Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 20 - Témoignages du 3 mai 2017
OTTAWA, le mercredi 3 mai 2017
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 49, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Bonjour, tanisi, good evening. Je veux souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs et aux personnes qui assistent à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit dans cette salle ou par le biais du web.
Dans l'intérêt de la réconciliation, je tiens à souligner le fait que nous nous réunissons ici sur les terres traditionnelles non cédées des peuples algonquins.
Je m'appelle Lillian Dyck. J'ai l'insigne honneur et le privilège de présider ce comité. J'inviterais maintenant mes collègues sénateurs à se présenter en commençant par la gauche.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Québec.
Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.
Le sénateur Tobias Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.
La présidente : La sénatrice Yonah Martin, de la Colombie-Britannique, vient de se joindre à nous.
Aujourd'hui, nous poursuivons la phase 1 de notre nouvelle étude sur les nouvelles relations à instaurer entre le gouvernement et les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada.
Nous nous penchons sur les Prairies canadiennes. Nous sommes ravis d'accueillir le professeur émérite John Milloy de l'Université Trent et le professeur James Daschuk, de la faculté de kinésiologie et d'études en santé de l'Université de Regina. Bienvenue, messieurs. Vous avez la parole.
Après vos interventions, nous aurons une ou deux séries de questions des sénateurs. C'est à vous.
James Daschuk, professeur agrégé, faculté de kinésiologie et d'études en santé, Université de Regina : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à vous parler de mes recherches. Je suis historien et je travaille dans le domaine de la santé de la population depuis mon arrivée dans cette faculté de l'Université de Regina en 2008.
Pour mettre les choses en contexte, voici l'un des principes qui a guidé mon travail : l'efficacité des politiques publiques peut être évaluée à l'aune des effets qu'elles ont sur la santé des gens dans les populations touchées. Les bonnes politiques améliorent la vie des gens; les mauvaises ont l'effet contraire. Par conséquent, il n'est pas vraiment possible de séparer la politique de la biologie — donc de la santé, dans ce cas-ci.
Dans mon témoignage, je décrirai la relation entre, d'une part, la politique du gouvernement canadien que nous connaissons en tant que professionnels — ce qui était autrefois appelé la politique sur les Indiens — et, d'autre part, les effets de cette politique sur les communautés autochtones des Prairies. Bien qu'ils remontent au tout début de la relation entre le Canada et les Premières Nations des Prairies, les événements dont je parlerai ce soir ont des répercussions encore aujourd'hui.
Il existe deux concepts clés pour saisir l'histoire que je vais vous raconter. Premièrement, une centaine d'années avant que les Canadiens ne plantent leur drapeau dans l'Ouest, les communautés autochtones avaient été frappées par de terribles épidémies apportées par des Européens, un événement très grave et traumatisant. Il s'agissait de la variole et de ce qu'il est convenu d'appeler les épidémies des terres vierges, des maladies mortelles qui ont peut-être décimé 80 p. 100 des populations en l'espace de trois semaines. Nous savons que les Premières Nations transmettent leurs informations de manière orale et non de manière écrite. Difficile d'imaginer les conséquences d'une perte de 80 p. 100 des aînés, de 80 p. 100 des gardiens du savoir et de 80 p. 100 des chasseurs pour ces communautés.
C'est sans parler des survivants de ce genre d'événement apocalyptique. Ceux qui avaient eu la « chance », si l'on peut dire, de résister à la maladie la plus mortelle de l'histoire de l'humanité, c'est-à-dire la variole, restaient si faibles après coup qu'ils mourraient souvent de faim parce qu'ils n'arrivaient pas à se procurer de la nourriture. C'est ce que plusieurs récits indiquent.
Deuxièmement, il y a eu très peu de ces épidémies. Selon toute vraisemblance, il y en a eu trois ou quatre, tout au plus. « Heureusement », devrait-on sans doute dire. Dans les intervalles entre les épidémies — des répits qui duraient plusieurs dizaines d'années —, les Premières Nations des plaines, qui étaient des peuples chasseurs de bison, se portaient à vrai dire très bien. En fait, des anthropologues physiques américains ont décrit les peuples autochtones, chasseurs du bison de l'Ouest, comme les gens les plus grands du monde, conséquence de milliers d'années d'une alimentation de qualité riche en protéine et faible en gras.
Certes, les troupeaux étaient en baisse au moment de la finalisation des traités numérotés, mais les dirigeants autochtones n'étaient pas forcés de signer parce que leurs communautés mouraient de faim. Au fond, ils ont conclu que les Canadiens arrivaient et, à mon avis, chaque partie a représenté sa propre communauté dans la négociation avec vigueur et en toute bonne foi, sans doute.
Or, pendant les négociations, la question de la sécurité alimentaire — comme nous dirions aujourd'hui — s'est posée. Le chef Beardy, un chef des Cris des plaines, a exprimé cela mieux que quiconque. Pendant les négociations avec le commissaire Alexander Morris, il s'est dit très inquiet pour l'avenir du bison s'il laissait entrer l'Homme blanc sur son territoire. « Si nous laissons les gens établir des fermes ici, » se disait-il, « le bison finira par disparaître. »
Le chef Beardy a signifié à Alexander Morris, le représentant de la Reine, qu'il ne voulait pas que les siens meurent comme des chiens — ce sont ses mots. De cette discussion vigoureuse, qui est retranscrite dans les traités du Canada d'Alexander Morris, a résulté l'inclusion, dans les termes du traité, d'une clause dite « de la famine et de la peste ». Je ne vais pas vous lire l'ensemble du traité, rassurez-vous, mais j'en citerai quelques mots-clés tirés de cette clause :
[...] une disette générale, la Reine, [...] Son Agent ou [...] ses Agents pour les affaires des Sauvages accordera tous et tels secours [...] nécessaires et suffisants pour les soulager du fléau qui aura fendu [sic] sur eux.
Le chef Beardy pressentait des changements imminents. Il savait entre autres que le passage de la chasse à l'agriculture était essentiel pour s'assurer un avenir radieux. Les autres négociateurs le savaient sans doute aussi.
On comprend d'autant mieux cela quand on mesure le risque qu'une telle décision représentait pour le chef Beardy et les autres chefs. Tout bien pesé, la valeur nutritive d'une livre de viande de bison est deux fois supérieure à celle d'une livre de farine ou de céréales. Le passage à l'agriculture n'allait donc réussir qu'à condition que tout se passe parfaitement bien. Les dirigeants des Premières Nations ne l'ignoraient pas. C'est pourquoi ils ont négocié pour qu'un secours supplémentaire soit prévu dans le contexte du passage à l'agriculture. Une aide en matière agricole a aussi été incluse dans le traité no 6.
Personne n'avait deviné, au cours des 18 mois ayant suivi les négociations, que le bison allait disparaître à jamais. Comme je l'ai dit, au printemps 1878, le bison avait disparu pour de bon et la disette s'étendait d'un bout à l'autre des plaines. En avril, l'agent des Indiens Dickieson écrivait à ses supérieurs pour leur dire que les Indiens étaient très démunis et qu'ils mourraient véritablement de faim.
C'était le début de la véritable famine. Il nous est difficile, au Canada, de penser à la famine, mais il s'agissait bien de cela. Des agents de la Police montée du Nord-Ouest — qui avaient été dépêchés sur les lieux quelques années auparavant pour défendre les peuples autochtones — ainsi que quelques fonctionnaires canadiens ont fait ce qu'ils pouvaient pour tenter d'apaiser la faim quand la famine a frappé.
Or, à l'hiver, tant de gens mourraient de faim que les journalistes n'en parlaient même plus. Dans mes recherches, j'ai consulté le Saskatchewan Herald de Battleford, le premier journal des colons, si l'on veut. Le 16 décembre 1878, le Herald a publié un article dans la rubrique des objets perdus et trouvés. Ce n'était pas une nouvelle, mais voici la citation :
Trouvée : Là où les Indiens sont morts de faim le 1er octobre environ, une jument blanche. Le propriétaire peut récupérer ladite jument sur présentation d'une preuve de propriété et paiement des frais engagés.
Les gens mouraient de faim à l'automne 1878 parce que le bison avait disparu.
Cet automne-là, le Canada a changé d'attitude dans sa réponse à la famine. La plupart des personnes ici présentes savent qu'à ce moment-là, John A. Macdonald a repris le pouvoir avec son programme de la Politique nationale, dans lequel il promettait la construction rapide d'un chemin de fer.
Ce qui est moins connu, en revanche, c'est que dès son retour au pouvoir en 1878, et jusqu'à 1888, John A. Macdonald a assumé la fonction de surintendant général des Affaires indiennes. Il était de facto le ministre des Affaires indiennes durant la décennie que l'on peut voir comme la plus importante de notre histoire en matière de relations entre les Premières Nations et le Canada.
Personne, dans toute l'histoire du Canada jusqu'à aujourd'hui, n'est resté plus longtemps ministre des Affaires indiennes que Macdonald. Comme notre collègue J. R. Miller l'a noté :
Pour le meilleur et pour le pire, Macdonald a été un architecte de la politique canadienne sur les Indiens [...] qui restera pour l'essentiel inchangée jusqu'au milieu du XXe siècle.
Étant donné que l'objectif premier de Macdonald était la construction du chemin de fer, il pensait à cela quoi qu'il fît. De façon générale, sa réponse à la famine a été la suivante : de sa prise de pouvoir à 1879, seules les bandes autochtones qui avaient adhéré aux traités ont reçu un secours alimentaire. J'imagine que la logique était la suivante : si vous n'êtes pas un Indien inscrit, nous ne sommes pas responsables de vous.
Au cours de l'année 1879, des communautés comme celles de Moosomin, Thunderchild et Little Pine ont adhéré au traité en échange de nourriture. Comme je l'ai dit, la famine a continué à sévir et, avant le jour de Noël de 1879, le journal signalait que plus de 25 personnes étaient mortes de faim au camp de Blackfoot Crossing, dans la réserve de la nation Siksika. Durant cette période, les gens tombaient raides morts en raison de la famine.
En 1882, alors que le chantier du chemin de fer progressait dans les plaines de l'Ouest, principalement dans le sud- ouest de la Saskatchewan, le premier ministre Macdonald a déclaré au Parlement que tous les « Indiens » sur le territoire d'Assiniboia, au sud du tracé où devait passer le chemin de fer, allaient être déplacés de force si besoin était. Que l'on m'excuse d'avoir utilisé le terme désuet d'« Indien »; je citais Macdonald.
Les agents canadiens n'ont pas eu à employer de fusils. En fait, c'est la nourriture qui est devenue leur arme. En l'espace d'une année, quelque 5 000 personnes ont été poussées à quitter les collines du Cyprès. On avait donné l'ordre à la police de ne fournir de rations de nourriture qu'aux gens qui se rendaient dans les réserves qui leur étaient assignées. L'argument et la méthode étaient implacables.
Le chef dont le nom anglais était Big Bear a été l'un des derniers à obtempérer. Il a signé le traité et a reçu de la nourriture pour son peuple affamé en décembre 1882. Signe que les relations entre les Premières Nations et la Police montée du Nord-Ouest étaient en train de changer, on a ordonné que le fort Walsh — foyer de l'aide humanitaire pendant la famine — soit démonté et reconstruit à Maple Creek de manière à protéger le chemin de fer.
Mes recherches ne laissent subsister aucun doute sur l'usage de la nourriture comme moyen de pression pour forcer les Premières Nations à quitter leur territoire et à gagner les réserves. Ce qui est plus troublant encore, à mon avis, c'est le fait que, une fois que les gens ont été placés dans les réserves sous la gouverne des autorités du Dominion, la faim s'est institutionnalisée. Les fonctionnaires du Département des Indiens avaient l'ordre d'obéir à des règles très strictes de distribution de la nourriture.
Homme d'expérience de la Compagnie de la Baie d'Hudson, Lawrence Clarke — qui a pris part, je crois, à plusieurs négociations de traités — a écrit :
Les Indiens des réserves sont dans un état de misère absolument déplorable. Le Département des Indiens leur donne à peine assez de nourriture pour que leur corps et leur âme restent soudés. Ils ne portent presque pas de vêtements, plusieurs sont pieds nus... Vu leur état de faiblesse, s'il fallait qu'une maladie se répande parmi eux, le taux de mortalité serait effarant.
Dans les réserves, la distribution de rations était contrôlée de manière si rigide que la nourriture pourrissait dans les entrepôts gouvernementaux à l'intérieur de communautés où les gens continuaient à souffrir de la faim. Un exemple de cette situation embarrassante est donné dans une lettre d'un instructeur agricole aux collines Touchwood adressée à ses supérieurs en 1880. Il y décrit en ces termes le porc qu'il avait en stock :
À la fois moisi et oxydé, il est absolument immangeable. Pourtant, nous le donnons aux Indiens, faute de mieux, mais nous-mêmes ne pouvons manger cela.
C'était au temps où il n'y avait ni électricité ni réfrigération. Alors, toute la viande fournie aux réserves était salée : bacon, porc salé, et cetera.
Plus tard, l'inspecteur T. P. Wadsworth fera un compte rendu de l'état d'un des entrepôts et dira :
Nous avons perdu beaucoup de bacon en raison de la chaleur de l'été dernier... En le retournant là où je me suis approvisionné l'an dernier, j'ai vu qu'il y avait plus d'un demi-pouce de graisse congelée sur le plancher de boue du magasin.
Autrement dit, le bacon et le porc salé avaient tant chauffé pendant l'été que le gras avait fondu et coulé sur le plancher. Wadsworth s'inquiétait surtout des dégâts que cela avait occasionnés à l'entrepôt.
En tant que surintendant général des Affaires indiennes, le premier ministre Macdonald a salué le travail d'agents des Indiens, comme l'agent Anderson, louangé pour sa gestion du problème du porc salé — qui consistait à récurer la viande — et pour sa distribution d'une farine qui était, selon Macdonald lui-même, « un peu moisie ».
Pendant que les fonctionnaires distribuaient de la nourriture avariée à des gens affamés au système immunitaire affaibli, des gens désespérés se nourrissaient d'animaux morts des suites de maladie, selon plusieurs sources. Par exemple, le Saskatchewan Herald du mois d'avril 1881 parle de la scrofule, qui désigne les premières phases de la tuberculose :
Il sévit une puissante infection scrofuleuse parmi les nombreuses bandes d'Indiens des Plaines... Dans ce cas, l'infection a frappé les personnes qui s'étaient nourries de viande de chevaux morts de la croûte ou de la gale. Il est presque impossible de manger cela sans ingérer les germes de la maladie dans son propre organisme.
En 1881, les gens savaient déjà qu'en mangeant un animal malade, on risquait soi-même de tomber malade.
Plutôt que de présenter ses excuses pour les conditions de vie dans les réserves, Macdonald a défendu ses politiques au Parlement. Je cite un extrait du hansard de 1880 :
Il est possible qu'il soit arrivé que les Indiens aient été nourris alors qu'ils n'étaient pas dans une situation de famine extrême... On distribue la nourriture avec rigidité et même avec avarice et l'on demande une preuve irréfutable de famine avant toute distribution.
Quelques années plus tard, Macdonald réitérait sa politique en tenant ces propos à la Chambre des communes :
Quand les Indiens meurent de faim, nous leur venons en aide, mais nous ne leur donnons plus que des rations réduites de moitié ou des trois quarts; [...] nous ne pouvons les laisser mourir de faim par manque de nourriture... ils [nos agents] font tout ce qu'ils peuvent en refusant de leur donner de la nourriture tant qu'ils ne sont pas sur le point de mourir de faim, cela afin de réduire les dépenses.
Plus tard, après les violences de 1885, Macdonald a répondu aux accusations voulant qu'il ait mal agi dans le dossier de la distribution de la nourriture. Il a dit :
On ne peut pas dire que les Indiens ont été lésés puisqu'ils vivent de la charité du Dominion... et comme le veut le vieil adage, faute de grives on mange des merles.
Rappelons qu'en vertu du traité no 6, il devait y avoir un secours en cas de famine, une aide humanitaire. Huit ans plus tard, Macdonald semblait l'avoir oublié. Je ne souhaite pas ici attaquer le Parti conservateur de façon partisane. Durant son mandat de surintendant général des Affaires indiennes, Macdonald a été très souvent critiqué par les libéraux qui lui reprochaient de dépenser trop d'argent en secours contre la famine. La critique est sans doute justifiée d'un côté comme de l'autre.
En 1885, le Chemin de fer Canadien Pacifique est terminé. Bientôt, une vague de colons déferlera sur la région. Les traités avaient posé les fondations des colonies dans l'Ouest et les peuples autochtones qui les avaient signés vivaient désormais sous la domination des autorités du Dominion qui avaient le pouvoir de couper la distribution de nourriture à la première incartade, réelle ou non.
Le 23 février 1884, par exemple, on peut lire ceci dans le Saskatchewan Herald :
Poundmaker est un fauteur de troubles depuis son voyage dans le Sud au printemps dernier. Son opposition au Département a été si forte et si tenace que sa bande ne reçoit plus de rations.
En clair, toute sa communauté a été privée de nourriture. Quelques semaines plus tard, on pouvait lire dans le Herald que les Nakota, ou les Eagle Hill Stonies, comme on les appelait :
[...] avaient reçu l'ordre de retourner dans leur réserve pour y être privés de rations pendant huit jours pour avoir quitté le travail sans la permission de l'instructeur.
On parle ici d'hommes, de femmes et d'enfants et pas uniquement des dirigeants.
Le développement de l'agriculture, que les deux camps voyaient comme la clé de l'avenir, a été compromis par une série de mesures imposées peu après le parachèvement des traités. Selon mes recherches, l'engagement du gouvernement de fournir des outils et d'autres ressources pour l'établissement de fermes sur les réserves ne s'est jamais vraiment concrétisé. Ceux qui voulaient devenir fermiers se butaient à des mesures bureaucratiques comme l'exigence pour les réserves de subir une enquête avant qu'une aide soit fournie. Ils mourraient de faim en attendant que les équipes d'enquêteurs visitent leurs réserves et finissent leur travail.
Un décret en conseil de 1881 avait établi un système de permis qui faisait en sorte qu'un fermier sur une réserve n'avait pas le droit de vendre un seul légume en ville sans la permission écrite d'un agent des Indiens. Vers la fin des années 1880, le Département des Indiens a adopté une politique sur l'agriculture paysanne. Désormais, les fermiers n'avaient plus accès à de l'équipement agricole et étaient forcés de récolter leurs cultures à la main, malgré les nombreuses requêtes officielles des fonctionnaires qui voyaient les cultures pourrir dans les champs faute d'être récoltées à temps.
Je vous rappelle aussi que sans nourriture et peut-être sans vêtements, il est difficile de cultiver la terre.
Outre les pensionnats dont M. Milloy parlera probablement et dont l'établissement a été supervisé par M. Macdonald, d'autres politiques en place depuis longtemps ont eu un effet négatif sur la santé de la population autochtone. À compter de 1885, il y a eu une attaque concertée de la part du gouvernement contre ce que les hauts fonctionnaires qualifiaient de « tribalisme ». Cette attaque ciblait les institutions traditionnelles de gouvernance et, fondamentalement, le mode de fonctionnement des sociétés à ce jour.
Des pratiques religieuses, comme la danse du soleil, ont été déclarées illégales, ce qui voulait dire que le gouvernement avait un tel pouvoir qu'il essayait de contrôler la pensée des gens.
Nous, les historiens, ne faisons que commencer à nous pencher sur le soi-disant système des laissez-passer. Même si ce système a fait des Indiens visés par les traités des prisonniers virtuels des réserves jusqu'à la fin des années 1950, M. Macdonald et son lieutenant dans l'Ouest, Edgar Dewdney, savaient que ledit système contrevenait aux modalités du traité et même de la loi. Certains d'entre vous ont peut-être vu le récent film sur le système des laissez-passer d'Alex Williams. Très percutant.
Dans les années 1890, les conditions sur les réserves s'étaient tellement détériorées, et ce, depuis si longtemps, que des communautés entières étaient atteintes de tuberculose. Les médecins venus dans l'Ouest avec d'autres groupes de colons qui travaillaient à contrat pour le département des Indiens ont déclaré que la tuberculose donnait presque l'impression d'être un trait racial. Être malade, c'était le propre des Indiens.
En 1932, un des meilleurs médecins, haut fonctionnaire de l'État canadien, le Dr J. J. Heagarty, a déclaré dans une note à l'intention d'un très haut fonctionnaire du département des Indiens, le Dr E. L. Stone, notamment ce qui suit :
Si les Indiens n'étaient pas confinés dans les réserves, nous serions obligés d'en prendre soin pour nous protéger nous-mêmes.
Le Dr Heagarty laissait ainsi entendre au Dr Stone que s'il fallait les autoriser à sortir des réserves, ce serait pour eux une menace.
Nous sommes tous au courant de l'écart dans l'état de santé qui existe toujours entre les Canadiens autochtones et les autres Canadiens. Cet écart existe pratiquement depuis que les traités ont été conclus, avant même l'arrivée massive des colons dans la région. Voilà 30 ans que je fais de la recherche à ce sujet et j'ai découvert qu'au XIXe siècle, les membres des Premières Nations n'ont pas perdu leur santé, on leur a plutôt enlevée.
John Milloy, professeur, Université Trent : Je veux d'abord remercier le comité de m'avoir invité à parler de ma recherche et en particulier du contexte qui caractérise les Prairies.
Comme mon collègue l'a dit, nous, les historiens, croyons en la valeur des études historiques pour examiner les enjeux contemporains, et ce n'est pas surprenant. Le fait de comprendre le chemin parcouru permet de rectifier le tir pour aller là où nous le voulons peut-être. Ces études, toutefois, posent toujours problème d'une certaine façon.
Les travaux historiques ne se font pas en vase clos, sans problème. Les archives sont des lieux de contestation plutôt que de contemplation idyllique. On pense que les historiens se ruent aux archives et dans les bibliothèques pour vivre une vie heureuse, mais en pénétrant dans ces immeubles, on se rend compte qu'il s'agit d'institutions politiques contrôlées par les autorités qui les financent. Ce fut donc pour moi une expérience très intéressante de travailler dans le dossier des pensionnats aux archives, car je n'ai jamais pu facilement accéder aux documents, malgré la promesse faite par les églises et le gouvernement de permettre à la Commission de vérité et réconciliation, par exemple, de pouvoir consulter ces documents sans entrave.
Loin de moi l'idée de faire un plaidoyer spécial ici. Mes collègues qui font de la recherche en environnement ou sur les crimes de guerre, quel que soit le sujet en rapport avec ces questions brûlantes d'actualité et difficiles, vous le confirmeront — pour ce genre de recherche historique, il est pénible d'obtenir en amont les documents nécessaires et en fait, de faire éclater la vérité.
Les problèmes de relations interculturelles, une préoccupation propre à un Canada multiculturel, font l'objet d'études, mais ont parfois servi de toile de fond trouble à des travaux historiques, y compris à l'histoire des Indiens, comme on l'appelle. Des accusations d'appropriation sont monnaie courante.
À la fin de l'avant-propos de mon livre sur les pensionnats, je me devais de reconnaître, mais aussi de faire valoir, qu'il est important que les Canadiens en général, non autochtones, participent aux affaires qui pourraient sembler ne viser que les Indiens. Les affaires visant les Indiens, pour utiliser l'expression, concernent et devraient concerner tout le monde.
Permettez-moi de vous lire une partie de ce que j'ai en main. J'écrivais au sujet d'un document relatant les mémoires de certains diplômés des pensionnats qui ont réussi. Ironiquement, il s'agissait d'un document préparé par le département des Affaires indiennes en 1965, je crois. Les gens étaient invités à raconter leur histoire et l'auteur était ravi de constater que leurs souvenirs étaient horribles, qu'ils parlaient de privation, de cruauté et de manque d'éducation.
Cela, parce qu'en 1965, le département a décidé qu'il voulait fermer les pensionnats et que c'était un bon document à remettre à quiconque pensait qu'il s'agissait vraiment d'une bonne idée. On pourrait parler en fait d'une campagne ministérielle pour mettre la clé dans la porte des pensionnats.
J'ai été frappé, car je craignais de faire intrusion dans le vécu historique de quelqu'un d'autre en préparant cet ouvrage, même si j'en avais reçu le mandat de la Commission royale et des chefs autochtones en faisant partie. Le témoignage de l'un des hommes m'a renversé. Ces hommes avaient réussi d'aplomb. Si je devais en divulguer les noms, la plupart d'entre vous les reconnaîtraient. Ce sont des Canadiens, des journalistes et des enseignants prospères.
Il a écrit ce qui suit :
Quand on m'a demandé de participer à la préparation de ce document, j'avais des réserves, car en toute honnêteté, je dois dire les choses comme elles étaient et en fait, il ne s'agit pas de mon histoire, mais de la vôtre.
Tous ont raconté leur histoire, mais j'ai été frappé par la dernière partie de la phrase : « [...] en fait, il ne s'agit pas de mon histoire, mais de la vôtre ». J'y ai réfléchi et j'ai rédigé ce qui suit, et je pense que j'aimerais élargir la portée du message pour couvrir non seulement la question des pensionnats, mais également toutes celles avec lesquelles nous devons composer concernant les Indiens.
Au départ, moi aussi, j'avais des réserves, le sentiment de faire intrusion dans le vécu des Autochtones, mais en consultant les documents des archives fédérales et des églises, l'évidence m'est apparue; l'ancien étudiant avait raison. Le système des pensionnats indiens a été conçu et administré par des non-Autochtones. Dans les madriers et la brique, les classes de cours et le programme d'enseignement, il témoigne de l'intolérance, de la présomption et de la fierté au cœur du christianisme victorien et de la démocratie, qui se faisait passer pour une politique sociale bienveillante et qui a persisté au XXe siècle, comme un symbole d'insensibilité irréfléchie. Le système, ce n'est ni l'histoire du voisin ni une note ou un paragraphe en bas de page, un préambule ou un chapitre de l'histoire du Canada. C'est notre histoire, notre manière de façonner le « Nouveau Monde »; c'est nous qui engloutissons la terre et les peuples autochtones et qui les rejetons dans les villes, les fermes et les projets hydroélectriques et en faisons des étrangers sur leur propre terre et dans leurs propres collectivités.
Il est donc essentiel que des personnes qui ne sont pas des Autochtones se renseignent et écrivent au sujet des pensionnats,
Et, à mon avis, au sujet de toutes les autres questions, y compris celle-là.
Éviter de le faire sous prétexte que cela ne nous concerne pas équivaudrait à marginaliser ce pan de l'histoire comme nous l'avons fait avec les Autochtones, à le leur réserver comme un espace de souffrance et de désolation et à refuser d'en faire un lieu d'introspection, de découverte et de transcendance — un espace d'autoapprentissage pour comprendre non seulement ce que nous avons été en tant que Canadiens, mais également ce que nous devons devenir si nous voulons traiter avec justice les peuples autochtones de la terre.
Je suis absolument ravi, car c'est ma conviction et celle de bien d'autres, je crois, les « historiens des Autochtones », que le Sénat ait décidé de se tourner vers l'histoire et ce qui y est enraciné pour comprendre le caractère canadien et déterminer les mesures à prendre pour l'améliorer dans l'avenir.
Ce soir, notre regard se porte vers l'Ouest, mais des études historiques du genre peuvent être entreprises dans chaque région du Canada. La nature de la relation entre les deux cultures fondatrices, les Indiens et les immigrants, telle qu'elle a évolué, et les défis posés aujourd'hui sont tous les deux propres aux régions et définis par la géographie, les ressources, la nature des cultures autochtones et le contexte historique. Ils sont aussi le fruit de concepts nationaux communs déterminés de façon éclairée par l'idéologie, la structure de la Constitution et les politiques fédérales, qui, avec les excuses de l'ancien premier ministre, forment la version canadienne d'une colonie, du caractère colonial qui continue à nous habiter.
En ce qui a trait à ces deux perspectives officielles, régionale et nationale, j'aimerais parler de certains points en lien avec l'histoire de l'Ouest canadien. En raison du temps dont je dispose, je limiterai mes remarques aux premières années, comme James l'a fait, les deux premières décennies; je n'aborderai pas les questions relatives aux Métis et d'autres questions, sauf si j'en ai le temps.
Impossible de parler de l'histoire de l'Ouest, à l'époque et maintenant, sans parler aussi des traités. Ces sept traités exceptionnels sont l'apanage d'une bonne partie du passé de l'Ouest, du présent des Autochtones et, comme ils l'espèrent, de leur avenir.
Les racines de l'histoire interculturelle dans l'Ouest ont été mises en terre dans un contexte unique. En 1867, le Canada est devenu un pays. En 1870-1871, il est devenu un empire avec un vaste patrimoine comprenant ce qui était désigné la Terre de Rupert, le territoire de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
Confronté à la nécessité de contrôler cette région, de la préserver face aux concepts transcontinentaux des États- Unis et de la doter des outils nécessaires pour jouer un rôle important dans la formation de l'État, et faute de ressources pour le faire facilement, le Canada s'est rabattu sur la méthode impériale britannique éprouvée pour les Premières Nations résidentes, les traités. En fait, avec le temps, la méthode a été reconnue comme étant le système canadien, un système que nous avons conservé — et je suppose qu'il y aura une autre nuit comme celle-là — jusqu'à ce que nous arrivions en Colombie-Britannique où nous avons décidé de ne plus reconnaître ces principes.
Je passe aux traités et à certaines politiques complémentaires. Dans l'Ouest canadien, Macdonald, le grand architecte canadien, a édifié un système colonial qui, malheureusement, est intact à bien des égards et toujours en place.
Bien que la majeure partie du discours des traités, et en particulier la rhétorique canadienne qui lui y est associée, ait mis en avant plan la générosité de la Couronne sous forme de rentes annuelles et d'aide au développement en éducation, le but premier était de déplacer les Premières nations pour permettre de construire le chemin de fer à destination de la Colombie-Britannique et de mettre en place une colonie agricole rentable dans l'Ouest, deux aspects importants de la politique nationale de MacDonald.
C'est surprenant que le chemin de fer qui était essentiel dans les années 1860 et 1870 ait aujourd'hui si peu d'importance. La finition de ce chemin de fer a fait l'objet de débats et a suscité des préoccupations ici même dans cette enceinte. Macdonald craignait que s'il ne mettait pas tout en œuvre pour le finir rapidement, la Colombie-Britannique ferait cavalier seul. Des politiciens britanno-colombiens parlaient d'annexion aux États-Unis. Cette période a été cruciale, et c'est dans ce contexte qu'il a bâti son système.
Dans la poursuite de cet objectif, le gouvernement a eu recours à la méthode de l'extinction, attribuant des droits fonciers aux collectivités qui ont ensuite dû renoncer à leur terre. C'est un peu ironique, mais le Canada a eu de la chance dans ce processus, car une ressource traditionnelle, les bisons, disparaissait rapidement, minant du coup la résilience à long terme des Premières Nations. Le gouverneur Morris, quand il négociait avec les Autochtones, en particulier dans le cadre des traités dans le Sud de la Saskatchewan, comme le territoire était délimité à l'époque, ne se gênait pas pour parler du déclin des troupeaux de bisons et dire que la Couronne ne voulait pas que l'avenir les apeure. Il fallait continuer à leur enfoncer dans la tête qu'ils n'avaient pas vraiment le choix.
Il a été beaucoup plus difficile d'amener les Indiens au nord de la rivière Saskatchewan à adhérer aux traités nos 5 et 8, car pour eux, il suffisait de retourner sur leurs terres et de continuer à chasser et pêcher comme ils l'avaient toujours fait; ils n'étaient vraiment pas certains de vouloir signer les traités. Au Sud, c'était inévitable, les traités allaient être signés, et ils l'ont été.
Toutefois, dès le départ, des éléments importants de ces accords ont été et sont toujours négligés, car ils sont gênants et, qui plus est, ne cadrent pas avec l'idée d'intégrer des collectivités tribales à un système capitaliste.
Souvenez-vous, il y avait deux modes de vie différents dans le monde à devenir. Il y avait un état capitaliste en plein essor qui était organisé à l'échelle transcontinentale par Macdonald et ses gouvernements conservateurs et il y avait les Autochtones qui habitaient ces lieux de façon très différente et qui avaient une opinion très divergente sur ce qu'il y avait de plus important dans la vie à l'époque et maintenant, la question de la terre.
Ainsi, avec le traité no 4, celui auquel j'ai consacré beaucoup de temps, le traité avec la nation crie au sud dans les tribus des Assiniboines et des Saulteaux, avant de me retrouver dans le pétrin, le traité en vigueur et la profondeur des sillons n'ont pas été pris en compte. Les chefs autochtones ont soutenu que ces deux aspects étaient garantis dans le traité, qu'ils avaient été tous les deux négociés, que le traité était en vigueur et qu'il serait renégocié en fonction des changements qui s'opèrent.
Ils avaient renoncé parce que les colons avaient soutenu, par l'entremise de Morris, qu'ils voulaient cultiver les terres. Ils voulaient les terres pour y faire de l'agriculture et y faire travailler des gens, et ils voulaient un sillon d'à peu près 12 pouces pour pouvoir y planter les semences. Tout le reste appartenait aux Premières Nations, du moins de l'avis des négociateurs des Premières Nations.
Aujourd'hui, en Saskatchewan, par exemple, les gens soulèvent les épaules et secouent la tête en disant : « Bien, vous savez, les Autochtones n'ont découvert la profondeur du sillon qu'après avoir découvert la potasse. »
Nous avons interrogé les aînés de la Saskatchewan. D'après l'histoire orale, de la négociation des traités à aujourd'hui, les négociateurs des Plaines avaient dit à Morris que ces choses leur appartenaient. La famille Poorman a dirigé la réserve Kawacatoose jusqu'à tout récemment. Le chef a demandé à divers membres de la famille Poorman de l'expliquer à Morris. Le lendemain matin, avec quelques-uns de ses acolytes, il leur remettait des sacs de terre en leur disant de demander à leurs hommes de la nettoyer, de la mettre en sacs et d'aller planter. Il s'agit d'une tradition orale indienne. Dans quelle mesure y croyons-nous?
Or, il suffit de jeter un coup d'œil au journal de bord de Robert Bell, qui est devenu l'un des premiers membres les plus connus de la Commission géologique du Canada. Il y était en 1873 et le traité a été négocié en 1874. Il a été arrêté par un groupe de chasseurs cris alors qu'il effectuait des relevés, à la recherche en particulier de charbon.
Les chasseurs lui ont demandé ce qu'il faisait là. Bell a répondu être un arpenteur, mais pas du genre ayant causé toute cette agitation au Manitoba avec Riel et son peuple, qu'il étudiait les roches. Les Cris ont rétorqué que c'était aussi mal, qu'ils savaient ce que voulaient les Blancs et connaissaient leur soif de l'or. Ils ont ajouté que tout ce qui était au sol leur appartenait.
Lors des négociations, le frère de Poorman a déclaré entendre le bruit de l'or sous ses pieds, que pour l'homme blanc, tout est question d'argent, les arbres, la terre et les rivières. Les Autochtones étaient parfaitement au courant de la nature des négociations et de la revendication aux droits d'exploitation du sous-sol et à ce qu'ils appelaient le traité en vigueur. Rien de tout cela n'a été consigné dans le journal de Morris ou reconnu par le gouvernement canadien.
En entrevue, Richard Poorman, qui est décédé il y a quelques années, m'a dit ce qui suit : « Il y avait un traité et tous ces aspects y figuraient, mais quelques années plus tard, des fiers-à-bras sont arrivés et ont signé la fin du traité. » Ces fiers-à-bras, des hommes sous la direction de James du département des Indiens, leur ont dit qu'ils étaient pauvres, affamés, épuisés et qu'ils allaient faire ce qu'on leur dirait.
Ce qui s'est passé, c'est une véritable tragédie pour les signataires que ce soit du traité no 4 ou de tout autre traité visant l'Ouest, car on les a privés des dépôts de charbon et de toutes les autres ressources dont l'exploitation serait profitable pour les colons non autochtones et pour le territoire. Ils en ont été privés et ils sont devenus pauvres et affamés, ils ont manqué de tout, de la signature du traité à aujourd'hui. Ils ne sont peut-être pas affamés en Saskatchewan aujourd'hui, mais ils sont loin derrière les autres habitants de l'Ouest et sur le plan de leur situation économique, ça, nous le savons tous.
Il y avait une différence philosophique fondamentale entre les deux côtés à propos de la question de la terre et de la teneur du traité. L'endroit peut-être le plus beau au Canada, c'est Fort Qu'Appelle, et c'est là que le traité no 4 a été négocié. C'est de toute beauté. Dans cette municipalité, deux monuments en mémoire du traité sont érigés. L'un a été conçu par les deux architectes qui ont aussi conçu l'édifice de l'Assemblée législative en Saskatchewan. Leur père a participé aux négociations. Il était arpenteur et a signé comme témoin. Le premier paragraphe apparaît sur le flanc de l'énorme monument : « Nous nous sommes tous réunis et les Indiens ont renoncé à leurs droits. » En définitive, c'était le traité de l'homme blanc, tel qu'il l'avait vu.
Un peu plus loin, un cimetière accueille les tombes des quelque 30 Amérindiens morts de faim pendant que se tenaient les négociations; ils sont décédés pendant les négociations et c'est là qu'on leur a élevé une statue. Elle ne ressemble en rien à celle érigée pour les Européens non plus. Ce qu'on y a inscrit n'a rien à voir avec le texte qui apparaît sur la statue européenne non plus. On peut y lire que le 15 septembre 1874, les Saulteux, les Assiniboines, les Cris et le gouvernement canadien se sont réunis et ont décidé de se partager le territoire, un point c'est tout. Ils ne voulaient pas le partager comme si c'était une simple tarte, par exemple, ce morceau est pour toi, ce morceau est pour moi et le gros de la tarte va à nous tous, mais plutôt partager le territoire au sens où ils l'entendaient. Cette question n'a jamais été réglée, dans l'Ouest. Elle n'a jamais été réglée partout au pays. Toute réconciliation, toute véritable réconciliation dans ce pays ne sera possible qu'à condition d'en arriver à une résolution des questions liées au territoire et aux ressources qui pourrait obliger les non-Autochtones à sortir de leur zone de confort. D'une façon ou d'une autre, nous devrons abandonner l'idée de propriété au sens où nous l'entendons depuis plus d'un siècle.
Dès les tout premiers temps, toutes les promesses d'assistance formulées dans les traités n'ont pas ou peu été accomplies. Alexander Morris, qui a négocié six des sept premiers traités de l'Ouest, dressait le portrait d'un avenir confortable s'offrant aux communautés des Premières Nations. Cette attitude faisait partie de sa stratégie de négociation : « Vous savez, là-bas, dans l'Est, il y a des Indiens. Ils ont tous une vie confortable. Ils ont tous des fermes. Ils ont tous des vaches, des poules, des ministres méthodistes et tout ce dont on peut souhaiter dans la vie. C'est ce que vous réserve le futur. »
Des décennies plus tard, en 1920, Diamond Jenness, anthropologue de premier plan au Canada dans la première moitié du XXe siècle et fidèle consultant du département des Indiens — ils existaient même à cette époque — alléguait que le Département, d'un bout à l'autre du pays, avait sombré dans la torpeur. Il avait renoncé à toute politique progressiste concernant les réserves. La gestion des Indiens, écrit-il, est stérile, car plus préoccupée de maintenir le statu quo que d'améliorer la situation sociale et économique des Indiens ou de relever leur niveau de vie.
On ne faisait rien dans les réserves pour faire de ces populations des Canadiens comme les autres, ce que prétendait toujours le discours tenu au Parlement et qui était la raison d'être du département des Indiens, des traités et de la Loi sur les Indiens.
Thomas Robertson a effectué une inspection des réserves situées dans les Maritimes, dans le Centre du Canada et dans l'Ouest, en 1935-1936. Son rapport est magnifique. Il s'est rendu dans chacune des réserves et il en a conclu, en gros, que Diamond Jenness avait eu raison de dire que rien ne bougeait et que nul futur ne semblait se construire.
Les communautés de l'Ouest canadien étaient peuplées, aux dires de Robertson, de personnes désireuses d'avancer, désireuses de cultiver la terre et qui n'avaient aucun moyen de le faire. Elles n'avaient ni herses, ni chevaux de trait, ni les conseils d'instructeurs agricoles. Il n'y aurait pas de miracles. Rien ne se ferait, non seulement en raison de la torpeur, mais également en raison de l'absence de financement.
Il n'y aurait aucun financement pendant la Première Guerre mondiale, aucun financement pendant la dépression des années 1930, aucun financement pendant la Deuxième Guerre mondiale, donc vous pouvez vous imaginer dans quel état les populations des Prairies et d'autres régions du pays se sont retrouvées en raison de l'absence d'argent.
Les communautés ont été au fond abandonnées à leur sort par le gouvernement fédéral, en partie, peut-être, parce qu'elles ne représentaient plus une menace à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement menant à la formation d'un État. On pouvait sans risque faire semblant de ne pas les voir.
Certes, les intérêts des Autochtones ne pouvaient trouver une place prioritaire dans les plans et le budget de l'administration fédérale par rapport et contrairement aux intérêts des non-Autochtones. Par conséquent, les communautés partout au pays étaient pauvres et impuissantes, en tête de liste pour tout ce dont personne ne veut occuper le premier rang — maladie et incarcération — et en bout de liste pour tout ce dont personne ne veut occuper le dernier rang — emploi et éducation. Ils avaient de mauvais résultats à tous les tests.
Finalement, pour reprendre ce que j'ai dit auparavant, plusieurs politiques complémentaires furent conçues pour consolider le contrôle du Canada sur l'Ouest, et notamment la mise en place de la loi et de l'ordre sous la forme du gouvernement territorial et de la Police à cheval du Nord-Ouest ainsi que, d'une importance décisive, le début du système scolaire des pensionnats indiens, en 1883.
Dans ce dernier cas, le service de police et les écoles étaient liés. Les pensionnats avaient vu le jour dans ce qui deviendrait la province de l'Ontario pendant la période pré-Confédération. Ces établissements cherchaient à former des diplômés qui, du fait d'avoir été séparés de leurs parents, pourraient être socialisés et éduqués comme des Blancs. À leur retour dans leur réserve, ils montreraient la voie vers le développement ou seraient des candidats de choix à un nouvel affranchissement. D'une façon ou de l'autre, ils seraient utiles.
Les engagements d'éducation pris dans les traités ont amené les Églises à solliciter l'ouverture de pensionnats dans l'Ouest. Il y avait toutefois le sentiment du devoir de tout chrétien dont parlaient sans cesse les parlementaires, soit que le système d'éducation existait pour permettre de remplir la tâche confiée par Dieu. De plus, un motif plus sombre, essentiellement personnel, a amené Macdonald à commander le fameux rapport Davin de 1879. Trois ans plus tard, sur la recommandation de Davin et alors que le chemin de fer se dirige vers le territoire des Pieds-Noirs, Macdonald est amené à poser trois gestes qu'il annonce dans le discours du budget de 1883. Tous sont liés, tous doivent fonctionner de concert.
L'effectif de la Police à cheval du Nord-Ouest est doublé en un an. On pénétrait dans le territoire des Pieds-Noirs. La nation des Pieds-Noirs compte des milliers de guerriers armés. Sa force de frappe est supérieure à celle de la Police à cheval. Un député libéral déclarait à la Chambre avoir visité le Fort Qu'Appelle et avoir constaté que, pour 20 agents, il y avait cinq chevaux. « L'un monte à cheval et tous les autres s'accrochent à la queue du cheval. Pas de chevaux, armes inadéquates et « mauvais agents », disait le conseiller militaire du Gouverneur général, les agents étant mal choisis parce que non Britanniques.
L'effectif de la Police à cheval du Nord-Ouest est doublé en un an. On poste les agents le long de la ligne du chemin de fer qui progresse sur le territoire des Pieds-Noirs, au-delà de Regina. Finalement, on prévoit des fonds additionnels pour les vivres, mais seulement le long de la voie ferrée. Si vous habitiez près de la voie ferrée, vous aviez droit à des rations supplémentaires, sinon, comme l'a dit James, vous étiez laissés à l'écart.
Deuxièmement, il a financé les trois premiers pensionnats, soit ceux de Battleford, de Qu'Appelle et de High River, tous situés près de cette voie ferrée. La situation est ironique, étant donné le problème qu'on a à Ottawa. Hector Langevin, le parrain de la première Loi sur les Indiens, en 1869, s'était levé dans la Chambre pour annoncer le financement de trois pensionnats. Quelques jours auparavant, Macdonald avait indiqué qu'il rentrerait pour faire part de ce projet éducatif, mais il ne s'est pas présenté en Chambre et le pauvre Langevin s'est retrouvé en position de messager de la mise en place de pensionnats, bien qu'il n'ait pas vraiment été un coupable involontaire, étant donné la nature de la Loi sur les Indiens.
Macdonald avait agi dans les circonstances, non pour plaire aux Églises, mais plutôt à la demande du commissaire de la Police à cheval du Nord-Ouest, James Macleod, qui avait recommandé, en 1878, que le gouvernement fournisse des instructeurs agricoles et des pensionnats aux Autochtones, même si les traités représentaient une percée importante.
En 1879, Davin est nommé. Il entreprend son voyage d'études pour déterminer si les pensionnats sont une bonne idée. Il se rend aux États-Unis, où il découvre que les cadres supérieurs du département des Indiens ont décidé, en vue de l'ouverture de leur école phare Carlisle, de recruter des enfants sioux. Alors que Pratt se préparait à se rendre dans l'Ouest pour y rencontrer des Indiens qu'il connaissait, le Département décide qu'il n'en est pas question et qu'il s'adressera plutôt aux Sioux, leurs pires ennemis. Comme ils étaient les principaux opposants à une expansion vers l'ouest, il fallait mettre la main sur leurs enfants et en faire des otages pour assurer la « bonne conduite » des parents.
« Amenez-les de l'Ouest et placez-les à l'école Carlisle; si quelqu'un fait l'imbécile, on leur rappellera qu'on a leurs enfants. » Je sais, moi-même, je n'en croyais pas mes yeux, quand j'ai lu cette phrase.
En 1885, le gouverneur Dewdney et Davin, qui est parti pour Regina et a lancé le périodique Leader, aujourd'hui le Leader Post, aident l'Église presbytérienne à exercer des pressions auprès du gouvernement pour obtenir du soutien en faveur d'un pensionnat à Regina. Il ne faut pas oublier qu'on est deux ans plus tard et juste après la Rébellion. L'Église souligne l'importance stratégique de son œuvre missionnaire avant et pendant la rébellion de Riel. Aucun de leurs Indiens n'y a participé, affirme-t-elle.
Elle fait remarquer, pour montrer son patriotisme, que l'école, une fois bâtie, pourra accueillir les écoliers issus des réserves et que la présence de ces derniers offrira une forte garantie de paix dans le district. Les Indiens les considéreraient comme des otages remis aux Blancs et hésiteraient à poser des gestes hostiles pouvant compromettre le bien-être de leurs enfants. La pétition passe et Macdonald la signe lui-même.
Pourtant, ce n'est pas fini. En 1899, au sein du Département, on discute du statut des écoles et des enfants qui devraient y être admis. Ces sentiments assimilés à de la réalpolitique sont exprimés au sein du Département pendant au moins les deux décennies suivantes, et ce, sur un ton des plus autoritaire, par Clifford Sifton, surintendant général des Affaires indiennes sous Laurier. Ainsi, en ce qui concerne le statut juridique des pensionnats, le lien entre ces derniers et les traités et l'admissibilité d'enfants autochtones non visés par un traité, Sifton est d'avis que des considérations stratégiques ont été la cause de l'ouverture d'écoles par le gouvernement Macdonald en 1883 et demeurent la raison première de leur existence :
Il faut se rappeler que les pensionnats et les écoles industrielles n'ont pas été institués dans le but de respecter les modalités d'un traité ou pour se conformer à une quelconque disposition de la loi, mais bien dans l'intérêt public, de sorte qu'il ne se crée pas au sein des réserves une classe barbare et sans instruction.
Il conclut ainsi :
Bien que je ne crois pas que les enfants métis [...] doivent être admis dans les écoles pour Indiens [...], je suis décidément d'avis que tous les enfants, même ceux d'ascendance mixte, légitimes ou pas, qui vivent au sein d'une réserve indienne et dont les parents, d'un côté ou de l'autre, vivent en tant qu'Indiens dans une réserve, même s'ils ne sont pas rentiers, devraient pouvoir être admis dans les écoles.
Cette position est devenue monnaie courante au sein du gouvernement, quelquefois reprise telle quelle par les hauts fonctionnaires au fil du temps. Même Duncan Campbell Scott a utilisé les mots suivants, en 1910, pour justifier les dépenses en éducation :
[...] sans instruction et laissés pour compte, les Indiens produiraient des éléments peu souhaitables et souvent dangereux dans la société.
La scolarisation en résidence favorisait la pacification régionale et représentait, de ce fait, une composante essentielle dans les territoires récemment cédés. L'éducation était une des choses que vous assuriez en plus de l'envoi de gendarmes. On construisait des écoles.
Le rapprochement qu'on faisait, c'était que la GRC ou la Police à cheval du Nord-Ouest étaient à l'origine de la construction d'écoles. Macdonald et Mackenzie n'avaient tenu aucun compte des Églises : « C'est bien beau, mais nous n'allons rien faire. » Pourtant, dès que Macleod a déclaré que nous avions besoin de cela pour asseoir notre contrôle de l'Ouest, Macdonald a agi rapidement, en 1883, lorsqu'il est devenu essentiel de faire exactement cela.
Nous connaissons l'histoire des écoles, mais on peut se demander quel a été l'impact sur le financement des écoles et sur la surveillance des opérations scolaires par le gouvernement fédéral, et, par conséquent, sur le niveau de soins accordés aux enfants et sur la qualité de l'éducation dispensée lorsque le Canada a pris le contrôle des territoires limitrophes. Autrement dit, que sont devenues les écoles, une fois que toutes menaces au contrôle de l'Ouest, du Nord- Ouest ou de la Colombie-Britannique par le Canada ont disparu? Est-ce que c'est ce qui explique la faiblesse inacceptable du financement des écoles par le gouvernement fédéral, au point que les conditions de vie dans ces écoles étaient affreuses?
Ces écoles n'existent plus aujourd'hui, bien que leur triste impact sur la vie des survivants, de leurs enfants et de leurs communautés ne soit pas encore complètement atténué, si jamais il l'est. À leur place, pour être utile aux communautés appauvries par suite de la négligence du Département et en conséquence du traitement psychologique subi dans les écoles, le Département, en association avec les organes provinciaux d'aide à l'enfance, met en place un système de placement en famille d'accueil très imparfait qui, encore une fois, privilégie le retrait des enfants de leur communauté.
Des milliers ont déjà été placés et leur nombre augmente tous les mois. Aucune somme n'avait été prévue pour la reconstruction du noyau familial.
Si vous êtes comme moi qui n'ai ni amis ni loisirs et que vous avez lu tous les rapports annuels de tous les organes provinciaux d'aide à l'enfance publiés entre 1940 et 1980, vous savez qu'ils disent tous la même chose tous les ans. Il n'est pas question seulement des enfants autochtones : « Donnez-nous de l'argent et nous allons garder les familles unies. Ne nous accordez pas de fonds et nous allons choisir ce qui coûte le moins cher », c'est-à-dire que nous allons retirer les enfants à leur famille.
Vous partez avec les enfants des gens pauvres. Très peu de résidants de Rosedale, bien que personne d'entre vous ne connaisse Rosedale, se voient privés de leurs enfants par le psychiatre, le psychologue, voire l'école privée. Les gens pauvres se voient privés de leurs enfants. Les membres les plus misérables de notre société, dans les années 1960, étaient les enfants des Premières Nations. Il n'est donc pas surprenant que, proportionnellement, de tous les enfants, ce soient les enfants autochtones qui sont les plus nombreux à être confiés à la garde de l'État.
Les pensionnats tendent à disparaître. Ils sont simplement de plus petite taille et loin des regards. Ils font partie d'un système de placement qui ne garantit pas que l'enfant aura connaissance de sa culture ou de sa langue. Une vie saine n'est pas non plus garantie.
Dans un certain sens, le pensionnat a cédé la place au placement en famille d'accueil et à l'adoption. L'intérêt du gouvernement fédéral pour les enfants, que ces derniers soient dans un pensionnat ou dans une famille d'accueil ou encore de manière générale, reste à déterminer. Nous savons tous qu'un tribunal des droits de la personne a ordonné que les services d'aide à l'enfance reçoivent un budget suffisant et que ce gouvernement n'a rien fait à cet égard. L'attitude du gouvernement fédéral envers les enfants autochtones ne semble pas avoir vraiment changé.
La présidente : Je vous remercie, messieurs, pour la vue d'ensemble que vous nous avez présentée. Des éléments m'ont grandement choquée et d'autres ne m'étaient pas inconnus.
Je vais donner la parole aux sénateurs afin qu'ils posent leurs questions.
Le sénateur Enverga : Je vous remercie de vos présentations, messieurs. Vos paroles m'ont ramené loin dans le temps, m'en ont appris et m'ont fait réfléchir aux effets du colonialisme sur notre population autochtone. J'ai entendu une histoire tragique, une histoire d'asservissement et de mauvais traitements. J'ai été personnellement touché.
Le comité se penche sur ce qui pourrait être fait pour établir de nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations en général, les Inuits et les Métis. À votre avis, que pouvons-nous faire dorénavant pour contrer les effets du colonialisme de l'époque? Ne peut-on faire quelque chose?
Je sais que nous ne pouvons récrire l'histoire, mais le fait est que l'histoire a tendance à se répéter. Après avoir tout examiné, êtes-vous en mesure de nous indiquer comment rattraper toutes les erreurs commises autrefois?
M. Milloy : Je suis heureux d'avoir enfin l'occasion de résoudre tous les problèmes. J'attends cela depuis des années.
Les propositions sont nombreuses. Au cours des quinze à vingt dernières années, disons depuis 1990, les études et les débats n'ont pas manqué. Beaucoup de projets ont été proposés par la commission royale de 1996 et ensuite par l'actuelle Commission de vérité et réconciliation, mais aucune suite n'a été donnée. Presque tous les rapports des commissions royales n'ont eu aucune suite. Ils reposent sur des tablettes comme tant d'autres rapports de commissions royales publiés au fil des années.
Ce n'est pas la volonté qui manque. Il n'y a pas moyen de mettre en action rapidement ces grosses institutions qui nous gouvernent, avec suffisamment de concentration et de financement pour faire face à ce genre de problèmes.
Par contre, en raison de nos domaines de travail, nous sommes sollicités. Par rapport aux recommandations formulées par la Commission de vérité et réconciliation, on a bougé. Nous ne nous attendons pas à ce que le Parlement fasse quoi que ce soit. Nous n'attendons pas que nos représentants officiels se grouillent pour en faire une priorité, pour établir un plan et pour consacrer des ressources à la réalisation de ces plans d'action. Partout au pays, sans oublier les gouvernements provinciaux et les fonctionnaires des provinces, on agit réellement en vue de se réunir pour se poser les questions suivantes : comment concilier nos actions? Quelles mesures peut-on prendre dans notre université? Quelles mesures peut-on prendre dans nos établissements, dans notre ministère?
Je travaille actuellement avec le ministère des Services d'aide à l'enfance et à la famille de l'Ontario; il est en train de concevoir un processus en vertu duquel les fonctionnaires qui s'occupent des enfants autochtones recevront une formation sur ces peuples autochtones. Ils vont apprendre comment élaborer des projets communs avec les communautés autochtones et comment progresser au niveau de la base. C'est là une chose que nous pouvons faire.
Il y a une chose que vous pouvez faire. Après tout, vous faites partie du Sénat. Vous croisez sans doute le premier ministre, du moins à 18 heures, au moment où toutes ces voitures viennent le chercher pour l'amener à la maison ou ailleurs. Rien ne vous empêche d'exiger des actes de sa part.
On a formulé de belles promesses, on a récité un beau discours et on a tenu des élections. Ce qui me consterne, c'est qu'un gouvernement reste sans rien faire face à une commission des droits de la personne qui lui dit qu'il doit dépenser cet argent. Le gouvernement dit en haussant les épaules que c'est bel et bien son devoir, mais qu'il ne va rien faire, qu'il ne va pas mettre l'accent sur ces priorités.
Des difficultés graves se posent, et la tâche qui nous attend ne sera pas facile. La situation est entachée par le fait que cette économie est fondée sur l'extraction et la transformation des ressources. Nous extrayons des ressources à l'endroit où des Autochtones vivent, et nous n'avons jamais été capables de le reconnaître. Notre premier ministre actuel a pu le constater par suite des problèmes liés au pipeline. Si du pétrole est extrait d'un endroit pour être expédié ailleurs, il est certain que les problèmes qui se sont posés dans les années 1880 et 1890 en ce qui a trait à l'exploitation des ressources se répéteront automatiquement. Il n'y a pas moyen d'éviter cela.
Il doit y avoir une façon de s'asseoir ensemble et de se demander comment redresser la situation. Je suis désolé, mais je me répète.
M. Daschuk : Parlant d'histoire tragique, celle-là en est toute une. Néanmoins, l'une des choses que j'ai tenté de faire ressortir, c'est que le Traité no 6 a été négocié avec une clause sur la famine et la peste. Plutôt que de se limiter au tragique de la situation, il faut aussi l'envisager du point de vue des lois qui ont été violées. Dès la Proclamation royale, le document fondateur aux termes duquel les Britanniques ont essentiellement pris possession de la majeure partie de l'Amérique du Nord, il avait été reconnu que les Autochtones étaient propriétaires de leurs terres. Selon la tradition juridique britannique, les traités étaient très importants pour que les colons puissent s'établir dans l'Ouest. Sans ces traités, il aurait été essentiellement contraire à la loi que des Blancs s'établissent dans l'Ouest.
Les traités qui ont été négociés représentent la pierre angulaire de la société qui a pris forme au cours des 120 ou 125 dernières années dans l'Ouest. Ils ont été rompus seulement 18 mois après avoir été conclus. Les négociations avaient peut-être été entreprises de bonne foi. De plus en plus de recherches universitaires tendent à démontrer que le texte des traités a peut-être été révisé par l'imprimeur de la Reine, plutôt que sur le terrain, mais il reste que la violation des engagements compris dans ces traités correspondait essentiellement à une violation de la loi.
Il y a littéralement des centaines de cas devant les tribunaux et en négociation à l'heure actuelle, mais plutôt que de lutter contre les Premières Nations, la première chose à faire est de reconnaître que des lois ont été violées. Elles l'ont été essentiellement au profit de la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui.
Comme je l'ai dit, il existe des centaines de cas d'injustice qui font en sorte que les membres des Premières Nations mettent à profit toutes les ressources financières dont ils disposent pour tenter de traîner le gouvernement devant les tribunaux ou d'entreprendre d'autres formes d'actions. La première chose à faire est probablement de reconnaître que des lois ont été violées.
M. Milloy : En 1878, lorsque James Macleod était toujours commissaire, les Indiens sont venus à lui et lui ont dit : « Nous mourons de faim », ce à quoi il a répondu : « Vous ne mourez pas de faim, vous avez juste faim. Par conséquent, la clause de secours en cas de famine ne s'applique pas. »
Le sénateur Oh : Merci, messieurs les professeurs. L'étude approfondie que vous avez faite de cette question est excellente. Il est choquant, bouleversant et terrible d'entendre ce que vous nous avez dit.
La disparition des bisons ainsi que la famine et le rationnement étaient-ils dans les plans du gouvernement pour se débarrasser lentement des Autochtones? Comment le déclin des troupeaux de bisons a-t-il pu se produire? L'objectif était-il de contrôler les Premières Nations, les Autochtones?
M. Daschuk : Je ne pense pas qu'il s'agissait d'un plan. Aux États-Unis, je crois qu'une campagne militaire a été entreprise par un général américain, qui a brûlé les fermes des États confédérés. Il savait qu'en affamant une population, on pouvait en affaiblir les défenses.
Dans l'Ouest canadien, le Dominion n'avait pas de ressources humaines suffisantes, si vous voulez, pour entreprendre une telle action. Je ne crois pas que cela avait été planifié dans les faits, mais par suite de quelques intempéries, deux phénomènes El Niño d'affilée, ainsi que d'une chasse à l'affût commerciale à grande échelle du bison aux États-Unis, il ne pouvait pas en être autrement.
Comme je l'ai dit, les militaires américains étaient en campagne pour détruire les bisons, afin de « pacifier » les Amérindiens et de les confiner dans leurs réserves. La disparition du bison au Canada n'était qu'un dommage collatéral d'un grand nombre des politiques qui ont fait en sorte que les Métis s'adonnaient probablement aussi à une chasse du bison non durable.
Comme je l'ai mentionné, 18 mois après la négociation de ces traités, de nation à nation et à force égale, l'un des partenaires a perdu sa position de force. Le nouveau gouvernement, grâce à une politique nationale, a été très prompt à profiter de la situation et à essentiellement pervertir les clauses en cas de famine et de peste pour les utiliser comme une arme.
M. Milloy : Tous les habitants de l'Ouest canadien savent que dès 1850, les troupeaux de bisons ont commencé à décliner en raison des pressions exercées au sud de la frontière et au Canada.
Pour la Compagnie de la Baie d'Hudson, le bison ne valait pas grand-chose, sauf à des fins alimentaires. Pour les Américains, il avait beaucoup plus de valeur parce que sa peau pouvait être transformée pour être envoyée dans l'Est. Les peaux de bison étaient notamment utilisées pour la fabrication de courroies de transmission pour les machines industrielles. Il est ironique de constater que les industries de l'Est ont littéralement épuisé cette ressource des plaines.
En 1850, même les Blancs voulaient s'en aller. Leur nombre ne cessait de diminuer en raison du marché. Ils ont fini par aboutir dans le Sud-Ouest de l'Alberta. Il devait s'agir des derniers d'entre eux.
Les Cris avec qui je travaille se sont éloignés de plus en plus vers l'ouest. Une bataille sanglante a eu lieu en 1870 pendant laquelle ils ont été pris à partie sans merci par les Pieds-Noirs, pas très loin de Calgary. Ce fut la dernière bataille. Même les Pieds-Noirs ont eu pitié d'eux et leur ont dit : « Vous êtes affamés, venez et nous allons partager avec vous ce qui reste. »
En 1879, ils étaient partis. Il était impossible de trouver du bison sur le territoire canadien, ce qui a bien servi James et sa politique de la famine. Les choses n'auraient pas pu mieux fonctionner pour le gouvernement canadien qui voulait se débarrasser de ces gens.
Le sénateur Oh : Avez-vous une idée du nombre d'Autochtones qui ont été touchés? Quelle était leur population à ce moment-là? Combien de personnes sont mortes de la famine?
M. Milloy : Combien sont mortes?
Le sénateur Oh : Oui.
M. Daschuk : Il s'agit d'une question simple qui demande une réponse très complexe. Nous ne savons pas combien de personnes sont mortes de la famine, mais la Saskatchewan, d'où je viens, comptait probablement de 20 000 à 25 000 membres des Premières Nations au moment de la signature du traité.
En 1891, la population a été infectée par la tuberculose. Comme je l'ai dit, les médecins croyaient que toutes les communautés étaient atteintes. Par suite d'une pandémie mondiale de grippe, les personnes atteintes de tuberculose ont attrapé la grippe et sont mortes. L'année 1891 a été considérée, à tout le moins dans les Prairies ou en Saskatchewan — dans le cas des Pieds-Noirs, cela s'est produit plus tard —, comme l'année où la population a atteint son niveau le plus bas. Cela s'est produit 10 ou 12 ans après la signature des traités.
Comme je l'ai dit, nous ne savons pas avec certitude combien de personnes sont mortes en raison de ces politiques. Nombre d'entre elles étaient immunodéprimées et sont mortes de maladie, mais il est très difficile de tracer un portrait juste. Environ 10 ou 12 ans après le déclin des troupeaux de bisons, la population des Premières Nations de la Saskatchewan a atteint son niveau le plus bas.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous remercie de vos exposés. Vous avez mentionné que les communautés ont essentiellement été abandonnées par le gouvernement fédéral. Ne croyez-vous pas que cela est encore vrai aujourd'hui?
M. Milloy : Oh oui. Je ne crois pas que la situation se soit jamais rétablie. Ils sont disparus et c'est à peu près tout.
Certains d'entre vous, aussi vieux que moi, se rappellent sans doute John Munro, qui était ministre des Affaires indiennes. On peut dire de lui qu'il était un batailleur. Croyez-le ou non, en 1980, alors qu'il était au ministère des Affaires indiennes, il a publié un rapport intitulé Indian Conditions : A Survey. Il s'agit du rapport le plus honnête jamais produit par ce ministère.
Selon lui, c'était la pagaille. Tant d'un point de vue économique, social que de santé, la situation était horrible pour les populations indiennes partout au pays. Il avait d'ailleurs ajouté que c'était de notre faute, de la faute du gouvernement fédéral, et avait mentionné qu'il ne semblait pas y avoir de signes que les choses allaient s'améliorer au chapitre de la politique gouvernementale et du financement, notamment, et que l'on allait s'attaquer à ces problèmes.
Peut-être qu'en 1980 on avait dépassé le stade où une solution était possible. Peut-être que les communautés étaient tellement mal en point qu'il était chimérique de penser à une solution, et certainement pas à une solution rapide.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Croyez-vous que sir John A. Macdonald serait déçu de savoir que nous avons survécu?
M. Milloy : De savoir quoi, qu'ils ont survécu?
La sénatrice Lovelace Nicholas : Croyez-vous que sir John A. Macdonald serait déçu de savoir que nous avons survécu à ce génocide culturel?
M. Milloy : Je crois qu'il serait assez satisfait de ce qu'il a fait. Il a construit le chemin de fer. Il a de grandes réalisations à son actif. Je ne veux pas tout condamner, même s'il est difficile de savoir ce qui est nécessaire. Qui sait?
La sénatrice McPhedran : Merci à tous les deux de nous avoir fourni ces compléments d'information impressionnants et de nous avoir présenté ces faits très émouvants concernant l'étendue de la souffrance humaine.
J'aimerais me concentrer sur la mention qui a été faite des enfants qui ont été arrachés à leur famille et du lien que cela comporte avec la vulnérabilité qu'entraîne la pauvreté. J'aimerais relier cela aussi à la situation des femmes dans les populations autochtones à cette époque.
Je suis motivée en partie par le fait que parmi les questions qu'examine très activement ce comité figure le projet de loi S-3 qui vise à éliminer les restes de discrimination fondée sur le sexe de la Loi sur les Indiens. Il faut voir si nous y parviendrons. En fait, ce qui nous préoccupe réellement, c'est la discrimination fondée sur le sexe, la discrimination à l'endroit des femmes autochtones sur la base de leur sexe, et le fait que cette politique se perpétue, en dépit des nombreux amendements qui ont été apportés depuis que notre collègue, que je tiens en haute estime, a contesté la position du Canada sur la scène internationale avec succès.
Toutefois, j'aimerais vous demander à tous les deux si vous pouvez nous fournir des données historiques dont vous auriez pris connaissance et qui relieraient plus étroitement cette campagne contre les Autochtones à une discrimination fondée sur le sexe dirigée contre les femmes.
M. Milloy : En 1869, mais davantage en 1876, lorsque la première véritable Loi sur les Indiens a vu le jour, on constate que les communautés des Premières Nations partout au pays ont été transformées en communautés victoriennes. Les femmes, du fait de leur sexe, n'occupaient aucune place dans les plans que le département des Indiens avait pour ces communautés pour l'avenir.
Ce sont les hommes qui assumaient les fonctions politiques, ainsi que les fonctions économiques importantes, les femmes étant pour ainsi dire absentes de la scène aux termes de cette loi. Les tribus, constituées de bandes, sont devenues des municipalités, dont les habitants devaient respecter les limites.
Les Autochtones vivaient dans des réserves. Ils ne faisaient plus partie de la nation crie des Plaines; ils faisaient partie des Kawacatoose, un point c'est tout. S'ils allaient de la bande de Kawacatoose à la bande de Gordon, ils étaient considérés comme des intrus. Les hommes n'avaient pas de droits et les femmes non plus. Les femmes se mariaient, suivaient leur mari et appartenaient à la même bande. Tout le tissu social s'est européanisé.
Même si des progrès sont réalisés, comme nous le savons, en ce qui a trait aux droits des femmes à l'extérieur des réserves, il a fallu attendre les années 1970 pour qu'un tel mouvement se manifeste dans les réserves, qu'une première démarche en vue de mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe soit entreprise. Avant cela, rien du tout. Aucun progrès n'avait été accompli dans ces communautés.
Ironiquement, toutefois, même si le département des Indiens n'a jamais remis en question la position juridique des femmes, après la Deuxième Guerre mondiale, on remarque que sa politique s'est largement féminisée, ce qui est assez intéressant. En tant que société, nous avons échappé à l'autorité de l'église pour passer entre les mains des spécialistes des sciences sociales. Cela ressemble à l'émission de télévision Corner Gas, dans laquelle les gens crachent lorsqu'ils entendent le nom de la ville voisine. Je suis tenté de faire de même lorsque je dois utiliser les termes « spécialistes des sciences sociales ». Nous avons été faits prisonniers des sciences sociales. Nous avons mis la religion dehors pour la remplacer par le travail social.
Il est intéressant de mentionner qu'à cette époque, le département des Indiens était dirigé par d'anciens soldats. Il est souvent fait mention du département des Affaires indiennes comme de la brigade perdue du colonel Jones. On y recrute un certain nombre de travailleuses sociales. L'idée est de les faire travailler avec les femmes non autochtones dans les communautés : la femme du ministre ou l'infirmière, par exemple. Ces femmes insufflent de l'énergie dans ces communautés, en visant des objectifs que le département n'a jamais réussi à atteindre, à savoir des maisons propres, une éthique de travail et des enfants qui fréquentent l'école tout le temps et qui sont éduqués de la bonne façon.
Ces organisations, les comités de femmes que le département des Indiens aide à financer partout au pays, se transforment en organisations politiques après un certain temps. Ces dernières commencent par demander des machines à coudre. Puis, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, elles aspirent à une véritable réforme politique. Étonnamment, les activités du département ont pour effet de raviver les forces dans les communautés autochtones, ce qui donne lieu à des mouvements des femmes pour une réelle réforme politique.
Je ne sais pas si c'est la réponse que vous souhaitiez, mais c'est cela qui s'est produit. Il est assez surprenant que l'on ait assisté à ce que j'appelle la féminisation du département.
Le problème avec toutes ces femmes, c'est qu'elles revendiquaient trop, de l'avis du département, et on n'arrêtait pas de leur dire : « Tenez-vous-en aux faits, madame. Arrêtez de nous parler de toutes ces choses passionnantes qui se passent dans les communautés indiennes. »
La sénatrice McPhedran : Il est intéressant de constater que c'est un modèle que l'on retrouve partout dans le monde. Lorsqu'une société atteint un minimum de prospérité économique, cela mène généralement à des demandes au chapitre de l'égalité entre les sexes.
M. Milloy : C'est certainement ce qui s'est produit en Australie, chez les femmes autochtones, qui avaient des objectifs à l'échelle de leur ménage qu'elles voulaient atteindre au sein de leurs communautés. Elles ont fini par se rendre compte qu'elles étaient incapables de le faire, à moins de prendre des actions politiques, d'intervenir dans la sphère politique.
Cela semble s'être produit au Canada dans le contexte du Women's Institute. À un moment donné, le département des Indiens a tenté de fusionner les organisations de femmes dans les réserves et le Women's Institute, mais cela n'a pas abouti. On parle d'un type d'organisation calqué sur le Women's Institute qui, après un certain temps, devient utile politiquement.
Au cours de ma recherche, je suis tombé sur le Livre blanc. J'étais à la recherche de documents de cette époque. J'ai pris connaissance de lettres enflammées de ces organisations de femmes concernant le programme politique qu'elles souhaitaient voir adopter. À ce moment-là, les machines à coudre n'étaient plus qu'un souvenir.
M. Daschuk : Ma recherche est axée sur le XIXe siècle. Plutôt que de lutte pour les droits des femmes, on parle d'un groupe marginalisé, les femmes étant les plus marginalisées de tous.
Je vous ai parlé de la distribution des rations. En 1885, on a beaucoup discuté en comité parlementaire et sénatorial de la violence que cela a engendrée. Parmi les sujets qui ont été abordés au Parlement figurait le fait que plusieurs employés du département des Indiens avaient été congédiés parce qu'ils échangeaient de la nourriture contre des faveurs sexuelles. Ils profitaient de leur position.
Je me rappelle que lorsque j'ai pris connaissance de cela, il y a 15 ou 20 ans, j'ai eu beaucoup de difficulté à comprendre. Au même moment, toutefois, on apprenait aux nouvelles que des travailleurs humanitaires des Nations Unies en Afrique faisaient face au même genre de scandale.
Cela nous montre que lorsqu'un groupe a le pouvoir absolu sur une population, un certain pourcentage de personnes de ce groupe veulent en tirer profit.
On parle de la même situation dans le cas du lien entre l'arrivée des colons et les maladies transmises sexuellement. Je sais qu'il existe beaucoup de correspondance au sujet de la « prostitution », mais je crois que ces femmes tentaient seulement de survivre dans un contexte que l'on retrouve encore à l'heure actuelle.
La sénatrice Pate : Je vous remercie beaucoup tous les deux pour vos présentations. Vos dernières observations constituent l'entrée en matière parfaite pour ce dont je veux parler, à savoir le lien entre la situation historique dont vous nous avez tous les deux fait part et le contexte actuel de l'incarcération massive d'Autochtones, et plus particulièrement des femmes et des filles autochtones.
Vous êtes probablement au courant des statistiques selon lesquelles 36 p. 100 des femmes dans les prisons fédérales à l'heure actuelle sont autochtones, et 43 p. 100 des jeunes filles placées sous garde sont autochtones aussi. Pourriez-vous commenter cela?
Par ailleurs, des historiens m'ont raconté que certaines des premières femmes autochtones qui ont été incarcérées à la prison des femmes de Kingston l'ont été parce qu'elles n'avaient pas obtenu d'aide médicale au moment d'avoir leurs enfants. Il n'était rien arrivé de mal à leurs enfants, mais on avait trouvé ainsi la seule façon de les punir d'avoir accouché en cachette et ne pas avoir inscrit leurs enfants aux termes de la Loi sur les Indiens.
Je me demande si vous êtes au courant d'autres documents historiques qui traitent du même genre de problèmes, si vous avez des commentaires concernant l'importance historique que cela a eue, et si vous voyez des façons dont le libellé de certains traités pourrait être utilisé pour élaborer certaines stratégies relativement aux types de mesures que vous jugez nécessaires, à juste titre.
M. Daschuk : J'enseigne dans le domaine des études en santé à l'Université de Regina, et il est souvent question des déterminants sociaux de la santé. Je parlais récemment à un collègue criminologue qui enseigne en études de la justice, et il me disait que les déterminants sociaux de la criminalité sont essentiellement les mêmes que les déterminants sociaux de la santé. Lorsque tous ces facteurs se détériorent, c'est le genre de situation qui se produit. Ce sont probablement les mêmes facteurs qui nous rendent malades et qui mènent les gens en prison.
Parmi les éléments qui ont guidé ma recherche figuraient les origines de l'écart. Tous connaissent les écarts, qui vont de cinq à huit ans, dans l'espérance de vie. Les membres des Premières Nations vivent moins longtemps et moins en santé que le reste d'entre nous.
Lorsque j'ai examiné la question et tenté de trouver l'origine de cet écart, j'ai été assez ébranlé de découvrir qu'il s'agissait du gouvernement, au profit des colons. On a volé la santé de ces gens, avant même que le nombre de colons établi dans l'Ouest ait augmenté, alors qu'il se situait à quelques centaines seulement. Une fois le chemin de fer terminé, les colons ont envahi le territoire.
Ce n'est qu'un aspect de la question. Je sais que mon discours peut avoir l'air d'un discours féministe, mais au fur et à mesure que la société patriarcale a été imposée à ces gens, la position des femmes s'est affaiblie, même si traditionnellement, elle était très forte.
M. Milloy : Les services de police en sont la raison. J'ai travaillé pour le juge Sinclair, le sénateur Sinclair, lorsqu'il a tenu sa commission au sujet des Autochtones dans le système de justice pénale au Manitoba. J'ai été recruté à contrat pour fournir une réponse simple à une question simple : combien y avait-il de personnes d'ascendance autochtone dans les prisons du Manitoba avant 1950?
Comme je suis brillant, je me suis empressé de répondre, une semaine plus tard : « Aucune ». Il y avait bien deux hommes là, mais nous croyons qu'ils étaient noirs, et non pas autochtones. « Envoyez-moi mon chèque; je veux passer à autre chose. » On m'a répondu en disant : « Non. Vous devez maintenant nous dire pourquoi. » Ma réponse a été la suivante : « Les services de police ».
Avant 1950, la plupart de ces communautés vivaient de façon relativement isolée du reste du monde, y compris des services de police. Il n'y avait à proprement parler pas de routes et seulement quelques lignes téléphoniques. Ces communautés se sont autogouvernées et autoréglementées, particulièrement dans l'Ouest, pendant une longue période. Puis sont arrivés les routes, les systèmes de télécommunication et les auto-patrouilles. En outre, les gens ont commencé à s'installer dans les villes, où ils étaient surveillés, peu importe s'ils étaient autochtones ou non autochtones. Ajoutez à cela la pauvreté qui les avait amenés là, et il n'en fallait pas plus pour que ces gens soient arrêtés et incarcérés un jour.
Je mène des recherches sur le système de familles d'accueil et d'adoption dans le contexte de la Rafle des années 1960, et j'ai découvert notamment que l'on donnait régulièrement aux femmes de Winnipeg ce que l'on appelait des « contraventions rouges ». Je n'avais absolument aucune idée de quoi il s'agissait, ce qui fait que j'ai contacté un ancien collègue de la GRC, qui a consulté des gens qu'il connaissait au Manitoba. Les contraventions rouges étaient des contraventions que la police remettait aux gens et sur lesquelles il était indiqué : « Vous avez intérêt à quitter la ville, parce que si nous vous voyons à nouveau, nous vous arrêterons. » Ces contraventions étaient remises aux femmes qui étaient soupçonnées de se trouver dans la rue pour des fins répréhensibles, des fins sexuelles. Ces femmes étaient donc jetées en dehors de la ville et on les laissait se débrouiller pour se rendre quelque part en autobus. Je crois que Toronto a fait la même chose, il y a quelques années, pour forcer les gens pauvres à déménager à Hamilton. Il s'agit d'un autre système de laissez-passer.
Une partie de ce problème repose sans aucun doute sur un système patriarcal endémique de discrimination à l'endroit des femmes, autochtones ou non autochtones. Dans un article extraordinaire, un anthropologue souligne que, traditionnellement, il y avait égalité entre les sexes dans les communautés autochtones.
Cela ne signifiait toutefois pas que ces personnes, hommes ou femmes, pouvaient aspirer à la présidence de la Banque de Nouvelle-Écosse. Une femme du nom de Leacock a écrit dans un article célèbre que les femmes étaient autonomes dans les sphères de responsabilité qu'elles avaient. Personne ne leur disait quoi faire au sujet de l'éducation des enfants, de la cuisine et d'une série d'autres choses, et il en allait de même pour les hommes. Il est intéressant de constater la rupture qui a eu lieu, non pas en raison de la discrimination idéologique, mais avec l'arrivée d'un système capitaliste.
Dans les Prairies, par exemple, lorsqu'un homme tuait un bison, celui-ci revenait automatiquement à sa femme. C'est elle qui déterminait comment il serait utilisé, comment il serait distribué, ce qu'on ferait de la peau, et cetera.
Dans les années 1830, l'arrivée des bateaux à vapeur sur la rivière Missouri a fait en sorte qu'il était possible de chasser massivement le bison et d'envoyer les peaux aux États-Unis. D'un seul coup, ces peaux sont devenues la propriété de communautés d'hommes des Plaines.
Le nombre de mariages multiples a augmenté. Les gens disaient : « Mon Dieu, ils épousent même des filles de 12 ans. Pourquoi font-ils cela? » Les tentes des gens riches de la communauté étaient plus grandes que toutes les autres. Il était toujours possible de savoir où vivait le chef. C'était celui qui avait le tipi le plus grand et le plus grand nombre de femmes. Les petites fabriques qui produisaient des peaux appartenaient aux hommes, et non plus aux femmes.
Le poison du système capitaliste européen a commencé à s'insinuer dans ces communautés. Bien avant l'avènement de la Loi sur les Indiens, la discrimination fondée sur le sexe a marqué la manière dont le système économique façonnait les sociétés. Ces forces se sont exercées sur nous, sur l'ensemble de la population de l'empire. Heureusement, le capitalisme s'est éteint vendredi dernier, n'est-ce pas?
La sénatrice Pate : Existe-t-il d'autres stratégies d'action?
M. Milloy : Pour ce qui est d'autres stratégies d'action, je crois que je n'ai pas de réponse pour vous.
M. Daschuk : Nous pouvons seulement espérer que l'enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées atteindra ses objectifs. Le fait de connaître la vérité représente la première étape en vue de trouver une réponse véritable et valable aux questions. Nous sommes sur la bonne voie, et il est à souhaiter que nous maintenions le cap.
M. Milloy : La professeure Marlene Castellano, une chercheuse de premier plan dans le domaine des communautés autochtones avec qui j'ai travaillé à Trent pendant de nombreuses années, a été approchée par une publication en études des femmes pour rédiger un article. Selon elle, nous n'avons pas besoin d'égalité pour les femmes en milieu autochtone, mais plutôt d'aide pour les hommes. Elle a toujours été de cet avis : « Ce sont les hommes qui souffrent. Ce sont les hommes qui ont été les plus touchés. Ce sont eux qui agissent en réaction à leur douleur. Après tout, selon elle, la situation des femmes est la même que dans les années 1990, 2000 ou avant. Elles ont des enfants. Elles les élèvent. Elles subviennent aux besoins de leurs familles. Ce sont les hommes qui ont perdu leur emploi. »
Le sénateur Christmas : Tout d'abord, j'aimerais vous remercier tous les deux, professeur Daschuk et professeur Milloy, pour vos publications et les recherches que vous avez menées. Je conviens avec vous que la connaissance de la vérité peut certainement faire une différence. Je vous suis reconnaissant, tout comme beaucoup d'Autochtones probablement, du temps que vous avez consacré à ces recherches et aux publications auxquelles elles ont donné lieu.
Comme vous l'avez mentionné, le fait de connaître la vérité représente un grand avantage. Il est extrêmement valable d'envisager la situation actuelle, la situation dans laquelle nous nous trouvons en 2017, dans le contexte historique des événements qui se sont produits au XIXe siècle, parce que cela permet de répondre à beaucoup de questions au sujet de l'origine des situations que nous vivons aujourd'hui.
J'aimerais aussi mentionner que vos témoignages de ce soir me sont remarquablement familiers. Je viens de la côte Est, plus précisément de la Nouvelle-Écosse. Les mêmes choses se sont produites là-bas : les traités, la confiscation des terres, la maladie et la famine, puis l'assimilation. La situation est très similaire.
À Terre-Neuve, nous avons perdu toute une population traditionnelle, les Béothuks. Au début des années 1920, en Nouvelle-Écosse, le commissaire aux Indiens, Joseph Howe, a mené un recensement et a déterminé qu'il restait 1 100 Micmacs, après la période de maladie et de famine. Il avait alors prédit que les Micmacs de la Nouvelle-Écosse seraient éteints quelques années plus tard.
Je vais réitérer les questions que les autres vous ont posées. À l'approche du 150e anniversaire de la fondation du Canada, nous, en tant que comité du Sénat, avons été chargés d'effectuer une étude et de faire des recommandations sur la façon de rétablir des rapports de nation à nation entre l'État et les Autochtones du pays. Vous vous rendez certainement compte qu'il s'agit d'un défi énorme.
J'aimerais que vous fassiez un effort. Si vous aviez une rencontre privée avec le premier ministre, que lui suggéreriez- vous de faire à partir de maintenant?
M. Daschuk : Deux ou trois choses, j'imagine. Vous avez mentionné que ce dont j'ai parlé vous était très familier. Parmi les choses que je prends très au sérieux figurent la communication avec le public et le partage de mes connaissances. Il m'est arrivé souvent de présenter mes exposés à un auditoire que j'appellerais biracial, en l'absence d'un terme plus juste, et de remarquer que les gens de couleur opinent de la tête, comme s'ils savaient de quoi je parle, alors que tous les autres sont choqués.
J'ai déjà fait une présentation en Alberta à un avocat qui travaille dans le secteur pétrolier. Après ma présentation et après lui avoir montré une carte des conséquences de la politique de la famine, je me suis rendu compte qu'il était littéralement blanc comme un drap. Il donnait l'impression d'avoir reçu un coup de poing dans l'abdomen. Je lui ai demandé si tout allait bien.
Finalement, cet homme est de Kindersley, au milieu de la région qui a été dépeuplée. Il a grandi dans une ferme centenaire et a eu une enfance absolument idyllique. Quand il était jeune, il se promenait dans la ferme et ramassait des artefacts. Il lui est arrivé de tomber sur des cercles de pierres autochtones. C'était toute une expérience pour un enfant.
Peut-être était-ce l'effet du hasard, mais ce n'est que lorsque je lui ai montré la carte qu'il s'est rendu compte que ces gens, à quelques centaines de milles de distance, ou leurs ancêtres, étaient ceux qui étaient à l'origine des artefacts qui se trouvaient sur la terre que ses ancêtres avaient exploitée. Cela a été un réel choc pour lui.
Nous l'avons dit auparavant. La recherche de la vérité, aussi dure qu'elle puisse être, et l'examen des faits, aussi difficile qu'il soit, représentent probablement la première étape dans la reconnaissance du problème. Je ne cite pas très souvent Gord Downie des Tragically Hip, mais selon lui, les Canadiens sont tellement habitués à ne pas regarder la réalité en face, qu'ils ne peuvent plus faire autrement. Si nous pouvons dépeindre la dure réalité d'une façon que les gens peuvent comprendre, nous jouons notre rôle comme historiens.
En ce qui a trait au premier ministre Trudeau, j'ai trouvé réellement intéressant qu'il ait accepté l'ensemble des 94 appels à l'action, il y a à peu près un an et demi. On parle là d'un grand nombre d'appels à l'action. Il a aussi accepté en principe la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. J'imagine que peut-être quelqu'un avec un cartable s'est présenté à son bureau et lui a dit combien cela allait coûter : « Nous avons dirigé un pays pendant 149 ans d'une certaine façon, et il sera difficile de faire volte-face en un jour. » Nous avons donc une solution propre au Canada relativement à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Nous devons réfléchir à cette question à l'approche du 150e anniversaire du Canada. J'ai donné quelques conférences à ce sujet. Je suis certain que tous connaissent Cindy Blackstock. Elle a parlé de peut-être 500 millions de dollars pour redresser une partie de ces problèmes, soit à peu près le même montant que nous dépenserons en feux d'artifice et en hot dogs pour le 150e anniversaire du Canada. Nous avons laissé passer la chance de dire que nous ne ferions pas la fête et que nous allions plutôt panser ces plaies purulentes dans notre société. J'aimerais bien que cela se produise.
M. Milloy : Je serais heureux qu'il me convoque dans son bureau et qu'il ait une discussion avec moi. Ce que je vais suggérer peut sembler stupide, mais il s'agit de ce que nous faisons dans les universités, à l'occasion ou souvent.
Nous avons très bien réussi notre tâche de bâtir le Canada. Il n'y a aucun doute à ce sujet. Tout a bien fonctionné. À partir de Macdonald, nous avons réussi à peupler le pays, à assurer un niveau de vie impressionnant aux Canadiens, et cetera.
Je lui dirais qu'il est temps de mettre fin à cela, parce que ce que nous avons fait, c'est de transformer notre partie de l'Amérique du Nord en pays européen. On pense par exemple à Hamilton avec sa pollution, sa surpopulation et ses coûts de logement qui montent en flèche. Nous faisons très bien cela, alors taisez-vous et écoutez-moi.
Je me rappelle avoir travaillé à l'Université Trent avec un ancien, mon préféré, Fred Wheatley. Il m'avait transmis une partie de la sagesse autochtone. Il disait : « Vous savez, vous Européens et Canadiens, que vous ne laissez pas de silences entre vos mots. Vous parlez sans arrêt et vous ne laissez pas aux autres le temps de vous répondre. »
Poursuivons l'édification du Canada comme nous l'avons fait pendant les 150 dernières années. Nous savons bien comment faire cela. Plutôt que d'augmenter la pollution, les conséquences graves de l'exploitation des ressources, la pauvreté et le déclin en milieu urbain, et toutes les choses que nous faisons si bien, essayons de nous asseoir enfin avec les gens des Premières Nations, qui n'avaient rien fait de cela lorsque nous sommes arrivés ici. Pensons à ce que le Canada pourrait ressembler à l'avenir, aux types de changements découlant de la façon de penser et de faire des Autochtones dont nous pourrions profiter, ce qui pourrait être exploité et donner un nouveau caractère au Canada, un pays renouvelé.
Il est facile d'adopter la doctrine capitaliste. Donald Trump peut le faire. C'est assez désolant. En fait, le premier ministre pourrait envisager d'aller dans une nouvelle direction, aussi farfelu et abstrait que cela puisse sembler. De nombreux représentants des Premières Nations au pays pourraient s'asseoir avec lui et lui parler des choses dont nous devrions nous préoccuper et des façons de les aborder. Écouterait-il? Peut-être, avant la prochaine élection.
Le sénateur Christmas : Merci beaucoup de vos réponses.
M. Daschuk : John, vous rappelez-vous le chef du traité no 4 qui avait dit aux commissaires : « Nous ne mangeons pas de mots. Nous ne pouvons pas nous nourrir de vos promesses. »
M. Milloy : Littlechild, si je me rappelle bien, mais je ne suis pas certain.
M. Daschuk : De toute façon, cette situation perdure depuis assez longtemps.
La présidente : Je suis désolée de vous interrompre, mais j'aimerais poser une question.
Professeur Milloy, vous avez mentionné qu'il faudrait écouter ce que les Autochtones ont peut-être à dire pour modifier l'avenir du pays. Y a-t-il des segments de la population autochtone avec qui nous devrions entrer en rapport, selon vous, ou pensez-vous à certaines personnes?
Pourriez-vous nous donner un peu plus d'indices? En fait, c'est là que notre comité se dirige et je serais curieuse de savoir si vous avez des indications à nous donner sur l'approche que nous devrions suivre.
M. Milloy : Je veux rentrer chez moi sain et sauf demain. Je ne suis donc pas certain de vouloir répondre à cette question.
La présidente : Pourriez-vous nous donner juste un indice?
M. Milloy : C'est là un des problèmes. Comment quelqu'un peut-il devenir un représentant accepté par les Autochtones au pays et pouvoir de ce fait même prendre la parole et les représenter?
Je suggérerais par conséquent que nous sollicitions les anciens des communautés, les gens qui ne font pas de politique, les gens qui ont encore un lien avec certaines notions et façons traditionnelles de penser et de faire. Ce sont ces personnes-là à qui nous devrions nous adresser.
Pendant très longtemps, dans les audiences sur les pensionnats, j'ai entendu les témoignages de survivants, et je suis impressionné par les niveaux de sagesse de ces vieilles âmes, qui sont le résultat des mauvaises expériences qu'elles ont vécues au cours des 60, 70 ou 80 dernières années.
La présidente : Professeur Daschuk, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Daschuk : Dans un autre ordre d'idées, il y a beaucoup de jeunes scolarisés. Je travaille à Regina où se trouve l'Université des Premières Nations. Je sais qu'il y a beaucoup de jeunes qui sont fidèles à leurs traditions et à leurs racines et qui détiennent des MBA, des diplômes en commerce et des diplômes en droit. Ils animent le débat en Saskatchewan et probablement partout au pays. Il vaudrait donc la peine de les écouter aussi.
La présidente : Merci de cet excellent conseil.
Le sénateur Watt : J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt ce que vous avez dit au sujet de nos gens et de ce qu'ils ont subi au fil des ans. Cela ne va pas sans de nombreuses expériences et histoires tristes et est une grande source d'inconfort.
J'aimerais faire la même chose que la personne qui m'a précédé et tenter d'obtenir une réponse de vous. Quelles sont les prochaines mesures qui doivent être prises dans ce domaine? Je ne crois pas que le gouvernement du Canada nous fournira la réponse, maintenant ou plus tard.
Une part importante de la responsabilité nous revient à nous, les groupes autochtones. Je crois qu'il est temps pour les groupes autochtones partout au pays de faire entendre leurs opinions publiquement et collectivement, de se réunir pour discuter de leurs problèmes et expériences, et d'avoir recours à des personnes comme vous pour les aider à trouver l'information appropriée à communiquer. Je crois que c'est cela que nous devons faire.
Vous devriez prendre connaissance de l'allocution qu'a présentée la ministre de la Justice et procureur général du Canada, qui est elle-même autochtone, il n'y a pas si longtemps, le 15 février 2017, intitulée Investir dans l'avenir du Canada : les 150 prochaines années. Elle a essentiellement énoncé ce que le gouvernement peut et ne peut pas faire. Elle a souligné le fait que le gouvernement ne peut plus être un obstacle. Le fait même qu'elle ait dit cela, qu'elle ait déclaré cela, est synonyme d'espoir.
Nos peuples, qu'il s'agisse des Premières Nations, des Métis ou des Inuits, ont besoin de se retrouver seuls dans une salle. À un moment ou un autre dans l'avenir, les trois groupes doivent se réunir suffisamment de fois en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle qui leur permet de s'assembler afin de discuter de leur avenir. Voilà ce qui doit être fait.
En même temps, la population canadienne en général serait informée si un système de communication approprié était mis en place pour que le public suive ce qui se passe.
Je suis à la recherche de solutions. Cela fait plus de 30 ans que je suis au Sénat. Année après année, j'entends toujours parler de la même chose. Nous sommes dans un cercle vicieux. Nous devons y mettre fin. Nous devrions être un peu plus concrets dans ce que nous recherchons, bien le mettre en évidence et nous assurer que l'information se rend aux bonnes personnes.
Pour que l'autodétermination fonctionne, il nous faut une structure. À l'heure actuelle le gouvernement du Canada ne sait pas au juste quelle sorte de structure il veut mettre en place pour nous aider à parvenir au point où nous voulons aller.
Si nous attendons après le gouvernement, je pense que l'attente va être longue. Premièrement, comme je l'ai dit, nous devons nous assembler. Nous devons commencer à retrousser nos manches et à faire un plan, le prochain plan. Comment allons-nous nous y prendre?
S'il le faut, nous pourrions devoir aller jusqu'à la Cour suprême du Canada. Sachant que la Cour suprême du Canada a déjà rendu des décisions appropriées, je pense que nous devrions en tirer parti.
L'autre facteur dont nous devrions aussi tirer avantage, c'est le fait que le premier ministre lui-même a ouvert une possibilité, a donné un espoir aux peuples autochtones du pays. En lui faisant parvenir le message, cela est fort possible, mais nous devons devenir constructifs. Si nous ne le sommes pas et si nous ne nous concentrons pas sur ce que nous devons établir, nous n'arriverons pas au point où nous voulons aller.
Qu'en pensez-vous?
M. Daschuk : Je suis d'accord avec vous pour ce qui est d'attendre après le gouvernement. Une des choses que j'ai essayé de faire, c'est de communiquer les résultats de mes recherches au plus grand nombre possible de personnes du grand public pour amener les électeurs à exercer une pression sur le gouvernement, afin de motiver en réalité les 94 ou 95 p. 100 d'entre nous au Canada qui ne sont pas des Autochtones à reconnaître les questions de justice qui sont en jeu. Cela est très important, parce que si nous parvenons à amener ces électeurs à exercer des pressions sur nos gouvernements, c'est à ce moment que les gens au pouvoir réagiront.
Je suis également d'accord avec vous pour ce qui est des tribunaux. Il est très intéressant de constater que depuis 1982, les peuples autochtones gagnent leurs causes devant les tribunaux. Bien que les élus puissent ou non être sensibles aux questions, les tribunaux dans une vaste majorité des cas concluent que les peuples des Premières Nations ont raison.
Le recours au système judiciaire prend un temps fou, à tout le moins une génération et beaucoup d'argent. D. N. Sprague, qui a travaillé pour la Fédération des Métis du Manitoba, a été mon directeur de maîtrise et de doctorat. Essentiellement, il a été leur conseiller historique dans l'affaire de leur revendication au sujet des lots riverains dans la ville de Winnipeg. Lorsque je me suis amené comme un blanc-bec au niveau de la maîtrise il y a quelque 25 années, M. Sprague m'a dit que cette affaire serait devant les tribunaux pour toujours. En 2013, la Cour suprême a conclu en faveur de la Fédération des Métis du Manitoba.
À moins d'un changement, cela va prendre du temps et des ressources. Nous avons constaté qu'il existe une tendance pour les peuples autochtones et leurs revendications de justice d'avoir gain de cause. Il y a donc une lueur d'espoir. Je suppose que cette lueur d'espoir est à long terme.
M. Milloy : Je suis tout à fait d'accord, le recours aux tribunaux est souvent efficace et dispendieux. Cela est bien entendu une voie à emprunter, une voie politique canadienne standard. La Confédération a été faite et refaite dans le comité judiciaire du Conseil privé en Grande-Bretagne, puis devant notre Cour suprême, avec les provinces et le gouvernement fédéral qui jouaient du coude pour les domaines de compétence, et cetera.
Je conviens que les trois groupes devraient se réunir en conseil et formuler des idées, des plans et une orientation. D'après moi, nous devons nous concentrer davantage sur la réalisation de notre activité politique. Depuis le début du siècle dernier, notre activité politique n'a pas été traditionnelle. Des associations politiques autochtones de toutes sortes ont été créées sans se limiter aux appartenances culturelles, notamment l'Alberta Indian Association, une association indienne ouverte aux Pieds-Noirs et aux Cris. Chose étonnante, ces organisations se sont réunies. Finalement, nous avons eu une organisation nationale, l'Assemblée des Premières Nations, puis d'autres organisations nationales.
Je vais dire quelque chose et j'espère que vous n'en serez pas insultés. Si vous jetez un coup d'œil à l'histoire de ces organisations, elles sont ce que j'appelle des « organisations quémandeuses ». Elles sont comme les asiles des pauvres de Charles Dickens. Vous vous levez et vous dites : « J'en voudrais encore, monsieur, s'il vous plaît », ou « Je voudrais quelque chose, monsieur, s'il vous plaît. »
La réponse traditionnelle aux peuples des Premières Nations, aux Inuits ou aux Métis est : « Non, vous n'avez pas de priorité. Votre problème, c'est que vous ne pouvez pas faire fonctionner le système démocratique. Vous ne pouvez pas faire tourner les engrenages. C'est parce que sur le plan économique vous êtes non pertinents. Comme ils l'ont fait lors de la grève générale de Winnipeg en 1919, vous pouvez déposer vos outils, mais lorsque vous le ferez, personne ne le remarquera. »
Maintenant, nous récoltons les pommes, les bleuets et la betterave à sucre à la machine. Nous n'avons plus besoin de vous. Nous n'avons pas besoin d'Autochtones, de peuples des Premières Nations ou de peuples autochtones où que ce soit dans l'économie. Pendant que les gens de la classe ouvrière ont été en mesure d'exercer des pressions sur le système politique en faveur de leurs propres intérêts, pendant que les femmes ont été en mesure d'exercer des pressions politiques en faveur de leurs intérêts, les peuples autochtones ne peuvent pas le faire. Ils se sont donc retrouvés avec ces organisations.
Vous n'avez aucune pertinence démographique dans le système démocratique. Combien de députés pouvez-vous élire? Pas tellement, bien entendu. Par contre, comme James l'a mentionné plus tôt, il y a un véritable espoir du fait que de plus en plus d'hommes et de femmes des Premières Nations font des études universitaires et sont loyaux à leur culture et sont déterminés non seulement à devenir le président ou la présidente de la Banque Scotia, mais à offrir la justice sociale et économique à leurs communautés. Ce qu'ils doivent faire, c'est de se présenter à une élection fédérale. Le Parlement n'est pas une organisation quémandeuse.
Prenons d'autres systèmes politiques. En Nouvelle-Zélande, les Maori ont réussi à obtenir des sièges garantis dans leur parlement. Si nous prenons le Black Caucus aux États-Unis, ses représentants forment des blocs puissants. Nous avons eu tellement de gouvernements minoritaires au Canada au cours des dernières années que quelques votes autochtones auraient eu énormément de poids pour ce qui est de déterminer que les priorités autochtones sont en réalité respectées. À un moment donné, avec le pouvoir à la Chambre, vous pouvez amener les gouvernements dans votre direction. Voilà la véritable politique de la démocratie canadienne. Elle n'est pas juste, à moins que vous soyez nombreux à en faire partie, et ce n'est pas le cas.
Je voterai pour Perry Bellegarde, qui possède un talent fou et qui est extrêmement scolarisé, suffisamment pour être premier ministre. Ces gens devraient faire le saut en politique, ils devraient venir au Parlement et pousser ces leviers en faveur de leurs peuples, en particulier une fois que vos trois groupes se seront unifiés et diront « Capitaine, voici la direction que nous voulons prendre. »
Le sénateur Watt : C'était très intéressant. Je pense avoir fait des progrès sur cette question. Je n'ai pas obtenu par contre toute la réponse.
M. Milloy : Le problème, c'est que comme les professeurs d'université, nous faisons passer des examens. Vous donnez les réponses. Permettez-moi de vous dire que vous avez tort et que vous devrez suivre un autre cours.
M. Daschuk : Cela pourrait être plus déprimant que réconfortant, ou une réponse à votre question. M. Milloy parle de la non-pertinence démographique des peuples des Premières Nations. J'habite en Saskatchewan, et l'avenir démographique provincial indique que d'ici 2050, la moitié de la population de la province sera formée de membres des Premières Nations, de Métis ou de leurs descendants.
J'ai parlé des déterminants sociaux de la santé et des déterminants sociaux de la criminalité. Dans certains de mes exposés, j'ai dit sans tenir compte de l'aspect humain, si nous ne réglons pas ces questions et si nous ne comblons pas ces immenses lacunes, nous allons faire faillite à force de construire des prisons et des hôpitaux. En Saskatchewan, au Manitoba et ailleurs, nous nous trouvons à un niveau limite insupportable, à moins que nous nous attaquions vraiment à ces enjeux.
Comme vous l'avez dit, cela motive politiquement les peuples des Premières Nations. Même au cours de la dernière élection, il y a eu une forte poussée dans les réserves en Saskatchewan, et cela a eu une incidence déterminante dans bon nombre de circonscriptions.
Les gens ont été privés de pouvoir depuis tellement de générations que le fait d'avoir un pouvoir à la boîte de scrutin pourrait constituer une approche à prendre.
La sénatrice Martin : Wow, où est-ce que je commence? Premièrement, je m'excuse d'avoir quitté immédiatement après vos exposés. Chose intéressante, j'accueillais un groupe de membres du Conseil jeunesse accompagnés de leur chef et de leur conseiller. Je ne connais pas le nom de la bande. Lorsque je leur ai montré le siège qu'occupe le premier ministre lors du discours du Trône, vous auriez dû les voir bondir et aller s'asseoir dans ce siège.
Vous avez raison. Sénateur Watt, j'ai beaucoup de respect pour vous et pour ceux qui sont venus en cet endroit. J'essaie d'imaginer les études réalisées dans cette pièce par votre comité. Je ne suis pas une membre régulière, mais parfois, lorsque je viens à l'occasion, j'ai le sentiment que nous parlons des mêmes choses.
Aujourd'hui, c'était différent. Dans vos exposés et dans vos réponses, je sens qu'il y a effectivement des exemples clairs et une voie à suivre. Monsieur Daschuk, je pense que vous avez répondu à ma question, mais de combien des recherches que vous nous avez transmises aujourd'hui est-ce que les jeunes Autochtones et la communauté sont au courant? Ce que j'ai retenu de votre exposé, c'est que vous étiez les gens les plus grands dans le monde et à quel point il est important de savoir que c'est ce que vous êtes. Vous avez entamé ces discussions en position de force et de bonne volonté. Je pense que c'est précisément ce qui devrait se produire dans cet examen des nouvelles relations.
Je vois beaucoup d'espoir dans ce que vous avez communiqué. Cela est très tragique et j'étais passablement émotive en vous écoutant et en entendant vos réponses. En quittant et en revenant, et en voyant ces jeunes, j'ai l'impression que c'est là que se trouve l'espoir. L'avenir est dans votre apport et dans celui d'autres, et peut-être que le comité sénatorial sera l'endroit qui permettra de réunir ces parties pour commencer à concevoir ce qui surviendra dans l'avenir. Je sais que le Sénat peut être ce facilitateur. Il l'a été dans d'autres études.
J'aimerais revenir à la question de savoir dans quelle mesure cette information est connue. Je pense qu'il est très important de connaître l'histoire.
M. Daschuk : Comme je l'ai dit, j'estime qu'il est très important de parler aux jeunes. De toute évidence, le changement ne viendra pas de nous. Il viendra des jeunes.
J'ai parlé à plus de 25 classes d'élèves du secondaire à Regina et dans les écoles des Premières Nations. Chose intéressante, la Saskatchewan School Boards Association et le ministère de l'Éducation de la Saskatchewan n'ont pas seulement rendu obligatoires l'éducation sur les traités et l'éducation sur les pensionnats, mais ils ont demandé mon apport au sujet de cette dure histoire dans le programme d'études.
Certains conseils scolaires sont un peu plus à l'avant-garde que d'autres. Je pense que c'est ainsi que fonctionnent les choses, mais de nombreux enseignants sont très impliqués. Je viens de parler à 50 ou 60 enseignants de la Prairie South School Division de Moose Jaw. Beaucoup d'entre eux ont été très surpris, mais très motivés, en particulier les jeunes. Ils utilisent leur enseignement pour la justice sociale et ils reconnaissent que l'enseignement est un aspect de la justice sociale. Il s'agit d'un changement générationnel, mais beaucoup de ces relations existent depuis près de 150 ans de sorte qu'il pourrait falloir une décennie ou deux pour voir le changement. En Saskatchewan, là où j'ai acquis mon expérience, les autorités scolaires sont au courant de cette question et s'en occupent avec beaucoup de sérieux.
La sénatrice Martin : Je pense que c'est essentiel. Monsieur Milloy, vous avez parlé de l'importance de l'engagement politique, de l'implication et de l'incidence que les peuples autochtones pourraient et devraient avoir, et que cela créera un changement durable. Je pense que ce sera important. Nous l'avons vu d'ailleurs plus récemment.
Le sénateur Christmas a parlé des Béothuks. J'avais au programme un roman à leur sujet lorsque j'enseignais au secondaire. Il était tellement bien rédigé que mes élèves en ont été fascinés. Je crois que l'auteur était Kevin Major. La littérature est un autre domaine où plus de rédacteurs et de journalistes autochtones créent les genres de textes qui informeraient également. Encore une fois, cela prendra une génération.
Ce que vous nous avez communiqué aujourd'hui en nous ramenant au début était très important. Je vous remercie du travail que vous faites.
Le sénateur Tannas : Je vais essayer d'être bref, parce que nous n'avons presque plus de temps. Merci d'être parmi nous. Je tiens à vous dire que j'ai détesté pratiquement chacun de ces instants, en vous écoutant. Je ne veux pas dire que j'étais l'architecte de cette étude.
La présidente : Vous l'étiez.
Le sénateur Tannas : En ce moment, ce n'est pas une bonne chose de dire que vous êtes l'architecte de quoi que ce soit, mais le fait demeure que nous nous engageons dans un projet ouvert sur l'avenir. Je ne voulais pas avoir une section tournée vers le passé, mais vos contributions et celles que d'autres ont faites avant vous ont été incroyablement importantes. Je ne sais pas combien de réunions nous tiendrons sur la section tournée vers le passé, mais si nous ne l'avions pas eue, je ne pense pas que nous aurions trouvé ce que je pense que nous trouverons à l'avenir. Je veux vous en remercier. Entendre les histoires que vous avez rapportées a été un exercice d'humilité.
J'ai une question pour vous. Il est évident pour moi, et je pense que cela l'est aussi pour la plupart des gens, que les choses vont changer. Si nous jetons un regard sur les 150 dernières années et disons que les peuples autochtones n'ont pas eu leur juste part de prospérité et de bonheur, j'espère que pour les 150 prochaines années nous nous emploierons à leur donner plus que leur juste part afin d'essayer et d'en quelque sorte niveler l'équilibre cosmique de toute cette situation.
Je pense que nous avons l'occasion d'aider à créer le momentum qui mènera à un mécanisme financier. Cela aidera à permettre la détermination et la gouvernance et toutes ces choses de se produire, parce qu'un mécanisme financier sera là pour le permettre.
Lorsque ce mécanisme financier sera établi, qui devrait l'obtenir? Devrait-il aller aux particuliers et ensuite permettre aux personnes des diverses cultures d'aider à reformer ce que constituerait le bon gouvernement? Vous avez parlé de sociétés où les femmes avaient un rôle beaucoup plus grand et plus important. Tout cela a été anéanti. Vous avez parlé des organisations gouvernementales qui sont dysfonctionnelles, parce qu'elles ont été mises sur pied pour quémander.
Si nous sommes assez chanceux et assez forts et assez braves pour parvenir à un mécanisme financier, devrions-nous le donner aux mêmes personnes? Devrions-nous le donner aux particuliers et leur permettre de le faire? Devrions-nous d'une façon ou d'une autre le donner au ministère des Affaires indiennes et lui laisser la tâche de le remettre? Comment devrions-nous attaquer cette question, de votre point de vue?
M. Daschuk : Voilà une bonne question. De mon propre point de vue, je suis un historien parce que je n'ai pas d'autres compétences. Pour un avenir viable, il faut avoir un moyen de générer de la richesse. Il s'agit probablement, si nous osons le dire, de richesse capitaliste. Il doit exister une façon. Vraisemblablement, l'une des choses qui ont changé au cours des dernières années, voire des dernières décennies, ce sont les partenariats autochtones avec un développement capitaliste.
Je sais que l'on peut avancer un argument contre le développement durable. Est-ce que le développement est durable? Je n'en suis pas certain, mais littéralement pendant des générations, le capitalisme est quelque chose qui a été fait pour les peuples autochtones. Ils ont participé de façon active à ce système.
Cela pourrait être l'une des choses, plutôt que de tout simplement le distribuer comme une friandise. L'implication est de le remettre à quiconque vous le donnez. Peut-être que cela donne l'occasion de développer une richesse au sein des communautés, vraisemblablement une participation aux bénéfices. Je sais qu'en Saskatchewan, lors de la dernière élection, notre gouvernement provincial a constaté que cela n'était pas viable.
Le développement économique se fait dans le nord de la Saskatchewan et peut-être que les gens là-bas devraient avoir un mot à dire, ou à tout le moins participer à la façon dont cette richesse est distribuée. Voilà mon opinion personnelle.
M. Milloy : Je ne peux pas me rappeler où j'ai trouvé cela il y a quelque temps. Je pense que c'est sir John A. Macdonald qui a dit au Parlement à un moment donné : « Vous rendez-vous compte que nous avons oublié de verser aux personnes visées par les traités Robinson l'argent que nous avons dit que nous leur verserions? » Il y avait un avenant dans le traité qui disait que le groupe serait payé en harmonie avec le développement économique dans la région, et sir John A. a dit : « Nous avons oublié de le faire. »
Bien entendu, ils ont oublié jusqu'à aujourd'hui de le faire. De temps en temps, l'association tribale calcule le montant qui lui est dû. Elle pourrait racheter très facilement le Canada.
Lorsque nous réunissons les trois groupes, je pense qu'ils peuvent nous donner la réponse à votre question. Une partie de la revitalisation en cours depuis un certain temps dans les communautés autochtones leur permet de reformuler qui elles sont en tant que communautés. Nous ne sommes pas une bande résidant dans la réserve de Kawacatoose. Nous sommes la nation des Cris des Plaines. Vous avez conclu un traité avec la nation. Ce à quoi devrait ressembler cette nation devrait être déterminé par ces gens. Ensuite, je pense que votre formule financière est passablement simple.
Je ne sais pas si nous le faisons toujours, mais à un moment donné nous avons décidé de verser le montant X du PNB ou peu importe ce que c'est à l'aide étrangère. Nous devons ajouter que vous n'avez plus le choix de financer des services autochtones d'aide à l'enfance. Le fait est que vous le remettez chaque année à nos partenaires dans la fondation du pays. Vous devez faire preuve de sérieux à ce sujet. Je m'excuse auprès de quiconque dans la salle que je vais insulter. Notre pays n'a rien à voir avec les Français et les Anglais. Notre pays a tout à voir avec les immigrants européens, les immigrants asiatiques, des gens qui viennent d'autres régions du monde, les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Voilà le partenariat.
Nous devons à ce côté du partenariat un salaire garanti, un loyer pour les terres que nous avons prises. Il n'est pas question que la Saskatchewan vous redonne la Saskatchewan, mais elle devrait et le Canada devrait payer une garantie annuelle, un montant, à ces communautés pour leur permettre de déterminer comment elles se revitalisent, comment elles réagissent face au monde capitaliste, ce qu'elles font pour ce qui est des relations de genre dans leurs communautés, et cetera : tout ce qu'il nous est permis de faire dans nos communautés.
Lorsque les peuples autochtones demandaient au début des années 1970 de pouvoir diriger leurs propres conseils scolaires, le gouvernement s'étonnait en disant « Comment cela se peut-il? » Nous dirigeons tous nos propres conseils scolaires et nous le faisons depuis toujours.
Je me souviens d'être allé à la célébration soulignant l'autonomie gouvernementale de la Première Nation de Nisga'a qui s'était tenue à l'Université de la Colombie-Britannique. Quel repas de saumon nous avons eu, et le fonctionnaire responsable s'est levé parce que nous étions cinq ou dix ans plus tard et il a dit : « Voici ce que nous avons accompli. »
C'était le discours le plus ennuyant que vous n'ayez jamais entendu de toute votre vie. Ils avaient des règlements administratifs. Pouvez-vous imaginer cela? Ils avaient l'autonomie gouvernementale. Ils avaient des règlements administratifs pour l'élimination des ordures et pour des comités d'éducation. Il n'y a pas vraiment de mystère là- dedans. Il suffit tout simplement d'avoir le financement et permettre à ces gens de faire ce que nous faisons nous- mêmes. Nous avons déterminé ce à quoi devrait ressembler notre communauté. C'est à ce point que l'impôt devrait intervenir.
Le sénateur Tannas : Qu'en est-il des 55 p. 100 des gens qui ne vivent plus où leurs peuples vivent?
M. Milloy : Cela est difficile. Si vous prenez le rapport de la commission royale de 1996, cette question a occasionné toutes sortes de difficultés. Les commissaires n'ont tout simplement pas pu trouver une réponse facile.
Le sénateur Watt : Il existe une réponse toute simple. Nous l'avons fait de la part des communautés autochtones. Cela pouvait s'appliquer facilement aux Premières Nations ainsi qu'aux Métis. Nous l'avons fait du côté des Inuits. Notre propre conseil scolaire relève entièrement de nous. Nous ne permettons même pas au ministre d'avoir un pouvoir de refus quant à la langue d'enseignement. Voilà le genre de choses que nous avons pu négocier.
Ces choses ne sont pas impossibles. C'est tout simplement une question de faire bouger le gouvernement. Lorsque vous le faites et que vous en profitez pendant que la porte est encore ouverte, voilà ce que vous devez faire. Si vous devez recourir au levier des tribunaux de temps à autre, cela aussi est nécessaire.
La présidente : Chers collègues, nous sommes à la fin du premier tour. Il reste quelques intervenants qui veulent poser des questions pour le deuxième tour. Il ne nous reste plus de temps, mais nous continuerons parce que je crois qu'il y a probablement des questions brûlantes que nous ne voulons pas laisser de côté et nous avons à notre disposition deux témoins fantastiques. Je ne veux pas mettre fin à la séance tôt.
La sénatrice Lovelace Nicholas : J'aimerais revenir à la question des pensionnats. Le gouvernement savait ce qui se passait dans ces écoles et n'a rien fait. Il nous a fallu attendre des décennies pour obtenir une excuse du gouvernement au sujet des mauvais traitements dans les pensionnats. Il nous a fallu des décennies pour obtenir une enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Ma question est la suivante : pourquoi a-t-on permis à l'Église de s'en sortir compte tenu de son implication dans tout cela?
M. Milloy : Pourquoi l'Église a-t-elle pu s'en sortir avec ce qu'elle a fait? À un moment donné, l'Église était très puissante au pays. Comme vous le savez, Duncan Campbell Scott, qui a dirigé le ministère des Affaires indiennes pendant de nombreuses années, a écrit à un moment donné : « Ces Églises sont folles des pensionnats; j'aimerais que nous puissions faire quelque chose à leur sujet. » Elles n'ont cessé de multiplier le nombre de pensionnats. Elles le faisaient parce que l'organisation catholique locale, par exemple, se présentait au cabinet du ministre, accompagnée de l'évêque ou d'un cardinal, et de quelques députés, puis disait : « Il y a une élection prochainement; nous voulons un pensionnat », et elles obtenaient un pensionnat. C'est ahurissant de voir tout ce que les églises ont obtenu.
J'ai trouvé une lettre de Tommy Douglas adressée au ministre des Affaires indiennes dans laquelle il disait : « Les enfants des Premières Nations s'enfuient du pensionnat de Brandon et je crains que certains ne meurent au cours de l'hiver. Ils vont mourir de froid. Vous devez faire quelque chose. » La lettre a été envoyée au siège de l'organisation des pensionnats de l'Église méthodiste. Je n'arrivais pas à le croire. Le responsable de l'organisation a écrit au ministre des Affaires indiennes et a dit : « Dites à ce Tommy Douglas que cela ne le regarde pas. Il est censé diriger la Saskatchewan, et non pas se mêler des affaires des Indiens. » Pensez-y quelques instants, on parle du premier ministre d'une province. Bien entendu, le ministère ne s'est mêlé de rien. Il le savait et il n'a tout simplement rien fait.
Lorsque j'ai fait mes recherches sur les pensionnats à l'occasion de la commission royale au début des années 1990, enfermé dans les archives et aux Affaires indiennes, toute l'affaire de la Bosnie se déroulait en même temps. Voilà le sentiment que j'ai eu en lisant les journaux, en lisant les documents du ministère. Tout le monde sait que cette situation est mauvaise. Le ministère le sait. Les Églises savent très bien ce qui se passe. Personne ne peut comprendre comment elles ont pu s'en sortir.
Il a fallu attendre de 1948, lorsque nous avons dit que nous fermions les pensionnats, jusqu'en 1996 pour en sortir. Tout au long de cette période, ces enfants étaient enlevés. On en abusait. Ils ne recevaient aucune éducation, et cetera. Selon les survivants, que Dieu les bénisse, les Églises ont obtenu un passe-droit pour ce qui est de la convention de règlement. Elles s'en sont sorties indemnes. On n'a pas fait appel aux avocats.
Je me rappelle d'un nombre incroyable de survivants qui assistaient à une conférence sur les pensionnats à Vancouver. Il y avait une conférencière invitée de l'Irlande. Elle avait été enlevée à sa mère par l'Église catholique alors qu'elle était encore une enfant et elle a été placée dans un orphelinat, parce que sa mère était célibataire. Ces gens ont poursuivi le gouvernement de l'Irlande et l'Église catholique et ont trouvé une solution en moins de six mois. Comme vous le dites, il a fallu des années et des années ici. Elle est là, debout, et elle dit aux personnes présentes : « Je sais que c'est différent en Irlande et que c'est pour cette raison que nous avons obtenu si rapidement le règlement. Après tout, nous sommes tous des Irlandais », c'est-à-dire qu'il existe ici une division entre vous, les peuples autochtones, et les Blancs. « Nous étions tous des Irlandais. » Elle était de race noire. Vous pouviez voir les membres des peuples des Premières Nations qui se regardaient. « Que veut-elle dire par "nous étions tous des Irlandais''? » Elle l'était. Son père était un Nigérian qui étudiait la médecine et qui a mis sa mère enceinte, et cetera. Cela s'est produit rapidement et les Églises ont été obligées de payer.
Par exemple, l'Église catholique était censée ouvrir ses dépôts d'archives documentaires et payer, je pense, 25 millions de dollars. Je pense qu'elle a payé 1 million de dollars à la Aboriginal Healing Foundation et qu'elle n'a jamais versé un cent de plus. Elle n'a pas non plus ouvert totalement ses archives. Nous n'avons jamais pu les consulter. Il y avait toujours une excuse après l'autre. Les Églises continuent de s'en sortir, du moins l'Église catholique.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Pour pouvoir consulter de nouveau les archives, nous devons nous présenter devant les tribunaux.
M. Milloy : Oui. Je suis catholique et j'ai été élevé dans la religion catholique. Je fréquentais l'école secondaire catholique ici. J'ai fait mes études collégiales et universitaires ici, dans des établissements catholiques. Cette organisation est un dédale.
Le sénateur Sinclair m'a demandé si j'irais voir le légat apostolique ici, parce que nous voulions peut-être aller voir le pape et rencontrer la Commission de vérité et réconciliation avec lui. J'ai téléphoné et, ironiquement, le prêtre à qui j'ai parlé m'avait enseigné au secondaire. Il a dit : « Pourquoi voulez-vous parler au légat apostolique? » J'ai répondu que peut-être nous voulions parler au pape. Il a dit : « Eh bien, en quoi est-ce que cela concernerait le pape? » J'ai répondu parce que le pape est le chef de l'Église catholique. « Non, ce n'est pas le cas », a-t-il dit. J'ai répondu : « Il y a des milliers et des milliers de catholiques autochtones qui pensent qu'il l'est. »
J'ai reçu des appels d'avocats. « Nous voulons poursuivre l'Église catholique. Qui sommes-nous censés poursuivre? Est-ce que ce sont les Oblats? Est-ce que ce sont les sœurs? Est-ce que c'est le pape lui-même? » Cela n'avait pas de fin. C'est un scandale; c'était un scandale et cela continue de l'être.
La sénatrice Pate : Si vous le voulez bien, j'ai une observation, puis une demande pour vous. Ce n'est pas exactement une question.
Lundi, à Saskatoon, une enquête débutera, nous l'espérons finalement, concernant la mort d'une femme autochtone qui a subi les répercussions directes des pensionnats, le système d'aide à l'enfance, l'absence de soutiens en santé mentale résultant en des toxicomanies, et cetera; une histoire que nous avons tous entendue.
Fait intéressant, l'une des choses que nous essayons de soulever, c'est le fait que les problèmes de santé qui l'ont probablement tuée étaient des problèmes de santé qui, s'ils avaient été pris en charge dans la communauté, n'auraient pas constitué une menace pour sa vie. Son frère a eu une observation qui m'a frappée, comme vous l'avez dit, et qui se fondait sur les témoignages présentés à un autre comité auquel j'assistais aujourd'hui. Il a fait remarquer qu'il n'y a jamais eu un manque de ressources pour imposer des restrictions, non seulement pour la jeter en prison, mais pour la séparer, l'isoler, la transférer et la punir, mais dès que l'on demandait des ressources pour son diabète et pour ses problèmes cardiaques sans cesse croissants découlant du diabète, il n'y avait pratiquement aucun soutien pour elle.
Seulement dans le Nord, on vient de financer une nouvelle prison à hauteur de 65 millions de dollars. À elle seule, la construction de la nouvelle prison pour femmes dans les Territoires du Nord-Ouest coûtera plus de 1 million de dollars par lit, et probablement ensuite 500 000 $ par année à exploiter. On parle de sommes considérables d'argent que l'on dépense de façon courante et qui augmentent de manière exponentielle sans que l'on se demande si ces ressources sont nécessaires.
Vous avez fait allusion à la situation de Cindy Blackstock. Vous l'avez comparée à la naissance du Canada et je sais que Cindy l'a également fait. Auriez-vous l'obligeance, dans le cadre de votre éducation publique, de commencer à inclure l'établissement des coûts pour la vitesse à laquelle les ressources sont mises en place? Vous avez mentionné le maintien de l'ordre, mais j'inclurais l'incarcération et toutes les façons très restrictives qui enracinent et exacerbent davantage la discrimination déjà existante, l'héritage et les incidents historiques dont nous avons entendu parler.
Outre les femmes disparues et assassinées, il s'agit de quelque chose que l'on considère souvent comme moins agréable, mais qui est très clair, en particulier lorsque vous tenez compte des filles et femmes autochtones dans notre système.
Il s'agit d'une demande. Je vous remercie, avec l'indulgence de la présidente et du comité, si nous pouvions inclure cela dans le programme d'enseignement qui est si efficacement transmis, comme en témoigne l'incidence sur les membres de votre comité.
M. Daschuk : Un jour, quelqu'un m'a dit qu'il est beaucoup plus facile d'ériger une clôture au sommet de la falaise que de construire un hôpital au bas, mais notre système est axé sur le bas d'une falaise. Je ne sais pas combien de partis ont été élus parce qu'ils prônaient la loi et l'ordre. Il ne s'agit pas du système de soins de santé; il s'agit en réalité du système médical. Soyons sérieux. Le système médical est la priorité. Il s'agit d'un monstre qui engloutit l'argent. Nous sommes rarement en position, en tant que dirigeants publics ou en tant que gouvernements, d'aller en amont et de nous occuper des problèmes avant qu'ils ne nécessitent une prison ou un hôpital.
Il s'agit d'un fait bien connu en santé publique. Si vous dépensez 1 $ en amont, vous en économisez probablement 10 en aval pour ce qui est des prisons et des hôpitaux. De la façon que notre système est établi, il est organisé de l'autre façon dans le cas des prisons et des hôpitaux, c'est une honte. En réalité, des analyses de rentabilisation ont été faites à cet égard. Si l'on ne tient pas compte de l'aspect humain, il coûte moins cher de nourrir un enfant et de lui procurer une bonne éducation que de l'incarcérer ou de s'occuper de son hospitalisation plus tard dans la vie. Voilà un très bon argument. Merci.
Le sénateur Watt : John Milloy, vous avez mentionné que nous ne devrions pas nous mettre nous-mêmes dans la position de demander des cadeaux du gouvernement. Je suis tout à fait d'accord avec vous là-dessus, mais nous devons trouver d'autres façons d'obtenir l'argent pour le remettre aux Premières Nations si elles veulent joindre les deux bouts, s'il existe une possibilité de s'asseoir et de préparer une table de négociation. Si leur propre financement ne provient pas du gouvernement ou n'est pas un cadeau, quelles seraient vos recommandations sur la façon d'effectuer le financement international? Voilà pour la première question.
L'autre question que vous avez soulevée concernait la mobilisation des industries pour former un partenariat ou pour songer à en former un plus tard. Peut-être que nous pouvons les amener à penser au fait qu'elles peuvent se préparer à nous aider. Nous allons avoir besoin d'argent. Sans argent, vous ne pouvez pas réaliser grand-chose. L'argent est la clé de nos jours.
Quelles seraient vos recommandations? Comment nous y prenons-nous pour mobiliser les industries? Je suppose que quelque chose doit être élaboré. Quelle en est la mécanique? Comment légitimer l'instrument que nous devons mettre sur pied?
Je crois comprendre que nous devons de toute évidence éviter de demander de l'argent au gouvernement, si nous voulons être crédibles. Selon toutes les indications qui me parviennent, le gouvernement est sur le point de faire quelque chose pour ouvrir les portes, mais pas nécessairement le faire pour nous. Autrement dit, il ne nettoiera pas le bourbier qu'il a créé.
M. Milloy : Je ne veux pas causer plus d'ennuis, mais l'un des problèmes est tout simplement que si vous n'avez pas accès à des ressources, les sociétés ne s'intéressent pas vraiment à vous. Si des communautés en Saskatchewan avaient des droits d'accès à la potasse, elles seraient folles de se présenter devant le gouvernement fédéral. Elles n'ont qu'à se présenter devant la société locale et à dire : « Nous vous donnerons un avantage sur un contrat de mise en valeur conjointe assorti d'emplois pour nos membres et une juste part des bénéfices à venir. »
Le problème est que d'un bout à l'autre du pays, nous n'avons pas ce type d'accès à ces ressources. Le fait que le gouvernement fédéral n'ait pas accès non plus à cela vient empirer la situation.
L'affaire St. Catharines Milling dans notre province a cédé le contrôle de l'ensemble des terres et ressources comme le dit la Constitution, bien que je ne sois pas d'accord avec l'entente, au gouvernement provincial. Nous avons permis que cela se produise en Colombie-Britannique lorsque nous avons négocié l'entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération en 1870-1871. Pour une raison quelconque, lorsque nous avons adopté les lois sur le transfert des ressources naturelles dans les années 1930, nous avons cédé au fédéral le contrôle des terres et des ressources que nous avions dans les Prairies, l'argument étant que le gouvernement fédéral devait parrainer l'immigration et le développement et, par conséquent, devait avoir le contrôle des terres. Dans les années 1930, en raison des démarches politiques constantes des gouvernements provinciaux de l'Ouest, nous avons abandonné. De fait, le gouvernement fédéral est pauvre en terres. Il dispose de peu de ressources sur le plan foncier à l'égard desquelles les sociétés voudraient former un partenariat.
En Australie, il y a eu des ententes historiques avec les sociétés, parce que c'est ce qu'elles recherchaient. Les sociétés voulaient avoir accès aux ressources. Une fois qu'elles ont eu accès aux ressources après la décision rendue en 1990 en Australie selon laquelle les Autochtones détenaient un droit foncier sur la totalité de l'Australie, ce droit n'a pas été éteint. Ils s'en sont servi et ont négocié un accès aux ressources. Ils ont fait la même chose en Nouvelle-Zélande. Ensuite, les sociétés sont venues frapper à la porte et elles avaient des emplois à offrir et des bénéfices à partager et des structures communautaires à financer, et cetera.
L'astuce est d'avoir une forme d'accès. L'astuce est de commencer par les terres.
M. Daschuk : Vous présentez un bon argument. Une autre chose serait peut-être de trouver des exemples ici au Canada. Je pense au chef Louie dans une communauté près d'Osoyoos, en Colombie-Britannique, où il y a le plein emploi étant donné que les gens peuvent travailler dans cette communauté. Il est un chef très spontané et il parle d'indemnités journalières, d'édification de nation et de ce genre de choses.
Membertou, en Nouvelle-Écosse, est un exemple de développement économique qui a connu beaucoup de succès. Il y a le conseil tribal de Meadow Lake en Saskatchewan et les Cris de la baie James. Le point de départ serait peut-être de parler à ces dirigeants d'entreprise et ces dirigeants communautaires pour découvrir ce qui a fonctionné par le passé, de travailler avec la base de ressources qu'ils ont, puis de conclure des ententes. Certaines communautés réussissent très bien.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Milloy, monsieur Daschuk, de vos exposés devant notre comité ce soir. Je vous avais dit que vous auriez des questions traitant de toutes sortes de domaines et vous nous avez donné des réponses incroyables.
Au nom du comité, je vous remercie de nous avoir fait part de votre expertise ainsi que de vos sages paroles pour l'avenir. Sur ce, nous mettons fin à nos travaux.
(La séance est levée.)