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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 38 - Témoignages du 23 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 23 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 47, pour poursuivre son étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonsoir. Tunsi.

[Traduction]

Bonsoir. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous les sénateurs et à tous les citoyens qui suivent cette séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, que ce soit ici dans la salle ou sur le Web.

Pour le bien de la réconciliation, je tiens à souligner que nous sommes réunis sur les terres traditionnelles non cédées du peuple algonquin.

Je m’appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan et j’ai l’honneur de présider cette réunion.

J’invite maintenant mes collègues à se présenter.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l’Ontario.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba.

Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace, du Nouveau-Brunswick.

La présidente : Merci, chers collègues.

Avant de commencer, je voudrais savoir si vous êtes d’accord pour que les employés de la Direction des communications soient autorisés à prendre des photos pendant la séance.

Des voix : D’accord.

La présidente : Merci, chers collègues. Nous sommes d’accord.

Ce soir, nous poursuivons la phase 2 de notre étude, afin d’imaginer ce à quoi pourrait ressembler une nouvelle relation entre le Canada et les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Aujourd’hui, nous nous entretenons avec Jacquelyn Cardinal, une femme d’affaires autochtone que nous avons déjà rencontrée lors de l’événement « Vision autochtone au Sénat » qui a eu lieu l’an dernier. C’est un plaisir de vous revoir, madame.

Vous avez la parole. Ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs.

Jacquelyn Cardinal, à titre personnel : Merci encore de m’avoir invitée à revenir témoigner. L’expérience de l’été dernier a été merveilleuse et je suis ravie d’être ici pour prolonger la conversation. Merci encore.

Je vous transmets les salutations des gens du territoire du traité no 6 de la ville d’Edmonton ainsi que de la Première Nation crie de Sucker Creek sur le territoire du traité no 8, qui est la terre traditionnelle de mon peuple, les Sakawithiniwaks.

Lorsque j’avais 25 ans, j’ai posé la question suivante à un aîné : comment puis-je savoir si j’agis de la bonne manière? Je m’étais posé cette question pendant la majeure partie de mes années de jeunesse.

Ma famille a une longue histoire de grands leaders qui ont apporté d’immenses changements. J’en ai toujours ressenti une grande fierté, mais cette fierté était assombrie par mon angoisse à l’idée de prendre par mégarde la mauvaise voie ou de mauvaises décisions et de gâcher ainsi ces sacrifices et ces réalisations.

J’avais déjà posé cette question à d’autres personnes. Parfois, on me répondait ceci : « Ne t’en fais pas; tu trouveras le rôle qui te revient. » Parfois, on me disait plutôt ceci : « Qui donc te dira ce qui est bien? » Enfin, certains me lançaient ceci : « Dis donc, Jacq! Tu es si jeune. Relaxe un peu. »

Mais tandis que je m’asseyais en cercle en compagnie de cet aîné et d’autres jeunes, j’espérais recevoir une réponse qui allait sinon effacer ma peur, du moins l’atténuer un peu. Il existait peut-être une cérémonie grâce à laquelle je pourrais voir ce qui adviendra plus tard. Après tout, mon nom, Flying White Eagle, qui signifie « l’aigle blanc qui vole », porte l’histoire d’une ancienne grand-mère qui voyage dans l’avenir. Le concept même de l’avenir réside dans mon esprit. Je me suis donc dit que mon appréhension ne pouvait que provenir d’un manque de connaissances.

« Ce qui vous échappe peut-être, m’a-t-il dit, c’est que, en tant qu’Autochtone de votre génération, il est possible que vous ayez l’impression de marcher seule sur des ponts entre les mondes. Dans votre marche, vous risquez de ne rencontrer personne pendant de longues périodes de temps; cela ne signifie pas que vous soyez perdue ou que vous vous trouviez au mauvais endroit. Vous êtes sur la bonne voie. Les anciens ont bâti ces ponts; bon nombre d’entre nous — les malades et les blessés — se sont égarés et ne les ont pas encore retrouvés. » Il me regardait d’un air compréhensif. « Vous arrivez tôt, voilà tout. »

Pour tenter d’aborder le sujet de cette audience du comité avec une certaine hauteur de vue, je n’ai de vision plus claire d’un avenir idéal pour moi et pour mes descendants que celle de ces ponts anciens, larges et solides. Ces ouvrages ne seraient pas seulement des lieux de rencontre où les gens se serreraient la main avant de se retrancher dans leur propre monde. Ils permettront à tout le monde de s’aventurer de l’autre côté, afin de visiter l’autre, de l’écouter et d’apprendre de lui, avant de rentrer chez soi complètement transformé.

Les enfants des deux côtés, qui possèdent la force des deux peuples, prennent soin de ces ponts. L’ouvrage demeure propre et sécuritaire; c’est un endroit auquel on revient lorsque l’on est dans le besoin ou que l’on a quelque chose à célébrer. Nos ponts sont une partie de nous-mêmes. Grâce à eux, nous marchons la tête haute.

Comment cette vision de l’avenir peut-elle devenir réalité?

Je suggère humblement au comité d’examiner une question parallèle à celle qui fait l’objet de votre étude. Il s’agit d’entreprendre un processus qui permettra de jeter les bases de relations durables de nation à nation et, en reposant sur de véritables fondations autochtones, créera toutes les conditions nécessaires au progrès. Aujourd’hui, je souhaite décrire ce processus parallèle, son fonctionnement ainsi que son importance pour l’accomplissement de vos desseins.

Selon moi, nous devons d’abord comprendre que, pour établir un ensemble de relations saines de nation à nation, il n’est pas nécessaire d’inventer quelque chose de neuf. Ce que nous souhaitons, en fait, c’est la résurgence d’une relation parallèle particulière qui, à l’origine, était comprise dans l’esprit et l’intention des traités conclus entre les nations autochtones de l’île de la Tortue — avant les contacts avec les Européens — et dans les accords conclus lors des négociations de nos traités contemporains entre les nations autochtones et la Couronne. Cette relation est profondément enracinée dans la paix, l’amitié et la compréhension mutuelle. Elle nous aide à évoluer en tant que peuples souverains et dynamiques qui naviguent ensemble sur le fleuve de la vie.

Les traités conclus avant l’arrivée des Européens n’avaient pas pour objectif de forger une vision précise de l’avenir. Ils visaient plutôt à renforcer un code d’éthique fondé sur l’importance d’une relation devant permettre aux membres des générations futures, dont le regard porterait plus loin que l’horizon du présent, de prendre des décisions appropriées en fonction de leur propre interprétation des anciens principes directeurs appliqués à l’avenir de façon dynamique. Les gens de l’époque prenaient très au sérieux leur rôle de gardiens de la terre, de ses principes directeurs, ou du droit naturel autochtone dérivé de la terre. Ils croyaient aussi qu’il leur incombait de transmettre à leurs enfants et à leurs petits-enfants une connaissance profonde de ces enseignements fondamentaux afin qu’ils soient prêts à relever les défis de leur époque.

En d’autres termes, selon mon peuple, notre existence se déploie dans une pluralité temporelle; l’avenir ne nous appartient pas. D’après les enseignements de nos aînés, si nous outrepassons ces limites, cela signifie que nous prétendons en savoir plus long sur l’avenir que nos descendants.

Nous avons besoin d’une méthode radicalement différente pour établir les relations de nation à nation, une méthode qui n’épouse pas une trajectoire linéaire, axée sur la production, mais plutôt une trajectoire circulaire, centrée sur les processus et sur les valeurs. Au lieu d’essayer de tout recommencer à neuf, je crois qu’il vaut mieux, pour y arriver, faire usage des lois naturelles autochtones qui ont soutenu de tels systèmes par le passé.

Avec mon entreprise, Naheyawin, je travaille beaucoup à induire des changements dans la manière dont les non-Autochtones conçoivent l’établissement de relations avec les peuples autochtones. Pour ce faire, mon frère et partenaire d’affaires Hunter Cardinal et moi-même cherchons continuellement à parfaire notre compréhension des lois naturelles en approfondissant les mythes et la langue de notre peuple. Cette approche s’est révélée très utile, car on chercherait en vain dans la culture occidentale des méthodes cohérentes pour établir les types de relations que nous envisageons. Il y a trois lois en particulier qui, à mon avis, pourraient fournir une orientation à notre étude. J’aimerais vous en faire part aujourd’hui.

J’ai mentionné la première loi naturelle lors de mon précédent témoignage devant le comité. Il s’agit de wahkohtowin, une notion qui signifie « parenté ». Cette loi détermine la façon dont nous nous situons dans le contexte des systèmes interconnectés qui forment notre univers. Il s’agit d’une loi importante pour la conceptualisation des relations d’un point de vue autochtone. Elle nous rappelle que toutes nos relations, y compris les relations de nation à nation, se déploient de bas en haut à partir du soi, puis à travers nos familles, nos communautés, nos nations et le monde naturel et spirituel.

Ensuite, pour créer ces relations de nation à nation, nous devons établir une bonne compréhension mutuelle grâce au concept de nistotomuk. D’après nos recherches, notre peuple utilisait ce mot avant d’apprendre le mot anglais « treaty », qui signifie « traité ». Le préfixe « nisto » renvoie au chiffre 3, car toute relation solide comprend trois éléments et trois étapes de développement. Premièrement, il faut comprendre le contexte de notre interconnexion à toutes les choses existantes. Deuxièmement, il faut développer une reconnaissance de soi. Troisièmement, il s’agit de faire des recherches et d’acquérir des connaissances sur l’autre avec compassion. Plutôt que d’adopter trop hâtivement une perspective extérieure, on développe une compréhension profonde de toutes les parties de la relation que l’on souhaite construire, car nous croyons, comme Ludwig Wittgenstein, que « Comprendre, c’est savoir quoi faire. »

La troisième — et dernière — loi naturelle indique comment rester concentré dans cette lutte, parce que l’établissement de relations profondes est un travail très difficile. Nous faisons référence au sakiyatuk. Le sens premier de ce terme est « s’aimer les uns les autres », mais le mot porte des enseignements beaucoup plus profonds. « Saki » signifie « grandir »; cette notion vient de l’observation de la manière dont notre Terre mère prend soin de tout en permettant aux plantes de croître. Ce terme est au fondement de notre mot « amour », « sakihitowin ». Selon l’aîné qui nous a transmis cet enseignement, la loi nous aide à comprendre que nous avons reçu cette vie pour honorer tous ceux qui nous entourent, les humains comme les non-humains. Nous témoignons de cette compréhension en trouvant la joie dans le fait de faire partie de l’univers au fur et à mesure qu’il grandit et qu’il change avec nous. Tout acte de croissance est un acte d’amour.

J’étais très enthousiaste à l’idée d’être invitée de nouveau à participer à cette étude. J’ai beaucoup appris grâce à ce processus. J’ai réfléchi profondément aux questions qui nous ont été posées l’été dernier, à moi-même et aux autres jeunes leaders. J’ai essayé de dégager des pensées qui pourraient vous être utiles à tous. C’était une expérience très marquante que de mettre au jour le quotidien d’une jeune femme autochtone urbaine qui a un penchant pour l’entrepreneuriat, la technologie et les communications et de déterrer des racines profondes — pas seulement les miennes, mais aussi celles qui sous-tendent les relations de nation à nation que nous tous ici présents sommes déterminés à redynamiser.

Je crois que cette expérience m’a donné un aperçu du processus parallèle qui fait défaut, un processus qui nous laisse libres de nous comprendre d’abord nous-mêmes, en approfondissant nos propres systèmes, afin de trouver la sagesse et l’orientation dont nous avons besoin, selon nos propres méthodologies, sans les contraintes qui caractérisent si souvent nos vies quotidiennes. Au lieu de nous concentrer uniquement sur notre douleur, nous nous libérons de ces limites qui, bien qu’elles se fondent sur de bonnes intentions, restreignent notre capacité à faire usage des outils que nos ancêtres nous ont légués de ce côté-ci de l’horizon.

Il s’agit d’un aperçu des peuples autochtones de toutes les époques, dans leurs propres communautés, qui révèle les lois autochtones régissant les relations de ces peuples et les anciens processus de conclusion de traités. Ce faisant, nous renouons avec l’antique sagesse qui sous-tend ces lois. Cet enracinement fournit une force à partir de laquelle nous pouvons parler avec les peuples non autochtones pour chercher une véritable compréhension mutuelle. Grâce à cette compréhension, nous pouvons nous engager dans un processus de collaboration pour garder la tête haute et décider de ce qui doit être fait pour renouveler ou établir la relation avec le gouvernement du Canada dans un cycle sans fin.

D’une certaine façon, cette idée d’un processus parallèle — ce que mon peuple pourrait appeler le processus nistotomuk — constitue un rappel qui invite à mettre de l’ordre dans certaines choses avant d’aller plus loin. En même temps, c’est une invitation à s’engager sur une voie que nous n’avons pas encore empruntée ensemble, Autochtones et non-Autochtones, en tant que véritables égaux et partenaires, en route vers un avenir que nous ne connaissons pas encore.

Si vous décidez de nous guider dans ce grand voyage — un voyage dont ma modeste expérience m’a appris qu’il était rempli de possibilités et de responsabilités —, je vous offre des paroles que l’on m’a adressées un jour et qui ont fait naître en moi une vision et un espoir pour l’avenir : « Rappelez-vous que parfois il est possible que vous ayez l’impression de marcher seule sur des ponts entre les mondes. Dans votre marche, vous risquez de ne rencontrer personne pendant de longues périodes de temps; cela ne signifie pas que vous soyez perdue ou que vous vous trouviez au mauvais endroit. Vous êtes sur la bonne voie. Les anciens ont bâti ces ponts; bon nombre d’entre nous — les malades et les blessés — se sont égarés et ne les ont pas encore retrouvés. Vous arrivez tôt, voilà tout. »

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : En ma qualité de vice-président, j’ai l’habitude de poser la première question, mais je suis encore en train de digérer votre témoignage. Je suis très heureux que vous soyez ici. J’aimerais passer mon tour et prendre la parole plus tard. Merci.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci d’être ici ce soir. J’ai beaucoup aimé votre exposé.

Ma question est la suivante : que signifient pour vous la réconciliation et la relation de nation à nation? Je vous dirai pourquoi je vous pose cette question après avoir entendu votre réponse.

Mme Cardinal : Après ma réponse? Oh, non.

J’ai constaté que beaucoup de discours sur la réconciliation portaient sur… On dirait qu’il s’agit d’une liste d’interdictions indiquant les choses qu’il faut absolument éviter de faire dorénavant, pour que nous puissions commencer à guérir, puis à progresser ensemble pour entreprendre l’établissement d’une relation de nation à nation.

Pour ma part, dans le travail que j’effectue dans mon entreprise, lorsque les gens nous appellent, ils disent souvent ceci : « Nous voulons vraiment travailler à la réconciliation. » Très bien. Alors, nous sortons le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation et nous consultons l’action n92, si je ne m’abuse. On y renvoie à la DNUDPA, mais lorsque nous lisons cette déclaration, nous constatons que les directives sont très générales.

Ce processus nous enseigne que la réconciliation est une conversation parmi beaucoup d’autres que nous devons tenir. S’il y a une conséquence fâcheuse à la réconciliation, c’est que cette conversation est si dominante qu’elle peut laisser croire que c’est la seule discussion qui vaut la peine d’être tenue. C’est frustrant. Si je ne me fonde que sur l’expérience de ma famille, de mes amis et de ma propre vie, nous sommes beaucoup plus que les produits de la douleur et de ce qui fait de nous des victimes.

Pour ma part, j’essaie vraiment d’inscrire la réconciliation dans un ensemble élargi de conversations qui doivent avoir lieu, puis je me sers de tout cela comme d’un ensemble de règles. Nous nous disons d’abord que nous allons respecter ces règles. Ensuite, nous pouvons rêver grand et progresser ensemble.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de votre réponse. Juste une brève réfutation.

Si je vous ai posé cette question, c’est qu’il semble que ce ne soit pas le cas. Les Premières Nations ne sont jamais consultées comme elles devraient l’être et elles ne sont jamais incluses dans les négociations. Pourriez-vous répondre à cette question?

Mme Cardinal : J’ai 27 ans. Je ne me sens plus si jeune. J’ai constaté que nous ne sommes qu’au début du processus. Je pense que nous devons avoir des objectifs ambitieux, nous tenir mutuellement responsables et tenir à l’œil les choses qui ne vont pas bien, tout en faisant montre d’une certaine gentillesse les uns envers les autres le long de ce chemin incertain sur lequel nous sommes engagés. Mon frère et moi, nous adoptons constamment ce cadre de pensée qui prend en considération sept générations. Voici le contexte dans lequel nous voulons nous inscrire dans 150 ou 175 ans. Nous disons cela, parce que nos aînés nous rappellent toujours à la blague que les humains ont beaucoup de mal à penser au-delà du court terme. C’est pourquoi nous devons tenir des cérémonies et adopter de tels cadres de pensée.

Selon moi, il est important de garder cela à l’esprit lorsque nous abordons des problèmes d’une telle ampleur. Même si nous aimerions tous que tout soit terminé d’ici 5 à 10 ans, je pense que ce sera en fait un long processus. En cours de route, il est important, je crois, de faire montre de gentillesse et de se tenir responsables les uns les autres.

La sénatrice Lovelace Nicholas : En 150 ans, rien de positif ne s’est produit. Je suis heureuse de voir que vous êtes certaine que quelque chose va arriver au cours des 150 prochaines années. Merci.

Le sénateur Doyle : Merci de votre présence. Vous avez parlé de favoriser le changement dans nos relations. À votre avis, devrait-on en faire plus? Le moment est-il venu de mettre sur pied un organisme de consultation national officiel — semblable, disons, à la conférence annuelle des premiers ministres — où les dirigeants fédéraux et provinciaux se réuniraient pour discuter avec un groupe défini de dirigeants autochtones et où différents organismes — des organismes de femmes autochtones, par exemple — auraient un siège? Serait-ce là une amélioration? Est-ce que cela fonctionnerait mieux que les consultations auxquelles nous participons actuellement?

Mme Cardinal : Je ne pense pas être vraiment au courant de toutes les consultations en cours, mais ça ressemble à une des nombreuses stratégies qui permettraient d’aller de l’avant. Chaque fois que vous réunissez beaucoup d’Autochtones pour parler des problèmes que nous vivons, les choses ont tendance à se faire. Ce genre de chose m’intéresse beaucoup.

J’hésite encore à définir les prochaines mesures à prendre, car en grande partie, ce que je voulais faire aujourd’hui, c’était parler des manières dont nous allons de l’avant. Je pense que de procéder par essais et erreurs exige trop d’efforts inutiles, nos ancêtres nous ayant transmis tellement de principes de base qui peuvent nous permettre d’éviter de lancer n’importe quoi au hasard pour voir ce qui tient la route.

Je préfère revenir à la façon dont nous nous assurons que les jeunes Autochtones ont accès aux principes de base qu’offre leur culture et avec lesquels ils n’ont peut-être pas ce rapport. Du fait que ma formation est dans les technologies, on pourrait se pencher sérieusement sur les moyens d’exploiter des choses telles que les chaînes de blocs et l’intelligence artificielle pour y encoder ce savoir traditionnel afin que les gens puissent avoir davantage accès à ce type de connaissances dont nous avons tous besoin, à commencer par une compréhension de type nistotomuk, terme cri qui signifie qu’il faut être soi-même solide avant de chercher à vivre en bonne entente avec autrui.

Je pense que ce processus sera partagé par tous : chacun occupera une place différente pendant la prise de parole, donc il ne s’agit pas d’attendre que tout le monde soit bien à l’aise avant de continuer de cheminer. Ce partage continuera d’opérer dans l’avenir.

Le sénateur Doyle : On nous a dit que les femmes autochtones n’ont pas un rôle suffisamment important dans les institutions autochtones, par exemple. Sont-elles consultées? Participent-elles aux décisions majeures des communautés? Quel est votre avis à ce sujet?

Mme Cardinal : Je pense que vous mettez le doigt sur quelque chose de très important. Dans ma vie, je me suis vraiment efforcée de trouver des meneuses autochtones sur lesquelles prendre exemple et suivre sur une voie déterminée. Bien souvent, on a l’impression qu’il y a deux ou trois personnes devant soi, et c’est à peu près tout ce qu’on sait et il faut espérer qu’on fait ce qu’il faut.

Dans bon nombre de nos modes traditionnels d’organisation des communautés, ce sont généralement les femmes qui en constituent en fait le pivot. Ce qui se passe, c’est encore une fois le vestige du long processus de colonisation qui nous enlève la possibilité de faire participer davantage les femmes à nos discussions.

C’est pourquoi je dis que si nous étions plus branchés sur les modes autochtones d’organisation et de gouvernance, nous serions probablement en mesure de nous présenter sous un jour, qui refléterait nos racines et nous n’aurions pas autant le genre de problèmes où il faut se battre pour s’assurer que les femmes soient entendues, que les jeunes soient également entendus, que les aînés soient entendus, et nous aurions un point de vue beaucoup plus diversifié sur ce qui est vraiment en train de se passer.

La sénatrice McPhedran : Jacquelyn, c’est un plaisir de vous revoir.

Mme Cardinal : Merci de m’avoir invitée.

La sénatrice McPhedran : Je suis heureuse que nous ayons un peu plus de temps pour discuter.

Arrêtez-moi si la question vous semble trop personnelle, mais j’aimerais savoir quels changements vous avez connus en tant que femme d’affaires autochtone, et si vous pouviez nous faire part d’au moins un temps fort positif et un temps fort négatif sur votre parcours en tant que femme d’affaires autochtone relativement jeune.

Mme Cardinal : C’est une question géniale. C’est vraiment intéressant, parce que j’ai parlé à d’autres femmes autochtones qui pensent la même chose. Notre genre est presque secondaire par rapport à qui nous sommes. Nous sommes donc d’abord des Autochtones, puis des femmes. On m’a demandé à quelques reprises de participer à des balados pour interviewer des femmes dans le milieu des affaires et je me surprenais alors à penser que j’avais oublié que j’étais une femme.

J’essaie de prendre part à ces échanges où il n’est pas du tout question des Autochtones, à moins que je ne soulève moi-même la question, et c’est alors axé sur mon genre. C’est vraiment bizarre de presque oublier que c’est ça qui se passe.

En fait, j’ai eu l’immense honneur, le mois dernier, de recevoir le prix Esquao dans la catégorie entreprise; c’était la première fois que je recevais un prix où mon âge n’avait pas d’importance, alors je me suis dit que j’avais enfin réussi.

C’était incroyable d’être dans une salle remplie de femmes qui s’entraident et qui accomplissent des choses sensationnelles en tant que femmes autochtones soutenues par des femmes autochtones. C’était assez étonnant à voir.

L’apparition de ce genre d’événements, c’est vraiment excitant. Je sais que les prix Esquao existent depuis un bon moment en Alberta, mais ces dernières années, si j’ai bien compris, leur popularité a grandi. C’est vraiment sympa de souligner les réalisations de femmes et de prendre le temps de le faire. Je pense que c’est une chose importante qu’il faut répéter plus souvent.

J’ai pu le constater. Je sais que c’est difficile pour moi parce que ma brève carrière ne me permet d’affirmer des généralités que sur la base de trois ou quatre ans d’existence, en fait.

J’ai effectivement vu que, dans une salle de conférence pleine de gens qui prennent des décisions, j’aurai le sentiment de vouloir reculer et de refuser de m’avancer et de prendre part au processus décisionnel au début. Je découvre que les hommes autochtones autour de la table sont plutôt ceux qui préconisent notre participation. Je trouve cela également intéressant. Je pense que les hommes autochtones commencent à voir que c’est quelque chose dont ils peuvent vraiment faire partie pour aller de l’avant.

Il y a la campagne Moose Hide contre la violence faite aux femmes. Beaucoup d’hommes autochtones — je pense que c’est la règle maintenant, et non pas l’exception où les hommes ne sont pas impliqués ou ne sont pas au courant de cette campagne. Il y a un véritable point de ralliement autour du sort des femmes, sur le plan des réalisations et aussi en affaires.

Oui, ce fut intéressant pour moi de découvrir que je suis à ce carrefour et que je suis vraiment en mesure de me remettre en cause et de trouver ce que je peux faire pour vraiment faire partie de la solution moi aussi. Je fais tout mon possible pour essayer de rencontrer les jeunes Autochtones, et plus particulièrement les femmes, afin de les encourager à se lancer en affaires. Je pense que, souvent, c’est perçu comme une sorte d’espace réservé aux hommes, ce qui est vraiment malheureux, rendant son accès encore plus difficile, du fait qu’il n’y a pas beaucoup d’Autochtones en affaires, du moins dans les industries que je fréquente.

Oui, cela m’encourage et j’essaie de faire partie de cette solution. Plus nous profiterons de ces occasions pour célébrer nos femmes et leurs réalisations, plus nous irons dans la bonne direction.

La sénatrice McPhedran : Je crains un peu de refroidir votre ardeur, mais ma question comportait un deuxième volet, lequel concernait, si vous voulez, le fait de nous faire part d’une expérience particulièrement difficile ou négative que vous avez vécue et ce que vous diriez avoir appris dans les circonstances et aussi s’il faut nous-mêmes en tirer une leçon.

Je ne parle pas seulement de votre vie de femme d’affaires, mais de votre situation en tant que jeune femme leader également.

Mme Cardinal : C’est une bonne question! Je trouve que je suis optimiste et positive, avec opiniâtreté quasiment.

Mon frère, Hunter, est mon partenaire d’affaires et il arrive que je lui dise, face à une assemblée, de lire un mot que je lui glisse parce que je sens que, si c’était moi qui le disais, ce ne serait pas aussi bien reçu. Il a de plus l’avantage d’être un comédien génial, ce qui en fait également un orateur hors pair.

Souvent, il arrive que j’éprouve le sentiment que, pour que les changements que nous essayons d’apporter aient les meilleures chances d’être effectivement envisagés, il faut que je lui demande d’intervenir à ma place. C’est en travaillant avec mon frère que j’ai vu qu’il y a des moments où les portes s’ouvrent beaucoup plus aisément pour lui que pour moi.

Je pense que c’est le même genre d’attente que j’avais, alors que mon parcours de femme d’affaires et d’entrepreneure était plutôt tortueux, même si c’était moi la gosse, qui vendait de la limonade à un jeune âge et qui organisait des ventes-débarras, genre eBay, pendant son secondaire. Très tôt, j’ai montré des signes de compétence à occuper une place dans cet espace, mais pour une raison quelconque, je n’ai pas vu que c’était quelque chose que je pouvais faire.

Je pense que d’autres personnes vivent la même expérience et qu’elles voient le même horizon que moi. « On accorde plus de valeur à la parole d’un homme, elle correspond plus à l’idée qu’on se fait du savoir autochtone. »

J’ai vraiment eu de la difficulté à trouver des histoires qui parlent des femmes autochtones. Je cite souvent des histoires qui renvoient à la légende de l’Aigle blanc ou qui sont un peu plus contemporaines. Par ailleurs, il y a plein d’histoires d’hommes très forts et cela complique drôlement les choses. Je ne me rendais pas compte à quel point il serait difficile ou ambitieux d’essayer de faire de grandes choses quand tu n’as pas autant de modèles de ce super héros qui emprunte cette voie. Je pense que ces histoires sont très importantes.

Je ne crois pas que ces histoires soient perdues. Je pense qu’il y a beaucoup d’histoires qu’il reste à écrire. Beaucoup d’aînés disent qu’il y a des chansons, des cérémonies et des histoires qu’il faut concevoir pour faire face aux défis de son temps. Je pense que c’est aussi un appel à l’action.

Il y a certainement un vide à combler. Souvent ma journée s’écoule avec un sentiment de vide étrange. Je suis convaincue qu’il y avait là quelque chose qui n’existe plus. Je ne sais pas de quoi il s’agissait, mais je connais sa forme. Les histoires qui parlent des femmes sont une des choses qui manquent, et je pense que c’est une chose dont je n’ai pas beaucoup entendu parler. Encore une fois, je crois que c’est dû à une réelle hésitation à critiquer; on connaît ses besoins, mais on ne sait pas comment demander qu’ils soient comblés. On semble difficile à satisfaire, étant donné tous les efforts déployés pour maintenir et sauvegarder ce que nous avons.

Je ne sais pas si cela vous aide.

La sénatrice McPhedran : Oui, énormément.

La sénatrice Boyer : Merci d’être venue, Jacquelyn. Je suis heureuse de vous rencontrer.

Ce dont vous parlez, c’est d’un point de départ pour le changement et d’une approche conjointe qui prendrait en compte le droit naturel autochtone qui a ses origines dans la terre, les animaux et la nature qui nous entoure.

Vous avez l’avantage d’avoir la communauté pour vous guider. Vous avez vos aînés pour vous guider. Qu’en est-il des Autochtones qui vivent en ville ou en milieu urbain et qui ne sont pas autant en lien avec leur communauté? Quels conseils auriez-vous à nous donner sur la façon de mettre en œuvre cette approche conjointe qui s’appuie sur les lois naturelles?

Mme Cardinal : J’ai essayé de trouver le bon mot pour désigner le processus que je propose. J’ai envisagé le terme « approche conjointe », mais je l’ai écarté parce qu’il ne s’agit pas de concevoir une chose ensemble, mais d’essayer de tirer parti du fait qu’il peut y avoir des cheminements parallèles dans la même direction, toujours avec l’idée de traité, où chacun travaille ce sur quoi il doit travailler et aide l’autre à descendre le fleuve de la vie que nous empruntons ensemble. La coopération sur tout et en tout temps n’est pas obligatoire. Je pense qu’il y a des endroits où des ponts seront bâtis naturellement.

Pour ma part, je reviens au wampum à deux rangs, parce que ça m’aide à réfléchir. C’est l’idée du bateau et du canot qui descendent le fleuve de la vie. Il y a du travail à faire tant sur le bateau que sur le canot. Il y a aussi du travail à faire l’un envers l’autre pour nous assurer de maintenir notre relation ainsi que notre souveraineté et notre autonomie. Ce que nous devons faire comprend trois parties.

Ce n’est pas tout à fait de la création ou de la conception en commun. Il s’agit plutôt de voir s’il ne serait pas possible de garder ces parties à part et de convenir que de multiples choses doivent être réalisées.

Cela étant dit, si je comprends bien votre question, vous parlez du travail qui doit être fait sur le canot.

La sénatrice Boyer : En effet. Comment mettriez-vous cela en œuvre en tant qu’Autochtone vivant en milieu urbain?

Mme Cardinal : C’est mon cas, donc c’est parfait. Il y a un petit problème au niveau de l’offre et de la demande. En règle générale, « On ne nous donne pas comme devoir d’aller consulter notre grand-mère pour qu’elle nous indique quelles sont les lois naturelles autochtones. » Cela n’arrive tout simplement pas.

L’apprentissage d’une langue comporte beaucoup de choses extrêmement importantes. Mon entreprise s’appelle Naheyawin, qui est en fait une forme abrégée de Nehiyawewin, le mot cri qui désigne la langue crie. Il faut prendre cette dénomination au pied de la lettre parce qu’il est question de langue; nous croyons qu’un peuple qui perd sa langue n’a pas de mémoire, donc il est très important de comprendre sa langue.

Poser des gestes, tel qu’apprendre sa langue est très important, mais on n’exerce pas de pression suffisante sur le peuple autochtone pour qu’il comprenne que c’est là une chose qu’il faut récupérer, parce que c’est utile et que ça aidera non seulement les Autochtones, mais aussi le Canada à aller là où nous voulons qu’il aille. Si un appel était lancé et qu’il était prioritaire pour nous de concevoir deux voies faisant partie d’un processus qui doit aboutir, un tel geste ferait partie de la solution. Voilà une partie de l’équation.

Il y a le problème de l’offre et de la demande et il y a aussi un problème d’accessibilité. La majorité des Autochtones vit maintenant dans des centres urbains, comme vous l’avez dit, et beaucoup d’entre eux ne sont pas aussi près de leur milieu familial qu’ils le seraient, s’ils vivaient dans leurs territoires traditionnels, les réserves.

Je pense simplement à mon expérience. Comme je venais ici et que je voulais vous être utile, je me suis dit que je devrais essayer de trouver une chose à laquelle je suis la seule à avoir accès, parce que vous êtes le Sénat du Canada. Votre demande était vraiment importante. À cet égard, j’ai cru que je pourrais venir ici vous dire : « Ce que je crois être vrai », et que vous ne me répondriez pas que « c’est bien beau tout ça, mais on continue comme avant. » Cela aussi, c’était important : le sentiment d’être respectée, et faire de la place.

Un enseignement de base que j’ai fini par écarter, parce que j’avais choisi le thème du trio, c’est celui du tatawaw, qui signifie « bienvenue, il y a de la place. » J’en ai parlé la dernière fois. C’est l’idée que le véritable accueil consiste à faire de la place à l’autre. C’est là un des enseignements du tipi de la grand-mère. Il y a toujours de la place pour les petits-enfants. C’est cette idée de faire de l’espace.

Il y a tellement de sagesse dans cet enseignement. Si nous voulons qu’un plus grand nombre d’Autochtones guidés par les principes de gouvernance autochtone fassent partie de ce processus, nous devons d’abord leur faire une place.

Ensuite, nous devons miser le plus possible sur la technologie. Étant moi-même une jeune, je sais que nous sommes très connectés en réseaux et je pense qu’en général nous utilisons Internet pour se divertir plutôt que pour apprendre. C’est une occasion ratée. Encore une fois, c’est un problème d’offre et de demande; il n’y a pas un nombre suffisant d’Autochtones dans le secteur de la technologie pour pouvoir faire remarquer : « Voilà un problème que la technologie peut nous aider à résoudre. » Encore une fois, il faut lancer un appel.

Dans ma vie quotidienne, j’ai constaté qu’il y a beaucoup de non-Autochtones qui veulent faire partie de la solution, si nous leur disons ce dont nous avons besoin et si nous leur demandons de nous aider : « Voici les règles d’engagement. Que les choses soient claires : vous nous aidez à faire notre chemin, mais ce chemin n’est pas le vôtre. » Ces paroles sont bien accueillies, je trouve.

Encore une fois, je trouve que c’est comprendre que c’est un travail, qui doit être fait sur le canot tout en respectant cette distinction, en s’assurant que votre groupe lance un appel affirmant que vous y accordez de l’importance et que vous le respecterez, ensuite en vous assurant que nous utilisons tous les outils dont nous disposons pour y arriver et — ce n’est pas une blague — que le cheminement n’a rien de romantique cette fois-ci. Nous devons vraiment utiliser tout ce que nous avons, comme mon grand-père l’a fait lorsqu’il cultivait sa terre. Il a tout fait pour subvenir aux besoins de sa famille. Nous devons adopter le même genre de raisonnement.

La sénatrice Boyer : Des conseils très pratiques. Merci.

La sénatrice McCallum : Bienvenue et merci de votre exposé. C’était génial.

Je vais revenir à la question de la relation institutionnelle qui existe. La seule raison qui me pousse à y revenir, c’est que je ne peux pas concevoir une relation de gouvernement à gouvernement à l’heure actuelle. Je l’ai déjà dit haut et fort.

J’ai de la difficulté à l’envisager en partie parce que j’ai été placée dans un pensionnat autochtone à l’âge de cinq ans et que j’ai vraiment essayé de m’en sortir, mentalement et spirituellement. Ce à quoi nous avons affaire, qu’il s’agisse de personnes ou de politiques, est enchâssé dans les institutions — ce dont je m’occupe — et la plupart du temps, il y a déséquilibre du pouvoir.

Cela fait maintenant 66 ans que j’œuvre dans les politiques et les procédures. Quand je rentre chez moi, je constate que nos gens commencent à administrer de la façon dont ils ont été colonisés, voilà ce que je dis. Pour en sortir, j’ai dû réapprendre ma langue crie, parce que c’est de cette langue que vient la spiritualité. Quand je me suis présentée, je ne parlais que le cri et je vivais sur la terre. J’ai écouté les aînés et c’est en fait ce qui m’a sauvée — pouvoir retomber dans la spirale et essayer de retrouver mon identité.

Je comprends quand vous dites wahkohtowin et que nous existons tous. Il y a donc une idée de respect associée. C’est ce que j’ai appris, et j’ai aussi appris à comprendre kinstutinaw, mais je dois aussi l’exprimer en mots. Il est difficile de rester centrée quand on essaie de poursuivre son chemin et que tout votre esprit y est habitué.

Connaissez-vous Taiaiake Alfred?

Mme Cardinal : Oui.

La sénatrice McCallum : Ce qu’il a dit me revient sans cesse à l’esprit, et c’est peut-être en partie ce qui nuit. Il s’est demandé comment une nation souveraine pouvait s’enraciner. C’est comme une pierre. C’est la nation autochtone qui creuse dans une pierre que le gouvernement en place a installée et qu’il peut simplement déloger. C’est ainsi que je vois les choses et c’est peut-être ce qui me retient.

Je pense que j’ai besoin de conseils sur la façon de passer à autre chose, parce que le Sénat, c’est une institution vraiment archaïque. Quand je suis arrivée ici, certains de mes amis se sont demandé comment j’allais faire pour composer avec cette institution. Je n’y avais même pas pensé. J’étais simplement heureuse de venir ici, puis je me suis dit d’accord, nous allons voir.

Quoi qu’il en soit, je suis ici. Nous sommes tous ici. Or, il y a des enseignants formidables ici. Merci beaucoup à tous.

Pourriez-vous donner des exemples de lois autochtones comme wahkohtowin et de la façon dont elles peuvent être appliquées pour établir une nouvelle relation entre les peuples autochtones et le Canada?

Mme Cardinal : Il y a celle dont j’ai parlé aujourd’hui, la loi nistotomuk, qui représente les trois éléments de la relation que nous devons établir. À mon avis, ce qui est si important, c’est qu’on accorde la priorité à la connexion à tout. J’ai aussi trouvé ma connexion par la langue et en écoutant les aînés et, de nouveau, en comprenant que je suis connectée. Je pense que beaucoup d’Autochtones, en particulier les jeunes qui ont grandi en ville, ont tendance à avoir le sentiment d’être seuls et j’estime que c’est un problème fondamental. Si vous ne croyez pas être connectés, comment pouvez-vous penser pouvoir aider? Comment pouvez-vous penser que vous tenez une place importante? Comment penser pouvoir se battre pour quelque chose que vous ne pourriez jamais atteindre? Je pense que ce pourrait être un point de départ pour nous. Je parle des jeunes, mais j’estime qu’il y a des jeunes de tout âge qui peuvent bénéficier de cette connexion.

Puis, ensuite, nous pourrions miser sur cela, comprendre et vraiment approfondir ce que nous sommes et nous considérer, nous et notre savoir, comme utiles et précieux et tout simplement comme une autre façon d’acquérir des connaissances. À mon avis, nous en sommes toujours aux premières étapes à ce chapitre. Là où je constate qu’il y a le plus de résistance à ce stade-ci, c’est lorsque je me rends dans les établissements et dans les organisations où je travaille et que je me bute à de l’opposition concernant les processus. Les gens me disent qu’ils veulent se réconcilier, mais qu’ils ne veulent pas vraiment aborder la question sous un autre angle, qu’ils savent ce qu’ils font. Dans ma tête, je pense que clairement, ils ne le savent pas et j’insiste doucement sur cette idée.

Il est tellement important de mettre au point des solutions de rechange, et c’est la raison pour laquelle je mets tant l’accent sur la loi naturelle autochtone; j’espère l’expliquer à suffisamment de gens, en parler à suffisamment de jeunes et bien la comprendre moi-même pour éventuellement en faire quelque chose se rapprochant davantage d’une méthode afin que nous puissions dire qu’il s’agit d’une méthode, d’une solution de rechange que nous pouvons utiliser. Mettons-la à l’essai pour en voir les retombées et essayons-la encore, et voyons comment l’améliorer et nous assurer de pouvoir la mettre en pratique.

À mon avis, ce sentiment de découverte et de jeu, et cette impression, c’est comme si nous n’héritons pas simplement de la loi naturelle autochtone, mais qu’elle nous a été donnée en cadeau par nos ancêtres pour que nous l’utilisions comme bon nous semble, quand nous le jugeons opportun et que si cela ne convient pas à ce que nous faisons, alors nous devons être en mesure de réfléchir à nous-mêmes et de croire que c’est ce que nous sommes supposés faire. Je dis cela et je me sens très embarrassée, car c’est quelque chose que je m’efforce de faire. Il est très difficile de se sentir assez digne pour toucher à des choses si sacrées et prendre des décisions, et je ne suis pas la seule dans cette situation.

Donc, oui, je reviens à la loi nistotomuk où il faut d’abord se sentir connecté. Alors, vous vous comprenez vous-mêmes, puis vous cherchez à comprendre l’autre, parce que si on procède dans un ordre différent, je pense que c’est la raison pour laquelle nous allons de l’avant, j’éprouve exactement la même chose, spécialement comme un jeune tellement intéressé par la technologie. J’ai l’impression que les gens me demandent sans cesse ce que je vois, qu’ils me disent ne pas être prêts à aller de l’avant, qu’ils doivent s’enraciner dans certaines choses en premier pour éviter d’être renversés, de dériver. Je pense que c’est très important.

Comme c’est intéressant de vous entendre poser cette question. Je pense parfois que nous sommes les seuls à penser ainsi. J’ai été vraiment ravie. Merci et j’espère avoir répondu.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup, Jacquelyn, de votre présence ce soir. Je suis vraiment heureux de vous entendre dire qu’il n’y a rien de nouveau. Comme vous le savez, l’un des plus grands défis — peut-être même des plus grands mystères — pour beaucoup de peuples autochtones, est de savoir comment nous nous entendons avec nos frères et sœurs non autochtones. Je peux imaginer qu’à l’arrivée des premiers colons, cela a dû être un gros problème, un grand mystère, mais je pense que nos aînés savaient à l’époque comment développer cette relation. Vous avez dit qu’il n’y avait rien de nouveau aujourd’hui. En 2018, nous avons encore du mal à établir cette relation avec nos frères et sœurs non autochtones.

J’adore les trois lois naturelles. Je sais que vous avez un peu expliqué la première. Je vous demande si vous pouvez nous expliquer la façon dont vous appliquez chacune de ces trois lois naturelles pour établir ou améliorer la relation entre vous-même ou votre famille et les peuples non autochtones, ou nous en donner un exemple. Je sais que vous êtes en milieu urbain et que c’est probablement un mode de vie, mais pouvez-vous nous donner des exemples simplement pour nous aider à mieux comprendre comment ces trois lois naturelles fonctionnent?

Mme Cardinal : Bien sûr. C’est une question difficile. Avant de passer aux lois naturelles, je me disais que mon arrière-arrière-grand-père — probablement cinq fois arrière — qui a signé le traité no 8, il savait certainement quoi faire. Dans quelle mesure serait-ce terrifiant de signer un traité? À l’époque, des gens l’écoutaient et lui disaient n’avoir aucune idée de ce qu’il faisait; tous les membres de ma famille, qui ont accompli de grandes choses ont des histoires du genre, des gens qui l’écoutent et eux qui disent ne pas savoir ce qu’ils font. Cette idée me réconforte, car ce n’est pas comme si ces gens savaient ce qu’ils faisaient à l’époque. Ils avaient confiance et ils comprenaient ce qui se passait, mais ils étaient aussi cloués par l’incertitude et la crainte. Ça me réconforte.

Je pense que parfois, la peur est un bon signe que nous saisissons la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons et de l’impact que nous pourrions avoir. Je pense à ces films de voyage dans le temps, qui nous ramènent à une époque où personne ne veut changer quoi que ce soit, mais c’était littéralement leur contexte quotidien. Nous avons la capacité de changer l’avenir par de petits gestes.

Comment nous appliquons ces lois dans le travail que je fais? La loi du wahkohtowin est très importante, parce que je pense que bien des gens avec qui je travaille, Autochtones et non-Autochtones, ont tendance en fait à restreindre leur champ d’action à propos des relations qui importent à un ou deux échelons. La plupart des gens contournent complètement le premier échelon de la spirale de la loi wahkohtowin qui monte comme ceci. Ils ignorent le premier échelon qui est le moi, et ils vont immédiatement s’occuper de leur famille ou ils contournent même cela et commencent immédiatement à essayer de faire partie d’une collectivité.

D’après moi, en fait, c’est un concept vraiment très important qu’il faut même expliquer au grand public. C’est comme rappeler aux gens que quand on parle de relations, chacune d’entre elles est importante et que nous devons nous assurer de les suivre à la trace et de les entretenir toutes. Nous ne pouvons pas consacrer toute notre énergie à une relation et nous attendre à ce que tout aille bien.

Je trouve que c’est un rappel important pour moi-même dans mon travail. Je me rends de plus en plus compte que, comme bien des gens qui s’efforcent de s’engager auprès de la collectivité, tout peut y passer. Il est très important de veiller à ce qu’il n’en soit pas ainsi. Vous embarquez et vous faites partie de la nature; vous vous souvenez que vous êtes connectés là-bas et que vous êtes connectés au monde spirituel plus large. Vous vous rappelez que vous êtes d’abord une personne et un esprit, et que c’est la première relation dont vous devez vous occuper. Pour moi, c’est parfois un peu frustrant parce que je veux aller sur le terrain, mais je dois m’assurer d’être la plus enracinée possible et je m’y efforce constamment. J’estime donc que c’est important.

J’ai aussi l’impression que c’est un concept complètement nouveau pour beaucoup de gens avec qui je travaille même en leur disant que c’est là que nous voulons en venir, que le processus de sensibilisation est vraiment intéressant et que les gens voient les choses un peu différemment. Une fois que vous voyez les choses, il est impossible de ne plus les voir et je pense donc que cela aide.

Donc, oui, la loi wahkohtowin est une très bonne chose. C’est un outil, quelque chose comme si j’avais une grande toile à peindre chez moi, la spirale wahkohtowin. Alors, je me dis, oui, je m’en souviens avant d’amorcer ma journée et je pense que tout le monde devrait le faire.

Voilà pour la première des lois.

Je passe à la nistotomuk. Souvent, encore une fois, les gens font appel à moi, car ils ont besoin d’aide avec la réconciliation. Je me retrousse les manches et je leur dis qu’il faut commencer par savoir qui ils sont. Les gens répondent qu’ils veulent faire de la réconciliation. Je leur dis que s’ils veulent un processus durable, s’ils veulent que le fruit des efforts qu’ils déploient fasse partie d’eux à titre d’organisme, s’ils veulent un processus durable à perpétuité, ce qui est le but, ils ont tout intérêt à ne pas s’épuiser et se retrouver à avoir travaillé d’arrache-pied, sans qu’il y ait réconciliation et à s’interroger sur ce qu’ils ont fait de mal. Il est souvent très important de veiller à ce que cela se rattache directement à leurs propres principes d’entreprise, puis de pouvoir associer ce processus à leurs objectifs.

Dans le cadre de bien de nos travaux, nous nous tournons vers la CVR et nous devons toujours passer par cette étape. Or, si on regarde la CVR, si vous parlez à une société, vous établissez des liens et vous dites que vous êtes supposés examiner la DNUDPA. Vous prenez connaissance de la DNUDPA et vous constatez que le monde entier est ouvert à ce que vous voulez faire pour contribuer à faire avancer ce mandat.

En fin de compte, nous nous retrouvons devant un choix à faire. Il est impossible de mettre en œuvre tous les articles de la DNUDPA; il faut donc choisir ceux qui correspondent aux valeurs de l’organisation. Ainsi, lorsque vous leur parlez à l’avenir de notre foi en l’inclusivité, voici l’article de la DNUDPA qui est directement lié à cela et qui nous aidera à nous orienter dans les décisions que nous prenons en cours de route. C’est assez clair.

J’estime que la loi nistotomuk est souvent très utile pour aider à comprendre qu’il faut d’abord se connaître avant de commencer à édifier cette relation et la comprendre à ce niveau est très utile.

Je le répète, l’organisation aussi a des valeurs. Notre but, c’est de nous assurer de ne jamais oublier l’idée de la durabilité.

Ensuite, la loi sakiyatuk revient à dire que les gens sont d’accord avec le fait que c’est un long voyage et que nous allons faire des erreurs. Si nous nous engageons dans cette voie, nous devons ancrer dans notre esprit l’idée de base que nous allons grandir et changer, et que grandir et changer est un acte d’amour. Si vous changez, ça s’inscrit dans l’ordre des choses. Échouer, essayer quelque chose qui ne fonctionne pas, devoir revérifier et trouver ce que vous devez faire, puis aller de l’avant… ce processus dynamique doit se dérouler dans la gentillesse, l’amabilité et la chaleur. Tout geste qui ne se fait pas avec cette chaleur n’est pas bien. Vous devez être chaleureux dans tout ce que vous faites. La loi sakiyatuk en est donc un volet important.

Souvent, encore une fois, une bonne partie du travail que nous faisons consiste à dire : « Parlons de vous, parlons de ce que vous voulez faire, parlons de la façon dont cela s’harmonise avec ce que les peuples autochtones veulent faire et parlons vraiment de la façon dont vous allez vous traiter lorsque les choses ne se passent pas comme prévu, lorsque vous trouvez un point à améliorer. » Je pense que toutes ces choses forment un endroit très sûr. Encore une fois, j’essaie souvent de penser à des choses que je veux faire vivre à mes enfants et à mes petits-enfants. Comment voulez-vous qu’ils se traitent s’ils font une erreur? Tirez des leçons, mais n’hésitez pas à le faire.

Est-ce assez complet?

Le sénateur Christmas : Formidable. La loi sakiyatuk est probablement ce dont le Sénat a le plus besoin.

Le sénateur Tannas : J’ai encore un très grand nombre de questions, alors je vais les poser en rafale, puis j’aimerais avoir votre avis. Où êtes-vous allée à l’école primaire?

Mme Cardinal : J’ai fréquenté l’école primaire Brookside à Riverbend, à Edmonton.

Le sénateur Tannas : À quelle école secondaire êtes-vous allée?

Mme Cardinal : J’ai fréquenté l’école secondaire Scona. Je me sens tellement bien d’avoir du mal à m’en souvenir. Cela veut dire que c’est assez loin dans ma mémoire. Puis, j’ai obtenu mon diplôme de l’école secondaire Jasper Place.

Le sénateur Tannas : Mon père a fréquenté l’école secondaire Scona. Qu’en est-il des études postsecondaires?

Mme Cardinal : À l’Université de l’Alberta.

Le sénateur Tannas : Est-il juste de dire que vous êtes à l’aise à Edmonton, que vous êtes Edmontonienne et que vous vous sentez à l’aise dans toutes les facettes de la collectivité? Vous sentez-vous liée à Edmonton de la même façon que je me sens en lien avec ma collectivité?

Mme Cardinal : C’est tellement difficile à dire, parce que de toute évidence je ne connais que ma propre expérience. Je ne suis pas certaine d’être à l’aise.

Le sénateur Tannas : Y avez-vous l’impression d’être une étrangère?

Mme Cardinal : Je l’avais certainement quand j’étais plus jeune. À bien des égards, j’ai trouvé un moyen de m’assurer que mes valeurs de personne autochtone font partie intégrante de mes activités quotidiennes, ce qui demande beaucoup de travail. Démarrer une entreprise, c’est beaucoup de travail au départ; essayer d’établir quelque chose dont je n’ai pas une expérience personnelle et de voir comment nous pouvons faire en sorte qu’elle ressemble à ce qu’elle est maintenant, c’est beaucoup de travail.

Le sénateur Tannas : De toute évidence, vous êtes liée à votre culture; cela vous a-t-il aidée à établir des liens ou à vous sentir plus à l’aise à Edmonton? Vous avez manifestement passé beaucoup de temps à établir des liens avec votre culture.

Mme Cardinal : Oui. Je pense que, au lieu de me sentir à l’aise, je dirais que j’ai l’impression de faire partie d’une équipe de soccer et que tous les joueurs ont un but commun. Vous êtes tous d’accord et vous allez dans la bonne direction, une direction dont vous avez tous convenu; vous sentez cette camaraderie, mais ce n’est pas fini. Il faut encore faire des efforts. Je pense que c’est la description la plus fidèle de ce que je ressens. Ce n’est certainement pas de l’aisance.

Edmonton est un endroit très intéressant. Je ne voudrais pas faire ce travail ailleurs, car il y a ici, comme dans bien d’autres régions du Canada, une telle soif de changement sans savoir ce que cela signifie au juste. Je pense que c’est un endroit passionnant et que c’est un endroit où l’on peut dire : « Essayons quelque chose » et les gens disent : « Oui, faisons-le. » Ce n’est certainement pas de l’aisance. Je ne pense pas que ce soit quelque chose que je souhaite vraiment dans ma vie quotidienne. J’ai envie d’avoir l’impression de faire des progrès — s’il y a une sorte de chronologie de sept générations — et de rendre le travail de la prochaine génération un peu plus facile.

Le sénateur Tannas : Quelle est votre communauté ancestrale et qui sont les gens qui y demeurent? Avez-vous des liens avec eux et comment cela fonctionne-t-il?

Mme Cardinal : Oui, j’ai de la famille à Sucker Creek, et j’essaie de garder le contact le plus possible. En fait, j’y suis retournée récemment cet hiver. Je faisais de la consultation. J’y suis allée et j’ai pu parler avec beaucoup d’aînés et revisiter des endroits liés aux récits de mon père. En voyant ces lieux, je me suis dit : « Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais ». J’ai eu une vue d’ensemble de ce territoire avec mes yeux d’adulte.

Quand j’étais jeune, et parce que je vivais en ville, ce lieu ne m’était pas apparu comme négatif, mais plutôt comme m’inspirant des craintes, parce qu’il symbolisait pour moi mon altérité en ville et le fait que je n’avais pas non plus ma place là-bas. C’était donc une véritable lutte. Je ressentais des tensions quand j’étais jeune. Maintenant que j’ai la capacité de mettre cela en contexte comme il se doit, je suis en mesure de prendre du recul et de ne pas voir seulement ce que j’avais peur de voir, ma terreur dans les yeux des autres. Je peux apprécier les forces, les récits et l’histoire, et j’ai l’impression que mes pieds s’enfoncent dans ce territoire; et oui, je me sens enracinée.

Je ne remonte donc pas aussi loin que je l’aurais voulu, mais d’après ce que j’ai appris des récits de ma famille, nous étions des gens très nomades. Les voyages font certainement partie de notre tradition. Je pense que le fait d’aller explorer, de nouer des relations et de voir ce qu’il y a à voir fait partie intégrante de l’histoire de ma famille.

Le sénateur Tannas : Je ne suis pas Autochtone. Je suis Canadien. Je souhaite vivement en arriver au point où nous devrions nous trouver, c’est-à-dire être ensemble. Vous êtes l’avenir. J’espère qu’il y aura comme vous des centaines de milliers de jeunes dans 25 ans qui auront des chances égales et qui en bénéficieront, tout en restant liés à leur communauté ancestrale, à leur culture, et en étant capables de marcher dans les rues d’une grande ville. Je suis impressionné. Je me sens honoré en tant que vieil homme de me joindre à une personne manifestement en avance de plusieurs décennies. Permettez-moi donc de vous poser quelques questions terre-à-terre.

Pour ce qui est de la réconciliation, de la reconnaissance, dont nous avons tant entendu parler, les Canadiens doivent comprendre et reconnaître la vérité sur ce qui s’est passé, parce que nous sommes une bande d’ignorants en la matière, et, honnêtement, je suis le principal ignorant. À un moment donné, des programmes pratiques devront être offerts dans le cadre de tout le processus. Je me demande si vous avez des opinions sur les droits individuels par rapport aux droits collectifs.

Permettez-moi de poser une question sur l’éducation de votre enfant. Si l’on décidait, dans le cadre de la réconciliation et pour nous assurer que tout se passe bien, de consacrer deux fois plus d’argent aux enfants autochtones dans le domaine de l’éducation qu’à l’enfant moyen d’une province, aimeriez-vous que cet argent soit remis à votre gouvernement communautaire de Sucker Creek et que ce dernier détermine avec vous la meilleure façon de le dépenser? Ou préféreriez-vous le recevoir personnellement, peu importe où vous êtes au pays? C’est une question. Il en va de même pour la santé, la culture, le logement et les redevances sur les ressources — tous ces droits qui seront versés lorsque nous aurons bien fait les choses, en essayant de rattraper tout le monde et d’obtenir une reconnaissance durable associée à des mesures financières.

Comment voyez-vous votre relation avec un gouvernement autochtone? Vous en avez parlé. Est-ce bien ce que vous voulez? Vous habitez en milieu urbain. Je cherche des conseils. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

Mme Cardinal : D’accord, je comprends. J’ai assurément étudié la biologie et la technologie à l’école, parce que cela semble bien au-dessus de mon niveau de rémunération.

J’aime bien raconter une blague que fait mon père : comment appelle-t-on un corbeau qui vit en ville? Un corbeau.

Vous n’êtes pas un Autochtone urbain; vous êtes un Autochtone. J’aime bien en rire, parce que je pense que ce genre de division n’est pas nécessaire sur le plan de l’identité. J’essaie de le soulever quand il en est question.

Je ne suis pas certaine; je ne suis vraiment pas sûre. Je pense que ce qui me convient, ce sont les ressources destinées aux personnes dans le besoin et que ces ressources soient adaptées aux besoins de chacun.

Je pense qu’il me fallait sentir que je n’étais pas aussi isolée quand j’étais jeune. Je vivais avec mon frère et mes parents, à Edmonton, et j’étais plutôt entourée de personnes non autochtones. Bien que les gens n’aient jamais voulu délibérément me faire sentir différente, c’est quelque chose que j’ai certainement ressenti.

Ce dont j’avais besoin, encore une fois, c’était de précisions sur la langue, le lien avec la spiritualité, et même la possibilité d’avoir accès à la terre et, finalement, de me faire offrir ce genre de choses, alors que ce que souhaitaient mes cousins quand ils étaient jeunes était probablement très différent.

J’y repense et chaque fois que j’en entends parler, j’aurais tellement aimé que ce soit le cas. Dans un contexte traditionnel, nous aurions des aînés qui verraient arriver les jeunes, qui seraient en mesure de déterminer les talents et les besoins de chacun et qui diraient : « Nous devons nous assurer de faire ceci ou cela pour cette jeune personne, et elle sera vraiment compétente dans les domaines A, B et C. Nous devrions lui demander de passer du temps avec telle personne expérimentée pour qu’elle puisse acquérir cette compétence. »

Encore une fois, je vois un peu plus les choses en fonction des systèmes dans ce contexte et j’aime réfléchir à la façon dont nous pouvons utiliser les systèmes de gouvernance autochtone pour répondre à nos besoins. Je ne pense pas que cela se traduise très bien en dollars.

Je ne sais pas si c’est utile, mais je pense que c’est tout ce que je peux dire pour l’instant.

Le sénateur Tannas : Très bien. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, Jacquelyn. Nous sommes arrivés à la fin de la réunion. J’aimerais simplement dire que ce fut un grand plaisir de vous accueillir de nouveau. Vous nous avez fait partager votre sagesse, qui est incroyable, et fait part d’observations auxquelles certains d’entre nous réfléchiront sûrement pendant des jours et des semaines. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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