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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 26 septembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures, pour poursuivre son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Les interventions en inuktitut sont interprétées en anglais.]

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs, ainsi qu’aux membres du public qui assistent à la réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui nous écoutent sur le Web.

Avant de commencer, j’aimerais dire quelques mots sur l’ancienne sénatrice Thelma Chalifoux, qui est décédée vendredi dernier à l’âge de 88 ans. Elle a siégé au Sénat de 1997 à 2004 et a déjà présidé ce comité. Je me rappelle m’être dit, il y a à peine quelques mois, que nous devrions réexaminer un rapport qu’elle avait piloté au Sénat sur les jeunes Autochtones vivant en milieu urbain, un rapport publié en 2003.

Thelma a été la première femme autochtone et la première Métisse, homme ou femme, à accéder aux fonctions de sénateur.

Sur ce, j’aimerais que nous observions une minute de silence pour lui rendre hommage, à elle et à sa famille.

[On observe une minute de silence.]

Merci, chers collègues. Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin.

Je m’appelle Lillian Dyck et je viens de la Saskatchewan. J’ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J’invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter. Notre vice-président, le sénateur Patterson, se joindra à nous dans quelques minutes.

Le sénateur Tannas : Je suis le sénateur Tannas et je viens de l’Alberta.

La sénatrice Raine : Sénatrice Greene Raine, Colombie-Britannique.

Le sénateur Doyle : Sénateur Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Watt : Charlie Watt; je viens du Nunavik.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Sinclair : Murray Sinclair, Manitoba.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous continuons de nous pencher sur l’histoire des études et des discussions à ce sujet. Pendant la première heure, nous échangerons des idées sur le renouvellement de ces relations et nous parlerons des conclusions de la Commission royale sur les peuples autochtones.

Nous accueillons aujourd’hui Viola Robinson, ancienne commissaire à la CRPA. Madame Robinson, nous vous souhaitons la bienvenue devant le comité ce matin.

À ses côtés se trouve le sénateur Christmas.

Madame Robinson, la parole est à vous, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Viola Robinson, ancienne commissaire, Commission royale sur les peuples autochtones, à titre personnel : Bonjour, sénateurs. C’est pour moi un grand plaisir d’être ici aujourd’hui. Je souhaite à mon tour exprimer mes condoléances à tous les proches de feu Thelma Chalifoux. Je l’ai moi-même connue, je me rappelle l’avoir côtoyée dans les années 1980 ainsi qu’au début des années 1990. Je transmets mes plus sincères condoléances à sa famille.

Je m’appelle Viola Robinson. Je suis une femme micmaque; je suis née et j’ai grandi en Nouvelle-Écosse, plus particulièrement au sein de la Première Nation Sipekne’katik, dans la réserve indienne autrefois appelée Shubenacadie. J’ai commencé à travailler en affaires autochtones en 1975, à titre de première présidente du Conseil des Autochtones de la Nouvelle-Écosse, poste que j’ai occupé jusqu’en 1990. J’ai ensuite été élue présidente du Conseil national des Autochtones du Canada, qui porte aujourd’hui le nom de Congrès des peuples autochtones, un poste que j’ai occupé pendant 10 mois avant d’être nommée commissaire à la Commission royale sur les peuples autochtones. J’ai été commissaire jusqu’à la publication du rapport, en 1995.

Je suis ensuite rentrée chez moi pour étudier le droit pendant trois ans, de sorte que j’ai obtenu mon diplôme de droit en 1998. Depuis, je travaille comme conseillère pour les Micmacs de la Nouvelle-Écosse sur les droits ancestraux et issus de traités. J’en suis la principale négociatrice depuis six ans.

Mon travail au sein de la commission royale est l’une des expériences les plus mémorables et enrichissantes de ma vie. J’y ai appris plus sur les peuples autochtones, leurs défis et leurs histoires qu’aucune institution d’enseignement ne pourra jamais m’apprendre. Ces cinq années de voyages, de rencontres avec les communautés, d’écoute d’Autochtones de tous les horizons m’ont exposée à leurs histoires, à leurs aspirations, à leurs rêves et plus que tout, aux problèmes créés par les promesses rompues et les politiques déficientes, qui ont mené à une perte de confiance envers toute forme d’études et de recommandations. On me disait souvent : « Nous avons été étudiés à mort, mais rien ne se passe. »

Les gens étaient encore très blessés et déçus des études des commissions précédentes, principalement parce que les recommandations en découlant ont été ignorées, qu’elles n’ont jamais été mises en œuvre. Il en a résulté une totale perte de confiance et d’espoir à l’égard des études et des recommandations.

Il en a fallu du temps aux commissaires pour regagner la confiance des membres des communautés et des dirigeants à l’égard de ce travail. Nous avons fini par entrevoir une parcelle d’espoir et de confiance, et les attentes ont grandi.

Il m’arrivait personnellement de me sentir désespérée à écouter ces gens qui avaient tellement d’espoir dans les yeux. Cela a semé le doute dans mon esprit, j’ai commencé à me demander comment nous pourrions recommander des solutions durables. Il devait y avoir un changement radical dans les relations qu’entretenait le Canada avec les peuples autochtones du pays. C’est une étude colossale qui a nécessité les recherches les plus fouillées jamais faites et a duré plus longtemps que prévu.

Nombreux étaient ceux qui croyaient au départ que la commission ne produirait qu’un autre rapport qui irait choir sur une tablette et amasser la poussière, mais nous étions déterminés à ce que ce rapport ne s’empoussière pas. Pendant un certain temps, j’ai craint que tous ces gens aient raison. Personnellement, j’ai gardé ce rapport vivant dans le cadre de mon travail. Je le mentionne à chaque occasion.

Je me suis sentie encouragée lorsque la question des pensionnats autochtones a été mise au jour, que le gouvernement du Canada s’en est excusé et qu’il a annoncé du financement pour l’établissement de la Fondation autochtone de guérison. J’ai été encore plus émue quand on a annoncé la création de la Commission de vérité et réconciliation et que j’ai vu les recommandations qui en sont ressorties, que les gouvernements commencent à mettre en œuvre.

Les recommandations de la commission royale sont profondes, fondamentales et audacieuses à bien des égards. Il ne s’agit pas que de solutions rapides et temporaires, elles se veulent un vecteur de transformation de tout le paysage national. Notre première recommandation vise à corriger le mythe des peuples fondateurs et la doctrine de la découverte de la terra nullius.

Ce rapport propose un plan sur 20 ans et recommande l’établissement d’une nouvelle relation entre le Canada et les peuples autochtones, sur la base de principes de justice et d’égalité.

Je me réjouis profondément du fait que, 20 ans plus tard, ce rapport soit toujours bien vivant et qu’il prenne son élan avec le gouvernement. Quand j’entends les fonctionnaires utiliser des termes comme « autodétermination », « reconnaissance », « respect », « partenariat », « honneur », « guérison » et « DNUDPA », je trouve que c’est très prometteur, parce que je sens qu’ils s’inspirent du rapport de la commission royale.

Je pense que, pour donner un sens à tous ces mots — et c’est la clé du progrès, d’après moi —, il faut que toutes les parties touchées participent à l’élaboration de nouvelles politiques grâce à de véritables consultations en profondeur. Cela s’applique aux modifications aux politiques existantes. Ces consultations devraient d’ailleurs survenir au moment de leur élaboration et non une fois qu’elles sont terminées. Les gouvernements ne peuvent plus continuer de créer des politiques sans mettre les personnes touchées à contribution. Les politiques générales ne fonctionnent pas pour tous.

J’aimerais utiliser ma propre expérience de Micmaque de la Nouvelle-Écosse. Nous sommes une nation micmaque, nous avons des droits issus de traités qui datent d’avant la Confédération, des traités qui ont été signés entre 1725 et 1761, qui sont bien vivants et protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1985. Nous poursuivons des discussions à la Table principale tripartite depuis au moins 10 ans en vue de la mise en œuvre de ces droits issus de traités.

Il n’y a pas de politique qui puisse s’appliquer à nous, la Politique des revendications territoriales globales, par exemple, donc nous avons créé notre propre modèle : l’Entente générale Mi’kmaq-Nouvelle-Écosse-Canada. C’est une entente tripartite entre les Micmacs, la province de la Nouvelle-Écosse et le gouvernement fédéral, puis il y a l’Entente-cadre Mi’kmaq-Nouvelle-Écosse-Canada. Nous disons de notre mode de négociation qu’il est typiquement néo-écossais.

Je tiens aussi à mentionner que ce sont les Micmacs qui ont pris l’initiative d’élaborer l’Entente générale et l’Entente-cadre Mi’kmaq-Nouvelle-Écosse-Canada; ce sont les Micmacs qui ont dirigé le processus d’élaboration de ces deux ententes et ont veillé à ce que nous consultions tous les Micmacs et à ce que nous recevions l’approbation de tous avant que les chefs ne l’adoptent.

Le négociateur micmac exécute le mandat des chefs, et il en va de même des négociateurs du Canada et de la province, qui se font évidemment confier leur mandat par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial.

Nous nous retrouvons dans une position unique, comparativement à celle des autres Premières Nations du Canada, puisqu’il n’y a aucune politique fédérale qui dicte comment négocier avec les Premières Nations titulaires de droits issus de traités de l’époque d’avant la Confédération.

C’est donc de façon graduelle et à coups d’essais que nous exerçons nos droits en coopération avec les autres gouvernements. Nous n’avons pas besoin de conclure de nouveaux traités dits modernes, parce que nous avons déjà des traités. Tout ce que nous avons à faire, c’est de mettre en œuvre les droits que nous considérons nôtres aux termes des traités, en coopération avec les autres gouvernements. Le but est de rétablir notre relation avec la Couronne, selon les intentions des signataires de l’époque, soit nos ancêtres et les représentants de la Couronne.

Nous, les Micmacs de la Nouvelle-Écosse, déployons tous les efforts possibles pour convaincre le gouvernement fédéral qu’il doit y avoir un processus officiel adapté à ce que nous faisons en dehors de la Politique des revendications territoriales globales, et nous recommandons l’approche de la réconciliation des droits. C’est l’approche que nous utilisons depuis quatre ou cinq ans. Je crois que nous avons été entendus, et qu’il y a des changements qui s’en viennent. Nous avons bon espoir de les voir se concrétiser bientôt.

Pour revenir à ce qu’il reste à faire, il faut tenir compte des disparités qui existent entre les divers peuples autochtones. Il y a les Premières Nations, les Métis, les Inuits, les particularités propres à chaque territoire, la conciliation nécessaire entre les revendications du passé et la planification pour l’avenir. Encore une fois, il ne peut y avoir d’approche unique.

Nous devons faire en sorte que tous les ministères fédéraux travaillent vers un même objectif, qu’il y ait de véritables consultations auprès de tous les Autochtones ou peuples autochtones, comme on le dit aujourd’hui, et qu’aucun ministère n’en soit soustrait, ce qui signifie que tous les ministères fédéraux doivent consulter les Premières Nations et les peuples autochtones, pas seulement un ou deux ministères.

Les 10 principes annoncés par la ministre de la Justice constituent un bon départ. La clé du succès sera de s’assurer que tous les ministères les respectent.

Sur ce, je vais m’arrêter, question de nous laisser du temps pour le dialogue. Je vous remercie de votre patience et je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner. Merci à tous.

La présidente : Merci, madame Robinson.

Les sénateurs peuvent maintenant poser des questions.

Le sénateur Sinclair : Premièrement, je souhaite faire écho à vos bons mots à l’égard de l’ancienne sénatrice Chalifoux, et je joins ma voix à la vôtre pour exprimer mes condoléances à sa famille et aux membres de sa communauté. Elle a apporté énormément à cette institution, et j’ai eu maintes fois l’occasion de travailler avec elle, parfois même à ce comité. Elle savait vraiment exprimer sa pensée et avait notre plus grand respect. Mes condoléances.

Je vous remercie, madame Robinson, de votre présence parmi nous et de votre témoignage sur votre expérience au sein de la commission royale. La commission royale a bien sûr été créée en réponse à la crise d’Oka et nous a permis de parler de ses effets. Commençons par cela, si vous voulez bien nous dire ce que vous en pensez.

Croyez-vous que la commission royale a eu un effet positif après l’expérience négative de la crise d’Oka, au début des années 1990?

Mme Robinson : Le travail de la CRPA a effectivement été une expérience positive pour tous les peuples autochtones du Canada, et je pense qu’il est venu panser des plaies après la crise d’Oka. Nous recommandions de reconnaître les problèmes de la population d’Oka et de trouver des solutions, c’est-à-dire de reconnaître les droits autochtones issus de traités et de travailler avec les Autochtones pour trouver des solutions à leurs problèmes.

Par notre travail de recherche, puis dans les recommandations présentées dans le rapport, nous avons abordé la plupart des grandes préoccupations des Autochtones au Canada. C’était la toute première fois qu’on le faisait.

Je dirais que le problème, pour beaucoup de personnes et de communautés autochtones, c’est que nous devons en faire le plus possible nous-mêmes après un rapport comme celui de la CRPA. Nous devons en appliquer les recommandations nous-mêmes sans attendre trop longtemps que le gouvernement ne prenne les devants. Bien souvent, ce genre de rapport est négligé; on n’y prête pas beaucoup attention parce que les Autochtones n’exercent pas toute la pression voulue. Mais ces recommandations sont là. Je les considère comme un plan directeur. Il ne reste qu’à les reprendre, à les lire et à agir pour qu’elles se concrétisent.

Le sénateur Sinclair : Que croyez-vous que les chefs et les communautés autochtones peuvent faire de plus? De quel genre d’aide auraient-ils besoin pour pouvoir répondre eux-mêmes aux recommandations contenues dans le rapport de la commission royale?

Mme Robinson : Je pense qu’aujourd’hui, avec les 10 principes annoncés et tous les bons mots du premier ministre et de la ministre de la Justice, tous les regards peuvent se tourner vers l’avant avec optimisme. Je pense que les Autochtones ont tout intérêt à en tirer avantage, à utiliser tous les leviers possibles et à engager des démarches entre eux pour commencer à négocier véritablement avec les gouvernements. Je pense que cela va dans les deux sens.

Je crois qu’il y a les consultations qui sont extrêmement importantes. Il y a toujours eu un manque de consultation. Elles surviennent toujours après coup. Je pense que cela ne fonctionne plus. Il faut consulter les Autochtones.

Il faut les consulter sur tout. Par exemple, si l’on repense à Oka, s’il y a quelque chose qui se passe, il faut vraiment nous mettre en marche et travailler ensemble. Je pense que nous devons travailler ensemble. Nous voulons parler de réconciliation et de vivre-ensemble entre les Canadiens et les peuples autochtones, nous voulons nous tourner vers l’avenir. C’est une relation qui va dans les deux sens. Nous devons tous travailler ensemble. Nous devons encourager les membres de notre propre peuple à adopter une attitude positive et à prendre les devants à chaque occasion.

Le sénateur Sinclair : Je m’inquiète de plus en plus de la frustration qui semble gronder chez les jeunes Autochtones et dans les communautés autochtones en général, compte tenu de toutes les belles promesses qu’on fait constamment aux communautés autochtones. On leur dit que les choses s’amélioreront, puis il y a un manque apparent de mesures concrètes.

Partagez-vous mon inquiétude? Avez-vous l’impression que les jeunes sont de plus en plus frustrés à l’égard du gouvernement?

Mme Robinson : Je pense que la question des jeunes nous a toujours préoccupés.

Il y a une chose pour laquelle la commission royale s’est attiré bien des louanges, et c’était l’une des premières choses que feu l’honorable juge Dickson nous avait recommandées en nous nommant: nous devions nous assurer de faire de l’éducation une priorité dans nos recommandations, et c’est ce que nous avons fait.

L’éducation est tellement importante pour nos jeunes, mais pas seulement dans le système officiel. Je pense qu’il doit y avoir un volet culturel dans l’éducation, qu’il faut enseigner l’histoire et la langue. Ces trois éléments sont fondamentaux dans tout programme d’éducation, à tous les niveaux, et c’est encore plus important au primaire.

À une certaine époque, on servait toujours la même excuse pour ne pas les intégrer au programme et au matériel pédagogiques des écoles, on prétendait qu’il n’y avait pas grand-chose à dire. Aujourd’hui, toutefois, les récits sont nombreux. Je pense que les systèmes d’éducation des provinces seraient plus riches si les provinces utilisaient toute l’information et l’histoire qui existe sur les différents peuples autochtones du Canada et qu’elles commençaient à les intégrer à leurs programmes. Je pense que les jeunes doivent comprendre d’où ils viennent. Ils doivent connaître leur histoire, leur culture et leur langue. Quand on perd cela — et c’est ce qui est arrivé dans les pensionnats —, on est perdu. On est vraiment perdu. Cette identité est difficile à retrouver.

Aujourd’hui, les jeunes de la nouvelle génération doivent bien connaître leur histoire. Je pense que toutes les provinces et tous les territoires ont beaucoup de matériel à intégrer à leurs programmes pour appliquer ces recommandations dans leurs écoles.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie de votre témoignage de ce matin. J’aimerais vous poser une question assez ouverte et vous inviter à nous faire part de vos observations. J’aimerais la placer dans le contexte non seulement des recommandations de la CRPA sur la souveraineté autochtone, mais aussi dans celui des commentaires exprimés par divers leaders autochtones, y compris l’ancien chef national Phil Fontaine, qui nous mettait vraiment en garde contre la tentation de croire que la souveraineté autochtone pouvait être réalisée sans qu’on règle d’abord les problèmes profonds de disparités sociales, économiques et politiques qui caractérisent les Autochtones et qu’on renforce l’esprit de communauté.

La question que je souhaite vous poser est un peu plus directe et vous vise, en tant que femme et leader autochtone. Je vous demanderais de nous faire part de vos réflexions sur le rôle des femmes autochtones. Vous savez sans doute très bien qu’il y a encore un autre projet de loi dans les rouages parlementaires, qu’on appelle le projet de loi S-3. Il nous a été originalement proposé pour l’« élimination des inégalités fondées sur le sexe touchant l’inscription » qu’on trouve dans la Loi sur les Indiens.

Il y a à peine quelques jours, à l’Assemblée générale de l’ONU, notre premier ministre a parlé ouvertement de la honte du Canada devant le reste du monde. Notre gouvernement national est très déterminé à accepter pleinement les dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à les mettre en œuvre. La semaine dernière, nous avons reçu les commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il y a donc différentes façons dont on essaie de mettre en œuvre ces dispositions.

J’aimerais connaître vos réflexions ou vos observations, en tant que femme et leader autochtone, sur le rôle que jouent et que joueront les femmes autochtones au Canada.

Mme Robinson : Je pense que les femmes autochtones ont un rôle pivot à jouer. Dans l’histoire, les femmes autochtones ont toujours joué un rôle de premier plan au sein de leur famille et de leur communauté. Je pense que leur rôle au sein des communautés elles-mêmes est tout aussi important aujourd’hui. Il y a beaucoup de femmes autochtones remarquables au Canada, et elles travaillent toutes très fort à promouvoir l’égalité, la justice et toutes sortes de valeurs positives dans la vie pour leurs communautés et leurs familles. J’estime donc leur rôle important.

Je vois beaucoup de femmes autochtones occuper des postes très prestigieux, même ici, au Sénat. Je sais qu’il y aurait place à plus encore.

Il est difficile de corriger un système qui a mis des centaines d’années à s’installer, et je ne parle pas du racisme, mais des inégalités qu’on trouve dans la Loi sur les Indiens, par exemple. Cela ne se réglera pas du jour au lendemain. Les dommages seront très difficiles à renverser, et beaucoup de personnes devront mettre la main à la pâte, mais je suis persuadée qu’il y a beaucoup de femmes autochtones au pays qui peuvent en faire une réalité. Je n’ai jamais, jamais cru le contraire.

Je pense qu’il y a une bonne place pour les femmes autochtones, et je pense qu’elles en tirent avantage. Tout le monde a encore beaucoup de pain sur la planche, y compris les femmes.

Je ne sais pas si c’est la réponse que vous souhaitiez, mais c’est ce que je crois.

La sénatrice Raine : Je vous remercie beaucoup de venir nous présenter votre perspective et particulièrement de rappeler, à ceux d’entre nous qui n’étaient pas là à l’époque, la contribution de la Commission royale des peuples autochtones. Comme vous l’avez dit, l’intention des commissaires était que leur rapport n’amasse pas la poussière. Je crois que nous vivons une période de grands changements.

Je respecte profondément votre point de vue sur la valeur de l’éducation. J’aimerais vous entendre à ce sujet, parce que je comprends et je respecte les divers besoins en éducation au sein de toutes les communautés autochtones, notamment pour ce qui est de la préservation et de la promotion de la langue et de l’histoire. C’est très bien, mais je vois également un immense besoin d’éducation des Canadiens non autochtones. Bien des gens, bien des familles vivent ici depuis des générations, mais ne comprennent toujours pas pourquoi les choses se sont passées ainsi et comment on en est arrivé là. C’est donc un groupe qu’il faut sensibiliser, et il y a aussi beaucoup de nouveaux Canadiens qui arrivent ici l’espoir et les rêves plein les yeux, mais qui ne comprennent pas ce qu’ont vécu ici les Autochtones.

Croyez-vous qu’il serait possible pour les Autochtones d’éduquer vraiment et de façon authentique les autres Canadiens? Parce que c’est cette éducation qui nous permettra d’avancer. Je l’estime très nécessaire. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, s’il vous plaît.

Mme Robinson : Quand le rapport de la commission royale est sorti, nous avons recommandé aux provinces, parce que nous nous sommes rendus dans toutes les provinces, de prendre ce rapport et de l’intégrer à leurs programmes, particulièrement dans les universités et les écoles secondaires, de l’utiliser comme matériel pédagogique dans leurs enseignements. Je crois toutefois que cela n’a jamais été fait. Je dis souvent, lorsque je prends la parole un peu partout dans ma province, qu’il n’y a aucune raison pour que les gens cherchent l’information et se demandent où ils peuvent la trouver, alors que ce rapport est là, qu’il est accessible et qu’il serait si facile de l’intégrer aux programmes d’enseignement des écoles secondaires et des universités.

Ce rapport est tellement riche. Il comprend une pléthore de renseignements sur tous les peuples du Canada. Il est vrai qu’il a déjà 20 ans, mais il demeure tout à fait valide. Compte tenu de tous les rapports et de toutes les études qui ont été publiés, il serait de la responsabilité des établissements d’enseignement d’enseigner cette matière à leurs élèves et étudiants. Je pense que quiconque souhaite vraiment en apprendre sur le sujet a là la meilleure source d’information possible.

La sénatrice Raine : J’ai été heureuse de voir le superbe Musée canadien des civilisations, qui a été dessiné par un Canadien autochtone de l’autre côté de la rivière, être rebaptisé le Musée canadien de l’histoire. Bien que je n’aie pas encore eu le loisir de le visiter moi-même — je prévois le faire pendant la fin de semaine de l’Action de grâces —, je crois comprendre qu’il présente une exposition très riche sur la véritable histoire des peuples autochtones de notre pays.

Avez-vous eu l’occasion de visiter ce musée et êtes-vous satisfaite de cette nouvelle exposition?

Mme Robinson : Je suis désolée; je n’ai pas eu l’occasion de le visiter non plus. Je viens très rarement à Ottawa.

La sénatrice Raine : Je pense que c’est un bon départ.

Je pense aussi que la télévision autochtone, la chaîne APTN, aurait un rôle à jouer. Sa programmation est excellente, mais elle devrait être offerte sur beaucoup de réseaux nationaux, ne pas cibler seulement les Autochtones, mais tous les Canadiens.

Mme Robinson : Effectivement.

Le sénateur Doyle : J’aimerais connaître votre avis, madame Robinson, sur l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Elle semble connaître un bien mauvais départ.

Compte tenu de votre propre expérience d’une commission royale et de votre profonde connaissance des affaires autochtones, avez-vous des opinions ou des conseils sur la façon dont cette commission devrait procéder? Y a-t-il quelque chose de fondamentalement déficient ou qui manque dans la façon dont le gouvernement du Canada a décidé d’aborder la question et de démarrer le projet?

Mme Robinson : Je n’ai pas tellement participé au processus, mais je le suis de près.

Je vous parlerai simplement de ce qui se passe chez moi. Les femmes là-bas, par l’Association des femmes autochtones du Canada, ont pris la liberté d’entreprendre de faire quelque chose elles-mêmes. Je crois qu’elles viendront en Nouvelle-Écosse très bientôt. Les femmes ont constitué un groupe qui se rendra dans les diverses communautés de la Nouvelle-Écosse afin d’échanger avec les victimes et les familles des femmes autochtones assassinées et disparues. Ces femmes vont donner toute l’information qu’elles peuvent sur leur groupe aux familles des victimes et les encourager à participer au dialogue avec lui.

Je pense qu’il est très difficile pour les femmes et pour les membres des familles touchées de se faire dire à brûle-pourpoint : « Un groupe sera ici demain ou la semaine prochaine et il se penchera sur la question des femmes autochtones assassinées et disparues; s’il y en a une dans votre famille, vous devriez y aller. » Ce n’est pas la bonne façon de faire. Il doit y avoir une personne-ressource dans la communauté elle-même; quelqu’un doit prendre l’initiative et préparer les familles qui souhaitent comparaître devant ce groupe. Il doit y avoir une préparation. C’est toujours très difficile.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie de votre présence parmi nous et de votre témoignage de ce matin. J’étais très curieuse d’entendre votre point de vue, puisque si ma mémoire est bonne, le rapport de la commission royale contient des recommandations sur le fonctionnement de ce qu’on appelait alors les Affaires indiennes, dont les rôles seront désormais répartis entre deux ministres. Je pense que leurs lettres de mandat n’ont pas encore été rendues publiques.

J’aimerais connaître votre point de vue aujourd’hui, toutes ces années plus tard, savoir ce que vous pensez de cette décision du gouvernement et ensuite, quels conseils vous auriez à donner à ces deux ministres à partir de maintenant.

Mme Robinson : Je vous renverrai simplement à mes notes. La commission royale avait fait une recommandation concernant le point de départ. Je vous en lis un extrait:

En premier lieu, le gouvernement du Canada doit s’engager sans équivoque à renouveler la relation entre les Autochtones et les non-Autochtones, en suivant les principes de la reconnaissance, du respect, du partage et de la responsabilité.

C’est une évidence, et je pense que c’est l’orientation que prennent les gouvernements. C’est un départ.

Encore une fois, je ne sais pas trop à quel point les Autochtones ont été consultés avant que la décision ne soit prise. C’est tout un changement. Les fonctions sont désormais réparties entre deux ministères. Les deux ministres doivent tisser des liens très forts avec les chefs du pays.

Je parlais de disparités. Il faut prendre en considération les grandes différences qui existent entre les divers peuples autochtones, où ils vivent, leur histoire. Je parlais de ce que nous faisons en Nouvelle-Écosse; nous avançons justement en ce sens, mais nous en avons décidé nous-mêmes. Ce pourrait être un modèle à reproduire pour d’autres groupes dans le même genre de situation, mais là encore, notre modèle pourrait ne pas convenir à d’autres.

Il y a beaucoup de groupes autochtones différents. Il n’y a pas que les Premières Nations; il y a les Premières Nations, il y a les communautés des réserves, puis il y a les Premières Nations en région urbaine ou en région éloignée. Il y a toutes sortes de ce que j’appellerai les « Indiens » parce que c’est le terme qu’on trouve dans la Loi sur les Indiens. Il y a donc toutes sortes de contextes différents. Ensuite, il y a bien sûr les Métis et les Inuits.

Cela représente beaucoup de travail. Il faut faire très attention. Tous ces groupes sont différents. Il y a des endroits, comme chez nous, où il y a des traités qui remontent à l’époque d’avant la Confédération; nous avançons et nous nous portons bien. Nous évoluons. Il y a d’autres groupes qui ont des traités signés après la Confédération. Il peut y avoir des problèmes liés aux traités ou à leur mise en œuvre. Puis il y a des groupes qui n’ont rien du tout. Cela représente beaucoup de travail.

Il y aura donc une ministre qui s’occupera des enjeux sociaux, des services courants, alors que l’autre s’occupera de la relation avec les Autochtones. D’abord, elles doivent travailler ensemble; elles ne peuvent pas travailler l’une sans l’autre.

Ensuite, elles doivent faire bien attention de ne pas créer de politique ou de loi globale, puis de s’attendre à ce qu’elle s’applique à tous. Ce n’est tout simplement pas possible. Elles doivent examiner la situation unique de chaque peuple pour ce qu’il est, là où il vit, son accès aux services, ce qui l’entoure, parce que nous devons prospérer sur les terres et grâce aux ressources. Nous avons également recommandé qu’il y ait redistribution des richesses si nous voulons vraiment atteindre l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale. Ce ne sera pas une mince affaire.

Comment y arriveront-elles? Elles auront besoin d’aide, et je suppose que c’est ce que vous faites. Vous écrirez quelque chose pour les aider. Les choses ne peuvent pas fonctionner comme elles ont toujours fonctionné.

Il y a aussi toute la relation hiérarchique. On ne peut pas rester assis à Ottawa et prétendre tout savoir sur la vie d’une personne qui vit dans le Grand Nord, dans une communauté éloignée. Cela n’a aucun sens. C’est la raison pour laquelle il faut aller vers les gens, les écouter et entendre ce qu’ils ont à dire. C’est ce que nous avons fait dans le cadre de la commission royale. C’est la raison pour laquelle nous avons pris tant de temps. Nous les avons écoutés, nous les avons entendus et nous avons écrit ce que nous avons entendu.

Donc, tout ne s’arrête pas là. Ces recommandations sont là, et ceux et celles qui sont responsables de leur mise en œuvre doivent en tenir compte. Ils doivent prendre le temps d’écouter.

Le sénateur Watt : Je vous remercie de votre exposé.

J’aimerais me reporter à ce que vous avez dit dans votre déclaration quand vous avez décrit les rapports avec vos ministères, la législature, pour la défense de vos droits. Vous avez dit qu’il fallait trouver de nouvelles façons de faire et ne pas nous limiter à la politique nationale du gouvernement, parce qu’elle est parfois difficile à appliquer à nos peuples. Vous avez dit que cela avait été particulièrement vrai pour vous quand vous négociiez l’entente de principe, avant d’en arriver au texte final.

Comme vous le savez, la politique du gouvernement du Canada est de demander l’extinction des droits alors même qu’on commence à les définir. C’est très difficile à suivre et à accepter. Cela arrive dans toutes sortes de situations dans la négociation des traités modernes au Canada.

Quand on essaie de s’entendre sur le texte final d’un accord et que le gouvernement demande encore une fois aux groupes autochtones de consentir à l’extinction de leurs droits, d’y renoncer, il dispose d’une arme à canon double pour leur retirer leurs droits.

Comment avez-vous réussi à garder le gouvernement fédéral à distance et à éviter la politique du gouvernement canadien dans vos négociations avec la province? Je me demande si vous pouvez nous en parler un peu. Je l’apprécierais beaucoup.

Mme Robinson : Pour commencer, « extinction » n’est plus un terme acceptable. Il n’a plus sa place. C’était une recommandation de la commission royale, et c’est la même chose pour le « renoncement ».

Dans notre province, il se trouve que la plupart des choses dont nous discutions et que nous essayions de négocier étaient du ressort de la province, c’est-à-dire de la Nouvelle-Écosse. Il n’y a pas beaucoup de compétences fédérales qui s’appliquent dans ce cas en Nouvelle-Écosse. Nous avons deux ou trois parcs, nous devons nous entendre avec le ministère des Pêches et des Océans et, bien sûr, il y a les réserves indiennes.

Pour tout le reste, cependant, si nous voulons des terres, il s’agit exclusivement de terres provinciales. Presque toutes les terres en Nouvelle-Écosse sont de compétence provinciale. Les ressources sont principalement de compétence provinciale. Quand nous voulons parler de chasse, de pêche et de cueillette — parce que ce sont les droits que nos traités nous confèrent —, ce sont toutes des questions de compétence provinciale.

Nous avons donc des pourparlers bilatéraux avec les négociateurs de la province pour déterminer comment nous voulons exercer nos droits. Remarquez que nous en parlons à notre table principale avec les représentants du gouvernement fédéral, et ils comprennent. Ils sont là et ils ont la responsabilité fiduciaire de s’assurer que nous soyons traités équitablement et que nous travaillions tous ensemble. Ils doivent approuver tout ce que nous faisons.

Nous travaillons en coopération avec les Micmacs et le gouvernement provincial lorsque les négociations touchent des terres, des ressources ou un autre ministère. Quel que soit l’enjeu, nous travaillons simplement ensemble pour élaborer un plan et en faire l’essai.

En Nouvelle-Écosse, nous avons des traités qui datent d’avant la Confédération; ce sont des traités d’amitié. Les terres y ont survécu. Aucune terre n’a été donnée ni prise, donc il n’y a pas de discussions à ce sujet. C’étaient des traités d’amitié par lesquels nous convenions de partager les terres, de vivre ensemble, et ils s’appliquent toujours. En même temps, nous faisons de l’éducation et nous essayons de mettre en œuvre ce que nous comprenons de ces traités, c’est-à-dire que nous devons vivre ensemble en toute amitié. Dès qu’il y a une question qui touche le gouvernement fédéral, nous en parlons aussi, comme il y a des enjeux qui touchent le ministère des Pêches et des Océans, par exemple, ou Parcs Canada.

Le sénateur Watt : Si j’ai bien compris votre explication, vous vous concentrez sur les questions de compétence provinciale. Je ne suis pas tout à fait sûr de bien comprendre, parce que je n’ai pas assez d’information sur l’avancement de vos négociations. Corrigez-moi si je me trompe, mais votre explication me donne l’impression qu’il y a là quelque chose d’important.

Nous dites-vous que vous commencez par vous concentrer sur les questions de compétence provinciale, que vous essayez de trouver des solutions, même s’il y a des négociateurs fédéraux présents, mais qu’ils ne vous donnent pas d’instructions sur la façon de vous conduire dans ces négociations? Si c’est bel et bien le cas, c’est très bien. Devrez-vous un moment donné négocier avec les négociateurs fédéraux seulement, quand vous en aurez fini avec les négociateurs provinciaux? Pouvez-vous clarifier cela?

Mme Robinson : Nous participons à une discussion tripartite, et notre entente générale est un engagement des trois parties à travailler ensemble. Sur les questions de compétence fédérale, nous négocierons encore tous ensemble.

Nous n’avons pas de politique directrice. La seule politique dont nous dépendons, c’est notre entente générale et notre entendre-cadre. Comme je l’ai dit, les négociations ont été dirigées par les Micmacs. Le but était de travailler tous ensemble parce qu’il n’y avait pas de politique. La Politique des revendications territoriales globales ne s’applique pas à nous, si bien que nous nous dotons de notre propre politique et que c’est ce à quoi nous travaillons. Nous continuons d’y travailler.

Je parlais d’un processus graduel qui suit son cours, et c’est comme si nous essayions quelque chose pour voir comment nous pouvons continuer. Nous apprenons au fur et à mesure. Quand nous parlons d’autonomie gouvernementale ou de l’exercice de nos droits et que nous convenons de travailler d’une certaine façon pendant cinq ans, cela montre que nous sommes capables de le faire. Mais il n’y a personne à la table qui nous dit : « Vous devez faire ceci de telle ou telle façon. » Nous travaillons tous en collaboration. C’est vraiment un processus conjoint, ce qu’on appelle l’approche de la réconciliation des droits.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’ai une courte question qui fait suite à celle de la sénatrice Raine. Existe-t-il des livres d’histoire des peuples autochtones, pédagogiquement conçus pour les élèves du primaire ou du secondaire, qui pourraient être enseignés? J’aimerais savoir si l’histoire réelle des peuples autochtones est enseignée.

[Traduction]

Mme Robinson : Comme l’éducation relève des provinces, comme ce sont les provinces qui sont responsables de l’éducation et du programme pédagogique, nous avons en Nouvelle-Écosse notre propre autorité scolaire qui s’appelle Mi’kmaw Kina’matnewey.

Le sénateur Christmas : Nous utilisons l’abréviation MK.

Mme Robinson : C’est un programme qu’on pourrait associer à l’autonomie gouvernementale. C’est l’autorité responsable des services d’éducation offerts à ceux et celles qui souhaitent s’en prévaloir dans toutes les communautés micmaques. C’est un modèle d’autonomie gouvernementale sectorielle, qui fonctionne déjà depuis quelques années. En fait, d’autres provinces étudient même notre modèle.

En Nouvelle-Écosse, on conçoit à l’intention des jeunes enfants de nombreux programmes d’études liés à la culture, à la langue et aux valeurs du peuple micmac. Il y a là-bas un engagement marqué en la matière et d’importants efforts sont déployés dans le sens des objectifs dont vous parlez, mais ça se limite à cette région-là.

Je crois que les autres gouvernements provinciaux et territoriaux observent ce modèle avec grand intérêt et pourraient sans doute en venir à l’adopter. Le travail accompli en Nouvelle-Écosse est remarquable à bien des égards. Encore là, c’est un modèle de gouvernance sectorielle qui produit de bons résultats parce qu’il est pris en charge par les Micmacs et administré par l’Assemblée des chefs micmacs.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’aurais une question complémentaire. Si je comprends bien, c’est à propos des jeunes Micmacs. Serait-il réaliste de l’étendre vers des jeunes non micmacs, afin de faciliter justement le vivre-ensemble? Si cela doit s’étendre à d’autres provinces, il serait intéressant que des nouveaux arrivants ou des personnes de la province elles-mêmes non micmaques... Je ne sais pas. Est-ce que vous pensez qu’il serait réaliste de leur faire connaître cette histoire?

[Traduction]

Mme Robinson : J’aurais dû vous dire que ces programmes ne s’adressent pas uniquement aux plus jeunes. Ils sont aussi offerts aux élèves du secondaire. Ce sont des programmes provinciaux qui sont enseignés, mais avec un lien assez net vers la culture et la langue.

Les autres provinces pourraient sans doute reproduire ce modèle, mais je ne sais pas dans quelle mesure il est possible d’en étendre l’application dans sa forme actuelle, car il découle d’une entente sectorielle en matière d’éducation qui fournit des fonds au peuple micmac. Si l’on veut faire de même ailleurs au pays, il faudrait que l’initiative vienne d’autres instances, comme les gouvernements provinciaux.

Quant à la possibilité de le rendre accessible à tous, il faudrait qu’il y ait négociation entre le gouvernement provincial et le gouvernement micmac pour que la province puisse l’intégrer à son programme scolaire. Pour l’instant, ce programme n’est toutefois offert qu’en vertu d’un accord sectoriel entre les Micmacs et le gouvernement fédéral.

La présidente : Il n’y aura pas d’autres questions. C’est tout le temps que nous pouvions consacrer à notre premier témoin d’aujourd’hui. Au nom de tous les membres du comité, je tiens à remercier notre invitée de ce matin, Mme Viola Robinson, ancienne commissaire de la Commission royale sur les peuples autochtones. Merci de nous avoir fait bénéficier de votre expérience et de votre sagesse.

Pour la deuxième portion de notre séance, nous avons le grand honneur d’accueillir M. Tagak Curley, un aîné de Rankin Inlet, au Nunavut. Nous sommes vraiment ravis qu’il soit des nôtres pour partager avec nous sa vaste expérience et sa grande sagesse.

Je tiens à souligner que nous recevons également aujourd’hui 25 élèves du Nunavut Sivuniksavut, un programme collégial offert dans tous les territoires, mais principalement au Nunavut.

Bienvenue à vous tous. Je suis persuadée que vous êtes très heureux d’être ici pour entendre votre aîné.

Je vous laisse donc la parole, monsieur Curley, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser.

Tagak Curley, à titre personnel : Merci.

[Traduction de l’interprétation]

Je vous remercie de m’avoir invité. Je suis ravi de pouvoir prendre la parole devant le Comité sénatorial des peuples autochtones.

[Traduction]

C’est un honneur pour moi de témoigner devant un comité aussi éminent que le vôtre. Je sais que notre pays est grand et qu’il doit pouvoir compter sur des représentants comme vous, mesdames et messieurs les sénateurs, sans compter bon nombre de nos élèves qui viennent d’un peu partout dans l’Arctique. L’an dernier, il y en avait qui venaient du Labrador jusqu’à la terre de Baffin, en passant par le Nunavik et ma région.

Comme je n’ai pas l’habitude d’une chaleur pareille, il est possible que je ne sois pas à mon mieux. Je sollicite donc votre indulgence.

Je vais vous exposer brièvement mon analyse de l’état actuel des relations entre le Canada et les premiers peuples, car c’est ainsi que je les appelle. Je suis désolé si je ne connais pas la terminologie exacte employée de nos jours. Je me considère uniquement comme un Inuk qui est né au milieu des années 1940, soit en même temps que mon bon ami, Charlie Watt, ici présent.

Je veux aussi manifester ma gratitude à l’endroit de Dennis Patterson, notre sénateur du Nunavut, qui s’est efforcé de me convaincre de comparaître devant ce comité sénatorial le printemps dernier. Merci, Dennis. Il a été mon collègue en même temps que mon bon ami, Nick Sibbeston, qui n’est malheureusement pas ici aujourd’hui. C’est un homme très occupé.

Charlie, nous nous connaissons depuis longtemps et notre relation est loin d’être terminée.

Madame la présidente, je vous prie de me faire signe si jamais mon exposé est trop long.

Je veux d’abord souligner que notre situation en tant que premiers peuples, en tant que peuple inuit, a souvent laissé à désirer depuis les tout premiers contacts. Nous devons composer encore aujourd’hui avec des problématiques qui remontent à cette époque.

Dès le milieu des années 1500, nous avons commencé à communiquer avec les premiers explorateurs, dont Martin Frobisher et, peu de temps après, Samuel Hearne qui s’est rendu jusqu’à la rivière Coppermine en 1772 — c’est bien l’année exacte, et je pourrais même vous indiquer le mois et le jour où il a atteint le littoral de l’Arctique.

Il y a eu par la suite les trois expéditions de M. Franklin et, comme vous le savez tous, le désastre du passage du Nord-Ouest.

On peut dire que ce sont d’une façon générale les premiers contacts avec le peuple inuit. Pour être bien franc avec vous, je dois vous dire que des Inuits ont contribué aux deux premières expéditions de Franklin à compter de 1819. Ils lui servaient d’interprètes et de gardes. Deux d’entre eux étaient d’ailleurs de ma région. C’est ainsi que je suis au courant de ces choses-là. Je peux même vous les nommer,Augustus Tattannoeuck et Junius Hoeootoerock. Ce dernier a disparu lors de la première expédition en même temps que des Canadiens français — ils étaient 11 — alors qu’ils tentaient de se rendre au Grand lac des Esclaves. Pour sa part, Franklin subissait le même sort en essayant de se rendre jusqu’à un camp d’hiver lors de la troisième étape de ses expéditions. C’est au moment où ils ont abandonné la mission visant à cartographier la région en tentant d’aller jusqu’à Repulse Bay ou jusqu’au littoral arctique. C’était la Marine royale.

Nous avons ensuite eu avec les baleiniers commerciaux des relations qui, à mon sens, ont beaucoup nui à notre peuple. Du point de vue économique, c’était une bonne chose. Nos formidables chasseurs étaient capables de guider les baleiniers écossais et américains dans le détroit de Cumberland, la baie Repulse et la baie d’Hudson. Les baleiniers ont introduit chez nous de nouvelles technologies qui ont été très utiles, comme les couteaux, les haches et d’autres outils d’acier, l’équipement de couture et les fournitures artistiques, surtout pour les femmes.

Mais la chasse à la baleine boréale a pris fin au début des années 1900, si bien que les relations établies ont abouti à une situation chaotique que les livres d’histoire ont passée sous silence.

C’est ainsi que de nombreux Inuits du détroit de Cumberland et du nord de la baie d’Hudson ne savent plus qui sont leurs descendants, qui sont leurs pères. Il y a eu coupure sociale au sein des unités familiales. Auparavant, la cohésion familiale était essentielle pour pouvoir survivre dans l’Arctique en migrant selon les saisons en vue d’assurer sa sécurité alimentaire.

Nous avons ensuite cherché à connaître les raisons de l’interruption de la chasse à la baleine boréale, une importante source de revenus pour nos chasseurs. On a découvert du pétrole en Pennsylvanie, sans que ce soit nécessairement à la pointe d’un fusil comme on peut le voir dans une série télé. C’est ainsi que les Rockefeller ont fait leur fortune en contrôlant un système de distribution qui leur appartenait. L’histoire de l’industrie du pétrole est fascinante.

Après cet effondrement, de nombreux nouveaux arrivants ont commencé à faire leur apparition. Il y a eu la Compagnie de la Baie d’Hudson pour le commerce des fourrures. De nombreux Inuits de l’Arctique sont ainsi devenus très riches. C’est le cas notamment de mon père. Il excellait dans la capture du renard. Au début des années 1940, il a pu acheter comptant son nouveau bateau de 45 pieds et de 7 tonnes.

C’est un autre marché qui s’est effondré, madame la présidente, en raison des pressions exercées par des bien-pensants européens, Greenpeace et tous ces défenseurs des droits des animaux. L’industrie de la fourrure a été anéantie, et nous avons dû reprendre confiance en nos moyens.

C’est un peu avant cela, à la fin des années 1800 et au début des années 1900, que l’exercice de la souveraineté a pris son envol. C’est une autre imposture à mes yeux, car on nous a imposé une réglementation canadienne qui allait tout à fait à l’encontre du mode de vie des Inuits.

Pour pouvoir survivre pendant la saison hivernale, nous avons besoin de fourrure de caribou pour nos vêtements. On ne peut pas attendre de tuer un caribou en hiver pour fabriquer des vêtements pour les enfants et le mari, car la fourrure est alors si épaisse qu’elle rendrait impossible tout mouvement. Il faut de nouvelles fourrures de bêtes qui ont été tuées à la fin de l’été lorsque leur épaisseur ne dépasse pas un pouce, ou un demi-pouce, pour être plus précis.

Il est toutefois illégal de tuer un caribou au printemps et pendant l’été — on peut seulement le faire à l’automne. Les agents de la faune du gouvernement canadien ont alors porté des accusations contre ceux parmi nous qui ont enfreint la réglementation canadienne. C’est ainsi, madame la présidente, que l’on a semé la crainte au sein de notre population. Les agents ont rempli leur mandat en établissant un climat de terreur et en dictant le cours de nos existences.

Par la suite, comme mes amis de la terre de Baffin le savent très bien, et Charlie également, la GRC a profité d’un plein déploiement de ses effectifs au milieu des années 1950 pour commencer à constituer des communautés en corporations municipales au grand dam des experts chasseurs inuits qui se faisaient dire dans leur camp qu’ils ne recevraient pas d’allocation familiale si leurs enfants n’allaient pas à l’école. Pour arriver à leurs fins, ils ont même massacré les attelages de chiens de ces chasseurs. Comment pouvez-vous assurer la sécurité alimentaire de votre famille et tuer des phoques en hiver et en été sans moyen de transport? C’est tout simplement impossible. Notre gouvernement devrait avoir honte. Nous essayons encore de nous en remettre.

C’est dans ce climat de crainte que j’ai grandi, mais, comme Charlie le sait très bien, nous avons dû à un moment donné nous relever.

Je me suis donc retrouvé sans ressources et sans perspectives d’avenir à la fin des années 1960 et dans les années 1970 à m’efforcer d’établir un groupe de pression pour mon peuple. Il fallait d’abord et avant tout consulter tout le monde, et la seule façon de le faire était d’écrire une lettre aux aînés de tout l’Arctique. J’ai ici des copies de toute cette correspondance entièrement rédigée en écriture syllabique. Il m’a fallu une année entière pour lire les réponses des aînés de tout l’Arctique auxquels j’avais demandé leur avis quant à savoir s’il fallait exercer des pressions pour restaurer l’identité culturelle inuite ou si l’on devait plutôt faire exactement ce que le gouvernement voulait et renoncer à notre langue et à notre culture, étant donné que notre identité ne semblait pas importante pour le Canada.

Lorsque j’étais un jeune homme, j’avais un copain du même âge que Charlie et moi, mais qui est décédé depuis longtemps, Samuel Gibbons, un gars très brillant et un excellent orateur. Au fil de nos échanges d’idées, j’en suis venu à comprendre que nous devions nous lever et faire entendre la voix de notre peuple. Ce n’était pas un rôle pour moi à l’époque, car j’étais très timide au début de la vingtaine.

Je n’ai jamais pu accepter le règne de la peur imposé à mon oncle. Mon père n’en souffrait pas. C’était un survivant. Il était reconnu comme un grand chasseur, un homme indépendant. Les autres craignaient toujours que les enseignants et les agents de la GRC débarquent.

Nous avions, madame la présidente, une cause à défendre qui justifiait l’établissement d’un groupe de pression. J’ai eu des contacts avec M. Chrétien, car la difficulté allait plus loin que la simple création d’une organisation. Cette étape n’était aucunement problématique. Vous pourriez le faire aussi bien que moi. Nous n’avions toutefois pas droit au même traitement que les Premières Nations du Sud du Canada qui, dès les années 1960, pouvaient bénéficier d’une aide financière du gouvernement fédéral pour mettre sur pied des organisations et des programmes. Comme le gouvernement fédéral ne nous permettait pas d’avoir accès à ces mesures, il nous a fallu faire des pieds et des mains pour convaincre le ministre des Affaires indiennes d’ouvrir les vannes de telle sorte que notre organisation nationale puisse profiter d’un financement durable.

Ce n’était pas chose facile. Nous avons finalement eu gain de cause après avoir passé trois heures et demie dans le bureau de Jean Chrétien avec un groupe de 10 Inuits de toutes les régions du pays. Je pourrais vous en dire plus long à ce sujet, mais je vais en rester là pour l’instant.

Je me réjouis encore de constater que le Canada s’efforce d’établir de nouvelles relations avec les Autochtones. Je pense qu’il importe d’abord de le faire avec les premiers peuples du Canada. Nous avons été les gardiens de cette terre pendant si longtemps. Comme bon nombre de mes amis l’ont dit avant moi, nous n’irons nulle part ailleurs. Nous sommes au Canada pour y rester et nous voulons vraiment en faire partie.

Selon moi, toute entente conclue par le gouvernement devrait avoir force obligatoire. Nous ne pouvons plus leurrer les Canadiens ou les Autochtones. Il faut prendre des engagements financiers à long terme en vertu d’ententes exécutoires de telle sorte que les élus qui vont se succéder ne puissent pas en faire abstraction. Ces ententes doivent être conclues avec les Premières Nations, et non avec les gouvernements des provinces ou des territoires.

C’est mon opinion. Je vais m’arrêter. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Curley.

Le sénateur Patterson : Je veux moi aussi souhaiter la bienvenue aux élèves du programme Nunavut Sivuniksavut. Nous sommes privilégiés de pouvoir discuter aujourd’hui avec le président-fondateur de l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami, comme on l’appelle maintenant. C’est un leader inuit de longue date et aussi un ancien député et ministre du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Nous sommes vraiment ravis de vous accueillir, Tagak.

Je tiens également à souligner le rôle de premier plan joué par Tagak dans la création du Nunavut. Nous nous rappelons tous les deux de l’époque où les députés des Territoires du Nord-Ouest représentant la région correspondant maintenant au Nunavut étaient minoritaires et n’avaient pas de siège au Cabinet. En fait, nous avions alors choisi de ne pas être représentés au Cabinet. Notre groupe minoritaire au sein d’une assemblée législative dominée par des députés de l’ouest des Territoires du Nord-Ouest a réussi à rallier le soutien de ces gens-là afin de créer un tout nouveau territoire, le Nunavut. Il a fallu deux plébiscites et une entente sur nos revendications territoriales pour y parvenir.

Comme vous n’avez pas vraiment fait allusion à cette lutte d’une vingtaine d’années dans vos observations, monsieur Curley, je tenais à vous rendre hommage pour votre importante contribution à la création du Nunavut.

J’ai eu une brève question à vous poser. Nos discussions en comité portent souvent sur la nécessité de sensibiliser les gens. Pourriez-vous nous indiquer de quelle façon vous avez contribué à faire la lumière au sujet de l’expédition de Franklin et des faussetés qui ont circulé quant aux torts causés à cette expédition par les Inuits? Pouvez-vous nous dire brièvement ce qu’il en est?

M. Curley : Merci, Dennis. La chronologie des événements qui ont mené à la création du Nunavut fait partie des sujets que je vais aborder plus tard cet après-midi avec les étudiants du programme Nunavut Sivuniksavut.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a joué un rôle prépondérant à l’époque, car les possibilités d’action d’une organisation comme Inuit Tapirisat du Canada étaient plutôt limitées à ce niveau, comme dans tous les autres domaines. Nous pouvions seulement lancer un appel à l’unité des Inuits en faveur d’un découpage du territoire. C’est ce que nous avons fait, mais c’est alors qu’est intervenu un obscur rapport de la commission Drury qui avait été mise sur pied par le gouvernement Trudeau père.

Pendant que nous faisons pression en faveur d’un découpage du territoire pour les groupes inuits, il a demandé une seconde opinion à son vieil ami, Bud Drury, qui fut longtemps ministre des Finances. Drury a produit un rapport structuré et détaillé recommandant que la responsabilité revienne aux gens des Territoires du Nord-Ouest. Les groupes inuits n’avaient plus la possibilité d’agir.

Cependant, Dennis Patterson, Nellie Cournoyea, Nick Sibbeston, James Wah-Shee et moi-même avions tous été élus en 1979. Nous avons profité de notre présence à l’assemblée législative pour faire adopter une résolution officielle en faveur du découpage du territoire. Il y a eu ensuite des audiences publiques auxquelles nous avons contribué tous les deux très étroitement pendant une période de six mois. L’exercice a abouti à l’adoption d’une loi sur les référendums pour des fins de consultation publique. Nous pouvions alors revenir à la charge auprès de la commission du gouvernement fédéral.

Nous ne pouvions pas en faire plus; nous étions allés au bout de notre rôle. Le dossier était de nouveau entre les mains du gouvernement fédéral. C’est alors qu’ont débuté les négociations au sujet des revendications territoriales. M. Mulroney souhaitait laisser un héritage politique. Quoi de mieux comme héritage que de ratifier l’adoption de la Loi sur le Nunavut? Je lui en suis reconnaissant.

Madame la présidente, je me suis un peu intéressé à l’histoire des explorateurs. Malgré la découverte récente de deux navires coincés dans le passage du Nord-Ouest, le Terror et l’Erebus, on n’a toujours pas retrouvé le corps de M. Franklin. Même après sa mort, Franklin a réussi, on ne sait trop comment, à amener son épouse et certains ministres du cabinet de l’autre côté de l’Atlantique à croire que les Inuits étaient responsables de la mort de quelque 139 officiers et soldats ayant survécu jusque-là. Ils ont jeté le blâme sur les Inuits, et Charles Dickens a été autorisé à écrire un article démontrant que nous étions des sauvages auxquels il était impossible de se fier et que c’est nous qui avions tué ces gens-là à des fins de cannibalisme. J’ai été très vexé lorsque j’ai pris connaissance de cet article. Je dois vous dire que je ne me contente pas d’étudier les opinions exprimées après coup; je consulte les journaux et les documents originaux.

Charles Dickens a donc convaincu l’Empire britannique que nous avions tué Franklin à des fins de cannibalisme. J’ai prononcé une allocution lorsque j’ai été invité à participer à l’ouverture d’une exposition dans un musée britannique en 2010, si je ne m’abuse. J’ai fait valoir que la culture inuite avait été condamnée à tort en réfutant les allégations de Charles Dickens qui nous accusait d’être responsables de ces morts. J’ai d’ailleurs rencontré un descendant de la quatrième génération de Charles Dickens. Je l’ai confronté lors d’une rencontre; il y a même un DVD.

Lorsque je lui ai relaté les faits, il m’a présenté ses excuses au nom de sa famille. Je les ai acceptées, mais j’ai l’impression que le gouvernement devrait en faire un peu plus pour réparer les torts causés. C’est peut-être toutefois beaucoup en demander à l’Empire britannique.

Voilà qui vous donne une idée du déroulement des choses.

Le sénateur Doyle : Monsieur Curley, si j’en crois les notes que j’ai devant moi, vous faisiez partie de l’équipe de négociation de l’entente sur les revendications territoriales du Nunavut. Est-ce que la création du territoire du Nunavut a contribué en grande partie à faire en sorte que les Inuits aient davantage confiance en leurs moyens et en leur capacité d’affirmer leur identité propre et leur autodétermination? Est-ce que l’entente sur les revendications territoriales a été bénéfique pour les gens du Nunavut? Avec le recul, qu’en pensez-vous?

M. Curley : À la lumière des enseignements traditionnels qui me viennent non seulement de mon père, mais aussi des récits de son père et de son grand-père à lui, je dirais que nous sommes parvenus à prendre une place vraiment significative à l’intérieur du Canada. Pour l’affirmation identitaire, c’est toujours plus difficile en raison des influences externes et du fait que l’éducation se passe surtout en anglais au Canada. Nous faisons de notre mieux.

L’exemple du Nunavik est très important à mes yeux, car ils en font beaucoup plus que nous pour le maintien de la langue inuktitute. Cela s’explique du fait que le Nunavut est un immense territoire peuplé de nombreuses tribus, un peu comme c’est le cas pour les Premières Nations du Sud du pays qui ont toutefois une structure davantage officielle et mieux délimitée. Au Nunavut, les tribus sont en quelque sorte plus discrètes. Vous pouvez d’ailleurs voir certains des élèves ici présents qui représentent des groupes tribaux importants au Nunavut et même au Nunavik.

Au Nunavut, nous aurions pu nous contenter des résultats de la négociation sur les revendications territoriales qui nous conféraient le droit de posséder certaines terres — des droits fonciers et tréfonciers —, de mener des activités économiques et d’offrir des programmes sociaux, notamment. À mon sens, ce n’était cependant pas suffisant. C’est dans cette optique, alors que Dennis était encore un tout jeune homme, que j’ai fait valoir pendant longtemps à titre personnel qu’il nous faut davantage que les seuls territoires; nous avons besoin d’un but et d’une vision.

Il était donc possible de découper le territoire. Les Inuits sont majoritaires au sein du personnel politique et administratif. Nous progressons. Il est impossible de prévoir et de mesurer l’évolution du processus démocratique. Nous pouvons seulement espérer que le prochain gouvernement sera meilleur que les deux précédents.

Même lorsque nous avons mis sur pied le premier conseil d’administration de la nouvelle organisation, il y a un aspect que j’ai trouvé décevant. Certaines des personnes que nous aurions vraiment voulu avoir sur ce conseil, comme mon ami, quelqu’un d’avisé qui avait guidé le comité dans sa démarche, n’ont pas été élues parce que, dans un souci de démocratie, nous avions ouvert l’accès à un trop large bassin de candidats. Certaines entreprises canadiennes procèdent autrement en établissant un comité qui propose la candidature des personnes recherchées et demande aux actionnaires de voter pour ces personnes. Ce n’est pas ce que nous avons fait. Tous les membres fondateurs pouvaient poser leur candidature.

Nous parvenons dans une certaine mesure à optimiser les possibilités de formation qui s’offrent à nous. J’ai ainsi été invité à prendre la parole la semaine prochaine dans le cadre d’un programme de perfectionnement pour les dirigeants inuits. Je compte bien les encourager à poursuivre leur travail de gestion en leur faisant valoir à quel point leur rôle est important.

Je dirais que nous progressons d’une manière générale, mais que les choses demeurent difficiles.

Le sénateur Doyle : Êtes-vous plutôt satisfait de la façon dont l’entente a été mise en œuvre et des résultats qu’elle a produits?

M. Curley : Il est toujours difficile de mettre en application des conditions obligatoires. Il y a certaines dispositions que les gouvernements… Dans le cadre des négociations sur les revendications territoriales du Nunavut, il est possible que l’on essaie indépendamment de mettre sur pied un comité chargé de la mise en œuvre. L’expérience nous a toutefois appris que l’on pouvait obtenir de meilleurs résultats en incitant le gouvernement à s’engager à agir.

Il est important que des comités comme le vôtre convoquent les responsables de l’administration des ententes sur les revendications territoriales. Je n’ai pas actuellement de rôle direct à jouer à cet égard, mais je peux vous dire que le gouvernement fédéral a beaucoup tardé à s’engager concrètement, ne serait-ce qu’en faveur de niveaux d’emploi suffisants. Il faut par exemple s’assurer que les appels d’offres pour les contrats de travaux publics sont accessibles à tous, de telle sorte qu’aucun entrepreneur ne soit avantagé. Nous avons encore du chemin à faire.

Si nous voulons instaurer de nouvelles relations, il faut établir des liens économiques, non seulement avec les groupes représentant les Premières Nations et les Inuits, mais aussi avec les entrepreneurs et les regroupements de petites entreprises déjà existants. Ils ont besoin de beaucoup d’aide. C’est à ce niveau que nous pourrions en faire un peu plus.

Le sénateur Patterson est un expert en la matière. Nous avons discuté ensemble des nombreuses possibilités qui s’offrent au Nunavut pour l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, l’exploration minière et l’extraction des métaux précieux. Les relations actuelles avec les groupes d’entreprises autochtones ne portent toutefois que sur des projets de très petite envergure. Nous pourrions en faire plus.

[Traduction de l’interprétation]

Le sénateur Watt : Je vais vous poser ma question en inuktitut. Je me réjouis également de votre présence aujourd’hui. Le Canada compte de nombreux Inuits qui ne vivent pas tous au Nunavik ou au Nunavut. Vous avez aidé tous les peuples inuits au Canada. Si vous n’aviez pas mis sur pied la fraternité inuite, ITK, notre situation serait peut-être bien pire que ce que nous connaissons actuellement. Vous avez ouvert le chemin. Vous nous avez donné une voix. Au nom de tous les Inuits canadiens, je veux vous remercier d’être le chef de file que vous êtes.

Ce sont les législateurs canadiens, et ceux du gouvernement fédéral tout particulièrement, qui me préoccupent. Nous savons que les Inuits ont été utilisés. On ne veut pas céder les terres inuites. Ce sont maintenant des terres fédérales. Ils ne sont pas prêts à renoncer à ces terres et aux ressources qu’elles renferment. Nous avons été témoins de bien des choses dans nos vies antérieures — je pense au massacre de ces chiens — et ceux qui gèrent ces dossiers pour le compte du gouvernement fédéral ont toujours nié que les Inuits avaient été traités de la sorte par le passé.

D’après votre compréhension des enjeux inuits — et nous savons qu’elle a été suffisante pour fonder une société s’exprimant en leur nom —, quels efforts devrions-nous déployer encore? Nous sommes redevables envers les Inuits en raison des mauvais traitements dont ils ont été victimes, et nous les déplaçons vers différents endroits dans le Sud, où ils meurent en véritables artefacts de leur culture. Je crois que nous devons reconnaître les abus qui ont effectivement eu cours. Nous avons la reconnaissance constitutionnelle, la reconnaissance internationale et les différents traités. Dans tous ces cas, les choses ne se déroulent pas aussi bien que promis au moment de la ratification. Il y a bien souvent de nombreuses parties prenantes qui sont récalcitrantes.

Le traité moderne remonte à 40 ans. Nous savons que les politiques et les lois actuelles du gouvernement canadien et de différents autres gouvernements ne respectent pas toujours les traités. Le premier ministre du Canada à l’époque s’est rendu compte que quatre ministres seraient responsables de la mise en œuvre de l’ensemble des ententes. Je reviens à la question de la souveraineté dans l’Arctique. Quelles autres mesures devrons-nous prendre pour que les ententes conclues entre le gouvernement fédéral et les Autochtones, et les Inuits tout particulièrement, produisent les résultats escomptés? Quels mécanismes pourrions-nous mettre en place en vue d’obtenir des résultats plus concrets que ceux qui ont découlé par le passé de la mise en œuvre des traités?

M. Curley : Merci, Charlie. Je comprends bien tout cela.

Les gouvernements votent pour élire un nouveau chef tous les quatre ans. Certaines organisations autochtones font la même chose. Des gens de la jeune génération se font élire. Avec tout le travail que vous avez accompli pendant votre vie, vous savez comme moi qu’il faut être propriétaire des ressources extracôtières comme des ressources que recèle la terre. Nous savons tous les deux ce qui se passe avec des ressources extracôtières comme l’omble chevalier près du littoral, et des ressources terrestres comme le caribou. Nous habitons les régions littorales, mais nous n’avons aucun droit sur les ressources extracôtières. Sans les ressources de la mer, nous n’aurions jamais pu survivre jusqu’à aujourd’hui. L’océan nous fournit de quoi vivre. Il nous faut des droits sur les ressources extracôtières.

Le jugement obtenu par les gens de Clyde River peut nous aider. Ils ont combattu pour que l’on ne puisse pas effectuer des levées sismiques dans le détroit de Lancaster. La Cour suprême a désormais reconnu que les zones extracôtières revêtent une importance capitale pour la survie des Inuits, qui sont des habitants du littoral. Les Inuits doivent réclamer des droits sur les ressources extracôtières et ceux-ci devraient être reconnus dans la nouvelle entente.

De plus, le gouvernement du Canada peut compter sur différents comités. Ceux-ci devraient passer plus de temps en territoire inuit. Nous savons que c’est loin d’Ottawa et que les déplacements sont très coûteux, mais j’aimerais voir un plus grand nombre de membres bien intentionnés du comité des affaires autochtones visiter nos terres ancestrales. Selon moi, il serait bon que vous vous présentiez sur place pour montrer vos bonnes intentions.

Pour ce qui est des contrats de travaux publics, les entreprises minières qui viennent au Nunavut arrivent avec leurs propres travailleurs. Elles n’embauchent pas de main-d’œuvre locale. Nous connaissons trop bien le taux de chômage dans les différentes régions. Il faut s’efforcer d’embaucher des résidants locaux, et notamment des Inuits. Quel est le taux de chômage? Qu’est-ce que cela signifie pour vous?

[Traduction]

Il est plutôt embarrassant, comparativement au reste du Canada. Le taux de chômage dépasse les 13 p. 100. Ce n’est qu’un exemple.

[Traduction de l’interprétation]

Ce n’est plus seulement une question d’entente sur les revendications territoriales.

[Traduction]

Il faut des mesures sortant du cadre de cette entente pour vraiment améliorer les choses.

[Traduction de l’interprétation]

Nous avons besoin de nouvelles perspectives économiques.

Je ne sais plus quelle langue utiliser. Ma réponse a été trop longue.

Le sénateur Watt : Je comprends tout à fait vos arguments concernant l’économie. Si nous ne faisons rien pour améliorer notre situation économique, les choses vont se détériorer. On est en train d’extraire notre pétrole et d’exploiter nos autres ressources. Les ressources que recèlent nos terres sont en demande à l’échelle internationale. Elles sont toutefois exploitées chez nous sans même que nous puissions participer ou obtenir des emplois. Nous demeurons sur la touche à regarder ces gens-là extraire nos propres ressources. Pour y parvenir, il faudra délimiter des zones économiques dans nos territoires maritimes. Ces territoires n’appartiennent pas au Canada et ne relèvent pas de sa compétence. Ils n’appartiennent d’ailleurs à aucun autre pays du monde.

Nous, Inuits, vivons dans ces zones économiques. Nous y avons laissé notre empreinte pendant toutes ces années. C’est nous qui les utilisons. Il faut que nous concertions nos efforts pour réclamer une définition claire de nos droits à l’égard de ces zones.

La possibilité est là. Que devons-nous faire pour redevenir une véritable partie prenante dans ces activités, comme ce fut le cas pendant bien des années? Je ne vous apprends rien. Nous en avons discuté tous les deux en long et en large. Comment pouvons-nous passer à l’action et mobiliser nos gens pour revendiquer la création de zones économiques et la reconnaissance de nos droits extracôtiers?

M. Curley : Je vous comprends très bien, mon bon ami. Les revendications territoriales visaient à inciter le gouvernement canadien à passer à l’action. Nous avons une entente de partenariat avec le gouvernement du Canada, et il nous faut une stratégie et des ressources à long terme équivalentes à celles de notre partenaire pour pouvoir aller de l’avant de façon viable.

Nous devons effectivement être des partenaires d’égal à égal pour l’exploitation des ressources tout en ayant démocratiquement voix au chapitre. Il se fait de l’exploitation minière et pétrolière sur certaines terres inuites au Nunavut. Il y a des possibilités qui s’offrent à nous. Il faut que des investissements soient consentis, et je parle de quelque chose de vraiment significatif, dans un esprit de partenariat d’égal à égal, car il est très coûteux d’explorer et d’exploiter ces ressources.

Je veux ajouter que, au moment de la création de la Confédération canadienne, on a débuté à l’est pour se diriger vers l’ouest. Le chemin de fer a été construit dans ce même axe pour le transport des biens et des services. Si nous voulons vraiment renouveler notre partenariat, je pense qu’il faudra créer un corridor de transport nord-sud de manière à offrir des chances égales à tous. Si vous construisez une maison au Nunavut, 40 p. 100 des coûts vont au transport seulement. Nous avons besoin d’une vision élargie de notre partenariat de telle sorte que nous puissions vraiment faire partie du Canada en étant traités sur le même pied que tout le monde.

Merci, madame la présidente.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Merci, monsieur Curley. Il est merveilleux que ces élèves du Nunavut soient présents pour entendre votre témoignage dont l’intérêt est rehaussé par leur présence même. Je veux souhaiter la bienvenue à chacun d’entre vous.

J’ai une question qui m’est venue après être descendue d’un avion C-17 des Forces armées canadiennes il y a 10 jours à Resolute Bay. J’aimerais bien que quelqu’un puisse m’aider à bien saisir l’impact pour Resolute Bay et les communautés avoisinantes du centre d’entraînement construit là-bas à l’initiative du premier ministre Harper.

Je pose la question pour une raison bien simple. Je faisais partie d’une délégation de l’Association parlementaire de l’OTAN comptant des représentants de 18 pays, et pas un seul Inuit ne nous a été présenté pendant notre séjour là-bas, si je fais exception de la conversation que j’ai eue à la boutique de l’aéroport avec Doreen, la petite-fille du fameux chasseur Joseph Idlout, dont l’image s’est retrouvée pendant un certain temps à l’endos de nos billets de 2 $. J’ai trouvé cela plutôt intrigant, et je me demande si vous ne pourriez pas nous parler des incidences de la présence des forces au Nunavut.

M. Curley : Je vais devoir vous demander de répéter une partie de votre question. Je n’entends pas très bien, et il faudrait que vous parliez en direction du micro.

La sénatrice McPhedran : Un nouveau centre d’entraînement vient d’être construit par les Forces armées canadiennes à Resolute Bay, et il y a également une présence assez marquée des forces militaires à Yellowknife.

Je voulais savoir si vous pouviez nous parler des relations que l’on peut observer là-bas et des répercussions de la présence des forces armées sur le peuple inuit.

M. Curley : Je ne suis pas certain de pouvoir apporter bien des précisions à ce sujet. Ce n’est pas un secteur où j’ai été moi-même très actif, mais je peux vous dire que bon nombre de mes amis apprécient vraiment pouvoir jouer un rôle à ce chapitre, et que je suis très fier d’eux. Je sais que les Rangers canadiens sont présents à plusieurs endroits dans le Nord et qu’ils participent fréquemment à des activités et des missions de sauvetage. Je pense que l’on pourrait leur permettre d’en faire bien davantage. Charlie et moi avons toujours cru que les routes pourraient être bien meilleures.

Voilà bien des années que le Canada n’a pas participé à un conflit ouvert avec un autre pays, mais si cela devait arriver, les Rangers joueraient un rôle essentiel au sein de nos forces militaires. Ce serait bien évidemment en raison de leur capacité à bien supporter les rigueurs du climat. À mon avis, il est impossible de survivre dans l’Arctique sans s’adapter à notre régime alimentaire. Vous pouvez vous adapter à notre culture en nouant avec nous des liens d’amitié, de mariage ou autres. Cela ne veut toutefois pas dire que vous allez pouvoir survivre. C’est ce qui a causé des problèmes à Franklin lors de sa première expédition. Il n’a pas tenu compte des ressources disponibles sur place et ses hommes mourraient de faim. Il a perdu 11 des 22 membres de son équipage lors de cette expédition, y compris quelqu’un de Kivalliq.

Je crois qu’il est possible de confier un rôle plus étendu à nos forces armées. On vient de faire l’acquisition de nouveaux fusils. Je pense que c’était un engagement de M. Harper. Ils vont remplacer des armes vieilles de 100 ans. On ne peut pas aller très loin avec ça.

Je vous prierais donc d’encourager nos militaires, de leur fournir le soutien dont ils ont besoin et de veiller à ce que leur service actif les rende admissibles à des prestations d’assurance-emploi. À mon avis, ils sont très mal rémunérés à l’heure actuelle. On pourrait en faire bien davantage pour ces citoyens qui se sacrifient pour nous faire bénéficier de leur expertise.

Nous sommes fiers d’eux. Nous avons tenu récemment un camp d’été avec les forces armées, qui ont participé à une excursion terrestre avec un grand nombre des résidants de Rankin Inlet.

Le sénateur Sinclair : Merci de votre présence aujourd’hui. Je me réjouis toujours de vous rencontrer et de pouvoir vous entendre.

Ma question nous ramène au sujet à l’étude par notre comité, à savoir l’avenir des relations entre les peuples autochtones et le Canada. Pouvez-vous nous dire comment vous entrevoyez l’avenir de la relation entre les Inuits et le Canada et nous indiquer comment on pourrait l’améliorer?

M. Curley : Sénateur Sinclair, votre travail me procure une grande fierté. Nos chemins ne se sont pas croisés très souvent, mais je lis beaucoup. Je ne suis pas très instruit. Lorsque j’étais enfant au milieu des années 1950, je ne connaissais pas un mot d’anglais. Mon père m’a dit un jour dans l’igloo : « Fils, il est important que tu apprennes à parler et à écrire cette langue. » Je n’ai rien dit, mais j’ai accepté cela comme une mission. J’ai appris à lire en me débrouillant tout seul en bonne partie. J’ai appris l’alphabet. Je me suis ensuite procuré un dictionnaire. Il m’a fallu bien des années pour maîtriser cette langue.

Le travail que vous avez accompli au sein de la commission de la réconciliation est un bon tremplin. Nous devons mettre en œuvre vos recommandations. Nous devons éviter de nous excuser, et vous ne l’avez pas fait pour votre travail. Je suis très fier de vous.

J’ai toujours eu de bonnes relations avec les gens des Premières Nations, en commençant par George Manuel lorsque nous étions tous les deux membres de notre organisation nationale. Charlie se souvient lui aussi de cette époque. Je l’ai invité à Baker Lake pour notre deuxième rencontre annuelle. Il est venu là-bas et a livré un message fort inspirant aux membres de l’assemblée générale. Je lui ai même demandé de s’adresser aux chasseurs et aux trappeurs dans les camps éloignés. La radio était un outil de communication important pour nous. Il leur a parlé de façon très inspirante de la pertinence du mouvement inuit et du fait qu’il estimait important de travailler en partenariat avec nous. Nous avions des liens de confiance mutuelle.

Il est plutôt facile d’établir des relations avec les Inuits, surtout entre hommes et femmes et chez les jeunes. Il est plus difficile d’installer la confiance. C’est un défi que nous devons relever au Canada. Il faut instaurer ce climat de confiance avant d’essayer de conclure et de mettre en œuvre des ententes avec le gouvernement du Canada. Je vous prie de prévoir des ententes ayant force obligatoire pour les programmes liés à l’économie, aux enjeux sociaux, à la santé, aux infrastructures et au transport.

Le coût de la vie est beaucoup trop élevé. Il ravage les entreprises et les familles de ma région. Cela fait partie des considérations qui doivent être prises en compte dans l’établissement d’une nouvelle relation.

Il n’en demeure pas moins que les résolutions que vous avez recommandées à l’issue de votre travail posent déjà des jalons très importants.

Comme je le disais récemment à Dennis, il ne s’agit pas de mettre toutes les idées dans un chapeau en espérant que le gouvernement fédéral en choisisse quelques-unes pour les inclure dans ses beaux discours et les oublier par la suite. Nous tenons à ce que tous les accords conclus soient fermes et exécutoires. J’espère vraiment qu’il en sera ainsi.

Comme je l’indiquais à Dennis en m’excusant un peu à l’avance, je n’ai peut-être pas pu vous fournir des réponses détaillées sur tous les plans, mais je peux certes apporter une contribution du point de vue historique. Merci.

La présidente : Monsieur Curley, au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier d’avoir été des nôtres aujourd’hui. C’est un honneur pour nous d’intégrer vos sages paroles à nos délibérations. Comme le soulignait le sénateur Watt, vous êtes assurément un pionnier et un chef de file politique pour le Nunavut.

(La séance est levée.)

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