Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule no 37 - Témoignages du 8 mai 2018
OTTAWA, le mardi 8 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 5, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, tansi. Bienvenue à mes honorables collègues et au public qui assiste à cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ici même ou par le Web. Dans un esprit de réconciliation, je précise que la séance se déroule sur les terres ancestrales et non cédées des peuples algonquiens.
Je suis Lillian Dyck, de la Saskatchewan, et j’ai le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
J’invite mes collègues à se présenter.
Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.
La sénatrice McCallum : Marie Jane McCallum, du Manitoba.
La présidente : Merci.
Aujourd’hui, nous revenons à notre étude de ce à quoi pourraient ressembler les nouvelles relations entre le gouvernement du Canada, d’une part, et les Premières Nations, les Inuits et les Métis du Canada, d’autre part. Nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, les représentantes du mouvement Idle No More, c’est-à-dire sa cofondatrice Nina Wilson et la conseillère Jessica Gordon, de la nation de Pasqua, en Saskatchewan.
Après votre exposé, les sénateurs vous questionneront. Entendons d’abord Mme Jessica Gordon.
Jessica Gordon, conseillère, Première Nation de Pasqua, Idle No More : Je ne suis pas certaine du temps qui nous est alloué.
La présidente : Vous disposez de 10 à 15 minutes.
Mme Gordon : Mon nom signifie « elle s’assoit au premier rang ». On m’appelle aussi Jessica Gordon. Je suis du territoire visé par le traité no 4 et l’une des membres et des cofondateurs du mouvement Idle No More. Je suis Crie, de la nation Nahkawē et membre de la Première Nation de Pasqua.
D’abord, je vous remercie de votre invitation à comparaître devant votre comité. Ensuite, je voudrais déclarer que le temps et la capacité de se rassembler et de discuter de questions d’une telle importance ne vont pas de soi. Les Autochtones de la base sont les plus touchés par les lois et les décisions du gouvernement et des dirigeants nommés sous le régime de la Loi sur les Indiens. Les capacités, les ressources et les compétences de ces simples citoyens sont limitées.
Beaucoup de nations vivant dans des réserves, en milieu urbain, connaissent leurs besoins, non seulement de leur propre famille, mais ceux aussi des communautés et ceux des générations à venir.
Le processus est différent et difficile. Les occasions de se rassembler et de faciliter les discussions sont très peu nombreuses. Beaucoup de connaissances des gens de la base sont restées inemployées à cause de leurs dirigeants nommés sous le régime de la Loi sur les Indiens, qui sont constamment en situation de crise, qui ne s’occupent que de survie et qui pourvoient aux besoins fondamentaux de leurs administrés sous le régime de la même loi.
J’en conclus que cette loi et les pouvoirs qui nous sont délégués pour nous gouverner nous-mêmes sont inefficaces. Une grande partie des dirigeants choisis sous son régime sont ignorants des droits inhérents ou des droits conférés par traité.
La présidente : Jessica, est-ce que ça vous ennuierait de ralentir le débit seulement un peu? Les interprètes peinent à suivre.
Mme Gordon : D’accord. Je croyais que je parlais lentement.
L’imposition de nos structures de gouvernance par le pouvoir colonial a obscurci notre vision de l’avenir et nous a empêchés de nous servir de nos compétences inhérentes aux droits conférés par traité.
Nos gens de la base ont besoin de représentants et de participation dans chacun des secteurs, non seulement pour l’administration des programmes, mais aussi pour la mise en œuvre des traités. Ils ont aussi besoin de la volonté politique et de la pression à exercer pour non seulement faire reconnaître nos droits par tous les gouvernements, mais aussi les faire appliquer par eux et toutes les institutions. Nos dirigeants et les gens de la base qui n’ont qu’une pelle pour s’extraire de la fosse dans laquelle ils s’enfoncent voient leurs efforts contrariés par la terre qu’on continue de jeter dans leur direction. Ç’a été et ce sera toujours l’échec.
Nous avons tant à offrir, pas seulement dans nos structures traditionnelles de gouvernance, mais dans la façon de nous comporter à l’égard des dons du créateur — la terre, l’eau, l’air et les quadrupèdes. Développer nos propres pouvoirs à l’extérieur du régime de la Loi sur les Indiens et de l’emprise du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est le premier pas vers la mise en œuvre significative de nos droits inhérents et conférés par traité. À cette fin, nous avons besoin de tribunes politiques et de financement pour appliquer nos propres compétences. La nouvelle relation que vous cherchez à quantifier ne vous sera accordée par aucun de nous sous aucune des formes que vous cherchez à justifier dans votre rapport ni conformément à des principes ou à des idées colonialistes.
Cette relation ne date pas d’hier. Notre relation sacrée, scellée par traité, continuera de nous guider, et, avant de la renouveler, c’est l’honneur de la Couronne que vos gouvernements doivent reconnaître et qu’on doit leur rappeler. Le gouvernement ne peut pas être aveugle et naïf au point de penser que nous, les Autochtones, nous aurions cédé tout ce que vous affirmez que nous avons cédé contre notre sort actuel.
Vous demandez une vision d’avenir qui nous inspire pour l’avenir. Songez à ce qui a du sens pour vous. Retenez cette vision d’un accès à toutes les eaux cristallines, au ciel, aux terres et aux animaux ainsi qu’aux façons de diriger vos rapports avec l’ensemble de la création. C’est ce qui vous a aidés et qui vous a été profitable de toute éternité, jusqu’à ce que vous l’abandonniez.
À la signature du traité, cette vision de l’avenir serait-elle que vos petits-enfants soient affamés, maltraités, malades, que leurs besoins soient ignorés, tout cela parce que ceux qui vous ont promis que votre mode de vie ne changerait pas ont refusé d’honorer cette promesse? Je ne le crois pas.
Vous demandez donc une vision pour l’avenir. Songez à ce que vous voudriez pour vos enfants qui attendent, malades et souffrants. Ce n’est pas la réconciliation; c’est tenir ses promesses.
Je voudrais citer Marie Smallboy, du territoire visé par le traité no 6, quand elle décrivait une vision de la nouvelle relation :
La responsabilité sacrée de nos peuples, qui est de s’assurer que notre mode de vie reste un droit inné pour plus de sept générations à naître, est bien une tâche monumentale. La voix et la vision de nos ancêtres n’ont pas été clairement et intégralement exposées aux Blancs. La langue du colonisateur les dépouille le plus souvent de leur éloquence et de leur sagesse.
Comme je l’ai dit, cette relation n’est pas nouvelle. Vous avez seulement besoin de vous dépouiller de la mentalité colonialiste et paternaliste qui a conduit vos législateurs et vos décideurs à nous réduire à notre situation actuelle. Aujourd’hui, même si nous nous plions à vos volontés, nous n’obtenons en retour que rejet, brimades et ressentiment.
Vous demandez comment les gouvernements peuvent préparer le terrain pour une relation qui aurait dû toujours exister. Nous répondons : par l’honneur. L’honneur par lequel nos ancêtres et nos sages ont confectionné des traités pour être bienveillants pour les nouveaux venus et partager avec eux. Nos visionnaires savaient ce dont nos petits-enfants auraient besoin pour préparer un nouveau mode de vie, tout en étant ancrés dans leurs lois et leurs valeurs. Ne rendez pas cette vie difficile à notre peuple.
Nos valeurs et nos lois nous guideront et vous aideront, vous et votre peuple, à assurer un avenir florissant et sûr à beaucoup de générations à venir. Collaborez avec notre peuple, pas seulement avec nos dirigeants nommés sous le régime de la Loi sur les Indiens et les organisations amérindiennes, mais, surtout, avec les simples gens : les mères, les grand-mères, les jeunes, les frères et les sœurs incarcérés, les enfants pris en charge, les toxicomanes et les pauvres. Voilà ceux qui possèdent les réponses, ceux qui sont pris avec les conséquences du non-respect de ces traités par le gouvernement.
Comment appliquer cette relation? Nous commençons par instruire les gens de la base sur nos formes traditionnelles de gouvernance et par choisir nos dirigeants, non seulement selon les méthodes contemporaines, mais en nous inspirant de nos valeurs et de nos traditions qui nous ont été utiles depuis toujours. Sur ce socle, nous construisons nos systèmes de justice et de lois, sous le régime de nos lois. La relation s’établira dans le respect de nos lois, tout en tenant compte des instances contemporaines qui seront nécessaires pour appliquer ces lois dans tous les territoires et tous les secteurs.
Des personnes pour qui j’éprouve un respect immense, de même que beaucoup de chefs actuels et passés ont déjà préparé le terrain à cette relation. Qu’est-ce qui vous retient de l’appliquer? À quel point êtes-vous sérieux quand vous refusez de financer ces structures?
Le renouvellement d’une relation par traité comporte d’unir les gouvernements, les simples citoyens et les Premières Nations dans un partenariat et dans des processus qui assurent qu’on honorera l’esprit et l’intention des traités. Beaucoup de gens de la base exigent l’accès à la terre; la sécurité alimentaire; une enfance en communion avec la terre; les médicaments de la terre; l’eau potable; la structuration de nos propres économies entre les communautés et les nations, sans restriction; la capacité de prendre soin de nos enfants pris en charge; la possibilité de se conformer à nos lois traditionnelles et à nos lois de parenté, aux lois naturelles et l’accès à nos sites sacrés; l’apprentissage sur ces sites; le rétablissement de nos lois, de nos structures et de nos sociétés.
Nos ancêtres considèrent le traité comme une façon de s’adapter, d’assurer la certitude pour les générations à venir. C’est l’autodétermination, la possibilité et la capacité de se gouverner soi-même, sans que des organismes de l’extérieur n’empiètent sur nos droits et nos responsabilités inhérents.
Vos principales sources de conseil sont les gens de la base. Vous devez vous efforcer de leur parler et de les appuyer dans leur apprentissage de ce qui nous a gouvernés par le passé et de la meilleure méthode à suivre pour l’avenir. Nous continuons de posséder des systèmes et des sociétés claniques, qui régissent nos relations mutuelles. Le créateur nous a tous accordé des dons. La seule façon d’entreprendre ce processus est, pour notre peuple, d’instruire et d’éduquer les siens sur ces structures et de construire sur ces bases. La seule chose à faire, désormais, pour votre gouvernement, est d’agir de façon honorable et d’appuyer tous les efforts. Merci. Meegwetch.
La présidente : Merci beaucoup. Commençons maintenant les questions, mais, en raison de difficultés informatiques, il se peut que nous ayons à interrompre la séance.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup d’être ici et de nous faire connaître dans leur clarté votre point de vue et votre vision. Ma question concerne davantage la direction d’Idle No More et votre vision de l’avenir. Diriez-vous qu’Idle No More est l’une des principales façons, pour les gens de la base, de pouvoir être entendus et d’être représentées dans le processus envisagé pour établir une relation entre nations?
Mme Gordon : Je le considérerais comme une aide au dialogue et à la conscientisation, comme par le passé. Je crois qu’il se fait des efforts pour amener les gens de la base à s’organiser plus près de chez eux. C’est beaucoup plus important de cette façon.
Nous avons été les témoins de beaucoup de choses par le passé, avec la direction d’Idle No More, ainsi que partout dans le pays et sur le continent américain, l’île de la Tortue. Il y a tellement d’enjeux différents et de pistes à suivre pour l’avenir que nous ne pouvons pas tout faire à partir d’Idle No More, des structures qui décident au-dessus des gens et de la façon qui nous a été imposée par le passé. Ç’a été la grande nouveauté d’Idle No More. Il y a beaucoup de chefs, pas seulement moi-même, Nina ou les autres cofondateurs. Il y en a beaucoup. Je vous recommande de commencer ce travail de préparation pour organiser des rencontres locales.
La sénatrice McPhedran : Dans votre réponse, vous venez d’employer un temps passé, qu’Idle No More était. Faut-il comprendre que le mouvement évolue ou qu’il a évolué vers un autre processus? Ou, encore, qu’il n’est plus vraiment une force agissante? Et puis-je aussi vous demander si son financement est problématique?
Mme Gordon : C’était peut-être une allusion à des événements passés, sous d’autres dirigeants. Notre mouvement existe encore. On continue de se rassembler et de collaborer sous sa bannière. La structure existe donc encore. Le mouvement continu. Il ne s’en va pas. Il a évolué de nombreuses différentes manières que ni vous ni moi n’aurions pu imaginer.
Parlant de financement, c’est là qu’il faut commencer les rencontres locales, à la base. Par exemple, un groupe du territoire visé par le traité no 4 s’intitule le « caucus du traité no 4 ». Beaucoup de groupes se rencontrent donc dans leur région. Vous pourriez chercher à les rejoindre, les approcher.
Et, bien sûr, le financement représente un gros obstacle à notre façon de nous organiser, d’agir et d’honorer les dépositaires de nos connaissances et nos experts. Quand, faute d’argent, nous ne pouvons pas inviter nos experts, notre mouvement, privé d’élan, s’étiole. Oui, le financement est un gros obstacle, mais c’est là qu’il faut prendre le bâton du pèlerin et aller rejoindre les groupes qui se sont organisés et qui se sont donnés à notre combat.
La présidente : Vous avez dit que vous rencontriez localement des groupes du territoire visé par le traité no 4. Ce groupe est-il limité à la Saskatchewan ou bien organisez-vous des réunions intraprovinciales?
Mme Gordon : Nous ne nous laissons pas arrêter par les frontières de la Saskatchewan ou du Manitoba. Chacun est libre de venir, d’assister et de participer aux réunions. C’est le territoire visé par le traité no 4, à l’intérieur de ses limites. Des personnes du territoire visé par le traité no 6 sont venues et nous ont aidés dans certains de nos travaux.
La présidente : Merci.
Le sénateur Doyle : Merci d’être ici. La vieille Loi sur les Indiens est maintenant chose du passé. Elle a été remplacée par deux ministères fédéraux. D’après vous, est-ce une bonne chose ou est-ce que ça le sera grâce à l’amélioration des relations actuelles, asymétriques, qui permettra au moins la discussion entre nous sur un pied d’égalité?
De plus, d’après vous, sommes-nous plus près aujourd’hui de comprendre de la même façon le mot « souveraineté » dans son application au Canada et à ses peuples autochtones?
Mme Gordon : La séparation du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien risque de profiter un peu à notre organisation, mais je prévois que son efficacité sera éphémère. Le mot « souveraineté » donne lieu, je crois, à une différence de perception. Pour nous, les gens de la base, c’est notre voie d’avenir et le droit de nous gouverner que nous pressentons. Pour le gouvernement colonial, c’est un mot vide de toute conviction.
Nous savons que nous avons besoin de traverser en Alberta pour recevoir nos enfants et prendre soin d’eux alors que nous vivons en Saskatchewan, mais ces frontières et des organismes nous empêchent de prendre soin des nôtres et, pour nous, c’est un enjeu de la souveraineté.
Certaines de nos grands-mères siègent et ont un droit de parole à des organisations comme la fédération des nations autochtones de la Saskatchewan, les conseils tribaux ou les bandes. Elles veulent prendre soin des enfants, mais elles ne le peuvent pas. Elles doivent passer par le chef et le conseil, s’adresser aux conseils tribaux. La fédération est censée faire le travail pour elles. Ça ne donne rien. Les gens de la base doivent donc se mobiliser, et il faut les honorer pour leur travail, leur temps et leur dévouement pour débloquer les dossiers.
Le sénateur Doyle : D’après certaines notes, ici, l’une de vos responsabilités était de travailler à l’affirmation de la souveraineté des Autochtones. Est-ce que le terme de « souveraineté », tel que vous l’entendez, englobe l’autosuffisance économique en plus de l’autonomie gouvernementale?
Considérez-vous une solide base économique comme l’un des facteurs de l’édification de communautés autochtones souveraines et fortes, indépendantes, faisant elles-mêmes ce qu’elles ont besoin de faire pour leurs gens?
Mme Gordon : Notre base économique et notre base territoriale nous aideront à obtenir la souveraineté et l’autodétermination, mais le boulet de la Loi sur les Indiens ou des bureaucrates nous entrave.
Les lois disent que nous ne pouvons rien faire. Si nous faisons un pas en avant, on nous arrête ou alors on nous donne un nouveau chef et un nouveau conseil, ou de nouveaux dirigeants pour la FSIN, et on met un terme à tout ce bon travail.
Donc oui, il faut une base économique et un appui à l’égard de notre volonté politique et de nos politiciens, afin qu’ils puissent aller de l’avant. Il ne s’agit pas seulement de notre base économique. Nous sommes ici depuis longtemps, mais en raison de nos conditions de vie, nous avons besoin d’aide. Comme je l’ai dit, nous tentons de nous sortir de ce trou, mais on le remplit sans cesse. Nous avons besoin d’aide pour nous hisser à ce niveau. Nous avons besoin de ce soutien afin de créer nos bases économiques.
La sénatrice Raine : Nous vous remercions de votre présence ici aujourd’hui, Jessica. Est-ce que le traité no 8 vise un seul groupe d’Autochtones? Je sais qu’il dépasse les frontières provinciales, mais ce qui revient dans le traité no 8, c’est la nation fondatrice, si l’on veut, qui était là avant l’arrivée du gouvernement colonial. Est-ce exact?
Mme Gordon : Je ne sais pas exactement où vous voulez en venir, mais je suis visée par le traité no 4, alors je ne peux pas me prononcer sur le traité no 8.
Selon ce que je comprends, vous voulez savoir combien de nations sont visées par le traité no 4 et si elles traversent les frontières provinciales. Nous avons de nombreuses nations et je crois que vous voulez savoir à quelles nations vous avez affaire. Je renverrais cette question au Sénat : je crois que vous devez faire vos devoirs et savoir quelles nations se trouvent dans ces territoires. Ces nations étaient là avant l’arrivée des traités. Nous avons été regroupés dans les traités, dans le cadre des négociations en vue de la mise en place des traités.
La sénatrice Raine : Donc, avant le traité, ces nations étaient indépendantes et chaque nation qui a pris part au traité était organisée et avait son propre gouvernement?
Mme Gordon : Oui et les bandes se côtoyaient et cohabitaient. Nous avions aussi des alliances avec d’autres nations. Nous connaissons notre histoire. Je crois qu’avant ces audiences, vous aviez déjà entendu d’autres personnes parler du passé et de l’histoire. Vous devriez peut-être faire un retour en arrière et tenir compte de l’histoire dans le cadre de votre étude, en vue d’aller de l’avant. Il y avait ces nations et nous nous gouvernions de manière indépendante avant l’arrivée des traités.
La sénatrice Raine : Je comprends cela. On utilise drôlement les mots. On appelle aujourd’hui Première Nation ce qu’on appelait autrefois une bande indienne. Or, ce sont des groupes qui ont été segmentés de façon artificielle par la mise en œuvre de la Loi sur les Indiens.
Il est très important de connaître l’histoire et de revenir aux groupes culturels d’origine afin d’aller de l’avant, parce que la vision et le système de gouvernance de chacun de ces groupes sont quelque peu différents. Je crois qu’il s’agit de la première étape.
Mme Gordon : Oui, c’est la première étape pour le comité; il faut aussi appuyer la vision des gens de la communauté. Nous avions des clans et des sociétés, aussi. Peu de gens savent cela dans notre communauté. Le gouvernement pourrait également jouer un rôle à cet égard, en appuyant l’éducation pour faciliter la réconciliation.
Bon nombre d’entre nous ont une vision et veulent aller de l’avant, mais ils doivent aussi connaître leur histoire. Il faut donc d’abord éduquer notre propre peuple, avant d’éduquer le Sénat, le gouvernement et les colonisateurs.
La sénatrice Raine : Je comprends cela; il s’est écoulé beaucoup de temps et il y a eu des perturbations.
Vous parlez des gens de la communauté. Selon la situation actuelle au Canada, pour qu’un gouvernement national travaille avec les gens de la communauté, il faut qu’il y ait une structure en place de sorte que la représentation se fasse à partir de la base jusqu’aux leaders de la nation.
Selon ce que vous dites, je comprends que ce n’est pas ce qui se passe à l’Assemblée des Premières Nations. Pouvez-vous nous en parler?
Mme Gordon : Si vous voulez avancer, il faut commencer par parler aux gens de la communauté. L’APN, la FSIN et certains conseils tribaux savent que nos voix nos sont pas entendues à tous les échelons. Parfois, c’est voulu, parfois non. Certains de nos leaders sont assis dans les classes de 12e année; d’autres travaillent en première ligne, dans les centres d’échange de seringues, par exemple. Il faut mobiliser nos leaders et cela ne passe pas toujours par les organisations nationales ou provinciales.
Si vous voulez procéder à une restructuration, vous devez commencer par la base et ensuite monter les échelons. On pourrait organiser des réunions entre les groupes visés par les traités, les groupes de territoire, à titre de nations, dans une région ou même dans les régions avoisinantes de Regina ou de Saskatoon. Il y a beaucoup de travail à faire au nom du gouvernement du Canada. Nous avons les réponses. Vous devez tout simplement nous aider à exprimer ces réponses et à nous réunir.
La sénatrice Raine : Je crois que bon nombre des Canadiens sont d’avis que l’Assemblée des Premières Nations est l’organisme ou la structure qui devrait servir au gouvernement national, mais j’ai l’impression que sa structure n’est pas appropriée ou qu’il faut la changer ou la remplacer, ce qui est difficile à faire.
Mme Gordon : La chose la plus facile pour le gouvernement, c’est de passer par l’APN, et par nos leaders. Ils laissent le soin à l’APN de prendre bon nombre des décisions. Comme je l’ai dit dans mon exposé, les leaders sur le terrain sont occupés et vivent en mode crise. C’est le chaos. Nous nous fions à des organisations comme l’APN et la FSIN pour faire ce travail pour nous.
Nous sommes censés pouvoir les orienter et ils sont censés donner suite à leurs engagements. Cela ne fonctionne pas. Les gens de la communauté sont fâchés de la façon dont l’APN travaille avec le gouvernement sans consulter les vrais détenteurs des titres et des droits sur le terrain. L’engagement doit non seulement venir du gouvernement, mais aussi des structures comme l’APN, la FSIN et les conseils tribaux.
Je ne mets pas vraiment la faute sur les chefs et les conseillers des bandes, parce qu’au cours des dernières années, j’ai vu qu’ils vivaient en mode survie et qu’ils étaient très occupés sur le terrain. Il faut donc parfois nous fier à l’APN et à la FSIN, mais elles ne donnent pas suite à nos besoins.
La sénatrice Pate : Nous vous remercions de vous joindre à nous, madame Gordon. Je comprends votre frustration à l’égard de certaines des questions et j’espère que mes questions n’exacerberont pas cette frustration. Étant donné le domaine dans lequel j’ai travaillé, je m’intéresse à la question de la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral.
Je sais qu’il y a eu de nombreuses manifestations en prison dans le cadre du mouvement Idle No More. De façon particulière, je sais qu’il y a eu une manifestation en 2013 à l’ancienne prison des femmes et devant le pénitencier de Kingston. De nombreux groupes ayant pris part au mouvement Idle No More ont soulevé des préoccupations relatives à la surreprésentation des Autochtones dans les prisons et au fait que les protestations donnent souvent lieu à la criminalisation alors que les gens tentent de faire respecter leurs droits fondamentaux ou leurs droits issus des traités.
Quel type d’approche devrions-nous envisager pour réparer ces dommages, surtout lorsqu’on parle des gens incarcérés? Si nous pouvions procéder à une « décarcérisation », à quoi ressemblerait-elle selon vous?
Mme Gordon : Parlez-vous des défenseurs des droits territoriaux et des protecteurs de l’eau qui se font arrêter pour leurs gestes et leurs protestations? Est-ce que c’est de ces gens que vous parlez? Ou parlez-vous des gens qui sont en prison parce qu’ils avaient quelques joints en leur possession? Je ne suis pas certaine de comprendre votre question.
La sénatrice Pate : Excusez-moi de ne pas avoir été claire. Je parle de tout cela : de la criminalisation des personnes qui protestent, mais aussi du fait que 25 p. 100 de la population carcérale fédérale est Autochtone, et ce taux grimpe à 36 ou 39 p. 100 chez les femmes.
Quelles seraient les solutions communautaires qui permettraient d’aider les gens à risque et aussi ceux qui ne sont pas à risque, mais qui sont criminalisés pour d’autres raisons?
Mme Gordon : Tout commence par la collectivité. La prévention est l’élément le plus important pour réduire les taux d’incarcération. La prévention ne vise pas uniquement les personnes à risque; elle commence à la prématernelle, à la maternelle, jusqu’au secondaire. Il faut appuyer ces enfants, qui subissent des traumatismes depuis des années. Leurs familles et les générations précédentes ont subi de nombreux traumatismes et il faut en tenir compte pour guérir; sinon, les taux d’incarcération continueront de grimper et nous allons perdre beaucoup de gens de cette façon.
Nous avons de nombreuses personnes surdouées qui ont besoin de notre aide, mais on leur colle une étiquette de TDA ou de fauteur de troubles. Ce sont des gens surdoués et le système scolaire, nos travailleurs sociaux et les intervenants en protection de l’enfance doivent tenir compte de cela lorsqu’ils renvoient une personne dans un foyer de groupe ou lorsqu’ils appellent la GRC. Nous devons mieux comprendre nos personnes surdouées.
La prévention est l’élément le plus important pour réduire les taux d’incarcération. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser ce mot à la mode, mais aussi de comprendre ces personnes et de travailler avec elles. Il faut sortir des sentiers battus. Pour un enfant surdoué, être assis pendant six heures dans une classe ne fonctionne pas. Le recours accru à l’enseignement axé sur le territoire représente également un bon point de départ.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup. L’un des défis auxquels sont confrontées les femmes lorsqu’elles tentent de réintégrer leur collectivité après avoir été incarcérées, c’est le manque de soutien. Nous pourrions prendre des mesures pour aider ces femmes à rétablir les ponts avec leur collectivité. Avez-vous des suggestions à cet égard? Cela fait partie de la relation de nation à nation également, à mon avis.
Mme Gordon : Il faut plus de programmes de réinsertion sociale. Je déteste réduire cela à une question d’argent, mais je suis responsable du portefeuille de la justice au sein de ma nation. Nous n’avons aucun programme pour aider les personnes qui sont libérées de prison… Non seulement les femmes, mais aussi les hommes et les jeunes qui sortent du système. Nous pourrions travailler avec d’autres ministères, mais il faut aider ces gens à réintégrer la société, de sorte qu’ils ne pensent pas à faire une introduction par effraction ou à vendre de la drogue pour subvenir aux besoins de leur famille. Nous devons les aider à la maison afin que cela ne se reproduise plus.
J’ai vu des personnes qui, à leur sortie de prison, voulaient travailler dur, mais il n’y avait rien pour elles sur la réserve; même pas une maison. Ces gens doivent vivre avec des membres de leur famille qui sont toujours aux prises avec des dépendances et qui vivent dans le chaos. Nous avons besoin de beaucoup plus de soutien financier à l’échelon communautaire et même municipal pour faciliter la réinsertion sociale de ces gens.
La sénatrice McCallum : Nous vous remercions de votre exposé, madame Gordon. Je me préoccupe de la voix des gens de la communauté. J’ai travaillé dans ma réserve pendant huit ans comme dentiste et je comprends comment fonctionne le système et comment parfois les dirigeants politiques ne font pas entendre ces voix. Je trouve difficiles nos audiences sur la façon de régler ce problème, parce que nous entendons diverses personnes, diverses organisations et que certaines personnes disent qu’il n’y a pas de consultation.
Comment le Sénat, les sénateurs ici présents, peuvent-ils faire entendre ces voix dont vous parlez? Je ne le sais pas.
Lorsque je pense aux diverses collectivités — et je suis allée dans toutes les collectivités du Manitoba —, elles ont toutes leurs propres crises à gérer et un message différent à passer. Comment pouvons-nous les unir et aller de l’avant? C’est le chaînon manquant, j’en suis consciente, et parfois, les voix ne se font pas entendre parce que les gens sont en mode survie lorsqu’il y a une crise. Quelles mesures puis-je prendre pour faire avancer les choses?
Mme Gordon : Je vous remercie de votre question, sénatrice McCallum. Je crois que le mouvement Idle No More est toujours présent. Nous pourrions regrouper les gens de la communauté, afin qu’ils s’organisent et qu’ils se réunissent comme ils le faisaient avant et comme ils le font toujours, mais d’une façon plus structurée. Nous pourrions réunir les Premières Nations du traité no 4 pour discuter de toutes sortes de sujets, comme l’incarcération et le traitement des dépendances, les structures de gouvernance et les systèmes de justice.
Cette discussion pourrait avoir lieu avec l’aide des cofondateurs du mouvement Idle No More et de nos organisateurs dans l’ensemble du pays. Nous pourrions organiser ces séances de dialogue et faire savoir aux gens de la communauté qu’il s’agit de discussions et non de consultations. Ils ne veulent pas participer aux consultations parce qu’ils ne font pas confiance au gouvernement du Canada. Il faut qu’ils sachent que ces séances visent à discuter, à établir un dialogue.
Si nous voulons présenter nos conclusions, nos discussions et nos solutions au Sénat et au gouvernement du Canada, alors nous le ferons. Si nous ne voulons pas le faire, nous ne le ferons pas, mais il faut qu’on favorise ces réunions, sans égard au résultat : un dialogue, un cadre ou une relation renouvelée.
Si le Sénat et le gouvernement du Canada peuvent nous promettre que ces séances ne seront pas considérées à titre de consultations, où nous serons piégés dans un coin et forcés d’aborder un sujet que nous n’avons pas le temps, la possibilité ou la capacité d’aborder pleinement, alors je crois qu’on pourrait le faire. Il ne faut pas que ces discussions soient utilisées contre nous. Je suis certaine que vous vous préoccupez davantage d’un processus de consultation en lequel nous n’avons pas confiance.
La sénatrice McCallum : Le site web d’Idle No More de 2014 soulève des préoccupations au sujet de l’approche relative à l’autonomie gouvernementale alors que les Premières Nations sont converties en des gouvernements de type municipal, où les pouvoirs du gouvernement fédéral et des provinces l’emporteront sur ceux des Premières Nations. Le comité a aussi entendu des préoccupations similaires de la part de la nation Siksika, qui a tenté sans succès d’obtenir l’autonomie gouvernementale à deux reprises. Dans quelle mesure est-il possible d’atteindre l’autonomie gouvernementale en vertu des politiques et programmes actuels?
Mme Gordon : Il faut commencer par demander aux gens de la communauté si leur définition de l’autonomie gouvernementale est la même que celle du gouvernement du Canada. Je crois que ce n’est pas le cas pour le moment. Le gouvernement semble imposer ses restrictions quant à la façon dont nous nous gouvernons. Il se peut que notre façon de gouverner diffère de celle des gens de l’Est. Il se peut qu’on fasse référence à nos grand-mères en premier. Certaines collectivités et nations peuvent faire référence à leurs jeunes en premier. Il faut qu’on mette fin à cette vision colonialiste et paternaliste qui place l’autonomie gouvernementale dans une boîte avec une étiquette, et qui la définit d’une seule façon.
Comme je l’ai indiqué précédemment, et ceci dit très respectueusement, vous devez tous faire l’effort d’appuyer le travail qui se fait à la base en nous aidant à le coordonner de telle sorte que nos recommandations soient suivies, plutôt que d’être mal interprétées ou utilisées pour nous acculer au pied du mur.
La sénatrice McCallum : Merci.
Le sénateur Christmas : Je suis ravi de vous rencontrer, madame Gordon. Je suis désolé de mon léger retard qui m’a fait manquer les présentations.
Je suis un Micmac de la Première Nation Membertou, en Nouvelle-Écosse. Ma famille a œuvré au sein du Grand conseil de la Nation micmaque, l’une de nos formes traditionnelles de gouvernement, et a eu également un rôle important à jouer dans l’administration gouvernementale découlant de la Loi sur les Indiens. Je connais donc très bien les deux formes de gouvernement.
J’ai beaucoup apprécié vos observations au sujet du rôle que nos formes traditionnelles de gouvernement sont appelées à jouer à l’avenir. J’aimerais vous laisser quelques minutes pour nous en dire plus long à ce sujet. Pouvez-vous nous dire comment votre mouvement perçoit la contribution que pourraient apporter ces formes traditionnelles de gouvernement pour consolider notre nation et améliorer le sort de nos gens? Pouvez-vous nous indiquer aussi comment on devrait s’y prendre pour que tous les Canadiens, et notamment les Autochtones eux-mêmes, puissent en apprendre davantage au sujet de ces formes traditionnelles de gouvernement et sur les avantages que nous pouvons tous en tirer?
Mme Gordon : Dans une perspective à très court terme, il faut effectivement sensibiliser les gens dans nos collectivités en les réunissant pour des sessions de dialogue et des exposés. Si vous voulez mettre en place les structures de gouvernance nécessaires pour amener chaque Autochtone à prendre conscience de son identité propre, il faut commencer dès le préscolaire, dès la garderie, afin que chacun comprenne bien que ce sont nos valeurs et que c’est ainsi que nous avons toujours gouverné efficacement nos affaires, comme le passé en témoigne. C’est encore aujourd’hui un mode de gouvernance efficace pour nous dans différentes collectivités. Cet effort de sensibilisation revêt une grande importance, non seulement dans l’immédiat, mais aussi à long terme. Il faut assurer la pleine intégration de cet apprentissage dans nos systèmes d’éducation, nos institutions et nos pénitenciers.
Beaucoup d’Autochtones sont incarcérés sans vraiment comprendre quelle est leur véritable identité. Si c’était le cas, je ne crois vraiment pas qu’ils se retrouveraient aussi fréquemment en prison ou, tout au moins, qu’ils y séjourneraient pendant d’aussi longues périodes, car il a été démontré que la prise de conscience de son identité pave la voie à de meilleurs résultats.
Des études ont été réalisées et des rapports ont été produits sur les effets de cette prise de conscience de la langue et de l’identité. L’éducation est primordiale. Il faut que des efforts en ce sens soient consentis à tous les niveaux.
Le sénateur Christmas : Je me demande toujours par ailleurs comment mobiliser les Autochtones vivant en milieu urbain. J’ai l’impression qu’ils sont parfois isolés ou coupés de leur collectivité. Comment mobiliser ces gens qui ont choisi de vivre en ville? Comment établir un lien avec eux pour qu’ils aient un rôle à jouer?
Je ne sais même pas qui les représente vraiment. Est-ce que ce sont les centres d’amitié?
J’aimerais savoir ce que vous pensez du rôle que devraient jouer les Autochtones vivant en milieu urbain?
Mme Gordon : Ce sont ceux qui sont souvent laissés pour compte. Leurs conditions de vie sont précaires et ils sont quotidiennement victimes de préjugés et de racisme.
Personne ne les représente vraiment, ce qui est déplorable. Il n’y a personne qui se porte à leur défense. Il y a dans les villes des organismes qui peuvent leur venir en aide de différentes manières, mais aucun d’entre eux n’a vraiment le mandat de les appuyer.
Comme vous l’avez dit, certains sont coupés de leur collectivité. Une partie d’entre eux ont peut-être choisi de rompre tout lien avec leur Première Nation ou avec les autres membres de leur collectivité, mais il y en a d’autres qui souhaiteraient désespérément rétablir la connexion.
Parmi les moyens à notre disposition, un mouvement comme Idle No More ou un organisme communautaire pourrait réunir ces gens-là afin d’amorcer un dialogue et se faire une idée de ce qu’ils recherchent pour l’avenir en plus de savoir par qui ils voudraient être représentés.
Je ne peux pas répondre au nom de tout le monde, mais j’ai été moi-même une Autochtone en milieu urbain pendant la plus grande partie de ma vie. Il est vraiment difficile de rétablir ces liens et le niveau de confiance nécessaire pour pouvoir de nouveau avoir accès aux aînés. Pour commencer, il serait bon que ces Autochtones vivant en milieu urbain puissent aller rencontrer les membres de leur Première Nation ou encore que les aînés se rendent les visiter en ville. Favoriser cet apprentissage mutuel serait également un bon point de départ.
Le sénateur Christmas : Merci, madame Gordon.
La sénatrice McPhedran : Madame Gordon, j’aimerais savoir ce que vous pensez du leadership exercé par les femmes dans l’état actuel des choses, particulièrement dans le contexte de l’établissement d’une relation de nation à nation et des accords qui doivent être conclus.
Je tiens à souligner, avec toute mon admiration et mon appréciation, le leadership dont ont fait montre les femmes, dont vous faisiez partie, qui ont fondé Idle No More. Dans quelques semaines, notre comité va accueillir la Dre Carolyn Bennett, ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord pour discuter du projet de loi S-3, dont le titre indiquait au départ qu’il visait l’élimination des injustices fondées sur le sexe en matière d’inscription dans le contexte de la Loi sur les Indiens. Les choses ont toutefois changé depuis. Il a finalement été adopté sous la forme d’une loi donnant suite à l’arrêt Descheneaux au Québec, un cas bien particulier.
Bien des gens ont des réserves quant à cette loi dans la forme où elle a été adoptée. Avec son objectif d’éradication des iniquités, elle va plus loin que l’arrêt Descheneaux, mais aucun échéancier n’est établi. On ne fait qu’énoncer cet objectif.
Je ne sais pas si vous pourriez nous dire comment vous entrevoyez l’avenir pour ce qui est de l’inclusion des femmes au sein des cercles de leadership. Je serais également intéressée de savoir ce que vous pouvez nous dire au sujet du leadership des jeunes.
Mme Gordon : Tout part des femmes. J’ai vu leur leadership prendre de l’ampleur au cours des dernières années alors qu’elles ont exercé une emprise de plus en plus grande sur le pouvoir.
Bien des gens semblent vouloir se tourner vers les hommes parce que ce sont eux qui parlent le plus et qui s’expriment le plus fort. Si vous voulez vraiment vous faire une idée de ce que l’avenir nous réserve, vous devriez rencontrer nos femmes, nos grands-mères, nos tantes et nos jeunes filles. Notre instinct naturel nous amène à soutenir nos jeunes et à faire le nécessaire pour la pérennité des prochaines générations. En rencontrant ces femmes, vous obtiendrez beaucoup plus de réponses à vos questions qu’en vous adressant à certains de ces hommes.
J’adore nos hommes. J’apprécie vivement tout ce qu’ils ont fait et continuent de faire pour nous et pour assurer notre protection, mais il y a trop longtemps déjà que l’on se tourne systématiquement vers eux lorsqu’on a besoin de conseils. Parlez plutôt aux femmes, aux grands-mères, aux tantes et aux jeunes filles. Si l’on veut connaître le point de vue des gens dans les collectivités, il n’y a rien de mieux que de commencer par réunir les grands-mères et les mères.
Je ne veux pas trop m’avancer. Les voix de nos femmes sont tout ce qu’il y a de plus sacré. Il faut d’abord que vous fassiez l’effort d’aller vers elles.
Les autres sénateurs voulaient savoir comment rencontrer les gens de la base pour amorcer un dialogue. Je leur dirais de commencer avec les femmes. Je me rends compte, surtout maintenant que vous m’avez posé la question, que c’est à elles que vous devez parler, à ces femmes dans les communautés, les tantes, les kôhkoms.
La sénatrice McPhedran : Puis-je vous demander de répondre à ma question concernant le projet de loi S-3 visant l’élimination des iniquités dans la Loi sur les Indiens, surtout en ce qui a trait à l’inscription? Est-ce un sujet de conversation entre les femmes autochtones ou au sein de votre conseil?
Mme Gordon : Nous le ressentons au quotidien. C’est dans la façon dont on nous impose tout cela, le mode de sélection de nos dirigeants et la crainte que les enfants de ma petite-fille n’aient pas le statut d’Indien. Je ne suis pas certaine que vous ayez vraiment posé une question, alors je ne sais pas trop ce que vous voulez savoir. Reste quand même qu’un dialogue s’impose. Tous les projets de loi qui sont présentés nous amènent à nous poser de sérieuses questions, surtout lorsque le sort des prochaines générations est en cause. Il est primordial que nous puissions discuter de toutes les mesures pouvant toucher nos gens, surtout lorsque notre statut et notre identité sont mis en péril.
La sénatrice McPhedran : Je vais essayer de poser ma question plus clairement. Je voulais savoir s’il y avait au sein de votre comité et de votre conseil des discussions au sujet de cette nouvelle loi qui vise l’élimination des iniquités fondées sur le sexe dans le processus d’inscription de la Loi sur les Indiens.
Le gouvernement s’est notamment engagé à vous consulter, et il devrait donc y avoir un processus de consultation en cours actuellement. En avez-vous entendu parler? Est-ce que l’on a communiqué avec votre conseil? Est-on entré en contact avec des femmes d’influence — que ce soit vous ou quelqu’un d’autre — concernant le projet de loi S-3?
Mme Gordon : Nous avons des échanges informels relativement à tous les projets de loi qui sont présentés. Je n’ai pas beaucoup entendu parler du projet de loi S-3, peut-être parce que les organisations chargées de transmettre l’information et de faciliter ces échanges ne remplissent pas leur rôle. Il est également possible qu’elles l’aient fait, mais que cela m’ait échappé.
Nous avons bel et bien des discussions à ce sujet, et ces préoccupations sont effectivement soulevées à la table du conseil, de même qu’avec les femmes que je rencontre de temps à autre.
La présidente : J’aurais une question supplémentaire à poser dans le même ordre d’idées.
Madame Gordon, vous avez dit qu’il fallait parler aux grand-mères, aux tantes et aux mères. Suivant nos modes de gouvernance traditionnels, quel serait le rôle joué par les femmes? Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet? À mon sens, nos sociétés étaient davantage matriarcales et l’on pouvait bien sûr bousculer l’ordre des choses en se débarrassant des femmes. Elles quittent la communauté lorsqu’elles se marient et la société est ainsi déstabilisée. Pouvez-vous nous dire ce qu’il en est? Comment entrevoyez-vous l’évolution du rôle des femmes dans le cadre de ce mode traditionnel de gouvernance qui vient d’être rétabli?
Mme Gordon : Je ne sais pas si c’est le cas pour l’ensemble des Premières Nations ou sur toute l’île de la Tortue, mais je peux vous dire que les femmes ont toujours pris une grande partie des décisions. Ce sont elles qui orientaient le leadership exprimé par les hommes. Une grande partie des décisions devraient donc être prises par les femmes — les tantes et les grand-mères — car ce sont elles, comme je l’indiquais, qui connaissent les besoins de nos familles. Il faut assurer l’avenir des prochaines générations, une volonté qui s’inscrit dans notre instinct de femme. Nous devrions donc effectivement avoir un rôle important à jouer.
La présidente : Merci.
La sénatrice Raine : Je vais continuer dans la même veine, car je conviens avec vous que le leadership des femmes a été quelque peu mis de côté. Nous avons l’Association des femmes autochtones du Canada, l’AFAC. Nous pouvons seulement avoir un nombre limité d’organisations nationales, et nous voulons connaître le point de vue des tantes, des grand-mères et de toutes ces femmes dans les collectivités. Est-ce que cela peut se faire par l’entremise de l’AFAC, ou avons-nous besoin d’une nouvelle structure?
Mme Gordon : Peut-être que cette organisation a un rôle à jouer actuellement et qu’elle poursuivra ses efforts à l’avenir, mais j’ai, pour ma part, toujours cherché à faire entendre la voix des gens de la base. Je ne connais pas beaucoup cette association. Je n’ai pas eu de contacts avec ces gens-là, mais je sais qu’il faut être présent sur le terrain pour entendre sur place ce qu’ont à dire les différents membres de la collectivité. Une grande partie de ce message est perdue lorsqu’il est transmis par l’entremise de différentes organisations territoriales ou nationales.
La sénatrice Raine : Dans un scénario idéal d’autonomie gouvernementale, vous souhaiteriez que l’on revienne au mode traditionnel de leadership où les voix de la base pouvaient être entendues?
Mme Gordon : C’est une possibilité, parallèlement à une forme quelconque de structure administrative — il y a actuellement un chef et un conseil — ou à un nouveau mode de sélection des dirigeants chargés d’administrer les différents dossiers. Il faudrait alors miser sur les modes traditionnels de gouvernance et de prise de décisions, que ce soit par les mères, les clans ou les différents groupes se coalisant.
Je ne peux pas parler au nom de toutes les Premières Nations sur l’île de la Tortue, mais cela fait partie des concepts et des idées que j’ai pu entendre depuis que j’ai participé à la fondation du mouvement Idle No More. J’ai pu entendre bien des points de vue, dont une grande partie en faveur du rétablissement de ces formes traditionnelles de gouvernement que plusieurs considèrent comme la voie à privilégier pour l’avenir.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : Madame Gordon, la dernière portion de votre réponse à ma question de tout à l’heure m’incite à vouloir en apprendre un peu plus. Vous avez indiqué faire partie du conseil ou du comité de la justice au sein de votre collectivité. Je serais curieuse de savoir comment les choses se passent, car il existe bel et bien des dispositions permettant le financement de ce genre d’instances, mais les collectivités n’ont guère accès à cette forme d’aide en raison des politiques établies pour les services correctionnels.
Dans quelle mesure êtes-vous informés du financement disponible et des possibilités de contestation d’une incarcération? Les détenus fédéraux sont assujettis à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui permet aux collectivités autochtones de prendre des dispositions afin qu’un prisonnier puisse purger sa peine dans la collectivité ainsi que des mesures d’intégration au moment de sa libération conditionnelle. Dans quelle mesure votre comité de la justice est-il informé de ces possibilités?
Mme Gordon : Je sais qu’il y a des programmes fédéraux. Quant à l’information qui nous est transmise, j’ai dû m’atteler moi-même à la recherche de sources de financement. On ne nous indique pas directement que nous pouvons présenter une demande dans le cadre de tel ou tel programme ou que d’autres sources de financement pourraient être accessibles. En tant que conseillère, j’ai beaucoup à faire pour m’occuper de nos membres, mais je dois tout de même dénicher les programmes de subventions pour lesquels nous devrions soumettre des propositions. La recherche de ces possibilités de financement me prend beaucoup de temps que je pourrais consacrer à ma famille et à ma collectivité.
Je dirais donc que cette information ne nous est pas transmise de façon suffisamment claire et systématique. C’est ce que je voudrais que l’on fasse, non seulement pour moi, mais aussi pour l’ensemble des collectivités. Il nous faut plus d’information et un soutien mieux adapté à nos besoins.
Nous nous réunissons également pour former un autre groupe que nous appelons l’alliance pour la justice. Cette alliance regroupe les gens de la collectivité de File Hills Qu’Appelle dont certains font partie du conseil tribal et d’autres occupent des postes de direction en vertu de la Loi sur les Indiens. Cette alliance s’emploie à dégager une vision et des objectifs à atteindre.
Il s’agit en grande partie de pouvoir compter sur son propre système judiciaire, ses propres tribunaux et ses propres structures pour décider du sort de ceux qui font l’objet d’accusations. Ils se présentent devant notre tribunal et nous faisons le nécessaire. Nous essayons de les aider, plutôt que de les abandonner à leur sort dans le système judiciaire et les pénitenciers, une approche qui n’a jamais produit de bons résultats pour eux. Vous n’avez qu’à regarder les taux d’incarcération.
Nous étudions une nouvelle approche pour la prévention et l’application des lois, et c’est l’alliance pour la justice de File Hills Qu’Appelle. Si vous voulez de plus amples renseignements sur cette initiative, vous n’avez qu’à communiquer avec moi par courriel ou par téléphone. Vous pouvez même envoyer quelqu’un participer à l’une de nos réunions.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Si vous étiez ici, je vous laisserais ma carte de visite, mais je vais assurément obtenir vos coordonnées pour communiquer avec vous.
Mme Gordon : Nina n’a pas été capable d’obtenir la connexion, mais elle m’a fait parvenir un texte qu’elle voudrait que je vous lise, si vous me le permettez.
La présidente : Je vous en prie.
Mme Gordon : Je vous lis son texte :
Dis-leur en mon nom qu’il faut respecter les traités originaux et éviter de prendre quelque décision que ce soit concernant la désignation des terres sans avoir véritablement consulté les gens concernés. Sinon, ces derniers seront nombreux à faire les frais de ces décisions.
Nous ne consentons à aucun développement sur nos terres qui serait autorisé directement par les chefs désignés en vertu de la Loi sur les Indiens. Si l’on veut vraiment consulter nos gens, il faut mettre en place les mesures de soutien et les ressources nécessaires pour éliminer les obstacles qui les empêchent maintenant de s’exprimer.
Même quelque chose qui peut paraître aussi simple qu’une téléconférence peut devenir très complexe pour ceux qui vivent dans une réserve.
Alors que je répondais aux questions qui m’étaient adressées tout à l’heure, je me suis rendu compte que Nina Wilson avait perdu la connexion et ne pouvait plus participer à la séance. J’espérais vivement qu’elle puisse rétablir cette connexion, car son point de vue peut être extrêmement éclairant. Ce n’est malheureusement pas ce qui est arrivé. J’aurais bien aimé que vous puissiez bénéficier de ses vastes connaissances, mais cela témoigne bien de notre réalité. Elle vit dans une réserve et sa connexion Internet est déficiente.
J’ai six enfants et un petit-enfant, et je dois maintenant me rendre à un cours pour lequel je vais être en retard. Je suis heureuse d’avoir pu me lever à 6 heures ce matin pour être prête à comparaître devant votre comité permanent à 7 heures. Compte tenu de tous ces efforts que doivent consentir les femmes de nos collectivités, j’ose toutefois espérer que votre comité, qui représente le gouvernement du Canada, pourra un jour nous rendre la pareille en venant nous visiter.
Ce serait une démarche très importante qui témoignerait d’un grand respect et de la volonté de votre gouvernement de travailler avec nous. J’espère donc que si vous avez besoin d’indications supplémentaires de notre part quant à la forme que devraient dorénavant prendre nos relations, vous allez vouloir faire le suivi en venant nous rencontrer sur notre territoire. Nina et moi vivons dans le territoire visé par le traité no 4. Ce serait peut-être un bon départ. Si vous souhaitez discuter des perspectives d’avenir, nous pourrions réunir de nombreux chefs de file locaux. Si vous voulez établir une véritable relation, les possibilités sont là. Elles l’ont toujours été. Il s’agit simplement de renouer les liens.
La présidente : Merci beaucoup, madame Gordon. Nous avons bien reçu votre invitation à aller rencontrer vos gens sur leur territoire. Je suis désolée que vous ayez à partir, car je suis persuadée qu’il y aurait eu d’autres questions. Nous vous sommes reconnaissants pour le temps que vous nous avez consacré, et nous essaierons de voir auprès de Nina Wilson s’il pourrait être possible d’établir la connexion avec elle à une autre occasion.
Je vous remercie donc, au nom de tous mes collègues sénateurs, d’avoir bien voulu participer à notre séance d’aujourd’hui.
(La séance est levée.)