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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 35 - Témoignages du 26 mars 2018


OTTAWA, le lundi 26 mars 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 12, pour étudier la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne les peuples autochtones du Canada.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Note de la rédaction : Certains éléments de preuve ont été présentés avec l’aide d’un interprète inuktitut.]

[Traduction]

La présidente : Bonjour. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je tiens à souhaiter la bienvenue à toutes les personnes dans la salle et à celles qui nous regardent sur le Web.

Je suis la sénatrice Lillian Dyck. Je tiens pour commencer à souligner que nous nous rencontrons sur des terres ancestrales algonquines non cédées.

Bonjour. Je suis présidente du comité et je viens de la Saskatchewan. Je demanderai maintenant à mes collègues sénateurs de bien vouloir se présenter.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, sénateur de l’Alberta.

Le sénateur White : Vern White, de l’Ontario.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Christmas : Bonjour. Daniel Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La présidente : Merci aux sénateurs.

Aujourd’hui, nous consacrons toute la journée au projet de loi C-45. Le comité a été chargé d’étudier la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis. Nous l’étudions dans la mesure où il concerne les peuples autochtones du Canada.

Nous sommes heureux aujourd’hui d’accueillir certains témoins du Nunavut. Avant de passer à nos témoins, nous avons certains renseignements de NTI qui sont seulement accessibles en anglais. Peut-on présenter une motion afin de permettre la distribution des documents aux sénateurs?

Le sénateur Patterson : J’en fais la proposition.

La présidente : Merci. C’est entendu?

Des voix : D’accord.

La présidente : Merci aux sénateurs. L’information sera maintenant distribuée.

Nous accueillons deux groupes de témoins aujourd’hui. Dans le premier groupe, nous accueillons deux aînés, Isaac Shooyook, qui est accompagné de Geela Arnauyumayuq, et Louis Uttak, qui est accompagné de George Qulaut.

Pour ce qui est du deuxième groupe, nous accueillons la présidente de NTI, Aluki Kotierk. J’espère avoir assez bien prononcé vos noms. Les deux groupes auront 10 minutes chacun, et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Les interventions en inuktitut seront traduites en anglais et les interventions en anglais seront probablement traduites en inuktitut.

Messieurs, si vous voulez bien commencer.

[Traduction de l’interprétation]

Isaac Shooyook, à titre personnel : La légalisation du cannabis suscite beaucoup de craintes et aura une incidence sur notre vie au Nunavut. Nous n’avons aucune mesure de prévention à cet égard. La légalisation n’aidera pas les jeunes de la prochaine génération. Elle les brisera. Tandis que notre gouvernement tente de légaliser la marijuana, il n’y a pas de mesure de prévention ni de mesure de soutien. C’est extrêmement important. Il n’y a pas de ressources, il n’y a pas de centres de guérison et il n’y a pas de refuges pour les aînés. En raison de ces facteurs, au Nunavut, il n’y a aucune de ces mesures préventives. C’est vraiment critique. Sachez que, au Nunavut, il n’y a aucun système de soutien pour les gens qui en auront besoin.

Je ne sais pas de quelle façon nous pourrons composer avec la légalisation du cannabis si nous n’avons pas de système de soutien. Au Nunavut, il n’y en a pas. Il n’y a pas de soutien. Il n’y a pas de mesure de prévention. Si vous légalisez le cannabis, beaucoup de personnes seront touchées, même des enfants. Si les gens commencent à fumer du cannabis comme si c’était du tabac, tout le monde y aura accès. Ce n’est pas beau à voir. Nos futures générations rencontreront beaucoup de problèmes. Actuellement, il n’y a pas de services de counseling social. Il y a des policiers dans les systèmes. Il y a du personnel infirmier et des travailleurs sociaux, mais ils ne peuvent pas aider les gens qui ont vraiment besoin de ce genre d’aide.

Au Nunavut, dès qu’on nous évalue, on nous donne un objectif. On dit que ce sont les gens du Nunavut qui fument le plus. C’est nous qui affichons le taux le plus élevé en ce qui concerne les problèmes d’alcool. On a entendu dire que les gens du Nunavut consommeront du cannabis et que c’est eux qui en consommeront le plus. Ce n’est pas reluisant pour l’avenir. C’est inacceptable.

Ce que je dis est très important. S’il vous plaît, les gens qui vivent au Nunavut n’ont personne sur qui compter. Nous avons besoin d’aide en matière de prévention. Par exemple, j’ai été touché du fait que mes enfants en consomment. C’est effrayant. Je le répète : ce dont je parle est important. Il n’y a rien en place. Il n’y a pas d’aide sociale. Si vous légalisez le cannabis pour les gens du Nunavut, y compris les enfants, il n’y aura pas d’aide sociale.

Pendant 50 ans, je n’ai pas voulu que le cannabis soit légalisé au Nunavut, parce qu’il n’y a rien en place pour aider les gens qui ont besoin d’aide. Il y aura probablement un coût lié à tout ça.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Uttak, allez-vous aussi prendre la parole?

Je crois que nous sommes prêts à procéder.

Monsieur Uttak, nous sommes prêts à commencer.

[Traduction de l’interprétation]

Louis Uttak, à titre personnel : Je viens du Nunavut. Mon père m’a déjà dit qu’aucun homme blanc ne me contrôlera jamais. Je suis un Inuit. C’est une vérité à laquelle je tiendrai toujours. Ma langue, le peuple, les Eskimos, les Premières Nations et leurs histoires… C’étaient eux les premiers Autochtones.

Mon père m’avait dit qu’aucun homme blanc ne serait jamais d’accord avec moi. Je ne savais rien au sujet du gouvernement. Je vais tout simplement vous parler de ma vie. Ce que je dis est légitime. Nous sommes très peu d’aînés. Il y a une peur liée aux aînés de nos jours. Notre vie est précieuse. Au départ, c’était seulement l’alcool. Maintenant, au Nunavut, les gens consomment beaucoup de cannabis. Nous obtenons notre pension d’aîné chaque mois, une fois par mois. Ils nous suivent un peu partout afin qu’on leur donne de l’argent, et nous disons non, c’est parce qu’ils veulent en acheter. Il faut composer correctement avec ce problème. Ils vont probablement aussi commencer à prendre des pilules et d’autres drogues. C’est ce que ma mère m’avait dit. Ma mère m’avait dit : « Lorsque tu te maries, ne cours pas après d’autres femmes. N’accumule pas les aventures. » Si je l’avais engendrée, on aurait eu l’harmonie.

Lorsque j’ai commencé à aller à l’école, c’était une erreur, je crois. Donc, au Canada, en tant que personnes du Canada, réconcilions-nous. Créons un partenariat. Essayons de ne pas classer les gens selon qu’ils sont Inuits, blancs ou d’autres cultures. Nous devons avoir une relation et travailler en collaboration et comprendre le problème du cannabis et pas nous battre les uns contre les autres.

Essayons de régler ça comme il faut. C’est ce que j’en pense, je pense à l’avenir. Je suis désolé. Je suis très émotif parce que je pense à notre génération future. La vie est très précieuse. Chaque année, on entend parler du fait que le cannabis sera légalisé. Je vous remercie donc de m’avoir écouté. Je ne veux pas prendre trop de votre temps. Je suis désolé, je deviens émotif très facilement. C’est comme ça que je suis. J’aime tout le monde parce que j’ai de la compassion. Merci.

[Traduction]

La présidente : Nous allons maintenant passer à Mme Aluki Kotierk, de Nunavut Tunngavik.

Les gens qui assurent un soutien veulent peut-être ajouter quelque chose à ce que les aînés ont dit. George?

[Traduction de l’interprétation]

George Qulaut, personne-ressource, à titre personnel : Je vais parler en inuktitut et en anglais. Je m’appelle George Qulaut, je suis d’Igloolik. Je vais vous raconter rapidement quelque chose qui m’est arrivé personnellement, et je vais aussi vous dire ce que les gens à qui j’ai parlé de ce dont on parle aujourd’hui…

[Traduction]

Pour commencer, je tiens à remercier chacun d’entre vous de nous avoir invités ici et d’écouter nos préoccupations. En outre, il est important pour nous de formuler nos préoccupations et de parler de nos expériences avant la légalisation de la marijuana. Il est arrivé dans le passé que rien de tout ça… j’ai l’impression que c’est la première fois que le Sénat s’apprête à écouter des Inuits parler de ce que l’avenir nous réserve, et c’est important pour nous d’en parler, et, s’il vous plaît, écoutez ce que nous avons à dire.

J’ai fait des études ici, à Ottawa, de 1974 à 1978. Et, en 1974, c’était tout un choc culturel pour moi de pouvoir vivre dans le Sud. Notre culture est axée sur la chasse, et je me rappelle que les membres de ma collectivité vivaient dans quatre maisons en bois. De nos jours, c’est l’une des plus importantes collectivités sur l’île de Baffin. Durant ce temps, nous avons tout entendu ce qui venait du Sud. On nous a enlevé nos façons de vivre. Un bon nombre des choses auxquelles nous croyions nous ont été retirées, et nos croyances… La religion est venue de l’étranger, et nous avons dû faire preuve de respect et apprendre beaucoup de choses à cet égard.

Je suis venu à Ottawa en 1974 et, en avril 1975, j’ai vraiment eu le mal du pays. C’est exactement ce qui m’est arrivé. Vous savez, maintenant j’y pense en rétrospective, et j’en ris. C’est un peu drôle comme histoire parce que nous étions très innocents. Nous ne savions rien de la marijuana et des autres drogues récréatives.

J’ai vraiment eu le mal du pays. Je marchais sur la rue piétonnière Sparks à la fin d’avril, le soleil plombait et tous les gens que je croisais avaient un visage triste, ce qui m’a donné encore plus le mal du pays. Je me suis dit : je vais prétendre que je suis à la maison. Je vais faire de mon mieux pour essayer de croire que je suis de retour à la maison. Et donc, j’ai commencé à sourire à chaque personne que je croisais. J’ai commencé à dire bonjour. Les gens ont réagi. Ils me souriaient, et je me sentais très bien.

Un jeune homme est venu à ma rencontre. Je lui souriais et je lui ai dit bonjour. Il m’a demandé : « Es-tu gelé? » Et j’ai dit : « Non, il fait plutôt chaud aujourd’hui ». Puis, il m’a posé une autre question : « Est-ce que tu planes? » « Non, j’ai bien les deux pieds sur terre. » Il a ensuite eu l’air confus et il m’a demandé : « Es-tu saoul? » « Non, j’ai seulement le mal du pays ». Puis, il m’a demandé : « Tu veux acheter de l’herbe? » Et j’ai répondu : « Non. Chaque samedi, mon propriétaire me demande de tondre le gazon dans la cour et le devant de la maison, alors, de l’herbe, nous en avons assez. Je n’en ai pas besoin. » Il a ensuite dit : « Veux-tu acheter un peu de hasch? » Et j’ai répondu : « Non, je n’ai pas besoin de hache. Chaque dimanche, lorsque ma propriétaire veut du bois de chauffage, je me sers d’une scie à chaîne. Je n’en ai donc pas besoin. »

Et c’est ainsi que les choses se sont passées. Je ne savais rien, absolument rien au sujet du cannabis. C’est la première fois que j’ai appris des choses sur les drogues récréatives : quel moment éducatif mémorable.

J’en ai parlé à mon propriétaire, et il m’a dit : « Je suis désolé, George. Je n’ai rien à te dire au sujet des drogues récréatives. Si tu veux, je peux demander à un de mes amis de t’expliquer. » Son ami était en fait un médecin, et il m’a amené dans un hôpital psychiatrique, ici, à Ottawa. J’avais un rendez-vous pour le rencontrer un samedi, de 8 à 9 heures, et j’ai accepté. Nous y sommes donc allés. Mon propriétaire m’a conduit à l’hôpital, et j’ai appris beaucoup de choses. C’est la meilleure chose que j’ai apprise dans ma vie. C’était de 8 à 9 heures, pas une heure, mais 13 heures, parce que je posais trop de questions.

Ce que j’essaie de dire, c’est que nous ne savions rien au sujet des drogues récréatives, peu importe la sorte, et je crois que l’éducation est ce qu’il y a de plus important avant que ça devienne une réalité. Il faut assurer l’éducation, et surtout parmi les jeunes, parmi les enfants, il faut les informer des dangers des drogues récréatives. Même s’il s’agit d’une drogue thérapeutique, je savais que l’alcool était un médicament, l’alcool était considéré comme tel il y a très longtemps et, de nos jours, on dit que la marijuana est thérapeutique. Je n’ai rien contre, puisque c’est thérapeutique.

Selon moi, ce que mes aînés ont dit, c’est qu’il faut des centres de guérison et, ce qui est encore plus important, il faut qu’on nous enseigne ces nouvelles choses. La plupart des lois qu’on a ici, dans le Sud du Canada, sont très nouvelles pour nous aussi. Nous ne savons rien à leur sujet. Nous sommes devenus des criminels sans le savoir, et c’est important pour nous d’être éduqués.

De plus, je veux vous dire quelque chose de très personnel. Ma fille, à 20 ans, s’est suicidée. Son suicide était lié à la schizophrénie. Elle est devenue schizophrène en raison de la marijuana. Dès sa première expérience, elle a présenté ce problème, et elle ne pouvait plus composer avec le monde. Je l’ai moi-même trouvée, étendue sur le sol, un fusil à la main. C’est pour ça que je suis très en colère en raison de tout ça.

Je vous remercie de m’avoir écouté.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer au témoin de NTI.

[Traduction de l’interprétation]

Aluki Kotierk, présidente, Nunavut Tunngavik Incorporated : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui et d’avoir aussi invité mes compatriotes inuits. Merci.

Je vais parler en anglais afin qu’ils puissent me comprendre parfaitement.

[Traduction]

Ce matin, nous parlons de la teneur du projet de loi C-45 et plus précisément de la façon dont la légalisation du cannabis influera sur les peuples et les collectivités autochtones. Je viens du Nunavut, la seule administration canadienne où la population autochtone est majoritaire. Répartis dans plus de 25 collectivités — toutes des collectivités accessibles en avion —, les Inuits représentent jusqu’à 85 p. 100 de la population.

Environ la moitié de la population inuite est âgée de moins de 25 ans. La langue maternelle de la majeure partie de la population est l’inuktitut. Le français et l’anglais sont des langues minoritaires au Nunavut.

Nunavut Tunngavik Inc. représente un peu plus de 31 000 Inuits inscrits au titre de l’accord du Nunavut. L’accord du Nunavut est un règlement foncier protégé par la Constitution conclu entre les Inuits, représentés par Nunavut Tunngavik Inc., et le gouvernement du Canada, représenté par la Couronne.

Je tiens à attirer votre attention sur l’article 32 de l’accord du Nunavut qui précise de quelle façon les gouvernements doivent s’acquitter de leurs obligations :

a) donner aux Inuits la possibilité de participer à l’élaboration des politiques sociales et culturelles ainsi qu’à la conception des programmes et services sociaux et culturels, y compris leurs modes de prestation, dans la région du Nunavut;

b) s’efforcer de refléter les buts et objectifs des Inuit quand il met en place les politiques, programmes et services sociaux et culturels dans la région du Nunavut.

Durant notre réunion générale annuelle du 27 octobre, les membres de Nunavut Tunngavik Incorporated ont adopté une résolution exigeant du gouvernement du Canada qu’il reporte la légalisation du cannabis afin d’avoir plus de temps pour consulter les Inuits quant au moment où il faut procéder à la légalisation et aux mesures d’atténuation appropriées.

De plus, les membres ont demandé aux gouvernements de faire de la création de centres de traitement de la toxicomanie, de réhabilitation et de guérison au Nunavut une priorité. Une copie de la résolution a été fournie. Après la réunion générale annuelle, j’ai envoyé une lettre au premier ministre accompagnée d’une copie de la résolution des membres de NTI.

En tant que membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, vous connaissez très bien l’héritage du colonialisme, des pensionnats et des injustices historiques dont ont été victimes les Inuits du Canada, y compris les Inuits de l’Arctique canadien. Vous comprenez de quelle façon ces répercussions systémiques ont eu un impact négatif sur notre population, entraînant une prévalence élevée disproportionnée de dépendance aux drogues et à l’alcool et de toxicomanie.

Depuis plus de trois décennies, Nunavut Tunngavik Inc. demande des services et des installations pour lutter contre la toxicomanie et les traumatismes. Malgré le besoin criant ressenti, au Nunavut, actuellement, il n’y a pas de centre de toxicomanie sur tout le territoire. Le Nunavut couvre le cinquième du territoire canadien, et, malgré tout, il n’y a aucun centre de traitement de la toxicomanie.

Cela n’est probablement surprenant pour personne, parce que notre administration affiche un déficit d’infrastructure dans tous les domaines imaginables, de l’hébergement aux services à large bande en passant par les ports pour petits bateaux et les routes. Peu importe ce qui vous vient à l’esprit, nous affichons un déficit en ce qui a trait à l’infrastructure.

En fait, selon moi, le Canada n’a pas terminé son exercice d’édification nationale. Il a commencé en faisant des investissements massifs en infrastructure, pour lier la côte Est et la côte Ouest, mais il n’a pas encore assez investi du point de vue de l’infrastructure pour créer une connexion avec la plus longue côte canadienne, celle de l’Arctique. Le Canada a besoin d’une stratégie d’infrastructure globale pour l’Arctique.

Au cours de la dernière année, en partenariat avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut, Nunavut Tunngavik Inc. a participé à l’élaboration d’une étude de faisabilité relativement à un centre de traitement de la toxicomanie et des traumatismes. Actuellement, on met l’accent sur des programmes communautaires pour assurer la prestation de services appropriés d’un point de vue culturel et accessibles d’un point de vue linguistique dans nos collectivités, des services qui sont de nature holistique.

Il y a aussi le désir d’inclure des programmes sur place. On a besoin d’avoir accès à plus de services de santé mentale. Nunavut Tunngavik Inc. a déployé beaucoup d’efforts pour éliminer les lacunes en matière de santé mentale en soutenant l’amélioration des programmes de formation en counseling de façon à accroître le nombre de professionnels de la santé mentale qui fournissent de tels services en inuktitut. Il est essentiel d’offrir des services essentiels en inuktitut aux Inuits. Au Nunavut, les renseignements de sensibilisation publique sur le cannabis doivent être communiqués en inuktitut.

Le budget fédéral a prévu un engagement de 200 millions de dollars pour améliorer la prestation de services de traitement et de prévention de la toxicomanie appropriés d’un point de vue culturel dans les collectivités des Premières Nations. Je ne sais pas encore exactement ce que cela signifiera pour les collectivités inuites.

Ce qui est clair pour moi, cependant, et j’ai été heureux de voir que le gouvernement du Nunavut a récemment publié un document de mandat, Turaaqtavut, qui énonce et cerne la priorité d’améliorer les résultats en matière de santé mentale, de lutte à la toxicomanie et de counseling familial grâce aux systèmes actuels et traditionnels de counseling.

À l’avenir, le Canada doit s’assurer de tenir compte de façon appropriée du déficit d’infrastructure et de la rareté des services de santé mentale en inuktitut au Nunavut pour que les Inuits du Nunavut aient un accès équitable à des programmes, des mesures de soutien et des renseignements similaires à ceux dont bénéficient les autres Canadiens.

En conclusion, j’espère avoir bien décrit une administration qui affiche beaucoup de besoins. Une administration qui fait face à tellement d’enjeux pressants et de besoins criants… et malgré tout, notre gouvernement public a été obligé de concentrer ses ressources humaines limitées et de canaliser son énergie et ses efforts pour mettre au point une réglementation pour respecter une priorité du gouvernement fédéral. Cependant, le gouvernement fédéral doit reconnaître que la situation au Nunavut est unique et qu’il faut mettre l’accent sur la création d’un centre de traitement et la prestation de renseignements en inuktitut au sujet du cannabis et aussi assurer la prestation de services de santé mentale en inuktitut.

[Traduction de l’interprétation]

Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant permettre aux sénateurs de poser des questions.

Le sénateur Tannas : Merci à vous tous d’être là ce matin. Je sais que vous avez fait un long trajet pour être parmi nous aujourd’hui.

Je crois savoir, madame Arnauyumayuq, que vous participez au système d’éducation dans votre collectivité. Pouvez-vous nous décrire la situation dans les écoles en matière d’assiduité, les taux d’achèvement des études secondaires et ce genre de choses?

Geela Arnauyumayuq, personne-ressource, à titre personnel : Merci. Je m’appelle Geela Arnauyumayuq et je viens d’Arctic Bay. J’ai précédemment été mairesse, et je suis maintenant conseillère du hameau. Je travaille aussi à l’école d’Arctic Bay. Nous comptons 235 élèves de la maternelle à la 12e année.

L’assiduité au niveau secondaire a diminué parce qu’il n’y a pas de service de garde à l’école et que nous avons un taux de suicide très élevé. Il y a eu deux suicides au cours du dernier mois.

Il y a eu trois tentatives. C’est très dur. Je pensais avoir le temps de parler, mais merci de la question.

Notre taux d’assiduité a beaucoup diminué. Le dernier suicide, c’est celui d’un garçon de 15 ans. Il venait tout juste de commencer la 10e année. Nous n’avons pas de conseiller, encore moins de conseiller scolaire ou de travailleur en santé mentale. C’est un peu comme si nous étions en état d’urgence, un suicide après l’autre. C’est dur. Nous demandons au gouvernement s’il peut nous aider. Nous tendons la main. Nous avons besoin d’aide.

Tout a commencé par la réinstallation de gens. Ma mère est décédée à 45 ans parce qu’elle a été déplacée dans une autre collectivité. Elle venait tout juste de commencer sa vie. De plus, beaucoup de personnes ont été envoyées dans des pensionnats. Je suis une survivante des pensionnats. Nous devons briser ce cycle de problèmes de santé mentale qu’il y a là-haut, mais nous n’avons pas de centre psychiatrique vers lequel nous tourner. Nous devons sortir du territoire simplement pour obtenir de l’aide. Le coût de la vie et le coût des billets d’avion sont tellement élevés que nous ne pouvons pas nous permettre d’y aller. Des aînés sont envoyés du Nunavut vers Ottawa parce que nous n’avons pas d’installations pour aînés, il n’y en a pas au Nunavut. Il y a 25 collectivités au Nunavut, et il n’y a un centre pour aînés dans aucune d’elles. C’est ce qui est le plus dur.

Les enfants peuvent aller là où ils veulent. Il y a deux installations à Arctic Bay. Si le jeune a moins de 13 ans, tant pis pour lui. Il n’y a pas de centre récréatif pour ces jeunes. Les moins de 25 ans sont la tranche de population la plus nombreuse au Nunavut et, malgré tout, il n’y a rien pour eux. Il y a des aînés qui quittent leur propre maison parce qu’ils craignent leurs petits-enfants ou leurs enfants qui veulent de l’argent pour acheter de la drogue.

Ce n’est pas bien. On devrait mieux traiter les aînés qu’on ne le fait actuellement. Ils ont vécu tellement de choses simplement pour nous élever, et ils ont vu leurs enfants être obligés de quitter le territoire pour faire des études, et, malgré tout, personne ne s’est excusé à eux pour la réinstallation des gens. Imaginez que vos parents déménagent dans une autre collectivité, afin qu’on puisse dire que cette collectivité est au Canada même si les gens s’en foutent de l’endroit où ils vivent, tant que c’est au Canada.

Nous sommes Canadiens en partie, mais on nous laisse tellement de côté dans beaucoup de dossiers. Le coût de la vie peut être jusqu’à quatre fois plus élevé que ce que vous payez. Le dollar canadien ne vaut pas la même chose au sud et au nord. Ça me brise le cœur. Nous faisons partie du Canada. C’est un peu comme si nous étions des gens abandonnés là-haut. Je ne veux pas avoir à le dire, mais nous avons besoin d’aide, et c’est difficile d’en obtenir. Vous avez entendu les aînés dire que nous venons de perdre un autre aîné il y a deux jours. Nous perdons des gens qui sont des encyclopédies vivantes. C’est très malheureux.

Je tiens à vous remercier d’écouter mes préoccupations. J’aimerais aussi remercier tous les autres qui ont parlé. Merci.

Le sénateur Patterson : Je tiens à remercier tous les témoins de nous décrire l’état de crise qui touche le Nunavut. De plus, les gens là-bas sont maintenant confrontés à un autre changement social majeur qui aura assurément des répercussions négatives.

Madame Kotierk, vous avez parlé d’un comité tripartite qui a été créé pour se pencher sur la question des centres de traitement au Nunavut et de l’importance d’offrir des programmes communautaires de santé mentale et de bien-être, comme d’autres témoins l’ont aussi dit.

Nous sommes sur le point de rendre la marijuana légale au Canada. C’est une importante priorité du gouvernement fédéral. Beaucoup de personnes du Nunavut à qui j’ai parlé ont dit : « Nous ne sommes pas prêts. Nous n’avons pas les installations nécessaires. » M. Shooyook en a parlé.

Pouvez-vous nous dire le chemin que vous avez parcouru jusqu’à présent en collaboration avec le gouvernement fédéral? Je n’ai rien vu dans le dernier budget pour la santé mentale, le bien-être et les traitements des Inuits. Êtes-vous optimiste et pensez-vous que, en travaillant en collaboration avec Santé Canada et le gouvernement du Nunavut, il y aura quelque chose en place tandis qu’on est sur le point d’apporter un autre changement social qui aura une incidence majeure au Nunavut, après le massacre des chiens, les pensionnats et les répercussions de l’alcool? Y aura-t-il quelque chose en place au Nunavut? Êtes-vous optimiste à la lumière du travail que vous faites au sein des organismes gouvernementaux?

Mme Kotierk : Merci de la question. Plus précisément, en ce qui concerne le groupe de travail dont j’ai parlé, je sais que les membres ont discuté d’un échéancier de cinq ans; ils ont parlé de la possibilité d’avoir un centre de traitement des traumatismes dans cinq ans. La première priorité, c’est de renforcer la capacité au niveau communautaire pour fournir des mesures de soutien adaptées d’un point de vue culturel et accessibles d’un point de vue linguistique. Il y a un certain nombre de programmes dans nos collectivités qui misent sur les façons de faire inuites et les langues inuites afin de renforcer les capacités parmi les conseillers inuits. C’est sur ça que nous mettons l’accent actuellement. S’il y avait un intérêt et que des fonds étaient affectés, nous aimerions bien que les installations soient construites beaucoup plus rapidement, mais je crois que, vu nos limites, c’est ce vers quoi nous tendons de façon réaliste.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le sénateur White : Merci d’être là. J’ai vécu et j’ai travaillé au Nunavut dans les années 1990, puis, à nouveau, dans les années 2000, à Kimmirut, à Iqaluit. J’ai constaté certains des défis. En fait, j’ai récemment regardé une recherche réalisée à Pond Inlet qui constatait déjà, dans les années 1980, que de 40 à 60 p. 100 des personnes âgées de 12 à 40 ans disaient consommer des produits du cannabis, soit du haschisch ou de la marijuana.

Le défi que je constate au sujet du Nunavut, c’est que même s’il y a une installation à Iqaluit, vous êtes à des milliers de kilomètres des autres collectivités du territoire. Ce n’est pas comme si on peut se rendre à l’installation en voiture. En fait, pour les gens, c’est à peu près la même chose qu’aller à Edmonton, en réalité.

La deuxième chose, c’est que s’il n’y a pas de réglementation mise en place le 1er juillet, le projet de loi pourrait faire en sorte que quelqu’un à Kimmirut pourra aller en ligne et commander un produit de marijuana par la poste vu le cadre législatif actuel.

Selon vous, le projet de loi devrait-il être modifié de façon à ce que les territoires ou les collectivités autochtones aient besoin d’adhérer à la légalisation pour que cela se produise, parce qu’il n’y a pas d’option actuellement? Si vous ne rédigez pas une réglementation d’ici le 1er juillet — et je crois savoir que cela ne se produira probablement pas —, eh bien, après le 1er juillet, les gens dans des petites collectivités pourront commencer à commander des produits de marijuana par la poste. Selon vous, faudrait-il changer le projet de loi afin qu’un territoire soit obligé d’adhérer au régime de légalisation plutôt que poursuivre dans la voie actuelle?

J’accepte la réponse de tous les témoins, en passant, mais je sais, madame la présidente, que vous avez probablement une réponse.

[Traduction de l’interprétation]

M. Uttak : Ce dont vous avez parlé, l’éducation pour la prévention… lorsque l’éducation a commencé, notre vie au Nunavut a commencé à changer, surtout à Igloolik. En 1959, toute notre vie a disparu puisque nos enfants ont commencé l’école. Nos interactions sociales ont commencé à diminuer. Notre vie traditionnelle a commencé à s’effacer. Nous avons commencé à tout perdre.

À Igloolik, au Nunavik, il y a un conseiller et un travailleur en santé mentale, et ils travaillent pour le gouvernement. Ils les conseilleraient.

Vu nos connaissances traditionnelles, notre mode de vie et le fait que nous essayons de garder nos familles unies, on consulte parfois les aînés. Ils essaient constamment de les aider d’un point de vue psychologique ou autre. Ils ont arrêté parce qu’il y a des lois qui les en empêchent. Tout cela les empêche de faire leur travail, parce qu’il y a des lois en place, alors ils se tournent vers les aînés.

Ici, au Nunavut, nous tentons de recueillir des renseignements sur la vraie façon traditionnelle inuite de composer avec les problèmes sociaux. Nous avons eu des problèmes parce que le gouvernement, les travailleurs sociaux et le mode de vie traditionnel inuit, tout ça diminue. Il reste très peu d’aînés. Il y a très peu de voix actuellement. Nous ne sommes que quelques-uns à pouvoir le faire, quelques-uns qui se rappellent toutes les connaissances traditionnelles.

Je ne veux pas arrêter de défendre les droits de mes Inuits. Mon épouse et moi étions là, et nous leur montrons comment vraiment être un Inuit et nous leur enseignons les connaissances traditionnelles. Ils sont à Clyde River, et je crois que c’est un bâtiment du gouvernement du Nunavut.

S’il vous plaît, comprenez d’où nous venons. Entreprenons un processus de réconciliation ici. Travaillons en collaboration et en partenariat sur ce dossier.

Je ne veux pas m’éterniser. Merci.

M. Shooyook : Je voulais dire quelque chose sur l’éducation. À la lumière de ce que j’ai vu, en 1967, je suis parti du camp et j’ai déménagé à Arctic Bay. À partir de là, nos enfants ont dû aller à l’école, alors nous les avons confiés à l’école afin qu’ils apprennent des choses sur le mode de vie de la bonne façon. Nous n’avons plus aucun contrôle là-dessus.

Depuis, il y a des problèmes, qui continuent jusqu’à aujourd’hui. Nous, qui vivons au Canada, surtout au Nunavut, avons vraiment besoin d’aide en ce qui concerne les problèmes sociaux. C’est pour cette raison qu’il y a actuellement beaucoup trop de personnes qui se suicident. Elles n’arrivent pas à composer avec la vie. Chaque jour, nous sommes confrontés à l’alcoolisme, aux drogues et aux suicides.

Comme vous voyez, je porte du rouge; c’est en soutien pour eux, les personnes assassinées et disparues. Les gens se font tirer dessus par des policiers en raison de l’alcool. Ils tuent les nôtres en raison de l’alcool. Nous n’avons nulle part ailleurs où nous tourner.

Je suis un aîné. Cette connaissance traditionnelle, je l’ai encore. Je compose encore avec elle. Il n’y a pas de service pour nous. Il n’y a pas d’aide pour nous. Je suis assez convaincu que tout ce que je dis actuellement n’aidera pas non plus.

Au Nunavut, les aînés sont à bout. Si nous perdons notre mode de vie, c’est fini. Nous serons définitivement détruits. La chose la plus importante pour laquelle nous sommes ici, c’est que nous n’avons pas de conseiller. Il y en a quelques-uns. Il y a des policiers.

Cependant, quant à moi, j’essaie d’obtenir de l’aide lorsque j’en ai besoin, mais je finis toujours par n’avoir rien, en raison des lois qui ont été érigées devant moi.

Si vous légalisez le cannabis, nous allons vraiment avoir besoin de votre soutien. Il faut construire un centre de guérison et de lutte contre la toxicomanie. Je sais que tout ça aura une incidence importante sur les nôtres.

Nos vies sont précieuses, nos enfants à l’école, surtout. Ce mois-ci, j’ai parlé à des jeunes de l’école secondaire qui veulent quitter l’école, qui abandonnent. Je les ai conseillés. Il faut mettre quelque chose en place pour eux.

Au Nunavut, c’est très important. Nous pouvons y arriver grâce à la réconciliation. S’il vous plaît, aidez les gens du Nunavut. Ils ont vraiment besoin d’aide. Nous avons vraiment besoin d’aide.

Nous sommes beaucoup de petites collectivités, je sais, mais tout ça les détruira. Nous avons vraiment besoin de votre aide. C’est très important. C’est urgent. C’est un dossier crucial, parce qu’il n’y a rien eu en place pendant 50 ans tandis que nous tentions de créer le Nunavut, et pour aider à la planification.

Si possible, il faut que tout soit en place là-haut avant la légalisation. Il y a trop de personnes qui se suicident en raison de l’alcool et du cannabis. C’est inacceptable.

Nous ne voulons plus être confrontés à de nouveaux problèmes, à des choses avec lesquelles nous ne pouvons pas composer. Il n’y a rien en place en vue de la légalisation du cannabis au Nunavut. C’est important. Je voulais en dire plus à ce sujet.

[Traduction]

Mme Kotierk : Je vais commencer par répondre à la question du sénateur White.

[Traduction de l’interprétation]

Vous pouvez parler en inuktitut. Merci beaucoup. Vous êtes de Kimmirut, et j’ai vécu à Iqaluit. Merci.

[Traduction]

Je trouve la question très intéressante, soit de savoir si la collectivité peut décider d’adhérer ou non. Devrait-il s’agir là d’un choix qui revient à la collectivité?

Selon moi, je crois qu’une meilleure question serait la suivante : est-ce que le gouvernement fédéral est responsable d’assurer une bonne gouvernance et de s’assurer que l’administration à laquelle il impose la priorité de mettre en œuvre tout ça est en mesure d’appliquer la politique ou la loi, peu importe, qu’il met de l’avant. Et par administrations je ne veux pas dire seulement les gouvernements provinciaux et territoriaux... il faut aussi faire les choses de façon à respecter les obligations prévues dans les traités modernes.

Selon moi, à ce moment-ci, le gouvernement fédéral n’a pas fait preuve de diligence raisonnable de façon à respecter l’article 32 et à s’assurer que les Inuits participent à la conception et à l’élaboration des politiques sociales et culturelles en ce qui concerne le projet de loi. Franchement, je crois que dans notre administration, au Nunavut, il y a tellement de besoins pressants. C’est injuste et inimaginable que le gouvernement fédéral s’attende maintenant à ce que le gouvernement public, le gouvernement du Nunavut, qui a été créé conformément à l’accord du Nunavut, par application de l’article 4, soit responsable de ce projet de loi et doive en faire une priorité en raison de la date butoir du 1er juillet 2018.

Le sénateur White : Merci beaucoup de votre réponse. Je me suis rendu dans certaines collectivités au Nunavut lorsqu’elles ont décidé d’interdire l’alcool, d’en limiter l’accès de façon totale ou de permettre un accès total, à Iqaluit, par exemple. Je crois qu’Iqaluit, Cambridge Bay et Rankin sont peut-être les seuls endroits — du moins la dernière fois où j’y vivais — où il y a des débits de boissons dans les hôtels locaux.

Mais ce sont les collectivités qui ont pris ces décisions. Ce ne sont pas toujours des décisions faciles. En fait, j’y suis allé deux fois lorsque les votes ont eu lieu, et c’était très difficile. Cependant, des décisions ont été prises à la lumière de l’état de préparation de la collectivité à composer avec certaines situations.

Je continue d’entendre dire que les collectivités ne sont pas prêtes. En fait, si j’ai bien compris, actuellement, le Nunavut n’a pas encore un programme complet de traitement résidentiel pour les toxicomanes. Et même s’il y en avait un, il en faudrait 20, en raison de… J’ai déjà parlé de la distance et de l’accès très limité aux collectivités.

On en revient donc toujours au même point : est-ce que quelqu’un d’autre que le gouvernement fédéral devrait prendre la décision quant à savoir si le Nunavut, les habitants, sont prêts pour la légalisation de la marijuana? J’entends tout particulièrement certaines collectivités parler des importants gains financiers qu’elles tireront en raison de l’ouverture d’une immense usine à Smiths Falls ou ailleurs. Ce ne sera pas une réalité pour le Nunavut. Il n’y aura pas des cultures commerciales au Nunavut; il n’y a donc pas de gain financier, de mon point de vue, à tout cela.

J’imagine qu’on est revenu au fait que nous espérons qu’il y aura des modifications. Croyez-vous à une modification qui exigerait du gouvernement fédéral qu’il s’assure qu’une collectivité est prête à composer totalement avec l’accessibilité totale de la marijuana?

Mme Kotierk : Je crois que c’est logique d’imaginer qu’une collectivité serait en position de discuter avec le gouvernement fédéral, et je crois que c’est ce que l’article 32 de notre accord du Nunavut prévoit, c’est ce à quoi s’attendent les Inuits, qu’ils participent à l’élaboration et la conception des programmes culturels et sociaux et à l’élaboration des politiques. Par conséquent, selon moi, c’est tout à fait logique.

La présidente : Juste avant que vous posiez votre question supplémentaire, nous sommes à la fin du temps prévu. Il y a deux autres intervenants, alors si tout le monde pouvait poser des questions rapides, nous pourrions prévoir cinq minutes de plus.

Le sénateur Patterson : Vous avez parlé de l’obligation de consulter, madame Kotierk. J’ai posé une question sur ce que le gouvernement fédéral a fait pour consulter les Inuits au Sénat, et on m’a dit que vous avez rencontré le secrétaire parlementaire, Bill Blair.

Pouvez-vous nous dire si c’est là, selon vous, un processus de consultation adéquat au titre de l’article 32 et nous préciser ce qui en est ressorti?

Mme Kotierk : Merci de la question, monsieur le sénateur Patterson. Je savais que vous aviez posé la question, et j’étais très intéressé par la réponse qui a été fournie, parce que, si je m’en souviens bien, la réponse, c’était qu’il y avait eu une certaine consultation avec Inuit Tapiriit Kanatami ainsi qu’avec le gouvernement du Nunavut. Je veux dire ici que Inuit Tapiriit Kanatami n’est pas une organisation de revendications territoriales. C’est un groupe de défense nationale des droits qui représente quatre régions faisant l’objet de revendications territoriales inuites, et chacune de nos organisations de revendications territoriales représente les Inuits dans chacune de nos régions.

Le gouvernement du Nunavut est un gouvernement public, qui découle de l’accord du Nunavut, oui, mais il reste tout de même un gouvernement public. Dans ce cas-là, les Inuits du Nunavut n’ont pas été consultés.

J’ai bel et bien eu une brève réunion avec le secrétaire parlementaire, Bill Blair. Est-ce une consultation suffisante? Non. Durant la réunion initiale, je le rencontrais pour la première fois. Nous avons bel et bien parlé de la Loi sur le cannabis. Nous avons parlé de l’inuktitut. Nous avons parlé du besoin de créer des centres de traitement de la toxicomanie. Je lui ai dit clairement qu’il devait venir au Nunavut.

Par conséquent, selon moi, c’est insuffisant. Si on estimait qu’il s’agissait là d’un engagement public suffisant, je suis alarmée.

Il y a trois régions au Nunavut du fait que le territoire est tellement vaste, et il y a des présidents dans les trois régions. Je crois que, au minimum, il devrait y avoir une certaine discussion durant la réunion du conseil de l’organisation inuite afin qu’on nous présente une mise à jour sur ce qui se passe.

Je crois vraiment que, dans les 25 collectivités du Nunavut… Je sais que le gouvernement du Nunavut a mené certaines consultations. Les gens ne vont pas se rendre dans chaque collectivité, mais je crois vraiment que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer et qu’il doit accompagner le gouvernement du Nunavut dans les collectivités de façon à pouvoir répondre à toutes les questions des membres de ces collectivités.

La sénatrice McCallum : Merci beaucoup de vos exposés. Vous avez parlé avec votre cœur et votre esprit, et je vous en remercie.

J’ai travaillé dans le Nord, au Manitoba, en tant que professionnelle de la santé pendant de nombreuses années, et je comprends beaucoup des problèmes associés à toutes les maladies dans nos collectivités.

Voici ma question : quelles recommandations formuleriez-vous lorsque vous examinez le modèle de réconciliation, lorsque vous regardez les différentes régions, l’isolement, la distance et les différents groupes qu’il y a là-haut? Qu’est-ce que vous nous recommanderiez?

M. Qulaut : Merci de la question.

[Traduction de l’interprétation]

Je vais répondre en inuktitut. C’est quelque chose à quoi on a beaucoup réfléchi, et il y a beaucoup de questions à se poser à ce sujet. Nous commençons maintenant à comprendre quelle est la réponse, mais je ne l’ai pas encore, maintenant, parce que c’est quelque chose de très nouveau pour nous et que nous sommes quelques-uns à travailler là-dessus et qu’il n’y a pas vraiment une bonne connaissance de la situation. Certains le savent, certains ne le savent pas. Il y a des malentendus, bien sûr, relativement à la loi.

Le gouvernement du Nunavut s’est fait poser la même question depuis l’année dernière; c’est un processus très rapide, et nous devons prendre des décisions à ce sujet. Par conséquent, nous sommes encore en train d’apprendre et nous n’avons plus de temps, parce que la loi sera adoptée. Comme l’aîné l’a dit tantôt, les gens n’arrêtent pas d’être confrontés à des lois les empêchant de pousser plus loin certaines choses. Il y a beaucoup de choses avec lesquelles nous devons composer. Il n’y a rien. C’est trop tard.

Je pense à la fédération Nunavut Tunngavik, au gouvernement du Nunavut et aux organisations inuites qui doivent bien penser à tout cela et mener des consultations afin de s’assurer que ce qui sera mis en place sera utile pour nos collectivités. C’est quelque chose de tout nouveau pour nous et nous l’apprenons par les nouvelles de la CBC. Le gouvernement ne nous a jamais posé la question. Par conséquent, voilà ce que je pense pour l’instant; si nous pouvons négocier, probablement à partir de nos organismes, NTI, le gouvernement du Nunavut… Peut-être que ces deux-là peuvent travailler en collaboration avec les aînés et d’autres gouvernements et probablement consulter ces gens.

Par conséquent, je crois que ce sont là les priorités. Merci beaucoup de la question.

[Traduction]

Le sénateur Christmas : Pour commencer, toutes mes condoléances pour vos jeunes qui sont disparus récemment. Merci beaucoup de l’explication au sujet de l’article 32. Je ne le savais pas ou ne le comprenais pas, et je peux comprendre pourquoi c’est une préoccupation. Et merci aussi beaucoup de la résolution adoptée durant votre récente réunion générale annuelle.

Je tiens à confirmer ce que j’ai tiré des témoignages de vous cinq. Ce que vous dites au Canada, c’est que la légalisation de la marijuana ne fera qu’empirer la situation au Nunavut, non seulement pour vous, les aînés, mais aussi pour les jeunes, et vous demandez au Canada de reporter l’adoption du projet de loi C-45 jusqu’à ce que le Canada ait pris certaines mesures, espérons-le, grâce à des négociations, pour créer des centres de traitement de la toxicomanie, des centres de services en santé mentale et de guérison, non seulement pour composer avec l’incidence de la légalisation de la marijuana, mais aussi pour composer avec les répercussions actuelles liées à l’alcool et aux drogues dans vos collectivités.

Ce sont les messages que j’ai entendus ce matin. Est-ce ce que vous nous dites? Est-ce que je vous comprends bien?

Mme Kotierk : Monsieur le sénateur Christmas, merci de nous dire que vous avez entendu ce que nous avons dit. Je suis très heureuse de dire que nous avons énoncé très clairement les besoins dans notre territoire. La seule chose que j’ajouterais, c’est qu’il faut que ce soit fait en inuktitut.

La sénatrice McCallum vient de nous poser une question au sujet de la réconciliation, ce que nous en pensons et de quelle façon nous croyons pouvoir y arriver.

Selon moi, la langue est un facteur essentiel. J’en ai parlé plus tôt. Je vous ai dit que la majorité de la population est inuite. La majorité de la population parle inuktitut. Beaucoup des nôtres ne parlent pas anglais. Et, dans nos terres natales, les gens doivent aller dans des magasins et se tourner vers des gens comme moi, qui sont bilingues, afin de pouvoir acheter du tissu, de l’essence. On perd notre dignité lorsqu’on ne peut pas être qui on est et qu’on ne peut pas communiquer dans la langue qu’on a toujours connue. Je crois que c’est néfaste pour notre sentiment d’identité et notre entité fondamentale en tant qu’Inuits.

Tous les programmes et les renseignements venant du gouvernement fédéral ou de tout gouvernement doivent être en inuktitut, de façon à ce que nous puissions comprendre, si l’on veut vraiment assurer la réconciliation. C’est la seule chose que j’ajouterais.

La présidente : Nous arrivons à la fin. Je tiens à remercier, au nom des membres du comité, les témoins, ce matin, de NTI, la présidente Aluki Kotierk, et, à titre personnel, les aînés Isaac Shooyook et Louis Uttak. Vous avez été très convaincants.

Nous sommes maintenant prêts à accueillir les membres du deuxième groupe. Les premiers témoins représentent IndigiCo. Ils sont trois. Une seule personne présentera une déclaration. Nous accueillons Mike Fontaine, vice-président, Sara Loft, vice-présidente, et Howard Morry, leur conseiller juridique. Je vous cède la parole afin que vous puissiez présenter un bref exposé. Allez-y, s’il vous plaît.

Sara Loft, vice-présidente, IndigiCo : Je m’appelle Sara Loft.

[Note de la rédaction : Mme Loft parle dans sa langue autochtone.]

Je suis une Kanien’kéha, du territoire Mohawk Tyendinaga. Je suis vice-présidente des affaires, du développement et de l’expansion organisationnelle d’Indigenous Roots ainsi que représentante d’IndigiCo.

Je suis accompagnée aujourd’hui de mon collègue, Mike Fontaine, et de Howard Morry, conseiller juridique d’IndigiCo. Il est aussi un président d’EDIP, une plateforme de gestion de la richesse pour Autochtones. Je vais leur permettre de se présenter.

Mike Fontaine, vice-président, IndigiCo : Bonjour. Merci de nous donner l’occasion de nous présenter. Je suis membre de la nation Sagkeeng au Manitoba. Je signifie respectueusement ma présence à la chambre supérieure de notre partenaire de traité. Merci à vous d’être là et merci de nous permettre de nous faire entendre.

Howard Morry, conseiller juridique, IndigiCo : Encore merci de nous accueillir. Nous allons tous présenter une partie de notre exposé, puis nous répondrons à vos questions. Je crois, Sara, que tu vas commencer.

Mme Loft : Oui. Nous avons préparé certaines observations, et nous allons vous les présenter maintenant.

Le projet de loi C-45 aura une grande incidence sur les peuples et les collectivités autochtones. Parmi ces répercussions, il y a des risques liés à la santé publique et à la sécurité dans les collectivités autochtones et les régions municipales où il y a d’importantes concentrations d’Autochtones.

Même si nous sommes consternés par le fait que les Autochtones n’ont pas été inclus dans le processus actuel lié au projet de loi sur le cannabis, nous allons laisser l’analyse et la prise des mesures d’atténuation relativement à ces répercussions aux collectivités et organisations autochtones qui parleront au comité sénatorial.

Nous soutenons toutes les initiatives dont conviennent les dirigeantes et dirigeants autochtones et qui accordent aux collectivités les ressources et la liberté nécessaires pour composer avec les répercussions locales, régionales et nationales de ce projet de loi, y compris, entre autres, les arrangements sur le partage des revenus avec les gouvernements et les collectivités autochtones touchés par le projet de loi C-45.

Aujourd’hui, nous allons mettre l’accent sur ce que nous tirons de notre expérience liée au marché du cannabis et sur les politiques qui, selon nous, devraient être adoptées afin que les groupes autochtones soient mieux placés pour tirer avantage des immenses occasions économiques et commerciales rendues possibles par le projet de loi C-45.

Indigenous Roots est une entreprise conjointe du domaine du cannabis créée en partenariat avec le Cronos Group, une société cotée en bourse qui possède à part entière deux installations autorisées produisant actuellement 2 600 kilogrammes de cannabis chaque année, et IndigiCo, le partenaire dont le contrôle et la propriété revient à des Autochtones qui sera responsable de l’image de marque et de la distribution. IndigiCo est dirigé par l’ancien chef national Phil Fontaine qui a aussi été trois fois chef national de l’Assemblée des Premières Nations.

Notre entreprise met l’accent sur le fait qu’elle appartient à des Autochtones et qu’elle est exploitée par des Autochtones, elle fournit des emplois dans les collectivités des Premières Nations et assure la réconciliation économique des Autochtones grâce à la création de richesse. Nous avons un modèle d’affaires unique puisque notre plate-forme visant à offrir des occasions aux collectivités autochtones mise sur l’élargissement des permis accordés à un producteur actuellement accrédité, ce qui offre des possibilités d’investissement accéléré visant l’exploitation et la participation dans le domaine du cannabis.

Initialement, Indigenous Roots a été créé en tant qu’entreprise produisant du cannabis thérapeutique parce que nous reconnaissions le besoin de fournir un accès équitable aux Autochtones à des médecines de rechange pour un certain nombre de maux et une option supérieure en ce qui a trait à la réduction des méfaits.

Cependant, maintenant que la légalisation de la consommation récréative pointe à l’horizon, il y a une occasion majeure pour Indigenous Roots de fournir des produits de qualité dans le marché.

Depuis l’annonce de notre entreprise, en décembre 2017, nous avons rencontré plus de 100 collectivités des Premières Nations un peu partout au Canada, des collectivités qui s’intéressent au domaine commercial du cannabis. Le désir de produire et d’investir était marqué, mais nous avons constaté qu’il y avait un certain nombre de problèmes empêchant les Premières Nations de saisir l’occasion d’être à l’avant-plan d’un nouveau marché durable. Il s’agit d’enjeux qui, selon nous, sont uniques aux Premières Nations et minent leur droit à la dignité économique.

Les collectivités et les peuples autochtones ont besoin d’un organisme d’investissement qui leur appartient et qu’ils contrôlent pour stimuler le développement économique et les revenus autonomes. Nous reconnaissons que l’Autorité financière des Premières Nations permet aux collectivités d’avoir accès à des capitaux pour assurer leur développement économique. Cependant, les collectivités individuelles doivent respecter des qualifications d’accréditation pour avoir droit à des prêts, ce qui peut prendre jusqu’à cinq ans, mais, la réalité, c’est que la majeure partie des collectivités ont besoin d’assurer leur croissance économique immédiatement. Le développement économique est nécessaire pour créer des occasions à l’intention des membres de la collectivité, afin que ceux-ci puissent toucher un revenu compétitif et renforcer leurs compétences. Les occasions professionnelles dans les secteurs du cannabis sont liées à des postes exigeant une formation poussée et des compétences transférables. Les postes dans le domaine de l’horticulture, de la sécurité et de l’entreposage, des systèmes de CVC et celui de la mécanique sont de vraies carrières, pas des postes de niveau inférieur qu’on offre souvent aux membres des collectivités autochtones dans le cadre des projets d’exploitation des ressources. Chaque installation peut offrir plus de 20 postes spécialisés permanents.

Les recettes autonomes permettent aux collectivités autochtones de financer leurs priorités, comme le logement, l’infrastructure, l’éducation, les programmes de santé et les programmes sociaux. Le sous-financement des collectivités des Premières Nations dans de nombreux domaines est soulevé par le vérificateur général depuis des années. Le gouvernement s’est engagé à appliquer les recommandations figurant dans les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Le point ii de l’appel à l’action 92 sur les entreprises et la réconciliation est le suivant :

Veiller à ce que les peuples autochtones aient un accès équitable aux emplois, à la formation et aux possibilités de formation dans le secteur des entreprises et à ce que les collectivités autochtones retirent des avantages à long terme des projets de développement économique.

Ce serait le bon véhicule pour s’assurer que l’engagement est respecté dans la législation.

Le fait d’avoir le bon instrument ou le bon véhicule pour participer à la production, la distribution et la vente du cannabis et en tirer profit... La production et la distribution régionale et locale de cannabis créent des emplois, des possibilités de formation et des occasions économiques secondaires en plus d’occasions de générer des recettes à l’échelle régionale et de permettre des revenus autonomes. La capacité de devenir producteur autorisé permet d’avoir les moyens de produire et/ou de distribuer du cannabis à l’extérieur des réserves ou des territoires autochtones traditionnels, ce qui peut mener à une participation positive importante de plus grande envergure au sein de l’économie, à la génération de richesse et de revenus propres et à l’augmentation des occasions professionnelles et d’enseignement.

De plus, l’accès à la distribution du cannabis vers les marchés internationaux et les occasions d’exportation créeront encore plus de richesse. La capacité pour les Autochtones de générer de la richesse élimine tous les obstacles causés par la pauvreté, y compris la capacité de nous occuper de nos enfants et d’en prendre soin comme peuvent le faire les autres Canadiens.

Actuellement, nos partenaires ont obtenu des permis de vente et de culture en Allemagne, en Israël et en Australie. Cela ouvre des marchés en Nouvelle-Zélande et en Asie de l’Est. Selon le Rapport mondial sur les drogues de 2016, il y a plus de 182 millions de consommateurs de cannabis à l’échelle mondiale, qui créent un marché estimé à plus de 150 milliards de dollars par année. Nous devons nous assurer que les collectivités autochtones ont les bons outils pour acquérir une expertise et être des intervenants de premier plan dans le marché mondial.

Comme je l’ai dit, nous témoignons au nom d’IndigiCo, l’organe autochtone de Indigenous Roots, mais notre partenaire, Michael Gorenstein, le directeur général du Cronos Group, tenait à rappeler que son groupe est déterminé à maintenir sa relation avec M. Fontaine, son équipe et les Autochtones du Canada, un segment marginalisé de la société.

Nous voulons que les collectivités aient des occasions et que le gouvernement fédéral règle les questions liées à l’équité. Nous sommes déterminés à réussir la réconciliation et sommes heureux de participer à un projet qui permettra de vraiment changer les choses dans les collectivités autochtones.

M. Morry : Je vais m’occuper de cette partie-ci de l’exposé. Nous avons cerné certains obstacles qui nous empêchent de tirer profit des occasions découlant du projet de loi C-45 et nous voulons vous formuler certaines propositions précises.

Pour commencer, en ce qui concerne ce qui nous empêche de saisir les occasions découlant du projet de loi C-45, il y en a cinq : le manque d’expérience des Autochtones dans le domaine de la production, de la distribution et de la vente du cannabis, la difficulté d’obtenir des permis pour la culture ou la distribution du cannabis, surtout en situation de concurrence entre des groupes autochtones et de grandes et riches entreprises de finance, l’absence d’accès à l’expertise et aux capitaux — de plus, les Autochtones ont à l’esprit cette notion limitative d’un point de vue économique lié au fait de tout simplement tirer, comme c’est le cas depuis longtemps, un revenu modeste grâce aux droits qu’ils possèdent — et la taxe d’accise fédérale proposée sur les ventes de cannabis, dont une portion sera partagée avec les administrations municipales et les gouvernements provinciaux, mais pas avec les gouvernements autochtones.

Pour ce qui est des propositions, nous proposons au gouvernement du Canada d’appliquer les recommandations suivantes pour accroître la probabilité que les collectivités et les peuples autochtones pourront stimuler leur développement économique et générer des revenus propres grâce à l’industrie du cannabis découlant de l’entrée en vigueur du projet de loi C-45. Il y a quatre recommandations.

Premièrement, un permis préférentiel à l’intention des groupes appartenant à des Autochtones ou contrôlés par des Autochtones qui cultivent et distribuent du cannabis. Deuxièmement, réserver des processus d’approvisionnement et prévoir des politiques dans ce marché pour les groupes appartenant à des Autochtones et contrôlés par ceux-ci. En d’autres mots, lorsque des permis sont accordés à des groupes non autochtones, il faut s’assurer que des groupes autochtones participent aussi. Il faut créer un fonds grâce aux taxes et droits générés par les ventes de cannabis, fournir des subventions, des contributions, des prêts et des garanties de prêts aux groupes appartenant à des Autochtones ou contrôlés par ceux-ci. Ces groupes pourront utiliser ces fonds pour renforcer leur croissance et leur fonds de roulement et pour financer des investissements dans le but de faire des acquisitions et de miser sur des coentreprises dans ce marché.

Nous pouvons vous dire à la lumière de l’expérience qu’IndigiCo a accumulée que le simple fait de participer au marché durant les étapes d’avant-projet a fait en sorte que M. Fontaine, en particulier, a dû prendre beaucoup de son propre argent pour financer les premières étapes de développement. Encore une fois, nous livrons concurrence à de très grandes entreprises, alors un fonds pour aider durant ces premières étapes ainsi que des fonds pour assurer la croissance et pour avoir le fonds de roulement nécessaire serait extrêmement utile.

Enfin, il faut créer un organe responsable des relations avec les Autochtones pour aider le secrétariat responsable de la légalisation et la réglementation du cannabis. Par conséquent, il faut créer ce nouveau groupe au sein de Santé Canada.

M. Fontaine : Merci. Nous tous, chez IndigiCo Limited Partnership, croyons que la légalisation du cannabis est une occasion sans précédent de bien faire beaucoup de choses. Les Premières Nations participent aux échanges et au commerce internationaux depuis des millénaires. Cela dit, la situation dans laquelle nous nous retrouvons maintenant, c’est que nous n’avons jamais accepté d’être marginalisés, ni économiquement, ni socialement, et nous ne pouvons pas tout simplement continuer d’attendre que notre partenaire de traité tient compte de nos besoins.

Les Autochtones ont aussi l’occasion de générer des revenus de la même façon que les entités non autochtones, pas en tant que fournisseurs de services auxiliaires, mais en tant que propriétaires-exploitants. De ce que j’ai vu et entendu partout au Canada, nous n’estimons pas qu’il est nécessaire ni productif d’un point de vue macroéconomique de limiter la discussion liée au projet de loi à un arrangement de rabais, comme c’est le cas pour le tabac et le carburant vendus à l’intérieur des limites des réserves. Ce projet de loi devrait vraiment être perçu comme une réelle occasion d’être enfin des partenaires égaux au sein d’une industrie globale, des semences à la vente des produits.

Nous croyons aussi que ce projet de loi est l’occasion parfaite pour le Canada de financer et de réaliser des recherches sur le cannabis. Nous avons exercé des pressions sur Santé Canada pour qu’il fournisse un financement de recherche sur les applications thérapeutiques en mettant l’accent sur la réduction des préjudices. Nous avons participé à deux réunions avec des représentants de Santé Canada. Durant la dernière réunion, notre demande a été refusée parce qu’il n’y avait pas de données pour soutenir la recherche, et la seule façon d’obtenir des données, c’est grâce à des recherches, justement. Par conséquent, on se retrouve dans l’impasse de la poule ou l’œuf. Il s’agit donc là d’une difficulté, non seulement pour nous, mais pour le reste du Canada, car une bonne partie des renseignements qui sont fournis ou des idées qui sont exprimées, soit publiquement soit en privé, et même au Sénat, la plupart du temps, se fondent sur des opinions, pas sur des faits. Je crois que si nous avions la capacité de fournir nos propres éléments de preuve empiriques, nous tous, en tant que pays, ici, au Canada, si nous réalisions nos propres recherches portant précisément sur le cannabis, une bonne partie des faits deviendraient, justement, des faits, pas seulement des opinions.

C’est là une occasion clé à côté de laquelle le Canada ne peut pas passer. C’est le moment parfait pour réaliser des recherches sur le cannabis afin que nous puissions continuer à être un chef de file mondial dans le domaine. Actuellement, le Canada est l’étalon or pour le reste du monde en ce qui a trait à la distribution du cannabis et du cannabis thérapeutique en particulier.

Le projet de loi est, sans aucun doute, une rare occasion d’assurer la dignité économique des Autochtones. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire, maintenant, de perpétuer cette notion romantique que les Autochtones sont des curiosités historiques qui errent sans but, habitants d’une terra nullius, chassant et cueillant au fur et à mesure de leurs déplacements. Cette vision doit disparaître. Il n’y a jamais eu d’aussi bon moment que maintenant.

La richesse que nous créons en profitant de cette occasion permettra de faire beaucoup de choses différentes que notre partenaire de traité est incapable de faire grâce à la législation ou la bureaucratie, qui, en fait, contrôlent et déterminent le sort d’une race. C’est un anachronisme auquel il faut absolument mettre fin. Sans accès à nos propres richesses, une richesse qui ne vient pas du bon vouloir du gouvernement, des paiements de transfert ou des programmes de financement… Nous avons maintenant une occasion idéale de générer des richesses d’une façon qui ne heurtera pas les sensibilités de la bureaucratie. Le temps est vraiment venu de prendre notre envol et, enfin, de planer. Désolé d’utiliser cette expression. Il n’y avait pas de jeu de mots là-dedans. Je veux tout simplement que ça soit clair. J’ai dit ça comme ça.

Nous attendons depuis 150 ans que notre partenaire de traité honore ses obligations, pas au petit bonheur, mais parce qu’il y a vraiment un paquet de choses qu’il faut faire et je crois que maintenant, nous avons une rare occasion qu’on ne saurait rater, et il faut l’accepter et faciliter les choses le mieux possible.

Nous avons nous aussi entendu dans le cadre des exposés présentés un peu partout au Canada que le cannabis peut être une mauvaise chose. D’un côté, je suis d’accord, de l’autre, je le conteste. De ce que j’ai lu et des choses que j’ai entendues du public en général, les mauvaises choses causent une dépendance et tuent des gens. Il n’y a aucune preuve nulle part que le cannabis a tué quelqu’un. La quantité nécessaire pour obtenir une dose mortelle chez une personne est aux alentours de 1 500 livres ingérées en 15 minutes. Je ne crois pas que quiconque voudra mettre ma théorie à l’essai. Je crois que personne ne veut faire ça.

Si on parle de préjudice, le préjudice ultime, le préjudice qu’on connaît tous très bien, c’est le risque de mort associé à une substance. Nous parlons actuellement de la crise des opioïdes à l’échelle du pays. Ce n’est pas le cannabis; il s’agit de produits pharmaceutiques. Nous parlons de substances comme le fentanyl où des microgrammes peuvent causer des surdoses mortelles. C’est l’une des choses que le projet de loi peut aider à régler, parce que, du point de vue de l’utilisation thérapeutique, tout ce qui n’entraîne pas de dépendance, et qui n’est pas associé à un risque de dépendance physique, et qui peut remplacer les opioïdes est préférable et devrait être la norme, pas l’exception.

Du point de vue d’un utilisateur, les produits devraient être fabriqués dans des installations de qualité médicale et sans contaminants. C’est une bien meilleure proposition que ce qu’offrent actuellement les installations de culture du marché noir dans des endroits clandestins où il n’y a aucun contrôle lié à la santé et aucun intérêt pour la santé des utilisateurs ou la propreté du produit.

La présidente : Monsieur Fontaine, nous avons deux autres témoins. Pouvez-vous résumer votre propos et conclure bientôt?

M. Fontaine : D’accord. Vous me prenez un peu par surprise, parce que j’ai remarqué que nos frères et sœurs du Nord…

La présidente : Nous avons au total une heure pour tous les témoins du groupe. Habituellement, chaque groupe a environ 10 minutes, mais, dans le cas des aînés, bien sûr, il y a une exception, je crois. En tout, ils ont eu une heure. Nous avions un peu de retard d’entrée de jeu.

M. Fontaine : Je ne le savais pas. Je suis désolé. Je vais résumer mon propos.

Nous pouvons facilement être paralysés par les procédures, ici, mais il est important de souligner que, si nous utilisons un processus de consultation public dans ce cas-ci, habituellement, de façon générale, les lois sont imposées aux nôtres et, maintenant, on a l’occasion de créer une situation à deux volets, pour ainsi dire, où l’aspect commercial du projet de loi peut et devrait coexister avec l’aspect politique. Si nous attendons que l’aspect politique soit réglé, nous pourrions passer à côté de l’occasion.

S’il faut dire une dernière chose pour conclure et que nous manquons de temps, ce que je n’ai entendu personne dire officiellement dans une quelconque situation que ce soit, ici, c’est que le Canada, enfin, grâce au projet de loi, a l’occasion de participer en tant que partenaire égal avec les Autochtones afin de créer une situation où on peut générer des richesses sans acrimonie.

Nous avons vu dans le cas des discussions sur les oléoducs que, dès qu’il y a une activité axée sur les industries extractives, il n’y a que de l’acrimonie, des manifestations, des arrestations et des grincements de dents. Dans ce cas-ci, vous n’allez pas rencontrer les mêmes obstacles et les mêmes problèmes que ceux avec lesquels sont aux prises les industries extractives. Vous n’allez pas miner nos terres. Vous n’allez pas polluer l’eau. Vous ne créez pas une situation où la santé future d’un écosystème est endommagée. Je crois que, si nous pouvons procéder ainsi, et tout de même créer de la richesse et une occasion pour les Premières Nations d’assurer leur dignité économique, alors le Canada devrait aller de l’avant, absolument, et sans le moindre doute. Je m’arrête là.

La présidente : Merci. Nous avons deux autres témoins. Je crois que la liaison par vidéoconférence est prête, et nous accueillons le chef Ross Perley, à titre personnel. Nous accueillons aussi la chef Adams-Phillips, du Conseil des Mohawks d’Akwesasne. Chef Perley, vous nous entendez? On ne dirait pas que ça fonctionne. Pendant que nous travaillons là-dessus, je vais demander à la chef Adams-Phillips de prendre la parole.

Chef April Adams-Phillips, Conseil des Mohawks d’Akwesasne : Bonjour. Mon exposé sera bref. Akwesasne et les Premières Nations ne sont pas préparées à la légalisation du cannabis. À l’heure actuelle, l’emplacement unique de la collectivité frontalière d’Akwesasne en fait une cible pour les activités illégales. Nous voulons atténuer le point de vue négatif que les gens ont de notre collectivité; nous ne voulons pas que ce genre d’activités augmentent.

Nous voulons surtout savoir si le soutien financier provincial sera offert en fonction des propositions. Dans le cas contraire, comment les fonds seront-ils répartis? Allez-vous procéder par nombre de membres? Nous sommes l’une des cinq plus grandes Premières Nations, et nous avons donc besoin de plus de soutien que les petites collectivités. Je parle de soutien financier pour la réduction des méfaits, surtout en ce qui concerne la santé mentale, en plus de ce qu’on nous donne déjà. Nous ne voulons pas que les gouvernements provincial et fédéral se renvoient la balle à propos du financement pendant trois ou cinq ans pendant que les collectivités autochtones souffriront des impacts négatifs du cannabis sur la santé et la santé mentale.

On compte présentement plus de 33 dispensaires non réglementés à Tyendinaga, et la pression sur les services de santé de la collectivité augmente.

Nous avons besoin de soutien afin d’élaborer des lois et des règlements pour encadrer la distribution et les points de vente, en particulier en ce qui a trait à la vente en ligne, puisque cela est accessible aux mineurs. Existe-t-il des mesures de protection?

Vous dites que la TVH est censée s’appliquer à la vente de cannabis, comme dans le cas de l’alcool et du tabac. Nous ne sommes pas vos percepteurs d’impôts. Selon la structure fiscale relative au cannabis, la TVH ne sera pas appliquée au cannabis lorsque la vente se fait sur un territoire des Premières Nations et que le vendeur et l’acheteur appartiennent tous deux aux Premières Nations. Qu’en est-il de la taxe d’accise? Les Premières Nations en seront-elles exemptées? La taxe d’accise est habituellement perçue à l’étape de la production. Quelle incidence cela aura-t-il sur les Premières Nations?

Akwesasne a récemment mis sur pied un groupe de travail sur le cannabis chargé d’étudier les questions entourant la légalisation du cannabis. Nous menons un sondage auprès de la collectivité jusqu’au 29 mars afin de recueillir des opinions à propos de la légalisation du cannabis ainsi que pour évaluer l’information à laquelle les gens ont accès et leur compréhension du sujet. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions des sénateurs.

La sénatrice Boniface : Bienvenue, et merci beaucoup de nous avoir présenté vos exposés. J’ai deux questions à poser. Je vais m’adresser à M. Fontaine en premier.

Vous avez mené des consultations axées sur la prospection de clientèle, et je voulais savoir si les collectivités des Premières Nations sont divisées sur cette question selon leur région ou leur emplacement géographique, au nord ou au sud. Quelles sont vos conclusions? D’après certaines sources, les collectivités qui se trouvent dans le Sud sont plus réceptives, alors que les collectivités dans le Nord ne le sont pas. Je me demandais si les consultations que vous avez menées montrent la même chose.

M. Fontaine : De façon générale, et même individuellement, toutes les personnes que nous avons consultées semblent soutenir la commercialisation du cannabis. Nous n’avons pas constaté l’existence d’une situation différente de celle que le Sénat ou le gouvernement fédéral ou provincial vivent, où il y a une certaine résistance, parce que nous ne nous occupons pas du processus législatif. Nous ne sommes pas tenus de consulter les gens ou le gouvernement. Donc, l’information que nous recueillons ainsi que le contexte dans lequel nous évoluons sont complètement différents.

Je peux dire sans me tromper et sans ambiguïté que tout le monde, d’un océan à l’autre et du nord au sud, semble réceptif jusqu’à présent à ce que nous proposons.

La sénatrice Boniface : Puis-je poser une deuxième question?

La présidente : Nous avons réussi à établir une liaison télévisuelle, alors je vous demanderais de patienter. Nous reprendrons les questions ensuite.

Nous avons la liaison télévisuelle avec le chef Ross Perley. M’entendez-vous? Je peux vous voir.

Chef Ross Perley, à titre personnel : Oui. Je vous entends.

La présidente : Allez-y, je vous prie.

M. Perley : À mon avis, le gouvernement a raté une belle occasion avec ce projet de loi de faire participer les Premières Nations. Ici, dans ma collectivité — la Première Nation Tobique —, nous sommes en faveur de l’utilisation du cannabis à des fins médicales. Certains survivants des pensionnats indiens l’utilisent pour soulager leur arthrite ou autres douleurs. C’est une bonne solution de rechange aux opioïdes.

Du point de vue commercial, nous aimerions avoir l’occasion de participer, et je crois qu’il y a d’autres collectivités d’un bout à l’autre du Canada qui sont du même avis. Vous ratez une occasion en donnant seulement aux collectivités des fonds afin d’atténuer le grand nombre de problèmes qui pèsent sur nos collectivités, comme le logement, par exemple. Il existe des collectivités qui n’ont pas accès à l’eau courante, qui n’ont pas d’infrastructure ou qui sont aux prises avec un taux élevé de suicides. Si nous pouvions participer à une industrie dynamique comme celle du cannabis, cela donnerait aux collectivités les revenus dont elles ont besoin pour régler beaucoup de leurs problèmes. Selon moi, c’est une occasion ratée, et j’espère que le gouvernement va modifier sa position et son projet de loi afin de faire participer les Premières Nations.

Le simple fait d’encourager l’industrie à établir un partenariat avec les Premières Nations aiderait grandement nos collectivités à s’attaquer à leurs problèmes.

La présidente : Merci. Avez-vous terminé votre témoignage?

M. Perley : Je pourrais répondre aux questions s’il y en a.

La présidente : Oui. Reprenons la période de questions.

La sénatrice Boniface avait la parole.

La sénatrice Boniface : Ma question s’adresse à la chef Adams-Phillips. J’ai trouvé votre témoignage très intéressant. Je ne sais pas si vous étiez présente plus tôt lorsque le sénateur White a posé sa question au groupe précédent, mais j’aimerais vous poser la même question.

Serait-ce une bonne chose de modifier le projet de loi de façon à ce que les collectivités autochtones puissent choisir d’être exemptées du projet de loi si elles le désirent? Elles pourront aussi décider du moment où elles seront prêtes à la mettre en œuvre, au lieu que le projet de loi entre en vigueur à la date prévue.

Mme Adams-Phillips : Oui, je crois que oui. Ainsi, elles auront plus de temps pour étudier la question.

La présidente : Chef Perley, avez-vous entendu la question?

M. Perley : Oui. Je crois que l’adhésion volontaire serait une bonne solution, parce que je sais que ce ne sont pas toutes les collectivités qui soutiennent cela. Leur laisser l’option d’adhérer ou non serait un pas dans la bonne direction.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup de nous avoir présenté vos exposés.

Maître Morry, j’ai trouvé vos quatre recommandations très intéressantes. J’ai fait mon possible pour ne pas perdre le fil, mais je me demandais si vous pouviez prendre quelques minutes pour nous les expliquer un peu plus en détail. Je sais que vous les avez déjà énumérées, mais vos quatre recommandations ont vraiment retenu mon attention. Pourrais-je vous demander d’en parler davantage?

M. Morry : Bien sûr. Merci de la question.

La première recommandation concernait l’octroi préférentiel de permis pour les groupes de production et de distribution du cannabis appartenant à des Autochtones ou administrés par eux. Avant tout, rappelez-vous que l’octroi de permis pour la production relève du fédéral, alors que la distribution, dans une grande mesure, relève de la compétence provinciale. En donnant aux groupes autochtones un créneau réservé ou un traitement préférentiel relativement à l’octroi de permis, le gouvernement favoriserait l’établissement de partenariats, puisque les groupes auront un permis. À l’heure actuelle, les groupes autochtones doivent s’associer avec un partenaire qui possède un permis ou qui peut en obtenir un. Il ne s’agit pas nécessairement de marché réservé, ce qui m’amène à mon deuxième point, c’est-à-dire l’établissement d’un approvisionnement durable et d’une politique de réservation dans le marché qui avantagerait les groupes appartenant à des Autochtones ou administrés par eux.

Je vois deux options : la première, c’est d’octroyer des permis aux groupes autochtones, et la deuxième consiste à prévoir, dans le processus d’octroi de permis, que les groupes concernés doivent demander la participation des groupes autochtones. Cela s’est déjà fait dans le passé, monsieur le sénateur, par exemple au Manitoba, où cinq permis octroyés exigeaient la participation de groupes autochtones.

Donc, la première recommandation est l’octroi préférentiel de permis.

La deuxième recommandation concerne l’approvisionnement : le groupe qui détient un permis doit obligatoirement faire participer… Allons même un peu plus loin, par rapport à l’approvisionnement : les groupes, par exemple, seraient soumis aux mêmes exigences que le gouvernement fédéral en matière de politiques de réservation pour les Premières Nations et les groupes autochtones.

La troisième recommandation, monsieur le sénateur, était de créer un fonds à partir des taxes et des droits liés à la vente du cannabis afin de fournir des subventions, des contributions, des prêts et des garanties de prêt aux groupes appartenant à des Autochtones ou contrôlés par eux.

Présentement, il n’est pas prévu que les taxes soient… Les recettes provenant de la taxe d’accise ne seront pas partagées, du moins pas directement, avec les groupes autochtones. Le partage des recettes n’est pas une mauvaise chose. À dire vrai, nous estimons que les recettes devraient être partagées. J’en ai parlé dans mon exposé. Mais, comme l’a dit M. Fontaine au sujet du développement économique et de la création de richesses, il existe un certain nombre d’obstacles à l’entrée qui rendent difficile de créer des sources de revenus autonomes dans l’industrie du cannabis. J’ai déjà mentionné les permis, mais cela va plus loin. Le simple fait de trouver les fonds pour l’étape de la préparation, de la création et de l’expansion d’entreprise est difficile.

Nous parlons d’expérience, pas seulement dans le domaine du cannabis, mais dans toutes les entreprises des Premières Nations. C’est très difficile d’obtenir du financement aux premières étapes. Sara Loft, ma collègue, a mentionné l’Administration financière des Premières Nations et le fait que certaines Premières Nations peuvent avoir accès à de l’argent, mais le processus est très long, et il faut beaucoup de temps avant d’avoir l’argent.

Nous recommandons de créer, à partir des recettes générées par la taxe d’accise, une source de financement réservée afin d’aider les groupes autochtones à participer à l’industrie en tant que propriétaires, en tant que participants économiques dans l’industrie du cannabis.

La dernière recommandation concernait la création d’un organe de relations avec les Autochtones au sein du secrétariat responsable de la légalisation et de la réglementation du cannabis de Santé Canada.

Je vais demander à ma collègue, Sara Loft, de poursuivre, parce que c’est elle qui l’a recommandé. Voulez-vous ajouter quelque chose? C’est à propos des relations avec les Autochtones.

Mme Loft : Voyez-vous, notre entreprise a songé à cette recommandation afin d’offrir du soutien aux collectivités autochtones qui veulent participer à l’industrie du cannabis à des fins médicales, afin de leur fournir un lien direct avec Santé Canada par l’intermédiaire du Secrétariat responsable de la légalisation et de la réglementation du cannabis, que ce soit à propos du cannabis à des fins médicales ou récréatives. D’après ce que nous avons vu, un grand nombre de collectivités manifestent leur intérêt, mais ne savent pas où commencer. Dans d’autres cas, elles cherchent des réponses à un grand nombre de questions et n’ont aucun moyen de les obtenir parce qu’elles ne savent pas vraiment qui consulter ou avec qui communiquer.

Nous nous sommes dit qu’il serait avantageux pour les collectivités autochtones qui vont participer à cette industrie ou qui veulent participer d’avoir un lien direct avec le secrétariat responsable de la légalisation et de la réglementation.

Le sénateur White : Merci à nos témoins. Pour préciser, parce que nous avons accueilli beaucoup de chefs et de représentants communautaires, monsieur Fontaine, vous êtes vice-président d’une entreprise, et non membre d’une Première Nation ou d’un groupe autochtone, est-ce exact?

M. Fontaine : C’est exact.

Le sénateur White : En rapport avec vos commentaires… Voyez-vous, cela fait trois semaines que nous écoutons des témoignages et nous avons fait beaucoup de recherches, alors j’aimerais vous lire quelques observations et vous demander si vous avez fait vos recherches à ce sujet.

Au Colorado, au cours des trois dernières années, le nombre d’accidents mortels de la route où le cannabis est en cause a augmenté de 48 p. 100. Il y a six ans, 10 p. 100 des décès routiers étaient liés au cannabis, en comparaison de 20 p. 100 maintenant. Les visites à l’urgence en lien avec le cannabis ont augmenté de près de 50 p. 100. Les jeunes du Colorado sont maintenant les premiers consommateurs de cannabis aux États-Unis, avec une proportion de consommateurs supérieure de 74 p. 100 à la moyenne nationale. Chez la tranche d’âge des étudiants du collégial au Colorado, la proportion est supérieure de 62 p. 100 à la moyenne nationale, et elle arrive aussi au premier rang. Les adultes du Colorado sont aussi les premiers consommateurs de cannabis aux États-Unis, avec une proportion supérieure de 104 p. 100 à la moyenne nationale.

Vous dites que personne n’est jamais décédé après avoir consommé du cannabis, mais je dois dire, après avoir servi 32 ans comme policier, que j’ai vu beaucoup de personnes décédées parce qu’elles en avaient consommé.

J’aimerais donc savoir sur quelles études vous vous appuyez.

M. Fontaine : Merci de cette question. À première vue, cela peut sembler difficile ou épineux, mais Ottawa n’est pas le Colorado, et le Manitoba n’est pas le Colorado. Selon moi, le contexte, le point de vue et les structures gouvernementales sont complètement différents au Colorado. J’aime les statistiques. Cela ne fait pas de toute, je suis content lorsqu’il y en a, mais nous n’en avons pas ici.

Au Canada, l’impact statistique des méfaits jusqu’ici — ou dans les cas que vous avez mentionnés, des tragédies — ne… nous n’avons pas cela.

Si nous pouvions prendre du recul par rapport aux déclarations et aux opinions, nous serions mieux placés, en tant que citoyens des Premières Nations ou du Canada, pour déterminer par nous-mêmes si le produit est acceptable. Si vous voulez comparer le cannabis à l’alcool ou au tabac, j’ai des statistiques sur le nombre de décès liés au tabac. J’ai aussi connu des gens qui sont morts à cause de l’alcool au volant.

Je trouve quand même que c’est un peu injuste de me demander sur quelles statistiques j’appuie mon raisonnement.

Le sénateur White : Monsieur Fontaine, honnêtement, ce que je trouve injuste, c’est que vous êtes venu ici déclarer que vous n’êtes au courant d’aucun cas où quelqu’un est décédé à cause du cannabis. Il y a des Aînés et des leaders communautaires qui sont venus témoigner de ce qui leur est arrivé pour nous faire part de leurs préoccupations, et cela me préoccupe aussi… Je vais attendre que vous ayez terminé, maître Morry. Merci.

C’est vous qui avez affirmé cela, pas moi. Vous nous avez donné l’impression que vous aviez des données à nous présenter. Mais ce n’était pas le cas. Vous n’avez que votre opinion. Je comprends votre point de vue, et à dire vrai, peut-être que j’accepterais aussi la légalisation. Je ne sais pas. Ce qui me préoccupe, cependant, c’est que le témoignage que vous avez essayé de présenter aujourd’hui ne reflète pas du tout les témoignages qui sont présentés et que nous avons entendus depuis des mois. Je trouve que ce n’est pas équitable envers les gens qui nous regardent ainsi qu’envers les Aînés et les leaders communautaires qui sont venus témoigner aujourd’hui.

Ce n’était pas une question. Je tenais à ce que ce soit dit. Merci.

La présidente : J’aimerais seulement clarifier quelque chose à ce sujet. Monsieur Fontaine, je crois que ce dont vous parliez concernait la toxicité, la surdose, c’est-à-dire la dose à laquelle une substance particulière peut causer la mort. Ce dont il était question plus tôt étaient les cas où l’affaiblissement des facultés par la drogue peut causer la mort. Je tenais seulement à ce que ce soit clair.

Le sénateur White : Je doute qu’il soit également qualifié pour témoigner au sujet de la toxicité, madame la présidente.

La présidente : Merci.

Mme Loft : Il y a quelque chose que je veux ajouter. Dans le cadre des recherches et des consultations que nous avons effectuées, nous avons appris que la consommation d’opioïdes au Colorado — un État où le cannabis est légal — a chuté de plus de 50 p. 100. Il en va de même pour l’alcool.

Si les statistiques montrent qu’il y a plus de cas de conduite avec les facultés affaiblies par le cannabis, c’est parce que la consommation de cannabis est plus élevée, mais cela entraîne également une diminution de la consommation d’opioïdes et d’alcool. Comme nous le savons, on peut pratiquement faire dire ce que l’on veut aux statistiques.

Le sénateur Tannas : Merci d’être ici.

Ma question s’adresse à Mme Loft et à M. Fontaine spécifiquement : d’après ce que vous avez appris de vos visites dans les collectivités et selon votre expertise dans le domaine, de quel avantage commercial disposent les Premières Nations et les collectivités autochtones en ce qui a trait à la production de cannabis? Pourquoi réussiraient-elles bien?

Selon vous, est-ce qu’il y a des avantages fiscaux, par exemple une taxe d’accise plus faible ou une remise de la taxe d’accise, qui encourageraient les entreprises à fournir du capital et de l’expertise, entre autres choses, à la collectivité? De votre point de vue, qu’est-ce qui est le plus important, un coût d’exploitation moins important ou d’autres avantages géothermiques, comme les serres dans les collectivités. Cela est déjà à l’étude. Pouvez-vous nous donner des détails?

Nous avons cette merveilleuse nouvelle industrie qui représente des milliards de dollars, mais je trouve que cela ressemble trop à la ruée vers l’or : je veux dire que quelques personnes vont en sortir gagnantes, mais qu’un grand nombre de gens vont perdre beaucoup, que nous allons faire beaucoup d’argent, mais que beaucoup d’argent va aussi être gaspillé.

Pouvez-vous me dire ce que vous avez vu ou observé de convaincant dans les collectivités qui vous pousse à croire que cette industrie sera une bonne chose pour les collectivités autochtones?

Mme Loft : Vous avez soulevé beaucoup de points importants, et tout ce que vous avez mentionné est probablement important pour que les collectivités puissent tirer parti de l’occasion qui se présente. Dans certaines collectivités où nous nous sommes rendus, il y a déjà des serres qui sont utilisées à d’autres fins, pour l’agriculture, et elles aimeraient les utiliser pour faire pousser du cannabis, parce que le cannabis a un faible coût de production, mais une grande valeur marchande. La marge de profit est évidente.

Je ne crois pas me tromper en disant que toutes les collectivités que nous avons visitées ont de grandes ambitions : elles ne veulent pas vendre du cannabis à l’échelle locale, dans leur collectivité seulement, mais elles visent plutôt tout le pays et même l’étranger.

Comme je l’ai dit, nous sommes un producteur autorisé, et nous exportons notre produit vers l’Allemagne, vers Israël et bientôt vers l’Australie. Il y a un marché et il y a une demande là-bas, et il y a aussi le fait que le cannabis à des fins médicales ne suffit même pas à répondre à la demande. Une fois que la consommation à des fins récréatives sera légalisée, nous aurons accès à un marché encore plus grand, et nous allons devoir trouver une façon de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande.

Je crois que les collectivités que nous avons visitées sont conscientes des possibilités économiques dont elles pourront tirer parti; elles veulent former des gens et créer des emplois.

Ce ne sera pas possible pour toutes les collectivités. Dans certaines collectivités où nous nous sommes rendus, on nous a dit : « Nous voulons investir, mais nous n’avons pas suffisamment de main-d’œuvre ici. Honnêtement, nous n’avons même pas assez de terrains disponibles pour construire les installations, mais nous aimerions quand même participer à l’industrie à titre d’actionnaires ou d’investisseurs. »

M. Morry : Rapidement, j’aimerais ajouter quelque chose en réponse à votre question, monsieur le sénateur. C’est quelque chose de très important, mais de plus en plus de collectivités autochtones commencent à distinguer la nuance entre le développement économique et la production de richesses. Le développement économique se fait davantage à l’échelle locale : c’est créer des emplois, stimuler l’économie, former des gens et renforcer les capacités. La production de richesses peut se faire partout, pas seulement dans la collectivité.

En ce qui concerne les collectivités autochtones qui vont tirer parti de ce marché, je dirais que certaines d’entre elles vont faire du développement économique, mais pas beaucoup, parce que peu d’entre elles vont avoir des installations pour la production, par exemple. Il se peut qu’il y en ait quelques-unes. Il en va de même pour la distribution. Certaines collectivités autochtones vont peut-être investir de ce côté, mais dans la plupart des cas, les possibilités qui s’offrent aux collectivités autochtones concernent davantage la possibilité d’obtenir un permis lié à un marché réservé, comme les retombées économiques découlant des activités liées à l’industrie du cannabis.

Vous avez aussi soulevé un très bon point lorsque vous avez parlé des gens qui vont gagner et perdre de l’argent. C’est inévitable. Cependant, pourvu que les collectivités autochtones aient accès à des fonds réservés ou à de l’expertise — ou au moins en ayant les moyens d’avoir accès à de l’expertise —, elles pourront participer à l’industrie en tant que propriétaires d’entreprises. Elles pourront tirer avantage des possibilités, même tout ne se fera pas à l’échelle locale.

Le sénateur Tannas : D’accord. Madame Loft, parmi la centaine de collectivités que vous avez visitées, sauriez-vous me dire combien exploitaient des serres présentement?

Mme Loft : Je dirais peut-être trois ou quatre.

Le sénateur Tannas : Donc, si l’on se fie à vos statistiques, il y aurait 3 ou 4 p. 100 des 600 collectivités des Premières Nations — j’arrondis — qui ont accès à des serres présentement. Donc, la réalité est probablement plus près de ce que vous disiez, maître Morry, à propos de la possibilité de créer des concessions détenues par les Premières Nations pour qu’elles les attribuent comme elles l’entendent. Il est davantage question ici de tirer des avantages financiers plutôt que de créer des emplois ou de développer l’économie des réserves.

M. Morry : Vous avez visé dans le mille. C’est quelque chose de très important. Les collectivités autochtones utilisent l’expression « revenus autonomes » pour établir une nuance avec les autres sources de revenus.

Je ne veux pas vraiment séparer cela du développement économique, mais si vous voulez établir une distinction… Je suis le président d’une entreprise pancanadienne de services, et nous avons créé une plateforme pour les collectivités autochtones tout spécialement à cette fin. Nous voulons promouvoir l’accès à l’expertise et au capital afin qu’elles puissent avoir des revenus autonomes et continuer, de façon systématique, de les développer. L’une des principales observations des fournisseurs de services et des collectivités autochtones dans tout le pays était que le paradigme de développement économique dans lequel ils étaient enfermés — celui qui a, pour ainsi dire, été imposé par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien vers 1980 est loin d’aider à mettre en place les choses.

Le sénateur Tannas : Selon vous, qu’est-ce que nous devrions choisir comme nombre? Disons que nous modifions le projet de loi ou quelque chose pour faire en sorte qu’un certain pourcentage de tous les permis de production octroyés par le gouvernement fédéral doive aller à des entreprises possédées ou contrôlées par des groupes autochtones, ou possédées ou contrôlées à 50 p. 100 par des groupes autochtones. Quelle serait la bonne proportion, à votre avis?

M. Morry : Nous n’avons pas vraiment réfléchi à un chiffre, pour être honnête. C’est une bonne question.

Le sénateur Tannas : Cette population représente une proportion de 5 à 8 p. 100. Devrait-on reprendre ce nombre? Devrait-il être plus élevé?

Mme Loft : Je crois, au bout du compte, que nous préférerions que ce soit plus élevé. Nous recommanderions 20 p. 100.

M. Morry : Je crois, monsieur le sénateur, que vous êtes mieux placé pour déterminer la bonne proportion. Choisir une proportion reflétant la population serait une solution. Une autre consisterait à examiner la pauvreté des revenus autonomes et du développement économique des Premières Nations et à dire : « Comment pouvons-nous faire pencher la balance? » Au lieu de simplement avantager les autres entreprises — je cherche une autre façon de le dire, qui n’ont rien de particulier —, on devrait se demander comment on peut promouvoir et peut-être même exiger la participation des collectivités autochtones à l’économie, et pour cela, il faudrait peut-être davantage que la proportion de 5 à 8 p. 100 que vous avez proposée.

Le sénateur Tannas : Je comprends. Merci.

La sénatrice McCallum : Merci de vos témoignages. J’ai l’impression que deux points de vue opposés s’affrontent ici. D’un côté, il y a les possibilités économiques, et tout à l’opposé, il y a l’accroissement des méfaits dans les collectivités. Je trouve très difficile de trouver un juste milieu pour dégager ce qui est vraiment important ici.

J’ai travaillé dans le Nord pendant de nombreuses années, et j’ai vu comment la santé de notre peuple se détériore. Il y a tellement de choses qui peuvent nous nuire. Prenez ce projet de loi : il y a eu un manque de consultation. On n’a pas respecté les différents systèmes de gouvernance qui existent dans les collectivités autochtones. Ce sont les pauvres qui seront le plus durement touchés par tout cela, parce qu’ils vont vouloir s’acheter du cannabis même s’ils n’en ont pas les moyens. Ils n’ont pas non plus l’argent pour s’acheter des cigarettes ou de l’alcool, mais ils le font quand même, parce que c’est un mécanisme d’adaptation. Je comprends cela parce que je l’ai vécu.

Sauriez-vous nous dire comment nous pourrions régler ce problème, concilier ces deux extrêmes? J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Fontaine : Merci, madame la sénatrice, de cette analyse et de vote question.

J’ai énormément de respect pour les personnes en situation d’infériorité de façon générale et pour les personnes défavorisées en particulier. Je crois effectivement au concept des mécanismes d’adaptation, et ce genre de besoin vient de circonstances qui ne sont pas nécessairement la faute de qui que ce soit. Dans certains cas, il s’agit d’un problème systémique — pratiquement chronique — qui fait que les personnes marginalisées éprouvent d’énormes difficultés que les autres personnes ne vivent pas.

Ce que je veux dire, c’est qu’il n’est ni productif ni utile de blâmer la victime pour la situation dans laquelle elle s’est retrouvée. Je suis d’accord pour dire qu’à première vue, on peut supposer logiquement qu’il est très mauvais de donner à ce genre de personnes un accès à une substance psychotrope. Mais lorsque ce genre de personnes vivent des situations difficiles, comme vous l’avez dit, leur mécanisme d’adaptation est de prendre n’importe quoi n’importe où, juste pour avoir accès à ces produits. Cela dit, si elles n’ont pas accès au cannabis, ces personnes vont simplement prendre de l’alcool ou d’autres drogues. Il peut même s’agir de substances légales comme des médicaments d’ordonnance, qui sont également accessibles aux gens qui ont de la difficulté à s’adapter à leurs circonstances.

Par expérience — et j’ai aussi parcouru le Canada d’un bout à l’autre —, je sais que la pauvreté est un problème endémique chez notre peuple. S’il y avait moins de pauvreté, il y aurait moins de situations difficiles qui poussent les gens à avoir recours à ce genre de mécanisme d’adaptation, par exemple lorsqu’ils n’ont pas les moyens de nourrir leurs enfants, de leur fournir des soins de santé adéquats ou de les envoyer à l’école ou lorsqu’ils doivent s’occuper d’un parent ou d’un grand-parent sans avoir les moyens financiers de fournir à l’être cher un certain niveau de dignité.

Cela étant dit, si les gens avaient davantage d’argent, ils auraient probablement moins recours à ce genre de mécanisme d’adaptation, mais nous ne pouvons pas en être certains actuellement, parce que nous n’avons pas de données nous permettant de dire que l’argent serait la solution aux problèmes. Mais c’est un fait que notre partenaire au traité actuel ne s’acquitte pas de toutes ses obligations.

M. Morry : J’aimerais aussi ajouter quelque chose. Comme Mike le disait, nous avons commencé notre témoignage en disant que nous n’allions pas aborder le sujet de la réduction des méfaits. Il revient aux collectivités autochtones de discuter de cela. Nous avons toutefois précisé — et je veux insister là-dessus — qu’il n’y a absolument aucun compromis à faire en ce qui concerne la réduction des méfaits. Je dirais même qu’il faut donner aux collectivités autochtones les outils qui leur permettront d’améliorer leur sort, que ce soient des ressources ou autre chose.

Parallèlement, advenant la légalisation du cannabis à des fins récréatives ainsi que médicales, tout ce que nous voulons, c’est que les Premières Nations et les collectivités autochtones dans l’ensemble puissent participer au marché, et pour cela, elles ont besoin d’un certain soutien. Si vous me demandez, entre 0 et 100, quelle importance il faut accorder à la réduction des méfaits, la réponse serait 100. De la même façon, sur une échelle de 0 à 100, l’importance à accorder aux avenues de développement économique et à la possibilité de générer des revenus autonomes serait de 100.

Maintenant, pour trouver un équilibre entre les deux… J’ai beaucoup d’expérience dans l’industrie du jeu, où des questions semblables se posent, parce que l’industrie du jeu a des impacts négatifs sur plus d’une collectivité. D’après mon expérience, les gouvernements ont tenté de régler le problème en créant un créneau réservé pour les collectivités autochtones afin d’aider l’économie, tout en mettant des fonds de côté pour la réduction des méfaits. Nous appuyons aussi cette approche « sans compromis ».

La présidente : Il est 11 h 35. Notre temps est écoulé. S’il y a des questions urgentes, nous pouvons faire une deuxième période de questions, mais avant, la chef Adams-Phillips veut dire quelque chose.

Mme Adams-Phillips : À propos de l’équilibre, de la recherche de l’équilibre, ce n’est pas quelque chose de simple à faire. Cela va être très difficile présentement pour les collectivités des Premières Nations de s’adapter à la légalisation du cannabis, j’imagine, vu ce que les provinces, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et le gouvernement fédéral sont disposés à offrir aux collectivités.

J’ai devant moi tout ce document à propos de la façon dont on va réglementer et surveiller le cannabis — toutes les mesures qui vont être prises — une fois que ce sera légal. Mais je continue de penser aux Premières Nations et au manque de main-d’œuvre, au manque de sources de financement et à leurs systèmes de justice. La difficulté tient au fait que nous ne voulons pas criminaliser les gens de notre peuple une fois que ce sera mis en œuvre. C’est la partie la plus difficile. Le Canada veut la décriminalisation.

Si nous voulons atteindre un équilibre, nous avons besoin de financement et de ressources, et rapidement. En même temps, je ne veux pas que nous soyons écartés du processus et que nous devions attendre qu’on nous offre le choix d’adhérer ou non, pour reprendre ce que Mme la sénatrice a dit plus tôt. Nous nous trouvons dans une situation épineuse, et je crois que vous devriez consulter plus longuement les Premières Nations à propos de la légalisation prochaine du cannabis.

Je ne sais pas si vous avez entendu parler de Carol Hopkins…

La présidente : Nous l’avons invitée à témoigner cet après-midi.

Mme Adams-Phillips : … de ses partenariats et de sa fondation, mais elle a dit que présentement, 89 p. 100 des jeunes Autochtones de 12 à 17 ans commencent régulièrement un traitement de sevrage du cannabis. Je serais intéressée à voir les données sur la façon dont l’ensemble des Premières Nations aident leurs jeunes et sur ce qu’elles leur offrent pour les aider en ce qui concerne les problèmes de drogue et ce genre de choses. Je crois que cela donnerait une bonne idée du niveau exact d’aide, du peu d’efforts déployés, au chapitre des soins et de la réduction des méfaits. C’est quelque chose de très pertinent, vu ce qui s’en vient. Nous ne sommes même pas en mesure de prendre soin de nos gens présentement. Qu’allons-nous faire pendant les trois à cinq prochaines années si nous devons prendre soin d’encore plus de gens.

La présidente : Merci.

Le sénateur Christmas : Chef Adams-Phillips, vous avez mentionné qu’il y a plusieurs dispensaires de cannabis à Akwesasne. Je crois aussi, chef Perley, que vous en avez un dans votre collectivité.

Je pose ma question à vous deux : les Premières Nations devraient-elles avoir leurs propres lois réglementant le cannabis sur les territoires des Premières Nations?

Mme Adams-Phillips : Une petite correction : Tyendinaga a 33 dispensaires, pas Akwesasne.

Pour répondre à votre question, nous avons effectivement notre propre système de justice, et c’est justement ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin qu’il y ait des amendements. Nous avons une loi sur les stupéfiants, mais nous avons besoin qu’il y ait des amendements.

Le sénateur Christmas : Dans quelle mesure cela serait-il avantageux pour les Premières Nations d’avoir leurs propres lois sur le cannabis?

Mme Adams-Phillips : Cela nous permettrait de nous occuper des jeunes de notre peuple de notre propre façon avec nos propres lois. La situation d’Akwesasne est unique. Nous nous trouvons sur la frontière entre le Québec et l’Ontario. Nous avons besoin d’une loi adaptée à notre territoire. Je ne voudrais pas que des membres de notre collectivité sortent de notre territoire pour quelque chose en rapport avec le cannabis.

Nous avons mis derrière nous tous les problèmes qui sont survenus avec le tabac dans les années 1990. Nous ne voulons pas que cela recommence.

Le sénateur Christmas : Chef Perley, avez-vous quelque chose à dire?

M. Perley : J’ai deux ou trois commentaires à faire. Nous voulons édifier notre propre collectivité, alors nous ne sommes pas tenus de suivre les lois provinciales. Nous nous considérons comme une nation souveraine, et nous suivons nos propres lois. Nous avons adopté nos propres lois et nos propres règlements. Nous préférons réglementer nous-mêmes ce genre de chose, le jeu et le cannabis, par exemple, que de laisser le gouvernement provincial le faire. Nous croyons être mieux placés pour cela.

J’aimerais revenir sur quelques questions que les sénateurs ont posées. Une question concernait les pertes que l’industrie du cannabis risque de causer. Je crois que ceux qui vont perdre le plus d’argent, ce sont les gens qui participent au crime organisé. La légalisation du cannabis va porter un dur coup au crime organisé. Il en va de même dans nos collectivités; si nous réglementons le cannabis et obtenons des permis, le crime organisé va être durement touché.

En ce qui concerne la part du marché équitable, je sais que Sara a proposé 20 p. 100, mais je crois qu’il faudrait demander aux collectivités combien elles sont prêtes à investir avant de prendre une décision. Si une collectivité investit beaucoup, alors elle devrait avoir une part équitable de la participation, ou même être propriétaire, le cas échéant. Je sais que c’est quelque chose qui intéresse la Première Nation Tobique, alors je voulais seulement le mentionner.

La présidente : Merci.

Nous passons maintenant au prochain témoin venu témoigner à propos de la teneur du projet de loi C-45, la loi sur la légalisation du cannabis. Notre dernier témoin pour l’avant-midi est Mme Marilee Nowgesic, directrice générale de l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada. Je n’ai probablement pas prononcé votre nom correctement. Vous avez quelques minutes pour présenter votre exposé, puis les sénateurs formuleront leurs commentaires. Allez-y.

Marilee Nowgesic, directrice générale, Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada : Merci beaucoup. Avant de commencer, je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire non cédé du peuple algonquin. Je veux aussi rendre hommage à mes aînés et à mes ancêtres, anciens et récents, qui m’ont guidée dans la vie jusqu’à aujourd’hui.

Je veux aussi remercier le territoire d’où je tire ma force et où j’ai appris les enseignements traditionnels, la Première Nation de Fort William, près de Thunder Bay en Ontario.

Je veux vous remercier de m’avoir invitée ici aujourd’hui à témoigner. Comme vous le savez, l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada est la plus ancienne organisation de santé autochtone au Canada. Depuis plus de 43 ans, son conseil d’administration a pour mission d’améliorer la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Présentement, on estime à 8 000 le nombre d’infirmières et infirmiers autochtones au Canada. Il en faudra beaucoup plus pour pouvoir réagir adéquatement aux besoins de santé émergents ainsi qu’aux urgences. En 2016, l’association a signé un accord de partenariat avec l’Association des infirmières et infirmiers du Canada afin de motiver les deux associations à collaborer afin de promouvoir la santé autochtone et les besoins infirmiers autochtones et de réduire l’écart entre la santé des Autochtones et des non-Autochtones au Canada.

En plus d’offrir du soutien à ses membres et de défendre leurs intérêts, l’association mène aussi des activités de recherche et d’élaboration de politiques. L’association se réjouit donc d’avoir l’occasion de témoigner à propos des impacts du projet de loi C-45 ainsi que de l’incidence du projet de loi sur d’autres lois et règlements. Il s’agit d’un point clé dans le cadre de nos activités stratégiques et de défense des intérêts.

L’association a besoin de ressources pour préparer et ensuite exécuter une enquête à l’échelle nationale. Nos partenaires de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada ont déjà mené une enquête nationale, et nous y avons participé, mais cette enquête visait la population du Canada en général. Un sondage Nanos a été mené sur les connaissances ou la sensibilisation des Canadiens à l’égard de la consommation du cannabis, que ce soit à des fins récréatives ou médicales. Le sondage a été fait par téléphone et par entrevue au hasard auprès des ménages sélectionnés selon leur code postal à six chiffres. Comme nous le savons, il peut être très difficile d’identifier un ménage dans les collectivités des Premières Nations et les collectivités autochtones.

Ce que nous voulons faire, c’est évaluer si les gens sont prêts à la légalisation, cerner les lacunes dans les connaissances et les ressources dont nous avons besoin et recueillir des observations sur les dispositions du projet de loi C-45 qui concernent la charge de travail des infirmières et infirmiers autochtones. Nous savons que le projet de loi va augmenter lourdement la charge de travail des infirmières autochtones, parce que sont les dispensateurs de soins de première ligne. Le personnel infirmier est le premier point de contact dans nos collectivités. La légalisation va ajouter à leur charge de travail. Je vais en parler davantage plus tard.

L’association n’a pas eu l’occasion de concevoir, d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de participation ou de consultation communautaire en vue de la légalisation imminente du cannabis. En partie, cela reflète le manque de capacités des leaders autochtones de communiquer avec leurs homologues régionaux, les techniciens et les membres de la collectivité et d’examiner les impacts que cela aura sur nos droits en tant qu’Autochtones.

Entre-temps, l’association continue de travailler avec ses partenaires de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada ainsi que d’autres intervenants afin d’examiner les impacts de la légalisation et de la réglementation sur la charge de travail des infirmières et infirmiers autochtones.

Dans ce contexte, l’association tient à faire les recommandations suivantes : afin de renforcer la campagne de promotion de la santé publique, pour les Autochtones, nous croyons qu’un investissement dans les campagnes de sensibilisation à propos du cannabis ciblant les jeunes et les adultes permettrait au gouvernement fédéral de tirer parti de l’information recueillie et de rendre accessibles les ressources nécessaires pour éduquer les populations concernées. Cette approche de santé publique permettrait à la région d’adapter les campagnes d’éducation publiques aux besoins des populations autochtones et de réduire les méfaits.

L’objectif de la légalisation est d’éliminer le coût et les méfaits sociaux de la prohibition. Chaque année, le Canada dépense plus de 1 milliard de dollars pour faire appliquer les lois sur la possession du cannabis. Nous avons aussi examiné certaines des études menées au Colorado à cet égard, que le sénateur White a déjà mentionnées. Le gouvernement fédéral investit présentement 46 millions de dollars annuellement dans sa stratégie de lutte contre le tabagisme. Il y a aussi la stratégie de renonciation au tabagisme visant les Autochtones. Ce montant est aussi utilisé pour la sensibilisation du public. Nous pourrions nous fier à ce montant pour orienter les investissements liés au cannabis, par exemple en ce qui concerne la sensibilisation du public.

La deuxième recommandation concerne les sanctions criminelles visant les jeunes, précisément l’alinéa 8(1)c) et les alinéas 2a) et b). Je ne vais pas les lire. Non seulement les gens qui ont un casier judiciaire ne peuvent pas voyager à l’étranger, par exemple aux États-Unis, mais en plus cela leur cause des préjudices importants sur le plan social. Par exemple, un jeune qui a un casier judiciaire ne peut pas faire du bénévolat, même si cela est souvent exigé dans son programme d’études et peut être un facteur dans l’octroi de bourses. Un casier judiciaire peut également limiter les possibilités de carrière, ce qui mène à la pauvreté et nuit à l’épanouissement. En légalisant le cannabis tout en maintenant les sanctions criminelles pour les jeunes, on risque de défavoriser nos jeunes de façon disproportionnée et même de les empêcher de progresser équitablement dans la société et d’y contribuer. Selon les données, 21 p. 100 des jeunes de 15 à 19 ans ont consommé du cannabis au cours de la dernière année. En conséquence, les dispositions actuelles de la légalisation risquent d’avoir un impact sur un nombre énorme de jeunes. Malheureusement, les données ne sont pas ventilées en fonction des groupes démographiques comme les Autochtones, même si cela pourrait fournir des indicateurs importants.

À l’instar de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, nous recommandons également d’éliminer les sanctions criminelles relatives à la possession de cannabis par des jeunes. Nous recommandons aussi au gouvernement d’utiliser comme principe directeur les principes de justice réparatrice pour sanctionner la possession par des jeunes. La dépénalisation — l’abrogation des alinéas 8(2)a) et b) — éliminera les impacts actuels et futurs pour les jeunes.

La troisième recommandation concerne la promotion et la vente du cannabis et des accessoires connexes. Le paragraphe 17(6) concerne justement la promotion du cannabis et des accessoires connexes. Encore une fois, je ne vais pas le lire. L’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada recommande d’élaborer des dispositions supplémentaires adaptées aux populations autochtones, et en particulier au contexte autochtone. Par exemple, relativement à la consommation dans les centres communautaires, à proximité des écoles, dans les salles de bingo, dans le bureau du conseil de bande ou près de ces endroits, qui va se charger de la surveillance? Les infirmières ne peuvent pas être partout.

Toujours sur le sujet de la vente de cannabis et d’accessoires connexes, l’article 69 traite de la vente autorisée par une province — encore une fois, je ne vais pas le lire, vu sa longueur —, et l’association recommande que les gouvernements prennent en considération, dans l’élaboration de la réglementation, les meilleures données existantes fournies par le personnel infirmier autochtone afin de limiter l’accès et les méthodes de distribution qui pourraient avoir un impact négatif sur la santé des personnes et des groupes, en particulier les populations vulnérables.

L’association a aussi d’autres recommandations à propos de la dynamique communautaire qui pourrait avoir une incidence sur les impacts négatifs. Les collectivités particulièrement vulnérables sont celles qui se trouvent dans des régions éloignées ou isolées, où les gens doivent se rendre à l’extérieur de la collectivité pour voir un médecin ou pour aller à l’école — je pense surtout aux étudiants du secondaire — ou pour d’autres activités économiques comme faire l’épicerie. Si vous trouvez que c’est difficile de faire cela pendant une semaine, essayez trois mois.

Notre quatrième recommandation concerne l’établissement d’un système national de suivi du cannabis. L’article 81 habilite le ministre à établir et à tenir un système de suivi du cannabis afin de faire le suivi du cannabis, d’empêcher le détournement de cannabis vers un marché ou pour une activité illicite et d’empêcher que le cannabis illicite soit une source d’approvisionnement du marché licite.

L’association recommande de modifier l’article 81 et d’y ajouter un paragraphe permettant de surveiller la vente du cannabis qui se fait à proximité des endroits où on vend de l’alcool. L’association recommande aussi que ce système de suivi soit conçu en collaboration avec les professionnels autochtones de la santé afin de veiller à ce que les principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession, tels que définis par les leaders, organisations et principaux intervenants autochtones soient respectés.

Notre dernière recommandation concerne la santé publique. L’association appuie fortement les recommandations présentées par ses partenaires de l’association des infirmières et infirmiers du Canada au groupe de travail fédéral sur la légalisation, la réglementation et la restriction de l’accès au cannabis. Je pense à la recommandation de consulter d’autres entités administratives comme le Colorado et d’investir massivement dans des programmes de santé et de sensibilisation du public, y compris les programmes concernant la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue, avant que la légalisation n’entre en vigueur.

Il ne faut pas traiter le cannabis comme s’il s’agissait d’alcool. Les méfaits liés à la consommation d’alcool et la politique actuelle en matière d’alcool sont parfois banalisés, et cette politique ne devrait pas servir de modèle pour la politique sur le cannabis simplement parce que celle-ci existe déjà.

En outre, le cannabis est différent dans la mesure où il a des propriétés thérapeutiques et peut être utilisé sous certaines formes à des fins médicales. Il ne faut donc pas mettre le cannabis thérapeutique de côté dans le cadre de la légalisation. Voilà tout ce que j’avais à dire. Merci.

La présidente : Merci de votre témoignage. C’était très clair. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur White : Merci beaucoup, madame. C’est bon de vous voir.

Ma question concerne l’accès aux traitements de la toxicomanie. En Ontario, cela prend de 5 à 7 mois avant qu’un jeune de 14 à 18 ans puisse suivre un traitement. Pour un adulte, c’est quelques mois de plus. Je crois fermement que lorsqu’un problème est connu d’avance, il faut essayer de mettre en œuvre une solution préalablement, et je crois que c’est exactement le but de certaines de vos recommandations.

Croyez-vous qu’une partie des recettes fiscales tirées du cannabis devrait être mise de côté et utilisée pour accroître l’accès au traitement de la toxicomanie en particulier?

On pourrait peut-être aussi financer les programmes de sensibilisation que vous avez mentionnés, mais je pense surtout aux traitements de la toxicomanie.

Mme Nowgesic : Merci, monsieur le sénateur, de me poser cette question.

Comme vous le savez peut-être, je suis la plaignante dans l’affaire Nowgesic c. La Reine, la première affaire de contestation fiscale à se rendre devant la Cour suprême du Canada. Je ne sais donc pas vraiment ce que je pourrais répondre.

Si le cannabis est imposé, nous aimerions qu’un fonds soit établi pour financer l’éducation publique et les activités de prévention, de sensibilisation, d’intervention et de traitement pour tous les groupes d’âge. Nous aimerions pouvoir… C’est pourquoi nous nous intéressons au système de suivi, parce que nous voulons pouvoir évaluer la situation actuelle avant que la légalisation n’entre en vigueur dans nos collectivités, parce que nous savons déjà — cela se fait déjà — que certaines jeunes femmes consomment du cannabis pour soulager leurs nausées pendant les premiers mois de la grossesse, ce qui a un effet néfaste sur le fœtus.

Nous savons qu’il y a aussi d’autres personnes qui consomment du cannabis thérapeutique et ne sont donc pas… lorsqu’elles ne sont pas suivies par un professionnel de la santé, leur consommation de cannabis n’est pas surveillée. Nous sommes également préoccupés par la vente de cannabis sous d’autres formes. Par exemple, il va falloir prendre des mesures pour réduire les méfaits liés aux produits comestibles du cannabis afin qu’ils ne soient pas consommés par les enfants à la maison.

Une autre de nos préoccupations est liée aux personnes diabétiques dans nos collectivités; nous avons aussi besoin de données reflétant la situation actuelle pour cela. Si les personnes diabétiques commencent à consommer du cannabis à des fins médicales, quel effet cela aura-t-il sur leur taux d’insuline, sur leur concentration sanguine de glucose, sur leurs habitudes alimentaires, et cetera?

Le sénateur White : Merci beaucoup. Vous avez beaucoup de préoccupations, et, si vous me le permettez, il y en a une autre dont je veux vous faire part.

Dans les collectivités autochtones, il y a beaucoup de petites maisons où vivent de grandes familles. D’après votre expérience, si le projet de loi était adopté aujourd’hui, si les gens pouvaient faire pousser du cannabis chez eux, croyez-vous que cela aurait un impact, par exemple en ce qui a trait à la moisissure, à l’élimination des moisissures ou à l’accès à la plante par des jeunes?

Mme Nowgesic : C’est quelque chose qui nous concerne beaucoup, justement pour cette raison, parce que nous savons qu’un grand nombre de personnes dans les Premières Nations ainsi que beaucoup d’Inuits ont des problèmes respiratoires graves. Nous ne sommes pas sûrs de la façon dont les populations autochtones vont mener des activités de production, compte tenu de leur environnement, mais ce qui nous préoccupe beaucoup par rapport aux Premières Nations, c’est que ce genre d’activités pourraient faire exploser le taux de moisissures dans les maisons à cause de l’eau ou de n’importe quoi d’autre, et vu qu’il y a déjà un problème de logement, nous savons que c’est sur la liste.

Les gens qui décident de faire pousser du cannabis vont devoir être prudents, selon moi. Comment est-ce que cela va être réglementé, surveillé, évalué et suivi? Qui est le consommateur? À quelles fins consomme-t-il? Nous avons déjà beaucoup de problèmes dans les collectivités des Premières Nations, et nous surveillons beaucoup de choses en même temps; maintenant allons-nous devoir demander à d’autres professionnels de s’occuper de cela en plus de leurs tâches actuelles?

En tant qu’infirmières et infirmiers, c’est notre devoir éthique de veiller à la santé de la population. Peut-être que les gens font pousser du cannabis chez eux à des fins médicales, mais cela peut aussi avoir un effet négatif sur les voies respiratoires. Dans ce cas, quelles autres options y a-t-il? Quelle est la solution? Avons-nous une solution de rechange? Et si oui, quelle est-elle?

Le sénateur White : Recommanderiez-vous de modifier le projet de loi de façon à décriminaliser, sans légaliser, la production personnelle de cannabis chez soi? En d’autres mots, il serait interdit de faire pousser quatre plants dans son logement, mais si on vous prend en flagrant délit avec quatre plants ou moins, vous auriez à payer une amende au lieu d’être accusé au criminel. Serait-ce quelque chose que vous recommanderiez afin de dissuader potentiellement les gens de s’adonner à la production à domicile?

Mme Nowgesic : Je crois que cela risque d’ouvrir une boîte de Pandore. Même quelque chose de petit comme cela risque de créer de gros problèmes. Je ne crois pas que… À dire vrai, nous allons tenir un groupe de réflexion avec l’Association des infirmières et infirmiers du Canada justement sur cette question. Nous voulons examiner les conséquences pour le personnel infirmier.

Lorsque nous, les infirmières et les infirmiers, sommes mis au courant d’activités illégales — de consommation illégale —, c’est notre devoir de le signaler. En conséquence, les gens de la collectivité ne nous font plus confiance, et nous perdons leur soutien. Nous devenons des parias.

La sénatrice Boniface : Avant tout, je veux vous remercier énormément de votre exposé. Nous sommes encore en train de régler les détails de ce projet de loi, et plus tôt, avec un groupe de témoins précédent, nous avons discuté de la possibilité d’offrir aux Premières Nations l’option d’être exemptées de la légalisation ou d’adopter un amendement selon lequel la légalisation s’applique à vous seulement si vous adhérez.

J’éprouve certaines difficultés avec cela. J’imagine que vos membres ont déjà vu des gens de leurs collectivités sous l’influence du cannabis — comme dans n’importe quelle autre collectivité —, et le fait est que l’industrie du cannabis est financée par le crime organisé, ce qui comprend son lot d’impacts négatifs. J’aimerais savoir — et je suis intéressée d’avoir votre point de vue sur la question — si, dans les collectivités éloignées du Nord et en Ontario, par exemple, où il y a des collectivités prohibitionnistes, comme on les appelle, les gens qui ont des problèmes d’alcoolisme ont toutes sortes d’autres problèmes financiers parce que le coût de l’alcool est si élevé?

Je me demande si vous pouvez nous donner n’importe quel conseil relativement à des exemptions que nous pourrions accorder aux collectivités des Premières Nations afin d’atténuer les impacts.

Mme Nowgesic : Nous n’avons pas encore de données auxquelles nous pouvons nous fier actuellement, alors je crois qu’il est trop tôt pour même essayer de répondre à une question aussi vaste.

En ce qui concerne l’adhésion ou l’exemption des Premières Nations relativement à la légalisation, l’Association s’intéresse davantage à l’entité qui sera chargée de réglementer tout cela une fois que ce sera une activité permise dans les collectivités des Premières Nations. Comment cela sera-t-il surveillé et réglementé? Qui va se charger de faire respecter la loi?

Nous savons que nous… D’une façon ou d’une autre, les infirmières et infirmiers devront intervenir, vu leur position professionnelle. Y a-t-il un danger pour le personnel infirmier? Mettons-nous en danger les infirmières et les infirmiers, qui devront, pour ainsi dire, devenir des délateurs?

Nous essayons de songer à des façons de… Tout cela est si nouveau, et nous n’avons pas de données concernant les collectivités autochtones en particulier. Nous connaissons le genre de conditions socioéconomiques qui existent dans la plupart de nos collectivités, et nous redoutons de voir ce que les personnes vulnérables vont faire.

Je pourrais vous donner une liste d’exemples, mais je ne veux pas trop parler des conséquences pour la santé avec lesquelles le personnel infirmier va devoir composer.

Ce que nous devons être en mesure de faire, c’est d’établir un certain genre d’accord de collaboration, presque un credo, entre les fournisseurs de soins de santé qui ont prêté le serment d’Hippocrate ou adopté des codes d’éthique et qui ont la capacité d’interagir dans l’intérêt de la personne en question, de sa santé et de son bien-être. Ce n’est pas que nous voulions que la personne soit pénalisée ou stigmatisée en raison des préjudices sociaux qui s’y rattachent; c’est plutôt parce que nous voulons voir la personne demeurer un membre en santé de la collectivité.

Ce qui arrive au-delà de cela… En conséquence, les membres du personnel infirmier sont méfiants et se demandent : devons-nous en faire le suivi? Produisons-nous des rapports à ce sujet? Les présentons-nous au chef et au conseil, ou bien aux chefs régionaux, de sorte que nous n’ayons pas l’air de dénonciateurs? Mais, les intéressés vont savoir d’où vient l’information.

Il est maintenant question des mécanismes qui sont mis en place. Si le public est informé de ce que seront les pouvoirs, les rôles et les responsabilités des personnes qui surveilleront ou évalueront la consommation de cannabis, les gens pourront comprendre et mieux apprécier les rôles et les responsabilités des fournisseurs de soins de santé et ne porteront pas atteinte à ces droits.

Merci beaucoup.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. Au moment d’examiner la nouvelle façon de penser, je vous prie de ne pas oublier le point de vue que vous avez aujourd’hui, alors que c’est illégal — je ne doute aucunement du fait que vos collectivités considèrent cela comme un marché illégal —, puis de tenir compte de la légalisation et de l’incidence qu’elle a sur la façon dont cette évaluation a lieu.

Je vous remercie du travail que font les membres de votre association, car je sais que c’est difficile.

Mme Nowgesic : J’apprécie votre commentaire. Merci beaucoup.

À cet égard, nous devons également prendre en considération les conseils des aînés de nos collectivités et la façon dont nous les intégrerons dans nos activités professionnelles. Merci encore, madame la sénatrice.

La présidente : En guise de complément à la question de la sénatrice Boniface, je suis curieuse de savoir s’il existe, aux États-Unis, par exemple, une association de personnel infirmier équivalente, où il pourrait y avoir une situation semblable dans laquelle des infirmières et des infirmiers travaillent dans une réserve, au Colorado. Y a-t-il des informations qui sont accessibles, que vous pourriez utiliser et qui vous aideraient à choisir la voie à suivre?

Mme Nowgesic : Merci, madame la sénatrice Dyck. En fait, nous ne faisons que commencer à faire appel à nos partenaires professionnels américains en ce qui a trait à la façon dont ils font face à la légalisation à l’échelon des réserves. Nous tentons également d’étudier d’autres options, des solutions de rechange à la consommation de cannabis à des fins médicales, car il pourrait y avoir d’autres herbes médicinales qui contiennent les mêmes proportions de produits chimiques sans les taux de THC nuisibles pour l’utilisateur final.

Nous tentons de déterminer comment nous allons communiquer cette information. La situation au Colorado nous aidera à comprendre et nous permettra de faire part des mêmes expériences aux gens de cet État.

La présidente : Comme il n’y a plus de questions, au nom du comité, je voudrais remercier Marilee Nowgesic, directrice générale de l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada.

Notre premier témoin de l’après-midi est M. Philip Chief, directeur par intérim de la Nation crie d’Onion Lake, en Saskatchewan. Monsieur Chief, vous avez la parole pour présenter un court exposé, puis les sénateurs vous poseront des questions.

Philip Chief, directeur par intérim, nation crie d’Onion Lake : Tout d’abord, je veux vous remercier dans ma langue.

[Note de la rédaction : M. Chief s’exprime dans sa langue autochtone.]

Mesdames et messieurs, au nom de la nation crie d’Onion Lake, je veux vous remercier de nous avoir invités à parler de cette affaire importante. Évidemment, au cours des derniers mois, il y a eu beaucoup de sujets à aborder avec notre nation. Du point de vue des dirigeants, nous avons assurément étudié cette question avec prudence, non seulement pour notre génération actuelle, mais aussi pour les générations à venir. Là-dessus, je vais vous présenter un bref exposé sur ce que fait Onion Lake en ce qui concerne le projet de loi C-45.

Il est surprenant de constater que la nation crie d’Onion Lake a été inscrite dans sa province sur une liste de la Régie des alcools et des jeux de hasard de la Saskatchewan, qui la désignait comme l’une des deux nations autochtones de la province qui allaient avoir la permission d’obtenir un permis pour distribuer du cannabis au détail. Nous avons étudié cette situation de deux points de vue : évidemment, de celui des conséquences qu’aurait la légalisation au sein de notre collectivité, et de celui de l’aspect commercial.

La nation crie d’Onion Lake n’a pas confirmé qu’elle ouvrirait un commerce de détail dans la réserve; et elle ne s’est pas engagée à le faire. Les dirigeants, de même que plusieurs groupes différents qui sont venus à Onion Lake et qui ont présenté diverses situations hypothétiques relativement à l’ouverture d’un commerce de détail, ont consulté les cadres supérieurs de la Régie des alcools et des jeux de hasard de la Saskatchewan en ce qui concerne notre point de vue sur la façon dont l’annonce est essentiellement venue mettre Onion Lake sur la carte, ce que nous n’avions jamais demandé, à ce moment-là.

L’un des aspects que nous voulions éclaircir avec l’organisme provincial était celui de la compétence, en plus des politiques et des procédures qui s’appliqueraient aux exploitants de commerces de détail autochtones situés à l’intérieur des frontières de la Saskatchewan.

Comme vous le savez, la nation crie d’Onion Lake est une collectivité très axée sur les traités. Nous luttons continuellement et croyons que notre souveraineté est prévue dans le traité no 6 que nous avons conclu avec la Couronne. Voilà les aspects dont nous continuons de discuter en vue d’ouvrir des commerces de vente de cannabis au détail à divers endroits; par là, j’entends des terres urbaines qui sont situées dans les limites de notre collectivité. Comme dans le cas d’autres collectivités qui sont situées dans l’Ouest du Canada, des collectivités revendiquent des terres cédées en vertu d’un traité qui leur donne la capacité d’acheter une terre en fief simple et de la transformer en réserve par la création d’une réserve urbaine. Ce peut être dans des milieux ruraux ou urbains. La Saskatchewan compte plusieurs milieux urbains, notamment Regina, Saskatoon et Yorkton. Cette pratique s’inscrit dans toute l’approche qui a été adoptée en Saskatchewan à l’égard des casinos.

Cela dit, cette option nous est offerte. Nous croyons ne pas l’avoir épuisée, et nous emprunterons cette voie en ce qui concerne l’exploitation de commerces de vente de cannabis au détail, le moment venu.

Comme je l’ai mentionné auparavant, certains groupes agissant au nom des dirigeants ont consulté ces groupes pour bénéficier de leur expertise particulière, que ce soit en matière de fabrication, de culture de la marijuana ou d’exploitation de commerces de détail. Nous avons consulté trois groupes. Le chef et le conseil d’Onion Lake ont récemment décidé de faire affaire avec un groupe et de saisir l’occasion de créer une exploitation de détail sur n’importe laquelle de nos terres urbaines. Voilà ce que nous recherchons, actuellement.

Quant aux activités de sensibilisation et de communication menées auprès des membres de notre bande, nous avons estimé qu’il fallait que les dirigeants s’assurent que tous les renseignements nécessaires à la prise d’une décision éclairée étaient fournis. Nous allons maintenant entreprendre une campagne éclair de communication, à compter du mois prochain — en avril —, ce qui coïncidera avec le début de notre nouvel exercice financier. Dans le cadre de nos projets spéciaux, l’information sera diffusée sur notre site web ainsi que sur des tribunes publiques afin que notre collectivité comprenne ce que nous faisons.

Beaucoup de questions ont été posées par des groupes précis — les aînés, les jeunes et les éducateurs — qui se demandaient ce que fait Onion Lake et voulaient savoir s’il s’agit d’un projet que la collectivité devrait entreprendre. Nous estimions que c’était quelque chose que nous devions présenter à notre nation afin d’obtenir une approbation officielle, et nous continuons à le faire aujourd’hui.

Sur ce, je ne pense pas pouvoir en dire beaucoup plus, à part mentionner le fait que, d’un point de vue logistique, Onion Lake est situé entre l’Alberta et la Saskatchewan, à 50 kilomètres au nord de Lloydminster. Nous chevauchons la frontière. Évidemment, nous ne la reconnaissons pas, avec tout le respect que je vous dois. Nous reconnaissons qu’il se trouve que le territoire de notre nation chevauche cette frontière qui a été créée par quelqu’un d’autre.

Nous avons tenu des rencontres de gestion concernant le cannabis, tout ce processus et les conséquences qu’aurait sa légalisation sur la nation, en tant qu’employeur. Il s’agit encore assurément d’une zone grise, à nos yeux. Nous avons déjà tenu trois ou quatre séances. Pour vous donner des chiffres, dans le cas d’Onion Lake, je supervise environ de 800 à 900 employés ainsi que 3 cadres supérieurs relevant de mon bureau. Nous gérons tous les services, de l’éducation au logement, en passant par nos entreprises de la société de développement commercial d’Onion Lake.

Nous avons tenu des séances stratégiques — je suppose qu’on pourrait les appeler ainsi — avec un groupe local qui s’occupe de nos tests de dépistage de drogue et de l’élaboration de politiques relatives à la drogue, et nous avons reçu des propositions de modification concernant plusieurs aspects de notre politique afin de nous préparer à la promulgation du projet de loi.

L’une des questions qui nous préoccupent, c’est assurément le volet récréatif et la façon dont il s’applique aux personnes qui travaillent sur place. Je pense que nous avons une bonne idée de la situation, dans une certaine mesure, en ce qui concerne les postes critiques pour la sécurité. Si des gens travaillent dans ce domaine et sont intoxiqués, nous ferons appliquer notre politique afin de régler ce problème.

Je crois que c’est tout. J’ai peut-être manqué quelques éléments, mais c’est tout pour l’instant.

Le sénateur Patterson : Merci de l’exposé.

Je crois savoir qu’Onion Lake se lancera dans l’exploitation de commerces de détail et laissera les options relatives à la fabrication ou à la culture de côté pour l’instant. Vous êtes-vous penchés sur la question de la taxe d’accise, laquelle, selon ce que nous a dit le commissaire en chef Manny Jules, a été répartie inéquitablement entre les provinces et le gouvernement fédéral et ne tient pas compte des Premières Nations, qui pourraient vouloir exploiter des possibilités de culture dans les réserves?

Selon vous, si vous prenez cette mesure dans l’avenir, devriez-vous avoir droit à une part des revenus qui iront aux gouvernements fédéral et provinciaux?

M. Chief : Oui, nous estimons assurément que nous devrions obtenir un pourcentage. Nous n’avons pas encore établi notre plan de match, mais nous sommes en train de le faire afin de régler toute la question du processus relatif à cette taxe.

La présidente : Je suis curieuse. Vous avez mentionné que la province avait donné à Onion Lake un permis que votre nation n’avait pas demandé et que vous faisiez partie des deux nations autochtones qui recevaient un tel permis. Que pensez-vous de ce processus?

M. Chief : Nous avons posé cette question aux cadres supérieurs de la Régie des alcools et des jeux de hasard de la Saskatchewan, et leur réponse a été principalement qu’ils envisageaient de rendre toutes les collectivités dont la population est supérieure à 2 500 habitants admissibles à un permis et, manifestement, ils nous ont mis dans cette catégorie et désigné Onion Lake et une autre nation crie du Nord de la Saskatchewan appelée Peter Ballantyne, je crois. Les deux se sont vu offrir ce permis. Nous leur avons posé la question et, essentiellement, ils auraient pu procéder un peu différemment et nous consulter, mais, une fois que c’est arrivé, le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Tout le monde voulait savoir quelle était la position d’Onion Lake concernant cette annonce. Nous avons été pris par surprise, car nous étions en train de rencontrer divers groupes, mais nous ne voulions pas dévoiler immédiatement notre position. Cette façon de faire l’annonce était un peu injuste de leur part.

La présidente : Merci.

Le sénateur White : Je remercie infiniment les témoins. J’apprécie ce que vous aviez à dire aujourd’hui.

J’ai aussi particulièrement apprécié le fait que vous allez permettre à la nation autochtone de participer à la prise de toutes vos décisions.

Dans notre dialogue, nous étudions le projet de loi sous sa forme actuelle, et certains d’entre nous, de toute manière, formuleront des recommandations afin d’apporter des amendements au projet de loi.

Ce que je crains, c’est que le 1er juillet, si le projet de loi est adopté, comme de nombreuses personnes s’y attendent, sans modifications, toutes les personnes de toutes les collectivités, y compris la vôtre, auront accès aux commandes de marijuana par Internet, lesquelles seront expédiées jusqu’à leur domicile.

De nombreuses collectivités ont soulevé des préoccupations relativement au fait qu’elles ne participeront pas à la prise de cette décision.

Recommanderiez-vous un amendement qui obligerait le gouvernement fédéral à permettre à chaque collectivité à souscrire ou non à l’accès à la marijuana sur son territoire?

M. Chief : Oui.

Le sénateur White : Merci, bien.

Le sénateur Christmas : Monsieur Chief, merci beaucoup.

Certains des témoins précédents ont mentionné qu’il n’est pas facile d’entrer dans l’industrie du cannabis et qu’ils ont besoin de trouver des partenaires qui possèdent l’expertise et les capitaux nécessaires pour produire et fabriquer du cannabis.

Avez-vous eu de la difficulté à trouver des partenaires qui avaient de l’expérience dans l’industrie, et avez-vous fait face à quelque obstacle que ce soit pour ce qui est d’obtenir les capitaux nécessaires?

M. Chief : Je pense qu’il n’y a assurément aucun problème à trouver des partenaires possibles. Ils sont apparus comme par miracle une fois que l’annonce concernant le projet de loi C-45 a été faite. En outre, à Onion Lake, nous sommes dans une position très favorable. En tant que nation crie, nous avons évidemment les moyens financiers d’investir dans divers projets et d’en entreprendre, qu’il s’agisse du cannabis, du pétrole ou de quoi que ce soit. Il est certain que nous avons examiné diverses considérations chez certains partenaires et que leur expertise a été reconnue, et nous avons l’impression qu’Onion Lake fera un choix très prudent en saisissant l’occasion qui se présente à nous.

Le sénateur Christmas : Avez-vous eu de la difficulté à vous y retrouver dans le processus de demande auprès de Santé Canada?

M. Chief : Non. Je ne pense même pas que ce processus ait été abordé dans le cadre de nos discussions. Selon moi, nous nous sommes simplement penchés sur le fait que... Très bien, voici quelque chose qui se profile à l’horizon, et nous devons être préparés et savoir ce que nous allons faire.

Je pense que les dirigeants étaient tout à fait sur la même longueur d’onde en ce qui concerne les possibilités. Après l’exposé qui s’est manifestement étendu à nos partenaires, au sud — nos voisins du Sud — on a assurément utilisé le processus qu’ils ont établi à Denver et on en a tiré des leçons. Je pense que le Colorado est un excellent exemple de ce qui peut et ne devrait pas arriver, dans une certaine mesure, mais aussi de ce qui peut arriver si on adopte un meilleur mode de gestion. À nos yeux, c’est quelque chose que nous considérons vraiment comme un outil d’apprentissage sur ce processus.

La sénatrice McCallum : J’ai deux questions à poser.

En ce qui concerne la régie des jeux de hasard qui existe en Saskatchewan, y en a-t-il deux? Y a-t-il une régie des jeux de hasard autochtone et une autre provinciale?

M. Chief : Il y a la Régie des alcools et des jeux de hasard de la Saskatchewan, qui est un organisme provincial et qui supervise en quelque sorte la Saskatchewan Indian Gaming Authority. Cette régie autochtone a été créée par une nation appelée White Bear. En 1992, cette nation a décidé qu’elle voulait ouvrir et légiférer son propre casino, et elle l’a fait sans suivre de processus, sans faire intervenir la province. Ses dirigeants ont respecté leurs droits conférés par les traités et leurs droits inhérents, et nous avons eu la ferme impression que c’était la bonne chose à faire pour eux. À partir de ce moment-là, cela a essentiellement forcé la main du gouvernement de l’époque, qui a dû s’occuper de cette affaire, laquelle avait en quelque sorte été déléguée à la province sans consultation réelle des Premières Nations. C’était dans les années 1990, évidemment — il y a plusieurs années —, mais cet exemple illustre assez bien comment des événements pourraient survenir en l’absence de consultation. Je pense que c’est le chef Bernie Shepherd qui était chef à l’époque et un guerrier, à nos yeux, en matière de droits conférés par les traités et en ce qui concerne les perspectives économiques qu’il avait envisagées pour sa nation.

La nation White Bear a ensuite créé un organisme, mais, auparavant, la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan a créé un accord-cadre sur les jeux de hasard entre la province de la Saskatchewan et ce qu’on appelle maintenant la Fédération des nations autochtones souveraines. Cet organisme s’est entendu avec la province sur les conditions pour l’établissement d’un accord-cadre sur les jeux de hasard, visant à permettre l’ouverture de casinos autochtones en Saskatchewan.

À partir de ce moment-là, la Saskatchewan Indian Gaming Authority a été créée, et elle supervise la gestion de tous les casinos de la province.

La sénatrice McCallum : C’est la régie des jeux de hasard provinciale qui s’est adressée à vous, le gouvernement provincial?

M. Chief : Concernant cette affaire?

La sénatrice McCallum : Oui.

M. Chief : La Régie des alcools et des jeux de hasard de la Saskatchewan… Évidemment, c’est elle qui a pour mandat de faire appliquer le projet de loi C-45, je crois. C’est ainsi que ses responsables ont vu les choses, et ce sont eux qui contrôleront et qui surveilleront cet aspect.

La sénatrice McCallum : Cette relation avec la province vous donnerait-elle la possibilité de participer à la mise sur pied de l’entreprise? Quand on conclut un accord avec un organisme, un processus de consentement s’y rattache habituellement, et il nous donne tous les renseignements relatifs à l’entreprise. Au moment où les responsables de la régie vous ont donné cette possibilité, vous ont-ils parlé de la taxe d’accise et de la façon dont ils allaient faire affaire avec vous plus tard?

M. Chief : À la fin de notre rencontre avec Jim Engel, qui est — je crois — le vice-président de la Régie des alcools et des jeux de hasard de la Saskatchewan, notre chef, Okemow Fox, et moi avons soulevé cette question à la toute fin de notre discussion. À ce moment-là, on ne savait pas encore vraiment ce qui allait se passer.

En fait, j’ai soulevé la question du processus relatif aux taxes sur le carburant et sur le tabac dont nous disposons actuellement en tant que Première Nation. En Alberta et en Saskatchewan, nous présentons notre numéro, et nous obtenons le rabais. J’ai soulevé cette question, et il pensait que le processus serait le même. Nous n’avons tenu aucune autre discussion concernant la taxe d’accise après celle-là.

La sénatrice McCallum : Merci.

La présidente : Y a-t-il d’autres questions pour la deuxième série? Comme il n’y en a pas, au nom du comité, je voudrais vous remercier infiniment, monsieur Chief, d’avoir comparu aujourd’hui et nous avoir expliqué comment les choses se déroulent du point de la nation crie d’Onion Lake.

Nous sommes heureux d’entendre le témoignage de notre deuxième témoin de l’après-midi, Carol Hopkins, directrice exécutive de la Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances. Elle comparaît par vidéoconférence.

Madame Hopkins, vous disposerez de 5 ou 10 minutes pour présenter un exposé, puis les sénateurs vous poseront des questions. Si vous voulez bien commencer, merci.

[Note de la rédaction : Mme Hopkins s’exprime dans sa langue autochtone.]

Carol Hopkins, directrice exécutive, Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances : Je m’appelle Carol Hopkins, et je viens de la nation Lenape, qu’on appelle aussi les Delaware. Comme il été mentionné, je suis également directrice exécutive de la Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances, aussi appelée la Thunderbird Partnership Foundation. Je veux vous remercier de l’invitation à comparaître et à discuter avec vous cet après-midi.

Je voudrais commencer par présenter un peu le contexte du cannabis et de son utilisation au sein des collectivités autochtones. Je reçois un peu de réaction acoustique, alors j’espère que cela ne vous empêche pas de bien entendre. Je vais simplement continuer à parler.

Le cannabis est la principale substance consommée par environ 89 p. 100 des jeunes Autochtones qui entrent dans les centres de traitement nationaux pour jeunes toxicomanes consommant des solvants au Canada. Ce réseau de centres de traitement en établissement accepte principalement les jeunes âgés de 12 à 17 ans. Il y en a un qui accepte tout le monde jusqu’à l’âge de 30 ans, et il s’agit d’un programme à long terme.

Quatre-vingt-neuf pour cent des jeunes et des jeunes adultes consomment du cannabis tôt et fréquemment, dès l’âge de 12 ans et aussi tard qu’à 30 ans, et ce, régulièrement. Nous savons également, d’après les données du sondage maison longitudinal et régional mené par le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations, qu’au moins 32 p. 100 des membres des collectivités autochtones consomment du cannabis ou en ont consommé au moins une fois dans le passé. Selon les adultes qui sont admis à des fins de traitement en établissement pour des problèmes liés à la consommation de substances, environ 64 p. 100 de la population consomment du cannabis régulièrement et fréquemment.

Les problèmes liés au cannabis sont déjà importants au sein des collectivités autochtones. L’accès au cannabis dans nos collectivités est assez facile, puisque 89 p. 100 de nos jeunes affirment en consommer régulièrement et fréquemment. Les problèmes de santé et de sécurité publiques associés à une consommation forte et fréquente sont importants. Dans ce contexte, je veux aborder un peu plus en détail la façon dont nous pouvons examiner les collectivités autochtones et leur capacité de régler le problème.

Dans toute la littérature relative au cannabis qui fait état de risques élevés pour quiconque en consomme tôt et fréquemment, l’une des cibles majeures de la réglementation du cannabis, c’est que nous voulons qu’il reste loin des jeunes et souhaitons éliminer le marché illicite.

Dans le cadre de conversations que nous avons tenues en tant qu’organisation avec certains conseils tribaux de collectivités autochtones, il ressort qu’ils se sont concentrés sur les conséquences sur les jeunes, sur les femmes enceintes, sur les femmes qui allaitent et sur les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Si nous regardons certaines des données que nous avons également obtenues des centres de traitement en établissement ou de l’Enquête régionale longitudinale sur la santé des Premières Nations, nous savons que les Autochtones présentent tous les risques liés à une consommation problématique de cannabis.

Quand on pense à l’accessibilité illicite et aux préjudices qui sont actuellement liés à la consommation de cannabis par les Autochtones, nous les informons également au sujet de l’importance de la réglementation afin de réduire ces risques en mettant un produit plus sécuritaire à leur disposition. Nous devons mener beaucoup de campagnes de sensibilisation du public auprès des Premières Nations et nous devons également nous assurer que leurs collectivités ont accès à plus de ressources pour les aider à passer d’une perspective qui n’est qu’une réaction fondée sur la peur à la compréhension de la façon dont ils peuvent utiliser leur propre culture et leurs propres connaissances pour faciliter une approche de réduction des préjudices fondée sur les forces par rapport aux conséquences du cannabis.

Par exemple, même si 89 p. 100 des jeunes participants au Programme national de lutte contre l’abus de solvants chez les jeunes consomment du cannabis tôt et fortement, à la fin de leur traitement, ces jeunes se sont tout de même améliorés d’un niveau scolaire en arts du langage et d’un niveau scolaire et demi en mathématiques dans le cadre d’un programme de traitement en établissement de quatre mois, où ils ne sont en classe à se concentrer sur leurs études que pendant une période de une heure à une heure et demie par jour. Il s’agit d’une augmentation très importante des avancées qu’ils peuvent faire dans leurs études, et ce progrès est facilité par les pratiques culturelles mises à leur disposition dans le cadre de ces programmes.

Alors, là où les pratiques culturelles autochtones forment le fondement du traitement en établissement visant à régler ces problèmes, les jeunes ont également pu faire la preuve du maintien de leur propre mieux-être pour une période allant jusqu’à 12 ans après le traitement, lorsque ce maintien fait l’objet d’un suivi. Les jeunes qui ont fait l’objet d’un suivi après 3, 6 et 12 mois sont plus nombreux — au moins 45 p. 100 — à reprendre leurs études qu’avant leur participation au traitement. Ils sont en mesure de maintenir la réduction de leur consommation de substances après le traitement, et la majorité de ces jeunes reçoivent un traitement pour des problèmes liés à la consommation de solvants.

La raison pour laquelle la culture contribue au changement, c’est qu’il s’agit d’une forme de traitement qui soigne l’esprit, alors il importe que, dans nos approches en matière de santé publique de soutien des collectivités autochtones, nous collaborions avec elles afin de les aider à recenser leurs propres pratiques culturelles et à déterminer comment elles peuvent les mettre au cœur de la façon dont elles règlent les problèmes.

Un autre point de vue lié à la consommation de cannabis… Je ne suis pas certaine que vous ayez entendu des exposés de l’Assemblée des Premières Nations, mais cette assemblée a adopté une résolution visant à promouvoir le cannabis médical dans le formulaire des services de santé non assurés. Nous savons qu’il y a un taux élevé de consommation d’opioïdes chez les Autochtones et qu’ils sont nombreux à souhaiter obtenir de la marijuana médicale en guise de soutien, non seulement pour soulager la douleur physique, mais aussi pour atténuer des problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la dépression. Le cannabis a beaucoup de succès pour ce qui est d’améliorer la qualité de vie.

Je ne suis pas certaine du temps qu’il me reste. Je voudrais continuer à parler, mais je suis également consciente de la période de 5 à 10 minutes que vous m’avez accordée.

La présidente : Veuillez poursuivre.

Mme Hopkins : D’accord. Alors, les risques pour les Autochtones, qui sont également importants du point de vue de leurs besoins relativement à la réglementation du cannabis, sont les problèmes de santé mentale. Par exemple, à l’étape de la vie qu’est le début de l’âge adulte, il y a le risque de souffrir de schizophrénie. Ce risque est accru s’il y a des antécédents de cette maladie ou d’autres antécédents médicaux dans la famille. En outre, si les personnes ont vécu un traumatisme accru… Dans notre cas, c’est un traumatisme intergénérationnel que les collectivités autochtones tentent de régler. Ensuite, si vous êtes un jeune homme, le risque de schizophrénie est accru.

Alors, dans le cas des collectivités autochtones qui n’ont habituellement pas ou pas toujours eu une relation ou un accès solide ou facile aux services de santé mentale, la population est mal servie relativement à la santé mentale et au diagnostic de maladie mentale. Voilà un autre facteur qui doit être pris en considération du point de vue de la situation actuelle, de la consommation de cannabis et des collectivités autochtones.

La conversation que j’amorçais plus tôt portait sur la culture et sur le rôle qu’elle joue, c’est-à-dire que, grâce à l’attention qu’on porte à l’esprit, au recours à des activités axées sur la culture, à la création d’un lien avec la terre, qui est d’une importance cruciale pour le mieux-être, il est possible d’atténuer les préjudices liés au cannabis. Cela exige un changement de paradigme.

Dans le cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations, il est question du changement de paradigme consistant à passer de l’utilisation de données probantes qui sont absentes des connaissances autochtones à l’inclusion des connaissances et des pratiques culturelles autochtones relatives au mieux-être. Alors, voilà les stratégies clés qui peuvent nous aider à utiliser les connaissances et les pratiques culturelles autochtones. Du point d’une approche en santé publique, il s’agit de s’assurer que les collectivités autochtones disposent des bonnes ressources, qu’elles font l’objet d’investissements et qu’elles possèdent les documents de sensibilisation et d’information sur la santé publique nécessaires pour les aider à comprendre les risques et les préjudices associés à la légalisation du cannabis.

Il est certain qu’on s’intéresse beaucoup aux collectivités des Autochtones, surtout à la façon dont leurs écoles peuvent être équipées pour gérer les conversations de manières auxquelles on n’avait pas recours en raison d’un manque de ressources et d’une absence de compréhension des conséquences de la consommation de cannabis sur le développement du cerveau.

L’autre chose que je voudrais dire, c’est que, là où les collectivités autochtones entament des conversations sur le cannabis, on discute également des règlements administratifs interdisant cette substance dans la collectivité. Il y a environ 10 ans, nous avons effectué une analyse de l’environnement des collectivités autochtones qui ont adopté des règlements administratifs interdisant l’alcool. Nous avons constaté que ces règlements administratifs sont assez semblables à la réflexion concernant l’adoption de règlements administratifs pour interdire le cannabis dans nos collectivités. Ainsi, ils sont généralement fondés sur la peur et souvent créés en temps de crise ou lors d’événements importants dans les collectivités, comme des accidents et ce genre de choses.

Les collectivités autochtones parlent de leur droit de créer ces règlements administratifs, mais elles n’ont pas les ressources nécessaires dans l’ensemble des secteurs de services, y compris le droit ou la justice, les systèmes qui permettront de faire appliquer leurs règles. Alors, les règlements administratifs visant à interdire le cannabis sont souvent abordés de la manière dont les collectivités ont parlé des règlements administratifs interdisant l’alcool.

Nos analyses de l’environnement montrent que l’interdiction ne fonctionne pas. Elle calme les gens de la collectivité pendant une certaine période, mais elle n’a pas vraiment de conséquences importantes à long terme. Alors, pendant que les collectivités autochtones étudient le cannabis et ses conséquences sous tous leurs angles, il s’agit d’un point de vue qui pourrait également profiter d’autres campagnes de sensibilisation au sujet des façons de régler les problèmes liés à la toxicomanie.

L’autre élément, c’est que les Autochtones sont déjà sous haute surveillance lorsqu’ils ont des démêlés avec le système de protection de l’enfance et avec le système de justice. Cette surveillance s’assortit souvent de conditions liées à l’abstinence de substances. Il sera très important que nous continuions à surveiller cette population d’Autochtones afin qu’elle ne soit pas criminalisée davantage à mesure que nous progressons vers la légalisation du cannabis.

Je vais mettre fin à mes commentaires là-dessus.

La présidente : Merci beaucoup, madame Hopkins. Nous allons maintenant céder la parole aux sénateurs afin qu’ils vous posent des questions.

Le sénateur White : Ma question renvoie à l’accès au traitement de la toxicomanie. Selon votre expérience et pour ce qui est de savoir si nous observons ou non un accès accru au traitement de la toxicomanie en établissement par l’intermédiaire des collectivités autochtones ou le statu quo, et je suppose que d’un… Je pense que, si nous regardons les conséquences dans les États du Sud qui ont permis la légalisation, nous avons observé une augmentation de la demande.

Quelle est notre situation actuelle : combien de mois faut-il attendre pour accéder à un traitement de la toxicomanie en établissement, que vous croyiez ou non que nous aurons besoin d’une augmentation marquée du financement de l’accès?

Mme Hopkins : Eh bien, les programmes de traitement en établissement — c’est-à-dire le Programme national de lutte contre l’abus de l’alcool et des drogues chez les Autochtones et le Programme national de lutte contre l’abus de solvants chez les jeunes — diffèrent dans toutes les régions du point de vue de leur liste d’attente pour le traitement. Le nombre de personnes qui accèdent au traitement en établissement est assez constant. On a l’impression que l’abus de cannabis va augmenter une fois qu’il sera légalisé, mais, selon nos recherches, nous n’avons vu aucune bonne donnée probante montrant de telles augmentations après la légalisation. Nous menons actuellement un sondage national qui demande aux régions quelle est leur perception de l’abus de cannabis.

En ce qui concerne les traitements en établissement, pour l’instant, sur le plan des besoins, le nombre de personnes qui y accèdent et de personnes sur les listes d’attente demeure constant. La conversation concernant les traitements en établissement porte principalement sur le sous-financement des centres de traitement en établissement sur les plans de leur financement opérationnel et de leurs salaires. Pour l’instant, ce n’est pas propre à la consommation de cannabis, quoique, si cette consommation augmente, il faudra qu’on discute du nombre de places disponibles.

Lorsqu’il est question de consommation de cannabis au sein des collectivités autochtones, on en revient toujours aux opioïdes. Chez les fournisseurs de services des Premières Nations et dans certaines collectivités autochtones, on a l’impression que le cannabis est, si on veut, un moindre mal. Il est bien moins nuisible que les opioïdes, et l’augmentation de la demande en services de traitement est propre aux opioïdes plutôt qu’au cannabis, pour l’instant.

Le sénateur White : Si la réponse m’a échappé, vous pouvez me le dire, et j’essaierai de la trouver. Quel est le délai d’attente moyen? En Ontario, par exemple, il est d’environ cinq mois pour les jeunes âgés de moins de 18 ans, et il est plus long d’un mois ou deux après cet âge. Est-il semblable dans les autres provinces, ou bien avez-vous fait des recherches à ce sujet? Concernant les traitements en établissement.

Mme Hopkins : Concernant les traitements en établissement, je suis désolée, mais je ne connais pas le chiffre actuellement. Je pourrai certainement fournir plus tard un chiffre qui est propre aux centres de traitement en établissement pour les Premières Nations.

Les centres de traitement pour les jeunes offrent habituellement un programme d’une durée de quatre mois, et certains ont une liste d’attente.

Dans le cas des centres de traitement pour adultes, la durée de leur programme va de 28 jours à 6 semaines.

Alors, la durée varie d’un endroit à un autre du pays. Il va falloir que je vérifie ce chiffre et que je vous revienne au sujet de la liste d’attente de ces centres de traitement; je ne connais pas les délais d’attente provinciaux.

La présidente : Voudriez-vous qu’elle envoie ces renseignements au greffier?

Le sénateur White : Oui, si possible. Ce serait apprécié.

La présidente : Si vous voulez bien envoyer ces renseignements au greffier, ensuite, il les distribuera aux membres du comité.

Le sénateur Patterson : Il s’agit d’un exposé très intéressant, et je suis certain qu’il est pertinent pour tous les Autochtones du Canada, y compris ceux des régions inuites.

Je voudrais vous interroger au sujet des centres de traitement et afin de savoir si vous avez remarqué ou non toute reconnaissance par le Canada du fait qu’on aura ou qu’on a besoin de plus de ressources de traitement, comme le reflètent le récent budget fédéral ou d’autres documents. Le Canada réagit-il à ce qui, selon ce qu’en pensent les gens de ma région, sera des conséquences plus importantes et un plus grand besoin de programmes de mieux-être communautaire comme ceux que vous avez décrits, qui comportent des éléments culturels et spirituels?

Mme Hopkins : Les Autochtones du Canada disent éprouver un besoin croissant en programmes de traitement communautaires, et un certain nombre des programmes de Santé Canada ou de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits financent les Autochtones au Canada. Ces ressources sont utilisées aux fins de programmes de traitement de type communautaire et axés sur la terre. En outre, les collectivités qui ont eu recours à des approches conventionnelles et à des approches culturelles autochtones ont connu beaucoup de succès.

Pour ce qui est de savoir si nous recevons un financement suffisant, reconnaît-on le besoin? On reconnaît certes l’importance de la terre et de la culture aux fins des traitements. Dans le Nord du Canada — au Nunavut, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon —, les populations diront certainement qu’elles ne disposent pas d’assez de ressources; il n’existe aucun programme de traitement en établissement destiné précisément à ces populations. Par ailleurs, lorsqu’un traitement axé sur la terre est offert dans ces collectivités, il n’est souvent pas assorti des ressources suffisantes. Alors, les collectivités mettent leurs ressources en commun dans un certain nombre de services afin d’appuyer les traitements communautaires, ce qui comprend les terres.

Nous venons tout juste de terminer l’élaboration d’un modèle de prestation de service axé sur la terre en tant qu’outil visant à favoriser les conversations avec le gouvernement, à aider le gouvernement à comprendre l’importance cruciale de la culture, de la terre et d’autres pratiques culturelles pour le mieux-être.

La récente annonce budgétaire est certainement la bienvenue, mais nous ne faisons qu’amorcer davantage de conversations relativement à l’importance de financer des programmes communautaires axés sur la culture et sur la terre pour le traitement des cas d’abus de substance.

Pour ce qui est des centres de traitement en établissement, nous avons également réalisé en Ontario une étude de cas des centres de traitement en établissement et des programmes communautaires de lutte contre la toxicomanie. Dans le cas de ces programmes, nous avons trouvé, comparativement aux programmes financés à l’échelon provincial, au moins une autre part de 47 p. 100 du financement destinée aux salaires et une autre de 53 p. 100 du financement destinée aux questions touchant le fonctionnement et les immobilisations. Par ailleurs, notre étude a également montré qu’au sein du Programme national de lutte contre l’abus de l’alcool et des drogues chez les Autochtones et du Programme national de lutte contre l’abus de solvants chez les jeunes, un plus grand nombre de nos centres de traitement sont accrédités selon des normes d’excellence que les programmes de traitement généraux offerts au Canada; pourtant, nous sommes considérablement sous-financés.

On reconnaît et on apprécie de plus en plus ces mesures, ces stratégies et ces modèles. Dans le Nord du Canada, les Premières Nations ou les Autochtones vous diront que les programmes généraux ne leur sont pas utiles parce que les intervenants ne sont pas compétents du point de vue de la culture, que les établissements ne sont pas sécuritaires ou ne contiennent pas suffisamment de places et que la majorité des clients viennent au sud du 60e parallèle afin d’accéder au traitement en établissement.

Le sénateur Patterson : Vous êtes très sensible aux préoccupations que j’ai entendues au Nunavut, et je vous remercie de le mentionner.

Une annonce faite dans le budget prévoit l’affectation continuelle de 200 millions de dollars, soit 40 millions de dollars par année, à l’amélioration de la prestation de services de traitement et de prévention de la toxicomanie adaptés à la culture dans les collectivités autochtones où les besoins sont grands. Est-ce suffisant?

Je me demande également si vous auriez la gentillesse de nous communiquer l’analyse dont vous venez tout juste de parler concernant les centres de traitement en établissement de l’Ontario et toute information sur le modèle de prestation de services axés sur la terre. Nous voulons formuler des recommandations à la fin de l’étude, et il semble que le travail que vous faites arrive vraiment à point nommé.

Mme Hopkins : En ce qui concerne le modèle de prestation de services axés sur la terre, par exemple, dans les Territoires du Nord-Ouest, un programme de traitement en établissement était offert; le gouvernement de ce territoire a réalisé une étude au sujet du mieux-être et a investi dans des services de guérison communautaires et axés sur la terre à l’intention des Autochtones de ce territoire, aux dépens du programme de traitement en établissement. Alors, ce ne peut être l’un ou l’autre. Les traitements en établissement et les traitements communautaires axés sur la terre doivent tous être accessibles par les Autochtones.

Le problème des obstacles qui se pose — et je suis d’avis que cela étaierait vos recommandations — relativement au besoin de données probantes qui sont absentes d’une compréhension de… Au sujet des données probantes fondées sur la culture et des connaissances autochtones en tant que données probantes, nous devons comprendre que les données probantes et les connaissances et la culture autochtones sont différentes de ce que nous considérons comme des données probantes conventionnelles, mais qu’elles sont tout de même importantes. Ce sont des connaissances qui ont été maintenues par des sociétés sacrées et par des collectivités, de génération en génération. Ainsi, le passage de l’absence de connaissances et de la culture autochtones à l’inclusion de ces éléments en tant que données probantes est le fondement du modèle de prestation de services axés sur la terre. Ce modèle s’attaque au racisme épistémique : il s’agit de déterminer quelles données probantes, quelles connaissances et quel développement des connaissances sont crédibles. Alors, l’utilisation des connaissances et de la culture autochtones en tant que données probantes est d’une importance cruciale pour les programmes de traitement offerts dans la collectivité comme pour ceux qui sont offerts en établissement.

Voilà une recommandation, car, souvent, ces connaissances et ces pratiques sont écartées parce qu’on considère que ce ne sont pas des données probantes suffisantes pour appuyer le financement de programmes de traitement. Voilà une chose.

L’autre, c’est que, si la culture est le fondement et que les connaissances autochtones sont d’une importance cruciale, il faut déterminer qui sont les effectifs et qui les compose. Il s’agit de l’inclusion des gardiens des connaissances, aînés et praticiens culturels autochtones. Si nous les incluons dans l’effectif, il faut leur verser un tarif respectable qui ne fait actuellement pas partie de notre compréhension de la façon dont on paie ou dont on rémunère adéquatement les personnes possédant ces connaissances et ces compétences. Ainsi, les gardiens des connaissances, les aînés et les praticiens culturels autochtones touchent beaucoup moins d’argent qu’un travailleur social, qu’un conseiller en toxicomanie ou qu’un psychologue, qui pourrait fournir des services dans le cadre de programmes de traitement de la toxicomanie généraux.

Un autre élément tient au fait de reconnaître qui forme la main-d’œuvre. La troisième recommandation porte sur le fait que les collectivités autochtones qui s’appuient sur leurs propres pratiques culturelles ont obtenu des résultats importants.

Par exemple, dans les collectivités où on a mis en œuvre un programme communautaire de traitement aux agonistes opioïdes en tenant compte de la culture on a obtenu de meilleurs résultats sur les plans du maintien de la participation au programme et de son achèvement que ceux qui pourraient être obtenus, par exemple, au moyen d’un programme de traitement dans un milieu urbain. Certains aspects sont liés au fait qu’il s’agit d’un programme fondé sur une approche communautaire plutôt que sur une approche individuelle. Il s’agit d’une communauté qui salue les personnes souhaitant suivre la voie de la guérison et du bien-être, ce qui s’oppose à la stigmatisation et à la discrimination vécues par les personnes qui participent ou par celles aux prises avec un problème de toxicomanie.

Le gouvernement du Canada vient d’annoncer à la Commission des stupéfiants de l’ONU qu’il fait de la question de la stigmatisation une priorité. À l’échelle nationale, et internationale, nous devons nous concentrer sur la réduction de la stigmatisation des personnes aux prises avec des problèmes de consommation de substances. En adoptant une approche communautaire qui met l’accent sur les forces et souligne le cheminement vers la guérison et le bien-être, on réduit de façon importante la stigmatisation. Les responsables des collectivités ont aussi consacré une partie de leurs propres ressources pour soutenir les interactions entre les personnes souffrant de problèmes de dépendance et les autres membres de la collectivité en leur donnant un but et en les aidant à trouver des façons de contribuer à la collectivité et à mener une vie active tous les jours. Si, d’une part, nous traitons les problèmes de toxicomanie, d’autre part, nous devons aussi trouver des façons gratifiantes de contribuer à la collectivité. Dans les collectivités où on a fait cela, on a obtenu d’autres résultats positifs, comme une diminution du nombre d’évacuations médicales, une augmentation du nombre d’enfants présents à l’école, une diminution du nombre d’infractions signalées par le service de police de la collectivité, et d’autres choses encore, comme une diminution du nombre de cas de signalement aux services de protection de l’enfance.

Il s’agit là de gains importants pour une collectivité quand ses responsables investissent dans l’utilisation de la culture et l’offre de traitements qui s’appuient sur une vision du monde ayant du sens pour les membres de la collectivité.

Le sénateur Patterson : Donc, vous pourriez nous transmettre votre analyse du sondage mené en Ontario. Pouvez-vous nous parler des 200 millions de dollars consentis dans le dernier budget fédéral s’il vous plaît?

Mme Hopkins : La somme de 200 millions de dollars prévue dans le budget aidera beaucoup à soutenir les Premières Nations ou les Autochtones au Canada et à s’attaquer aux problèmes liés aux opioïdes. L’approche utilisée pour traiter les problèmes liés aux opioïdes pourrait peut-être aussi s’appliquer au traitement des problèmes relatifs au cannabis.

Notre enquête est toujours en cours. Nous serons très heureux de vous communiquer les résultats quand nous les aurons reçus. L’étude de cas menée en Ontario a déjà été transmise à la ministre Philpott et au responsable de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits. Encore une fois, l’étude de cas menée en Ontario met l’accent sur le niveau adéquat de ressources sur le plan de l’effectif et du soutien au fonctionnement des programmes de traitement en établissement et des programmes communautaires de traitement.

Actuellement, la capacité de traiter la dépendance aux opioïdes, de même que la capacité de traiter l’abus de cannabis, n’est pas encore suffisante. Même si les responsables des centres de traitement s’occupent des problèmes liés à la consommation de cannabis, dans les collectivités, il y a beaucoup moins de ressources disponibles pour permettre aux écoles et à d’autres fournisseurs de services de s’attaquer à la réduction des méfaits, de faire la promotion d’une approche de réduction des méfaits et d’investir dans une approche de santé publique qui vise à comprendre les problèmes liés à la consommation de cannabis.

La somme consentie dans le budget aidera grandement à augmenter la capacité, mais, actuellement, les efforts et l’attention sont principalement centrés sur les problèmes liés à la consommation d’opioïdes. Le fait d’élargir les discussions relatives aux opioïdes pour inclure la réduction des méfaits nous aidera aussi à accroître notre capacité pouvant être consacrée au cannabis. Est-ce suffisant? Non, ça ne l’est pas.

Le sénateur Patterson : Si je peux poursuivre, avez-vous des propositions quant à l’utilisation des recettes fiscales qui découleront de la vente du cannabis au Canada? Vu que vous avez décrit les besoins, que croyez-vous que les gouvernements devraient faire avec ces recettes fiscales? Devrait-on les mettre dans les recettes générales et le Trésor? Avez-vous des propositions?

Mme Hopkins : Eh bien, quand l’annonce a été faite à propos du cannabis, on a aussi dit que les recettes fiscales devraient être partagées avec les Autochtones au Canada. Les responsables des collectivités des Premières Nations avec qui nous avons discuté posent aussi la même question à propos des recettes fiscales et de leur partage. Quand des responsables du gouvernement des Premières Nations tiennent des discussions avec des responsables des gouvernements provinciaux concernant l’accessibilité au cannabis et les règlements qui s’appliqueront dans les collectivités des Premières Nations ou les collectivités autochtones, le sujet des recettes fiscales est soulevé. Les collectivités des Premières Nations que nous avons mentionnées cherchent à avoir des précisions sur les bénéfices qu’elles tireront des recettes fiscales parce qu’elles ne disposent pas de la même capacité sur le plan des forces policières. Les collectivités des Premières Nations et les forces policières n’ont pas les ressources nécessaires pour traiter les problèmes liés aux drogues, comme la criminalité liée à la drogue, et nous ne voulons assurément pas augmenter la criminalisation à la suite de la légalisation du cannabis. Par ailleurs, ce qui ressort aussi de la session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le problème mondial de la drogue, dans le rapport, c’est le droit à la santé, le droit à la prévention et le droit au traitement.

Vous parlez de fiscalité et je parle de la décriminalisation de la possession et du fait de nous assurer que nous ne criminalisons pas davantage les Autochtones. Il manque les ressources nécessaires pour adopter cette approche dans les collectivités des Premières Nations, c’est-à-dire des ressources adéquates en matière de santé publique, de sensibilisation et d’éducation et de soutien de la Police des Premières Nations, dont les membres devront intervenir, comme ils ont dû le faire dans le cas de la crise des opioïdes. Ils souhaitent collaborer pour soutenir la guérison et le bien-être, mais ils n’ont pas les ressources nécessaires pour le faire. Il y a beaucoup de facteurs économiques qui touchent la question de savoir quel est le bon niveau de taxation pour permettre au public d’avoir accès à des produits sécuritaires, ce qui peut être contrôlé par des mesures réglementaires visant le cannabis, tout en réduisant le marché illégal. À cet égard, la question de la taxation est délicate, à savoir, quel est le niveau approprié d’imposition. Peu importe la réponse à cette question, on doit tenir des discussions avec les responsables des collectivités des Premières Nations et établir dans quelle mesure cela les aidera à augmenter leur capacité de maintenir la santé de leurs membres et d’atténuer les risques actuels liés au cannabis.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup, madame Hopkins. Vos commentaires sont à la fois intéressants et utiles.

Je veux m’assurer que j’ai bien compris quelque chose que vous avez mentionné. Au début de votre exposé, vous avez dit que le taux de consommation régulière de la marijuana des 12 à 17 ans est de 89 p. 100. Ai-je bien compris?

Mme Hopkins : Il s’agit du groupe des 12 à 17 ans qui participent à un traitement en établissement.

Le sénateur Christmas : D’accord. Pour mon propre bénéfice, pourriez-vous expliquer la différence entre un programme de traitement en établissement et un programme communautaire de traitement?

Mme Hopkins : Les programmes communautaires de traitement n’existaient pas avant la crise des opioïdes. Nous avions des services communautaires de prévention, mais aucun financement pour un programme communautaire de traitement.

Le traitement était offert dans le cadre d’un programme en établissement.

Un programme de traitement en établissement à l’intention des jeunes des Premières Nations au Canada dure environ quatre mois. Dans le cas des adultes, le fait de suivre un traitement en établissement signifie de quitter sa maison, d’aller vivre dans un établissement où est offert le programme de traitement pour une période de 28 jours à six mois, en moyenne.

Les services communautaires ont été mis sur pied pour offrir un accès accru au traitement des problèmes de consommation d’opioïdes, de façon spécifique. Les personnes qui souffraient de ces problèmes de consommation ne pouvaient pas obtenir de traitement, parce qu’elles choisissaient de ne pas suivre un traitement à la méthadone, qui exige d’habiter près d’une pharmacie. Si vous devez habiter à proximité d’une pharmacie, cela signifie que vous ne pouvez pas résider dans une collectivité isolée ou éloignée, ni même dans une collectivité rurale; c’est difficile d’avoir accès à un traitement.

Des spécialistes en dépendance, en collaboration avec des responsables des gouvernements des Premières Nations, ont mis sur pied, de façon très efficace, des programmes de traitement dans la collectivité en utilisant la buprénorphine et la naloxone — autrement connues sous le nom de Suboxone —, ce qui permet aux personnes de vivre et de demeurer dans leur propre collectivité, d’obtenir un traitement pharmacologique — le médicament — et de participer à des initiatives fondées sur la culture ou de recevoir des services de consultation familiale. Maintenant qu’on a créé ces modèles, ces programmes communautaires de traitement — ils ne sont pas uniformes à l’échelle nationale — qui établissent un fondement, si on y consacre les ressources adéquates, ils aideront à fournir du soutien quant aux possibles problèmes liés à la consommation problématique de cannabis.

Le sénateur Christmas : J’ai été très impressionné par les succès obtenus au moyen des programmes fondés sur la culture et axés sur le territoire. Savez-vous, madame Hopkins, si on a mené des évaluations officielles des résultats obtenus au moyen de ces programmes?

Mme Hopkins : Une étude a été menée à l’Université Lakehead. M. Chris Mushquash comptait parmi les principaux chercheurs. Ils ont étudié 10 collectivités des Premières Nations situées dans le Nord de l’Ontario où les responsables avaient mis au point leurs propres stratégie et programme communautaire de traitement relatifs à la consommation d’opioïdes. La culture était utilisée dans certains programmes, et pas dans d’autres.

Il y a aussi les responsables de l’autorité sanitaire des Premières Nations de Sioux Lookout qui ont mis sur pied des programmes communautaires de traitement aux agonistes opioïdes et qui ont diffusé les résultats obtenus.

On a utilisé certains des indicateurs relatifs aux programmes communautaires que j’ai mentionnés précédemment, mais il y a aussi des personnes qui participent au programme de traitement à la buprénorphine et à la naloxone. Les responsables ont fait passer certaines personnes du traitement à la méthadone au traitement à la Suboxone, pour qu’elles ne consomment aucune substance, et elles ont pu participer de nouveau à la vie familiale et communautaire de façon saine.

Le sénateur Christmas : Pour terminer, j’ai demandé au gouvernement fédéral le nombre de centres de traitement pour Autochtones au Canada, on m’a répondu qu’il y en a 45. Je ne sais pas si ce nombre est exact. D’après ce que j’ai entendu, ces centres sont sous-financés et ne sont pas assez nombreux. Par exemple, un témoin nous a dit ce matin qu’il n’y a pas de centre de traitement au Nunavut.

Mme Hopkins : C’est exact. Il n’y en a pas non plus dans les Territoires du Nord-Ouest ni au Yukon.

Le sénateur Christmas : Je trouve cela incroyable. Je suis stupéfait. Si, comme sénateurs, nous devions fixer un nombre adéquat de centres de traitement — que ce soit des centres en établissement ou dans la collectivité —, selon vous, de combien de centres de traitement pour les Autochtones avons-nous besoin au Canada?

Mme Hopkins : Je peux vous dire, avec certitude, que les responsables au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut demandent des centres de traitement en établissement, spécifiquement pour les Autochtones, depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, leur force réside dans les programmes communautaires de traitement et les initiatives axées sur la terre. Toutefois, ces programmes ont-ils reçu assez de financement? La réponse est non. Je peux affirmer cela avec certitude parce que les détenteurs de la culture et des connaissances autochtones et les Aînés n’ont pas été reconnus de façon officielle comme élément important et essentiel dans le cadre des services communautaires.

Encore une fois, cela découle de la question de définir ce qui est une donnée probante et ce qui ne l’est pas; d’établir ce qui est crédible. Parce que cet aspect n’a pas été perçu comme faisant partie des données probantes, on n’accorde pas le financement approprié. Donc, les collectivités qui mettent sur pied des services communautaires mettent en commun leurs ressources, le plus possible, pour les créer. Même le financement accordé pour que des médecins et des spécialistes de la dépendance se rendent dans les collectivités n’est pas approprié. Ce sont des problèmes qui n’ont toujours pas été réglés en ce qui a trait aux programmes communautaires de traitement.

J’ai mentionné plus tôt les salaires et les activités de fonctionnement. L’étude que nous avons menée en Ontario visait à la fois les services communautaires et les programmes de traitement en établissement. Dans les deux cas, les ressources sont insuffisantes quant à la capacité — et à la capacité éprouvée — d’offrir des services qui satisfont aux normes d’excellence. Les normes d’excellence sont une mesure de la robustesse de ces programmes, mais les ressources sont insuffisantes.

En avons-nous suffisamment? Encore une fois, pour être certaine de ce que j’avance, je peux parler de la situation dans les territoires, parce que j’entends souvent des commentaires à cet égard. Je sais qu’il n’y a aucun centre de traitement dont la gouvernance et le fonctionnement sont assurés par des Autochtones. Les responsables en réclament depuis un certain nombre d’années.

À l’échelle du Canada, concernant les 45 centres de traitement qui existent, je dois consulter mes informations afin de connaître la liste d’attente actuelle pour les programmes qui y sont offerts.

Quant aux services offerts dans la collectivité, il existe deux cadres nationaux à ce sujet. Un document est intitulé  Honorer nos forces : Cadre renouvelé du programme de lutte contre les toxicomanies chez les Premières Nations du Canada. Nous avons participé à la création du cadre de travail. Les responsables de Santé Canada et de l’Assemblée des Premières Nations ont collaboré à l’établissement de ce cadre de travail.

Ce qui est ressorti, après quatre années de discussions tenues d’un bout à l’autre du pays avec des représentants des Premières Nations, c’est qu’il faut investir davantage dans les services communautaires. Par le passé, le financement était consacré aux services communautaires de prévention et aux traitements en établissement. Pendant ce temps, il existe un continuum fondé sur des données probantes qui nous permet de bien comprendre ce que nous pouvons faire en matière d’interventions précoces et de réduction des méfaits, ce qui est beaucoup moins coûteux que des traitements en établissement.

On n’a pas financé ce continuum de soins, qui peut être mis en œuvre dans la collectivité. En dépit de l’annonce récente, on ne pourra pas financer un continuum de soins que nous pourrions rendre accessible dans les collectivités des Premières Nations, moyennant des ressources adéquates.

La sénatrice McCallum : Bonjour, madame Hopkins. Je vous remercie de votre exposé.

J’étais très heureuse que vous souleviez l’aspect spirituel, parce que, dans bien des allocutions, il n’en avait pas été question. Quand on se penche sur l’historique du génocide sur le plan spirituel qui est survenu dans nos collectivités et qui a entraîné la perte de pouvoir et de moral, on s’explique que nombre des interventions n’ont pas fonctionné, parce qu’elles ne traitaient pas les causes ayant miné l’esprit qui ont touché nos peuples.

Si on ne s’occupe pas de ce qui mine l’esprit — dans certains cas la violence sexuelle et d’autres types de violence — et qu’on ne cherche pas à trouver les causes profondes, alors il n’est pas possible de retrouver le moral, à moins d’aller aussi loin que cela.

Il s’agit simplement d’un commentaire, parce que, quand on examine les succès obtenus grâce à vos programmes fondés sur la culture, il est très sensé d’obtenir de meilleurs résultats en ayant recours à des pratiques culturelles et à des programmes de traitement, en plus des interventions.

Si on ajoute cela aux répercussions combinées des déterminants sociaux de la santé, votre charge de travail est encore plus grande, et vous avez besoin d’encore plus de ressources, parce que vous creusez profondément dans nos vies pour que nous puissions collaborer avec vous, comme sénateurs et comme membres de la collectivité.

Je voulais simplement vous offrir un… Je ne sais pas si compliment est le mot juste, mais continuez à faire votre excellent travail. Merci.

Mme Hopkins : Merci beaucoup, madame la sénatrice McCallum. Je souhaite simplement ajouter, à la suite de votre commentaire, que le document Honorer nos forces : Cadre renouvelé du programme de lutte contre les toxicomanies chez les Premières Nations du Canada repose non pas seulement sur des données probantes conventionnelles que nous comprenons et que nous connaissons, mais aussi sur des renseignements fournis par un réseau de détenteurs des connaissances autochtones et d’aînés avec lesquels nous avons discuté à propos de la façon d’utiliser leurs connaissances pour éclairer la manière de traiter la toxicomanie.

Ces personnes ont énoncé un certain nombre de principes. Elles ont souligné que les principes les plus importants et essentiels que nous devons utiliser pour guider notre réflexion sur le traitement des problèmes liés à l’abus de substances, c’est de faire en sorte que ces services soient centrés sur l’esprit. Donc, en ce qui concerne le document-cadre mentionné, sur lequel figurent les logos de l’Assemblée des Premières Nations, celui de Santé Canada et le nôtre, le principe de la centralité de l’esprit dans les interventions figure parmi ceux énoncés.

Dans les cas où on a tenu compte de ces principes dans l’élaboration et la prestation de programmes de traitement, nous avons des données relatives au Programme national de lutte contre l’abus de solvants chez les jeunes et au Programme national de lutte contre l’abus de l’alcool et des drogues chez les Autochtones qui montrent l’incidence des investissements consentis aux initiatives qui tiennent compte de l’aspect spirituel. Nous avons élaboré l’outil d’Évaluation du mieux-être des Autochtones qui mesure des indicateurs cernés par des membres des Premières Nations, partout au pays, pour définir l’état de santé global d’une personne : l’esprit, le cœur ou les émotions, le moral, la santé mentale et physique. Nous disposons dorénavant de cet outil qui permet de mesurer les résultats liés à la façon d’utiliser la culture dans le traitement des toxicomanies. Nous constatons dans quelle mesure nous améliorons le bien-être des membres des Premières Nations, en particulier de ceux qui suivent un traitement de la toxicomanie, grâce à des pratiques fondées sur la culture ou centrées sur l’esprit. Je vous remercie de votre commentaire.

La présidente : Madame Hopkins, votre commentaire concernant le risque d’apparition de la schizophrénie après la consommation de cannabis a soulevé ma curiosité. Vous avez mentionné que ce risque augmente dans le cas des personnes qui ont subi un traumatisme.

Mme Hopkins : Oui.

La présidente : Vous avez aussi dit que cela touche particulièrement les jeunes hommes. Pour ces raisons, croyez-vous qu’il est justifié d’augmenter les investissements dans des programmes de traitement, parce que de nombreux membres des collectivités autochtones ont subi des traumatismes?

Mme Hopkins : Tout à fait. Mme Amy Bombay a mené une analyse secondaire des résultats de l’Étude longitudinale régionale sur la santé des Premières Nations. Elle a pu montrer, à partir des données de cette étude, qu’on peut conclure que plus il y a de générations ou de descendants ayant vécu l’expérience des pensionnats, plus le risque de dépression, d’anxiété et de suicide est élevé.

Les traumatismes découlant de cette expérience se transmettent de génération en génération. De là l’expression traumatisme intergénérationnel.

Même si c’est connu qu’il existe un traumatisme intergénérationnel, nous n’avons pas eu accès à des services de santé mentale. Nous avons vécu la perte ou le remplacement de la culture autochtone et de pratiques culturelles en raison de la colonisation, et cela existe encore aujourd’hui. Même si nous avons des solutions, on n’en a pas tenu compte dans les programmes et les services officiels offerts dans nos collectivités.

Il est possible d’avoir accès à des services à l’extérieur des réserves, mais leur valeur et leur sécurité culturelles ne sont pas toujours assurées. Il existe aussi l’expérience du traumatisme intergénérationnel qui cause de l’anxiété, la dépression ou le risque de suicide, en plus d’autres expériences ayant des incidences intergénérationnelles qui découlent de la colonisation, comme la violence sexuelle.

Il est de plus en plus reconnu que les cas de violence sexuelle et leur taux élevé dans les collectivités des Premières Nations découlent directement de la colonisation, des pensionnats, de la rafle des années 1960 et de la rafle du millénaire, qui se produit en ce moment. La compréhension de la violence sexuelle dans nos collectivités est bien différente de celle qui est courante dans le reste du Canada, et les ressources sont insuffisantes pour soutenir les responsables des collectivités quant au traitement de ces problèmes.

Par exemple, les responsables de la Thunderbird Partnership Foundation mènent actuellement une initiative à l’échelle nationale. Il s’agit d’une discussion portant sur la prise de responsabilités par le gouvernement à l’égard du traumatisme intergénérationnel au moyen de modifications des lois et des politiques qui permettraient aux collectivités de traiter de façon sécuritaire les problèmes de violence sexuelle. Actuellement, selon le Code criminel du Canada, l’inceste est une infraction punissable par mise en accusation; toutefois, les responsables des collectivités des Premières Nations possèdent de l’expérience en matière de justice réparatrice, mais les pratiques en la matière visent principalement les infractions punissables par procédure sommaire.

Nous avons un certain nombre de très bons exemples de cas où des collectivités des Premières Nations ont réussi à négocier avec les représentants du système de justice, le procureur de la Couronne local, les responsables de la force de police et des services à l’enfance et à obtenir des ressources pour soutenir la guérison et le bien-être en adoptant une approche communautaire globale à l’égard de la guérison, plutôt qu’une approche punitive dans des cas de violence sexuelle.

J’ai obtenu de bons résultats. Je vais donner en référence la nation de Hollow Water, où on vient de mener une analyse coûts-bénéfices, et où on a été en mesure de montrer qu’on a maintenu la sécurité dans la communauté entre 1984 et 2000, soit la période visée par l’analyse, et qu’on a réussi à réaliser des économies importantes pour les systèmes correctionnels fédéral et provincial en adoptant une approche fondée sur la communauté.

Malheureusement, il y a aussi des exemples où des responsables de collectivités des Premières Nations souhaitaient avoir recours à la justice réparatrice et adopter une approche de guérison au sein de la collectivité et où le procureur de la Couronne local a refusé. Je dirais que ces situations peuvent être comparées à celle où l’agent des Indiens exerçait un contrôle dans une collectivité. Là où les responsables de la collectivité ont affirmé : « Nous avons nos propres sociétés, nous avons nos propres pratiques et nos façons de faire qui faciliteront la guérison à la fois de la victime et de l’auteur de la violence », et que les procureurs de la Couronne ont refusé, cela a empêché les membres de la communauté de cheminer vers la guérison.

L’initiative portant sur des pratiques sécuritaires en matière de politiques sert à affirmer qu’il ne devrait pas incomber seulement aux responsables des Premières Nations ou des collectivités autochtones de négocier de façon individuelle avec le procureur de la Couronne, les responsables des forces policières et de l’organisme des services à l’enfance afin d’obtenir du financement pour des programmes communautaires de guérison et de bien-être. Nous devrions examiner les lois et les politiques en nous demandant comment faciliter le recours à cette approche.

Tant et aussi longtemps que les membres des collectivités craindront que les adultes soient persécutées par le système de justice et que les enfants soient perdus aux mains des services à l’enfance, ils auront peur d’emprunter cette voie. Aucun membre d’une collectivité ne souhaite détruire le tissu social même de sa communauté s’il craint pour sa sécurité.

Dans le contexte de la réconciliation, il est nécessaire d’effectuer un examen de la législation et des politiques pour faire en sorte que les collectivités puissent assurer la sécurité de leurs enfants, tout en poursuivant l’objectif de guérison et de bien-être. Le gouvernement doit aussi investir des ressources. Cela n’appartient pas qu’aux collectivités des Premières Nations.

La présidente : Merci beaucoup. L’heure est maintenant écoulée. Au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier, madame Hopkins, de votre témoignage et de vos réponses aux questions des sénateurs.

Nous allons maintenant entendre les témoignages de notre sixième groupe de témoins. Il s’agit de Mme Josephine A. de Whytell, avocate, de l’Association du Barreau autochtone et de M. Stephen Derek, directeur général, et de Mary Bird, directrice de l’aide juridique et directrice régionale, des Services juridiques de la nation Nishnawbe-Aski.

Vous avez la parole pour présenter un bref exposé qui sera suivi des questions des sénateurs. Maître de Whytell, voulez-vous commencer?

Josephine A. de Whytell, avocate, Association du Barreau autochtone : Merci beaucoup. J’aimerais commencer par reconnaître et honorer le territoire traditionnel algonquin sur lequel nous sommes réunis et vous remercier de l’occasion de témoigner devant votre comité dans le cadre de l’examen du projet de loi C-45 concernant la légalisation du cannabis.

Je m’appelle Josephine de Whytell et je suis membre honoraire de l’Association du Barreau autochtone ou l’ABA. Je suis diplômée de l’Université Keele, située au Royaume-Uni. J’ai travaillé et suivi ma formation uniquement auprès d’avocats autochtones, notamment Donald Worme, Helen Semaganis et, plus récemment, Katherine Hensel.

Selon l’ABA, la clé du succès de la légalisation du cannabis réside dans l’inclusion véritable des peuples et des économies autochtones. Une véritable réconciliation n’est possible que si les peuples autochtones sont inclus comme partenaires égaux dans les discussions et la création de retombées économiques.

Les lois inhérentes des nations ont une signification pour leurs peuples respectifs. Pour mettre en œuvre un régime national qui vise à alléger le fardeau des tribunaux, à contrôler le marché illicite, à protéger les jeunes et à promouvoir la santé publique, il est nécessaire de reconnaître les lois autochtones et d’en permettre l’application cohérente et harmonieuse dans le cadre d’un régime législatif constitutionnellement inclusif. La gouvernance autochtone relativement aux jeunes sur la distribution, le commerce et le contrôle du cannabis doit de toute évidence s’appliquer aussi au tabac et au chanvre, comme à toutes les ressources autochtones, y compris la terre, l’eau, l’air pur, l’éducation et les soins aux enfants, et le droit au bien-être et permettre de régler les problèmes des collectivités autochtones en matière de santé, de développement économique et de gestion des ressources.

La reconnaissance de l’autodétermination dans l’industrie du cannabis serait un formidable pas en avant sur le chemin de la réconciliation et, en fin de compte, vers l’indépendance économique. Assurément, il n’est pas trop tard pour faire en sorte que le projet de loi C-45 reflète une relation de nation à nation plus positive. Toutefois, on doit intégrer des exceptions pour les peuples autochtones, et, en tout respect, abandonner la criminalisation du cannabis.

La régulation du commerce et de l’ordre social est devenue un mécanisme de subjugation des peuples et des économies autochtones et un outil d’avancement et d’émancipation des colons européens sur le plan du statut social et de la richesse. Ainsi, le renouvellement de la relation de nation à nation originale passe par la reconnaissance de l’adoption, par le Canada, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, et le fait de permettre aux peuples autochtones de recouvrer un statut d’égalité dans la société canadienne.

Essentiellement, le projet de loi C-45 crée un monopole dans le nouveau commerce légal du cannabis pour les gouvernements provinciaux et fédéral et leurs entités sélectionnées. Le projet de loi confère à ces gouvernements une latitude importante et de vastes pouvoirs en matière de droit criminel pour protéger leur propriété intellectuelle dans cette nouvelle industrie, cela au sein d’un régime juridique qui a maintes fois fait défaut aux peuples et aux collectivités autochtones.

Le mémoire présenté par l’ABA est axé sur les répercussions disproportionnées qu’a le projet de loi C-45 sur les Autochtones et examine la façon dont il perpétue le statu quo du génocide. Le génocide perpétré par le Canada envers les peuples autochtones du pays ne se limite pas au retrait forcé d’enfants innocents de leurs foyers et de leurs collectivités autochtones; il se reflète aussi dans tous les aspects des lois et des politiques canadiennes relatives aux Autochtones, en prescrivant leurs activités et leur organisation. Les lois rédigées sans l’avis ni le consentement des Autochtones supposent qu’elles sont adaptées à leur culture et leur sont bénéfiques et doivent être mises en œuvre par chacune des Nations autochtones, sans égard à leurs différents points de vue ni à leurs besoins. Des chefs en sont venus à appeler ce phénomène un « génocide législatif ».

Les lois rédigées au nom des peuples autochtones sans leur consentement auront l’effet d’éliminer la culture autochtone de la common law, et d’éroder et de remplacer lentement les lois et les coutumes autochtones par des lois non autochtones d’application générale. Mais il y a 148 Premières Nations qui ont créé et mis en œuvre des lois d’imposition foncière sous le régime de la Loi sur la gestion financière des premières nations, environ 95 Premières Nations qui ont choisi le Régime de gestion des terres des Premières Nations et 30 nations autochtones qui ont choisi d’imposer une taxe sur les produits et services des Premières Nations.

On a milité en faveur du renversement de la dynamique paternaliste du Canada qui continue d’empêcher l’autodétermination des Autochtones et on a lancé des initiatives connexes. Par conséquent, il est approprié d’envisager des modifications du projet de loi C-45 qui établiraient une nouvelle relation de nation à nation fondée sur les principes de reconnaissance mutuelle, de respect mutuel et de responsabilité partagée pour entretenir ces relations dans l’avenir. La position de l’ABA est que le projet de loi C-45 a des répercussions disproportionnées sur les peuples autochtones, contrairement à ce que prévoit l’article 15 de la Charte, en raison de l’imposition de sanctions pénales, de l’exclusion des peuples autochtones de l’économie et du déni d’accès aux méthodes traditionnelles de guérison et d’autodétermination.

Par exemple, le projet de loi C-45 impose, par mise en accusation, une peine maximale de 14 ans pour des infractions comme la possession, la distribution, la vente et la culture de plus de quatre plants dans une maison d’habitation, entre autres, ce qui priverait automatiquement les juges de la possibilité d’imposer une peine d’emprisonnement avec sursis ou une absolution.

Dans le cas d’un délinquant autochtone qui se retrouve devant les tribunaux en raison d’une de ces accusations, le juge qui impose la peine aurait les mains liées sur le plan juridique et ne pourrait pas appliquer les principes de l’arrêt Gladue et exercer son pouvoir discrétionnaire afin de corriger le déséquilibre juridique qui est la cause d’un nombre disproportionné d’Autochtones qui se retrouvent devant les tribunaux. Il y a également un certain nombre d’obstacles socioéconomiques auxquels font face les peuples autochtones qui désirent peut-être devenir des producteurs, des distributeurs, des vendeurs, des importateurs ou des patients légaux selon le système actuel d’octroi de permis. Si on n’inclut pas les nations autochtones dans le régime législatif du projet de loi C-45 sans inclure de disposition d’adhésion volontaire pour les Premières Nations, on peut raisonnablement s’attendre à ce que l’application du projet de loi C-45 fera en sorte que des Autochtones deviendront injustement incriminés.

Un projet de loi sur la légalisation de la marijuana, qui fait encore appel au droit criminel et au système de justice, mais qui vise de manière disproportionnée les Autochtones et d’autres peuples marginalisés et qui est injuste envers eux, continue de servir une économie à sens unique principalement non autochtone. Depuis que la Commission de vérité et réconciliation a demandé la réconciliation et préparé le terrain à cet égard, on soutient que le gouvernement fédéral doit s’assurer que ses lois respectent les normes et les attentes établies.

Un élément de la consommation de cannabis chez les peuples autochtones traditionnels que les gouvernements fédéral et provinciaux ne sont pas en mesure de comprendre ou de réglementer, ce sont les connaissances traditionnelles que les peuples autochtones ont conservées sacrées et maintenues au sein de leurs familles et de leurs collectivités. Seuls les gardiens du savoir traditionnel peuvent autoriser et réglementer la façon dont ce savoir est communiqué et transmis aux générations futures, et cela est reconnu par la Convention sur la diversité biologique et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Pour empêcher que le commerce illicite prenne de l’essor après la légalisation du cannabis, les peuples autochtones doivent participer à un système de réglementation qui sert leurs intérêts sans les marginaliser ni les incriminer injustement, et ils doivent en tirer profit. Contrairement à l’industrie du tabac, qui a pris son envol entre les années 1700 et 1800, il y a des entités autochtones qui ont des capacités et qui, à la fin de la prohibition du cannabis, sont prêtes et disposées à tirer profit de cet imminent marché si on ne les exclut pas de manière disproportionnée de ses richesses. L’ABA croit que les nations autochtones devraient avoir le plein pouvoir de réglementer l’industrie sur leur territoire et de disposer d’une option d’imposer et de percevoir une taxe d’accise sur les produits du cannabis.

Les industries du tabac et de l’alcool ont crû aux dépens des peuples autochtones en fournissant un soulagement aux symptômes du traumatisme collectif lié aux pensionnats au sein d’un régime législatif qui perpétue la criminalisation des peuples autochtones pour leur dépendance excessive à un produit non réglementé. Pendant qu’elles amassaient de grandes richesses et augmentaient leur pouvoir dans la société, les industries des colons ont dominé les nations autochtones et les ont exclues du marché en les assujettissant à une réglementation excessive et à des contrôles par les gouvernements provinciaux.

On ne devrait pas permettre au commerce du cannabis d’emprunter la même voie du privilège et du monopole aux dépens de l’égalité et de l’autonomie économique des peuples autochtones. La Couronne ne peut pas prétendre intégrer l’intérêt public de toutes les nations autochtones concernant leur consommation d’une plante ou d’une drogue puissante sans violer les articles 2, 7 et 15 de la Charte, qui accordent aux peuples autochtones les mêmes droits d’être en mesure de participer individuellement ou collectivement à la planification et à la mise en œuvre de leurs soins de santé.

Supposer que l’introduction légale, à grande échelle, d’une drogue sur le territoire d’une Première Nation ou d’une collectivité autochtone est une question d’ordre local ou privé relevant d’une province plutôt que d’une Première Nation tient de la simplification excessive, voire de l’ignorance coloniale. Quoi qu’il en soit, il serait incohérent avec l’honneur de la Couronne, l’approche moderne relative à la mise en œuvre des traités avec les Autochtones et le droit inhérent des gouvernements autochtones à l’autodétermination de permettre que l’article 88 de la Loi sur les Indiens soutienne cette nouvelle ère de relations commerciales au chapitre du cannabis entre la Couronne et les peuples autochtones.

Certaines nations adhéreront peut-être à la consommation de la marijuana à des fins récréatives; d’autres peut-être pas. Des peuples ou des nations autochtones désirent peut-être revitaliser l’élément spirituel qui vise à établir un lien ou une relation avec l’énergie de la plante et restreindre sa consommation à cette fin. Il revient à chaque Première Nation unique et distincte de décider elle-même ce qu’elle fera à cet égard. Merci beaucoup.

La présidente : Nous avons ensuite le représentant des Services juridiques de la nation Nishnawbe-Aski.

Derek Stephen, directeur général, Services juridiques de la nation Nishnawbe-Aski : Bon après-midi. Je m’appelle Derek Stephen, non pas Stephen Derek.

Je travaille pour une organisation qui a été fondée en 1990 par la nation Nishnawbe-Aski. Nous nous occupons de divers programmes grâce à notre société de la nation Nishnawbe-Aski et fournissons des services juridiques.

Nos Premières Nations ne sont pas prêtes pour la légalisation du cannabis. On ne les a jamais consultées ni éduquées sur ce sujet. D’abord, cela devrait se produire. L’éducation est une grande partie de la question. La même chose est arrivée lorsqu’on a légalisé l’alcool. C’était le chaos dans le Nord, où il n’y avait aucune réglementation. Aucun programme d’éducation n’était offert aux Premières Nations. Je vois que c’est la même chose qui se produit ici : on a une drogue non réglementée, comme l’alcool. Tout le monde peut aller dans un magasin d’alcools et acheter tout ce qu’il veut.

La même situation se présentera si le cannabis n’est pas réglementé. Je crois qu’il y a des bons et des mauvais côtés à la légalisation du cannabis. Le bon côté, c’est l’économie… le développement économique des Premières Nations partout au Canada. Le mauvais côté, c’est qu’elle pourrait causer également des problèmes de santé. Nous ne savons pas ce qui est bon dans le cannabis. Il pourrait causer aux jeunes toutes sortes de problèmes sur le plan de la santé… et nous le constatons déjà avec la consommation dans nos collectivités. Nous essayons encore de composer avec les suicides dans nos collectivités, pourtant on impose ce projet de loi à nos Premières Nations. C’est injuste pour elles. En même temps, nous continuons de construire des installations dans le Nord. Mais dès qu’un nouveau gouvernement est élu, elles ferment toutes. C’est un fait et la réalité dans le Nord en raison des coûts de fonctionnement des installations et des programmes. Nous voyons cela tout le temps lorsque ces installations ferment en raison d’un manque de financement ou lorsqu’un nouveau gouvernement est élu. Elles disparaissent toutes. C’est la raison pour laquelle nous avons un taux élevé de suicide dans nos collectivités. Ce n’est pas seulement le manque de logements, d’événements sociaux ou d’installations dont nos jeunes peuvent profiter. C’est le problème le plus important que nous observons dans nos collectivités.

Je vais vous donner un exemple. La Première Nation Attawapiskat a eu l’occasion de construire un centre pour les jeunes il y a deux ans. Il n’est toujours pas construit. Les promesses faites au cours d’une période ou d’une année électorale ne sont pas tenues. Elles ne se concrétisent pas. Rien n’est officiel. Ce sont ces types de choses que nous croyons qui vont arriver à nos Premières Nations. Il y a un manque d’éducation de la part de tous, y compris des Premières Nations. Nous devons faire nos propres choses, et même créer des règlements administratifs.

Les tribunaux provinciaux ne reconnaissent pas nos règlements administratifs, et les Premières Nations déploient beaucoup d’efforts pour les créer. Ce sont ces blocages qui empêchent nos Premières Nations de diriger leurs propres collectivités et d’être autonomes. Voici le problème : c’est la province qui s’occupe des lois qui sont adoptées. Pourquoi le gouvernement fédéral ne peut-il pas travailler avec les Premières Nations? Il existe déjà un traité. Qu’est-ce qu’on attend?

Ce sont des points dont nos Premières Nations ont toujours parlé, même nos chefs. Je le sais parce que j’ai déjà été moi-même chef. Nous devons régler ces problèmes si nous voulons aller de l’avant avec la légalisation du cannabis dans nos collectivités. Ces dernières ne sont pas prêtes. Même les services de police ne sont pas prêts. Ils ne sont pas équipés pour cela, pas plus que les aéroports. Il n’y a aucun équipement pour faire le contrôle des personnes qui vont dans le Nord, mais si vous allez au Sud, vous allez faire l’objet d’un contrôle. Pourquoi ne sommes-nous pas importants? Pourquoi le Sud est-il plus important que les collectivités du Nord? Il n’y a pas de matériel de détection pour effectuer le contrôle des personnes qui vont dans le Nord. N’importe qui peut amener n’importe quoi dans le Nord. Si vous allez au Sud, vous faites l’objet d’un contrôle strict. Même pour venir ici, j’ai dû enlever mes vêtements et tout. Cela ne se produit pas lorsque vous allez dans le Nord. Ce sont ces problèmes qui doivent être réglés dans ce projet de loi. Aucun programme destiné aux services de police et à nos organisations ne figure dans le projet de loi. Je vais m’arrêter ici pour l’instant.

Mary Bird, directrice de l’aide juridique et directrice régionale, Services juridiques de la nation Nishnawbe-Aski : Je suis directrice régionale pour les Services juridiques de la nation Nishnawbe-Aski. J’ai également pratiqué le droit dans le Nord pendant 23 ans avant d’occuper ce poste.

La nation Nishnawbe-Aski compte 49 collectivités dans une région ayant environ la taille de la France. Les collectivités les plus éloignées sont seulement accessibles par avion, par bateau ou par routes d’hiver, lesquelles durent de moins en moins longtemps année après année. Cela entraîne un problème énorme pour ce qui est de réglementer ce qui entre dans les collectivités et ce qui en sort.

Je suis certaine que nombre d’entre vous ont entendu parler d’Attawapiskat, mais Pikangikum, en particulier, a fait les manchettes nationales et internationales en raison du nombre de suicides d’enfants. C’est un problème régulier pour nous. Comme Derek l’a dit, les collectivités ne sont pas prêtes à la légalisation du cannabis.

Une partie de la solution est d’examiner la façon dont on s’est occupé de l’alcool. L’article 81 proposé permet aux collectivités de créer des règlements administratifs interdisant l’alcool. Il prévoit certaines exceptions, mais n’offre pas de réglementation. Nous avons trois collectivités visées par le traité no 5 au sein de la nation Nishnawbe-Aski, et elles font l’objet d’une interdiction en vertu du traité. Comme Mme Hopkins l’a indiqué, cela ne fonctionne pas. Nous savons que la prohibition ne fonctionne pas. Nous voudrions voir des mesures précises concernant la production et la distribution afin que les Premières Nations soient capables d’élaborer des règlements administratifs.

Il y a certainement un nombre de problèmes connexes, particulièrement en ce qui a trait à l’application de la loi, comme l’ont souligné Derek et Mme Hopkins. Notre mandat est de créer des systèmes juridiques communautaires. En attendant, toutefois, nous avons affaire aux procureurs de la Couronne et aux services de police généraux et nous avons toujours de la difficulté à utiliser l’approche traditionnelle.

Notre organisation a été la première au Canada à créer un programme de justice réparatrice. Nous sommes les premiers au Canada à créer le programme Talking Together pour garder les enfants dans les collectivités plutôt que de les retirer, mais on les retire encore énormément.

Nous luttons tous les jours pour que la police et la Couronne adoptent l’approche de justice réparatrice. Une des façons d’y arriver, c’est au moyen de lois de nature réglementaire et de règlements administratifs. Cela nous permet de mettre en œuvre une justice communautaire et de faire en sorte que les gens bénéficient de traitements communautaires.

C’est un échec lamentable du procureur général. Je sais que ce n’est pas de votre ressort, mais il y a une relation qui est essentielle. Je le répète, nous avons 49 Premières Nations sur le territoire de la nation Nishnawbe-Aski, 3 groupes linguistiques importants et des dizaines de dialectes. Chacune de ces collectivités est une Première Nation autonome qui comporte son propre ensemble de principes et de valeurs. Elles sont toutes très similaires. Elles parlent toutes des enseignements des sept grands-pères, mais elles ont toutes leurs propres idées sur la façon dont devraient fonctionner les choses.

Il importe que le projet de loi permette à chacune de ces collectivités d’élaborer sa propre réglementation sur le cannabis, qu’il soit permis ou prohibé. Personnellement, je suis contre la légalisation, mais il y a des collectivités qui diront un non catégorique. Nous avons deux collectivités, Matachewan et Wahgoshig, qui ont toutes deux adopté des initiatives et investi dans deux ou trois organisations, et elles devraient être libres de le faire, mais cela doit venir de la collectivité même.

Comme Josephine l’a mentionné, l’article 88 prévoit d’autres mesures, et la dernière chose que nous voulons, c’est que le gouvernement de l’Ontario commence à réglementer le cannabis. J’ai observé ce qu’on tente de faire dans la province. C’est un gâchis. Je ne veux pas que cela se produise dans les collectivités, lesquelles peuvent avoir des valeurs très différentes.

Lorsque nous parlons d’imposition et de l’utilisation de cet argent, dans le Nord, nous ne verrons probablement pas l’aménagement d’installations de culture de la marijuana simplement parce que, dans le Nord, cela demande beaucoup d’électricité, ce qui est coûteux. Toutefois, il y aura probablement encore la taxe sur l’achat et la vente de cannabis.

Je crois comprendre qu’on n’a pas décidé si l’argent perçu ira aux recettes générales. Au fond, c’est une sainte taxe qui n’est pas différente de celle sur l’alcool ou le tabac, et nous acceptons les saintes taxes. Notre organisation croit que les Autochtones souffrent de manière disproportionnée de toxicomanie et sont surreprésentés dans le système pénal et dans la population carcérale, alors ils devraient bénéficier davantage de la perception de saintes taxes que la population générale.

La Cour suprême du Canada, dans une série d’affaires qui ont commencé en 1984 par l’arrêt Guerin, a dit que, dans tout ce qui concernait les Indiens — et ce sont les mots de la Cour suprême, non pas les miens —, l’honneur de la Couronne est en jeu. Lorsque j’examine le projet de loi et ce qui devrait être fait avec ses énormes profits potentiels, je crois qu’une grande partie de l’argent devrait revenir aux peuples autochtones — non pas seulement aux Premières Nations, mais aussi aux Inuits, aux Métis, et cetera —, qui ont souffert beaucoup plus que tout autre groupe identifiable au cours de 500 années d’occupation.

La présidente : Nous allons maintenant passer aux questions en commençant par le sénateur White.

Le sénateur White : Madame la présidente, j’ai deux petites questions.

La première s’adresse à M. Stephen, ancien chef. Merci d’être ici.

Je suis allé dans certaines des collectivités que vous représentez. Dans vos préoccupations, affirmez-vous que vous seriez d’accord avec un amendement du projet de loi qui rendrait obligatoire la consultation d’une Première Nation ou d’une collectivité inuite, en particulier, pour savoir si elle veut adhérer à la loi?

M. Stephen : Je ne peux pas parler au nom des Premières Nations.

Le sénateur White : Non. Je veux seulement avoir votre avis.

M. Stephen : Il incomberait à chaque Première Nation de prendre une décision à cet égard.

Le sénateur White : Alors, elles décideraient si elles veulent adhérer à la loi?

M. Stephen : Oui.

Le sénateur White : Si nous voulons être réalistes, après l’adoption du projet de loi, peu importe ce que la province fait, tout le monde dans toutes les collectivités pourra commander en ligne des produits du cannabis à moins qu’il y ait un changement dans le projet de loi. Merci beaucoup de votre observation.

Madame de Whytell, probablement pour la première fois dans l’histoire canadienne, nous avons un produit agricole qui a été conçu à l’extérieur de l’agriculture au moyen de centaines de millions de dollars provenant de Grand Caïman et des îles Turques et Caïques et d’autres pays.

Pendant que je vous écoutais, j’ai cherché sur Google les groupes autochtones au Canada qui participent à l’agriculture à l’heure actuelle, et il y en a beaucoup. Depuis que nous avons entamé ces discussions, je ne crois pas que nous avons entendu un seul groupe autochtone se livrant à l’agriculture dire avoir a été approché par le gouvernement du Canada afin de participer à la culture de marijuana. C’est comme Jeopardy; je dois formuler ma réponse sous la forme d’une question.

Avez-vous de l’information à nous transmettre selon laquelle le gouvernement du Canada discute avec des groupes autochtones en vue de concevoir un produit agricole ou bien quelque chose m’a-t-il échappé?

Mme de Whytell : Je ne suis pas au courant de cela précisément. Je crois comprendre qu’il y a des mesures incitatives pour les producteurs autorisés qui cherchent à discuter avec les Premières Nations de manière privée.

Pour ce qui est de l’agriculture de cette plante, il y a le Protocole de Nagoya, dont le Canada, je crois, n’est pas signataire, mais il s’inscrit dans la foulée de la Convention sur la diversité biologique. Le protocole encourage les nations autochtones à concevoir et à cultiver leurs propres plantes et à les consommer à des fins spirituelles, cérémoniales, récréatives et économiques. Je crois que c’est assurément quelque chose qu’on devrait examiner.

Le sénateur White : Permettez-moi d’ajouter que nous avons entendu des gens représentant des sociétés parler de sociétés indépendantes qui discutaient, avec des collectivités des Premières Nations en particulier, afin de travailler ensemble sur un programme. Nous n’avons pas entendu une seule fois que le gouvernement du Canada voit là une occasion de croissance pour les Premières Nations ou d’autres collectivités autochtones, que ces dernières pourraient participer en réalité à cette culture de façon individuelle plutôt que d’être à la remorque d’une société qui est principalement financée avec de l’argent provenant des Caraïbes.

Mme de Whytell : C’est très décevant.

Le sénateur White : Encore une fois, ce n’est pas une question. Je suis désolé.

Le sénateur Tannas : Je vais seulement poursuivre très rapidement dans la même veine de ce dont parlait le sénateur White.

Monsieur Stephen, j’aimerais savoir si vous êtes au courant d’une consultation qui a été menée entre le gouvernement fédéral et la nation Nishnawbe-Aski sur ce projet de loi? En a-t-on tenu une?

M. Stephen : Je n’ai entendu parler de rien.

Le sénateur Tannas : Quarante-neuf Premières Nations, un territoire de la taille de la France, aucune consultation?

M. Stephen : Non.

Le sénateur Tannas : Merci.

Madame de Whytell, vous représentez l’organisation juridique numéro un. Il s’agit d’un projet de loi. Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit d’un projet de loi agricole, mais il prévoit des changements au Code criminel. Le gouvernement fédéral a-t-il consulté votre organisation?

Mme de Whytell : Pas à ce que je sache, certainement pas.

Le sénateur Tannas : Vous avez mentionné dans votre exposé que votre organisation favorise un genre de programme d’adhésion volontaire. Seriez-vous prête à préparer et à présenter un amendement afin que nous l’examinions?

Mme de Whytell : Absolument, oui.

La présidente : Je voudrais ajouter quelque chose là-dessus. Si vous faites cela, pourriez-vous l’envoyer au greffier du comité? Votre amendement sera ensuite distribué à titre de témoignage.

Mme de Whytell : Merci. Oui, madame la présidente.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup aux témoins de leurs commentaires.

Monsieur Stephen et madame Bird, vous avez tous deux mentionné que la nation Nishnawbe-Aski n’est pas prête pour le projet de loi C-45.

Madame Bird, vous avez explicitement mentionné Attawapiskat et Pikangikum. Si ces Premières Nations ne sont pas prêtes, que pourrait-il se passer si on adopte le projet de loi sans une disposition d’adhésion volontaire?

Mme Bird : Je ne sais pas.

Ce que je veux dire, c’est que le champ est libre. Les gens entendront que la marijuana est légale. Nous savons que, pour la moyenne des gens, c’est tout ce qu’ils entendront. Des personnes vont cultiver et distribuer de la marijuana sans comprendre la loi. Sans éducation, elles ne sauront pas qu’il existe des règles et une réglementation qui leur permettent d’avoir quatre plantes chez elles, mais sans avoir le droit de vendre de la marijuana. Elles devront avoir un permis. Cela entraînera une plus grande criminalisation, bien honnêtement.

Est-ce que cela augmentera la consommation? Je ne le sais vraiment pas. Il y a des statistiques sur l’augmentation de la consommation une fois que le produit est légalisé, mais, bien honnêtement, si on réalise un sondage dans un endroit où la marijuana est illégale et qu’on demande aux gens s’ils en consomment, ils répondront probablement non, même s’ils en consomment. Si elle est légale, ils répondront oui. Je ne sais pas à quel point ce type de sondage est précis et je ne peux pas avancer d’hypothèse.

Cela placera les gens dans une position où ils agiront d’une manière qu’ils croient légale, mais ce ne sera pas le cas. La dernière chose dont nous avons besoin, c’est plus d’accusations au criminel dans ces collectivités.

Le sénateur Christmas : Monsieur Stephen, vous avez mentionné l’introduction de l’alcool et le chaos que cela a semé. Si rien ne change et qu’on adopte le projet de loi, prévoyez-vous que la même chose puisse se produire dans ces collectivités ou dans d’autres?

M. Stephen : Oui, et cela se poursuit encore. La situation s’est améliorée quelque peu, mais on n’observe pas de véritable diminution en raison du manque d’emploi et de la situation économique dans le Nord. La même chose va se produire avec le cannabis. Beaucoup de gens en vendent déjà juste pour joindre les deux bouts. Avec le coût de la vie dans le Nord, il faut tenir compte de ce qu’y font les gens et de la façon dont ils réagissent à ces choses. Cela va créer des problèmes dans des secteurs problématiques comme le système d’éducation, les soins de santé et les services de police.

Le sénateur Christmas : Si on donnait assez de temps aux Premières Nations pour se préparer à la légalisation du cannabis, croyez-vous qu’on obtiendrait un meilleur résultat avant l’entrée en vigueur de la loi?

M. Stephen : Vous pouvez donner aux Premières Nations tout le temps dont elles ont besoin et qu’elles désirent, mais les problèmes seront encore là. Il s’agit de la façon de réglementer le cannabis. Je le répète, vous pouvez entrer dans un magasin d’alcools et voir des gens en acheter 10 caisses. La même chose pourrait se produire si le cannabis n’est pas réglementé; les gens pourraient revenir dans leur collectivité et le vendre comme produit de contrebande. C’est leur façon de faire de l’argent.

C’est la même situation ici. Si vous placez ce produit sur les étagères d’un magasin d’alcools et qu’il n’y a pas de réglementation sur la quantité qu’on peut acheter, les gens le revendront en contrebande dans le Nord à des prix exorbitants. L’éducation est une grande partie de ce qui doit se produire, tout comme la réglementation sur la quantité qu’on peut acheter dans les magasins d’alcools. Qui consomme 10 caisses de bouteilles en une soirée? Personne.

Les caissiers sont les personnes qui travaillent dans le magasin d’alcools et qui devraient empêcher les gens d’en acheter autant. C’est une escroquerie, et ce sont des taxes perdues. Malheureusement, nous n’en profitons pas; c’est le reste de l’Ontario qui en profite.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Je regarde tous les problèmes que pose ce projet de loi, et les Premières Nations seront touchées de manière disproportionnée. Il y a eu un manque de consultation des gens, un manque de consentement éclairé et un non-respect de la gouvernance locale. Lorsque je regarde la situation, je me pose la question suivante : croyez-vous qu’il s’agit d’une loi discriminatoire?

Mme de Whytell : Oui, ce projet de loi en particulier introduit une discrimination en traitant les peuples autochtones de la même façon que quiconque n’a pas un droit prévu à l’article 35.

La sénatrice McCallum : Que faites-vous lorsque vous savez que le projet de loi sera discriminatoire? Que faites-vous avant son adoption?

Mme de Whytell : Si on avait eu l’occasion, il aurait été approprié de tenir une consultation. Vu qu’il ne nous reste plus beaucoup de temps avant l’adoption du projet de loi, une disposition d’adhésion volontaire qui reconnaît les droits inhérents des peuples autochtones de régir et de réglementer l’industrie du cannabis de même que de maintenir l’ordre et d’appliquer cette réglementation dans leurs propres collectivités pourrait éviter le déséquilibre juridique prévu.

La sénatrice McCallum : Je croyais comprendre ce qu’était une disposition d’adhésion volontaire. Pouvez-vous me l’expliquer? Cela m’inquiète.

Mme de Whytell : Si la légalisation du cannabis est quelque chose qui s’appliquera à tout le monde au Canada, et qu’on peut en acheter sur Internet, alors cette disposition vise à reconnaître que la réglementation fédérale et provinciale peut s’appliquer à la Première Nation, moyennant son consentement, et les Premières Nations qui choisissent de ne pas adhérer au régime réglementaire seraient tout de même visées par la légalisation du cannabis à l’échelle fédérale, mais l’option d’utiliser leurs propres lois afin de réglementer un mécanisme dans leurs propres collectivités.

La sénatrice McCallum : Alors avec l’option de ne pas adhérer au régime réglementaire, je ne vois pas comment cela réglera le problème parce que si les gens veulent acheter la drogue, ils iront ailleurs. Si une collectivité choisit de ne pas adhérer au régime, et que les gens vont dans une autre collectivité pour avoir accès à de la marijuana et la ramener chez eux, cela crée un autre problème juridique.

Je ne comprends pas pourquoi vous augmentez l’action policière dans le projet de loi, mais vous décriminalisez également la marijuana. J’entends un double message. Avec l’augmentation de l’action policière, cela va créer des choses négatives. S’agit-il d’actes criminels? Pourquoi y a-t-il une augmentation de l’action policière?

Mme de Whytell : L’Association du Barreau autochtone croit que le Code criminel ne devrait pas s’appliquer au projet de loi sur la légalisation du cannabis et que ces questions devraient être des infractions réglementaires et non pas des infractions criminelles.

La sénatrice McCallum : Mais à l’heure actuelle, il s’agira d’infractions criminelles?

Mme de Whytell : Oui. La criminalisation excessive des peuples autochtones dans le système de justice signifiera que si on applique cette réglementation aux collectivités autochtones sur leurs territoires, alors cela créera un régime de légalisation inégal, dont les Premières Nations ne profiteront certainement pas.

Si les collectivités autochtones ont la possibilité de taxer elles-mêmes le cannabis, alors elles encaisseront des recettes accrues qui pourront les aider régler ces problèmes.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le sénateur White : Monsieur Stephen, si je peux ajouter quelque chose, je crois que vous avez dit que vous avez 48 collectivités, n’est-ce pas?

M. Stephen : Quarante-neuf.

Le sénateur White : Ce n’est pas ma question; c’est une mise en contexte. Y a-t-il des collectivités qui font l’objet d’un contrôle ou qui sont sans alcool?

M. Stephen : Je crois qu’il y en a 24 qui sont sans alcool.

Le sénateur White : Alors 24 collectivités ont décidé de rendre l’alcool illégal. Y a-t-il une différence dans les taux de criminalité de ces collectivités en comparaison de celles où on vend de l’alcool?

M. Stephen : Je crois que, dans certains cas, il y a des différences. Par exemple, vous avez la Première Nation d’Attawapiskat, une collectivité plus grande que celle de Peawanuck, qui vend de l’alcool. La Première Nation d’Attawapiskat est sobre. Mais je crois que les petites collectivités peuvent mieux gérer la situation que les grandes.

Lorsque nous étions une petite collectivité, dans les années 1960, nous pouvions la gérer, mais maintenant, comme notre population est d’environ 2 200 personnes, c’est très difficile d’exercer un contrôle sur l’alcool parce que nous avons une population jeune. À l’époque, nous pouvions exercer ce contrôle au sein de notre collectivité, et ce qui s’est produit découlait des politiques adoptées par le gouvernement.

Nos collectivités ont en quelque sorte perdu ce contrôle. C’est la même chose pour une grande collectivité comme Pikangikum. La consommation d’alcool n’a pas diminué en raison d’une population de plus de 3 000 personnes.

Le sénateur White : Vous connaissez mes antécédents, j’ai travaillé 19 ans dans les trois territoires nordiques et à deux ou trois reprises au Nunavut. Dans les collectivités où le gouvernement a adopté des politiques — et non les collectivités, les administrations ou les dirigeants locaux —, il s’agissait de collectivités qui avaient décidé d’être sobres, je crois que quelqu’un a dit que c’était généralement en raison d’un événement traumatisant ou tragique. Dans ces collectivités, les taux de criminalité étaient certainement très différents de ceux des collectivités qui n’avaient pas pris cette décision.

Mais il s’agissait d’une décision communautaire. Je crois qu’on revient à la disposition d’adhésion volontaire. Au final, nous parlons d’autodétermination. C’est peut-être la parfaite occasion pour les collectivités autochtones de décider si elles sont prêtes, et, aujourd’hui, elles ne le sont peut-être pas. Elles le seront peut-être demain. Mais c’est vraiment ce que nous tentons de comprendre ici.

Mon argument serait qu’il n’y a rien de mieux pour favoriser l’autodétermination que de permettre à une collectivité autochtone de dire : « Vous savez quoi? Nous ne sommes pas prêts pour la légalisation du cannabis. » Je crois même que la plupart des Canadiens diraient la même chose, en passant. Nous n’avons tout simplement pas la possibilité de le dire dans la plupart des collectivités dans lesquelles j’ai vécu.

J’imagine que je dois formuler une question. Ne croyez-vous pas qu’il s’agit de l’occasion parfaite pour vos collectivités de décider par elles-mêmes si elles sont prêtes ou non?

M. Stephen : Oui. Je crois que c’est approprié de le dire. Mais tout cela revient au fait que nos collectivités essaient encore de guérir des séquelles laissées par les pensionnats, et si on leur crée d’autres problèmes, c’est… Comment gérer cela? Comment une collectivité gère-t-elle une telle situation? C’est une autre question qu’on doit également examiner et prendre en considération. Si vous voulez légiférer ces choses, alors comment légiférez-vous les autres problèmes auxquels les Premières Nations font face aujourd’hui, comme les pensionnats et d’autres choses qu’a vécues notre peuple? Tout cela doit également être pris en considération.

Le sénateur White : Merci à chacun d’entre vous d’être ici aujourd’hui.

La présidente : Avant de lever la séance, j’aimerais seulement demander quelque chose à Mme de Whytell, de l’Association du Barreau autochtone. Vous avez dit que la collectivité devrait envisager d’apporter des modifications au projet de loi C-45 et vous nous avez offert de nous envoyer un amendement concernant la disposition d’adhésion volontaire. Y a-t-il d’autres amendements que l’ABA considère comme importants et que vous seriez peut-être disposée à envoyer au comité?

Mme de Whytell : L’ABA a considéré d’autres recommandations dans son mémoire concernant le fait de donner une contravention plutôt que de porter une accusation au criminel pour les infractions liées au cannabis. C’est certainement quelque chose à propos duquel l’ABA, si nous sommes en mesure d’en discuter avec la régie, pourrait fournir certaines modifications. Merci, madame la présidente.

La présidente : Merci. Sur ce, au nom des comités, j’aimerais remercier nos témoins cet après-midi de l’Association du Barreau autochtone et des Services juridiques de la nation Nishnawbe-Aski. Merci de vos témoignages et de vos excellentes réponses aux questions des sénateurs.

Nous en sommes au dernier groupe de témoins. Nous avons avec nous Trevor Daroux, surintendant principal, l’inspectrice Kimberly Taplin, directrice par intérim, et l’inspecteur Jason McAdam, officier responsable, de la Gendarmerie royale du Canada.

Vous avez la parole si vous voulez bien commencer votre exposé. Après, nous aurons les questions des sénateurs.

Trevor Daroux, surintendant principal, Services nationaux de police autochtones, Gendarmerie royale du Canada : Bon après-midi, madame la présidente, et membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J’aimerais commencer par reconnaître le fait que nous sommes sur un territoire non cédé par le peuple algonquin.

Je vous remercie de nous avoir invités ici pour discuter du rôle de la Gendarmerie royale du Canada dans les collectivités autochtones en ce qui concerne le projet de loi C-45, Loi sur le cannabis.

Mon rôle est celui de directeur général responsable de la section des Services nationaux de police autochtones et la prévention du crime des services contractuels de la GRC à la sous-direction des Services nationaux de police autochtones.

Je suis accompagné aujourd’hui de l’inspectrice Kimberly Taplin, agente chargée des Services nationaux de police autochtones de la GRC, et de l’inspecteur Jason McAdam, officier responsable, Services nationaux de la prévention du crime, Gendarmerie royale du Canada.

À titre d’information, la GRC est liée par un contrat en vue de fournir des services de police de première ligne à toutes les provinces et à tous les territoires du Canada, à l’exception de l’Ontario et du Québec. La GRC offre des services de police à plus de 600 collectivités autochtones partout au Canada. Une de nos cinq priorités stratégiques est de contribuer à des collectivités autochtones plus sûres et plus saines.

La prestation de services de police adaptés aux réalités culturelles constitue le fondement nécessaire afin de bâtir des relations et des partenariats avec les quelque 600 collectivités autochtones que nous desservons.

Notre histoire partagée et unique avec les peuples autochtones du Canada nous fournit un environnement dans lequel nous pouvons travailler en collaboration en vue d’améliorer la santé et le mieux-être de la collectivité. Nous sommes déterminés à continuer à nous appuyer sur ces relations à mesure que nous encourageons, maintenons et favorisons un dialogue honnête et ouvert entre nos partenaires autochtones.

Comme nous travaillons ensemble, la GRC est dans une position pour aider et défendre les collectivités autochtones aux échelons local, provincial, territorial et national.

Nous contribuons à créer des communautés plus saines et plus sûres en favorisant et en appuyant le recrutement d’employés et de policiers d’origine autochtone; en travaillant de concert avec les communautés afin d’assurer la prestation d’un service amélioré et optimisé en mettant en place des services de police utiles et adaptés sur le plan culturel; en contribuant à l’accroissement de la capacité des collectivités à réprimer le crime par le développement social; en entretenant et en renforçant les partenariats avec les communautés autochtones, nos partenaires d’application de la loi et du gouvernement, les intervenants et les organismes autochtones; en favorisant et en employant des initiatives de justice alternative ou de justice communautaire pour les peuples autochtones; en prouvant la valeur du service grâce à l’élaboration, à la gestion et à l’évaluation d’un plan de rendement annuel créé en collaboration avec les communautés autochtones locales. Il s’agit d’un ensemble de priorités approuvées conjointement.

Grâce à sa contribution à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques publiques en vue d’aider à bâtir des collectivités autochtones plus sûres et plus saines, la police contractuelle s’assure de la qualité constante des services partout au Canada, mais le niveau des services de police fournis dans chaque province et dans chaque territoire repose ultimement sur les gouvernements provinciaux ou territoriaux, tout comme les objectifs, les priorités et les buts des services de police dans chaque administration respective. Dans ce contexte, chaque administration peut élaborer et poursuivre des initiatives individuelles et adaptées pour répondre aux besoins locaux.

En desservant les collectivités autochtones, la GRC concentre ses efforts sur les domaines de l’éducation et de la sensibilisation, de la prévention, de l’intervention précoce et de l’application de la loi.

Même si la GRC n’est qu’un partenaire parmi beaucoup d’autres à améliorer et à assurer la sécurité des collectivités autochtones, nous reconnaissons le fait que nous jouons un rôle essentiel.

Une autre des cinq priorités stratégiques de la GRC est de réduire la criminalité chez les jeunes, que ce soit en tant que victimes ou délinquants. Les questions prioritaires actuelles sont l’intimidation et la cyberintimidation, la radicalisation des jeunes menant à la violence, la violence fondée sur le genre, la toxicomanie et l’amélioration de la sécurité routière. Afin de réduire la criminalité et la victimisation chez les jeunes, la GRC vise à soutenir des réponses durables à long terme; à soutenir des approches cohérentes avec la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents; à se concentrer sur les facteurs de risque, la prévention et l’intervention précoce; et à encourager la participation et l’autonomisation des jeunes. Afin de réaliser ces objectifs, la GRC se concentre sur la sensibilisation et la mobilisation, et l’intervention et la déjudiciarisation. La sensibilisation et la mobilisation visent à sensibiliser davantage les jeunes, influencer leur comportement par la modélisation du comportement, le mentorat et l’apprentissage actif, et les encourager à avoir une influence positive sur leurs pairs, leur école et leur collectivité.

Les activités connexes comprennent les initiatives de prévention en milieu scolaire, la mobilisation communautaire, la consultation des jeunes, les partenariats entre les jeunes et la police, les ressources en ligne et la participation par le truchement de la technologie. L’intervention et la déjudiciarisation portent sur l’intervention auprès des jeunes, qu’ils soient contrevenants ou victimes, pour s’attaquer aux causes sous-jacentes de la criminalité et de la victimisation grâce à une programmation directe, à des partenariats entre divers organismes et à des renvois aux programmes communautaires. Les activités connexes comprennent des mesures extrajudiciaires, des mesures de justice réparatrice et des partenariats entre divers organismes.

Il importe que les jeunes aient l’occasion de fournir leur point de vue sur des questions qui les touchent, puisqu’on croit qu’ils sont les joueurs clés dans la prévention de la criminalité dans les collectivités. Lorsqu’ils comprennent leur point de vue, les agents de police peuvent interagir plus efficacement auprès d’eux et mieux les comprendre. Le Comité consultatif national sur la jeunesse de la GRC regroupe des jeunes de toutes les régions du Canada pour qu’ils discutent des problèmes importants auxquels ils font face dans leurs collectivités respectives tout en fournissant une contribution précieuse aux politiques, aux programmes et aux stratégies de la GRC.

La GRC croit que la prévention à long terme de la criminalité et de la victimisation chez les jeunes peut seulement être accomplie en partenariat avec la collectivité. Pour cette raison, la GRC travaille en étroite collaboration avec des organisations locales et les services sociaux pour que les jeunes qui entrent en contact avec la police en tant que victimes ou délinquants reçoivent l’aide dont ils ont besoin afin de surmonter les épreuves qui se présentent à eux.

Dans l’esprit de réconciliation et en reconnaissance de la valeur des initiatives communautaires, la GRC collabore étroitement avec des collectivités et des groupes autochtones afin d’élaborer des approches novatrices et adaptées aux réalités culturelles en matière de services de police. Par exemple, le commissaire de la GRC compte sur le Comité consultatif national sur les questions autochtones, créé en 1990. Le comité est formé de représentants des provinces et des territoires.

En outre, les comités consultatifs des commandants divisionnaires se réunissent pour fournir des points de vue locaux en vue de relever les besoins de la collectivité, ce qui permet le renforcement des partenariats avec les collectivités autochtones.

Les chefs de détachement de la GRC, les dirigeants communautaires, les chefs, les conseils et les maires discutent régulièrement des priorités locales relativement aux approches en matière de prévention de la criminalité pour établir des priorités annuelles au chapitre des services de police locaux. De plus, la GRC travaille à faciliter la prestation de programmes et d’initiatives autochtones partout au pays, comme le programme Bouclier autochtone, le Programme de formation des aspirants policiers autochtones, les agents de programmes communautaires, le Programme des gendarmes communautaires, les ateliers sur le leadership des jeunes Autochtones et le Comité consultatif sur la jeunesse. Ces programmes et ces initiatives portent sur la prévention et la réduction de la criminalité grâce à l’éducation, à l’intervention précoce et à la mobilisation communautaire.

La GRC collabore étroitement avec les dirigeants et les représentants d’organisations autochtones nationales afin de s’assurer que la voix autochtone à l’échelle nationale soit entendue. Le groupe consultatif sur les organisations autochtones nationales se réunit deux fois par année. En tant que service de police national du Canada, la GRC continuera à travailler à la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis en s’efforçant d’atteindre ses priorités stratégiques visant à assurer des collectivités autochtones plus sûres et plus saines et à protéger les jeunes. La GRC continuera également de travailler en vue de réaliser son mandat qui consiste à prévenir et à empêcher les activités criminelles graves et à mener des enquêtes sur celles-ci de concert avec les partenaires contractuels, les organismes d’application de la loi, les services de sensibilisation et les collectivités partout au Canada.

Merci encore une fois de nous avoir invités ici afin de discuter de la Loi sur le cannabis. Nous serions heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur White : Merci à vous tous d’être ici. Merci de votre service, bien sûr.

Nous avons tenu un certain nombre de discussions sur la disposition d’adhésion volontaire relativement aux collectivités autochtones, et certaines personnes ont affirmé, je crois, qu’il n’y a pas de grandes différences entre les collectivités qui ont de l’alcool et celles qui n’en ont pas. J’ai servi dans ces collectivités pendant environ 19 ans et j’ai toujours senti qu’il y avait une nette différence, mais je me demande, sur le plan des statistiques, avez-vous des données probantes sur la criminalité dans les collectivités sobres en comparaison de celles qui ne le sont pas?

M. Daroux : Merci, monsieur le sénateur White. Je n’ai pas ces statistiques avec moi, mais c’est certainement quelque chose que nous pouvons obtenir pour vous.

Le sénateur White : Ce serait très apprécié si vous les transmettiez au greffier.

Ma deuxième question porte sur le crime organisé, ce qui n’est pas la raison pour laquelle vous êtes ici, nous le savons, toutefois, on le retrouve dans toutes les collectivités du pays, y compris les collectivités autochtones. La GRC prévoit-elle une réduction de la participation du crime organisé au marché illégal de la marijuana si celle-ci était légalisée, ou prévoit-elle une participation aux marchés légal et illégal?

M. Daroux : Il est évident que le crime organisé ne relève pas de ma sphère d’expertise. On reconnaît que le crime organisé n’est pas seulement axé sur les produits. On se concentre plutôt sur les groupes du crime organisé, non pas nécessairement sur les produits, alors on continuera à déployer des efforts à l’égard de ces groupes du crime organisé.

Le sénateur White : Encore une fois, je sais que ce n’est pas votre domaine d’expertise, mais je suis certain que vous fréquentez ces salles. Savez-vous si les fonds injectés par le crime organisé dans les marchés légaux proposés, particulièrement par l’intermédiaire des pays des Caraïbes… Nous avons entendu le sénateur Joyal parler au Sénat il n’y a pas si longtemps, je crois qu’il s’agissait de 250 millions de dollars qui provenaient de comptes inconnus à l’île Grand Caïman ou aux îles Turques et Caïques, un ou l’autre. Savez-vous si nous voyons du financement provenant de comptes à l’étranger dans la mise en place d’un « marché de la marijuana » légitime?

M. Daroux : Merci de la question. Effectivement, cela ne relève pas de mon domaine d’expertise, alors je ne serais pas en mesure de vous fournir… Une autre personne pourrait vous offrir une meilleure réponse que moi à ce sujet.

Le sénateur White : Merci beaucoup.

La présidente : J’aimerais poursuivre avec une question complémentaire à la première question du sénateur White à propos de la collecte de données sur la criminalité.

Je sais que, au cours des trois ou quatre dernières années, la GRC a recueilli des données concernant l’identité autochtone dans les affaires d’homicide, données qui ont été envoyées à Statistique Canada. Je les ai moi-même consultées et ai fait certaines comparaisons.

Dans le cas présent, prévoit-on recueillir des données concernant l’identité autochtone et peut-être les jeunes afin que nous puissions surveiller les effets qu’aura sur eux le projet de loi C-45, lorsqu’il sera mis en œuvre? Est-il possible de procéder à une telle collecte de données? Envisage-t-on d’effectuer ce type de collecte de données?

M. Daroux : Merci de la question, madame la présidente. C’est certainement quelque chose que nous pouvons examiner pour ce qui est des données sur les jeunes. La collecte de données sur l’ethnicité est quelque chose que nous devrons examiner.

La présidente : De même, vous avez mentionné dans votre exposé que vous avez un Comité consultatif national sur la jeunesse. Je présume qu’il y a également des jeunes issus de collectivités autochtones. Ont-ils exprimé des inquiétudes concernant le projet de loi sur le cannabis? Avez-vous reçu de la rétroaction à savoir s’ils éprouvent des craintes à cet égard, s’ils croient qu’il s’agit d’une bonne idée, ce genre de choses?

M. Daroux : Merci, madame la présidente. Ce groupe consultatif est assez important. Au total, environ 150 jeunes discutent de façon virtuelle. Les discussions sur le cannabis et d’autres questions ont été assez ouvertes, et les réactions, assez diversifiées, je dirais.

La présidente : Merci.

Le sénateur Patterson : Pourriez-vous décrire les plans que vous avez élaborés pour former les agents de la GRC dans les territoires afin qu’ils puissent s’occuper des personnes ayant les facultés affaiblies par la marijuana qui conduisent des véhicules ou de l’équipement lourd?

Je viens tout juste de rendre visite aux collectivités du Nunavut pour y tenir des consultations sur le projet de loi C-45 — en fait, toutes les collectivités du Nunavut — et j’ai rencontré chaque maire et chaque conseil, et ceux-ci éprouvaient tous de l’inquiétude concernant les risques de facultés affaiblies, non pas seulement pour les véhicules, mais également l’équipement lourd utilisé dans les collectivités du Nunavut dans des circonstances très difficiles.

Ils se demandaient comment ils pouvaient former leurs agents chargés de faire appliquer le règlement et comment les agents de la GRC seraient formés.

Je vais vous poser une autre question : y a-t-il une façon précise de mesurer les facultés affaiblies par le cannabis, comme celle acceptée de tous, que nous avons pour l’alcool?

M. Daroux : Merci de la question.

C’est une question à deux volets. Notre groupe se concentre principalement sur la prévention, l’intervention précoce et l’éducation.

L’application de la loi relève d’un autre secteur, qui s’est présenté devant un autre comité, pas plus tard que la semaine dernière. Je ne peux pas discuter de l’aspect de l’application de la loi, mais, à mon avis, il est important de ne pas concentrer tous nos efforts uniquement sur l’application de loi.

Nous voulons concentrer nos efforts sur l’éducation, la prévention et l’intervention précoce en portant une attention particulière aux jeunes et en leur parlant des conséquences et des dangers liés à la conduite avec facultés affaiblies, que ce soit par la drogue ou par l’alcool. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons publié une vidéo intitulée Déchirée. J’invite tout le monde à la visionner sur YouTube.

Elle a été conçue en collaboration avec beaucoup de groupes communautaires, non pas seulement des jeunes, mais des groupes issus d’un éventail de divers milieux pour que le message soit transmis.

Nous savons, dans les services de police, qu’il y a peu de choses qu’on peut régler simplement en appliquant la loi. C’est pourquoi l’éducation et la prévention sont extrêmement importantes. Je dirais que cela s’applique également aux adultes qui sont sur le marché du travail et aux organismes qui travaillent dans ce domaine.

Il y aura un élément d’application de la loi qui ne sera pas de mon ressort. Nous nous concentrons sur d’autres secteurs gouvernementaux et travaillons avec eux afin que le message passe concernant l’éducation, la prévention et l’intervention précoce. Merci.

Le sénateur Patterson : À ce sujet, certainement, on a souligné l’importance de l’éducation des jeunes et d’autres membres de la collectivité dans ce projet de loi, lequel pourrait faciliter l’accès à la marijuana dans les collectivités nordiques.

Le gouvernement fédéral a prévu des sommes pour l’éducation dans son budget, je crois, en plus des plans pour mettre en œuvre le projet de loi.

Y a-t-il des fonds qui ont été affectés à la GRC à des fins d’éducation publique? J’en connais un peu sur les pressions financières exercées sur la GRC à l’heure actuelle et je vous félicite d’avoir souligné le besoin de se concentrer sur l’éducation qui, je le répète, a fait écho dans les collectivités.

Aurez-vous des ressources supplémentaires pour répondre aux incidences importantes qui, selon les collectivités nordiques, se feront sentir sur les populations déjà vulnérables?

M. Daroux : Merci de la question. Oui, nous consacrerons des ressources supplémentaires à l’éducation. Nous reconnaissons, cependant, que ces ressources ne peuvent pas simplement demeurer à Ottawa. Nous devons tendre la main aux collectivités avec lesquelles nous avons établi une relation, ce qui facilite la transmission du message.

En outre, à mon avis, lorsque nous parlons d’éducation, c’est une chose d’avoir un secteur du gouvernement qui parle de certains des problèmes liés à la toxicomanie, mais il est encore plus important de commencer à travailler en étroite collaboration avec les systèmes scolaires, le système de la santé et également les administrations locales afin de transmettre le même message aux enfants, particulièrement à nos jeunes, qu’il vienne de parents, de l’école ou d’un agent de la GRC.

Pour répondre à votre question, oui, nous consacrerons des ressources supplémentaires, mais nous allons également nous concentrer, particulièrement à l’échelle nationale, sur des messages de collaboration provenant de sources multiples afin de fournir de l’éducation aux jeunes et aux parents.

Le sénateur Patterson : Pouvez-vous nous fournir de l’information et des détails précis sur les ressources supplémentaires que vous avez mentionnées?

M. Daroux : Nous pouvons obtenir ces détails, et je vais vous les transmettre.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup d’avoir témoigné devant le comité.

Un certain nombre de Premières Nations ont affirmé devant le comité qu’elles ne sont pas prêtes pour le projet de loi C-45. Je crois que votre comité consultatif le plus haut placé se trouve à l’échelon national. Le Comité consultatif national sur les questions autochtones a-t-il discuté des préoccupations des Premières Nations concernant la mise en œuvre imminente de la Loi sur le cannabis?

M. Daroux : À notre dernière réunion, nous n’avons pas discuté de la légalisation du cannabis, non.

Le sénateur Christmas : Pour faire suite à la question de M. le sénateur Patterson, êtes-vous satisfait des ressources dont disposent la GRC ou, du moins, les Services nationaux de police autochtones? Je veux dire pour ce qui est, non seulement de la promotion, mais également de la formation et de l’équipement afin de vous préparer pour la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis dans les réserves des Premières Nations?

M. Daroux : Il serait préférable d’avoir plus de temps, mais compte tenu du temps et des possibilités dont nous disposons à l’heure actuelle, nous serons certainement aussi préparés que possible. Je crois qu’il nous faudra déployer des efforts soutenus et concertés afin de nous assurer de continuer d’aller de l’avant. La GRC sera prête.

Le sénateur Christmas : Est-ce que les policiers des Premières Nations participeront à la formation qui sera dispensée relativement à cette loi?

M. Daroux : On est en train de mettre sur pied la formation en prévision de l’adoption du projet de loi. Bien sûr, il pourrait y avoir des modifications du projet de loi ou des complexités connexes que nous ne pouvons pas prévoir, mais nous préparons la formation de notre mieux.

Nous travaillons non seulement au sein de la GRC elle-même, mais également avec d’autres services de police afin de lancer une formation normalisée partout au pays. Nous continuons d’aller de l’avant du mieux que nous le pouvons à l’heure actuelle et nous continuerons d’aller de l’avant selon l’échéancier qui nous est donné.

Le sénateur Christmas : En vertu du projet de loi complémentaire, le projet de loi C-46, une des modifications proposées est d’imposer le dépistage obligatoire d’alcool. Je présume que les policiers des Premières Nations participeront également à cette formation.

La sénatrice Tardif : Cela dépasse un peu mes compétences; je peux trouver quelqu’un qui peut mieux vous répondre. La formation se fera à l’échelle nationale et sera offerte à tous les policiers au pays.

La sénatrice McCallum : Merci de votre exposé.

Je viens du Nord du Manitoba. Je suis dentiste, j’occupais ce poste à temps plein et j’ai été présidente de la communauté scolaire pendant environ six ans. À cette époque, j’avais des liens avec la GRC en poste à Lynn Lake. Dans ma collectivité, on offrait un service limité de deux jours aux deux semaines, alors les ressources humaines étaient déjà sollicitées au maximum, et la plus grande partie du travail accompli par la GRC visait l’application de la loi.

Il y avait donc peu de travail réalisé auprès des jeunes en matière d’éducation. Nous étions aux prises avec de l’intimidation à ce moment-là, et il y avait en plus un roulement de personnel aux deux ans. Alors la confiance demeure un problème. Également, nombre d’agents de la GRC avaient peu d’expérience. Ajoutez à cela la relation tendue entre la GRC et les Autochtones, surtout actuellement, en raison de l’affaire Colten Boushie.

Lorsque je regarde la situation, je me demande comment la GRC pourra rectifier le tir afin que la collectivité se tourne vers elle lorsque l’éducation entrera en jeu? Il s’agit déjà d’une relation tendue. Les enfants qui fréquentaient l’école où je travaillais n’avaient pas une bonne relation avec la GRC. Comment cela fonctionnera-t-il lorsque l’élément d’éducation du projet de loi sur la marijuana sera mis en œuvre?

M. Daroux : Merci de votre question.

Je suis désolé d’entendre parler de situations qui se sont produites concernant des jeunes qui ne se sentent pas à l’aise avec la GRC ou avec des membres de la GRC. C’est une priorité absolue de la GRC que ses membres établissent un lien de confiance avec la collectivité. Nous faisons cela d’un certain nombre de façons, certainement en choisissant les gens que nous embauchons. Nous déployons de grands efforts pour diversifier la GRC afin d’avoir davantage d’agents autochtones qui servent dans les collectivités autochtones.

Nous avons de multiples programmes au moyen desquels nous pouvons mieux établir des liens avec les collectivités que par le passé. Il y a des programmes comme celui des agents de programmes communautaires, qui sont en réalité composés de membres qui ne portent pas l’uniforme et qui établissent un lien entre la GRC et la collectivité afin que nous puissions mieux comprendre la collectivité et ses besoins et la servir d’une meilleure façon.

Nous avons également le programme des gendarmes communautaires, un nouveau programme dans le cadre duquel nous embauchons des personnes de la collectivité qui travailleront dans celle-ci sans la quitter. Elles porteront l’uniforme et travailleront pour la GRC.

Mais cela ne signifie pas qu’il n’y aura aucun agent déployé dans une de nos collectivités, peu importe où elles se trouvent au pays, qui sera chargé d’établir un lien de confiance avec la collectivité que nous servons.

Nous estimons être un véritable prolongement de la collectivité et, en tant que tels, nous devons gagner sa confiance. Ce ne sera pas facile. Nous ne l’avons pas perdue en peu de temps, mais nous faisons des progrès pour la regagner. Il s’agit de quelque chose que nous sommes déterminés à regagner dans l’avenir. Je vous remercie de cette question.

La sénatrice McCallum : Merci.

Le sénateur White : Merci encore d’être ici.

Nous avons entendu des témoignages en comité plénier au Sénat selon lesquels nous consacrons 2 milliards de dollars par an aux services de police relativement à la consommation de marijuana à des fins récréatives. Aujourd’hui, nous avons entendu un témoin dire qu’il s’agissait de 1 milliard de dollars, ce qui s’approche probablement de la vérité.

À votre avis, combien d’argent consacrons-nous aux services de police relativement à la consommation de marijuana à des fins récréatives au Canada?

M. Daroux : Merci de la question. Je n’ai pas cette réponse, mais il s’agit d’une question intéressante. Je n’ai pas essayé de chiffrer ces coûts, mais c’est certainement une question très intéressante. Je n’ai pas de réponse à cet égard.

La présidente : C’est ainsi que prend fin notre séance. Au nom des membres du Comité des peuples autochtones, je remercie les membres de la Gendarmerie royale du Canada de leur témoignage et de leurs réponses aux questions.

Avant de partir, j’aimerais vous fournir de l’information. Aujourd’hui, le premier ministre Justin Trudeau a fait une déclaration d’exonération pour six chefs de la nation des Tsilhqot’in qui ont été jugés, condamnés et pendus pour meurtre en 1864 et 1865. Il y a une réception dans le foyer du Sénat actuellement avec les chefs de la nation Tsilhqot’in et leurs représentants. J’invite tous les sénateurs ici à y assister si leur horaire le leur permet.

(La séance est levée.)

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