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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 32 - Témoignages du 13 février 2018


OTTAWA, le mardi 13 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 4, pour poursuivre son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Bonjour. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et membres du public qui participent ici même à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou qui nous regardent sur le web.

Dans l’esprit de la réconciliation, je tiens à reconnaître que nous nous réunissons sur les terres non cédées des peuples algonquins. Mon nom est Lillian Dyck, de la Saskatchewan. Je suis présidente du comité et je vous souhaite à tous la bienvenue.

J’inviterais maintenant les autres sénateurs à se présenter.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La présidente : Merci, sénateurs.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur la forme que pourraient prendre les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous continuons d’examiner les principes de telles relations.

Nous accueillons aujourd’hui Tracy O’Hearn, directrice exécutive, et Rose Mary Cooper, conseillère politique auprès de la direction, de Pauktuutit Inuit Women of Canada.

Mesdames, je vous cède toute la place. Lorsque vous aurez terminé votre exposé, nous passerons aux questions des membres. Vous avez la parole.

[Note de la rédaction : la témoin s’exprime dans sa langue.]

Rose Mary Cooper, conseillère politique auprès de la direction, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Bonjour. Je suis très heureuse d’avoir été invitée à comparaître aujourd’hui. Pauktuutit est une organisation nationale pour les femmes inuites qui soutient activement, promeut et défend les femmes inuites du Canada. Je suis très heureuse d’être ici et nous sommes impatients de discuter avec vous et de répondre à vos questions.

Tracy O’Hearn, directrice exécutive, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Je tiens à remercier l’honorable présidente de nous avoir invitées à comparaître, ainsi que le vice-président, certaines vieilles connaissances et de nouvelles.

La présidente de Pauktuutit, Rebecca Kudloo, participe en ce moment au sommet circumpolaire de l’éducation, à Nuuk, au Groenland. Sinon, elle aurait été très heureuse de pouvoir s’entretenir avec vous aujourd’hui.

Comme le disait Rose Mary, Pauktuutit a été créé en 1984 et défend depuis plus de 30 ans l’égalité des femmes inuites de façon générale, tant au sein de leurs propres communautés et de la société que dans l’ensemble du pays. Habituellement, nos priorités portent sur l’égalité des femmes et certaines questions bien précises, comme la violence contre les femmes, les abus sexuels contre les enfants, un large éventail de questions relatives à la santé, et le développement socioéconomique, y compris l’infrastructure et l’habitation. Ce sont les domaines sur lesquels Pauktuutit se concentre habituellement.

En prévision de notre témoignage d’aujourd’hui, j’ai réfléchi à la nouvelle relation à laquelle le premier ministre s’est engagé, à l’engagement qu’il a pris envers l’égalité des femmes au Canada. Certains éléments fondamentaux sont déjà en place, mais nous devons en faire davantage pour mettre en œuvre ces engagements. Je vais vous donner un exemple.

Le gouvernement fédéral consulte souvent les cinq organisations autochtones nationales. Je suis convaincue que cela n’a rien de nouveau pour vous, mais, trop souvent, les femmes autochtones n’ont pas la possibilité de s’exprimer dans le cadre de ces dialogues nationaux très importants, de l’élaboration de politiques et de la création d’initiatives. L’une des choses auxquelles nous avons hâte, et j’espère que certains nous aideront à cet égard, c’est que Pauktuutit puisse siéger à la table où est mené ce processus d’examen des lois auquel le gouvernement fédéral s’est engagé.

À mon avis, de façon générale, pour créer une nouvelle relation avec les femmes autochtones, il faudra reconnaître la diversité des femmes des Premières Nations, inuites et métisses. L’Arctique est unique. La géographie et les conditions sociales y sont uniques; le manque d’infrastructures y est unique. L’ouverture du passage du Nord-Ouest et les conséquences que cela aura sur les communautés soulèvent certaines inquiétudes.

Ce ne sont là que quelques exemples de changements qui doivent être apportés à l’élaboration de politiques et à la création d’initiatives fédérales pour favoriser l’égalité des résultats, pas simplement l’égalité des traitements.

Il s’agit d’un autre exemple important où la participation des femmes autochtones est nécessaire dans le Nord. Trop d’enfants ne mangent pas à leur faim au pays. Je ne veux pas avoir l’air négative, mais Pauktuutit n’a pas pu participer de façon utile au débat et à la discussion.

Mme Cooper : J’aimerais ajouter une chose au sujet du programme Nutrition Nord. Nous avons consulté les résultats de vos examens du programme Nutrition Nord et du poids par rapport à une alimentation saine. Nous devons effectuer un examen complémentaire sur les aliments traditionnels et les aliments courants. Comment les enfants d’aujourd’hui se nourrissent-ils?

Vous avez effectué un examen des SSNA et des soins dentaires. Des liens solides ont été établis entre une mauvaise alimentation et des problèmes de santé et de bien-être.

Traditionnellement, les hommes et femmes inuits jouent des rôles très importants qui sont parfois interchangeables. Ce sont des nomades qui vivent de la faune et de la flore, mais aujourd’hui, nous avons des communautés — des communautés qui vivent avec les conséquences des pensionnats et tout ce qui entoure cet épisode.

La dynamique change et évolue avec le temps, mais les conditions sociales et de santé demeurent un défi pour les communautés inuites.

Les besoins sont énormes en matière d’infrastructures et de logement dans le Nord.

Lorsqu’on regarde toutes les conditions sociales et de santé dans le contexte inuit, le gouvernement a tendance à travailler en silos et à se concentrer sur la santé et la justice, mais, pour les Inuits, tout cela fait partie d’un cercle holistique. Tout est interrelié, qu’il s’agisse du système judiciaire, du système de santé ou du système social. Quel est l’impact de ces politiques et mesures législatives sur les communautés?

Nous devons vraiment examiner la question avec une perspective autochtone. Quelle serait une autre façon d’examiner les politiques ou mesures législatives? C’est une question qu’il faut revoir périodiquement, non pas dans une structure de gouvernance ou selon une approche de gouvernance, mais selon une approche traditionnelle.

Mme O’Hearn : Une relation renouvelée doit être davantage une relation entre égaux. Notre organisation, Pauktuutit, doit composer avec un manque de capacité, et ce manque de capacité est encore plus criant dans les communautés. Pour bâtir une relation, il faut, bien entendu, accroître la force des gens, mais aussi celle des communautés et des organisations afin que tous puissent participer et donner librement leur consentement préalable et informé sur de nombreuses questions.

En janvier dernier, nous avons eu notre assemblée générale annuelle. Dans le cadre de cette assemblée, nous avons organisé un atelier afin d’obtenir des commentaires sur la politique générale canadienne pour l’Arctique. Des femmes de tout l’Inuit Nunangat y ont participé. L’Inuit Nunangat compte 53 communautés et de nombreux Inuits vivent hors de cette région. Les délégués étaient très heureux d’avoir l’occasion de s’exprimer sur ce qui constitue un Arctique fort. Selon eux, un Arctique fort repose sur un peuple fort et des communautés fortes. Nous venons tout juste de recevoir l’ébauche d’un rapport ce matin que nous allons remettre à Affaires autochtones et du Nord Canada.

Il est également très important que toutes les parties puissent participer de façon égale à ces discussions.

Nous n’avions pas préparé de texte pour notre exposé. Ce sont là des exemples d’enjeux fondamentaux auxquels nous sommes régulièrement confrontés alors que nous tentons d’avoir des discussions comme celle-ci avec des sénateurs, des gens qui peuvent s’exprimer et des décideurs, afin que la voix des femmes inuites soit intégrée au dialogue national et que les femmes inuites puissent faire partie intégrante du tissu social du pays.

La présidente : Êtes-vous prête à passer aux questions des membres?

Mme O’Hearn : S’il vous plaît.

Le sénateur Tannas : Merci d’avoir accepté notre invitation. J’aurais quelques questions de nature contextuelle à vous poser.

Combien y a-t-il de femmes inuites au Canada?

Mme O’Hearn : Il y en a environ 30 000. Si je ne m’abuse, selon les dernières données obtenues, la population totale des Inuits s’élève à 66 000 personnes.

Le sénateur Tannas : Et, en termes de pourcentage, combien vivent dans le Nord plutôt que dans le Sud?

Mme O’Hearn : Environ 75 p. 100.

Le sénateur Tannas : Qui vivent dans le Nord?

Mme O’Hearn : Oui.

Le sénateur Tannas : Votre organisation est axée sur les membres. Les gens doivent-ils devenir membres de votre organisation pour participer à vos activités?

Mme O’Hearn : Non. Pauktuutit est légèrement unique en ce sens. Selon nos règlements, toute femme inuk est automatiquement membre de Pauktuutit. C’est une organisation très inclusive. Les membres peuvent quitter l’organisation, mais cela ne s’est pas produit en 30 ans. De plus, il n’y a aucuns frais d’adhésion.

Le sénateur Tannas : Je remarque que votre présidente et la ministre ont récemment conclu une entente de financement de 1 million de dollars pour promouvoir sur les médias sociaux la sensibilisation et l’engagement. Est-ce le budget total de votre organisation ou est-ce simplement pour cette campagne? Aussi, s’agit-il d’un financement annuel?

Mme O’Hearn : C’est une très bonne question, sénateur. Ce financement découle d’un protocole d’entente que nous avons signé avec Affaires autochtones et du Nord Canada en juin dernier. Nous l’attendions depuis longtemps. Cette entente officialise la collaboration entre les deux parties. Elle fixe le calendrier de réunions régulières entre la ministre et la présidente — des cadres supérieurs. Nous devons élaborer un plan de travail en fonction de nos priorités mutuelles. Nous n’avons pas encore amorcé cet exercice.

Nous nous réjouissons de ce financement de base supplémentaire. Cela nous aidera à payer une partie de notre loyer et permettra à l’organisation d’embaucher plus de personnel augmentant ainsi notre capacité à participer à des discussions importantes comme celle-ci.

Pour le moment, ce financement n’est offert que pour le prochain exercice. Pauktuutit s’appuie sur des projets annuels fondés sur une proposition. Ce financement de base supplémentaire nous sera très utile. Au cours du prochain exercice, mon objectif sera de faire en sorte que ce financement devienne un financement de base continu.

Le sénateur Tannas : Je suis désolé de vous poser toutes ces questions banales, mais je souhaite bien comprendre.

Outre ce montant de 1 million de dollars, quel est le budget d’exploitation total de votre organisation et comment celle-ci est-elle financée?

Mme O’Hearn : Si je ne m’abuse, lors du dernier exercice, notre budget d’exploitation était d’un peu moins de 2 millions de dollars.

Le sénateur Tannas : Êtes-vous financées exclusivement par le gouvernement fédéral?

Mme O’Hearn : Non, pas exclusivement.

Le sénateur Tannas : Vous recevez des fonds d’autres groupes?

Mme O’Hearn : Nous avons des partenariats en recherche concertée sur la santé et recevons des fonds du secteur privé pour la santé. Nous tentons de diversifier les revenus de l’organisation, mais Pauktuutit est dans une position unique en raison des droits constitutionnels des femmes inuites et de la volonté du gouvernement fédéral à travailler avec les femmes inuites.

Le sénateur Tannas : Vous êtes situés à quel endroit? Êtes-vous ici, à Ottawa, ou dans le Nord?

Mme O’Hearn : Nous sommes ici, à Ottawa.

La présidente : Si je ne m’abuse, vous venez de dire que les femmes inuites sont dans une position unique en raison de leurs droits constitutionnels. Je crois vous avoir bien compris. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?

Mme O’Hearn : C’est simplement que les Inuits sont reconnus comme étant l’un des peuples autochtones du Canada, ce qui leur confère certains droits.

Nous avons été très heureux en 2015 d’entendre le premier ministre s’engager envers l’égalité des femmes au Canada et nous allons certainement le prendre au mot lorsqu’il dit que cela inclut l’égalité des femmes inuites. Il reste encore du travail à faire avant que les femmes inuites puissent jouir de la même qualité de vie et des mêmes résultats que les autres femmes du pays.

Le sénateur Doyle : Bonjour, et merci d’avoir accepté notre invitation.

J’étais en train de lire vos notes. Selon ce qui est écrit ici, vos principales activités ou vos principaux projets portent sur la prévention de la violence et de l’abus, le développement social et économique, la politique en matière de santé et les projets de santé.

Au fil des ans, qu’avez-vous découvert dans vos études sur la violence familiale? Avez-vous découvert quelles sont les causes sous-jacentes des cas de violence familiale avec lesquelles votre organisation doit composer et quelles sont les raisons de cette violence? Cette violence découle-t-elle de certains aspects de la relation précédente des Inuits avec le gouvernement du soi-disant reste du Canada?

La toxicomanie est-elle encore un facteur important? Nous avons entendu dire au fil des ans que la toxicomanie pourrait être un facteur important.

Le problème est-il pire chez les gens d’âge moyen ou plus âgé ou la toxicomanie fait-elle encore partie du problème pour la génération plus jeune?

Savez-vous quelle est la principale cause de violence familiale dans ces régions?

C’est peut-être une question difficile à répondre. Je sais que ce n’est pas facile.

Mme Cooper : C’est lourd comme question, mais ce qu’ont vécu les Inuits historiquement, comme la réinstallation des communautés ou les pensionnats, a des effets cumulatifs et intergénérationnels. Il n’y a pas de solution rapide pour les anciens élèves des pensionnats. La génération suivante en ressent les effets. Ce sont les effets sous-jacents de la toxicomanie.

Pour s’attaquer à la toxicomanie, il faut offrir des possibilités de guérison. Lors de notre dernière assemblée générale annuelle, notre présidente, Rebecca Kudloo, a mentionné que l’un de ses principaux objectifs était de présenter une résolution afin de rétablir la fondation de guérison et profiter de la lancée actuelle.

La création de programmes et de services est une chose, mais lorsque l’on regarde les données relatives à la main-d’œuvre dans l’Arctique, on comprend que le taux de roulement est élevé et que la demande est grande. Si vous n’arrivez pas à conserver vos employés, c’est que vous n’avez pas une approche holistique de guérison. Il faut investir afin que les Inuits puissent faire partie de la main-d’œuvre. La formation et le perfectionnement sont des éléments essentiels pour permettre aux Inuits de jouer un rôle important dans ces régions.

Pauktuutit a fourni des trousses d’outils aux employés de première ligne afin de les éduquer sur la culture inuite et la façon de travailler au sein des communautés inuites. Nous travaillons en partenariat avec les gouvernements territoriaux et les groupes régionaux de Condition féminine. Nous avons des gens sur le terrain pour travailler au sein des communautés.

J’espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Doyle : Donc, vous dites que les femmes qui développent leur compétence en entrepreneuriat sont plus indépendantes et autosuffisantes et que cela a un impact au sein de la communauté.

Mme O’Hearn : J’ajouterais également, sénateur, qu’il y a aussi des questions très pratiques, comme le manque de logements. Le manque de logements est un problème important, surtout en ce qui a trait à la sécurité des femmes.

Des 53 communautés inuites de l’Inuit Nunangat, environ 15 ont un refuge sûr pour les femmes. Donc, plus de 70 p. 100 des communautés inuites éloignées et isolées n’ont aucun refuge sûr pour les femmes et ces communautés ne sont accessibles que par avion. La sécurité d’une femme et parfois sa vie dépendent de l’intervention d’un travailleur social pour l’évacuer de sa propre communauté.

Le logement se trouve tout au bas d’une liste de problèmes avec lesquels les gens doivent composer. Nous entendons également beaucoup parler de la maltraitance des aînés. Parfois, c’est le nom d’un aîné ou d’un grands-parents qui figure sur le bail et, leurs enfants, petits-enfants et parfois arrière-petits-enfants n’ont nulle part où aller. Le domicile devient bondé et, malheureusement, les aînés sont très vulnérables et susceptibles d’être victimes d’exploitation.

On parle souvent des couches d’un oignon. Cet oignon est énorme, mais il y a certains besoins de base en infrastructure.

Comme le disait Rose Mary, il y a un traumatisme non résolu derrière les taux les plus élevés de violence et de suicide au pays. Les enfants qui vivent plusieurs expériences traumatisantes au cours de leur enfance ont besoin d’interventions spécialisées.

Le sénateur Doyle : L’urbanisation des Inuits se fait-elle rapidement, comme pour d’autres peuples autochtones, ou les Inuits sont-ils plus étroitement liés sur le plan social et économique à leurs terres locales et aux océans? On nous dit que l’urbanisation de nombreux groupes autochtones se fait beaucoup plus rapidement. Est-ce le cas pour les Inuits?

Mme O’Hearn : Les gens vont dans le Sud pour des raisons pratiques, notamment les études, car il n’y a pas d’université dans l’Arctique; seulement un collège. Beaucoup de gens viennent pour les études ou les soins de santé, par exemple des parents dont les enfants ont des besoins spéciaux qui ne peuvent être comblés dans le Nord. C’est ce qui explique cette migration.

Je pense que cela varie, actuellement, de sorte que je ne peux vous donner une réponse définitive. Cela dit, ce sont là certaines raisons pour lesquelles les gens viennent dans le Sud. Nous savons que beaucoup de femmes le font pour échapper à la violence.

Le sénateur Doyle : Donc, cela varie en fonction des collectivités, et cetera. Merci.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup d’être ici. Je suis navrée que votre présidente, Mme Rebecca Kudloo, ne puisse être présente. Veuillez lui présenter nos salutations.

Il y a quelques années, nous avons fait une étude sur le logement dans le Nord. Donc, ceux parmi nous qui siégeaient au comité à l’époque savent très bien que cet aspect est à la source de tous les autres problèmes sociaux. Nous espérons que le gouvernement prendra nos recommandations très au sérieux.

Je m’intéresse beaucoup à la nutrition et à l’activité physique comme vecteurs de la santé. Lorsque nous sommes allés dans le Nord, j’ai constaté que les enfants font beaucoup d’activités à l’extérieur à longueur d’année. C’était formidable de voir leur énergie et leurs visages heureux tandis qu’ils jouaient, mais je suis préoccupée par le programme Nutrition Nord et son incidence sur la saine alimentation dans le Nord.

J’ai trouvé intéressant que vous souligniez qu’on a établi une relation quelconque entre le volume transporté dans le Nord et la réussite.

Si nous voulions apporter des correctifs afin d’améliorer le programme Nutrition Nord, comment Santé Canada pourrait-il miser sur l’expertise des femmes inuites? Votre organisme serait-il indiqué pour élaborer cette politique? J’aimerais avoir vos commentaires sur la possibilité d’intégrer des aliments du Sud, comme les légumineuses à grains et des aliments non périssables, dans les aliments traditionnels. Comment pourrait-on structurer cela pour que les observations de vos membres aient une réelle incidence?

Mme Cooper : Pour Pauktuutit, la tenue de consultations de ce genre avec nos régions, auprès de nos membres ou de partenaires, est toujours une question de ressources.

Nous savons que Nutrition Nord a fait l’objet d’un examen, mais nous n’avons pu y participer pleinement en raison d’un manque de ressources, encore une fois.

Beaucoup d’aspects de Nutrition Nord suscitent grandement notre intérêt, mais pour vous donner un portrait précis à cet égard, nous devrions mener un examen rigoureux et consulter nos intervenants, car ce sont eux qui sont touchés par le programme Nutrition Nord.

La sénatrice Raine : Donc, vous dites que mener des consultations sans avoir les ressources nécessaires pour atteindre des membres très diversifiés et dispersés sur le territoire ne fonctionne pas.

Mme Cooper : C’est exact.

La sénatrice Raine : Merci.

Le sénateur Christmas : Bonjour. Merci de vous être jointes à nous et de nous présenter vos observations.

Madame O’Hearn, vous avez mentionné que les Inuites n’ont pas la possibilité de s’exprimer pour elles-mêmes et que le gouvernement du Canada reconnaît uniquement les cinq organisations autochtones nationales. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’il existe une grande diversité de points de vue chez les femmes des Premières Nations, les Métisses et les Inuites.

Pouvez-vous m’expliquer pourquoi le Canada n’a pas reconnu Pauktuutit en tant qu’organisme national autochtone?

Mme O’Hearn : J’aimerais pouvoir le faire, sénateur. J’ai quelques connaissances en histoire. C’est un monde très difficile et diversifié.

L’organisme Inuit Tapiriit Kanatami représente les Inuits sur la scène nationale depuis les années 1970. Les fraternités d’Autochtones du Canada ont évolué pour devenir le congrès actuel. Le Congrès national des Métis et l’Assemblée des Premières Nations se chargent des relations de nation à nation.

Le Congrès des peuples autochtones, qui représente la population vivant hors réserve, existe depuis longtemps.

Dans les années 1980, je crois, l’Association des femmes autochtones du Canada s’est adressée à la Cour suprême. J’oublie les détails de l’affaire. Je suis certaine que la sénatrice Pate s’en souviendrait mieux. Quoi qu’il en soit, une affaire s’est rendue à la Cour suprême. Même si l’Association des femmes autochtones du Canada n’a pas remporté sa cause, cela a eu pour effet, à l’époque, d’obliger le gouvernement fédéral à reconnaître et à inclure les femmes autochtones, mais sans faire de distinction. Cela a été un coup dur pour Pauktuutit.

L’Association des femmes autochtones du Canada a fait un travail remarquable, mais elle ne représente pas les voix, les perspectives et les priorités des femmes inuites.

Nous avons milité pour que le gouvernement fédéral reconnaisse Pauktuutit pendant 30 ans. Je dirais que notre nouveau protocole d’entente rapproche Pauktuutit et ses membres de cet objectif. La reconnaissance de l’Association des femmes autochtones du Canada découle de la reconnaissance, par le gouvernement fédéral, de la nécessité de consulter les femmes. J’espère que cette relation renouvelée représente une nouvelle occasion.

Nous étions vraiment encouragées, il y a deux ou trois semaines, car Pauktuutit a été invité à participer au sommet national d’urgence sur le bien-être des enfants en tant qu’organisme à part entière, ce qui ne s’était pas produit depuis longtemps. Nous espérons que cela servira de base à l’établissement d’un nouveau modèle de mobilisation.

Je pense que c’est la meilleure réponse que je puisse vous donner.

Le sénateur Christmas : Merci.

Comme vous le savez, le comité étudie la forme que pourrait prendre une nouvelle relation entre le Canada et les peuples autochtones. Pensez aux enfants inuits : quelles seraient leurs principales priorités pour l’établissement de cette nouvelle relation, à votre avis?

Mme Cooper : Essentiellement, je dirais que l’éducation est la principale, pour que nos enfants puissent connaître autant de succès que tous les autres Canadiens. Je dirais donc l’éducation, des enfants en santé grâce à une saine alimentation, et des enfants jouissant des mêmes droits que le reste de la population canadienne. Bien que les Inuits se trouvent à une certaine distance de la population générale, nous faisons toujours partie du Canada, là-haut, dans le Nord. Il s’agit donc simplement d’avoir un rôle légal et des droits égaux dans toutes les politiques et les lois.

Mme O’Hearn : J’ajouterais l’aspect de la sécurité. Les enfants inuits doivent être en sécurité à la maison.

La présidente : Permettez-moi de poser une question complémentaire à la première question du sénateur Christmas. Vous avez indiqué que Pauktuutit a été invité à la table ronde nationale sur le bien-être des enfants. Si vous pouviez imaginer l’avenir, recommanderiez-vous que Pauktuutit ait le même statut que l’Association des femmes autochtones du Canada et qu’on l’invite à participer à de telles tables rondes nationales?

Mme O’Hearn : Oui, absolument. Nous avons déjà été exclues d’initiatives autochtones fédérales, provinciales et territoriales qui ont une grande incidence sur les femmes inuites. Nous serions certainement favorables à un modèle de consultation qui inclurait la participation directe des Inuites à la table, avec la possibilité de présenter des observations et des recommandations éclairées, comme Rose Mary l’a indiqué.

La sénatrice Pate : Je vous remercie toutes les deux d’être venues ainsi que du travail que vous avez fait, collectivement et individuellement, pendant des décennies.

La première fois que je suis allée à Iqaluit, j’étais accompagnée de gens de Pauktuutit. Lorsque je me suis rendue à la prison de l’endroit, j’ai été stupéfaite de voir toutes les femmes et les enfants qui s’y trouvaient et qui étaient là pour leur propre protection. C’était le seul endroit où on pouvait les amener pour les protéger de la violence qu’elles subissaient dans leur collectivité d’origine.

Lorsque j’y suis allée l’an dernier, il y avait de nouvelles prisons, mais l’enjeu principal pour le personnel et les détenues était qu’on emprisonnait toujours des enfants et des femmes pour des actes qui étaient en grande partie des réactions à la violence conjugale que personne n’avait cherché à endiguer. Vous avez déjà parlé de cet aspect.

On prévoit construire encore une autre prison dans le Nord, une dépense de 76 millions de dollars pour une autre prison. Quelle serait la recommandation de Pauktuutit, sur le plan des politiques, pour que cet argent serve plutôt à protéger réellement les femmes et les enfants?

Mme O’Hearn : Je ne peux vous dire quelle est notre politique à cet égard, puisque je n’ai pas soulevé la question au conseil d’administration, mais je dirais qu’on réussira à remplir toutes des prisons qu’on voudra bien construire. Comme Rose Mary l’a indiqué, il faut investir davantage dans la guérison.

Nous menons actuellement un projet avec des hommes inuits pour les aider à collaborer avec d’autres hommes afin de réduire la violence dans leurs collectivités. C’est un petit exemple. Lorsque nous avons entrepris ce projet, qui est financé par Condition féminine Canada, nous avons fait une analyse comparative entre les sexes concernant la violence chez les Inuits. Nous avons étudié les conséquences des déplacements forcés et des pensionnats indiens sur les femmes et les hommes, ainsi que les problèmes et les circonstances actuels des hommes inuits.

Fait étonnant, nous avons constaté que les femmes inuites étaient plus susceptibles d’occuper un emploi. De plus, pour toutes sortes de raisons, beaucoup d’hommes inuits se sentent aliénés de leur rôle traditionnel de pourvoyeurs et de chasseurs. Ils sont moins présents sur le marché du travail, ce qui est très inhabituel, à notre avis.

Pour travailler auprès de groupes d’hommes, nous avons créé un ensemble d’outils pour aider les hommes à se défaire de décennies, voire d’une vie de traumatismes, de deuils non vécus et de problèmes comme la jalousie. Cela peut sembler très simple pour intervenir auprès de groupes d’hommes, mais nous avons eu un succès considérable. Nous tiendrons un atelier de formation des formateurs la semaine prochaine, à Nunatsiavut, sur la côte nord du Labrador. Cela suscite énormément d’intérêt.

Ce n’est qu’un exemple d’une initiative de guérison qui pourrait, espérons-le, non seulement contribuer à réduire le taux de criminalité, mais aussi à réduire, voire éliminer, la nécessité de construire plus de prisons.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner la violence sexuelle faite aux enfants. Peu importe la culture ou la société, c’est très difficile à chiffrer, mais selon ce que nous avons entendu, tous les enfants sans exception sont touchés, directement ou indirectement. Mme Rebecca Kudloo ne manque pas de le souligner à chacune de ces rencontres avec des ministres fédéraux.

Il faut investir pour protéger les enfants, car les enfants doivent vivre en sécurité, ce qui inclut la nécessité de les protéger contre la violence sexuelle.

Cela ne répondait pas exactement à votre question, mais il est vraiment important d’investir dans la guérison pour réduire la prévalence des comportements violents et la nécessité de construire des prisons.

J’aimerais ajouter un commentaire concernant les peines Gladue. Cet enjeu est régulièrement soulevé au conseil de Pauktuutit et parmi nos membres. Dans les collectivités inuites, le manque d’infrastructures est tel qu’un Inuit qui reçoit une peine Gladue n’a pas accès, à sa libération, aux ressources nécessaires pour l’application de la sentence de réadaptation. Par conséquent, pour les victimes, le délinquant semble n’avoir reçu qu’une tape sur la main, avant d’être renvoyé chez lui, sans qu’il y ait un suivi quelconque ou une réelle réadaptation. C’était simplement un autre exemple.

En ce qui concerne l’examen des lois, une de nos priorités serait de veiller à la mise en place des ressources nécessaires. Merci.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie d’être venues témoigner. J’ai trouvé instructif d’entendre parler des difficultés et des défis que vous avez vécus, étant donné l’obstacle que représente votre situation géographique. Malgré tout, vous avez fait des progrès dans vos interventions auprès des femmes, et vous allez de l’avant.

Vous avez parlé de l’effet de cloisonnement et de sa contribution aux problèmes récurrents qu’on observe dans les collectivités. Quelles seraient vos recommandations pour l’élimination de ces cloisonnements et l’adoption d’une approche globale?

Mme Cooper : Les Inuits ont une approche holistique de la naissance à la mort. Tout est relié. Il y a les hommes et les femmes, et, sans eux, il n’y aurait pas d’enfants. Tout est lié à la cellule familiale; c’est un ensemble.

Quelle est notre approche à l’égard des familles? Nous les considérons comme une unité; il ne s’agit donc pas de programmes et services axés uniquement sur les enfants, ou sur les femmes, ou sur les hommes. Tout est interrelié.

Le lieu de détention des hommes a une incidence. Il n’y a pas de ressources et aucune aide n’est offerte aux familles pour assurer leur subsistance.

Comment peut-on éviter de répéter des erreurs du passé? Nous devons mettre en place des programmes axés sur la guérison pour éviter la perpétuation de l’effet intergénérationnel. C’est un exemple.

Même les animaux que nous trouvons sur notre territoire nous nourrissent. Depuis toujours, notre environnement et notre territoire sont nos pierres d’assises.

Tout est relié : pas seulement les gens, mais aussi la terre et l’air que nous respirons. Il s’agit donc simplement de créer ce cercle de soutien. Si le ministère de la Santé élabore une initiative quelconque, cela doit se faire dans une optique interministérielle. Si vous apportez cette modification législative, cela aura un effet ici. Il en va de même pour toute mesure législative. On ne peut aller à un extrême et s’attendre à pouvoir renverser cela plus tard, car il y aura toujours autre chose en évolution.

Étant donné la structure actuelle de l’examen quinquennal, convient-il d’apporter des modifications? Comment peut-on revoir une mesure législative qui vise l’obtention de résultats dans cinq ans? On ne pourra passer d’un extrême à l’autre. Vous vous souvenez de l’époque où la loi interdisait de donner la fessée aux enfants? C’était allé d’un extrême à l’autre.

Prenons par exemple la protection de l’enfance. Beaucoup d’enfants sont placés en famille d’accueil. Pourquoi? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné? Que pouvons-nous faire pour que les enfants demeurent dans leur famille — avec une tante, un oncle ou les grands-parents — et, ainsi, éviter qu’ils se retrouvent à l’extérieur du territoire?

Si nous n’avons pas d’infrastructure pour les enfants qui ont des besoins spéciaux, nous devrons les envoyer à l’extérieur. C’est un investissement. Lorsqu’on compare les coûts entre le maintien et le retrait des enfants dans la collectivité, la dernière solution est la plus coûteuse pour le gouvernement. Toutefois, si nous investissons en éducation pour notre population et dans les infrastructures nécessaires, c’est avantageux, tant pour les gouvernements que pour la population.

La sénatrice McCallum : Merci.

Quels sont les principes ou les actions qui pourraient guider l’établissement d’une relation de nation à nation? Je pose la question du point de vue du savoir autochtone considérable des collectivités.

Mme Cooper : Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît?

La sénatrice McCallum : Quels sont les principes ou les actions qui pourraient guider l’établissement d’une nouvelle relation? Je pense à un point de vue externe, par exemple demander à des gens de l’extérieur d’examiner les enjeux qui vous touchent et trouver les solutions. L’objectif est d’établir une relation de nation à nation. Parfois, lorsqu’on voit à quel point vous êtes dépassés par tous les aspects dont vous avez parlé, nous ne trouvons pas de solution. Les problèmes semblent insurmontables, mais il y a moyen de s’en sortir.

Sur quoi pourrions-nous nous orienter pour surmonter les conséquences de pensionnats indiens ou des politiques du gouvernement? Comment peut-on en sortir et commencer à avancer séparément? Selon vous, vos progrès passent-ils par des discussions avec les dirigeants ou diverses avenues?

Mme Cooper : Les Inuits ont une grande résilience. Comparativement à la population canadienne, les statistiques sont angoissantes, mais nous sommes résilients. Aucune société au Canada — à l’exception de celles que notre organisation et les organisations des Premières Nations et des Métis représentent — n’a été confrontée à de telles difficultés au cours de son histoire.

Pour qu’une société puisse aller de l’avant, elle doit prendre conscience de ses propres difficultés et jouer un rôle central dans la prestation de ces programmes et services. Cela nous ramène à l’essentiel : pour qu’une société puisse se prendre en main, elle doit prendre en charge sa propre population.

Aujourd’hui, nous avons d’excellents modèles et de formidables dirigeants. Les progrès réalisés par notre population ces 30 dernières années sur le plan de la scolarisation sont stupéfiants.

Comment peut-on y arriver? J’ai grandi à Iqaluit. Je vais vous dire franchement, j’ai grandi en sachant que j’étais la moins bonne dans tout. Si je suis la moins bonne dans tout, est-ce que cela me motive à changer les statistiques? Non, cela motive les gens à faire campagne, à aller de l’avant et à dire : « Je vais changer les choses dans ces circonstances. » C’est ce que bon nombre d’Inuits font aujourd’hui.

Nos statistiques sont décourageantes, mais une partie de la société a appris à être victime et à se fier à un système qui a créé une dépendance plutôt que l’indépendance, par l’entremise de l’aide sociale, par exemple. Au début, on nous disait : « Si vous n’envoyez pas vos enfants à l’école, vous n’aurez pas de farine ni de sucre. » Quel type de société ou de gouvernement crée une telle dépendance?

Au fond, une maison, c’est le cœur d’une famille. Nous avons besoin d’infrastructures, comme tous les autres Canadiens. Nous avons besoin de programmes et services significatifs qui aideront les femmes, les enfants et les hommes inuits. C’est une approche holistique.

Le sénateur Tannas : Si l’on se projette dans l’avenir, nos réalisations passeront par de nouveaux accords sur le financement et par le partage de la richesse, qu’il s’agisse des revenus émanant des ressources naturelles ou des recettes fiscales qui proviennent de tous les Canadiens.

Ce qui est difficile pour moi — et votre opinion à ce sujet m’intéresse —, c’est de comprendre quelle partie de la richesse devrait être transférée aux particuliers et quelle partie doit être transférée aux gouvernements autochtones. Pourriez-vous nous en parler? Il y a de nombreuses écoles de pensée au sujet de qui devrait obtenir l’argent, pour faire quoi. Comprenez-vous ma question?

Mme O’Hearn : Monsieur le sénateur, cette question est trop vaste pour que je puisse y répondre aujourd’hui. Elle dépasse largement notre mandat. Les instances dirigeantes autochtones seraient beaucoup mieux placées que moi pour répondre à ces questions.

Le sénateur Tannas : D’accord.

En ce qui a trait à la culture — et pas seulement la culture d’aujourd’hui, mais aussi la culture du passé —, quelle serait, selon vous, la façon naturelle de faire? Est-ce qu’on donne l’argent à la collectivité, à une personne qui décide de le répartir, ou est-ce que les Inuits se perçoivent comme des personnes à part entière qui contrôlent leur propre destinée?

Mme O’Hearn : Selon ce que je comprends, le sens collectif est très important. En fait, Rebecca Kudloo participe à un sommet circumpolaire sur l’éducation des Inuits au Groenland en ce moment, donc même dans le monde circumpolaire, il y a une grande unité.

Il y a quelques années, nous avons travaillé à la question de la propriété culturelle et des droits de propriété intellectuelle, et une question fondamentale s’est dégagée de notre travail : quels sont les droits d’un créateur individuel en ce qui a trait aux profits émanant des créations, des concepts et des vêtements de sa collectivité, de sa famille ou de sa région? Tout cela pour dire que le sens collectif est très important.

On a toujours accordé une grande valeur au partage des droits de récolte. Voulez-vous en parler, Rose Mary?

Vous posez une grande question, monsieur le sénateur.

Mme Cooper : Nous ne sommes pas en mesure de répondre à cette question, monsieur le sénateur.

Le sénateur Tannas : Très bien.

La sénatrice Raine : J’aimerais faire suite à votre commentaire au sujet d’un artiste inuit qui crée un motif pouvant être commercialisé. Ce que vous dites, c’est que les profits émanant de cette création iraient à la région ou à la collectivité qui a créé l’environnement ayant permis à la personne de pratiquer son art. Est-ce exact? On partagerait donc les revenus émanant d’un concept. Ils n’iraient pas à une seule personne.

Dans le Sud, je crois que la personne dirait : « C’est mon concept, alors c’est moi qui récolte tout l’argent. » Mais ce que je vous entends dire, c’est : « Le concept vient de nous. »

Mme O’Hearn : Nous avons fait ce travail en 2000. Nous n’avions pas les ressources ni la capacité requises pour obtenir des réponses, mais nous avons certainement soulevé ces questions.

Si l’on pense à Baker Lake, par exemple, de nombreux motifs, concepts et styles viennent de la collectivité. Je me souviens que les créateurs parlaient de leur responsabilité à l’égard de leur famille et de leur collectivité, parce qu’ils jugeaient que les créations leur revenaient également.

On s’est aussi beaucoup approprié les créations autochtones. À une certaine époque, c’était un très grave problème.

Malheureusement, nous n’avons pas pu poursuivre notre travail. À un certain moment, il était question de créer une association de créateurs qui prendraient des décisions. Je crois qu’on pourrait miser sur cet excellent travail. Je crois que c’était en 2000 ou en 2001.

C’est une autre façon de voir les choses, comme l’a fait valoir Rose Mary. C’est un tout. Personne ne peut survivre sans les autres. On ne peut pas survivre sans l’environnement. Tout ne fait qu’un. C’est un travail très intéressant.

La sénatrice Raine : Donc, pour établir une nouvelle relation, il est très important d’y intégrer une vision collective.

Mme O’Hearn : Oui.

La présidente : Vous parliez de violence dans la collectivité et vous disiez que parfois, les femmes et la famille étaient retirées de la collectivité; qu’on les envoyait dans le Sud par avion, parce qu’il n’y avait pas suffisamment de logements; qu’ils étaient surpeuplés. Que changeriez-vous pour améliorer la relation dans l’avenir? Quelle serait la solution idéale dans le cas de violence familiale? Qu’est-ce qu’on devrait faire? Quelle serait la meilleure solution?

Mme O’Hearn : On entend souvent dire que les délinquants doivent être retirés de la collectivité. C’est plus compliqué dans les petites collectivités éloignées, accessibles uniquement par avion. C’est souvent difficile, voire impossible de partir.

Il y a aussi le système de cour de circuit. La victime et le délinquant doivent attendre la venue de la cour de circuit pour qu’on puisse déposer des accusations.

L’idéal, ce serait de réduire la violence. Il y a des modèles intéressants à cet égard au Nunavik, dans le Québec arctique. On a établi des foyers familiaux où les gens peuvent aller pour se calmer au besoin.

Les refuges ne règlent pas le problème. Ils ne sont qu’une solution temporaire à la violence. Idéalement, il faudrait réduire la violence, mais il faut qu’il y ait des options dans la collectivité.

La présidente : Pourriez-vous nous en dire plus au sujet du modèle dont vous parliez, qui permet aux gens d’aller se calmer, comme vous le dites?

Mme O’Hearn : Je vous renverrais à la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, qui a beaucoup innové pour offrir des options aux familles en difficulté ou aux gens qui vivent dans des logements surpeuplés. Parfois, ces gens n’ont vraiment nulle part où aller. La pression monte dans la famille. Nous entendons trop d’histoires de gens qui dorment par quarts, par exemple. C’est donc un endroit sécuritaire où l’on peut aller. Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un centre communautaire, mais c’est un autre endroit où aller. Je crois qu’il y en a deux maintenant.

Mme Cooper : Selon la politique en place, le contrevenant doit être retiré de la maison. Cette politique ne s’applique pas lorsqu’on vit dans une très petite collectivité. Les infrastructures sont inexistantes. Donc, en règle générale, ce sont les enfants et la mère qui sont retirés de la maison.

Est-ce qu’il s’agit d’un projet pilote à petite échelle, avant l’entrée en vigueur d’une loi? Est-ce que cela va fonctionner ou non? Est-ce que la collectivité accepte cette approche?

La collectivité doit l’accepter pour commencer. Les politiques sont très vastes et visent à atteindre certains objectifs, mais c’est la collectivité qui est touchée. Il est donc essentiel qu’elle comprenne bien les bases de cette approche et que le modèle puisse s’appliquer aux collectivités éloignées, petites et grandes.

La sénatrice McCallum : Vous avez dit que certaines de ces solutions étaient temporaires. Si l’on pense aux infrastructures que vous avez mises en place pour veiller à la sécurité des femmes, aux prisons… Même si le résultat est négatif, la situation évolue quand même, parce que vous abordez la question de la sécurité des femmes. Quelle est la prochaine étape selon vous? Comment entrevoyez-vous l’avenir?

Vous avez dit que les lois et politiques semblaient freiner le progrès ou vous empêchaient d’aller de l’avant. Est-ce exact?

Mme Cooper : Il faut que la société appuie la loi. L’élaboration des lois est associée à une consultation auprès de la collectivité et des intervenants, avec les fournisseurs de services et les entités associées à la mesure législative. Une consultation exhaustive est essentielle.

Il faut que cette consultation corresponde à ce qui se passe à l’échelon communautaire, parce que de nombreuses collectivités sont trop consultées. Le moment est donc essentiel. Il faut que la population soit au courant. Toutes les mesures législatives sont associées à des avis et échéances. La consultation approfondie est donc essentielle.

La sénatrice McCallum : J’ai entendu parler de la résurgence de la culture et des cérémonies. Si l’on pense au génocide spirituel dont ont été victimes les Autochtones, croyez-vous que la spiritualité fasse partie de la solution?

Mme Cooper : Les églises nous ont fait croire que le chamanisme était une mauvaise chose. Nous en savons très peu aujourd’hui sur le fonctionnement de ces pratiques. Je ne pourrais répondre précisément à votre question; cela ne relève pas de notre domaine.

La présidente : Au nom du comité, je remercie les témoins d’aujourd’hui, Tracy O’Hearn et Rose Mary Cooper, de Pauktuutit Inuit Women of Canada. Nous vous remercions pour vos témoignages enrichissants. Je remercie également les sénateurs de leurs questions.

(La séance est levée.)

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