité no 9 et le pétrole dans le Traité no 11. Vous avez raconté combien la Couronne avait été opportuniste et nombriliste après la découverte de pétrole à Norman Wells. Il y a encore eu le pétrole dans le règlement avec les Inuvialuits, puis l'hydroélectricité à la baie James, dans le Nord du Québec.

Aujourd'hui, il y a de grands conflits qui entourent l'exploitation des ressources et la construction de pipelines, le Cercle de feu, la fracturation hydraulique au Nouveau-Brunswick, pour ne nommer que quelques-uns des projets situés sur des terres occupées par les peuples autochtones.

À un moment où nous cherchons à renouveler notre relation, le changement de paradigme dans notre façon d'aborder l'exploitation des ressources avec les Autochtones fait-il partie de l'établissement d'une relation plus équilibrée entre les Autochtones et la Couronne?

M. Miller : Oui, c'est un aspect essentiel du rétablissement de notre relation. Il y a consensus aujourd'hui, alors que ce n'était pas le cas il y a 20, 30 ou 40 ans, et tout le monde comprend qu'il doit y avoir de réelles consultations et une véritable négociation. On ne peut pas agir de façon unilatérale comme le gouvernement du Québec et la Société de la Baie-James ont essayé de le faire au début des années 1970, particulièrement depuis que la Cour suprême du Canada a promulgué la doctrine du devoir de consultation.

Je pense que c'est très bien compris, en général, à tout le moins au gouvernement et chez les entreprises, parmi les élites si ce n'est ailleurs. Il doit y avoir de véritables consultations. Je pense que cela devra faire partie de toute relation efficace et harmonieuse à l'avenir.

Le sénateur Patterson : Je trouve intéressants certains traités modernes très détaillés qui garantissent aux peuples autochtones leur part des revenus tirés des ressources. Je pense à l'Accord définitif du Nunavut. Bien sûr, on l'a vu également dans le contexte de l'entente-cadre sur le transfert des responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest, par lequel les Premières Nations autochtones se sont fait octroyer une part des revenus que la Couronne tire des ressources, et cela s'applique aussi aux Inuvialuits.

Il y a également des traités modernes qui garantissent aux Autochtones un rôle dans la réglementation des projets et leur examen. Avez-vous des observations à faire sur le concept de la part garantie des revenus tirés des ressources et la participation à l'approbation de projets ou à l'établissement de conditions pour l'approbation de projets comme autres éléments pour rétablir la relation à l'égard de l'exploitation des ressources?

M. Miller : Je dirai d'emblée, sénateur, que les négociateurs autochtones cherchent depuis longtemps à s'assurer une part des revenus tirés des ressources. Dès la fin des années 1840, dans les négociations en vue des Traités Robinson de 1850, le chef Shingwaukonse de la Première Nation de Garden River réclamait sa part des recettes, sa part des ressources minières qui devaient être exploitées sur les terres faisant l'objet de négociations en 1850. C'est donc un objectif depuis très longtemps.

Je pense qu'il y a deux arguments incontournables qui justifient un quelconque partage des revenus tirés des ressources. Il y a d'abord le simple argument de l'équité, que tout le monde peut reconnaître, j'en suis sûr, parce que ces terres appartenaient à l'origine aux peuples autochtones et qu'il ne serait que justice que de partager avec eux les fruits de l'exploitation de ces terres.

L'autre argument est tout aussi convaincant, et c'est celui du renforcement des capacités. Les communautés visées sont très souvent parmi les plus défavorisées au pays, et si nous pouvons les aider à améliorer leur sort grâce à une plus grande part de revenus pour financer l'éducation et d'autres ressources, je pense que ce sera non seulement à leur avantage, mais aussi à celui du pays dans son ensemble. Je pense qu'il y a deux arguments à cela.

La présidente : Monsieur Miller, vous avez piqué ma curiosité avec votre dernière observation sur le chef de Garden River, qui réclamait sa part des ressources dès les années 1850. Je pense aussi à toute la tradition orale qui entoure la conclusion de traités et aux moyens dont nous disposons pour connaître ces versions orales, puisqu'elles étaient orales. Dans ce cas-ci, y a-t-il un compte rendu écrit de ce que le chef a dit? Y a-t-il d'autres façons de connaître l'histoire orale, comme les aînés qu'on consulte concernant les traités en Saskatchewan? Vous pouvez peut-être nous parler un peu de l'interprétation et des documents qui attestent de la tradition orale pour déterminer ce que les traités voulaient vraiment dire.

M. Miller : Plusieurs sources attestent l'histoire orale entourant les traités. Dans le cas par exemple du Traité no 6 conclu en 1876, les deux chefs cris Mistawasis et Ahtukukoop, des dirigeants aînés très respectés et influents, ont été plutôt clairvoyants. Ils ont embauché leur propre interprète, un homme métis du nom de Peter Erasmus. Avant le début des négociations à proprement parler, les dirigeants des Premières Nations ont discuté, un échange auquel Peter Erasmus a assisté. Il a été témoin des pourparlers. Les dirigeants ont discuté parce qu'ils n'étaient pas d'accord. Certains ne voulaient pas conclure de traité. Ils ont fait valoir leurs arguments, puis sont parvenus à un consensus.

Le fait est qu'Erasmus a fini par publier ses mémoires, qui s'intitulent Buffalo Days and Nights. Ce livre présente un merveilleux compte rendu des propos des différents intervenants lors de la discussion de Fort Carlton, qui a précédé la première partie du Traité no 6. Voilà donc une première source.

Vous avez fait allusion à une autre source, sénatrice, à savoir que des organisations des Premières Nations, y compris la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan, ont recueilli des témoignages d'aînés, en particulier dans les années 1970. Aussi, le Bureau du commissaire aux traités a parrainé dans les années 1990 un projet de recherche du regretté Harold Cardinal et de Walter Hildebrandt, qui avaient recueilli une bonne quantité d'histoires orales.

Une autre source était la Tribu des Blood, en Alberta, qui a collaboré avec les historiens Sarah Carter et Walter Hildebrandt. Ces derniers ont publié un livre sur la signification et l'intention du Traité no 7, qui repose principalement sur la tradition orale. La collecte de l'histoire orale est donc un processus continu qui se poursuit aujourd'hui encore.

Dans certains milieux, la fiabilité de l'histoire orale suscite la controverse, mais des règles régissent la façon dont elle est recueillie, préservée et transmise, et elles sont conçues pour préserver son intégrité et sa fiabilité. Je pense que lorsque ces règles ont été respectées, la tradition orale est une source très crédible, à un point tel que la Cour suprême a déclaré en 1997 que les témoignages oraux doivent être pris en compte. Ils ne peuvent pas simplement être écartés sous prétexte qu'il s'agit de ouï-dire.

Le sénateur Sinclair : On sait que le processus des traités de la Confédération à aujourd'hui a notamment été marqué par l'incapacité du gouvernement à respecter ses obligations, peut-être encore plus à l'ère moderne. Je me demande donc si vous connaissez un processus d'élaboration des traités qui permettrait de mieux en surveiller la mise en œuvre que nous l'avons fait au Canada. Existe-t-il un modèle de processus semblable dans le monde auquel notre comité pourrait jeter un œil?

M. Miller : Je ne connais aucun organisme de surveillance semblable, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a aucun. Je ne prétends pas connaître toutes les dispositions que les différents pays ont prises.

Je pense que les instances gouvernementales canadiennes de toute allégeance politique hésiteraient beaucoup à céder cette responsabilité de surveillance, étant donné que la responsabilité politique leur revient, comme je l'ai dit à quelques reprises. Au bout du compte, la conclusion de ces ententes est une activité politique. Ils vont en assumer la responsabilité, et je pense naturellement qu'ils voudront conserver le contrôle. En tant qu'ardent défenseur de la démocratie parlementaire, cette situation ne me pose aucunement problème.

Le sénateur Sinclair : Vous avez beaucoup parlé du processus de conclusion des traités chez les Premières Nations. J'aimerais savoir si vous avez des remarques sur ce processus lorsqu'il met en cause des Métis et des Inuits.

M. Miller : Bien sûr, la situation des Inuits est bien représentée dans l'accord du Nunavut, où le peuple a obtenu un nombre raisonnable de ses demandes. Les Inuits ont fait preuve d'un leadership très efficace, tant dans l'atteinte du but des négociations que dans leur exécution. Je ne connais pas vraiment grand-chose de plus sur ce peuple et ses traités, de sorte que je vais m'arrêter ici.

Dans le cas des Métis, ce peuple a participé à la conclusion de certains traités. Par exemple, les Métis étaient présents lors de la négociation du Traité no 3, à savoir le Traité de l'Angle nord-ouest dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Les dirigeants des Premières Nations tenaient à ce qu'ils soient inclus à ce traité. Dans les cas du Traité no 4 et du Traité no 8, si ma mémoire est bonne, le gouvernement du Canada a toujours refusé les Métis sous prétexte qu'il ne voulait négocier qu'avec les Premières Nations.

En contrepartie, le gouvernement donnait alors aux personnes considérées comme métisses la possibilité d'adhérer à un traité, puis d'être vues par le gouvernement comme des Premières Nations et toucher des rentes. Sinon, elles pouvaient rester en dehors du traité et demeurer métisses.

À ce moment, je pense que les Métis avaient du mal à se faire reconnaître dans la Constitution. Bien sûr, le peuple a récemment été reconnu et inclus au paragraphe 91(24). J'imagine que des applications plus précises de ce droit seront maintenant établies, et elles incluront probablement la conclusion de traités.

Comme je l'ai dit en réponse à une question la dernière fois que j'ai comparu, je pense que le besoin le plus pressant du peuple est bien sûr de se doter d'une assise territoriale. Je suppose que le Ralliement national des Métis insistera fortement là-dessus. Je ne pourrais pas dire si ce sera fait dans le cadre d'un traité ou par un autre mécanisme.

Le sénateur Sinclair : Merci.

Le sénateur Christmas : Monsieur Miller, si vous aviez l'occasion de conseiller le premier ministre, la ministre des Affaires autochtones ou la ministre de la Justice sur l'avenir de la Couronne et des peuples indigènes au pays, que leur diriez-vous?

M. Miller : Comme la Commission de vérité et de réconciliation l'a mentionné, je leur dirais que c'est vraiment une question de respect, en fin de compte, et j'ajouterais que tout dépend de la relation. Je suis d'accord avec les dirigeants des Premières Nations qui ont négocié de nombreux traités, y compris les traités numérotés : ce qui compte vraiment, c'est la relation.

Si vous établissez une relation solide fondée sur un respect mutuel, je pense que vous pouvez alors résoudre les problèmes qui surviendront inévitablement, comme c'est le cas pour toute relation.

Le gouvernement en place dit être prêt à dialoguer de nation à nation avec les peuples autochtones. Il l'a affirmé. Or, je ne pense pas qu'il soit exagéré de dire que ses propos n'ont pas été mis en application très efficacement à ce jour, mais j'espère que ce sera le cas.

Le sénateur Christmas : Merci.

La sénatrice Pate : Monsieur Miller, l'une des choses que vous avez recommandées — et vous l'avez dit plusieurs fois aujourd'hui —, c'est que vos travaux et vos recherches ont fait ressortir le lien entre les relations et le fait que les parties doivent négocier dans le respect. Vous semblez dire que sans un tel respect, il y aura de grandes difficultés, peu importe le rôle d'une démocratie parlementaire à ce chapitre.

Compte tenu de ce fait et des positions qui ont été exprimées plus récemment au Sénat par la sénatrice Beyak et d'autres au sujet de la relation historique et de la relation actuelle, j'aimerais savoir si vous pensez que les discussions de nation à nation peuvent se poursuivre sans qu'il n'y ait préalablement une compréhension authentique de la nécessité de ce dialogue respectueux, et une compréhension authentique des torts d'antan. Le refus de reconnaître l'étendue de ces torts antérieurs fait-il en sorte que nous avons nécessairement du mal à mener des négociations et des discussions de nation à nation de bonne foi?

M. Miller : Sans des relations respectueuses, je ne pense pas que nous pourrons avoir une relation saine à l'avenir. Comme vous l'avez laissé entendre dans votre question, je pense que la connaissance de tous les facteurs en cause, y compris les antécédents, est absolument essentielle pour bâtir et entretenir une telle relation respectueuse.

À cet égard, j'aimerais revenir sur une chose que j'ai dite lors de ma visite précédente — je vous ai prévenu que cela arriverait si vous posiez une question à un universitaire —, à savoir que l'éducation est extrêmement importante. Ce n'est pas vraiment une idée originale, comme nous le savons tous, mais c'est essentiel.

Permettez-moi d'aller encore plus loin en disant que nous, les universitaires, et en particulier les historiens du milieu universitaire, devons accepter une bonne partie du blâme quant au fait que la population canadienne ne connaît pas l'histoire aussi bien qu'elle le devrait. Nous n'avons pas réussi à transmettre efficacement à la population générale ce que le milieu universitaire sait sur l'histoire de la relation. Il y a une rupture dans la diffusion des connaissances qui ont été accumulées et communiquées dans le milieu depuis maintenant 30 ou 35 années, et nous devons en porter une part de la responsabilité. En tant qu'humble universitaire, je vous demande donc de bien vouloir nous aider à renforcer cette éducation.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. De toute évidence, si tout allait bien, nous n'aurions pas de discussions de nation à nation même ici, au sein de notre comité.

Le sénateur Sinclair : Il y a une question à ce chapitre.

M. Miller : Je me contenterai de dire que je suis d'accord avec vous, sénatrice.

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur Tannas : Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'une reconnaissance s'impose avant de pouvoir aller de l'avant et opérer une réconciliation. Je pense qu'il faut notamment réparer les dommages causés et combler l'écart, mais nous devons commencer par nous entendre sur un ensemble de faits.

Dans toutes les sphères de la société, nous commençons à constater que les faits sont modifiés en fonction des susceptibilités de l'époque. Vous avez consacré votre carrière à ce volet de l'histoire. Commencez-vous à remarquer que les faits sont transformés? Pourrions-nous nous en tenir à un ensemble de faits convenus, que nous pourrions enseigner à nos enfants, et sur lesquels nous pourrions nous baser pour l'enjeu le plus important de notre époque, comme je l'ai dit lorsque j'ai voulu obtenir ce travail? Avons-nous un ensemble de faits convenus sur lesquels nous pouvons miser pour effacer certains des discours qui rendent tout le monde méfiant et furieux?

M. Miller : Vous avez mis le doigt sur un véritable défi dans la conduite de relations saines, pas seulement entre les peuples autochtones et non autochtones, mais aussi entre divers secteurs de la société.

Dans son opinion majoritaire relative à l'arrêt Marshall, le juge Ian Binnie a rejeté les historiens universitaires, entre autres, sous prétexte que la cour ne pouvait pas attendre qu'un consensus historique stable se dégage sur la situation des Micmacs et des droits de récolte. C'est plutôt paradoxal, puisque le tribunal a dû rendre une autre décision quelques mois plus tard, ce qui laisse entendre que les juges ont eu du mal à trouver un consensus judiciaire stable, en fait.

C'est un enjeu réel. Les faits ne changent pas, mais leurs interprétations peuvent évidemment varier, et je doute que vous vouliez empêcher cela. Dans une société démocratique, il est essentiel de pouvoir échanger librement sur ces idées, y compris celles qui concernent l'interprétation.

Je pense que l'idée que les traités sont importants et permanents est désormais généralement acceptée. Il fut un temps où certains proposaient de les balayer du revers de la main. Je ne pense plus que cette vision soit encore très répandue, parce que les gens reconnaissent l'application de l'article 35, par exemple, qui empêche de le faire. Les gens reconnaissent qu'il y a eu des tentatives, mais que celles-ci ont échoué. À quoi bon réessayer?

Je pense qu'un consensus se dégage dans certains domaines. L'une des choses qui me dérangent un peu, c'est qu'un tel consensus règne généralement parmi les élites de la société, comme l'élite politique et bureaucratique, les groupes d'universitaires et les chefs d'entreprise. La Colombie-Britannique est un très bon exemple de la façon dont un consensus s'est établi sur la façon de traiter avec les Premières Nations dans la province, pour finalement inclure les grandes entreprises commerciales. Mais un tel consensus ne parvient pas toujours à la population en général. Là encore, je pense que les universitaires doivent accepter leur part du blâme à ce chapitre.

En tant qu'universitaire, j'ai été gravement perturbé par les événements des six à huit derniers mois chez notre voisin du sud, où les élites sont attaquées. Sous l'ancien gouvernement fédéral du Canada, j'ai été très troublé qu'on s'en prenne aux connaissances et aux recherches, par exemple. Je pense que c'est un véritable problème des démocraties occidentales du XXIe siècle que de voir si le consensus va durer ou si le prétendu populisme va renverser ce genre de dirigeants.

Dans le passé, la culture politique canadienne a été fortement marquée par la déférence. Je pense toutefois qu'il y a lieu de croire que cette déférence s'affaiblit. Vous pouvez vous en réjouir. Il y a des arguments en faveur de l'atténuation de la déférence à l'égard de l'autorité et de l'opinion de l'élite, mais cette opinion est généralement éclairée. Je pense donc qu'il y a un risque lorsque l'appui à l'égard d'une opinion éclairée s'affaiblit.

Je ne sais pas trop où je m'en vais avec cela, mais je me libère un peu d'un certain fardeau.

Le sénateur Tannas : Nous sommes à votre service. Je vous remercie.

La sénatrice Raine : J'aimerais que vous nous donniez un peu de contexte sur l'histoire de l'utilisation du tabac dans les cérémonies. Il y a aujourd'hui énormément de conflits entourant la réglementation gouvernementale des cigarettes, de même que l'utilisation et la vente du tabac par les Premières Nations. Pourriez-vous nous donner une perspective historique pour nous aider à comprendre les droits entourant l'utilisation commerciale du tabac?

M. Miller : Pour établir une analogie qui n'est peut-être pas tout à fait pertinente, le tabac est aux Premières Nations ce que le sacrement est aux chrétiens. C'est absolument essentiel. La plante a une signification et une utilité spirituelles puissantes. L'utilisation du tabac, qu'il soit donné en cadeau, jeté au feu ou fumé dans une pipe avant de négocier afin de se rapprocher des gens, a précédé l'arrivée des Européens en Amérique du Nord. La plante a toujours été absolument essentielle.

Selon les anthropologues, c'est surtout attribuable au fait que la fumée qui monte atteint métaphoriquement le créateur ou la divinité, qui participe alors à ce que les humains font sur terre, dans notre monde ici-bas. Il s'agit d'une cérémonie spirituelle extrêmement importante et absolument vitale, qui est répandue dans toutes les régions nordiques de l'Amérique du Nord, même dans celles où aucun tabac n'est cultivé. Le commerce et l'utilisation du tabac ont donc toujours été importants, même avant l'arrivée des Européens.

Le sénateur Patterson : Monsieur Miller, j'aimerais vous interroger sur les traités antérieurs à 1975, sachant que vous avez écrit sur le sujet dans votre ouvrage Compact, Contract, Covenant : Aboriginal Treaty-Making in Canada. Vous mentionnez qu'il y a eu de nombreux problèmes dans la mise en œuvre des traités antérieurs à 1975. En 1973, le gouvernement fédéral a enfin établi le processus de règlement des revendications particulières pour répondre à ces griefs antérieurs.

Alors que nous envisageons de réinitialiser la relation, comment ce processus de règlement des revendications particulières fonctionne-t-il désormais? Quels sont aujourd'hui les recours possibles relativement à la mise en œuvre des traités antérieurs à 1975?

M. Miller : Pour faire une réponse courte, sénateur, le processus est très lent et insuffisant. Mais c'est certainement mieux que rien du tout.

Par souci d'équité, il convient de souligner que les gouvernements ont tenté au moins deux fois de peaufiner, de réformer et d'améliorer le processus de règlement des revendications particulières. Cela s'est produit sous le gouvernement Mulroney au début des années 1990, par exemple en réponse à la crise d'Oka de 1990. C'est aussi arrivé plus tard, lorsque le Tribunal des revendications particulières a été créé pour servir en quelque sorte d'instance d'appel pour les décisions négatives prises par l'équipe responsable des revendications particulières. Je pense que des efforts ont été déployés pour améliorer les choses.

Je pense que nous avons d'une part un problème de mandat, étant donné que le gouvernement pourrait donner une plus grande marge de manœuvre et moins de restrictions à ces instances dans le cadre des règlements et, d'autre part, un problème de ressource, comme c'est toujours le cas au sein d'une société démocratique. On s'inquiète notamment de la répartition efficace et équitable des ressources financières.

Le sénateur Patterson : Merci pour cette réponse.

J'aimerais maintenant que nous parlions des ententes sur les revendications territoriales globales et des quatre ententes sur l'autonomie gouvernementale qui ont été négociées depuis 1973. Vous avez indiqué que la mise en œuvre de ces ententes progresse très lentement.

J'aimerais savoir ce que vous pouvez nous dire de plus à ce sujet. Comment pourrait-on mieux s'y prendre pour atténuer les préoccupations que vous avez soulevées?

M. Miller : Si l'on fait exception des traités que j'ai mentionnés — dont ceux de la baie James, du Nord du Québec, du Nunavut et des Nisga'as — tous les règlements relatifs aux revendications globales, c'est-à-dire tous les traités modernes de cette forme, ont été négociés dans le Nord territorial. Ce n'est d'ailleurs pas une coïncidence. Dans cette région du pays, la Couronne fédérale a en effet le contrôle total sur les terres publiques et les ressources naturelles. Il n'y a là aucune province qui souhaite exercer sa compétence à l'égard de ces terres et de ces ressources. Cela nous ramène à ce que faisait valoir tout à l'heure la sénatrice Raine concernant la Colombie-Britannique.

Le contrôle qu'exercent les provinces à l'égard des terres publiques et des ressources naturelles a toujours compliqué et ralenti le règlement des revendications territoriales des Autochtones. C'est pour cette raison que la question des terres, comme on l'a appelée pendant longtemps, s'est posée en Colombie-Britannique des années 1880 jusqu'à la création de la Commission des traités de la Colombie-Britannique en 1992. Ainsi, le gouvernement fédéral et celui de la province ne se sont jamais entendus quant à la quantité de terres qui devaient être allouées en réponse aux revendications des Premières Nations.

Si vous me permettez d'aborder brièvement un aspect plus complexe de l'Histoire, je vous dirais que les termes de l'union en Colombie-Britannique indiquaient que le gouvernement fédéral allait assumer la responsabilité de ce que l'on appellerait aujourd'hui les enjeux touchant les Premières Nations, mais que la province était tenue de fournir les terres publiques nécessaires pour que le gouvernement fédéral puisse s'acquitter de ces obligations. On pavait ainsi la voie à des disputes incessantes, un genre de guérilla à petite échelle, entre les deux ordres de gouvernement en Colombie-Britannique.

De tels obstacles n'existent pas dans le Nord territorial, mais vous allez vous y buter à n'importe quel autre endroit où vous souhaitez négocier le règlement de revendications territoriales globales.

Il faut envisager la possibilité que des traités territoriaux ou des règlements sur les revendications territoriales globales soient conclus dans le Canada atlantique, par exemple, étant donné qu'on y trouve uniquement des traités de paix et d'amitié. C'est vrai également pour le Nord du Québec. C'est donc une question qui va ressurgir sans cesse.

Les précédents historiques en la matière ne sont guère encourageants. Exception faite de la Colombie-Britannique, le Nord de l'Ontario est le meilleur exemple que l'on puisse trouver dans notre passé. À l'approche de la conclusion du Traité no 9, d'intenses négociations ont eu lieu entre Ottawa et Queen's Park à Toronto, du fait que l'Ontario devait avoir son mot à dire relativement à ce traité. À plusieurs reprises, Queen's Park a refusé de coopérer ou de participer à ce qui allait devenir les négociations du Traité no 9 si Ottawa n'acceptait pas ses conditions. Ottawa a cédé à chaque fois. C'était la seule manière de faire avancer les choses. C'est un exemple très clair et tout à fait déstabilisant des complications qui peuvent survenir.

Je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement au sein d'un État fédéral. Compte tenu de la Constitution que nous avons, c'est un élément incontournable de la problématique. Si nous pouvions dégager un vaste consensus quant à l'importance du règlement de ces différends, je crois que les gouvernements provinciaux seraient davantage enclins à donner leur accord. Ce serait d'ailleurs le cas pour les deux ordres de gouvernement qui voudraient que les choses puissent aller de l'avant. Cela reste toutefois une complication inévitable dans un pays comme le nôtre.

Le sénateur Enverga : Vous avez parlé tout à l'heure de l'histoire orale qui est transmise d'une personne à une autre. Avez-vous pu constater des changements à ce chapitre? Est-ce que l'histoire orale évolue avec le temps, ou est-ce que tout se fait maintenant par écrit?

M. Miller : Non, mais parfois ce sont seulement les détails qui changent. Il existe des exemples en ce sens. C'est l'un des éléments les plus souvent invoqués pour critiquer l'histoire orale. Il importe donc de reconnaître que l'essentiel de ces récits demeure inchangé.

J'ai indiqué brièvement tout à l'heure en réponse à une question sur l'histoire orale qu'il existait des protocoles visant à en préserver l'intégrité et la fiabilité. Certains sont choisis pour devenir les porteurs du message; c'est à eux que l'on enseigne l'histoire orale qu'ils vont ensuite transmettre aux générations subséquentes. Les différentes collectivités des Premières Nations les recrutent et les sélectionnent soigneusement pour accomplir cette tâche. Je pense donc que tout est mis en œuvre pour s'assurer que l'histoire orale demeure digne de foi. Reste quand même qu'il y a effectivement certaines variations.

Le sénateur Enverga : Est-ce que l'histoire orale a déjà été utilisée devant les tribunaux?

M. Miller : Elle a certes déjà été invoquée. Depuis l'arrêt Delgamuukw en 1977, les tribunaux doivent prendre en considération l'histoire orale. Il faut avouer qu'ils n'ont pas toujours trouvé cette histoire orale convaincante. Même lorsqu'elle est appuyée par de la documentation, les juges peuvent encore avoir des doutes.

Je me rappelle à ce sujet de l'arrêt Benoit, une affaire liée à l'impôt dans le contexte du Traité no 8. En l'espèce, on a tenu compte des récits oraux des membres des Premières Nations qui indiquaient qu'ils étaient à tout jamais exemptés du service militaire obligatoire et de l'impôt. Les commissaires aux traités ont versé au dossier un mémoire confirmant qu'ils étaient d'accord avec ces allégations. Quoi qu'il en soit, la Cour suprême du Canada n'a pas donné gain de cause aux Premières Nations dans l'arrêt Benoit.

Je dois avouer que je n'ai jamais trouvé le temps de lire l'arrêt Benoit. Je ne sais pas exactement quels étaient les motifs. Peut-être que le sénateur Sinclair pourrait mieux vous répondre à ce sujet. C'est l'exemple le plus manifeste à mes yeux d'une situation où l'histoire orale a été prise en compte seulement pour être rejetée par la suite, et ce, même si d'autres éléments semblaient la corroborer.

La présidente : C'était la dernière question que nous adressions à notre témoin d'aujourd'hui. Chers collègues, je vous remercie pour toutes vos questions.

Au nom du comité, je tiens à vous remercier encore une fois, monsieur Miller, de vous être ainsi mis à nouveau au service de la population en comparaissant une deuxième fois devant nous pour répondre à toutes ces questions. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vous nous avez fourni ce matin une grande quantité d'informations qui vont certes nous être utiles dans la poursuite de notre étude.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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