Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 36 - Témoignages du 28 mars 2018
OTTAWA, le mercredi 28 mars 2018
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour étudier la teneur du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, dans la mesure où il concerne des peuples autochtones du Canada.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs ainsi qu’aux membres du public qui sont ici même, dans la pièce, ou qui regarde cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur le Web. Dans un esprit de réconciliation, je voudrais souligner que nous nous réunissons sur les terres ancestrales non cédées du peuple algonquin. Je m’appelle Lillian Eva Dyck. Je viens de la Saskatchewan, et j’ai le privilège de présider le comité.
J’inviterais maintenant mes collègues à se présenter.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de High River, en Alberta.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sénatrice Lovelace, du Nouveau-Brunswick.
La présidente : Merci, sénateurs. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude préalable du projet de loi C-45 et sommes heureux d’accueillir, du Service de police de la Nation de Tsuut’ina, Steve Burton, inspecteur et psychologue aux enquêtes criminelles. À vous la parole, pour un bref exposé, après quoi les sénateurs auront des questions.
Steve Burton, inspecteur, psychologue aux enquêtes criminelles, Service de police de la Nation de Tsuut’ina : Merci beaucoup de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. Au nom de notre chef de police, Keith Blake, nous sommes honorés d’être présents ici ce soir.
Une des choses que je voudrais mentionner en ce qui concerne Tsuut’ina est que nous sommes juste à côté de Calgary. Je voulais qu’on le sache. C’est une situation unique en son genre, une réserve ainsi proche d’un grand centre métropolitain. Cela multiplie les occasions qui s’offrent à la réserve. Je sais que, dans ma réserve, elles sont plus rares. Nous profitons de ces occasions, bien sûr, de ce qui est disponible, et le faisons d’une façon qui honore nos ancêtres.
Je pense que je voudrais souligner ce soir les défis qu’entraîne pour nous la légalisation du cannabis, mais aussi l’existence d’autres défis, juste en tant que service de police d’une Première Nation.
Je suis originaire du nord de la Colombie-Britannique, un Gitxsan, et suis très fier de venir de cette partie de la province.
Les défis qui existent pour les policiers des Premières Nations sont semblables aux problèmes rencontrés dans d’autres domaines par les Premières Nations — l’éducation, notamment. Les modèles de financement sont différents. Ce ne sont pas les niveaux de financement dont bénéficient les autres services de police ordinaires. Autres problèmes rencontrés : nous manquons de personnel et de ressources. Les appels se multiplient parce que le segment des populations de nos réserves et de nos nations formé par nos jeunes prend des proportions très importantes. Dans notre réserve, à l’heure actuelle, environ 60 p. 100 de la population a moins de 30 ans. Et c’est une réalité à long terme qu’il va falloir garder à l’esprit au moment d’envisager, comme votre comité le fait, les répercussions potentielles du cannabis pour nous.
Je suis agent de police de formation, et ce, depuis 23 ans maintenant. Avant de me joindre au Service de police de la Nation Tsuut’ina, il y a environ cinq ans, j’ai été membre de la police de Calgary. Le changement a été intéressant et enrichissant, mais difficile, à cause de règles du jeu différentes que nous devons respecter, pour ainsi dire.
En tant que psychologue, je constate toute une gamme de difficultés : des problèmes de santé mentale, de dépendance, et, de plus en plus, de violence familiale. La violence sexuelle est problématique. Il existe d’autres problèmes spécifiques à notre peuple, résultant, là encore, des pensionnats indiens, de l’histoire de notre peuple au Canada.
C’est tout ce que je tenais à dire en guise d’introduction et je vous remercie de m’avoir invité.
La présidente : Merci à vous.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être venu. J’apprécie l’occasion de poser les premières questions, vu que je dois m’absenter plus tard pour aller à une autre réunion.
Selon moi, les ententes de financement pour les communautés des Premières Nations, et plus particulièrement pour les services de police des Premières Nations, constituent une des difficultés. Vous en avez, sans doute, bien conscience. Dans les ententes tripartites avec les gouvernements, le processus est de cinq ans, si bien que, tous les cinq ans, vous tâchez de prévoir quel sera le montant du financement pour les cinq ans d’après et quand les fonds seront affectés, s’ils sont affectés. Vu la complexité des problèmes et vu votre expérience dans la police de Calgary, vous connaissez toutes les ressources dont vous pouvez disposer.
Je suis curieuse : selon vous, quels défis entraîneront l’application du projet de loi C-45? On parle beaucoup du processus de légalisation, mais vous avez une communauté très jeune. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’aspect traitement et ressource? Je pense que la situation des collectivités des Premières Nations et des collectivités autochtones est très particulière.
M. Burton : Merci, sénatrice. Nous sommes très préoccupés par les répercussions sur nos jeunes. Selon moi, il est important de comprendre les répercussions des drogues sur le développement du cerveau. À l’heure actuelle, on peut dire qu’il y a autant de choses qu’on sait que de choses qu’on ignore.
Nous savons que cela a des répercussions sur l’attention, la mémoire à court terme et la capacité de se concentrer et d’être aussi productif que possible. À long terme, nous ignorons quelles seront les répercussions, à l’heure actuelle. En effet, vu qu’il s’agit encore de drogues illicites, il serait inapproprié et contraire à l’éthique d’effectuer des essais et de la recherche portant sur des sujets dès leur jeune âge.
Les répercussions sont particulièrement préoccupantes dans des collectivités où l’alcool constitue déjà un problème. Nous avons la chance de ne pas avoir un problème de fentanyl, à Tsuut’ina, contrairement à d’autres réserves et d’autres nations. Je ne sais pas pourquoi nous ne sommes pas aussi touchés, mais nous sommes affectés par l’abus de médicaments d’ordonnance. En combinaison avec l’alcool, le problème est grave, surtout aux vues de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, ou ETCAF.
Avec la légalisation du cannabis, on ajoute à la panoplie une autre drogue susceptible d’altérer le développement du cerveau. On aurait encore des malformations, pas tant physiques que cérébrales, dans la mesure où les voies neurales changent. Elles compensent la présence de drogues, celle du THC, le delta-neuf-tétrahydrocannabinol. C’est ce qui se passe, au bout du compte.
Quant aux répercussions pour la conduite avec facultés affaiblies, l’autre aspect du problème, il suffit de regarder ce qui se passe au Colorado. En 2016, on y a dénombré 77 décès liés à la présence de THC actif dans le système des personnes impliquées. Chaque jour, ils arrêtent 60 personnes pour conduite affaiblie par les drogues et 50 p. 100 des utilisateurs de marijuana ou de cannabis admettent conduire sous l’effet d’une substance intoxicante.
D’après l’expérience de nos voisins au sud de la frontière, on peut donc s’attendre à un problème majeur ici. Et on le constatera dans les collectivités des Premières Nations et les réserves également.
La présidente : Avez-vous une autre question?
La sénatrice Boniface : Si vous le permettez.
La présidente : Allez-y.
La sénatrice Boniface : J’ai discuté avec les gens de certaines collectivités, pour me faire une idée de la situation dans le nord de ma province, l’Ontario. Dans des collectivités particulières au moins, on insiste sur le fait que les opioïdes sont le véritable problème, pas le cannabis.
M. Burton : Effectivement.
La sénatrice Boniface : Je serais curieuse de savoir comment votre situation se compare à celle de Calgary, vu que vous êtes voisins.
M. Burton : Effectivement, le fentanyl et les opioïdes constituent un problème à Calgary. Et nous avons eu des problèmes liés aux opioïdes de notre côté. Récemment, toutefois, nous luttons plutôt contre des narcotiques, comme la morphine. On a ainsi trouvé de l’hydromorphone dans le système d’une de nos victimes de surdose au cours des deux dernières semaines, mais pas de fentanyl. Il y a eu des cas où du fentanyl a été relevé dans un rapport toxicologique, mais ce n’est pas un fléau comme à Calgary ou dans la réserve Blood, dans le Sud de l’Alberta.
Le problème existe. Je reconnais qu’il y a une crise des opioïdes. Mais ce n’est pas encore un fléau chez nous. Soit dit au passage, on constate généralement une combinaison d’alcool et de cannabis; il est rare de trouver l’un sans l’autre. Nombreux sont les gens qui mélangent l’alcool et la marijuana pour augmenter l’effet des deux. C’est une des préoccupations majeures, en matière de conduite avec facultés affaiblies : on n’aura pas nécessairement des conducteurs qui se sont contentés de consommer du cannabis, mais plutôt des conducteurs ayant également consommé de l’alcool, ce qui double l’effet.
La sénatrice Boniface : Pour ce qui est du cannabis lui-même, vous constatez sûrement sa présence dans le cadre de votre travail maintenant?
M. Burton : Si.
La sénatrice Boniface : Et quelle serait votre évaluation de la question?
M. Burton : La question du cannabis est stable, pour nous. Ce n’est pas un déclencheur de crime violent. Comme on le dit dans les réserves dans le Nord, on ne lie pas le cannabis à des problèmes. Les gens établissent un parallèle avec la marijuana médicale et estiment que cela a moins de conséquences. Mais quand il est consommé de façon inappropriée, les conséquences sont parfois pires.
Pour ce qui est des répercussions sur le cerveau, beaucoup de questions restent sans réponses. La recherche n’est pas très concluante, selon moi, concernant les véritables effets. Il y a un risque accru de cancer testiculaire et des études IRMF effectuées aux États-Unis montrent que cela affecte la matière grise et la matière blanche du cerveau. La matière blanche est le lieu où il y a myélinisation des axones du cerveau, pour faciliter les synapses qui nous permettent de réfléchir au mieux. Les chercheurs constatent que les voies neurales doivent compenser et trouver une façon de fonctionner autre que la façon normale.
Les recherches en cours montrent qu’il y a des répercussions, mais on n’en est pas encore au stade où l’on pourrait affirmer catégoriquement que c’est ce qui se passe. Je me préoccupe de la situation qui prévaudra dans 10 ans dans nos collectivités.
La sénatrice Boniface : Merci et merci à mes collègues de leur amabilité.
Le sénateur Doyle : Merci de votre présence. C'est bien appréciée.
Certaines organisations autochtones et certains membres des collectivités nous ont dit ne pas avoir été suffisamment consultés sur la loi qui envisage la légalisation du cannabis. Êtes-vous d’accord? Est-ce quelque chose que vous avez constaté, en tant que psychologue aux enquêtes? Auriez-vous bénéficié d’une consultation bien plus intense sur la question, ainsi, peut-être que d’une campagne de sensibilisation télévisée qui vous aurait aidés vous, les peuples autochtones, et les Canadiens généralement, à savoir ce qui se passe?
Vous parlez des effets sur le cerveau. De nombreux médecins sont venus nous en parler également, et ils sont entièrement d’accord avec vous; ils ont fait la même analyse que vous. Les consultations sont toujours importantes lorsqu’on entreprend une mesure de telle envergure. N’est-ce pas?
M. Burton : Je suis d’accord, oui.
Le sénateur Doyle : Selon les sondages — et vous le savez sûrement déjà — le cannabis est utilisé davantage chez les jeunes Autochtones que non-Autochtones. La légalisation aggravera-t-elle la situation? À votre avis, que va-t-il arriver? La légalisation entraînera-t-elle une consommation accrue chez les jeunes Autochtones de même que dans la population canadienne en général?
M. Burton : Je crois que oui. L’approvisionnement offert, évidemment, réduira ou éliminera les préjugés concernant le cannabis. Il sera légal d’en avoir chez soi. Les enfants seront peut-être tentés d’en faire l’essai à un plus jeune âge. Quand on se penche sur la dépendance, on constate que plus une personne commence à consommer tôt, plus elle est susceptible de développer une dépendance ou, potentiellement, d’essayer d’autres drogues — il s’agit de la théorie de la porte d’entrée, c’est-à-dire que c’est un début, à partir du tabac ou de l’alcool, puis les choses progressent à partir de là. L’âge précoce est un facteur qui a été décrit comme indicateur.
Il est donc possible que des enfants y aient accès et le consomment, surtout sous forme comestible. Il peut s’agir d’oursons en gélatine ou de bonbons ordinaires.
Le sénateur Doyle : Ou de biscuits.
M. Burton : Oui. Ils sont emballés, commercialisés et étiquetés de façon très attrayante aux États-Unis.
Nous avons envoyé une équipe d’agents supérieurs à Seattle et à Puyallup, une Première Nation tout juste à l’extérieur de Seattle, pour constater les effets là-bas. Il n’y a pas eu d’épidémie de violence et ainsi de suite. Nous ne disons pas qu’il s’agit d’un risque. Mais c’est une pratique qui se fait plus ouvertement.
Le fait que les emballages soient très tape-à-l’œil a été l’une de nos grandes préoccupations.
Le sénateur Doyle : Très attrayants.
M. Burton : Oui, très attrayants. Cela attirerait les enfants.
Il y avait aussi un autre aspect par rapport à la légalisation. Dans certaines régions, on a constaté une augmentation du nombre d’admissions au centre pour brûlés. Nous savons que le cannabis altère les perceptions. Des gens qui en avaient consommé se sont peut-être endormis, par exemple, ce qui aurait causé des incendies ou d’autres incidents.
Je crois sincèrement que oui, l’approvisionnement fera en sorte que les jeunes en feront l’essai plus tôt, et certainement avant l’âge de 18 ans. Le cerveau se développe jusqu’au milieu de la vingtaine. Le cerveau reste donc en développement pendant environ sept ans après l’âge de la légalisation.
Le sénateur Doyle : Les forces policières moyennes estiment-elles avoir suffisamment de ressources et de personnel formé pour composer avec l’augmentation évidente qu’entraînera la légalisation?
M. Burton : La réponse courte est non. Comme vous le savez probablement déjà, les services policiers des Premières Nations fonctionnent en vertu d’un contrat de programmes d’une durée de cinq ans. Après cinq ans, le contrat est renouvelé ou nous perdons nos désignations à titre de policiers.
Cela signifie que nous ne sommes pas désignés comme étant un service essentiel. Le financement peut être annulé à tout moment. Nous sommes à la merci du programme, pour ainsi dire. La GRC et les autres organismes policiers municipaux sont désignés comme étant des services essentiels, mais nous ne le sommes pas. Cette disparité est problématique.
Pour ce qui est de l’application de la loi à venir, nous n’avons pas les outils nécessaires. Nous n’avons pas la formation ni les experts en reconnaissance de drogue. Ces programmes de formation prennent beaucoup de temps. Il n’y a qu’un moyen de devenir expert en reconnaissance de drogue, la première partie de cette formation se déroulant pendant deux semaines en Floride, la deuxième à Edmonton. Il est difficile d’offrir cette formation lorsque nous avons déjà des ressources limitées. Il faut trouver un moyen de remplacer ces agents. Cela entraîne donc une augmentation des heures supplémentaires.
Pour ce qui est de l’application de la loi sur les routes, la seule option actuellement est le test sanguin, avec lequel nous ne sommes pas à l’aise. Il y a donc certains problèmes.
Les échéanciers ambitieux découlent peut-être de bonnes intentions, mais ils ne sont malheureusement pas réalistes, car nous ne serons pas en mesure d’appliquer la loi.
Le sénateur Doyle : Je vous remercie.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Bienvenue au comité. Croyez-vous que les collectivités des Premières Nations devraient avoir leurs propres politiques en ce qui concerne la culture de la marijuana ou la mise en place de dispensaires? Nous connaissons nos gens, et nous connaissons le problème. Ce n’est pas le cas du monde de l’extérieur.
Je vis dans une collectivité où il y a de la drogue et de l’alcool, mais j’estime que si nous connaissons le problème pour nos propres enfants et que nous avons du financement, nous pouvons régler ce problème. Il s’agit aussi d’une occasion financière pour les Premières Nations, chose qu’elles ne voient jamais.
M. Burton : Oui. Je suis d’accord avec vous à 100 p. 100. D’un point de vue économique, il n’y a pas de mal que nos gens en profitent. Mais le tout doit aller de pair avec l’éducation. Il faut reconnaître quelles sont les difficultés dans chacune de nos collectivités.
Ensuite, nous avons cela et la police suscite la confiance — dans notre collectivité, on nous appelle Tosguna, ce qui signifie « Black Warriors ». C’est un terme de respect, je n’irais pas jusqu’à dire que c’est un terme affectueux, mais la communauté reconnaît que nous sommes leurs services policiers.
De nombreuses personnes nous qualifient toujours de « tribaux », et ça nous plaît parce que nous offrons des services policiers qui sont conformes aux valeurs de notre collectivité. Dans le cas qui nous préoccupe, nous sommes neutres. Si notre nation veut aller de l’avant avec la production et la distribution, nous allons la soutenir de quelque façon que ce soit, sans oublier que nous devons renseigner nos jeunes et les garder sur la bonne voie.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Dans notre collectivité, dans l’Est en tout cas, dans les Maritimes, nous n’avons pas notre propre police tribale, et nos collectivités ne font pas confiance à la GRC. C’est pourquoi je pense que nous devrions avoir notre propre police, qui pourrait mériter notre confiance comme votre peuple vous fait confiance.
M. Burton : C’est important. Pour revenir à la question que posait il y a un instant l’honorable sénateur au sujet du Programme des services de police des Premières Nations et à la question de savoir si ce programme et les ressources sont adéquats, ils ne le sont pas. Idéalement, chaque nation aurait son propre service de police, car comme vous le signalez, personne ne nous connaît mieux que nous-mêmes. Nous devons aller plus loin dans l’acceptation de cette réalité et la généraliser, plutôt que de nous contenter encore une fois d’y penser après coup.
Je n’avais jamais vraiment réalisé avant de déménager de Calgary à Tsuut’ina que nous n’étions pas considérés de la même façon. Pendant bien des années, c’était considéré comme un service de police de deuxième ordre, de deuxième classe. Il n’était pas aussi bon que la police municipale ou la GRC. Mais en fait, lorsque vous avez les bonnes personnes... Et nous avons la chance d’avoir un bon nombre d’excellentes personnes qui viennent de toutes les différentes agences, car notre chef de police est quelqu’un de bien qui sait ce que nous devons faire. Il a travaillé pour neuf collectivités de Premières Nations différentes et il comprend donc l’ensemble de la question.
Avec notre équipe, nous avons réussi à faire des progrès incroyables pour changer cette mentalité des autres services de police, de la GRC, de la province et de nos représentants à la sécurité publique au gouvernement fédéral. Nous leur avons montré que même si nous sommes sous-financés, nous pouvons trouver des façons novatrices de maintenir l’ordre dans notre collectivité et de faire de la prévention.
Le maintien de l’ordre proactif ne peut se faire sans ressource. Si on n’a pas les ressources nécessaires, on va d’un appel à l’autre, sans faire de bien. On en est réduit à éteindre des feux. Je ne me suis pas enrôlé pour être pompier. Je me suis enrôlé pour être policier.
À l’heure actuelle, nous sommes proactifs et nous aidons les familles qui en ont besoin, car nous savons que nous allons les voir la semaine prochaine. Nous allons les voir au prochain pow-wow. Nous allons les voir au prochain festin, à la prochaine rencontre. Lorsque nous avons des relations positives, même si je vous ai arrêté il y a un mois, je vous ai traité de manière respectueuse et je vous ai trouvé de l’aide. Je vous ai mis sur la bonne voie, je vous ai aiguillé vers les différents services dont vous et votre famille avez besoin.
Tous nos agents sont formés pour faire cela et c’est ainsi que nous avons pu vaincre la méfiance et développer la confiance. Nous avons montré à notre collectivité que nous sommes sa police. Nous le montrons par nos actions. Jamais dans des discours, car vous pouvez dire n’importe quoi. C’est lorsque nous agissons que nous bâtissons.
La sénatrice Raine : Merci. Je suis ravie de vous entendre parler de votre expérience.
Je sais que la marijuana est utilisée depuis longtemps. Je pense qu’il est très bien que nous le reconnaissions, que nous légalisions et contrôlions la marijuana, et que nous informions les gens de ses méfaits. Cependant, nous allons de l’avant assez rapidement et j’aimerais savoir quel genre de ressources il y a dans la collectivité pour les jeunes et leurs parents pour parer aux méfaits à long terme que subissent les jeunes qui commencent à consommer trop tôt.
Je sais que certaines personnes deviennent violentes lorsqu’elles consomment de l’alcool, alors que je pense que le cannabis a l’effet de calmer. Donc, ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Si nous nous inquiétons tous des jeunes, ce que je n’arrive pas à comprendre ce sont les personnes plus âgées qui pensent : « Ce n’est rien, je me sens mieux lorsque je consomme du cannabis que lorsque je buvais, mais vous ne pouvez pas le faire. »
Comment pouvons-nous mieux informer les gens? Est-ce que vous racontez des histoires; est-ce qu’il y a des ressources que vous utilisez à cet effet dans vos collectivités?
M. Burton : Oui, mais ces ressources n’ont pas encore été déployées. Nous y travaillons. Nous travaillons avec les Alberta Health Services, notre agence provinciale, parce qu’il est absolument essentiel de faire entendre ce message.
Il faut aussi mobiliser les parents dans les collectivités. Nous devons travailler très fort près d’eux, car je crois que bon nombre de parents supposent ou choisissent de croire que leur enfant ne fera jamais cela, puisque c’est quelque chose que vous ne voulez pas qu’ils fassent. Mais si les parents ne sont pas ouverts avec leurs enfants et n’en parlent pas, alors comment vraiment savoir s’ils comprennent le message?
C’est le dernier élément important qui change tout — rejoindre les familles. Ce que je compte faire — et ce sera intensif —, c’est organiser des rencontres communautaires, mais sachant que certaines ne participeront pas, nous allons également faire un travail de proximité. Nous avons de la chance, mais dans certaines régions rurales et éloignées, il n’y a peut-être pas d’infirmières ou d’autres personnes qui ont les connaissances nécessaires pour aller parler à de petits groupes comme des familles dans leurs propres maisons.
Pour les Premières Nations, bon nombre de nos problèmes se résument au manque de transport et à l’impossibilité de se rendre là où se trouvent les services et le soutien. En outre, dans certaines collectivités, il n’y a pas d’endroit assez vaste pour tenir des rencontres de groupes.
Cela revient encore une fois à la question de savoir si nous diffusons le message approprié à nos collectivités. C’est là l’élément essentiel d’une bonne compréhension des messages.
Les adultes plus âgés en ont consommé, et probablement, encore une fois, à des fins médicales, pour traiter l’angoisse ou le stress; je ne vois pas de problème à ce que les gens en consomment à des fins médicales. Même à des fins récréatives, à la maison, dans certaines limites, du moment qu’ils ne conduisent pas sous l’influence du cannabis, je ne m’inquiète pas beaucoup d’un adulte de plus de 25 ans.
Mes réticences et préoccupations concernent plutôt les jeunes et adolescents. Je me demande vraiment si l’âge de 18 ans est approprié, pour la consommation légale de cannabis. Je ne suis pas convaincu que ce le soit.
La sénatrice Raine : Dans votre collectivité, à Tsuut’ina, est-ce que le conseil et les aînés pourraient rehausser cet âge, dans la collectivité, afin de faire comprendre aux enfants et aux jeunes qu’ils devraient attendre? Est-ce que vous pensez que cela pourrait arriver dans les collectivités des Premières Nations?
M. Burton : Oui, c’est possible. Avec des résolutions de conseils de bande, c’est possible d’adopter et d’appliquer des règles différentes. Ils peuvent carrément interdire le cannabis dans la réserve, ou modifier l’âge légal de consommation. Cette possibilité existe, en effet.
La sénatrice Raine : Peut-être que si vous haussiez l’âge, vous pourriez dire à vos jeunes que vous serez les maîtres du monde, parce que vous n’aurez pas de problèmes alors que cela ira mal partout ailleurs.
M. Burton : Oui. C’est ce que je disais, notamment, à l’époque où je discutais avec des écoles primaires de Calgary. La consommation d’alcool et d’autres drogues entraîne la mort de cellules du cerveau, ce qui fait qu’on ne saura jamais ce qu’aurait été notre potentiel. Cela revient à dire : « Vous savez quoi? Peut-être auriez-vous été le prochain Einstein, mais avec ce joint-là, maintenant, vous êtes Beavis ou quelque chose de ce genre. »
C’est inquiétant. Je ne pense pas que cet aspect est assez mis en évidence, ni pour contribuer à l’éducation ou pour montrer qu’il y a beaucoup d’avantages — oui, je le comprends. Je ne dis pas le contraire. Mais il pourrait aussi y avoir un risque, selon le point où on en est dans son développement.
La sénatrice Raine : Pensez-vous que dans votre collectivité, les aînés appuieraient votre démarche? Ce serait très important.
M. Burton : Encore une fois, pour revenir à la question de la sénatrice Lovelace, nous essayons de rester neutres, dans ce dossier, sauf quand il s’agit de l’élément criminel de la conduite avec facultés affaiblies. Jusqu’à maintenant, la nation n’en a pas vraiment parlé ouvertement ou publiquement.
Le sénateur McCallum : Je vous remercie d’être venu. Je suis heureux de vous rencontrer. Je voulais revenir sur la question de la sénatrice Raine, au sujet de l’éducation en matière de marijuana.
Vous avez parlé de tous les problèmes qui existent et dit que les programmes préventifs n’ont jamais été efficaces dans nos collectivités. Il existe toutes sortes de déterminants sociaux de la santé. Certaines causes profondes engendrent la dépendance, comme la violence sexuelle, la violence familiale et la violence institutionnelle. Et cela peut venir du chef et du conseil, parce que la violence peut aussi émaner de là.
J’ai été très heureux d’entendre que vous suscitez la confiance. Une fois que celle-ci est établie avec le professionnel de la santé ou les services policiers, il devient beaucoup plus facile de faire plus que seulement maintenir l’ordre. Généralement, les gens ne voient que l’aspect punitif des services policiers.
M. Burton : Oui.
Le sénateur McCallum : Nous avons essayé de travailler avec la GRC, dans notre réserve.
Quand on regarde le programme d’éducation et de santé publique, vous faites déjà une bonne partie de ce qu’il faut en obtenant l’adhésion des parents. Dans presque toutes les collectivités du Manitoba où je suis allé, le sujet de la violence sexuelle n’était pas soulevé. C’est caché, et les gens ne veulent pas en parler pour toutes sortes de raisons. Hier, c’était la première fois, lors de notre rencontre avec les Cris du Québec, qu’ils avaient fait de la violence sexuelle une priorité dans le cadre de leurs mesures relatives à la santé mentale.
Vous pouvez bien avoir l’appui des parents et tenir des réunions communautaires, mais comment croyez-vous qu’on puisse traiter des causes profondes? Est-ce que vous voyez ce que je veux dire?
M. Burton : C’est un enjeu plus vaste, parce que si nous avons affaire à des gens qui ont des problèmes préexistants ou des problèmes de comorbidité — par exemple, un survivant des écoles résidentielles qui souffre de dépression profonde — et qu’ils se traitent eux-mêmes, que ce soit avec de l’alcool ou des drogues, cela exacerbera vraiment les symptômes.
En cas de dépression, une forte concentration de THC n’a rien de bon. Plusieurs études ont démontré que c’est un cocktail qui peut mener au suicide, dans une certaine mesure. Ce n’est pas une conclusion absolue de ces études, mais on y dit néanmoins que la dépression et le THC ne sont pas une bonne combinaison.
Cela étant dit, nous devons savoir qui sont ceux qui ont en plus des problèmes préexistants d’alcoolisme, de toxicomanie ou de troubles mentaux, comme la schizophrénie. Le cannabis peut déclencher une rechute de psychose et de schizophrénie. Voilà autre chose dont il faut être conscient.
Le cannabis a beaucoup d’attributs très positifs — du côté de la recherche et de l’usage médicinal —, mais il comporte aussi des éléments dont nous ne sommes pas absolument sûrs qu’ils aggravent ou non certaines situations.
Pour ce qui est de nos collectivités en particulier, j’ai d’autres inquiétudes concernant les personnes déjà atteintes de troubles mentaux. Non seulement le produit est disponible et peut être consommé, mais comme nous sommes dans une réserve, il n’est pas assujetti aux taxes. Qu’est-ce qui empêcherait quelqu’un, alors, de se dire : « Eh bien, moi je vais en vendre, puisque je fais déjà une bonne affaire. Je n’ai pas de taxe à payer. Je vais ajouter une petite marge de profit au prix que j’ai payé, et vendre le produit en ville, ou ailleurs »? Une chose mène à une autre — c’est un mode de vie. On entre sur les marchés clandestins. À moins d’avoir suffisamment de production pour répondre à la demande et éliminer les marchés clandestins, ce sera toujours un problème.
Je ne pense pas que nous pourrons produire suffisamment pour répondre à la demande. Le marché clandestin ne va pas disparaître.
Il pourrait attirer nos gens. Nous nous exposons à un problème de gangs ou de membres du crime organisé qui en feraient la distribution ou la production dans la réserve, que ce soit officiellement après en avoir fait la demande, ou officieusement étant donné que les membres d’une nation pourraient acheter plus de cannabis que la quantité permise pour le revendre à un prix majoré. Mais ce sera aussi le niveau de THC qui sera déterminant, s’ils peuvent faire un meilleur produit, avec de plus fortes concentrations de THC ailleurs.
Tous ces facteurs comptent encore. Il y a encore toutes sortes de choses dont je ne suis pas entièrement sûr qu’on les ait examinées, compte tenu de l’échéancier de mise en œuvre et le peu de temps que les services policiers ont pour se préparer. Je sais que la GRC a déjà du mal à fournir le service policier, parce que ses effectifs ne suffisent pas.
Pour revenir à nos gens qui ont des problèmes préexistants, nous avons déjà besoin de counseling intensif, même avant la légalisation du cannabis. Nous devons pouvoir régler les problèmes qui datent de plusieurs décennies, puis nous devrons nous pencher sur le présent.
C’est ce qui n’a pas été fait. Je ne sais pas comment nous allons pouvoir nous rattraper sur ce plan.
Le sénateur McCallum : Pourrait-on dire qu’actuellement, il n’existe aucun modèle de programme d’éducation axé sur les causes fondamentales de la dépendance?
M. Burton : Je n’en ai vu aucun qui s’adresse aux Premières Nations.
Le sénateur McCallum : Le risque, c’est qu’en présence des causes fondamentales, particulièrement la violence sexuelle, c’est dans toute la collectivité qu’il y a un déclenchement. Il y a eu une situation, à Hollow Water. Les gens s’étaient penchés sur ce problème. Si on déclenche cela, la tourmente que vit cette collectivité sera encore bien pire.
M. Burton : Un traumatisme collatéral.
Le sénateur McCallum : Exactement.
M. Burton : Quand on s’arrête à un seul événement... Nous avons eu un décès tragique dû à la conduite avec facultés affaiblies, il y a tout juste un an et demi. C’est exactement ce que cela fait : cela a déclenché toutes sortes d’émotions et de colère intrafamiliale, de ressentiment, et cetera.
Le problème sous-jacent, c’était la toxicomanie. C’était la consommation de substances illicites. C’était, encore une fois, ce problème global qui nous préoccupe tous, la conduite avec facultés affaiblies. Ce sera, à mon avis, le plus important problème qu’il faudra régler, mais pour parvenir aux causes profondes, nous n’avons pas les ressources nécessaires pour le faire, en tant que service policier.
Depuis peu, mon rôle est de conseiller et d’appuyer des familles dans leurs efforts pour obtenir du soutien pour leurs proches. En Alberta, cela signifie qu’on recourt au formulaire 10 — un mandat pour des soins en santé mentale, qui permet à la police d’arrêter une personne vivant une situation de crise en santé mentale — ou qu’on s’adresse au tribunal pour obtenir d’un juge, au moyen du formulaire 7, qu’il lance un mandat — appelé le formulaire 8 — pour appréhender cette personne. Je conseille les familles sur la manière d’obtenir qu’un juge lance un mandat de formulaire 8. L’une des causes sous-jacentes est la toxicomanie. Dans le cas le plus récent, il y avait interaction entre la consommation chronique de cannabis et un diagnostic probable de santé mentale qui n’est pas confirmé, mais ce serait la schizophrénie ou le trouble bipolaire.
Nous examinons ces exemples particuliers. Ils ne représentent pas nécessairement un échantillon très vaste ou représentatif, mais cela nous suffit à voir les effets et les dommages causés. Il faut toujours regarder la situation sous l’angle du pire des scénarios possibles, parce que c’est notre travail. Notre rôle est de tenter de réduire l’angoisse de la collectivité, l’angoisse de l’individu, par nos activités et les services que nous fournissons. C’est difficile à faire quand nous devons constamment nous battre à cause du manque de ressources.
La présidente : J’ai, moi aussi, une question à vous poser. Nous avons entendu, de la part d’autres témoins, que la consommation du cannabis pouvait déclencher la schizophrénie, mais que le risque était exacerbé dans une collectivité vivant un fort degré de traumatisme. Avez-vous entendu la même chose? Est-ce la conclusion que vous tirez de la documentation?
M. Burton : Oui, c’est vrai. Là encore, c’est le cas, compte tenu de la composition singulière de nos collectivités. C’est ce cumul de traumatismes. Au fil des ans, j’ai essayé de me faire comprendre par d’autres qui n’ont pas cette connaissance de notre histoire. Nous n’avons pas les fonds qu’il faudrait pour la santé mentale ou la santé afin d’affronter ce problème. Parfois, nous sommes bloqués par la réticence de nos propres gens à en parler ouvertement. La honte et la gêne y sont associées. Mais en même temps, nous sommes incapables de nous concentrer sur les problèmes et d’obtenir de l’aide pour ceux qui en ont besoin.
La présidente : Si vous aviez à faire une ou deux recommandations, quelles seraient-elles?
M. Burton : Je dirais que le plus grand problème, c’est le financement de la santé mentale. Je dirais qu’en premier lieu, c’est le traitement, puis l’éducation, parce qu’actuellement, le financement est insuffisant pour traiter tous les gens qui en ont besoin... En fait, cela risque de toujours être problématique. Je ne sais pas s’il est possible d’y faire quelque chose. Je ne peux même pas vous dire le montant qu’il faudrait pour aller dans toutes les collectivités, les collectivités isolées, pour y envoyer des infirmiers et infirmières, notamment des infirmiers et infirmières psychiatriques, et des psychiatres. Il faut aussi assurer la surveillance, le suivi, la continuité du traitement. C’est une tache monumentale, mais ce serait la seule façon de parvenir au cœur de tout cela.
La sénatrice Raine : Je parlais récemment à un médecin de famille qui vient d’un bureau de médecin sur une des îles du golfe, où on utilise le cannabis depuis un temps déjà, et il a parlé de façon négative de l’impact sur la société lorsqu’un grand nombre de gens sont des utilisateurs habituels du cannabis. Il a parlé de faibles performances scolaires des enfants et a indiqué que ce n’est absolument pas une substance inoffensive. Il s’inquiète beaucoup de la façon dont nous pouvons empêcher les jeunes de commencer.
Il a dit qu’une des bonnes choses qu’on peut faire, c’est mettre l’accent sur les programmes de sports et loisirs. Je sais que cela peut être difficile dans une réserve, quand la population est assez étalée, mais vous devez bien avoir une école. La plupart des collectivités ont une école, au moins jusqu’à l’école secondaire de premier cycle, selon moi. Croyez-vous qu’il existe la possibilité d’avoir des activités sportives et scolaires, comme un orchestre, des percussions, et de la danse? Ce serait une façon pour les jeunes leaders et les travailleurs jeunesse de démontrer une action positive sociale pour faire contrepoids.
M. Burton : Oui, et en tant que nation, nous avons ce genre de choses. Le hockey est très important et très compétitif. C’est bien de voir de nombreuses familles qui s’impliquent dans le hockey, et dans le baseball en été. Il existe également les percussions traditionnelles — pas nécessairement artistiques. Mais je sais que récemment il y a eu des animaux, des orignaux, qui ont été frappés sur l’autoroute, et un de nos enseignants a un groupe traditionnel. Il emmène donc les membres du groupe à l’extérieur, il leur montre comment enlever la peau et utiliser toute la fourrure, la viande, et les cornes d’une façon permettant la sculpture, et il leur enseigne cela de la façon traditionnelle.
Ils ont ces possibilités à Tsuut’ina. C’est pourquoi je dis qu’à Tsuut’ina, on a organisé les choses d’une façon unique. Cependant, j’oserais dire qu’en raison du nombre et, je le répète, de l’étalement de la population d’autres collectivités, elles n’ont peut-être pas leur propre école où plusieurs de ces programmes destinés aux jeunes sont normalement basés. Il arrive aussi que les écoles soient formées de roulottes. Il peut s’agir de roulottes simples ou de quelque chose de ce genre, comme des roulottes ATCO. Je sais que nous avons de la chance. Ce ne sont pas toutes les collectivités qui ont cette chance.
Puis il faut avoir assez de gens pour pouvoir constituer une équipe, et ensuite il faut pouvoir voyager pour jouer contre d’autres équipes. Encore une fois, est-ce que cela pourrait faire l’objet de financement ou être envisagé comme une occasion pour les jeunes?
Mais je suis d’accord. C’est quelque chose que nous devons faire. Nous devons leur donner des options parce qu’autrement, ils ne font que s’asseoir et ne rien faire. Il y a quelques années, bien entendu, est arrivé le phénomène de l’inhalation. C’est encore quelque chose qui se produit dans certaines collectivités, à un certain degré, mais…
La sénatrice Raine : L’inhalation?
M. Burton : Il s’agit de l’inhalation de substances volatiles, que ce soit de la colle ou du kérosène.
La sénatrice Raine : J’ai posé la question à un médecin concernant l’utilisation de l’alcool et de la marijuana en même temps, et il a dit que si on mélange les deux, les effets sont beaucoup plus prononcés. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a dit qu’il existe un test très simple de coordination des mouvements qui peut être fait sur place, et on peut donc déterminer si les facultés sont affaiblies. On demande simplement à la personne de marcher en ligne droite et de toucher son nez du doigt, et la plupart des policiers peuvent déterminer si une personne a les facultés affaiblies au point où elle ne devrait pas conduire.
Sur l’île là-bas, il existe une espèce de code : si vous ne pouvez pas le faire, quelqu’un prend vos clés.
M. Burton : Oui, en effet.
La sénatrice Raine : C’est peut-être quelque chose que vous pourriez faire en tant que collectivité. Ce n’est pas nécessairement le policier qui doit retirer les clés; ce pourrait être un ami.
M. Burton : Je crois, sénatrice, que ce serait une bonne façon d’éliminer les complications de la loi, parce qu’en ce moment, ce qu’on nous dit, c’est que nous devons mesurer les nanogrammes par millilitre de drogue dans le système pour pouvoir porter des accusations et pour dire que vous avez les facultés affaiblies par la drogue. Voilà, vous aviez tant de nanogrammes par millilitre dans votre système. Eh bien, je ne sais pas. Tout simplement en regardant une personne, je peux dire si elle a les facultés affaiblies, mais cela ne veut pas dire que la personne a atteint le seuil légal pour que je puisse porter des accusations ou pour qu’elle soit reconnue coupable par un tribunal. C’est un peu comme si on disait : « C’est votre opinion, monsieur l’agent, que cette personne a les facultés affaiblies, selon ces critères. »
C’est la même chose en ce moment avec l’alcool. Premièrement, il y a les indices visuels. On peut dire que la personne marchait en zigzaguant, marchait de façon bizarre, avait les yeux vitreux et des troubles de l’élocution, ce genre de chose. Mais ensuite, il faut les ramener au bureau et les faire souffler dans l’Intoxilyzer, qui est une grosse machine qui peut lire combien d’alcool par millilitre se trouve dans votre sang. C’est calculé à partir de cela. Cette technologie est nécessaire pour pouvoir atteindre le seuil légal pour obtenir une condamnation.
Peut-être qu’on pourrait retirer les complications de la loi ou de la section portant sur les accusations. Je ne sais pas si l’opinion du policier pourrait suffire ou non pour pouvoir atteindre ce seuil légal devant un juge ou en appel, ou quelque chose du genre. Ce serait l’idéal. Mais je ne sais pas s’il y aurait de l’intérêt de la part du système légal.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vais poursuivre dans la veine d’une question posée par la sénatrice McCallum sur la santé mentale. Est-ce que les communautés des Premières Nations reçoivent les mêmes fonds pour la santé mentale que le reste du Canada?
M. Burton : La réponse courte, c’est non.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je m’attendais à cette réponse. Croyez-vous que les problèmes de santé mentale et les problèmes continus entourant la santé mentale font partie justement du problème?
M. Burton : Oui. Il s’agit de problèmes de santé mentale non résolus. Lorsqu’on parlait des traumatismes collatéraux, il s’agit de jeunes gens qui voient d’autres personnes souffrir de problèmes de santé mentale dans leur maison. Ces jeunes en font l’expérience et sont les témoins de crises et sont donc traumatisés. C’est perpétuel.
Imaginez-vous vivre dans une maison avec vos parents ou vos frères et sœurs qui ont des problèmes de santé mentale. Il y a des cris, du délire et de l’incertitude. Vous vivez toujours sur les nerfs et n’avez jamais l’occasion de relaxer. Au fil du temps, cela devient votre réalité. Je dirais que c’est un gros problème et un problème qui continue, et qui n’a pas encore été résolu depuis des générations maintenant.
La présidente : Sénatrice McCallum, avez-vous une question rapide?
La sénatrice McCallum : Je voulais vous parler des échantillons de sang. Vous prenez les échantillons lorsque vous arrêtez les gens et que vous suspectez quelque chose?
M. Burton : C’est ce qui est suggéré par rapport au cannabis, oui.
La sénatrice McCallum : Que faites-vous avec ce sang lorsque vous vous trouvez sur une autoroute quelque part? Que faites-vous avec les gens de qui vous avez retiré un échantillon de sang? N’avez-vous pas besoin de leur consentement?
M. Burton : Selon ce qui est proposé — et encore une fois, cela n’a pas encore été mis en place —, c’est que si vous êtes arrêté et qu’on suspecte que vous avez les facultés affaiblies par la drogue, on vous lirait une demande pour le prélèvement d’un échantillon de sang, puis on ferait le prélèvement, sur place, sur le côté de la route. Je n’ai pas encore été formé. Ils disent qu’on nous formerait, mais comme je vous l’ai dit, je ne veux rien savoir de cela, pour être honnête. Vous pouvez être face à quelqu’un avec une maladie du sang ou de l’anémie, et si vous touchez au mauvais endroit — par exemple, quelqu’un avec le VIH, la tuberculose ou l’hépatite. On ne le sait pas et peut-être que les personnes ne nous le diront pas, mais si on touche au mauvais endroit, on peut se retrouver avec du sang dans la figure.
Quelques détails doivent encore être réglés et nous espérons que ce sera fait.
La présidente : Merci beaucoup. Nous en sommes à la fin de notre temps. Au nom du comité, j’aimerais vous remercier, monsieur Burton, d’être venu nous parler ce soir et nous faire part des aspects pratiques de la façon dont ce projet de loi sera mis en application et de ses effets sur les tâches de la police, ainsi que des effets sur les collectivités.
Pour la deuxième partie de notre séance d’aujourd’hui, nous avons la chance de recevoir notre sénateur Patterson, qui nous parlera de ce qu’il a entendu concernant les mesures législatives sur le cannabis lorsqu’il a fait le tour de toutes les collectivités du Nunavut.
Honorable sénateur Patterson, la parole est à vous. Comme vous le savez, nous vous poserons des questions lorsque vous aurez terminé.
Le sénateur Patterson : Honorables sénateurs, merci. Je m’appelle Dennis Patterson et je suis le sénateur pour le Nunavut.
J’aimerais vous remercier sincèrement de me donner l’occasion privilégiée de présenter au comité les préoccupations que j’ai entendues pendant ma récente visite de consultation dans mon territoire du Nunavut. Je vous en suis humblement reconnaissant.
Je suis revenu récemment d’une visite intense partout au Nunavut. J’ai visité les 25 collectivités, parfois dans des conditions météorologiques très inclémentes typiques du mois de mars. J’ai rencontré chaque maire et chaque conseil communautaire, souvent un samedi ou un dimanche; j’ai été l’hôte de rencontres publiques et de tribunes radiophoniques, et je peux vous dire qu’on recevait un appel après l’autre. J’ai visité certaines écoles pour communiquer avec les jeunes. La plupart de mes consultations se sont faites en inuktitut avec la traduction simultanée.
Je peux vous dire que les gens du Nunavut sont très intéressés par ce qu’on discute dans ce projet de loi. Environ 45 personnes se sont présentées un samedi après-midi dans la petite collectivité de Cape Dorset. J’ai également discuté avec le Nunavut Tunngavik. Vous avez entendu sa présidente. Merci de l’avoir écoutée parler de la façon dont le projet de loi n’a pas fait l’objet de consultation appropriée et du fait qu’on devrait ralentir la procédure jusqu’à ce que ce groupe ait été consulté de façon appropriée.
Il est difficile de résumer 25 jours de consultation intense en quelques minutes, alors j’aimerais me concentrer sur les thèmes communs que j’ai entendus pendant la visite.
J’aimerais commencer par dire que certaines personnes ont parlé en faveur du projet de loi. La marijuana est beaucoup utilisée au Nunavut, et les gens paient régulièrement 50 $ pour un gramme et même parfois plus de 100 $ pour un gramme. Bien des gens pensaient que des coûts plus bas signifieraient davantage d’argent disponible pour l’alimentation ou les vêtements dans un endroit où le coût de la vie est si élevé, mais bien d’autres craignaient qu’un accès plus facile et moins cher à la marijuana se traduise par une plus forte utilisation et par des risques accrus, surtout chez les jeunes. J’ai entendu beaucoup de préoccupations concernant les jeunes.
J’ai aussi souvent entendu parler du thème commun de la maltraitance des personnes âgées et du harcèlement des personnes âgées pour de l’argent utilisé pour la drogue. Cela est déjà un problème, et il pourrait empirer. Merci d’avoir écouté les anciens Shooyook et Uttak, qui ont parlé en leur nom concernant ce sujet.
J’aimerais mentionner que dans trois écoles secondaires où j’ai parlé, nous avons tenu des votes secrets après que j’ai expliqué aussi objectivement que possible ce que ferait le projet de loi. Les jeunes étaient en majorité contre le projet de loi. Il est également devenu évident pour moi qu’il existait beaucoup de confusion et d’idées fausses, ainsi qu’un manque d’éducation par rapport à ce projet de loi. Certains croyaient qu’il s’agissait de légaliser la marijuana médicinale, tandis que d’autres, surtout des anciens, ont exprimé beaucoup de peur et de tristesse, et ce, de façon très convaincante.
On m’a souvent demandé de définir ce qu’était un gramme et éventuellement j’ai décidé d’apporter des sacs dans lesquels j’avais mesuré du persil dans des quantités de 1 gramme, 5 grammes, et 30 grammes. J’ai utilisé ces sacs Ziploc en tant qu’aide visuelle pour discuter du projet de loi.
J’ai souvent entendu qu’au Nunavummiut, on sentait que le processus avait été trop rapide. Avant moi, personne du gouvernement fédéral n’avait visité le territoire pour parler aux membres des collectivités. Un conseiller m’a dit qu’à cause de ce manque de consultation, il ne sentait pas qu’il faisait vraiment partie du Canada.
Vous avez entendu la présidente de Nunavut Tunngavik, Aluki Kotierk, qui a dit qu’elle a eu une brève rencontre avec le secrétaire parlementaire Bill Blair lorsqu’elle se trouvait à Ottawa pour une autre réunion. Elle a dit que ce n’était pas une consultation satisfaisante. Elle lui a dit qu’il doit visiter le Nunavut.
Ce que je retire de ces conversations, c’est que plusieurs estiment que le degré de consultation est insuffisant depuis le début. Le nouveau gouvernement élu du Nunavut n’a tenu des consultations publiques que dans 10 des 25 collectivités du Nunavut, et n’a envoyé que des fonctionnaires du ministère des Finances pour entendre leurs préoccupations.
Bon nombre de personnes m’ont demandé s’il n’y avait pas moyen que le gouvernement ralentisse la progression de ce projet de loi afin de donner aux hameaux et aux municipalités l’occasion de rédiger convenablement les règlements et politiques destinés aux employés, et afin de former les agents d’application des règlements qui, étant donné les ressources policières limitées dans le Nord, seront souvent les principaux agents responsables de l’application de la loi.
De nombreuses collectivités du Nunavut ont mis en place des méthodes efficaces pour contrôler la consommation d’alcool ou encore ont établi une interdiction d’alcool. Bien que cela ne permette pas d’éliminer les problèmes liés à la consommation d’alcool, cela permet néanmoins de les réduire. Les collectivités en question m’ont demandé si on pouvait leur accorder l’autorisation de faire de même avec le cannabis.
Il est important de souligner qu’à la suite des élections récentes de la fin de l’automne et du changement de gouvernement, le gouvernement du Nunavut est le dernier domaine de compétence au Canada à avoir introduit un cadre législatif pour régir l’utilisation de la marijuana légale. Si l’entrée en vigueur de ce projet de loi est retardée, cela accorderait plus de temps au gouvernement territorial pour mettre en place un projet de loi réfléchi qui répond aux défis uniques des habitants du Nunavut et qui permet aux hameaux de réagir adéquatement en mettant en œuvre des règlements et des politiques complémentaires.
Dans de nombreux hameaux, on a exprimé de grandes préoccupations en ce qui a trait aux conséquences liées à un accès accru à un cannabis moins cher pour les employés et les citoyens. Les hameaux ont demandé s’il existait un test pour déterminer si les facultés sont affaiblies par la marijuana. Bien entendu, ils trouvent également préoccupant que bon nombre de leurs employés conduisent de l’équipement lourd dans des conditions extrêmement défavorables.
De plus, on m’a fait part d’un thème qui revient souvent, soit celui des incidents sociaux potentiels du projet de loi. Il n’existe pas de centre de traitement au Nunavut. Bien des collectivités n’ont pas de réseau de soutien en matière de santé mentale ou, si elles sont dotées de telles ressources, elles sont inadéquates. Lorsqu’on parle de régler ce problème, les gens indiquent qu’il faut former des personnes à l’échelle locale pour qu’elles deviennent des travailleurs en santé mentale. Les intervenants en santé mentale qui sont passagers et ne sont pas Inuits ne sont pas efficaces, et les gens n’ont pas confiance en eux. Nous avons besoin de programmes de traitement fondés sur la culture qui mettent l’accent sur la guérison sur la terre.
On m’a également dit que d’avoir davantage d’installations de loisirs permettrait d’encourager les jeunes à se tenir à l’écart des drogues et à prendre part à des modes de vie plus sains. Il faut également comprendre que les jeunes au Nunavut, ainsi que dans bon nombre de collectivités autochtones, représentent un pourcentage beaucoup plus élevé de la population qu’ailleurs au Canada. En moyenne, 50 p. 100 des Nunavummiuts sont âgés de moins de 25 ans. Au hameau de Naujaat, auparavant appelé Repulse Bay, on m’a indiqué que 50 p. 100 de la collectivité, qui compte 1 300 personnes, étaient âgés de moins de 12 ans. Dans chaque collectivité, on m’a très souvent demandé si l’on ne pouvait pas utiliser les recettes fiscales tirées de la vente de marijuana pour injecter des ressources dans les centres de traitement pour dépendance, et accroître le soutien en santé mentale et le nombre d’installations de loisirs. Dans les hameaux, on me demandait où seraient affectées ces recettes fiscales. Bon nombre de personnes pensaient que c’était l’argent dont il était véritablement question dans ce projet de loi.
Si ce projet de loi est adopté, on prévoit que la première année permettra de générer environ 400 millions de dollars en recettes fiscales. Il s’agit possiblement d’une estimation prudente. Imaginez donc, si ces fonds étaient destinés à la santé mentale et au bien-être, ce que cela pourrait vouloir dire pour le bien-être social et mental du pays.
Les préoccupations principales dont on me faisait part portaient sur les jeunes. Les aînés et les jeunes ont répété ce que des professionnels de la santé m’avaient dit. Le cerveau d’un jeune continue à se développer jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 25 ans. J’étais étonné de voir le nombre de personnes — et il s’agissait parfois d’aînés unilingues — qui faisaient un lien entre l’utilisation du cannabis et la schizophrénie. Ils utilisaient le mot « schizophrénie ». C’était l’expérience qu’ils avaient connue. C’est ce que George Qulaut nous a dit lorsqu’il témoignait devant le comité lundi.
Les jeunes qui doivent composer avec un traumatisme sont encore plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé mentale lorsqu’ils consomment du cannabis. De plus, des gens dans toutes les collectivités, qu’ils soient pour ou contre le projet de loi, se sont opposés à l’article du projet de loi dans lequel on réduirait la possession de 5 grammes ou moins de cannabis par un jeune de plus de 12 ans, mais de moins de 18 ans, à une infraction pouvant donner lieu à une contravention. De manière généralisée, les gens estimaient que de réduire cette infraction à une infraction pouvant donner lieu à une contravention ne serait pas une mesure dissuasive assez forte en ce qui a trait à la possession par les jeunes. Bon nombre de personnes ont dit que les enfants n’avaient pas le droit d’acheter des cigarettes, mais qu’ils fumaient tout de même à de très jeunes âges dans les collectivités.
Bien entendu, sénateurs, en vertu de ce projet de loi, les provinces et les territoires ont la compétence exclusive de circonscrire le régime de contraventions. En revanche, comme suite aux préoccupations dont on m’a fait part, je suggérerais au comité d’envisager de proposer un amendement dans lequel on inclurait des mesures de dissuasion plus claires et plus fortes en ce qui a trait à la possession de cannabis par des jeunes.
On a dit la même chose en ce qui a trait à la culture des plants, qui relève peut-être également de la compétence des territoires. Les gens ont dit que c’était la dernière chose dont ils avaient besoin dans leur logement surpeuplé. Ce sera très énergivore. Cela va accroître l’humidité et créer des problèmes de moisissure. Votre comité l’a observé dans le cadre de son étude sur le logement. Il existe également des risques d’incendie causés par l’utilisation de lampes et la consommation accrue d’électricité. Il y aurait également des entrées par effraction.
Bien que je comprenne qu’il s’agisse d’un domaine de compétence territoriale, je dois vous dire que presque partout, les gens ont exprimé des préoccupations par le message de normalisation du cannabis que donne la culture des plants. Cela dit aux jeunes et aux aînés dans des foyers surpeuplés que la consommation de la marijuana est acceptable.
Pour conclure, sénateurs, j’aimerais vous dire que, jeunes ou vieux, les citoyens du Nunavut ressentent énormément d’appréhension en ce qui a trait à l’impact que cela aura sur une population qui a des problèmes de santé mentale, de dépendance à l’alcool, de violence familiale et de suicide et qui se remet d’un passé marqué par les déplacements, l’abattage de chiens et les pensionnats. Dans ces collectivités, la fréquentation scolaire est malheureusement souvent de l’ordre de 50 p. 100 en ce moment, et ce, sans cette nouvelle menace.
Nous sommes arrivés dans une collectivité qui venait à peine de se remettre sur pied à la suite d’un affrontement très intense avec la GRC à Baker Lake. Cela a été très traumatisant pour cette petite collectivité. Un affrontement a eu lieu lorsque nous étions à Pond Inlet, une collectivité éloignée au nord de l’île de Baffin. Un avion nolisé transportant 27 agents de la GRC en uniforme est arrivé pour faire face à l’affrontement. Je crains qu’il s’agisse malheureusement d’événements fréquents dans nos collectivités du Nunavut. Il y a eu un autre affrontement depuis que je suis rentré à Ottawa. Cela s’est passé à Clyde River, une autre très petite collectivité.
Nos collectivités se retrouvent en état de crise. C’est ce que bien des gens m’ont dit.
Nous avons rencontré le conseil, à Arctic Bay. Le maire, le conseil ainsi que l’agent administratif principal nous ont dit, après la réunion, qu’un incident s’était produit au centre communautaire. Un jeune étudiant âgé de 15 ans s’était fait renvoyer du centre par l’agent de loisir, car il avait de la marijuana. Les gens avaient peur que ce jeune vende la marijuana et quelqu’un a exhibé un couteau. On nous a parlé de cet incident. Le lendemain, après notre départ, nous avons appris que ce jeune s’était suicidé.
Je vous raconte ces histoires afin de vous parler du tissu social vulnérable des habitants du Nunavut. Bon nombre de personnes sont extrêmement préoccupées par l’incidence qu’aura ce changement fondamental sur notre tissu social qui est déjà très fragile. Ils perçoivent ce changement comme quelque chose qui leur a été imposé de loin sans qu’il y ait de consultation. Une des recommandations soulignait qu’il fallait évaluer les répercussions.
Chers collègues, je pourrais vous parler davantage de ce voyage. Je suis honoré d’avoir eu l’occasion de vous fournir les impressions que j’ai eues lors du voyage. Je travaille maintenant à créer un rapport détaillé qui permettra de résumer ce dont on m’a fait part dans toutes les collectivités. Ce rapport sera terminé bien avant que le comité doive en faire rapport.
Encore une fois, je suis honoré que vous m’ayez demandé de vous présenter le plus objectivement possible ce que les collectivités m’ont raconté. Merci beaucoup.
La présidente : Merci, sénateur Patterson.
Avant de commencer, j’aimerais vous remercier. Je sais que vous êtes allé dans bon nombre de collectivités et nous vous savons gré du résumé que vous nous avez présenté ce soir.
Je souligne que certains thèmes ont également été notés lorsque le comité voyageait dans l’Ouest du Canada. J’aimerais parler de deux de ces thèmes.
Par exemple, vous avez parlé des mauvais traitements à l’égard des aînés. Si ma mémoire est bonne, nous avions rencontré un groupe d’aînés à l’Île-à-la-Crosse qui nous avaient parlé de ce thème. Les aînés nous ont raconté qu’on leur demandait de l’argent, que les jeunes voulaient désespérément avoir de l’argent et les volaient. Alors, les aînés se sentaient pris au piège. C’est un thème qui est survenu là-bas également.
D’autre part, vous avez parlé de l’association entre la consommation du cannabis et la vulnérabilité accrue de devenir schizophrène ou d’avoir une psychose. Un témoin l’a mentionné lundi également. Lorsque vous avez dû sortir de la salle, M. Burton, le témoin qui comparaissait ce soir, l’a également confirmé. À titre de professionnel de la santé et grâce à ses connaissances des études en la matière, M. Burton a indiqué qu’il y avait une nette corrélation. Il a souligné que les collectivités, dans lesquelles les niveaux de traumatisme étaient élevés, étaient plus vulnérables en ce sens.
Alors je vous remercie de nous avoir fait part de ces observations.
La sénatrice McCallum : Merci de votre présentation. Il me semble absurde qu’un pays adopte une loi tout en sachant que cela créera autant de dommages connus et inconnus pour les groupes de personnes vulnérables, qu’elles soient autochtones ou non.
À votre avis, quel bien général sera atteint dans ce projet de loi? Ce projet de loi me préoccupe tellement et j’essaie de voir s’il y aura des améliorations à l’avenir si nous l’adoptons.
Le sénateur Patterson : Merci de votre question.
Nombreux sont ceux qui disent qu’on devrait adopter ce projet de loi, car beaucoup de personnes consomment de la marijuana. Je serai le premier à dire — et peut-être que je ne l’ai pas dit assez clairement — que l’utilisation de la marijuana est très répandue dans mes collectivités au Nunavut. J’ai fait un peu de porte-à-porte pendant les élections, et c’est quelque chose qu’on remarque souvent lorsqu’on nous ouvre la porte.
Les gens paient des sommes exorbitantes. Certains disent que ce serait avantageux, entre autres, parce que les gens qui consomment de la marijuana n’auront plus de dossiers criminels ou d’interactions avec la loi. Lorsque je suis arrivé dans le Nord dans les années 1970, il y avait une espèce de guerre contre les drogues, même si au sud du Canada, c’était un genre de Yorkville, un monde de hippies où tout le monde se fermait les yeux. La suppression des dossiers criminels qui est prévue dans ce projet de loi est sans doute quelque chose de positif, car bien des gens dans le Nord ont un dossier criminel ou ont eu une interaction avec la loi.
Madame la présidente, on peut répondre à ces enjeux par la décriminalisation. J’aurais trouvé cette mesure efficace pour gérer le problème des personnes qui ont des dossiers criminels et qui essaient d’obtenir des emplois ou qui ont des interactions avec les forces de l’ordre. On n’avait pas besoin de régler ce problème en légalisant l’utilisation récréative de la marijuana, en la rendant moins chère et plus accessible.
Je pense que je serais sans doute d’accord avec cette partie-là du projet de loi. En revanche, je ne pense pas qu’il faille légaliser la marijuana pour se débarrasser du problème des dossiers criminels des jeunes.
Bon nombre de personnes disent que, si c’est moins cher, nous n’allons pas consacrer des montants importants de notre revenu au cannabis qui coûte 50 $ par gramme, alors que les enfants ne mangent pas et ne fréquentent donc pas l’école. Mais il y a aussi beaucoup de personnes qui disent qu’en raison du stress auquel font face nos collectivités, des problèmes de pauvreté, de délocalisation et de dépression, les gens ne feront qu’en acheter davantage si les prix baissent. Cela va se traduire par un usage accru de la marijuana et par un accès plus facile.
Dans ma collectivité, à Iqaluit, pour la première fois en 40 ans, un magasin qui vend de la bière et du vin a ouvert ses portes. Il s’agit du premier magasin de bière et de vin qui ouvre ses portes dans les territoires à titre expérimental. C’était l’année dernière. Les ventes prévues pour un an se sont faites en un mois. On pouvait voir, même dans les périodes de très grand froid, une file de personnes s’étalant sur plusieurs pâtés de maisons qui attendaient pour acheter de la bière et du vin. Nombreux sont ceux qui ont dit que ce serait, pour le cannabis, comme pour la bière et le vin à Iqaluit. Les gens vont tout simplement consommer davantage si les prix chutent.
On dit que cela permettra aux gens de s’acheter des aliments et des vêtements. Cela reste à voir. Si ce projet de loi est adopté, j’espère qu’il y aura une façon d’évaluer la situation afin de voir l’incidence de cela sur le taux de fréquentation scolaire, par exemple, qui représente un problème de taille dans nos collectivités.
J’essaie de penser à des aspects positifs. Merci.
La sénatrice McCallum : Serait-il possible de diviser le projet de loi en deux : une partie portant sur la décriminalisation et l’autre partie pour tout le reste…
Le sénateur Patterson : Il faudrait que je pose cette question à un juriste. Je crois que l’objectif fondamental du projet de loi est de légaliser la consommation de marijuana à des fins récréatives. L’objectif n’est pas de décriminaliser cela. La décriminalisation est un avantage ou un effet secondaire du projet de loi, puisqu’il rend la consommation et la possession de marijuana légales alors que ce ne l’est pas à l’heure actuelle.
Si l’on décidait que la décriminalisation serait avantageuse et constituerait un changement plus modeste pour le Canada, je pense qu’il faudrait déposer un nouveau projet de loi. Nous devrions rejeter le projet de loi actuel et en déposer un nouveau. D’après mon expérience législative limitée, c’est ainsi qu’il faudrait procéder.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci, cher collègue, de vous joindre à nous ce soir.
J’ai bien entendu le cri du cœur lancé par votre peuple. Croyez-vous que nous devrions nous-mêmes rédiger les politiques qui pourraient aider nos jeunes à régler les problèmes très sérieux qu’ils vivent?
J’ai posé la question aux témoins précédents aussi. Je pense qu’il est important que nous ayons notre propre politique en matière de marijuana puisque, comme je le disais plus tôt, nous sommes au fait de nos problèmes, nous savons comment les régler, mais nous n’avons tout simplement pas les ressources pour le faire. Que diriez-vous d’avoir notre propre politique pour les territoires, dans mon territoire et pour l’Ouest?
Le sénateur Patterson : Si nous croyons réellement en l’autonomie gouvernementale, notre comité devrait recommander de permettre aux communautés de mettre au point leur propre régime pour réglementer cette nouvelle drogue dangereuse qui entraîne de graves conséquences. Je ne dis pas que c’est une solution parfaite, mais cela fonctionne très bien pour l’alcool. Elle permet au moins de réduire la consommation abusive d’alcool dans beaucoup de collectivités de ma région. Si nous croyons réellement en l’autonomie gouvernementale, nous devrions appuyer ce droit, surtout pour les collectivités autochtones.
J’aimerais aussi que nous remettions en doute les arguments du gouvernement fédéral. Certains affirment que ce projet de loi est uniquement une question d’argent. Il permettra aux producteurs de faire beaucoup d’argent et au gouvernement de générer des recettes considérables. Pourquoi ne pas utiliser ces fonds pour atténuer les répercussions auxquelles nous pouvons sans doute nous attendre, par exemple, en construisant des installations récréatives pour les jeunes ou en permettant aux collectivités d’offrir des programmes de santé mentale et de bien-être communautaires et adaptés à leur culture? Cette nouvelle approche respectueuse envers les collectivités pourrait leur permettre de subvenir à leurs besoins et apaiserait les craintes que nous avons entendues voulant que ce projet de loi ne soit qu’une question d’argent. Pour l’instant, il est prévu que les revenus soient versés dans le trésor public tandis que nos collectivités n’ont pas d’installations récréatives adéquates ni de centres de traitement ou de centres de santé mentale ou de bien-être.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Si nous avions nos propres dispensaires, nos politiques et tout le reste, nous pourrions générer nous-mêmes les recettes fiscales n’est-ce pas?
Le sénateur Patterson : Madame la présidente, Manny Jules, le commissaire en chef de la fiscalité, nous a dit qu’il a consulté des centaines de collectivités des Premières Nations qui souhaitent générer les recettes fiscales de la production de marijuana puisqu’il s’agit pour elles d’une occasion d’affaires, mais aussi parce qu’elles forment des administrations gouvernementales qui doivent s’occuper des besoins en santé et en éducation de leur collectivité. Elles doivent s’occuper de leurs jeunes. Elles doivent pouvoir compter sur ces recettes pour s’occuper de leurs fonctions gouvernementales. Elles ne peuvent se permettre d’être mises de côté pendant que toutes les recettes vont aux provinces et au gouvernement fédéral.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Exactement. Que pensez-vous de la prescription de marijuana médicale pour traiter le trouble de stress post-traumatique, l’anxiété ou l’épilepsie?
Le sénateur Patterson : La loi canadienne le permet. Le régime semble bien fonctionner. Personne dans mes collectivités ne s’y oppose. Certains ont même affirmé que la prescription de marijuana médicale était très utile. J’ai constaté une certaine confusion entre ce projet de loi et le régime de marijuana médicale, mais il ne devrait y avoir aucune confusion. Le second est un régime très bien réglementé qui nécessite une prescription d’un médecin et qui a montré son efficacité.
Il ne faut pas laisser le régime de marijuana médicale influencer notre perception de ce nouveau régime complètement ouvert dans lequel l’accès sera facile et le produit peu coûteux — il est possible de stocker des quantités illimitées de marijuana médicale à la maison. Il est permis de faire pousser des plants sans inspection ni contrôle des pesticides ou des herbicides utilisés. Ce nouveau régime est entièrement différent du régime de marijuana médicale qui est soigneusement réglementée.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup, sénateur Patterson.
Y a-t-il quelque chose qui empêcherait le Nunavut d’être maître de la distribution et de la vente de marijuana sur son territoire?
Le sénateur Patterson : Je crois que vous avez raison, sénatrice Raine. Selon certains, le projet de loi transfère la responsabilité aux provinces et aux territoires. Les territoires peuvent fixer l’âge limite, réglementer les points de vente, réglementer les plants et mettre en place un régime d’amendes pour la possession d’une certaine quantité de marijuana pour les jeunes au lieu d’utiliser le Code criminel. Donc, oui, le projet de loi confère des pouvoirs importants au gouvernement territorial du Nunavut.
Cependant, d’après moi, nous pourrions aussi proposer des amendements au projet de loi ou faire des recommandations pour qu’on donne aux nations autochtones le droit explicite de contrôler ce qui se passe dans leurs collectivités. Le gouvernement fédéral a compétence sur les réserves des Premières Nations, mais pas sur les territoires ou sur mon territoire.
En ce qui a trait aux recettes fiscales, le projet de loi prévoit des revenus. Le gouvernement fédéral a conclu un accord avec les provinces, mais c’est le projet de loi qui prévoit les dispositions sur la taxe d’accise et les autres recettes fiscales.
Vous avez raison, il faut être prudent et s’en tenir aux éléments fédéraux du projet de loi. Je tenais à être prudent lorsque je parlais des dispositions sur les plants ou sur la possession de cinq grammes pour les jeunes puisqu’il s’agit des responsabilités qui ont été imposées aux territoires. Cependant, si nous ne proposons pas d’amendements au projet de loi, nous pouvons faire des observations sur ces dispositions.
La sénatrice Raine : D’après ma compréhension, les territoires jouissent des mêmes droits que les provinces dans le projet de loi. En ce qui a trait au partage des revenus, le partage se fait dans une proportion de 75-25. Les territoires auront donc leur part. En revanche, pour les Premières nations, si l’on tient pour acquis que les besoins sont plus grands, que les répercussions seront plus sérieuses et qu’il y a des problèmes graves de logement, entre autres, il est crucial qu’elles aient le droit de prendre leurs propres règlements et qu’elles soient traitées comme des gouvernements autonomes.
Devrions-nous formuler une observation, ou pourrait-on à titre de comité des peuples autochtones recommander un amendement au projet de loi pour indiquer clairement que les Premières Nations seraient exclues du champ de compétence des provinces?
Le sénateur Patterson : Madame la présidente, M. Jules, le commissaire en chef à la fiscalité, a dit que les Premières Nations ont été écartées de ce projet de loi. Nous sommes le comité des peuples autochtones. Je crois qu’il s’agit d’un champ de compétence fédérale important que nous devrions étudier et sur lequel nous devrions faire des recommandations.
Personnellement, ce que le commissaire Manny Jules m’a dit m’a convaincu que nous devrions inviter la Commission de la fiscalité des Premières Nations à titre de témoin pour qu’elle nous suggère des amendements au projet de loi. Je crois que nous devrions accorder une grande importance aux propos de la commission. J’ai été ravi d’apprendre que la commission serait prête à rédiger des amendements. Je pense qu’elle a été écartée et que nous avons le devoir de le signaler au Sénat.
La présidente : Merci. Nous allons suspendre nos travaux et mettre fin à la séance publique. À notre retour, nous passerons à huis clos pour discuter des instructions que nous souhaitons donner aux analystes pour la rédaction du rapport.
(La séance se poursuit à huis clos.)