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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 31 - Témoignages du 30 janvier 2018


OTTAWA, le mardi 30 janvier 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 5, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Tansi.

Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et aux sénatrices, ainsi qu’aux membres du public qui assistent à la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, soit en personne ou sur Internet.

J’aimerais reconnaître, dans un effort de réconciliation, que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles et non cédées des Algonquins.

Je m’appelle Lillian Dyck et j’ai l’honneur et le privilège d’être la présidente du comité. Je viens de la Saskatchewan.

J’invite maintenant mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La présidente : Merci, mesdames et messieurs.

Nous poursuivons notre étude sur la forme que pourraient prendre les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous examinerons aujourd’hui les principes sur lesquels les nouvelles relations devraient reposer.

Nous sommes ravis d’accueillir M. Natan Obed, président d’Inuit Tapiriit Kanatami.

Monsieur Obed, avant de vous céder la parole, comme il s’agit de la première séance de la deuxième phase, j’aimerais lire les six questions générales sur lesquelles le comité a décidé de centrer la deuxième phase, afin qu’elles figurent au compte rendu. Nous allons prendre un moment pour ce faire.

La première question est : à quoi ressemblerait un avenir idéal pour vous et vos descendants?

Ces questions s’adressent aux témoins que nous recevrons et à ceux que nous rencontrerons lorsque nous visiterons les collectivités.

La deuxième question est : que signifie pour vous l’expression « relation de nation à nation »?

La troisième question est : selon vous, quelles sont les caractéristiques des nations autochtones fortes et dynamiques? De quelle façon ces nations interagissent-elles avec le gouvernement du Canada? Quels sont les principes qui pourraient guider l’établissement de nouvelles relations?

La quatrième question est : quelles mesures les peuples autochtones doivent-ils prendre pour faciliter la création de nouvelles relations?

La cinquième question est : que peuvent faire les autorités fédérales, provinciales, territoriales et municipales afin de mettre en place des conditions propices à la création d’une nouvelle relation avec les peuples autochtones?

Que peuvent faire les Canadiens pour contribuer à la création d’une nouvelle relation avec les peuples autochtones?

La parole est à vous, monsieur Obed. Nous commencerons par votre exposé, puis nous procéderons à une période de questions avec les sénateurs. Merci.

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Merci, madame la présidente, bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un honneur pour moi d’être ici avec vous pour parler d’une question si vaste, mais tellement importante, soit l’avenir des relations.

J’aimerais parler d’abord des fondements mêmes de la démocratie inuite et des liens entre cette démocratie et la démocratie canadienne.

Nous acceptons tous et tenons pour acquis notre compréhension générale du gouvernement fédéral. Nous ne savons peut-être pas exactement comment les lois sont adoptées ou quels sont les rôles du Sénat et de la Chambre des communes, mais nous comprenons qu’il existe une démocratie canadienne.

Nous comprenons également qu’il y a des provinces et des territoires, ainsi que des gouvernements politiques ayant le pouvoir d’adopter des lois et de créer des programmes et des politiques à l’intérieur des 10 provinces et des 3 territoires.

Toutefois, la population canadienne connaît beaucoup moins la gouvernance autochtone. En outre, le mode de fonctionnement des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux n’est pas très respectueux de la gouvernance autochtone.

L’Inuit Tapiriit Kanatami est souvent considéré seulement comme un organisme de défense ou un groupe communautaire ordinaire, plutôt que comme la composante nationale de la démocratie inuite. J’aimerais vous décrire la démocratie inuite afin que nous ayons tous la même base.

Nous avons conclu des accords sur les revendications territoriales pour chacun des quatre territoires de l’Inuit Nunangat. Comme les sénateurs le savent déjà, notre modèle de gouvernance est le suivant : chacun des quatre territoires élit démocratiquement un président, ces territoires étant le Nunatsiavut, le Nunavik, le Nunavut et la région des Inuvialuit dans les Territoires du Nord-Ouest. Les quatre présidents sont responsables du règlement des revendications territoriales qui les concernent. Ils représentent également leurs concitoyens inuits pour ce qui touche les dispositions des accords sur les revendications territoriales globales portant sur l’admissibilité des bénéficiaires.

L’Inuit Tapiriit Kanatami travaille à l’échelle nationale. Notre conseil est formé des quatre présidents chargés de l’application des quatre accords sur les revendications territoriales. Je reçois mon mandat des quatre présidents, et les quatre présidents élisent le dirigeant national au moyen du processus de l’ITK. Je ne suis donc pas ici pour vous présenter mon point de vue personnel sur la façon dont les Inuits devraient aller de l’avant ou sur les positions des Inuits du Canada. Les opinions que je vous présente sont celles de mon conseil d’administration, qui a été choisi par le peuple.

Il existe également un organisme dont la structure est la même que celle de l’ITK, mais qui travaille à l’échelle internationale. Le Conseil circumpolaire inuit du Canada est aussi dirigé par les quatre présidents chargés du règlement des revendications territoriales. C’est important parce qu’il s’agit d’une preuve d’unité. Nous, les Inuits du Canada, pouvons fièrement affirmer que notre représentation suit une chaîne ininterrompue, des collectivités jusqu’à l’échelle internationale.

Notre conseil d’administration compte aussi parmi ses membres permanents des représentants du Conseil national des jeunes Inuits, du Conseil circumpolaire inuit du Canada et de Pauktuutit Inuit Women of Canada. Notre organisme de gouvernance nationale réunit donc le point de vue des femmes et des jeunes, ainsi que la perspective internationale.

Lorsque nous travaillons avec le gouvernement fédéral, c’est souvent lui qui décide quel rôle nous allons jouer durant une réunion intergouvernementale ou fédérale. Cela peut vouloir dire simplement que le gouvernement fédéral choisit quel aîné inuit parlera en notre nom au début de la réunion ou qui se joindra à nous. Il mélange souvent les organismes de représentation, les groupes de défense et les groupes communautaires.

Les organismes autochtones — les groupes communautaires, les groupes de défense et les organismes nationaux ou de représentation — ont tous des rôles précis à jouer pour faire avancer les dossiers et les régler. Toutefois, le Canada et le système actuel de gouvernance n’ont pas encore fait suffisamment preuve de respect envers les Inuits pour permettre le renouvellement des relations. De nombreux ministères fédéraux ne comprennent pas du tout comment interagir avec les organismes de représentation inuits ou comment leur porter du respect; ils nouent donc le dialogue avec nous de manière aléatoire ou en étant très mal renseignés.

Les résultats sont prévisibles. Souvent, nous investissons beaucoup trop de temps dans le processus; nous tentons de régler les problèmes que le gouvernement fédéral ou un groupe intergouvernemental nous donne, au lieu d’aller de l’avant en faisant preuve d’un respect mutuel et d’une compréhension commune des pouvoirs de chacun.

Cette façon de faire brouille aussi les résultats. Un groupe comme l’ITK, le rôle que j’y joue et les positions que je prends au nom des quatre présidents chargés du règlement des revendications territoriales des Inuits — tout cela est très différent de l’avis ou des conseils d’une personne qui ne parle qu’en son nom.

Nous réussissons à comprendre tout cela dans le système fédéral. Lorsque le premier ministre prend la parole, nous comprenons que tous ne partagent pas son avis ou celui du parti libéral. Or, les gens acceptent qu’il s’agit d’une démocratie et du gouvernement actuel; ils comprennent qu’ils ne peuvent pas déclarer qu’ils ne sont plus Canadiens ou que le premier ministre n’a pas le pouvoir ou l’autorité d’adopter telle nouvelle politique ou de créer tel nouveau programme simplement parce qu’ils ne l’approuvent pas.

Or, pour une raison ou pour une autre, cette conduite constitue encore aujourd’hui une façon acceptable de se comporter avec les représentants des peuples autochtones. Lorsque nous présentons des positions qui ne sont peut-être pas celles des députés de la Chambre des communes, des sénateurs ou du reste de la population canadienne, la première chose qu’on entend est : « En vertu de quel pouvoir prenez-vous cette position? », ou « Un autre Inuit m’a dit que c’était faux. »

Pour une raison que je ne m’explique pas, on présume immédiatement que nous ne détenons aucun pouvoir, et, en ma qualité de dirigeant national inuit, je dois justifier ma position auprès d’une personne dont le point de vue est différent.

La beauté de la démocratie, c’est que nous avons le droit d’avoir notre propre opinion sur la façon dont la démocratie fonctionne et sur quelles devraient être les priorités. Toutefois, nous avons également des structures qui centralisent les opinions de la majorité pour former les postes dominants des gouvernements.

Je m’arrête un instant pour souligner ce point, car à mon avis, il s’agit d’un principe fondamental souvent délibérément mal interprété par rapport aux peuples autochtones : je parle de la capacité de comprendre qu’il existe une structure de gouvernance fédérale, des structures provinciales et territoriales, ainsi que des structures autochtones. Le Canada n’a pas encore accepté que les structures de gouvernance autochtones détiennent du pouvoir.

Les Inuits ne cherchent pas à obtenir les mêmes pouvoirs que les provinces, les territoires ou le gouvernement fédéral. Ce que nous demandons, c’est la reconnaissance et le respect des pouvoirs que nous détenons déjà en vertu de la Constitution et d’instruments divers des Nations Unies, par exemple, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce ne sont là que les principes centraux des relations que l’ITK doit défendre quotidiennement contre des milliers de fonctionnaires et contre maints ordres de gouvernement canadiens qui préféreraient ignorer la nouvelle réalité — une réalité qui, dans de nombreux cas, est enchâssée dans la loi ou protégée par la Constitution depuis les années 1970 ou 1980.

En outre, nos relations avec les provinces et les territoires sont aussi très difficiles, surtout dans des contextes intergouvernementaux. Pour établir de nouvelles relations, nous devons tenter de trouver une façon de tirer le meilleur parti possible des situations auxquelles nous sommes confrontés. Les provinces et les territoires souhaitent protéger leurs intérêts. Par le passé, ils avaient le contrôle absolu des allocations destinées aux Inuits habitant sur leur territoire de compétence. Nous devons concevoir une nouvelle méthode. Les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires pour tous les fonds ayant une incidence sur les Inuits devraient être repensées en fonction de l’Inuit Nunangat.

Nous ne sommes pas visés par la Loi sur les Indiens. Nos relations avec le gouvernement fédéral sont différentes; c’est pourquoi nous les appelons les relations entre les Inuits et la Couronne. Lorsque le Canada parle de renouveler les relations de nation à nation, nous demandons qu’il ait le respect de parler aussi du renouvellement des relations entre les Inuits et la Couronne.

Le problème, c’est que les fonds qui sont affectés au logement, à l’éducation et à la prestation des soins de santé sont souvent gérés par des parties qui ne sont pas nécessairement les parties inuites se trouvant à l’intérieur des collectivités; la participation inuite se trouve souvent deux, trois ou quatre échelons plus bas que la relation principale entre l’agent de financement — le gouvernement fédéral — et la partie chargée de la prestation des services dans la province ou le territoire.

Une approche du financement et de l’élaboration des politiques axée sur l’Inuit Nunangat changerait tout cela. L’Inuit Nunangat est notre territoire ancestral. Il est formé de l’ensemble des quatre régions de règlement des revendications territoriales, des Territoires du Nord-Ouest à Terre-Neuve-et-Labrador, en passant par le Nunavut et le Nord du Québec. Il englobe environ 35 p. 100 de la masse terrestre du Canada, plus de 50 p. 100 de ses côtes et approximativement 3 millions de kilomètres carrés. Nous gérons déjà ce territoire conjointement avec le gouvernement du Canada et les provinces et territoires, par l’intermédiaire des processus de règlement des revendications territoriales.

Il s’agit d’une région politique homogène. Aujourd’hui comme par le passé, ce ne sont pas les lois qui divisent le pays en régions, c’est la façon dont les politiques sont conçues. Pourquoi y a-t-il une région de l’Atlantique, normalement? C’est simplement le résultat de la manière dont la prestation de services a évolué et dont le gouvernement fédéral a choisi d’investir les fonds dans cette partie du pays.

Il y a aussi, normalement, la région du Québec, celle de l’Ontario et celle de l’Ouest. Habituellement, les régions inuites sont séparées entre trois régions de compétence différente : la région du Nord, qui englobe normalement les territoires; la région du Québec et la région de l’Atlantique. Cela signifie que la mise en application des politiques fédérales ou l’allocation des investissements fédéraux destinés à améliorer le sort des Inuits se fait de manière complètement différente selon l’autorité qui reçoit les fonds et le mandat de cette autorité.

Dans une approche axée sur l’Inuit Nunangat, le gouvernement fédéral travaillerait en collaboration avec les Inuits et les provinces et territoires concernés, de façon à veiller à ce que les décisions du gouvernement fédéral, ainsi que la transmission des programmes, des politiques et des services des structures fédérales aux provinces et territoires et aux régions inuites respectent notre droit à l’autodétermination.

Notre territoire ne génère pas de revenus autonomes comme le font la plupart des autres territoires et provinces. Le gouvernement fédéral finance donc déjà une grande partie de tout ce qui se passe dans notre région. Par exemple, même si l’éducation relève des provinces ou des territoires, je peux vous assurer que le gouvernement fédéral paie la plupart des services d’éducation par l’intermédiaire des transferts fédéraux à l’Inuit Nunangat.

Il en est de même pour le logement, les soins de santé et nombre d’autres questions sociales dont nous parlons aujourd’hui, des situations considérées comme critiques auxquelles nous tentons de trouver des solutions depuis longtemps.

Cette observation m’amène à la question des lois, des programmes et des politiques. Je suis très reconnaissant au Sénat d’avoir étudié en profondeur la question du logement dans l’Inuit Nunangat et je vous remercie du rapport que vous avez publié en mars dernier. D’après moi, c’est ce genre de rigueur et d’intérêt qui changera la façon dont le Canada voit l’Inuit Nunangat, ainsi que la manière dont les programmes, les services et les fonds sont transmis à nos régions.

Un Sénat indépendant est un très nouveau concept relativement à la réforme législative et à ce qui peut être fait au moyen de la réglementation et des engagements relatifs aux programmes et au financement visant la mise en œuvre des nouvelles lois. Surtout pour ce qui touche notre langue, l’inuktut, il y a, selon moi, une grande occasion pour le Sénat de défendre les langues autochtones en veillant à ce que les lois soient assez rigoureuses pour aller au-delà de la simple reconnaissance symbolique de l’importance des langues autochtones du Canada et à ce qu’elles permettent systématiquement de revitaliser, de promouvoir et d’utiliser l’inuktut sur notre territoire ancestral, ainsi que de recevoir des soins de santé et de l’instruction dans cette langue.

La relation entre les Inuits et la population canadienne évolue aussi rapidement. C’est étonnant de constater à quel point les Canadiens en savent plus sur les Inuits aujourd’hui que lorsque j’ai commencé ma carrière au sein de l’ITK en 2002. Je me rappelle être entré dans des salles où presque personne ne savait la moindre chose sur les Inuits, mis à part qu’il y en avait au Canada. Nous sentons parfois que c’est encore le cas aujourd’hui, mais la plupart du temps, les gens montrent une certaine compréhension et une volonté d’en savoir plus.

Cette approche, axée sur la distinction, quant à la manière dont nous parlons des peuples autochtones au pays est essentielle pour que cette relation fonctionne. Il n’existe pas d’Autochtone homogène, de croyance spirituelle commune à tous les Autochtones ou de manière unique dont les Autochtones s’adressent au monde. Je me réjouis que nous n’ayons pas à avoir ce degré d’homogénéité pour faire passer notre message et pour que les Canadiens acceptent que des Autochtones vivent dans ce pays et qu’ils agissent en interaction avec la Couronne et s’expriment d’une multitude de manières.

Nos histoires sont diversifiées, même dans l’Inuit Nunangat. Les relations coloniales que nous avons eues avec ceux qui se sont installés dans nos régions sont fort différentes, mais elles font toutes partie de nous maintenant. Ce n’est que relativement récemment que nous pouvons relater nos histoires et faire comprendre la nuance aux Canadiens. Nous n’avons donc pas à nous cacher derrière des stéréotypes et à accepter que ce soit tout ce que le Canada attend de nous. Nous pouvons raconter les histoires étranges qui nous sont propres et qui nous ont menées à cet instant, alors que nous sommes fiers d’être inuits, que nous sommes impatients de nouer une nouvelle relation avec le Canada et avec le gouvernement selon nos conditions et que nous sommes fiers de toutes les choses que nous avons faites et qui font de nous ce que nous sommes.

Nous pouvons apporter une contribution substantielle : les structures de cogestion que nous avons déjà instaurées; l’espace stratégique que nous occupons, c’est-à-dire notre terre natale, que cela concerne la souveraineté ou les changements climatiques; l’élargissement de l’utilisation du passage du Nord-Ouest; ou les ressources naturelles que contiennent nos terres natales, lesquelles, espérons-le, profiterons non seulement aux Canadiens, mais également aux Inuits au cours de leur développement politique et social futur.

C’est avec grand plaisir que je discuterai de la question avec vous. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prononcer cet exposé.

La présidente : Merci, monsieur Obed. Vous avez fait un excellent survol de la question. Nous laisserons maintenant les membres du comité vous interroger.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie de témoigner aujourd’hui et d’avoir fait un survol du rôle de la structure de gouvernance des Inuits.

Je voudrais intervenir lors du deuxième tour, mais je tiens à poser une question.

Vous avez traité de la responsabilité, laquelle concerne essentiellement la mise en œuvre des revendications territoriales pour le moment. En quoi consiste cette responsabilité? Que fait l’ITK précisément? Si je suis citoyen inuit, comment est-ce que j’agis en interaction avec cette organisation? Pourriez-vous faire la lumière sur ce point? Je pense que vous avez indiqué qu’il ne s’agit absolument pas d’un groupe de défense des intérêts, mais d’une structure de gouvernance. Pourriez-vous nous expliquer exactement les activités de gouvernance que je verrais à titre de citoyen?

M. Obed : Au fil du temps, l’ITK a revêtu diverses formes. Dans les années 1970, lors de sa création initiale, elle s’appelait Inuit Tapirisat du Canada, alors qu’elle porte maintenant le nom d’Inuit Tapiriit Kanatami. La première entité parlait de la manière dont les Inuits s’uniraient. C’était alors une idée avant-gardiste, mais maintenant qu’un règlement est intervenu, le nom a été modifié pour indiquer que les Inuits sont unis au sein du Canada. Ce changement, tout léger soit-il, est important à nos yeux, car nous avons tous réglé des revendications territoriales.

Dans les années 1970 et 1980, l’ITC dirigeait les réformes et les pourparlers relatifs à la Constitution. À l’époque, elle a contribué aux études sur l’utilisation et l’occupation des terres, particulièrement au Nunavut, et s’est généralement employée à défendre les droits des Inuits.

Maintenant que les revendications territoriales ont été réglées, nous jouons des rôles très précis, notamment celui de représentation afin d’agir à titre d’organe de représentation à l’échelle nationale auprès du gouvernement fédéral quand vient le temps d’honorer les responsabilités en matière de consultation pour tout ce qui concerne l’article 35 de la Constitution. Dès que le gouvernement fédéral souhaite lancer une conversation nationale au sujet d’une activité nationale dans le domaine politique, l’ITK représente les Inuits dans le cadre de ces échanges.

La déclaration signée en février par les Inuits et la Couronne l’an dernier à Iqaluit a été paraphée par moi-même et le premier ministre Trudeau au titre du mandat ou de la structure organisationnelle en place.

Les quatre présidents régionaux assistent aux réunions et peuvent avoir des relations directes avec les ministres fédéraux et le premier ministre, mais quand il s’agit de simples conversations nationales, l’ITK représente tous les Inuits.

Nous assumons également un certain nombre de fonctions à l’appui de cette capacité fondamentale de représentation. Nous effectuons des recherches pour connaître en détail la situation socioéconomique de notre peuple et pour pouvoir nous connaître nous-mêmes dans le domaine de la recherche afin d’être en mesure de représenter les Inuits à des tables qui mettent l’accent sur les recherches portant sur notre peuple.

Dans une démocratie fondée sur les données probantes, les chiffres et les données sommaires sur les Inuits jouent un rôle de premier plan au chapitre de l’affectation des fonds, des priorités que les gouvernements se fixent et des attitudes générales que les Canadiens ont à l’égard des Inuits et de la santé ou de la situation socioéconomique de notre population.

La recherche étant subjective, nous devons jouer un rôle essentiel en participant à la recherche afin de pouvoir raconter notre histoire au monde.

Nous offrons aussi une orientation en matière de politiques, assumant certaines tâches stratégiques au sein de l’ITK. Cette dernière comprend un certain nombre de sous-comités techniques composés d’Inuits de toutes les régions et s’intéressant à des domaines précis, comme la santé publique, la recherche, l’environnement ou la faune. Faisant appel à des experts techniques des organisations de représentation inuites de nos quatre régions, nous les réunissons pour discuter de l’orientation stratégique que notre organisation souhaite adopter.

Du point de vue technique, nous agissons souvent en interaction avec des ministères comme ceux de la Santé ou de l’Environnement et du Changement climatique, ou ce qui était des Affaires indiennes et du Nord Canada ou Services aux Autochtones Canada. Nous avons la responsabilité nationale de présenter au gouvernement fédéral des positions venant de nos régions concernant les questions techniques et les politiques afin qu’il puisse prendre de meilleures décisions quant aux politiques, aux lois et aux programmes.

Nous faisons également de la sensibilisation et de l’éducation auprès de la population. Une tâche importante de l’ITK consiste à parler des Inuits aux Canadiens afin de leur permettre de mieux les comprendre. Nous pouvons ainsi paver la voie en vue d’édifier un pays meilleur, mieux informé et plus respectueux du peuple autochtone que forment les Inuits et des droits que nous avons.

Je pense qu’à l’heure actuelle, il existe une volonté de mieux comprendre les Inuits; nous favorisons donc cette compréhension, que ce soit en faisant des exposés ou des discours, ou en tentant de mobiliser et de soutenir des activités comme la Journée nationale des peuples autochtones. Nous fournissons une partie du cadre de base pour que les Inuits puissent raconter leur histoire à l’échelle non seulement politique, mais aussi humaine.

Nous offrons enfin un endroit pour unifier les Inuits. Par le passé, il n’existait aucune différence entre les Inuits sur le plan socioéconomique. Différents Inuits vivaient à divers endroits, mais il n’y avait pas d’Inuits du Nunavut ou d’Inuits des Territoires du Nord-Ouest; il n’y avait que des Inuits. Nous parlions divers dialectes de notre langue, et différents groupes avaient des méthodes de chasse, un gibier ou un environnement de vie légèrement différents.

Tout cela a maintenant changé, et on met tant l’accent sur les régions politiques où nous habitons et les ententes sur les revendications territoriales dont nous sommes bénéficiaires que nous perdons parfois de vue le fait fondamental que nous sommes tous, dans ce pays, des Inuits dotés d’objectifs communs et d’une même langue. L’ITK nous ramène à ce sentiment d’unité, et c’est quelque chose à quoi nous portons une grande attention quotidiennement dans le cadre de nos communications et dans la manière dont nous transmettons notre message. Ce matin seulement, j’ai participé à une émission radiophonique pour traiter de la réunion qui s’est tenue la semaine dernière sur les enfants pris en charge. Je pense qu’il est essentiel que les Inuits du Nunavut sachent que le sort de ces enfants constitue un problème dans toutes les régions habitées par des Inuits, et ce, de manières différentes.

C’est le dernier point en ce qui concerne ce que nous faisons. Ce sont là les cinq principales activités figurant au mandat de l’ITK.

Le sénateur Tannas : L’ITK n’offre donc aucun service?

M. Obed : Non.

Le sénateur Tannas : Serait-il juste alors de dire qu’elle n’a pas d’autorité sur ceux qui offrent des services, outre une sorte de force de persuasion morale qu’elle exerce dans le cadre de ses relations?

M. Obed : Oui.

Le sénateur Tannas : Considérez-vous qu’il soit très problématique que les gens que vous représentez se tournent vers vous pour les représenter au sujet de choses banales que les gouvernements font pour offrir des services, alors que vous ne disposez pas des outils nécessaires pour le faire? Qui peut agir? Cela fait-il partie du problème?

M. Obed : L’ITK a le pouvoir d’être dans cette pièce et de parler d’une seule voix. Nous n’avons aucun pouvoir sur l’affectation des fonds ou les modèles de prestation. Nous ne pouvons que prodiguer des conseils.

Dans certains cas, quelques ministères fédéraux sont disposés à collaborer avec nous pour nous aider comme ils ne le faisaient pas par le passé. Mais notre partenariat permet habituellement de créer des possibilités dans les quatre régions visées par des revendications territoriales. En raison des différences très précises entre les régions, il n’existe pas de solution unique.

Je vous donnerai un exemple concernant le financement de la prévention du suicide. Santé Canada, sous l’autorité de la ministre Philpott, a annoncé en 2016 qu’une somme de 8 millions de dollars serait accordée à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits, le jour de son lancement. C’était une nouvelle exceptionnelle, car c’était la première fois que le gouvernement fédéral finançait une stratégie de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Nous avons reçu 2 millions de dollars la première année et recevons 3 millions de dollars cette année. L’an prochain, ce sera 4 millions de dollars.

Nous avons alors travaillé avec notre comité inuit national de la santé pour déterminer comment ces fonds seraient dépensés. Chacune des quatre régions inuites reçoit une partie des fonds et la dépense d’une certaine manière pour mettre en œuvre la stratégie nationale dans sa sphère de compétences, et nous en gardons une partie pour prendre des mesures appropriées à l’échelle nationale, notamment en nous occupant des communications et en surveillant l’élaboration de programmes précis, dans le domaine des premiers soins en matière de santé mentale des Inuits, par exemple.

Nous ne nous chargeons donc pas de la prestation de services dans les communautés, comme le ferait une province, un territoire ou même une réserve des Premières Nations. Nous pouvons toutefois collaborer avec les agents de prestation de services afin de créer des possibilités en vertu des mêmes principes communs qu’a adoptés notre conseil d’administration.

Nous ne cherchons pas à devenir des agents de prestation de services aux Inuits dans l’Inuit Nunangat; nous nous occupons des structures de travail.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le sénateur Patterson : Merci de cet excellent exposé, monsieur. Vous êtes un porte-parole fort éloquent pour les Inuits.

Dans mes questions, je voudrais mettre l’accent sur ma région, le Nunavut. Tout d’abord, vous avez indiqué que les Inuits ne disposent pas de leurs propres sources de revenus, comme c’est le cas pour d’autres provinces; le gouvernement fédéral a donc un plus grand rôle à jouer afin de les soutenir. Je trouve intéressant que les Inuits du Nunavut possèdent de vastes étendues de terre et obtiennent une part substantielle des revenus tirés des ressources naturelles au titre de leur entente sur les revendications territoriales, et je parle ici de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, bien que je pense que cela soit largement le cas pour les Inuits dans d’autres régions du Canada. En fait, je viens d’apprendre que Nunavut Tunngavik Incorporated a empoché l’an dernier quelque 50 millions de dollars en redevances grâce aux revenus tirés des ressources naturelles, bien qu’elle n’ait aucun droit sur les activités extracôtières et n’en tire potentiellement aucun revenu. Le gouvernement du Nunavut, lequel représente environ 85 p. 100 des Inuits, comme vous le savez fort bien, ne possède aucune terre et ne tire aucun revenu de l’exploitation des ressources minérales du Nunavut. Pourtant, il assume des coûts sociaux, en ce qui concerne notamment les répercussions de l’exploitation, alors qu’il ne joue aucun rôle quant aux activités extracôtières et n’en tire aucun revenu.

Ma question est donc la suivante : alors que nous cherchons à établir une nouvelle relation, à quel point importe-t-il, selon vous, que le gouvernement du Nunavut assume la responsabilité de la gestion des terres et des ressources sur la côte et au large pour disposer de ses propres sources de revenus, à l’instar des provinces, afin d’offrir des programmes à sa population en grande partie composée d’Inuits? À votre avis, est-ce que ce que nous appelons « transfert des responsabilités » constitue une initiative importante pour le Nunavut et les Inuits qui y résident?

M. Obed : Le transfert des responsabilités est une priorité pour Nunavut Tunngavik depuis plus d’une décennie maintenant. Il s’agit également d’une priorité pour le gouvernement du Nunavut. J’espère que toutes les parties qui s’occupent à la question en arriveront à une entente. Il semble que plus de progrès aient été accomplis dans les Territoires du Nord-Ouest, et la conclusion d’une entente en matière de transfert des responsabilités, particulièrement lorsqu’il est question d’un gouvernement populaire, est une étape impérative afin de servir la population.

Je voudrais profiter de l’occasion pour expliquer de manière un peu plus holistique certains des échanges relatifs aux revenus. Comme leur nom l’indique, nos accords sur les revendications territoriales portent principalement sur les terres et tout ce qui concerne la certitude de la Couronne et de toutes les parties. Nos dispositions et nos accords prévoient souvent des responsabilités, non seulement pour le gouvernement fédéral, mais aussi, dans notre cas, pour les Inuits et les provinces et territoires où se trouvent les régions visées. Cependant, si on pense aux fonds qui ont été reçus, pas seulement aux versements initiaux prévus dans l’accord, mais aussi aux dispositions relatives aux pourcentages des redevances tirées des ressources naturelles ou, dans certains cas, à la propriété du sous-sol et des terres contenant des minéraux, on constate qu’ils font essentiellement l’objet d’un accord ponctuel pour une population, une société. Ce sont des versements reçus à un point dans le temps pour quelque chose destiné aux générations futures. Employant un terme quelque peu artistique, je dirais que ce serait de l’argent « éternel ». Il ne s’agit pas seulement de la manière dont le gouvernement fédéral pourrait faire un paiement de transfert au gouvernement du Nunavut au cours d’un exercice donné. L’argent remis aux Inuits pour l’extraction des ressources naturelles ou d’autres activités économiques est souvent considéré comme un bien collectif qui servira à assurer leur bien-être pour toujours, car on ne peut exploiter la même mine deux fois. Ainsi, une fois l’argent reçu, on le place dans une fiducie. Il a souvent un effet de ruissellement de diverses manières sous la forme de programmes sociaux ou d’autres initiatives, mais l’extraction des ressources naturelles n’a pas la même fin que celle qu’elle a habituellement dans le Sud, où elle a immédiatement une incidence directe et favorable sur l’économie et les programmes sociaux, selon le principe d’appel et de réponse. En outre, par rapport à ce que l’on observe dans le Sud, moins d’emplois sont créés dans l’économie d’exploitation des ressources naturelles, car le personnel vient en avion.

Je ne dis pas que c’était votre intention, sénateur Patterson; j’utilise seulement la tribune qui m’est offerte. Je pense qu’il existe un malentendu général à propos des ressources que possèdent les Inuits et les obligations que nous avons d’avoir un gouvernement populaire et d’offrir des services publics dans les provinces et territoires, des obligations que personne d’autre n’a au pays. Ainsi, si une société privée reçoit la même quantité de ressources, on n’attendra pas d’elle qu’elle gère un système de soins de santé ou d’éducation dans la province ou le territoire où elle fait de l’argent. Mais lorsqu’il s’agit de l’argent des Inuits, cela change subitement la donne et on s’attend à ce que nous appuyions des infrastructures sociales ou physiques chroniquement sous-financées afin d’assurer le fonctionnement de nos communautés.

Je crois qu’à l’avenir, dans les régions inuites visées par des revendications territoriales, il y aura un débat plus nuancé sur l’utilisation des ressources et, dans la structure d’un gouvernement autonome, sur les nouvelles responsabilités que les organisations inuites de revendications territoriales pourraient vouloir prendre. Or, ce que je voulais dire ici aujourd’hui, c’est que j’entends beaucoup dire que les Inuits ont de l’argent et qu’ils ne s’en servent pas pour régler les problèmes qui touchent directement leur population, mais c’est plus nuancé qu’on peut le croire à première vue.

Le sénateur Patterson : J’aimerais poser une autre question, si possible, madame la présidente.

Je pense que l’idée selon laquelle la gouvernance autochtone n’est pas respectée a été l’un des principaux thèmes de votre exposé. J’aimerais en discuter en parlant du Nunavut et de deux questions d’actualité, mais je veux également mentionner que, comme vous le savez bien, les consultations constituent une question très importante à la Cour suprême, dans la jurisprudence au Canada et dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Il y a, à l’heure actuelle, deux grandes questions qui touchent le Nunavut. Il y a tout d’abord ce que bon nombre de gens appellent — je crois que c’est le cas — la transformation sociale au pays en ce qui a trait à la légalisation de la marijuana. Vous n’êtes pas sans savoir que lors de l’assemblée générale annuelle de l’organisme de revendications territoriales au Nunavut, on a présenté une résolution pour se plaindre vivement du fait que la NTI n’avait pas été consultée au sujet de cette politique sociale majeure comme l’exige de façon très précise l’accord de revendications territoriales.

Au cours de la période des questions, j’ai interrogé le représentant du gouvernement au Sénat à ce sujet. J’ai posé une question ouverte : quelles consultations ont eu lieu avec les Inuits sur la question? J’ai ensuite parlé de l’obligation qui découle de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. On m’a dit que le gouvernement fédéral avait rencontré l’ITK, et on a laissé entendre que par conséquent, une consultation avait eu lieu.

J’aimerais vous entendre là-dessus. Il s’agit peut-être d’un exemple d’une mauvaise compréhension de la gouvernance inuite, même de la part des plus hauts échelons du gouvernement fédéral.

L’autre question, et je pense que vous étiez avec le président Obama et le premier ministre Trudeau lors de l’annonce d’un cadre stratégique pour l’Arctique et d’un moratoire sur l’activité pétrolière et gazière dans l’Arctique canadien et américain. C’était il y a environ un an, en décembre. Quoi qu’on puisse penser du moratoire sur l’activité pétrolière et gazière dans l’Arctique — et je sais que certaines personnes, voire peut-être de nombreuses personnes, sont d’avis que c’était une bonne décision —, j’aimerais que vous me parliez du rôle des Inuits dans les consultations sur ce sujet et, en général, sur la gestion du secteur extracôtier. C’est que, bien entendu, les collectivités inuites sont des collectivités côtières, qui ont une économie maritime et dont les efforts pour établir la souveraineté du Canada dans l’Arctique sont reconnus dans les accords de revendications territoriales. Ce sont les deux questions sur lesquelles je m’interroge et j’aimerais obtenir votre point de vue, s’il vous plaît.

M. Obed : Merci. En ce qui concerne la légalisation du cannabis, il s’agit d’une question très controversée dans nos collectivités dont a discuté le conseil d’administration de l’Inuit Tapiriit Kanatami et dont notre personnel a parlé avec le gouvernement fédéral. C’est un aspect d’une approche globale qui est nécessaire lorsqu’on consulte les Inuits dans ce pays. Cela ne dispense d’aucune façon le gouvernement du Canada de consulter les Inuits à Terre-Neuve-et-Labrador, au Québec, au Nunavut ou aux Territoires du Nord-Ouest, ou les Inuits vivant en milieu urbain. Il existe des moyens de satisfaire aux exigences de consultation, et dans chaque province ou chaque territoire, il y a différentes façons de procéder.

Je pense donc qu’on est mal informé si l’on dit que consulter une ou deux fois l’Inuit Tapiriit Kanatami peut remplacer de vastes consultations sur une question aussi importante. Imaginez si nous faisions la même chose pour les mesures législatives sur les langues autochtones, si seulement deux ou trois conversations avaient lieu avec l’ITK et qu’on disait « nous avons consulté les Inuits ». Ce serait inacceptable, et tout le monde le saurait. Or, pour une question d’intérêt public qui ne concerne pas que les Inuits, assez curieusement, on peut s’en tirer en faisant les choses à moitié.

Il y a un processus clair, un processus que nous sommes ravis de décrire, un processus dans le cadre duquel nous sommes ravis de collaborer avec les gens des ministères qui doivent se concentrer sur les consultations concernant d’importantes mesures législatives, et il est regrettable que ce soit l’interprétation que fait le ministère à ce sujet.

Pour ce qui est du moratoire dont vous avez parlé, c’est arrivé peu après une déclaration commune très progressive qui a été faite par le Canada et les États-Unis concernant l’Arctique. L’Inuit Tapiriit Kanatami a collaboré étroitement avec le gouvernement du Canada à l’élaboration du texte qui est devenu le texte final relativement à la collaboration possible entre les États-Unis et le Canada concernant l’Arctique.

Malheureusement, il y aura toujours des occasions presque trop belles pour les laisser passer qui court-circuitent le lien ou qui sont contraires aux déclarations politiques ou aux obligations légales d’un gouvernement. Je pense que nous devons parfois calmer le désir bien réel qu’a l’humain d’agir rapidement, ce qui semble être une très bonne chose, par respect pour les partenaires et les objectifs déclarés à une plus grande échelle.

L’annonce sur le moratoire qu’a faite unilatéralement le gouvernement fédéral n’a pas plu à nos régions de l’Inuit Nunangat, et nous avons également parlé d’un meilleur moyen de collaborer avant que des décisions comme celle-là soient prises.

La présidente : Avant de céder la parole à la sénatrice Raine, et au sénateur Doyle par la suite, j’aimerais poursuivre sur le sujet dont le sénateur Patterson a parlé, et il s’agit des consultations.

Monsieur Obed, vous en avez également parlé dans votre déclaration préliminaire. Vous avez dit que le gouvernement fédéral ne comprend vraiment pas comment le gouvernement inuit fonctionne et qu’il choisit qui il consultera sur différentes questions et que parfois, il ne fait pas le bon choix.

Quelles mesures devraient être prises pour que le gouvernement fédéral communique mieux et de façon plus respectueuse avec le gouvernement inuit?

M. Obed : Je pense que cela passe tout d’abord par des protocoles. S’il y a une chose à laquelle le gouvernement fédéral tient mordicus, ce sont les protocoles et la façon de traiter les gens qu’ils concernent. Souvent, pour ce qui est des politiciens et des représentants autochtones, rien n’est prévu dans les protocoles, qu’il s’agisse d’événements, de comités permanents ou même de l’accès à la Cité parlementaire.

Je crois que nous pouvons faire des choses très simples quant à l’évolution des protocoles et au respect qui peut être porté dans l’ensemble du gouvernement et systématiquement plutôt que de s’en remettre aux connaissances de la personne responsable de certains protocoles à un moment donné et à la question de savoir si elle sait qu’il existe une différence entre les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ou si elle comprend la structure politique nationale et régionale afin de lui porter le respect qu’elle mérite. Du côté politique, je crois que sur le plan des protocoles, il y a de toute évidence une lacune qui peut être comblée facilement.

En ce qui a trait à la façon de nous consulter et à la façon dont les Inuits sont invités à donner leur point de vue, il n’y a que quatre régions de revendications territoriales. Notre modèle de gouvernance n’est pas complexe au point où il n’est pas facile à comprendre si on s’attend à ce que le gouvernement fédéral le comprenne. Si l’on établit un lien entre des mesures incitatives et des mesures de rendement et le respect et l’intégration de la gouvernance inuite, ainsi que la façon dont l’examen des programmes se déroule et la façon dont l’examen des mesures législatives ou de nouvelles mesures législatives se fait dans le système fédéral, alors il y aura des résultats.

Le problème, en grande partie, c’est que chaque nouveau fonctionnaire avec lequel nous communiquons a sa propre idée de la place que nous occupons et des limites concernant sa relation avec nous. Il ne s’agit pas de réforme systématique uniquement dans des protocoles, mais également sur le plan des facteurs qui font en sorte que le problème perdure, soit le fait que rien n’incite la fonction publique à saisir les nuances de ces questions et à mettre cela en pratique par la suite.

Un grand nombre de ministres progressifs du gouvernement actuel veulent mieux faire les choses, mais ils n’ont pas le temps de faire de la microgestion à sept ou huit niveaux plus bas pour s’assurer que ce qu’ils veulent pour leur bureaucratie est mis en œuvre.

La sénatrice Raine : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Même si les sénateurs ont la possibilité d’en apprendre plus que la plupart des Canadiens sur la structure de gouvernance, il y a tant à apprendre.

J’aimerais que vous preniez quelques minutes pour revenir sur la composition de votre conseil d’administration, qui inclut les quatre présidents, et il y a le conseil des jeunes, un représentant international et des membres de groupes de femmes. Comment choisit-on ces personnes? Comment jouent-elles leur rôle? C’est que c’est important si vous avez un représentant du conseil des jeunes, par exemple, qui communique avec quatre régions différentes. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Obed : Concernant la structure de notre conseil d’administration, les quatre présidents sont les membres votants, de sorte que les décisions ne sont prises que par les gens qui représentent la totalité de la population inuite.

Les trois autres membres permanents de notre conseil d’administration sont différents en ce sens qu’ils n’obtiennent pas leur mandat d’une partie ou de l’ensemble de la population inuite. Ainsi, le Conseil national des jeunes Inuits est un organisme qui compte des représentants de toutes les régions inuites, et ses coordonnateurs forment le conseil des jeunes et choisissent un président tous les deux ans.

Maatalii Okalik, l’ancienne présidente, est presque connue de tous sur la scène fédérale maintenant. C’est une jeune femme extraordinaire. Ruth Kaviok est la nouvelle présidente depuis août dernier. Elle est ici, à Ottawa, et suit le programme d’études Nunavut Sivuniksavut. Elle travaille au Conseil national des jeunes Inuits dans le cadre d’un processus administré par l’ITK.

À l’interne, nous avons une personne qui convoque le Conseil national des jeunes Inuits. Nous avons les fonds qui permettent à ses membres de se réunir et de déterminer les questions prioritaires. Par la suite, à titre de présidente du conseil, Ruth présente ces points de vue dans le cadre des discussions du conseil d’administration de l’ITK.

Pauktuutit Inuit Women of Canada a aussi une structure différente qui est complètement indépendante de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Elle occupe des sièges au sein de tous nos sous-comités techniques. Rebecca Kudloo en est la présidente et elle est aussi membre permanente de notre conseil d’administration. L’organisation administre également des services et des programmes. De plus, elle défend les femmes inuites. Elle est une chef de file sur certaines questions comme la réduction de la violence envers les femmes, le dossier des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées ainsi que la question du renforcement socioéconomique des femmes et différentes questions touchant les femmes. Rebecca Kudloo parle au nom de son organisme dans le cadre de nos discussions.

Il y a aussi la présidente du Conseil circumpolaire inuit, qui est présentement Nancy Karetak-Lindell. Je crois que bon nombre d’entre vous la connaissent puisqu’elle a travaillé longtemps à la Chambre des communes. La présidente du Conseil circumpolaire inuit est la vice-présidente de l’ITK, et je suis le vice-président du Conseil circumpolaire inuit. Encore une fois, le conseil est la composante internationale dans les discussions du conseil d’administration.

Les trois présidentes amènent leur point de vue, mais ne prennent pas de décisions dans notre structure de gouvernance.

La sénatrice Raine : Je vais poser une question à ce sujet. Je comprends le fonctionnement de votre conseil d’administration. Pour ce qui est des liens avec le gouvernement fédéral ou les gouvernements sur votre territoire, ces personnes ont-elles un rôle à jouer au nom de l’ITK, ou est-ce que l’ITK participe à toutes les rencontres avec les différents gouvernements et s’occupe de toutes les consultations?

M. Obed : Selon la question, nous les faisons participer à toutes les discussions que nous avons, mais l’ITK joue le rôle central. Par conséquent, il n’y a pas de situations où nous cédons notre place, dans le cadre du processus de l’ITK, à nos membres permanents, tout comme nous ne permettons à aucune de nos régions inuites de prendre les rênes dans une conversation nationale.

Il y a des situations où une question régionale peut devenir une question nationale, mais habituellement, c’est qu’une région — et le Nunatsiavut l’a fait l’an dernier concernant Muskrat Falls — demande au conseil d’administration de l’ITK de prendre une position très précise concernant sa situation. Dans l’exemple que j’ai mentionné, les trois autres régions inuites ont accepté que l’ITK écrive une lettre au premier ministre. Or, ce sont des situations exceptionnelles. Généralement, l’ITK se base sur les intérêts communs dans le cadre de son travail et ses priorités correspondent aux priorités des quatre régions et non à celles d’une seule région.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup.

Le sénateur Doyle : Je vous remercie de votre exposé. C’était très intéressant.

Je voulais revenir brièvement sur vos observations sur la santé mentale et le financement du gouvernement fédéral en santé mentale. Vous avez probablement vu que dans notre journal local, on indique qu’au Nunavut, le taux de suicide a diminué un peu.

Croyez-vous que c’est le cas? Est-ce que le gouvernement fédéral fait de grands progrès à cet égard? Utilise-t-il les fonds judicieusement dans ce domaine, à votre avis?

M. Obed : Je crois que le financement en santé mentale n’est pas suffisant et que nous devons en faire davantage pour nous assurer que le financement convienne pour l’ensemble des services qu’il est essentiel de fournir afin que les meilleurs soins possible soient prodigués aux gens qui en ont besoin.

Il est choquant de constater qu’en 2018, l’Inuit Nunangat ne compte qu’un centre de traitement de la toxicomanie compte tenu du nombre de personnes de différentes générations qui ont vécu un traumatisme de même que du nombre de personnes qui vont dans des établissements de soins aux patients dans le Sud et qui doivent parcourir des milliers de kilomètres simplement pour se rendre dans un centre de traitement.

La ville de Kuujjuaq, au Nunavik, est le seul endroit où l’on trouve un établissement de soins aux patients qui offre des services actuellement dans l’Inuit Nunangat. Au Nunavut, le gouvernement a essayé à maintes reprises d’établir un établissement de soins. Il a élaboré des projets pilotes. En fait, il y avait un établissement de soins dans les années 1990, mais il a été fermé. Il se trouvait à Iqaluit.

Le fait que le gouvernement fédéral finance plus de 70 établissements de soins dans le Sud dans le cadre du Programme national de lutte contre l’abus de l’alcool et des drogues chez les Autochtones, mais qu’il ne finance pas le même type d’établissement dans l’Inuit Nunangat est un problème fondamental.

L’autre problème concerne la façon dont nous nous traitons mutuellement pour ce qui est des types de soins pouvant être reçus. Les systèmes de counselling inuit et de counselling clinique ne sont pas étroitement liés. Il n’y a donc pas de stratégie globale regroupant les soins offerts à l’échelle de la collectivité, de la région et du pays.

Tant que nous n’aurons pas davantage de respect pour les Inuits et pour les éléments de la communauté liés à la santé mentale et à la prestation de services en matière de santé mentale, je ne crois pas que nous obtiendrons les résultats que nous voulons tous en ce qui concerne les Inuits.

Il se peut qu’une personne ait besoin de soins cliniques ou qu’elle souhaite obtenir des soins dans le cadre d’une approche de guérison inuite, et souvent, ces deux choses ne sont pas exclusives. En effet, ces deux types de soins sont souvent nécessaires et parfois, même au-delà de ces considérations, les centres du Sud doivent pouvoir fournir certains soins précis à une personne.

Donc, à une époque où nous sommes confrontés à des taux de suicide élevés, nos régions font face à une capacité limitée sur le plan des services en matière de santé. Nous savons que des fournisseurs de soins de santé et des administrateurs de systèmes font de leur mieux avec les ressources disponibles et qu’ils tentent de faire compter chaque dollar et de voir le plus de clients possible, mais je sais également que des gens continuent de passer à travers les mailles du filet. Souvent, cela entraîne des conséquences étranges et imprévues. Par exemple, dans plusieurs de nos régions, la Loi sur la santé mentale est souvent utilisée comme mesure provisoire pour ceux qui sont à risque de se faire du mal. Lorsqu’on n’a pas la capacité nécessaire de s’occuper de la santé mentale d’une personne, cette personne finit par passer un certain temps en prison dans une collectivité, et elle est ensuite libérée sans avoir reçu de services. C’est seulement la fonction de notre système de santé mentale.

Je crois que nous pouvons tous convenir que ce n’est pas la bonne façon de remettre une personne sur pied. Ce n’est pas l’intervention qu’une personne souhaite obtenir lorsqu’elle vit une crise personnelle ou lorsqu’elle est en détresse.

Nous devons faire un meilleur travail et créer un meilleur système, et il ne s’agit pas de critiquer ou de réprimander les gens qui ont géré le système jusqu’ici, car je pense que ces gens font de leur mieux avec les ressources à leur disposition.

Le sénateur Doyle : Assure-t-on un suivi adéquat entre l’échelon fédéral et votre gouvernement local en ce qui concerne les rapports sur la prestation de ces services à la population?

M. Obed : Je crois qu’il existe des structures liées à la reddition de comptes et tous les fonds dépensés font toujours l’objet de mesures d’évaluation. Je crois qu’on ne nourrit tout simplement pas les attentes nécessaires. En effet, le système ne tente pas nécessairement de répondre à l’attente selon laquelle la majorité des membres de notre population doit recevoir des services appropriés en matière de santé mentale. Le système tente plutôt de maximiser l’utilisation des fonds disponibles.

C’est la même chose avec la tuberculose. En effet, notre taux de tuberculose est plus de 270 fois celui de tous les autres Canadiens nés au Canada. Le problème se pose surtout au Nunavik et dans certaines régions du Nunavut et du Nunatsiavut. Nous savons comment éradiquer la tuberculose. C’est un problème de santé publique, et nous avons les outils nécessaires pour traiter cette maladie et le système de santé publique a les outils nécessaires pour l’éradiquer. Toutefois, nos systèmes ne sont que des systèmes de gestion de la tuberculose, et lorsque la tuberculose se manifeste, nous investissons du temps, de l’énergie et des ressources avec des équipes qui savent comment retrouver et identifier les cas de tuberculose active. C’est très différent de l’approche qui vise à éliminer cette maladie.

Il s’ensuit que, souvent, le financement de ces types de problèmes de santé dans l’Inuit Nunangat ne vise pas à établir une pratique exemplaire ou à prendre une mesure concrète, mais seulement à gérer l’écart dans les résultats, afin que la situation ne s’aggrave pas. On ne tente donc pas de régler le problème une fois pour toutes.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie beaucoup de votre exposé et de vos réponses à nos questions. C’est une discussion très intéressante, et je vous en suis reconnaissante.

J’aimerais maintenant me concentrer sur deux éléments. Tout d’abord, vous avez fait référence à une approche axée sur les distinctions. Je crois que c’est une approche unique, et j’aimerais donc en entendre parler davantage. Deuxièmement, vous avez parlé de la nécessité de mieux reconnaître les Autochtones, mais surtout les Inuits.

J’aimerais savoir comment notre étude sur les nouvelles relations pourrait vous aider à obtenir une certaine partie de cette reconnaissance bien méritée, afin que nous puissions nous faire une idée des mesures concrètes que nous pouvons prendre pour y parvenir.

M. Obed : Une approche axée sur les distinctions se fonde sur la façon dont le gouvernement canadien traite les peuples autochtones depuis la création du pays, donc depuis la Confédération; il y a eu beaucoup d’improvisation et on visait surtout à répondre aux besoins particuliers de chaque époque.

À de nombreux égards, la question des Inuits a fait de moins en moins partie des intérêts fédéraux jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et juste après. Avant la Seconde Guerre mondiale, certaines collectivités faisaient partie des intérêts de la GRC. Quelques services étaient offerts, surtout dans nos plus grandes collectivités, mais ces intérêts appartenaient surtout à la Compagnie de la Baie d’Hudson ou à certains missionnaires, c’est-à-dire à l’Église.

La Cour suprême a rendu des décisions liées à notre statut, car on se demandait si les Inuits étaient des Indiens en vertu de certaines lois ou de la Constitution. Ces questions ont été posées et ont reçu une réponse partielle au fil du temps. Le rapatriement de la Constitution nous a permis d’être expressément nommés dans la Constitution, et je remercierai toujours mes prédécesseurs politiques, qui sont également mes collègues politiques dans de nombreux cas, du travail extrêmement difficile qu’ils ont accompli dans les années 1980.

Toutefois, en ce qui concerne les programmes fédéraux et l’élaboration de politiques et, souvent, nos structures législatives, on a tout simplement adopté une approche universelle lorsqu’il s’agit des Autochtones. Souvent, les modalités des programmes et des politiques ne mentionnent pas du tout les différences très évidentes entre les types de peuples autochtones de notre pays.

Je l’ai dit souvent, mais nous n’avons pas créé cette étrange structure qui gouverne nos relations avec les provinces, les territoires ou le gouvernement fédéral. Ces relations ont été créées par des tables de discussion comme celle-ci au cours des 150 années pendant lesquelles on a tenté de déterminer la meilleure approche à adopter selon l’époque.

Une approche axée sur les distinctions permet de prendre des décisions de façon à respecter les ententes existantes qui sont intactes, car tout le monde est censé les comprendre et agir en conséquence. Les modalités des programmes ne devraient donc pas involontairement exclure un groupe d’Autochtones, comme c’est le cas depuis très longtemps.

Lorsqu’on crée le budget fédéral et qu’on y inclut les peuples autochtones, on se fonde toujours sur cette idée fausse selon laquelle tous les peuples autochtones sont visés par le terme « Autochtones ». Par exemple, dans les 8 milliards de dollars annoncés dans le budget de 2016 pour les peuples autochtones, seulement quelque 150 millions de dollars étaient attribués expressément aux Inuits, même si on disait que cet investissement était « meilleur que Kelowna », et la grande majorité de ce financement a été attribuée à d’autres peuples autochtones. Si je devais préciser une catégorie, je dirais que ce financement sert en grande partie les intérêts des Premières Nations. Nous ne disons pas que ces fonds n’étaient pas nécessaires pour les Premières Nations et nous n’exigeons pas qu’on nous remette des fonds qui auraient autrement servi à financer de bons projets qui profitent à d’autres peuples autochtones du pays. Nous soutenons seulement que lorsque le gouvernement du Canada effectue un investissement et qu’il crée des programmes, des politiques ou des lois, il devrait tenir compte de sa propre structure, de sa gouvernance et des règles qui régissent la prestation de services et les différentes compétences, ainsi que les interactions avec les peuples autochtones.

Je crois que la façon la plus rapide d’obtenir de meilleurs résultats consiste à s’informer sur les réalités politiques, et ensuite sur les réalités liées à l’admissibilité pratique, des interventions qu’on tente de créer. Trop souvent, nous avons été obligés de composer avec des circonstances très étranges qui ne correspondaient pas nécessairement à nos priorités et qui excluaient certaines parties de nos populations, tout simplement à cause du processus utilisé.

On offre, dans notre pays, des programmes auxquels certaines de nos régions inuites sont admissibles, mais pas d’autres. Y a-t-il une raison pour cela? Non. C’est seulement à cause de la façon dont le programme a été créé. Nous devons cesser de trouver cela acceptable. Une approche axée sur les distinctions nous permet d’adopter une façon plus éclairée de travailler avec les peuples autochtones de notre pays.

En ce qui concerne la reconnaissance au niveau politique ou dans la façon dont nous comprenons les travaux que nous menons, cela revient encore une fois aux principes fondamentaux de notre relation. Nous avons investi, pendant des générations, nos plus brillants esprits dans la création et la mise en œuvre d’accords de revendications territoriales. Nous sommes tous concernés.

La réussite ou l’échec de notre société est souvent lié à la mise en œuvre de nos accords de revendications territoriales, car nous avons participé aux discussions malgré tout ce qui nous est arrivé, c’est-à-dire malgré les pensionnats et les réinstallations forcées et une série d’autres choses. Nous avons décidé de nous mettre au travail, de créer une nouvelle relation et de trouver une façon de collaborer dans le respect mutuel.

Trop souvent, nous avons l’impression qu’on ne respecte pas complètement cet esprit et l’intention que nous avons mis dans nos revendications territoriales, et que le gouvernement fédéral se contente de se conformer aux exigences de base de ces accords, plutôt que de respecter les principes et l’intention de l’ensemble des projets.

Nous tentons toujours de bâtir un Canada complet, et les accords de revendications territoriales représentent des documents essentiels dans le cadre de nos efforts à cet égard, et nous avons tous signé ces accords. La beauté de ce message, c’est que nous sommes maintenant en 2018, et nous avons déjà dit que nous ferions ces choses. Il n’est pas nécessaire de lutter dans le cadre de conversations partisanes et d’une série de structures législatives pour accomplir d’excellentes choses pour l’Inuit Nunangat. En effet, il suffit de déterminer la façon de mieux utiliser les mécanismes que nous avons créés afin d’obtenir les résultats que nous souhaitons tous obtenir.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup, monsieur Obed, de votre témoignage extrêmement pertinent, de votre riche expérience et des années que vous avez passées à accomplir ce travail.

Vous avez abordé plusieurs domaines que j’aimerais vous encourager à préciser. En particulier, vous avez parlé de certains des travaux que vous avez menés — les médias en parlaient la semaine dernière — sur les accords visant les enjeux liés à l’aide sociale à l’enfance et les préoccupations liées à l’avenir des jeunes Inuits. Je crois que votre citation était particulièrement appropriée — et j’aimerais que vous nous en parliez davantage — lorsque vous avez parlé de la tragédie des enfants inuits qui étaient confiés aux soins d’une culture qui accorde une grande valeur à ses enfants. Vous avez dit que cela s’éloignait de ce que nous voulons être comparativement à ce que nous sommes. De plus, j’ai remarqué que votre organisme a parlé des enjeux liés aux protecteurs de la terre — et vous avez également mentionné cet enjeu plus tôt —, c’est-à-dire lorsqu’on emprisonnait les protecteurs de la terre dans le Nord. Vous avez également parlé des traitements inadéquats, surtout dans le cas des programmes internes, et cetera. Vous n’avez pas parlé directement de cet enjeu, mais je présume que vous connaissez très bien ce sujet. Souvent, lorsque les ressources pour les soins de santé, la toxicomanie, la santé mentale et même la violence contre les femmes sont inadéquates, on a automatiquement recours aux prisons. Lors de ma plus récente visite à Iqaluit, j’ai été étonnée de constater qu’on avait construit de nouvelles cellules de prison, mais qu’on n’avait pas ajouté de lits dans les refuges et dans les centres de traitement. Vous avez aussi mentionné que le centre de traitement était en train de fermer là-bas.

Après ce très long préambule — merci, madame la présidente et membres du comité, de votre indulgence —, j’aimerais savoir comment, à votre avis, ces décisions stratégiques devraient être prises. Selon vous, quels principes pourraient guider cette nouvelle relation, et comment les gouvernements des échelons fédéral, provincial, territorial et municipal peuvent-ils contribuer à préparer le terrain de façon à inclure la décolonisation de l’aide sociale aux enfants, de la santé mentale, des traitements, de la toxicomanie, ainsi que du système de justice pénale? C’est une grosse question, mais je crois que vous n’aurez aucun problème à répondre.

M. Obed : Une grande partie des points que vous avez soulevés découlent des inégalités sociales, et le travail relatif à la prévention du suicide accompli par notre organisme et de nombreux autres organismes inuits est lié à notre réalité qui elle-même est le résultat prévisible de plusieurs facteurs de risque présents dans nos collectivités qui contribuent non seulement à un risque de suicide plus élevé et aux idées liées au suicide, mais également à plusieurs autres indicateurs liés au statut socioéconomique — par exemple, des niveaux d’éducation peu élevés, des problèmes de santé mentale non diagnostiqués, la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Le défi qui se pose, dans notre société, c’est de tenter de faire de notre mieux avec les ressources à notre disposition et tenter de recréer une situation que nous souhaitons tous, c’est-à-dire une société en santé qui s’occupe de ses enfants, qui les élève dans un environnement sain et qui permet à sa population de profiter de toutes les occasions offertes aux autres citoyens de ce pays, sans que nous devions sacrifier notre identité inuite et notre langue pour avoir le même niveau d’ambition que tous les autres Canadiens et pour avoir accès à toutes les possibilités qui leur sont offertes.

Ce sont des paroles très ambitieuses, et c’est ce qui nous motive à faire notre travail. Nous connaissons les défis auxquels nous faisons face.

La protection de l’enfance représente un autre facteur de risque très élevé pour un grand nombre de nos gens en raison de la façon dont fonctionne le système de protection de l’enfance et de la façon dont il fait automatiquement disparaître l’identité des personnes qui se retrouvent dans ce système et ne leur offre pas le même niveau de soutien et les mêmes possibilités qui leur aurait autrement été offertes s’ils avaient reçu de meilleurs soins. Nous devons mieux nous occuper de nos enfants, et c’est un enjeu qui a été exprimé par tous les Inuits et toutes les compétences lors de notre réunion de la semaine dernière, c’est-à-dire la réunion d’urgence sur les soins aux enfants.

Toutefois, nous devons d’abord déterminer la bonne façon de procéder. Tout d’abord, les premières mesures à prendre ensemble dans le cadre de cette nouvelle relation devraient viser à prévenir les traumatismes chez les enfants et à prévenir l’insécurité alimentaire, et à mieux protéger les personnes qui s’occupent de nos enfants. Ce sont les enfants actuels et ceux qui s’en occupent qui peuvent briser le cycle du traumatisme intergénérationnel. Ces gens, si on leur en donne l’occasion, se trouveront dans des situations où ils seront les forces et les piliers de leurs propres collectivités, mais ils auront également la confiance et les capacités nécessaires de travailler au nom de leur peuple de la façon dont nous voulons qu’ils le fassent

Nous souhaitons beaucoup de choses pour nous-mêmes, nos collectivités et nos enfants en 2018. Nous voulons que toutes nos pratiques culturelles, linguistiques et sociétales deviennent une partie intégrante de nos enfants et de nous-mêmes. Nous voulons notre riche identité inuite, et nous sommes très fiers d’être Inuits. Nous voulons également profiter de toutes les occasions qui sont offertes aux Canadiens, que ce soit par l’entremise de l’enseignement formel, de l’emploi ou d’autres possibilités. Certains de nos enfants rêvent de devenir des joueurs de hockey. Mon fils souhaite devenir ichtyologiste. Nous avons tout simplement des souhaits généraux de Canadiens en plus de nos souhaits sociétaux d’être Inuits et d’être des Inuits fiers et de devenir des éléments positifs de notre collectivité.

Nous sommes confrontés à tellement d’obstacles. Nous entendons des histoires tragiques de jeunes adultes qui ont vécu en foyer d’accueil et qui n’ont jamais eu l’occasion d’apprendre leur langue ou d’établir un lien avec la terre ou leurs aînés. Ce sont des choses pour lesquelles les systèmes doivent payer ensuite. Alors, quand il est question de l’aide à l’enfance, de la protection de l’environnement ou des services en santé mentale ou même de la surreprésentation des Inuits dans les pénitenciers, il faut parler de l’identité et des possibilités qui sont offertes. Si nous ne permettons pas à nos jeunes, à nos enfants et à nos tout-petits d’avoir des bases solides afin de mener une bonne vie, alors nous continuerons d’être confrontés à ces difficultés et nous ne serons pas en mesure de nous en occuper nous-mêmes.

Les facteurs de protection et l’investissement dans la réussite favoriseront le succès, mais il ne faut pas cesser de fournir des services à ceux qui vivent une crise actuellement. Il ne suffit pas d’investir uniquement dans un groupe de la population. Nous devons connaître la voie à suivre et nous assurer que tous nos citoyens obtiennent les soins dont ils ont besoin.

La sénatrice Pate : Je vous remercie.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie, monsieur Obed, pour cet exposé très utile et pour cette conversation avec nous.

J’ai besoin de vos conseils. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Lors d’une mission interparlementaire de l’OTAN, en septembre 2017, à Yellowknife et Resolute Bay, organisée par le ministère de la Défense, j’étais la seule parlementaire canadienne. D’après ce que je comprends, car je pose des questions depuis mon retour, la principale chose qui me pose problème est le fait que, même si plus de 10 pays étaient représentés lors de cette mission interparlementaire de l’OTAN — et je dois dire que nous avons été extrêmement bien reçus par les forces armées et que la planification, d’après ce que je sais, a été effectuée par le ministère de la Défense —, nous n’avons rencontré aucun chef inuit durant toute la mission. Nous avons demandé à plusieurs reprises de rencontrer un chef inuit durant la mission, car cela n’avait pas été prévu avant, mais, durant les cinq jours que nous avons passés dans le Nord, nous n’avons rencontré aucun chef inuit.

La relation avec les Rangers nous a été décrite d’une manière très positive, mais nous avons seulement eu droit à une description. Nous n’avons rencontré aucun Ranger. Je sais que ma question est différente des autres, mais pouvez-vous nous aider à déterminer s’il serait nécessaire de modifier la relation entre les Inuits et les forces armées, dont les membres constituent très souvent la majorité de la population dans une région donnée? J’aimerais obtenir vos commentaires à ce sujet, car je suis perplexe.

M. Obed : Je vous remercie.

La relation entre les Inuits et les militaires est fascinante, et elle remonte à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Ce sont principalement les Américains, à cette période, qui ont construit les systèmes de détection lointaine qui se trouvent à trois différentes latitudes dans l’Arctique canadien et dans la région subarctique. Un grand nombre de nos infrastructures essentielles, particulièrement nos pistes d’atterrissage, ont été construites par des militaires américains dans certaines de nos collectivités. Ainsi, à Iqaluit, à Kuujjuaq et à Goose Bay, un certain nombre de ces pistes d’atterrissage n’ont pas été aménagées par des Canadiens.

La relation entre les Inuits et les militaires est tout aussi importante dans de nombreuses communautés que celle avec l’Église ou le gouvernement canadien, mais une distance s’est créée au fil du temps, car au début, il s’agissait d’une domination complète. Les Inuits n’avaient aucun mot à dire sur ce qui se passait. Le gouvernement canadien a conclu des ententes avec le gouvernement américain durant la Seconde Guerre mondiale qui ont permis ensuite aux militaires d’être présents dans l’Arctique canadien. Les Inuits n’ont eu aucun mot à dire à ce sujet, et puis, au fil du temps, ces ententes se sont appliquées aux soldats de l’OTAN dans certaines régions de l’Arctique canadien. Les systèmes de détection lointaine sont encore en fonction, et, à un moment donné, ce sont des Inuits et un regroupement d’entreprises inuit qui en assuraient le fonctionnement. Le contrat à cet effet est maintenant attribué à Raytheon parce que le conglomérat inuit a perdu ce contrat il y a cinq ou six ans.

Le gouvernement canadien, particulièrement au cours des 10 à 15 dernières années, s’est concentré sur des questions de souveraineté et sur la formation à grande échelle, ce qui souvent n’a pas permis d’établir des liens avec les communautés, et par conséquent, la démonstration de force par l’armée canadienne dans l’Arctique canadien n’est pas nécessairement appréciée par les Inuits.

En outre, le gouvernement fédéral s’est efforcé de parler des « gens du Nord ». Habituellement, lorsqu’il est question de souveraineté et de forces armées, les Inuits et leurs revendications territoriales ne sont pas pris en compte. On met l’accent sur la « population du Nord », et c’est décourageant pour ce groupe de personnes qui sont les principaux résidants et les propriétaires d’Inuit Nunangat et qui en assurent conjointement la gestion. Nous sommes exclus des dossiers liés à la souveraineté canadienne, et en tant qu’Inuit, j’estime que le gouvernement fédéral dans son ensemble devrait faire un effort à cet égard.

Pour ce qui est de la façon dont le Canada se présente au reste du monde en ce qui concerne ses forces armées, les ressources dont il dispose, leur utilité et les endroits où elles se trouvent, je crois que nous pourrions avoir davantage de respect pour les Inuits et l’Inuit Nunangat relativement à la façon dont les Forces armées canadiennes agissent dans l’Arctique.

Le sénateur Christmas : Je vous remercie, monsieur Obed. J’aimerais reconnaître le travail que vous effectuez pour faire progresser les relations entre les Inuits et la Couronne. En particulier, je m’intéresse au Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne qui a été mis sur pied récemment. Comme notre comité regarde toujours vers l’avenir, j’aimerais vous demander quelles sont vos attentes ou vos principales priorités en ce qui a trait à ce comité de partenariat.

M. Obed : Je présume que le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne est un outil politique qui nous permettra de travailler sur des priorités conjointes. Le gouvernement fédéral aura toujours des priorités précises dans le cadre de son mandat. Dans votre système partisan, chaque fois qu’il y a un changement de gouvernement, il y a un changement radical dans la façon dont les priorités sont exprimées et abordées.

De notre côté, il n’y a pas autant de fluctuations; nos priorités ne changent pas autant. En effet, dans certains cas, elles sont demeurées relativement les mêmes depuis 20 ou 30 ans. Quand je repense au problème du logement, que l’ITC avait qualifié de situation de crise en 1987, alors qu’elle essayait d’exercer des pressions sur le gouvernement fédéral pour qu’il intervienne dans ce dossier, je me dis que je pourrais reprendre les mêmes propos aujourd’hui, car le conseil d’administration m’autorise à répéter ces propos au gouvernement fédéral.

Ce nouveau Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne permettra de déterminer les priorités conjointes chaque année. Pour la première année, nous avons déterminé six priorités sur lesquelles nous allons systématiquement travailler ensemble. Il ne s’agit pas uniquement des priorités du gouvernement fédéral ou de celles des Inuits, il s’agit de priorités communes sur lesquelles nous avons décidé de travailler ensemble. Je crois que c’est extrêmement important afin que ce comité ne soit pas une tribune que nous offre le gouvernement fédéral et les politiciens fédéraux pour que nous puissions dire que nous avons fait un gain politique et que le gouvernement fédéral se penchera sur nos problèmes. Ce n’est pas le genre de comité auquel je veux siéger avec des ministres fédéraux. Je ne veux pas non plus que quatre ou cinq ministres y siègent avec des mandats précis, et que rien d’autre ne fasse l’objet de discussions. Nous avons été très clairs avec les ministres fédéraux qui font partie du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne. Le comité est composé d’environ quatre ou cinq ministres fédéraux et de dirigeants inuits, qui représentent la structure de notre conseil que j’ai décrite tout à l’heure.

Les ministères fédéraux représentent la Couronne. Ce sont des ministres d’État, qui travailleront avec nous pour faire progresser le travail sur les priorités communes, et non seulement leurs propres priorités, ce qui constitue un énorme pas en avant par rapport à leur façon habituelle de travailler, qui consiste à s’occuper de leurs propres champs de compétence et à ne pas se soucier de ce qui ne relève pas d’eux, car c’est la responsabilité de quelqu’un d’autre. Cela pose souvent un problème pour les Inuits parce que nos enjeux relèvent de diverses sphères de compétence. Nous pouvons passer deux ans à nous adresser à cinq ministres différents et à obtenir la même réponse de chacun d’eux, c’est-à-dire : « J’aimerais bien vous aider, mais vous devez vous adresser à tel ou tel ministre. » Nous voulons centraliser la reddition de comptes au sein de ce partenariat entre les Inuits et la Couronne, de sorte que le premier ministre et le président de l’ITK s’entendent sur un certain nombre de priorités, et que l’ensemble du gouvernement travaille sur ces priorités avec nous, qu’il s’agisse de la création d’une politique visant l’Inuit Nunangat, la création d’un cadre stratégique pour l’Arctique qui respecte les Inuits ou l’élaboration de mesures concernant l’éducation, le logement, les soins de santé, la tuberculose ou la réconciliation.

Nous voulons éliminer les obstacles qui ont toujours existé, qui sont souvent liés à l’accès en temps voulu. Même si un ministre de la Couronne est sympathique, si nous ne pouvons pas lui parler pour l’amener à travailler avec nous à un moment précis, alors nous n’avancerons pas.

En ce qui concerne les mesures de réconciliation, il y a encore un certain nombre de cas de violations des droits de la personne qui ne sont pas réglés. Soit que les tribunaux en sont saisis, soit que des groupes exercent des pressions directement sur le gouvernement fédéral pour qu’il règle ces dossiers. Nous pensons que le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne pourrait élaborer un plan de travail en vue de régler ces cas de violations des droits de la personne pour que les personnes concernées n’aient pas à passer les cinq ou six prochaines années à s’adresser à différents ministères fédéraux. Nous aurions l’assurance que ces dossiers seront prioritaires, non seulement pour le ministère de la Justice ou le ministère des Affaires autochtones, mais aussi pour des organismes centraux comme le Bureau du premier ministre et le Bureau du Conseil privé.

Le problème, c’est que ce n’est pas de cette façon que le gouvernement a l’habitude de travailler, et ce qui préoccupe principalement tout gouvernement, c’est de protéger les objectifs et la stratégie. Il faut être ouvert à travailler ensemble, à essayer de trouver des façons de faire les choses ensemble et de respecter les partenaires pour que nous puissions travailler conjointement du début à la fin plutôt que d’arriver à la fin avant que nous ayons même commencé la conversation, en faisant une annonce dont il faut ensuite comprendre le sens. C’est une tout autre façon de travailler.

Je crois que nous avons fait de grands progrès au cours de la première année. Nous allons bientôt avoir notre deuxième rencontre avec le premier ministre, à la fin mars, et nous allons procéder à une annonce conjointe à propos des progrès que nous avons réalisés au cours de la première année de négociation, parce que la subjectivité doit être remplacée par une perspective commune. C’est la seule façon de parvenir à la réconciliation. Le gouvernement fédéral ne peut pas prétendre qu’il a réussi la réconciliation avec les Autochtones sans ses partenaires autochtones. C’est impossible.

Le sénateur Christmas : Pensez-vous que ce comité de partenariat est la voie de l’avenir pour une relation de nation à nation entre les Inuits et la Couronne?

M. Obed : Je crois qu’il peut jouer un rôle essentiel dans le renouvellement de la relation. Son mandat est très précis. Ce comité a été conçu pour se pencher uniquement sur quelques grandes priorités d’ordre national qui sont suffisamment importantes pour qu’on doive faire appel au Bureau du premier ministre ou qu’on ait recours à des mécanismes pour faire en sorte que les ministères travaillent ensemble, que les délais soient respectés, que le ministère des Finances attribue le financement grâce aux processus budgétaires. Nous pensons qu’il y aura toujours entre cinq et sept grandes priorités sur lesquelles nous voudrons travailler au cours d’une année donnée.

Nous croyons également que des ministères et l’ITK ou des présidents régionaux inuits pourraient élaborer des plans de travail précis pour des éléments sur lesquels nous voulons travailler ensemble. Il n’y aura pas toujours des priorités sur lesquelles nous devrons travailler avec chaque ministère, mais lorsqu’il y en aura, pourquoi ne pas créer une structure qui permettrait de donner des résultats et de rendre mutuellement des comptes en dehors des tribunaux, des litiges ou des revendications territoriales?

Le problème, c’est que le gouvernement fédéral décide toujours de la façon dont il prendra les décisions, des domaines où il investira et des personnes qu’il souhaite ou non écouter.

Je crois que le problème est le suivant. Si vous dites que vous souhaitez une relation renouvelée, que vous souhaitez respecter les peuples autochtones et leur gouvernance et que vous voulez moderniser les nations, si c’est ce que vous souhaitez en tant que gouvernement, mais que vous n’arrivez pas à déterminer comment être un partenaire, alors que peut-on faire?

C’est la question que nous nous posons souvent au sein de notre conseil d’administration. Nous avons une compréhension très claire de ce que signifie une relation renouvelée et le respect de nos ententes sur les revendications territoriales ou des Inuits en tant que peuple autochtone, mais si nous ne participons pas à la prise de décisions à propos de certains des dossiers les plus importants auxquels nous sommes censés travailler ensemble, comment ce nouveau respect peut-il avoir lieu?

Je crois que nous allons régler ces petits problèmes au fil du temps. Ils nous causent beaucoup de frustration, mais ils nous donnent aussi beaucoup d’espoir.

La présidente : Nous allons passer au deuxième tour. Je crois que le sénateur Tannas avait une question à poser.

Le sénateur Tannas : Oui, en effet. C’est le temps de parler d’argent.

En septembre, le premier ministre Trudeau s’est adressé aux Nations Unies et il a avoué que le Canada avait manqué à son devoir à l’égard des peuples autochtones au cours des 150 dernières années, et on l’a critiqué à maintes reprises pour avoir utilisé cette tribune pour se flageller lui-même ainsi que tous les Canadiens. Je crois en fait qu’on n’a pas bien rendu compte de son discours. On a passé sous silence bien des passages qui portaient sur l’espoir et l’action. La perception qu’on a est attribuable à une partie de son discours.

Supposons que, dans 20 ans, une première ministre canadienne s’adresse aux Nations Unies pour parler de la réussite du Canada et du fait qu’il y a tout lieu de célébrer notre relation avec les peuples autochtones et d’en être fiers. Lorsqu’elle parlera des Inuits, en deux ou trois phrases pour faire état de cette réussite, et qu’elle affirmera qu’il s’agit d’un exemple à suivre pour les autres dirigeants dans le monde, quelles seraient selon vous ces deux ou trois phrases?

M. Obed : Eh bien, je présume qu’elle est Inuite.

Des voix : Bravo!

M. Obed : Je crois que les Inuits ont toujours envisagé la relation avec la Couronne d’un point de vue pragmatique. J’ai deux ou trois choses à dire. Je dirais que, d’abord et avant tout, son discours ne refléterait pas une mauvaise compréhension des Inuits et de la réalité des peuples autochtones ou qu’il n’exclurait pas les Inuits en tant que peuple autochtone, comme l’a fait le premier ministre dans son discours.

L’idée selon laquelle le gouvernement fédéral sera disposé à offrir de l’argent et du soutien aux peuples autochtones lorsqu’ils seront prêts à devenir maîtres de leur propre destinée ne cadre pas avec la réalité des Inuits en ce qui concerne les ententes sur les revendications territoriales, l’autonomie gouvernementale et le transfert des responsabilités. Nous sommes déjà prêts.

J’ai dû réfléchir aux paroles qui ont été prononcées et à l’idée que nous ne sommes pas perçus comme un exemple de réussite aujourd’hui, alors je ne sais pas si dans 20 ans nous parlerons de ce qu’on a fait pour que nous réussissions au sein de la Constitution canadienne aux yeux du Canada. Nous sommes prêts. Il s’agit maintenant de déterminer la façon de faire et de respecter les promesses que le gouvernement a faites à l’intention des peuples autochtones.

Parlons de la réussite dans nos collectivités. Lorsque j’étais directeur du développement social et culturel, j’ai suivi un processus au Nunavut en vue de créer une stratégie de réduction de la pauvreté pour le territoire. Nous avons posé la question suivante à toutes les personnes qui sont venues assister aux séances d’information dans 25 communautés, à savoir : À quoi ressemble votre collectivité?

D’abord et avant tout, les gens étaient d’avis qu’une communauté doit être en santé, alors je crois que nos indicateurs de la santé seront étroitement liés à nos indicateurs de l’autodétermination, à nos modèles de gouvernance, à notre scolarisation et à notre situation socioéconomique.

Si nous sommes en santé, nous pouvons vivre nos vies comme nous le souhaitons. Les gens peuvent s’accommoder du fait qu’un cours préalable en biologie ne soit pas offert dans une petite communauté. Les gens peuvent également apprendre l’inuktuk comme langue seconde à l’âge adulte à défaut de l’avoir appris dans le cadre du programme scolaire. Par contre, si vous avez vécu des choses terribles dans votre enfance et que vous vivez des difficultés sur tous les plans en essayant simplement d’être une personne fonctionnelle, alors on ne parle même pas de réussir dans la vie.

Je crois que la santé des Inuits, leur contribution à la démocratie canadienne, le respect de l’autodétermination de l’Inuit Nunangat, le rôle que cette région joue non seulement au Canada, mais aussi à l’échelle internationale et nos réussites sur le plan des changements climatiques sont tous des éléments de fierté dont les Canadiens et un premier ministre canadien voudraient parler en s’adressant à la communauté internationale en ce qui concerne la contribution des Inuits et la place qu’ils occupent au pays.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie.

La présidente : Notre séance de deux heures tire à sa fin. Nous avons le temps pour une brève question de la part de la sénatrice Raine.

La sénatrice Raine : Je vous remercie beaucoup. J’ai une brève question. J’étais contente que vous mentionniez que vous n’avez pas été consultés, que vous étiez mécontents de ne pas avoir été consultés au sujet du projet de loi sur le cannabis.

Est-ce que l’ITK a le pouvoir de décider de ne pas mettre en œuvre cette loi sur votre territoire?

M. Obed : Non. L’ITK ferait en sorte de travailler auprès des parlementaires, du Sénat, pour veiller à ce que les intérêts et les points de vue des Inuits soient pris en compte lors de l’élaboration du projet de loi ou de la mise en œuvre de la légalisation du cannabis. Je ne dis pas que nous n’avons pas été consultés du tout, mais si certaines de nos régions estiment qu’elles n’ont pas été consultées dans la mesure qu’elles jugeaient appropriée, nous préconiserions avec vigueur qu’elles soient consultées comme elles le souhaitent.

Le cas de Clyde River a été mentionné tout à l’heure en ce qui concerne les consultations, et c’est une nouvelle norme très importante qui a été établie en matière de consultation avant la prise de mesures par le gouvernement qui concernent les intérêts des Inuits ou des peuples autochtones.

J’espère que nous pourrons utiliser ces décisions récentes et qu’on respectera notre santé et nos petites collectivités.

La sénatrice Raine : Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie. Nous sommes rendus à la fin de notre séance. Au nom du comité, j’aimerais remercier notre témoin d’aujourd’hui, M. Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Je vous remercie beaucoup pour votre témoignage, en particulier vos derniers commentaires à propos de la nouvelle structure. Je pense que notre comité est très enthousiaste à propos de votre vision de l’avenir.

(La séance est levée.)

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