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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 39 - Témoignages du 29 mai 2018


OTTAWA, le mardi 29 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 2, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis, et pour examiner une ébauche de budget.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et aux membres du public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, dans cette salle ou sur le Web.

Au nom de la de réconciliation, je tiens à reconnaître que cette réunion se tient sur le territoire traditionnel non cédé des peuples algonquins.

Je m’appelle Lillian Dyck, je viens de la Saskatchewan, et j’ai le privilège et l’honneur de présider ce comité.

J’invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

Le sénateur Gold : Marc Gold, Québec.

Le sénateur Doyle : Norman Doyle, Terre-Neuve-et-Labrador.

La présidente : Nous continuons aujourd’hui notre étude des nouvelles relations que le gouvernement du Canada souhaite établir avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ainsi que des principes sur lesquels devraient reposer ces nouvelles relations.

Avant de commencer, vous avez reçu, chers collègues, un budget pour mener deux activités en Colombie-Britannique et une autre dans l’Arctique de l’Ouest. Veuillez l’examiner et me dire si vous avez des questions à ce sujet.

Approuvez-vous le budget spécial concernant l’étude des nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis, pour l’exercice budgétaire se terminant le 31 mars 2019, et voulez-vous le soumettre à l’approbation du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration une fois qu’il aura fait l’objet d’une dernière révision par l’Administration du Sénat, sous l’égide du Sous-comité du programme et de la procédure?

Des voix : D’accord.

La présidente : Nous passons maintenant à notre étude des nouvelles relations entre le Canada et les peuples autochtones.

Notre premier groupe de témoins est composé du Grand conseil des Cris, représenté par le grand chef, Abel Bosum, le directeur exécutif, Bill Namagoose et le directeur des relations fédérales, Brian Craik. Nous accueillons également Paul Wertman, qui est conseiller, de la nation crie Oujé-Bougoumou.

Chef Bosum, vous avez la parole, après quoi les sénateurs pourront vous poser des questions.

[Note de la rédaction : M. Bosum s’exprime dans une langue autochtone.]

Abel Bosum, grand chef, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser au comité sur cette question extrêmement importante. Mon message sera simple.

Même si c’est un message résultant de plus de 40 années de luttes et de difficultés pour la nation crie d’Eeyou Istchee, je dirai simplement qu’il est possible de reconnaître pleinement les droits autochtones en leur donnant une valeur concrète, sans nier les rôles respectifs des gouvernements provinciaux, du gouvernement fédéral et des entreprises.

En bref, il est possible de mettre en œuvre tous les éléments essentiels de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, sans que le ciel nous tombe sur la tête. À preuve, la situation actuelle de la nation crie. Permettez-moi de m’expliquer.

Au début des années 1970, lorsque le Québec a annoncé son intention de construire le projet hydroélectrique de la baie James, il s’agissait du plus grand projet d’hydroélectricité au monde. Alors qu’il devait être construit entièrement sur notre territoire traditionnel, le gouvernement l’avait annoncé sans nous avoir consultés et sans avoir obtenu notre consentement. Cette attitude des entreprises concernées et des gouvernements à l’égard des peuples autochtones reflétait la vieille doctrine colonialiste de la terra nullius et la doctrine de la découverte, selon lesquelles les territoires d’un peuple autochtone qui ne sont pas occupés par des nations organisées peuvent être saisis par les puissances européennes. Selon ces doctrines, rien ne s’opposait légalement à une occupation coloniale et rien n’exigeait la consultation du peuple autochtone qui occupait ces territoires ou l’obtention de son consentement. Au fond, les Autochtones étaient alors considérés simplement comme des non-humains ou, au mieux, comme des squatteurs ne possédant aucun droit.

La nation crie a rejeté cette prémisse. Elle s’est adressée aux tribunaux pour demander une injonction ordonnant au gouvernement d’arrêter le projet hydroélectrique de la baie James et, par une décision étonnamment progressiste, la Cour supérieure du Québec nous a accordé une injonction temporaire, car disait-elle, si le projet allait de l’avant, il causerait un tort considérable à notre culture et à notre mode de vie, tort qui ne pourrait pas être adéquatement compensé. Une semaine plus tard, cependant, la Cour d’appel du Québec suspendait cet arrêt. Les décisions initiales confirmaient toutefois que nous possédions des droits sur notre territoire traditionnel, et le Québec et le Canada étaient donc obligés de négocier avec nous. Ces négociations aboutirent en 1975 à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, premier traité autochtone moderne au Canada.

La Convention de la Baie-James entérinait un certain nombre d’éléments qui furent cruciaux dans l’épanouissement de la nation crie, notamment un partenariat entre la nation crie et le Québec, pour l’aménagement futur du territoire ; un certain degré d’autonomie gouvernementale pour nos communautés, dans les secteurs de l’administration locale et régionale, la santé, l’éducation, la police et la justice ; un régime de protection sociale et environnementale dans le cadre des futurs projets de développement ; la protection de notre mode de vie traditionnel ; et un soutien pour la réalisation de notre potentiel économique.

Il y eut toutefois loin de la coupe aux lèvres lorsque le Québec et le Canada durent mettre en œuvre la convention. Au cours des deux décennies et demie suivantes, nous avons intenté des poursuites et mené une campagne publique pour les forcer à corriger leurs défaillances. Nous nous sommes également vigoureusement opposés à certains nouveaux projets de développement hydroélectrique sur notre territoire.

Après des années de luttes, de batailles juridiques et de campagnes publiques, le Québec et le Canada ont fini par comprendre que nous étions résolus à protéger nos droits, et que nous n’hésiterions pas à contester toute initiative sur notre territoire traditionnel qui ne respecterait pas ces droits. En 2002, nous avons signé un accord historique, la Paix des Braves, avec le Québec et, en 2008, nous avons signé une nouvelle relation avec le Canada. Ces accords de nation à nation nous ont permis de rétablir et de rebâtir notre relation avec chaque gouvernement sur une base nouvelle et plus équitable, entre deux partenaires égaux, de nation à nation.

Cet historique accord de la Paix des Braves donnait au Québec le mécanisme requis pour s’acquitter des obligations non respectées au titre de la Convention initiale de la Baie-James, en transférant leur mise en œuvre et les ressources financières correspondantes à la nation crie. Elle confirmait également que tout projet de développement sur notre territoire traditionnel devait être conforme aux régimes cris de protection sociale et environnementale issus de la convention. Ces projets doivent donc reposer sur l’acceptabilité sociale par les Cris, c’est-à-dire, à toutes fins utiles, obtenir le consentement des Cris et assurer leur participation. Cette exigence est maintenant devenue la caractéristique dominante de tous les projets de développement économique importants sur le territoire d’Eeyou Istchee.

La nouvelle relation négociée avec le Canada en 2008 a transféré au gouvernement de la nation crie certaines responsabilités fédérales substantielles énoncées dans la Convention de la Baie-James, avec les ressources financières requises pour leur mise en œuvre. Ces accords entérinaient notre droit à nous gouverner nous-mêmes et notre droit de participer au développement économique à l’intérieur de notre territoire.

Nous avons alors entrepris des négociations avec le Québec pour changer le régime de gouvernance d’Eeyou Istchee, dans le Nord du Québec, et pour mettre en place un système de gouvernement fondé sur notre inclusion. En vertu de cet accord de gouvernance Cris-Québec, le gouvernement de la nation crie assume la responsabilité des processus de planification de l’aménagement des sols et les fonctions de gestion des ressources exercées auparavant par la municipalité de Baie-James sur un territoire d’environ 70 000 kilomètres carrés. On a, en même temps, créé un gouvernement régional chargé d’exercer les pouvoirs de planification de l’aménagement des sols sur un territoire encore plus vaste, d’environ 300 000 kilomètres carrés.

Ce nouveau gouvernement régional est composé d’un nombre égal de représentants des communautés cries et des municipalités non autochtones de la région. Le premier ministre Couillard a fait le commentaire suivant sur ce gouvernement régional :

C’est non seulement une première dans l’histoire du Québec, cela fait aussi du Québec un chef de file pour ce qui est de trouver des méthodes d’inclusion des nations autochtones dans les affaires sociétales en général, tout en préservant votre héritage culturel, vos valeurs et vos institutions.

Dans notre récent accord de 2017 avec le Canada, au sujet de la gouvernance de la nation crie d’Eeyou Istchee, nous avons élargi la portée de nos pouvoirs d’autonomie gouvernementale à des terres sous juridiction fédérale. La Première Nation crie et le gouvernement de la nation crie exercent maintenant ces pouvoirs en adoptant des lois, pas de simples règlements, et ces lois n’ont plus à être approuvées par le Canada. Nous entreprendrons bientôt l’élaboration de notre propre constitution crie qui enchâssera nos droits fondamentaux, nos institutions et nos processus gouvernementaux.

Cela fait plus de 40 ans que nous avons signé la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Depuis, la nation crie a forgé des relations explicites de nation à nation avec les gouvernements fédéral et provincial. Nous avons rehaussé de façon spectaculaire le niveau de vie dans nos communautés. Nous avons supprimé l’application de la Loi sur les Indiens. Nous jouons un rôle important dans la gouvernance et le développement économique de notre territoire traditionnel et, ce qui est peut-être encore plus important, nous avons donné à nos membres les moyens d’assumer la responsabilité de leurs propres affaires. Nous avons beaucoup travaillé pendant les 40 dernières années afin de mettre en place les éléments nécessaires pour mener à bien, d’une façon unique, la construction d’une nation autochtone.

Nous avons réalisé toutes ces avancées, et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Les Canadiens n’ont pas à craindre que la reconnaissance, l’enchâssement et l’expression des droits autochtones reviennent en fin de compte à tout abandonner, corps et âme. Cela ne signifie pas que l’exploitation des ressources naturelles s’arrêtera du jour au lendemain. Cela ne signifie pas que les peuples autochtones refusent le développement économique. Au contraire, nous croyons que l’enchâssement de nos droits est une condition nécessaire pour l’exploitation contrôlée et durable des ressources naturelles sur les territoires des peuples autochtones.

Nous avons, dans notre petit coin de planète, réparé des centaines d’années de colonialisme, et nous avons agi pour rétablir autant que possible notre souveraineté originelle dans un contexte contemporain.

Notre expérience dans le Nord québécois démontre qu’il existe une voie vers la réconciliation. Nous avons montré concrètement que la réconciliation n’est pas un état de grâce abstrait. Nous avons appris que la réconciliation est un projet concret qui exige beaucoup de travail, mais qui peut être bénéfique à tout le monde. Depuis la signature de la Convention de la Baie-James, nous avons conclu quelque 85 accords supplémentaires, dont 25 amendements à la convention initiale, pour refléter les réalités contemporaines.

Notre traité est un document vivant qui ne cesse d’évoluer. Il n’est pas figé dans la pierre. Il est ouvert et flexible, tout en étant un traité qui l’emporte sur toutes les politiques en vigueur. Le Canada a maintenant une occasion en or de mettre fin à l’exclusion historique des peuples autochtones. Chacun a maintenant la possibilité de trouver la bonne combinaison de droits, de gouvernance et de développement.

Nous avons appris qu’il est possible d’évoluer vers un modèle qui reconnaît nos droits autochtones, qui inclut notre participation, qui offre la possibilité de négocier des accords gagnant-gagnant et d’entreprendre un développement économique contrôlé et durable, et qui respecte la Couronne et établit des relations harmonieuses entre nos peuples. Meegwetch.

Le sénateur Tannas : Merci de votre allocution, messieurs.

J’aimerais vous demander si vous pensez que votre succès et votre partenariat pourraient être une source d’inspiration pour le reste du pays? Nous recevons de temps en temps la visite d’Harold Calla et de son groupe de la côte Ouest, la First Nations Major Projects Coalition, dont le but est d’essayer de réaliser de grands projets avec la participation des Premières Nations et sous leur contrôle. Les Premières Nations de cette coalition vont exercer leurs droits. Je me suis rendu compte, en vous écoutant, que c’est ce que vous avez réussi à faire dans votre petit coin de planète, comme vous dites.

Il y a au Canada des problèmes qui appellent des solutions pancanadiennes. Comment envisageriez-vous de participer à quelque chose comme la construction d’une ligne d’électricité, d’une route, d’une voie de chemin de fer ou d’un pipeline traversant tout le Canada? Comment envisageriez-vous l’exercice de votre compétence dans le cadre d’un projet national? Cette question est évidemment tout à fait opportune dans le contexte de Trans Mountain.

Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

M. Bosum : Il y a, dans la Convention de la Baie-James, un chapitre sur l’évaluation de l’impact environnemental, et cela a bien fonctionné pour nous. C’est peut-être malheureusement le seul régime de cette nature qui existe à l’heure actuelle au Canada. Il nous a permis de participer à l’examen des projets et d’offrir des suggestions pour les améliorer de façon à ce que chaque partie comprenne leur impact et les correctifs à y apporter. Cela permet aux promoteurs et aux Autochtones de négocier des ententes de façon à ce que ces derniers en reçoivent des bénéfices.

En même temps, ce processus nous permet d’intervenir si les projets sont néfastes pour notre environnement ou notre population. Si ce processus était appliqué dans tout le Canada, il permettrait à chaque partie prenante, dont les Autochtones, de participer adéquatement. En prévoyant une période raisonnable pour l’examen des projets, les différentes parties pourraient négocier des ententes.

Le problème est que ces grands projets ont des impacts pendant des centaines d’années, mais on essaie de les réaliser très rapidement. On ne nous donne pas le temps voulu et on n’invite pas les personnes les plus directement touchées à donner leur avis.

Notre expérience au Québec a été positive jusqu’à maintenant. Nous avons une bonne relation avec le gouvernement. Celui-ci nous a également aidés en expliquant aux promoteurs ce qu’ils doivent faire, pourquoi le traité est important et quelles sont les règles dans le territoire.

Le sénateur Gold : Avant de poser ma question, je tiens à vous dire combien je suis heureux que vous soyez ici aujourd’hui. J’ai l’impression d’en arriver finalement à boucler la boucle. C’est grâce à mon ami d’enfance et votre ancien collègue, feu Bill Grodinsky, que j’ai pris conscience pour la première fois des préoccupations des communautés autochtones.

Mon père, aujourd’hui disparu, m’avait présenté à Jim O’Reilly quand je songeais à faire du droit et m’avait dit : « C’est l’un des types les plus intelligents que je connais », et il l’est encore aujourd’hui. À l’université, j’ai été influencé par mon collègue Brian Slattery, qui fut à ma connaissance l’un des premiers à explorer en profondeur les racines coloniales du droit constitutionnel canadien. Il nous a beaucoup appris.

Je me souviens d’avoir organisé une conférence lorsque je dirigeais un centre de recherche au milieu des années 1980 et d’avoir alors travaillé avec deux Premières Nations de l’Ontario. C’était à ma connaissance la première conférence sur l’autonomie gouvernementale, qui semblait être un peu un rêve à l’époque, mais ce fut une conférence extraordinaire.

Je remercie encore feu mon père, qui a joué un rôle dans la crise d’Oka. Je vous suis reconnaissant d’être ici aujourd’hui pour nous faire profiter de votre sagesse.

Les communautés autochtones n’ont évidemment pas toutes fait autant de progrès juridiques que vous, mais quels enseignements les autres Premières Nations peuvent-elles tirer de votre expérience pour ce qui est de la négociation puis de la mise en œuvre de la Convention de la Baie-James? Que feriez-vous différemment aujourd’hui et que leur conseilleriez-vous de faire différemment? Comment pouvez-vous aider les autres Premières Nations à atteindre leurs objectifs d’autonomie gouvernementale, et les aidez-vous à ce sujet?

Bill Namagoose, directeur exécutif, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) : Nous en avons tiré beaucoup d’enseignements. Je vous remercie de ce que vous avez dit au sujet de Bill Grodinsky. C’était un grand ami de la nation crie. Il fut notre secrétaire corporatif pendant de nombreuses années. C’était un superbe conseiller juridique et il nous manque toujours.

Ce que nous avons appris en signant des ententes comme la Convention de la Baie-James et du Nord québécois avec des gouvernements, c’est que ces derniers, une fois qu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient, disparaissent dans la nature. Il s’agissait de construire le plus grand projet hydroélectrique jamais réalisé, comme l’a dit le grand chef. À l’époque, le Québec et le Canada ne se sont pas acquittés de leurs obligations. Celles-ci n’ont été respectées que 35 ans plus tard avec la Paix des Braves et dans l’accord instaurant une nouvelle relation avec le Canada. Par exemple, on avait promis en 1975 que les communautés cries obtiendraient des centres communautaires, mais il a fallu attendre 35 ans pour qu’ils soient construits. C’est devenu possible grâce à l’accord établissant une nouvelle relation.

Nous avons aussi appris que les gouvernements ne sont pas capables de s’acquitter de leurs obligations. C’est pourquoi, dans la Paix des Braves et dans l’accord sur la nouvelle relation, nous nous sommes engagés à assumer ces responsabilités et à mettre en œuvre ces obligations pour une période de 20 ans. Lorsque l’accord sur la nouvelle relation arrivera à échéance et à la fin des 20 ans, ces obligations incomberont à nouveau au Canada. Nous avons appris qu’on ne peut pas demander aux gouvernements de proposer des solutions. Nous posons le problème, nous proposons des solutions, et après, les négociations commencent.

Du côté gouvernemental, nous avons acquis beaucoup d’expérience avec les négociateurs en chef fédéraux. Les pires négociateurs fédéraux sont ceux qui adoptent une attitude d’avocat de la défense. Ils croient qu’ils sont là pour défendre le Canada. On ne peut jamais parvenir à une entente avec un avocat de la défense. C’est quand on négocie avec un avocat ou un négociateur dont l’objectif est de résoudre les problèmes qu’on parvient à trouver des solutions. C’est l’attitude qu’avait adoptée Raymond Chrétien au sujet de l’accord sur la nouvelle relation. Sa première démarche fut de visiter le territoire, de rencontrer les gens, de se faire une idée de leur culture et de voir les terres. Nous l’avons fait voyager pendant un an, après quoi il a adopté l’attitude de quelqu’un qui veut résoudre les problèmes.

Je recommanderais aux autres groupes d’insister auprès des gouvernements pour qu’ils envoient comme négociateurs des personnes soucieuses de résoudre les problèmes, pas des avocats de la défense.

Le sénateur Gold : Comme vous le savez, des centaines de communautés autochtones du pays n’ont pas les mêmes pouvoirs législatifs que vous. Certaines ont signé des traités numérotés ou d’autres traités dans lesquels leurs droits ne sont pas reconnus, du moins pas par le gouvernement. Beaucoup sont encore régies par la Loi sur les Indiens.

Si on parle des communautés qui n’ont peut-être pas un territoire aussi vaste que vous ou, disons, le même poids auprès de leur gouvernement provincial, que leur recommanderiez-vous de faire pour sortir de la relation coloniale, que ce soit dans le cadre de la Loi sur les Indiens ou en termes de droits ayant été ostensiblement cédés par un traité, dans le but d’établir une relation plus appropriée de nation à nation?

M. Bosum : Il faut comprendre qu’il y a deux types de traités. Il y a les traités modernes, comme les nôtres, dans lesquels on définit les avantages et la part de chacun. Il y a aussi les vieux traités, qui sont très différents, à un point tel qu’il est même quasiment impossible de les rouvrir à cause de leur formulation.

Il faut aussi que les gouvernements soient prêts à tenir compte des besoins d’aujourd’hui, pas de ce qu’ils étaient il y a des siècles. On ne peut pas partir de la situation qui prévalait il y a des siècles. Il faut partir de la situation qui prévaut aujourd’hui dans le territoire, et de ce qu’on peut envisager pour les communautés concernées. Il faut que les gouvernements provinciaux s’impliquent, car, dans la plupart des cas, on parle de terres et de ressources qui relèvent de leur compétence. Souvent, ils se cachent derrière le gouvernement fédéral pour ne pas s’impliquer.

Dans notre cas, c’est la Paix des Braves, l’accord avec le Québec, qui a vraiment rendu possible la mise en œuvre de notre traité. Cela nous a aidés. Le Québec a réalisé que le territoire recelait beaucoup de ressources, qu’il avait un avenir et qu’il fallait que la population participe à cet avenir. C’est cet accord qui a tout changé.

C’est une leçon que nous avons apprise. Les provinces, le gouvernement fédéral et les entreprises doivent participer et ne pas avoir peur de reconnaître les droits autochtones. Tous doivent participer au processus de négociation d’accords sur le développement économique, car c’est de cette manière que les communautés pourront prospérer. On ne peut pas construire de logements et d’infrastructures s’il n’y a pas d’activité économique. Le problème à l’heure actuelle vient en partie du fait que la seule source de fonds semble être le ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord. Il faut qu’il y ait beaucoup plus d’acteurs pour aider ces communautés, en particulier dans le Grand Nord.

Le sénateur Doyle : Je vais rester sur le même sujet, car le sénateur Gold a posé des questions que je voulais poser aussi.

Je me tourne vers le bas de la troisième page de votre mémoire où vous parlez de la Convention de la Baie-James :

[...] Il y eut toutefois loin de la coupe aux lèvres lorsque le Québec et le Canada durent mettre en œuvre la Convention. Au cours des deux décennies et demie suivantes, nous avons intenté des poursuites et mené une campagne publique pour les forcer à corriger leurs défaillances.

Puis, vous dites à la page 6 :

Au cours des deux décennies et demie suivantes, nous avons intenté des poursuites et mené une campagne publique pour les forcer à corriger leurs défaillances.

On voit ensuite combien la situation s’est améliorée quand vous dites :

[...] nous avons conclu quelque 85 accords supplémentaires, dont 25 amendements à la Convention initiale...

Il y a une chose qui m’intrigue. Quelle était la cause du problème il y a deux décennies et demie? Était-ce un manque de compréhension des réalités de la part des gouvernements fédéral et québécois? Était-ce plus un manque de sensibilité à vos besoins réels? Vos besoins sont très élémentaires. Vous vouliez des améliorations dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de la police, de la justice, et cetera.

Par la suite, vous avez eu beaucoup plus de succès avec les nouveaux accords. Dans quelle mesure votre approche et celles des gouvernements provincial et fédéral ont-elles changé pour donner lieu à ces améliorations?

Pensez-vous que les négociations auxquelles vous participez actuellement au sujet de cette nouvelle relation entre la nation fédérale et votre nation vous seront plus faciles étant donné l’expérience que vous avez acquise dans le passé avec ces différents accords? Pensez-vous que cela ira mieux?

M. Bosum : Aucun accord n’est parfait. À la ronde suivante d’une négociation, on veut toujours faire mieux. Je pense que nous avons établi une relation d’une grande maturité avec le Québec et avec le Canada. La raison pour laquelle il a fallu 35 ans, comme l’a dit Bill Namagoose, est que, dès que la convention a été signée, chacun est rentré chez soi. On a construit le projet hydroélectrique, le Québec a obtenu son électricité et, avec la Loi de l’extension des frontières du Québec, son territoire. Quant au Canada, bien sûr, il a obtenu sa clause d’extinction.

Il n’y a eu aucune mise en œuvre. On n’a pas créé de secrétariat de mise en œuvre. Le ministère des Affaires indiennes appliquait la Loi sur les Indiens et essayait de mettre en œuvre le traité avec ses programmes habituels. Il a fallu attendre qu’on renégocie certaines des dispositions afin de préciser les intentions pour que nous assumions la responsabilité de la mise en œuvre et que nous commencions à planifier notre communauté pour que tous les services essentiels soient organisés et gérés par nos membres.

Il a fallu attendre longtemps pour que les gouvernements le réalisent. Aujourd’hui, dans tous nos accords, nous essayons de nous assurer qu’il y a une stratégie de mise en œuvre, de façon à pouvoir commencer à les mettre en œuvre dès le lendemain de leur signature.

Le sénateur Doyle : Comment fonctionne la structure de gouvernance crie au Québec? Avez-vous un statut quasi municipal ou êtes-vous plus indépendants que cela? Êtes-vous une nation totalement indépendante au Québec?

Je suis tenté de vous demander ceci : êtes-vous une nation à l’intérieur d’une nation à l’intérieur de la nation du Québec? Comment fonctionnez-vous? Est-ce une structure quasi municipale? Quelle est exactement votre relation avec le Québec?

M. Namagoose : Notre relation avec le Canada et avec le Québec est régie par un traité, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, qui décrit à l’article 9 comment fonctionnent les gouvernements locaux; le gouvernement de la nation crie, le gouvernement régional, administre 20 000 personnes dans 10 communautés. Le gouvernement de la nation crie est formé de représentants élus par chaque communauté. L’Administration régionale crie a été créée en 1975 et fonctionne à l’intérieur du Québec, mais elle n’a pas été reconnue par le Canada. Le Canada n’a pas reconnu la nation, il n’a reconnu que des communautés individuelles.

Ce n’est que récemment que le Canada a reconnu la nation crie à part entière, par le truchement de l’Entente sur la gouvernance de la nation crie que nous avons signée et qui a été adoptée au Québec et entérinée ici par le projet de loi C-70. Ainsi, le Canada reconnaît la nation en tant que telle, pas seulement les communautés individuelles.

Nous avons une loi du gouvernement fédéral qui découle d’un traité, et la reconnaissance par le Canada de la manière dont notre nation fonctionne. Nous avons aussi une loi spéciale au Québec. C’est comme cela que le gouvernement de la nation crie fonctionne. Il y a des lois qui découlent de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, qui est un traité.

L’un des problèmes que nous avons rencontrés pour la mise en œuvre du traité était que le gouvernement fédéral, en 1975, pensait que les programmes habituels s’appliqueraient à la nation crie, au lieu d’adresser une requête spéciale au Conseil du Trésor pour financer les dépenses requises pour l’exécution des obligations, ce qui ne fut fait qu’en 2008. Cela fait partie des obligations.

Le grand chef a expliqué, tout à l’heure, l’article 22, qui porte sur l’évaluation de l’impact environnemental et social des projets réalisés sur le territoire cri. Nous sommes des participants à cette évaluation environnementale, pas de simples intervenants. Nous siégeons, à côté du Canada et du Québec, au comité d’évaluation pour écouter les intervenants. Nous participons au processus de décision. Nous ne sommes pas des intervenants. C’est totalement différent.

Certes, des citoyens cris peuvent intervenir, mais nous faisons partie du processus de décision. C’est la même chose que pour les pipelines ou les projets d’hydroélectricité. Ce processus a permis l’approbation de mégaprojets dans le Nord québécois, et les Cris en ont été des participants, pas des intervenants ou des requérants. Nous faisons partie des décideurs.

Les Cris ne sont pas unanimes sur ces dossiers. Certains contestent les décisions prises par le gouvernement de la nation crie ou par les panélistes cris, mais nous réglons cela entre nous. Nous ne sommes pas unanimes. Les gens ont parfaitement le droit de contester, mais, au final, nous faisons partie du processus de décision.

Le sénateur Patterson : C’est un plaisir de vous revoir ici. Nous avons vécu des moments très forts au moment de l’examen du projet de loi C-70, auquel vous aviez apporté tout votre soutien. Je vous remercie de revenir aujourd’hui nous aider dans cette étude sur la nouvelle relation. Nous avons beaucoup à apprendre de votre expérience.

J’aimerais vous poser quelques questions de détail. Tout d’abord, au sujet du gouvernement régional, de la représentation des municipalités de la région et de la population crie, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont cela fonctionne? Y a-t-il un président qui dirige cette organisation? Quelle garantie les Cris ont-ils que vous réussissez à vous faire entendre au sein du gouvernement régional?

C’est une sorte de fusion des anciens gouvernements régionaux et de votre gouvernement. Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur la manière dont c’est structuré?

M. Bosum : Je parlais, tout à l’heure, de la municipalité de Baie-James, qui était l’instance de gouvernement des territoires en dehors des terres de catégorie 2 et de catégorie 3. Quand nous avons négocié l’accord de gouvernance avec le Québec, nous avons élargi notre compétence à la catégorie 2, de sorte que le gouvernement de la nation crie et les communautés avaient compétence sur 70 000 kilomètres carrés de plus, pour un total de 75 000 kilomètre carrés. C’est maintenant un gouvernement de la nation crie qui gouverne cette région.

En outre, nous avons négocié la composition du gouvernement régional pour être inclus dans la gouvernance du territoire. Nous avons une représentation égale. Nous avons 11 membres du côté cri, et la municipalité non autochtone a également ses membres. Évidemment, les municipalités n’ont pas toutes la même taille ou les mêmes caractéristiques, ce qui influe sur le nombre de leurs représentants. Au final, nous avons une structure dans laquelle il y a 22 voix pour les Cris et 22 voix pour les non-Cris. Cette structure restera en place pendant les 10 premières années. Ensuite, nous devrons négocier une nouvelle structure en fonction de la population à ce moment-là.

La participation crie à cette nouvelle structure a été très positive. Ce que nous faisons correspond en grande mesure aux fonctions municipales du territoire, mais la convention permet aussi au gouvernement régional d’être le premier à assumer de nouvelles responsabilités, chaque fois qu’il y a une dérogation de responsabilité dans d’autres secteurs, que ce soit sur la faune, la forêt ou les mines.

Nous considérons que cette structure doit pouvoir évoluer dans le temps, petit à petit, afin d’assurer de bonnes relations entre tous les habitants du territoire. Vous noterez aussi qu’elle responsabilise les Cris. Quand nous avons signé la convention en 1975, les terres que nous avions le pouvoir de gouverner étaient ce que nous appelons les terres de catégorie 1, qui sont comme des terres de réserves. Elles ne couvraient que 5 000 kilomètres carrés environ sur un territoire de 350 000 kilomètres carrés. C’est comme ça que cela a commencé. Aujourd’hui, nous gouvernons tout le territoire de 350 000 kilomètres carrés. C’est vraiment une nouvelle manière de gouverner le territoire.

Le sénateur Patterson : Je voudrais parler maintenant de la gestion des ressources. Quel accord de partage des revenus avez-vous? Y a-t-il, dans les projets d’exploitation des ressources naturelles, un pourcentage des redevances qui est destiné aux Cris, qui autrement irait à la province?

En matière de gestion des ressources, qui détient le pouvoir de décision ultime? Je sais que vous participez au processus de réglementation, mais qui décide, en dernière analyse, qu’un projet ira de l’avant et à quelles conditions?

M. Bosum : C’est une double question, car d’un côté, la formule de partage des revenus se trouve dans l’accord signé avec le Québec, la Paix des Braves, mais il y a aussi une formule intégrée qui tient compte de la production des projets hydroélectriques, miniers et forestiers sur le territoire. Nous avons commencé avec un montant de base de 70 millions de dollars, auquel on a inclus une clause d’indexation basée sur les nouveaux projets qui seront réalisés sur le territoire. Nous avons utilisé cela pour la mise en œuvre des obligations du Québec.

En ce qui concerne l’approbation des projets, il y a un processus environnemental auquel ils sont soumis, mais au bout du compte, nous participons à la prise de décision. Au final, c’est l’administrateur du Québec qui décide et, jusqu’à présent, notre expérience a été très positive. Le processus est très transparent, et quiconque doit participer à l’évaluation du projet peut le faire.

Certes, c’est le gouvernement du Québec qui décide en dernière analyse, mais il respecte le processus et le régime en vigueur.

Le sénateur Patterson : Vous possédez une autorité morale qui découle du fait que vous avez participé au processus de réglementation.

Puis-je poser une autre question?

La sénatrice McPhedran : Merci, messieurs, de comparaître devant notre comité ce matin. Je m’adresse essentiellement à vous, monsieur Bosum, mais j’invite les autres témoins à répondre eux aussi.

Vous dites dans votre déclaration, à la page 5 : « Nous avons supprimé l’application de la Loi sur les Indiens », mais pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait des dispositions actuelles de l’article 6, et cetera, de la Loi sur les Indiens, qui concernent le mariage avec un non-Indien? Ces dispositions provoquent encore l’exclusion d’un nombre élevé de femmes autochtones du pays.

M. Bosum : En 1980, nous nous sommes soustraits de l’application de la Loi sur les Indiens. Nous avons négocié ce qu’on a appelé la Loi sur les Cris et les Naskapis en vertu de laquelle beaucoup de compétences ont été transférées à nos communautés et à l’administration régionale de l’époque.

Plus récemment, en 2018, nous avons renégocié la Loi sur la gouvernance de la nation crie, qui a été promulguée il n’y a pas très longtemps, et nous nous sommes ainsi soustraits complètement de l’application de la Loi sur les Indiens. D’après la nouvelle entente, nous aurons au départ les pouvoirs énoncés dans la Loi sur les Cris et les Naskapis et nous étofferons peu à peu notre appareil législatif en consultant notre peuple et en rédigeant notre propre constitution, qui s’appliquera à toute la population de notre territoire.

La sénatrice McPhedran : Y a-t-il déjà une ébauche de cette constitution? Dans l’affirmative, quelle différence y a-t-il maintenant au Canada entre les femmes autochtones et les hommes autochtones qui se marient avec des non-Autochtones? Comment cette question est-elle traitée dans la Constitution proposée?

M. Namagoose : Chez les Cris, il y a deux listes. Il y a la liste de bande, où sont enregistrés les Indiens inscrits, puisque nous sommes toujours des Indiens inscrits au titre de la Constitution du Canada. Il y a aussi la liste des bénéficiaires, qui sont les gens qui ont signé la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Nous utilisons la liste des bénéficiaires comme liste des citoyens. La Loi sur les Indiens et la liste de bande indienne n’ont quasiment plus aucun sens pour nous. En 1975, la désignation d’Indien non inscrit pour les Cris a été abolie parce que nous étions aussi des bénéficiaires. Nous assurons le suivi des Indiens et de la liste de bande en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous avons aussi la liste des bénéficiaires et, en ce qui concerne notre gouvernement, nous utilisons la liste des bénéficiaires ou la liste des citoyens cris. Le seul bienfait que nous retirons de la Loi sur les Indiens est la désignation d’Indien. Nous avons aussi la liste des bénéficiaires qui nous identifie comme citoyens.

La liste de bande n’est qu’un numéro de bande. Elle ne sert à rien dans notre gouvernance. Les gens peuvent épouser qui ils veulent et ne sont pas forcés de partir. Ils ont des droits. Ce sont des Cris, mais un non-Cri ne peut jamais devenir un bénéficiaire par le mariage. Les enfants du mariage seront des bénéficiaires. Toutefois, une personne qui n’est pas une bénéficiaire et qui épouse une personne bénéficiaire crie ne devient pas bénéficiaire. Le statut de bénéficiaire est hérité de la mère ou du père et il n’y a aucune discrimination.

La sénatrice McPhedran : Dois-je conclure de votre réponse qu’il n’y a dans votre société aucune discrimination fondée sur le sexe?

M. Namagoose : Non, il n’y en a pas pour la liste des bénéficiaires. Il subsiste encore des problèmes avec la liste de bande qui, comme je l’ai dit, n’a plus vraiment de sens chez nous parce que nous ne l’utilisons pas. Nos citoyens sont gouvernés en fonction de la liste des bénéficiaires. Nul ne perd ou ne gagne d’avantages en se mariant, mais, comme je l’ai dit, les enfants deviennent bénéficiaires et reçoivent les avantages du traité.

La sénatrice McPhedran : Quelqu’un d’autre veut-il répondre à ma question?

Paul Wertman, conseiller, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) : Les Cris du Nord québécois ont toujours considéré, puisque ce sont des personnes reconnues comme telles par le droit international, qu’ils jouissent du droit à l’autodétermination. Or, le droit à l’autodétermination s’accompagne du droit de déterminer qui est membre de la nation.

Dans les diverses négociations décrites par le grand chef et par Bill Namagoose, on a adopté le principe qui guide la détermination de la qualité de membre. Ce principe est le suivant : quand on est Cri, c’est pour toujours. Quand on n’est pas Cri, on ne peut jamais le devenir. Toutefois, les enfants de personnes de l’extérieur qui épousent des membres de la Nation crie, qui ne sont pas des bénéficiaires et qui ne sont pas cris, sont reconnus comme des membres.

M. Bosum : J’ajouterai à cela que la province du Québec a adopté une loi sur l’adoption coutumière. C’est un autre élément intéressant pour la réglementation de la qualité de membre. S’il est vrai que nous disons que quand on est cri, c’est pour toujours, il peut y avoir certaines exceptions, en particulier en matière d’adoption, parce que nous avons des membres qui épousent des personnes de l’extérieur de la nation. Il y a des mariages qui se brisent et des enfants qui sont en cause. Nous avons actuellement des discussions intéressantes avec le gouvernement du Québec sur la manière de réglementer l’adoption coutumière.

La sénatrice McPhedran : Dans le cadre de l’élaboration d’une nouvelle constitution, est-ce qu’on s’attache tout particulièrement à promouvoir ou à garantir l’inclusion des jeunes et des femmes? Est-ce que c’est nécessaire?

M. Bosum : Nous n’avons pas encore entamé le processus. La loi a été adoptée, vous l’avez approuvée, il n’y a pas très longtemps. Nous faisons une petite pause, mais nous entendons bien entamer un processus de consultation auprès de nos membres.

[Note de la rédaction : la sénatrice McCallum s’exprime dans une langue autochtone.]

La sénatrice McCallum : Je suis heureuse de vous revoir.

Dans votre document, vous dites qu’un savant dosage de droits autochtones, de gouvernance et de développement vous a été utile. Pourriez-vous nous dire ce qu’il en est de la consultation? Est-ce qu’elle va au-delà du territoire? Porte-t-elle sur des secteurs comme la santé et la justice, qui peuvent avoir un impact négatif sur nos peuples quand des lois sont adoptées?

Pourriez-vous également parler de l’article 35?

M. Namagoose : Lorsque nous parlons de droits autochtones et de développement, nous avons l’expérience de l’article 22 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Cet article porte sur le processus d’évaluation des répercussions sur l’environnement et le milieu social. C’est à ce niveau-là que nous participons à l’évaluation sociale et environnementale des projets.

Le droit de participer figure dans le traité. C’est un droit autochtone que nous possédons. Les projets de développement sont proposés par le Canada, le Québec, Hydro-Québec ou d’autres entreprises. Ils sont tous assujettis à ce processus. C’est pour cela que nous disons que c’est un savant dosage de droits autochtones et de développement. Nous participons à l’évaluation environnementale et à l’évaluation de l’impact global des projets.

En ce qui concerne la santé et la justice, nous avons conclu un arrangement sur la santé avec le gouvernement du Québec, en vertu de l’article 17 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. C’est un droit issu du traité qui concerne les prestations médicales et sociales. Cet arrangement a été conclu avec le gouvernement du Québec, pas avec le gouvernement fédéral. Nous ne traitons pas avec Santé Canada. Tous les spécialistes de la santé se trouvent au niveau provincial, et c’est avec eux que nous avons des contacts. Nous avons notre propre commission crie, où trois ou quatre professionnels prennent des décisions sur les enjeux de santé. C’est la même chose avec la justice. Nous avons un comité consultatif, et la plupart des dossiers sont réglés en vertu de l’article 18 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Toutes les questions relevant de la santé, de la justice, du gouvernement local, du gouvernement régional et des évaluations environnementales sont réglées en vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, qui est un droit issu du traité. C’est la raison pour laquelle nous insistons toujours pour que notre relation soit fondée sur le traité.

Il n’y a pas très longtemps, le gouvernement fédéral a essayé de résilier la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Il aurait préféré avoir une relation fondée sur une politique plutôt que sur un traité. Nous nous sommes battus, c’était dans le cadre du projet de loi C-70. C’est la raison pour laquelle ce projet de loi découle de l’article 9 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois et pas de la politique du gouvernement fédéral en matière d’autonomie gouvernementale. C’est pour cela que nous disons que le traité l’emporte sur la politique.

Nous savons par expérience que nous ne pouvons pas faire confiance au gouvernement et à ses politiques. En revanche, nous faisons confiance à notre traité parce que nous l’avons négocié. C’est un document de 600 ou 700 pages. C’est la raison pour laquelle nous insistons toujours pour que nos droits autochtones et nos relations avec le Canada et le Québec passent par le traité.

M. Bosum : J’aimerais ajouter qu’il y a deux processus parallèles. D’un côté, nous avons la mise en œuvre de notre traité. Un grand nombre de chapitres de la convention portent sur des périodes de cinq ou sept ans. Ils sont renouvelés tous les cinq ou sept ans, ce qui nous donne l’occasion de discuter des nouveaux enjeux.

En parallèle, nous avons un bureau à Québec. Notre ambassade à Québec suit de près le programme législatif provincial. Chaque fois qu’un projet de loi risque d’avoir un impact sur le traité ou les droits des Cris, nous participons à des audiences pour exprimer nos préoccupations ou notre opposition à tout projet de loi susceptible d’empiéter sur nos droits.

Brian Craik, directeur des relations fédérales, Grand conseil des Cris (Eeyou Istchee) : Je siège dans deux comités qui examinent des projets proposés par Hydro-Québec ou des entreprises minières dans le Nord du Québec. Depuis 28 ans que je m’intéresse à tout cela, nous avons réussi à faire approuver 400 modifications de permis pour divers projets réalisés par Hydro-Québec. Avant que le processus ne commence, le projet La Grande était vraiment à l’état brut. Ils avaient prévu de détourner tous les cours d’eau dans un seul bassin et de tout déverser dans l’océan, afin de produire le maximum d’électricité.

Les Cris en ont pris connaissance, et finalement, Hydro-Québec a présenté un nouveau projet, EM-1-A Sarcelle, qui a un impact beaucoup moins important que celui de La Grande, à l’origine.

Au début des années 1970, quand le projet La Grande menaçait toutes les communautés cries, l’ironie du sort a voulu que cela ait pour effet de mobiliser toute la population. Les gens se sont rassemblés pour lutter contre ce grand projet. C’étaient des gens qui avaient été à l’école. Lorsque le procès s’est terminé, ils se sont demandé ce qu’ils allaient faire. Il y a eu des négociations, et les Cris ont dit, en substance : « Nous voulons ce que vous avez. Nous voulons le système scolaire. Nous voulons le contrôler. Nous voulons le système de santé. Nous voulons un système judiciaire qui soit présent dans nos communautés et qui fonctionne. »

Grâce à cela, les Cris se sont retrouvés dans une position idéale dans le Nord du Québec. Les ententes qui ont été signées depuis visent à rendre la Convention de la Baie-James plus fonctionnelle et plus avantageuse pour les Cris. Le processus d’examen des projets tient compte aussi des changements. Le changement climatique a été ajouté à la liste, mais l’impact social y figure depuis le début.

C’est tout ce que j’ai à dire. Merci.

La présidente : Il ne nous reste plus de temps, à moins que vous n’ayez qu’une question très brève.

Le sénateur Patterson : Je n’ai vraiment qu’une question très brève. Attawapiskat est située à proximité d’une mine de diamants, et d’après ce que j’ai entendu, cela n’a pas beaucoup profité à la communauté. Vous avez le projet Stornoway à Mistissini. Dans quelle mesure les Cris ont-ils réussi à obtenir des emplois et à partager les revenus de ce projet?

M. Bosum : Une fois que la mine entrera en production, cela affectera les revenus que nous percevons en fonction de la formule que nous avons négociée avec le Québec. Nous avons également signé directement avec l’entreprise une entente sur les répercussions et les avantages. Encore une fois, dès que la production commence et que des profits seront réalisés, un pourcentage sera automatiquement octroyé à la communauté la plus touchée. Le reste va à toutes les autres communautés cries. La nation crie a adopté une formule qui permet de distribuer les revenus tirés de l’entente sur les répercussions et les avantages.

En ce qui concerne l’emploi, environ 35 p. 100 des travailleurs de la mine sont des Cris.

La présidente : Au nom de tous les sénateurs, j’aimerais remercier nos témoins de ce matin qui représentaient le Grand conseil des Cris et la nation crie Oujé-Bougoumou. Nous aurions bien aimé rendre visite à cette nation, mais nous espérons le faire un de ces jours.

Je vous remercie de vos témoignages, qui ont été très instructifs, et nous aurions bien aimé vous poser bien d’autres questions.

Nous avons le plaisir d’accueillir maintenant notre deuxième groupe de témoins pour la matinée, à savoir Isadore Day, chef régional de l’Ontario. Je viens d’apprendre que vous fêtez aujourd’hui votre 50e anniversaire, et avant de vous donner la parole, je vous tiens à vous souhaiter un très bon anniversaire.

Des voix : Bravo!

Isadore Day, chef régional de l’Ontario, Chefs de l’Ontario : Merci, sénateurs. C’est un honneur pour moi de comparaître devant votre comité. Je tiens à rendre hommage au Créateur, à la création, aux prières, aux protocoles et à ce territoire non cédé des peuples algonquins. Cela dit, j’avais prévu, au cas où on me demanderait si j’étais sur la pente descendante de la Colline, de dire que je suis au sommet de la Colline, et pas sur la pente descendante, sinon je serais dans la rivière, sans pagaie. Je suis content d’être ici ce matin.

Encore une fois, j’aimerais reconnaître le territoire sur lequel nous nous trouvons et qui, d’une certaine façon, illustre bien le sujet dont nous discutons aujourd’hui. Je félicite votre comité d’avoir entrepris cette étude, car il est nécessaire de faire une analyse en profondeur de la relation qui nous unit. Le témoin précédent a parlé du contexte contemporain, mais moi, j’aimerais remonter un peu plus loin dans l’historique des traités. Je vais vous en parler au cours de mon exposé.

J’ai hâte de voir le jour où une bonne partie des terres de l’enceinte parlementaire seront rendues au peuple algonquin. Étant donné qu’Ottawa est devenue l’une des plus grandes réserves urbaines du Canada, ce serait vraiment un acte de réconciliation.

L’unilatéralisme a toujours été le problème principal dans nos relations avec les gouvernements fédéral et provinciaux, et je veux parler de l’unilatéralisme dont ces gouvernements ont fait preuve à l’égard des peuples autochtones. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, est le modèle d’une relation amicale et durable. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones permet d’intégrer les droits autochtones dans le régime général de protection des droits de la personne. Cette déclaration dispose que :

Préoccupée par le fait que les peuples autochtones ont subi des injustices historiques à cause, entre autres, de la colonisation et de la dépossession de leurs terres, territoires et ressources, ce qui les a empêchés d’exercer, notamment, leur droit au développement conformément à leurs propres besoins et intérêts,

Ce paragraphe est extrait du préambule de la déclaration, et il est important que le Canada en prenne acte s’il veut établir une relation plus solide et plus harmonieuse avec les Premières Nations et s’il veut créer, au-delà de l’amitié, un lien et un engagement. C’est notre responsabilité à tous, qu’il s’agisse du Sénat, de la Chambre des communes, des fonctionnaires et de tous les citoyens de ce pays.

Le célèbre rapport de la Commission royale d’enquête de 1996 sur les peuples autochtones affirme que les Premières Nations ont besoin d’un territoire suffisant pour pouvoir aspirer à l’autarcie économique. Le deuxième volume du rapport contient plusieurs recommandations sur l’objectif économique de territoire durable.

Nous n’avons toujours pas obtenu cela. En fait, les Premières Nations n’occupent que 0,2 p. 100 de la superficie du Canada. Dès que nous essayons de déborder du timbre-poste que le territoire de nos communautés représente, la bureaucratie gouvernementale bloque le processus. J’en donne pour exemple la communauté d’Attawapiskat, qui a déclaré l’état d’urgence il y a deux ans à la suite de plusieurs suicides et tentatives de suicide.

Le chef Ignace Gull a dit au gouvernement fédéral ce printemps que ses jeunes étaient, toujours aussi, découragés et déprimés. Qu’Attawapiskat accueillait sur son territoire le plus important développement minier du Canada, la mine Victor Diamond, et que la communauté avait désespérément besoin de nouveaux logements et de nouvelles infrastructures. La seule façon de le faire est d’élargir le territoire de la communauté selon un processus appelé ajout de terres aux réserves, qui se poursuit depuis au moins sept ans. En attendant, les logements tombent en décrépitude. Les gens vivent dans des espaces surpeuplés et se partagent les lits à tour de rôle. Les enfants sont placés dans des familles d’accueil et certains se suicident.

Le chef Gull est récemment venu me voir pour que les problèmes de sa communauté soient examinés en priorité lors d’une rencontre entre l’APN et le gouvernement fédéral. Il m’a expliqué comment ce processus pourtant mineur bloquait tout projet d’infrastructure et de développement dans sa communauté. C’est un problème bureaucratique.

Qui doit-on blâmer? Le Canada et l’Ontario, qui font traîner le processus d’ajout de terres aux réserves, et les bureaucrates qui ne font pas leur travail correctement. Somme toute, cela témoigne d’un manque de respect pour notre peuple, et cela finira par l’anéantir. Il est pourtant de leur devoir de respecter les Premières Nations, car ce sont les premiers habitants de ce pays. Il est aussi de leur devoir de respecter la relation qui a été établie en vertu des traités et qui a permis aux nouveaux arrivants de partager avec nous les richesses de ce pays.

On peut faire un parallèle entre la dernière province qui est entrée dans la Confédération et les conditions dans lesquelles vivent un trop grand nombre de Premières Nations au Canada. Terre-Neuve est devenue la dixième province en 1949, il n’y a pas si longtemps. Si vous visitez Confederation Hall à Charlottetown, l’une des phrases qui y sont citées pour décrire Terre-Neuve avant son entrée dans la Confédération est qu’il y avait beaucoup trop de gens qui vivaient dans une grande misère. Les Britanniques voulaient se décharger sur le Dominion du Canada de leur responsabilité à l’égard de Terre-Neuve. Je remarque que le sénateur Doyle est né sujet britannique, ce qui est très significatif dans le contexte de la discussion que nous avons aujourd’hui.

Certes, le Canada a promis d’augmenter les paiements de bien-être et de verser des allocations familiales si Terre-Neuve entrait dans la Confédération. Le père de Paul Martin était ministre fédéral de la Santé et du Bien-être lorsque Terre-Neuve est entrée dans la Confédération. Le premier ministre provincial Joey Smallwood avait l’habitude de présenter Paul Martin senior comme celui qui envoyait les chèques d’allocations familiales, ce qui valait toujours à ce dernier un tonnerre d’applaudissements.

Pendant à peu près les 30 premières années, Terre-Neuve est restée une province pauvre. L’Ontario a transféré des centaines de millions de dollars par an pour que les Terre-Neuviens atteignent un niveau de vie sensiblement égal au reste du Canada : je veux parler de la péréquation. À un certain moment, l’économie de Terre-Neuve a fait un grand bond en avant avec l’exploration du pétrole extracôtier, à tel point qu’elle est devenue l’une des provinces les plus riches de la Confédération. Même encore maintenant, Terre-Neuve-et-Labrador n’a reçu en 2017-2018 que 734 millions de dollars en paiements de transfert, pour une population d’environ 530 000 habitants. Le Nouveau-Brunswick, l’une des quatre provinces fondatrices de la Confédération, a une population de 750 000 habitants, et en 2017-2018, elle a reçu des paiements de transfert de 2,8 milliards de dollars, soit presque quatre fois plus que Terre-Neuve.

Il est clair que Terre-Neuve a fait beaucoup de chemin depuis son entrée dans la Confédération. L’époque de la grande misère est révolue. Depuis 10 ans, les Terre-Neuviens arrivent toujours en tête dans les sondages parmi les Canadiens les plus heureux. Les Terre-Neuviens ont réussi à se débarrasser du joug du colonialisme britannique pour entrer dans la Confédération en qualité de partenaires égaux.

Aujourd’hui, ce qui distingue les Terre-Neuviens des Premières Nations, c’est qu’ils ne sont pas régis par la Loi sur les Indiens et qu’ils ne sont pas soumis aux dysfonctionnements bureaucratiques d’Ottawa. Ils ont leur propre fonction publique, et ils reçoivent régulièrement des paiements de transfert en fonction de leurs besoins. À l’heure actuelle, il y a beaucoup trop de communautés des Premières Nations qui n’ont que leur misère à gérer. Beaucoup trop de Premières Nations vivent dans des conditions dignes du tiers monde.

Pour recalibrer le rôle du Canada dans une relation de nation à nation, il faut comprendre dans quelle perspective les peuples autochtones ont signé les premiers traités, notamment le Traité de Niagara en 1764. L’unilatéralisme n’a pas sa place dans les traités, car leur objectif est la paix et le développement, la création d’un lien d’amitié, presque d’un lien familial d’attachement, de partage et de générosité.

Je signale en passant que la réputation qu’a le Canada de pays pacifique et de pays respectueux ne trouve pas ses racines dans le colonialisme ou l’impérialisme britannique. Il trouve ses racines dans les relations existantes, c’est-à-dire dans les premiers traités de paix et d’amitié. C’est à eux que le Canada doit sa belle réputation.

Nous n’avons toujours pas vu de preuves concrètes de cette belle générosité du Canada que les représentants de vos rois et de vos reines nous avaient promises en 1764 dans les premiers traités du sud de l’Ontario, en 1850, dans les traités du lac Supérieur et du lac Huron, et dans les traités nos 3, 5 et 9 pour la région de l’Ontario. Il faut rappeler, d’un point de vue historique, que ces promesses très importantes étaient nécessaires au développement pacifique de l’Ontario en 1867, car à cette époque, l’élargissement unilatéral des frontières de la province a eu un impact sur le traité no 3 et a brouillé quelque peu les cartes en ce qui concerne le rôle des gouvernements de la Couronne à l’égard des traités et des peuples des Premières Nations. La répartition des pouvoirs et la lutte pour le pouvoir ont eu des effets délétères sur les droits issus des traités, partout au Canada.

La nouvelle province de Colombie-Britannique et la province encore plus nouvelle de Terre-Neuve ne voulaient pas conclure de traités sur leur territoire. Le Canada ne s’est pas montré à la hauteur en ne défendant pas l’honneur de la Couronne après la Confédération. Mais ne croyez pas pour autant que les premiers traités étaient des arrangements moins solides que les soi-disant titres de droits autochtones sur des terres où l’honneur de la Couronne n’a pas été défendu. Le traité du lac Huron et tous les traités de l’Ontario constituent des engagements fermes vis-à-vis d’une dette considérable qui est due aux peuples autochtones dans le centre du Canada. Comme l’ont dit les témoins précédents, ces premiers traités sont indéniablement, à cause de la langue et des obstacles linguistiques, une source de problèmes, de défis et de conflits qui exigent aujourd’hui de notre part une attention supplémentaire.

Le bois, l’or et les ressources halieutiques de nos territoires étaient censés être partagés, mais l’unilatéralisme et les querelles de pouvoir provinciales ont mis à mal cette relation. Une cause importante a été entendue, au cours des derniers mois, qui concerne l’ensemble de l’Ontario. Elle a été transmise par le Web pour que les Autochtones visés par les traités soient informés de l’accord sur les annuités prévues dans le traité Robinson-Huron de 1850. Cela concerne le partage des revenus, et c’est la prochaine grande étape de la réconciliation que les gouvernements canadiens devront franchir.

Le Canada est le gouvernement de la reine. L’engagement de sir William Johnson en 1764 a été repris par lord Denning dans la décision des tribunaux britanniques, en 1981, à savoir que le Canada devait respecter l’engagement qu’il avait pris dans le cadre des traités.

À cette époque, nous avions décidé de soumettre nos traités aux tribunaux britanniques parce que le Canada envisageait de créer un ordre constitutionnel indépendant, et les tribunaux britanniques nous ont dit : « Vos traités conservent toute leur force. » Le Canada doit défendre les traités contre les provinces lorsque cela est nécessaire, et contre l’industrie lorsque cela est nécessaire. Cela fait partie de notre entente entre nations. Le principe de mutualité est important. Le principe de respect est l’essentiel dans une relation fondée sur un traité. La réciprocité est un principe autochtone pour une vie durable sur notre territoire, c’est-à-dire pour permettre à nos peuples d’y vivre à jamais. La réciprocité, dans une relation, est aussi quelque chose que nous devons bien comprendre.

En conclusion, j’aimerais m’attarder sur le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. La Proclamation royale de 1763 ressemble à une décision unilatérale puisqu’elle a été rédigée sans le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones. Les représentants du roi se sont contentés de présenter ce document au conseil du traité, en présence de nos peuples, les Gusweñta et les Two Row Wampum. Sir William Johnson avait épousé une Autochtone et il était donc parfaitement conscient de l’importance et de la signification d’une relation nation à nation.

Il a dépêché des messagers britanniques partout dans la région pour faire venir des représentants autochtones à Niagara en 1764. Il a respecté le protocole et s’est assuré que le traité reflétait les relations passées et une compréhension réciproque. Il a réussi à respecter le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause en investissant considérablement dans le protocole et le processus pour le traité de Niagara en 1764. Voilà pourquoi il est important de bien comprendre les traités. Le traité Jay, l’accord conclu entre les Britanniques et les Américains en 1794, s’inscrit dans la relation fondée sur les traités qui a été établie avec les peuples autochtones du centre du Canada.

La frontière imaginaire qui existe entre les peuples, entre vos nations, n’était pas censée avoir un impact sur les relations familiales et commerciales qui existaient entre les peuples autochtones, en particulier le long des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Un grand nombre de nations se recoupent à cette frontière.

Nos peuples se souviennent de leur histoire. L’unilatéralisme est le fil conducteur de nos relations. Nous attendons beaucoup de notre participation au processus visant à établir de meilleures relations. Même si cela concerne les traités, cela ne signifie pas pour autant que nous devons oublier ou négliger la réconciliation historique qui a eu lieu dans le passé. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est un principe qui mérite que nous nous battions tous pour lui. C’est un principe qui garantit une amitié solide et qui donne à nos nations la capacité de dire oui ou non, dans le cadre de nos propres systèmes juridiques, à la promesse et aux engagements du Canada. Nous y étions parvenus en 1764, et nous pouvons le faire en 2018.

Dans cette nouvelle ère de réconciliation, nous devons nous assurer que cette nouvelle relation de nation à nation est fonctionnelle. Nous devons être des partenaires égaux du Canada, comme c’était le cas lorsque les Européens sont arrivés dans ce pays. Et surtout, nous devons obtenir des résultats sur les promesses et les mandats que le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre. Dans l’intérêt de nos enfants, nous devons faire en sorte que leur espoir d’un avenir meilleur devienne une réalité dès aujourd’hui.

Il nous faut un système de paiements de transfert dès maintenant. Il nous faut un territoire dès maintenant. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que nous pourrons construire nos propres institutions, nos propres bureaucraties et nos propres économies. Une fois que nous aurons atteint l’autarcie et l’autodétermination, les Premières Nations seront vraiment des partenaires égaux au sein du Canada. Meegwetch.

Le sénateur Gold : Je vous remercie tout particulièrement d’avoir placé vos remarques dans un contexte historique. Les Canadiens doivent savoir comment la relation entre les Premières Nations et les gouvernements coloniaux a commencé, aussi bien ce qu’il y a eu de bon que ce qu’il y a eu de moins bon. C’est très utile.

Des représentants des Cris nous ont parlé tout à l’heure de leur expérience, au fil des ans, avec le gouvernement du Québec. Ils possèdent un vaste territoire. Et comme je l’ai indiqué dans la question que je leur ai posée, c’est un territoire riche en ressources qui intéressent le gouvernement. Même s’il n’y avait pas égalité dans les négociations, loin s’en faut, on a quand même relativement réussi à jeter les fondements de ce qui allait nécessiter plusieurs décennies pour être finalement mis en œuvre. Nous comparons cela à la situation d’un grand nombre de communautés des Premières Nations de l’Ontario et d’ailleurs, qui ne disposent pas de vastes territoires et dont les droits ont été déclarés éteints, en vertu d’un traité ou autrement.

Comment ces communautés et les gouvernements, qu’ils soient fédéral ou provinciaux, peuvent-ils construire une relation de nation à nation, plutôt qu’une relation inspirée par le colonialisme et même par la loi, alors qu’il y a une telle disparité au niveau des pouvoirs de négociation? Concrètement, qu’est-ce que vous recommandez?

M. Day : C’est un dilemme. C’est une question très complexe. Quand on voit l’âge de la population de cette région du pays, le développement excessif, les centres urbains, le régime foncier du fief simple, il faut cesser de croire que le développement des ressources est la seule façon d’en partager les revenus.

Étant donné que l’Ontario représente 38 p. 100 du PIB du Canada, on a largement de quoi trouver un modèle de partage novateur, qui prend en compte les promesses initiales de partage de la richesse et des ressources, plutôt que de se contenter d’abattre les arbres ou d’extraire le minerai et de le transformer en minéraux précieux avant de le commercialiser.

Il faut se pencher sur les situations où, comme c’est le cas du cannabis actuellement, les Premières Nations ne font tout simplement pas partie de l’équation. Quand il s’agit de consommation, on pourrait leur transférer un sou de la taxe commerciale ou de la taxe résidentielle, ce qui serait une forme de partage des revenus issus des ressources, dans toutes nos régions. Nous sommes des gens raisonnablement bons et intelligents. En tout cas, les Premières Nations ont fait preuve de bonté lorsqu’elles ont accepté de partager leurs ressources. Il est temps de mettre en place un nouveau modèle de partage des revenus issus des ressources, pas seulement pour envisager de nouveaux développements, mais surtout pour identifier les secteurs dans lesquels nous pouvons partager la richesse qui continue de faire partie de la nature cyclique du produit intérieur brut d’une région.

Le sénateur Gold : Je voudrais simplement dire que c’est une piste intéressante pour ce qui est de la gouvernance. Étant donné les disparités qui existent en ce qui concerne le statut juridique, les ressources, les pouvoirs, et cetera, avez-vous des suggestions à nous faire pour les petites communautés qui n’ont pas signé d’entente d’autonomie gouvernementale ou dont les droits à l’autonomie gouvernementale n’ont pas été reconnus?

M. Day : Dans les régions de l’Ontario, mais je ne peux parler que de la mienne, il y a de plus en plus d’exercices de construction de la nation qui prennent en compte les groupes linguistiques, les territoires partagés et les familles. Avant 1876, les réserves n’existaient pas. Dans le traité Robinson-Huron de 1850, des petits territoires ont été mis de côté pour les Premières Nations, mais c’étaient des territoires partagés. Nous, nous pensions que nous allions partager ces terres, et c’est ainsi que le malentendu s’est installé.

Nous avons la capacité de mutualiser nos expertises afin de valoriser les coutumes traditionnelles et les systèmes de valeurs que nous utilisions pour gouverner. La Confédération des Trois Feux a créé des réseaux commerciaux très sophistiqués le long de ce qui est maintenant la frontière Canada-États-Unis. Ils sont à nous. Si vous croyez qu’une communauté du Nord n’a aucune idée de sa propre gouvernance et de ses propres lois, vous vous trompez. Ils en sont parfaitement conscients. Les gouvernements doivent comprendre que ces lois et cette capacité d’autonomie gouvernementale existent bien, contrairement, parfois, aux apparences.

Le sénateur Doyle : Votre comparaison avec Terre-Neuve m’a beaucoup intéressé, surtout quand vous avez parlé des problèmes que vous avez aujourd’hui. Vous avez tapé dans le mille parce que je pense que les Terre-Neuviens devraient être les premiers à reconnaître combien il est frustrant et difficile de traiter avec le gouvernement fédéral dans les secteurs que celui-ci contrôle, surtout lorsqu’il s’agit de ressources et de ce genre de choses. Je pense aussi à notre secteur des pêches, et aux problèmes que vous avez eus dans certaines régions du pays avec votre industrie de la pêche, vous aussi.

Dans notre cas, le contrôle qu’exerçait le gouvernement fédéral sur le secteur des pêches s’est transformé en propriété intégrale. Ce secteur a servi de monnaie d’échange pour obtenir de bonnes conditions d’importation de voitures qui venaient notamment d’Europe. En conséquence, des quotas de pêche surréalistes ont été accordés à des pays étrangers, et nos ressources halieutiques ont fini par être complètement pillées. L’une des zones de pêche les plus lucratives au monde, la pêche à la morue le long des Grands Bancs de Terre-Neuve, a été complètement décimée, à tel point que le gouvernement fédéral a décidé, il y a 30 ans, de la fermer complètement, et elle l’est toujours.

Je me pose des questions au sujet du développement de vos terres et des nombreux cas dans lesquels le gouvernement fédéral est intervenu. Dans quelle mesure y a-t-il un rapport de forces déséquilibré entre les Premières Nations et la Couronne? Nous, une fois que nous sommes entrés dans la Confédération, nous en avons tiré de nombreux bienfaits. Si vous faisiez aujourd’hui un sondage à Terre-Neuve, les gens voteraient en faveur de notre maintien dans la Confédération. Ils vous diraient que cela a été une très bonne chose pour notre province et notre pays, ce qui est vrai.

Au fil des ans, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un rapport de forces déséquilibré entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, beaucoup plus que nous ne l’avions cru au départ. Cela a suscité toutes sortes de problèmes. Nous pourrions être une province riche aujourd’hui si nous avions le contrôle de nos ressources halieutiques, comme nous l’avons sur l’extraction du gaz et du pétrole.

Pensez-vous qu’il y ait un rapport de forces déséquilibré entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral ? Est-ce que cela vous fait douter de pouvoir instaurer ces bonnes relations dont nous parlons? De quelle façon?

M. Day : Oui, il y a manifestement un rapport de forces déséquilibré, ce qui est tout à fait illégitime au regard des traités. Disons-le franchement : le Canada ne serait pas un pays si les premiers traités n’avaient pas été signés. Ce sont les textes fondateurs du Canada. Or, si les traités sont véritablement la pierre angulaire de cette relation officielle, il faut les considérer comme n’importe quel autre traité ou accord commercial international dont les signataires ont des pouvoirs égaux.

Notre point de départ doit être les traités, car c’est là que nous trouverons des solutions. Pour voir comment ce déséquilibre se traduit sur le terrain, il suffit de regarder le débat des chefs d’hier soir, en Ontario. Les trois grands partis n’ont en fait parlé que de leur programme politique. Ils discutaient entre eux. Pas une seule fois ils n’ont parlé des problèmes des Premières Nations. Ils n’ont pas dit un mot des mesures qu’ils comptent prendre pour les Autochtones, même s’ils prétendent en avoir.

Ce déséquilibre se traduit également dans la politique et dans les arrangements qui sont conclus. Je vais vous donner un exemple. Récemment, le gouvernement fédéral a travaillé d’arrache-pied sur les négociations de l’ALENA avec les États-Unis et le Mexique. Je dirai, sans vouloir offenser quiconque, que c’est insultant pour nos Premières Nations. Nous ne sommes pas consultés par les gouvernements. Cela renforce le déséquilibre.

Je vais vous dire ce que cela signifie concrètement, sénateur Doyle. Nous jouons aujourd’hui un rôle beaucoup plus important dans la politique énergétique de l’Ontario et dans le secteur privé, car nous avons récemment acquis des parts d’Hydro One. Nous jouons également un rôle beaucoup plus important dans les projets de génération électrique. Les Premières Nations ne sont plus de simples parties prenantes. Nous sommes les propriétaires et les exploitants de grands systèmes énergétiques en Ontario. Il serait logique, dans la mesure où nous sommes les partenaires importants de grandes entreprises, que nous faisons des investissements et que nous sommes reconnus comme des nations, que nous soyons assis à la table lorsque le Canada négocie des accords commerciaux avec les provinces et entre les provinces. Je suis convaincu que nous avons notre place à la table de négociation lorsque l’Ontario achète et vend de l’électricité pour gérer ses portefeuilles sur les marchés.

Le déséquilibre commercial est réel. Il faut que les gouvernements soient disposés à nous inviter à la table de négociation pour discuter et décider avec eux. Il n’y a rien qui les en empêche. Cela peut se faire dès aujourd’hui, et c’est de cette façon qu’on redressera ce déséquilibre.

Le sénateur Doyle : Je suis content de vous entendre dire que vous êtes optimiste et que vous réussirez à établir une nouvelle relation entre les Premières Nations et la Couronne, à titre de partenaires égaux, pour pouvoir faire tout ce qu’il y a à faire.

La sénatrice McCallum : J’aimerais parler un peu de l’unilatéralisme, car c’est quelque chose que j’ai toujours connu, comme beaucoup de gens. J’ai travaillé au niveau communautaire pendant une quarantaine d’années, en qualité de professionnelle de la santé. Nous avons eu l’occasion de rencontrer des fonctionnaires du gouvernement. On parle d’unilatéralisme, mais en fait, c’est le gouvernement qui prend toutes les décisions pour nous, quoi que nous disions.

Que faire pour changer cet état d’esprit? Comment les parlementaires, y compris les sénateurs, peuvent-ils y contribuer? Et comment peut-on faire venir les Premières Nations à la table?

M. Day : J’adore votre question, et je suis content que vous l’ayez placée dans le contexte de la santé, car ce secteur est sans doute l’exemple le plus flagrant de l’iniquité dont sont victimes les peuples autochtones au Canada. Les taux de mortalité élevés, les taux de diabète élevés, les maladies mentales et les toxicomanies sont tous des conséquences du colonialisme. Il faut absolument éradiquer l’unilatéralisme qui est encore profondément enraciné dans cette relation coloniale. C’est la première chose.

Quand il est question de la santé, voici ce que j’ai constaté au cours des trois dernières années. Je suis responsable du portefeuille de la santé à l’Assemblée des Premières Nations. J’ai décidé de me charger de ce dossier à cause des piètres conditions sanitaires dans lesquelles vivent nos gens. Je pensais que ce serait l’occasion pour moi de fouiller toute cette question et de trouver des solutions.

J’ai constaté que les Premières Nations, les Métis et les Inuits ne participent pas aux discussions. Dans la Loi canadienne sur la santé et les accords sur la santé, il est de temps à autre question de nous. On nous autorise même, parfois, à venir discuter la veille d’une rencontre officielle, mais nous ne faisons pas vraiment partie de la famille fédérale. C’est là que l’unilatéralisme devient la norme. Nous sommes invisibles sur la scène politique, parce que nous ne faisons pas officiellement partie de cette relation, et l’unilatéralisme qui en découle se reflète dans tout le système de soins de santé.

Nous essayons de présenter des mémoires aux ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé. Nous essayons de faire des propositions appropriées pour réduire l’écart qui existe et pour mieux collaborer. Vous savez peut-être qu’en Ontario, le gouvernement de Kathleen Wynne a consenti des efforts substantiels pour aller au-delà des limites de compétence. Ce gouvernement a implanté des services de santé et des services de soins de longue durée dans les réserves, ce qu’il n’était pas obligé de faire. Il a consenti cet effort et essayé de forger une nouvelle relation au moyen de nouveaux accords de financement auxquels contribuera la province.

Cependant, il y a une ombre au tableau. Nous ne pourrons jamais perpétuer cette volonté politique, car chaque parti a une idéologie politique différente. Tout comme le Canada, les provinces et les territoires jouissent d’une certaine prévisibilité dans la loi, et nous aussi, nous avons besoin que l’équité en matière de santé pour les Premières Nations soit entérinée dans la loi. C’est ce que nous voulons. Pour lutter contre l’unilatéralisme, nous devons faire entériner certaines choses dans la loi.

Je ne parle pas des lois qui sont imposées à notre peuple, mais prenons l’exemple de la Loi canadienne sur la santé qui prévoit cinq critères selon lesquels le gouvernement fédéral peut faire des paiements de transfert aux provinces et aux territoires. Ces cinq critères servent de barème lorsque les provinces et les territoires veulent réclamer un paiement de transfert.

La Loi canadienne sur la santé peut être modifiée. On peut la rouvrir pour nous inclure et commencer à créer des barèmes en matière d’équité en santé pour les Premières Nations. Il faudra déterminer quels mécanismes officiels régissent le dispositif législatif actuel. Cela nécessitera notre présence à la table de discussion, car les Premières Nations ne voudront certainement pas que l’élaboration de la loi se fasse unilatéralement.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie beaucoup de vos exposés fort instructifs. Nous nous sommes rendus dans le nord de l’Ontario et avons constaté que certaines communautés éloignées ont vraiment beaucoup de difficultés, car elles n’ont pas de source de revenus et leurs terres sont peu fertiles. Il y a été question de nos manquements à l’égard des traités, ce dont vous avez vous aussi parlé. C’est très important que vous ayez insisté là-dessus aujourd’hui.

Je me pose deux questions. Premièrement, comment va-t-on procéder pour que ces traités soient respectés et pour qu’on leur donne l’interprétation qu’ils avaient, au moment où ils ont été signés? Pouvez-vous nous recommander une façon d’y parvenir, dans l’optique de cette nouvelle relation?

Ma deuxième question est plus terre-à-terre. Vous avez parlé du processus d’ajout de terres aux réserves, et de la frustration d’Attawapiskat après sept ans d’attente. Notre comité a fait une étude sur le processus en question, et nous avons constaté qu’il était extrêmement complexe et très bureaucratique, d’où une grande frustration. Je me souviens, cela prenait des pages et des pages. C’était une bureaucratie accablante.

Entre la question très terre-à-terre de l’ajout de terres et l’objectif plus global de redonner vie aux traités et à leur véritable intention, que peut-on faire? Quelle est la solution?

M. Day : Premièrement, il est important de souligner l’une des plus grandes difficultés auxquelles nous faisons face aujourd’hui. Les gouvernements ne peuvent pas travailler avec nous en continuant de nous imposer leur volonté. L’APN et les Chefs de l’Ontario sont deux organisations très importantes qui sont bien coordonnées et qui font du lobbying, mais elles ne sont pas détentrices de droits. Sur le terrain, on sait qui détient des droits, mais le gouvernement, en tant qu’institution, ne reconnaît pas que les détenteurs de droits sont sur le terrain. Il faut préciser dès le départ qu’on doit trouver une nouvelle façon de discuter.

Je pense que la plupart des difficultés auxquelles nous nous heurtons aujourd’hui viennent du fait que les traités n’ont pas été respectés. Il faut revoir les études qui ont été faites là-dessus dans le passé. Il faut examiner également les études internationales qui ont été faites au sujet de la reconnaissance des traités et des mesures qui pourraient être prises par le Canada pour les revaloriser.

Des modèles de la Commission des traités ont commencé à se développer au Canada, pour mieux informer et sensibiliser les gens sur leur situation et sur l’importance de l’histoire. Certes, cela ne suffira pas à résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Il faut aller plus loin. Il faut des plans d’action. Et des mécanismes de reddition de comptes.

Pour ce qui est de votre deuxième question sur le processus d’ajout de terres aux réserves, il s’agit de toutes sortes de terres qui ont été mises de côté en vertu du paragraphe 91(24), en reconnaissance des droits issus des traités. Dans ce scénario, il y a une myriade de complexités juridiques et de responsabilités techniques de la famille fédérale qu’il va falloir éclaircir, mais les Premières Nations souffrent souvent du manque de collaboration entre les gouvernements.

Si l’on veut reconnaître les traités, il va falloir mettre en place de nouveaux mécanismes qui, au-delà de l’information et de la sensibilisation, vont permettre d’agir. Chaque région a ses propres problèmes, que ce soit le partage des revenus issus des ressources, l’ajout de terres aux réserves, la protection de l’environnement ou les annuités. Il y a des solutions, et je pense que le Canada et les provinces peuvent aller bien plus loin et mettre en place des mécanismes et des processus officiels pour la mise en œuvre des traités.

Quand il est question du processus d’ajout de terres aux réserves, ce n’est qu’un exemple. Si les membres de la famille fédérale prenaient des engagements en reconnaissant que nous sommes tous complices de ne pas avoir respecté les traités, je pense que les représentants de la région des traités et les communautés des Premières Nations seraient prêts à s’asseoir avec eux pour discuter des principaux enjeux et élaborer un plan d’action. Cela peut se produire, mais il faut que cela se fasse vite, car dans le Grand Nord, les problèmes deviennent de plus en plus complexes. Nos Premières Nations comme les Premières Nations Matawa et celles du Cercle de feu ne voudront certainement pas que les gouvernements pilotent les dossiers. Je pense que vous aurez beaucoup de difficultés si vous jouez la carte de l’unilatéralisme. Quand on parle des nouvelles relations, les Premières Nations du Nord vont certainement exiger beaucoup plus.

Le sénateur Patterson : Les Cris du Nord du Québec viennent de nous expliquer comment ils ont intégré la participation et le partage des revenus issus des ressources dans le processus de réglementation, au moyen d’un traité moderne. Où en est la question du partage des revenus en Ontario? Je sais que Bob Rae a travaillé sur le dossier dans le Cercle de feu, car c’est un enjeu de taille là-bas. La province de l’Ontario est-elle prête à accepter le principe du partage des revenus, comme le Québec semble l’avoir fait, tout au moins avec les Cris?

M. Day : L’Ontario a pris un engagement dans l’accord politique que j’ai signé avec la première ministre Wynne lorsque je suis devenu chef régional de l’Ontario, mais sur une période de trois ans, les choses n’ont vraiment commencé à bouger que depuis deux mois, c’est-à-dire juste avant le déclenchement des élections ontariennes. C’est vraiment dommage que nous n’ayons pas eu le temps de voir un gouvernement ontarien donner suite à son engagement. Il faut pourtant aller beaucoup plus loin. Bref, je ne pense pas que les résultats obtenus en Ontario soient satisfaisants.

J’ai beaucoup de respect pour les communautés des Premières Nations qui se sont battues pour cette cause, mais j’estime que nos Premières Nations méritent plus, en matière de partage de revenus, que les redevances dues sur les coupes d’arbres. Le produit intérieur brut de l’Ontario suit un cycle économique. Nous devons nous assurer que nous avons notre place dans le contexte plus général des revenus de la province. Nous devons être à la table, en tant qu’acteurs commerciaux, presque chaque fois qu’il est question de nos territoires, afin de voir si des façons novatrices de partage des revenus peuvent être envisagées, de façon à ce que nous ayons droit, de façon équitable, à une partie de tous les revenus de l’Ontario et qu’ainsi nous puissions offrir de meilleurs soins de santé, de meilleures écoles et un meilleur système économique à nos membres.

La présidente : Avant de passer au second tour, j’aimerais poser une question supplémentaire en ce qui concerne le partage des revenus issus des ressources.

Vous avez dit que, en vertu des traités de paix et d’amitié, les Premières Nations croyaient que le partage des terres allait se faire à l’avantage de tous. En Saskatchewan, le livre d’un ancien dit qu’il ne faut céder les terres que jusqu’à la profondeur d’un sillon de charrue.

Ma première question est la suivante : est-ce que cette interprétation figure dans les traités de paix et d’amitié?

Ma deuxième question est la suivante : en 1930, la Loi concernant le transfert des ressources naturelles a été adoptée pour donner aux provinces le contrôle des ressources naturelles. Une Première Nation a-t-elle contesté cette loi, puisqu’elle a été adoptée sans consultation, sans consentement éclairé ou quoi que ce soit de ce genre?

M. Day : Même si je n’ai pas le mandat pour en parler, je dirai simplement que les Premières Nations sont assujetties à la Loi de 1930 sur le transfert des ressources naturelles. D’après ce que j’entends dire, il y a constamment de la résistance. C’est le talon d’Achille de n’importe quel accord de partage des revenus issus de ressources qui a un impact sur les Premières Nations des territoires et des provinces régis par cette loi. Il y a donc de la résistance, mais il y a toujours cette volonté, de la part des Premières Nations, de trouver une solution.

Quand on parle des arrangements pour la mine de potasse, le chef Bellerose essaie d’élargir le dispositif réglementaire aux communautés. C’est une façon de s’assurer qu’elles pourront participer à l’exploitation des ressources et que ces projets seront participatifs.

Quand on parle des traités antérieurs à la Confédération, il faut comprendre qu’ils ont été signés à une époque bien différente. Dans la plupart des cas, l’économie salariale n’était pas aussi prédominante qu’elle l’est devenue par la suite, quand les traités numérotés ont été signés. À cette époque, on fonctionnait essentiellement avec des produits de base, le commerce et le partage des terres. Le commerce de la fourrure est bien sûr devenu la source de nombreux conflits. Il est aussi devenu, du fait de ces conflits, la raison pour laquelle des traités de paix et d’amitié ont été signés.

Voici comment notre peuple voit les choses aujourd’hui : à la question de savoir qui profite aujourd’hui du droit à la santé issu du traité, nous répondons qu’il y a la fameuse clause de l’armoire à pharmacie dans le traité no 6, mais cela vaut pour tout le monde. Ce que je veux dire par là, c’est que, comme pour le partage de la richesse, la création d’institutions et l’octroi de ressources dans le domaine de la santé et de l’éducation, on constate que tout le monde a en quelque sorte bénéficié des traités et jouit aujourd’hui de tous ces services, mais que nos Premières Nations sont traitées comme des citoyens de seconde classe qu’on maintient dans des conditions dignes du tiers monde parce qu’elles sont assujetties à un dispositif qui ne leur permet pas d’avoir un accès égal à ces ressources. Encore une fois, le fait qu’il n’y ait pas de péréquation vient certainement de l’absence de toute reconnaissance du partage dans ces premiers traités de paix et d’amitié.

Le sénateur Gold : Je vais faire à la fois une observation et un argumentaire. Je vous remercie d’avoir souligné, comme l’ont fait des juristes autochtones et non autochtones, l’importance des premiers traités, qui est encore plus grande que celle de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ou des lois coloniales, car ils sont les textes fondateurs du Canada.

Ils décrivent parfaitement le genre de relation, qui devrait s’établir entre le gouvernement du Canada et les peuples autochtones, qui doit être une relation de nation à nation. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il ne faut pas se limiter à la réconciliation, il faut agir.

L’action doit s’arcbouter sur la volonté politique. La volonté politique nécessite, dans notre système démocratique, l’appui populaire. L’appui populaire se fonde sur une meilleure compréhension et un désir de changement, ce qui passe par la connaissance et l’éducation. Malheureusement, la plupart des Canadiens ne connaissent pas notre histoire et/ou en ont une version inexacte.

Voici mon argumentaire : il y a sans doute des centaines de livres à lire là-dessus, mais je viens d’en lire un qui est absolument fantastique, qui a été écrit par mon vieil ami et mentor, le professeur Peter Russell, et qui s’intitule Canada’s Odyssey. Je recommande à tous ceux qui nous écoutent de lire ce livre extraordinaire qui raconte l’histoire du Canada, qui est fort instructif, mais qui reste très accessible. Ce n’est certainement pas un ouvrage ésotérique. Il raconte l’histoire du Canada et l’histoire de nos relations avec les Premières Nations et les peuples autochtones. C’est sans doute un bon départ pour quiconque veut savoir comment construire cette volonté politique qui permettra de prendre les mesures nécessaires pour établir une relation appropriée de nation à nation.

C’est tout, madame la présidente, j’ai fini mon petit discours.

M. Day : J’aimerais répondre à cela. Ce que vous dites est très important, car c’est vraiment la question qu’il faut se poser : « Comment doit-on procéder? » C’est légitime. Je sais qu’il existe des solutions et des façons d’y parvenir. Souvenez-vous de Canada 150. Souvenez-vous des investissements qui ont été consentis pour bien marquer le 150e anniversaire du pays.

Ce territoire et la relation avec les peuples autochtones remontent encore bien plus loin. Ce qu’on a créé, en quelque sorte, c’est un vide identitaire. Il faut se demander pourquoi. Commençons par la notion selon laquelle ce sont les nations qui font des traités, et non pas les traités qui font des nations. Quand on y réfléchit bien, on se rend compte que les provinces ne sont pas des nations. Quand on entend le chef du Parti conservateur prétendre qu’il représente la « Ford Nation », c’est vraiment un signal d’alarme pour le pays.

Il faut que nous ayons un dialogue sur ce qu’est la nation, c’est très important si nous voulons restaurer l’identité fracturée du Canada. À l’heure actuelle, le Canada a une identité fracturée qui se fonde sur le racisme et la discrimination. Certes, les Canadiens lui trouvent des aspects positifs puisqu’ils n’hésitent pas à dire : « Je suis fier d’être canadien en raison du rôle que nous jouons aux Nations Unies. »

D’où cela vient-il? Lester B. Pearson avait été parachuté dans notre territoire du traité Robinson-Huron pour se faire élire député. Il est venu dans notre communauté. Il a noué une relation très forte avec notre chef et notre communauté. Ce sont ces systèmes de valeurs et ces relations qu’il a su intégrer dans les discussions entre des nations pacifiques réunies autour d’une table appelée les Nations Unies. Les Canadiens doivent reprendre cette discussion absolument cruciale. Et nous devons passer de l’étape de la discussion à l’étape d’un dialogue national de nation à nation. Cela ne doit pas se faire en l’absence des organisations des Premières Nations et des gouvernements fédéral et provinciaux qui veulent participer. C’est un enjeu canadien, même quand on est immigrant récent. C’est plus que jamais le moment de comprendre qui sont les premiers habitants de ce territoire et quelle est leur histoire.

Il y a des choses qu’il va falloir désapprendre, car la discrimination et le racisme ont causé des torts qui ne peuvent être redressés que par un dialogue national sur ce qu’est une relation de nation à nation. C’est une responsabilité qui incombe au gouvernement fédéral, parce qu’il a le mandat de respecter les traités et parce qu’il s’est engagé, dans une relation de nation à nation, à inclure les Canadiens dans la discussion plutôt que de la tenir en vase clos, où les juristes du gouvernement feront tout pour préserver l’unilatéralisme.

Pour répondre à votre question, je dirai que cela va bien plus loin que la simple lecture d’un livre. Je pense qu’il y a des choses à faire pour créer des perspectives et des approches institutionnelles en vue d’un dialogue de nation à nation au Canada.

La sénatrice McCallum : Je pense que la volonté politique dépend aussi de la loi. Ma question est la suivante : pensez-vous que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones va vraiment faire avancer les choses?

M. Day : Absolument. Le fait que j’aie 50 ans aujourd’hui, que je comparaisse devant votre comité, et que le projet de loi C-262, de Romeo Saganash, franchisse l’étape de la troisième lecture montre bien que je suis là où je dois être. Ce sont les peuples autochtones de toute la planète qui ont fait progresser le mouvement. Le Canada étant l’un des derniers pays à endosser cette déclaration montre bien que nous avons encore du travail à faire. Le fait que la Chambre des communes ait maintenant été saisie de cette déclaration montre bien que nous sommes là où nous devons être.

La déclaration des Nations Unies est un document général qui reconnaît la souveraineté et la qualité de nation aux peuples autochtones de la planète, ainsi que leurs bonnes pratiques et leurs instruments. Il existe aussi une transparence collective. Au fur et à mesure que nous invoquerons ces instruments sur la scène internationale, nous poserons des jalons de responsabilité et de transparence pour la relation que nous voulons établir au Canada. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons nous prendre à bras le corps les problèmes de discrimination et de racisme qui existent dans les structures actuelles.

Nous avons besoin de la déclaration onusienne. Quand il est question du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, les provinces et les territoires ont tellement de pouvoirs à propos de l’impact planétaire du changement climatique qu’ils passent avant nous sur la scène nationale. Pourtant, sur la scène internationale, les provinces ne sont que des entités subétatiques. Il faut instaurer un barème et des contrepoids pour que le Canada puisse officiellement nous reconnaître dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques.

C’est important, et j’appuie tout à fait le projet de loi de Romeo Saganash. Je vais essayer de me faire réélire chef régional de l’Ontario parce que nous avons aujourd’hui une occasion en or de promouvoir les intérêts de notre nation en collaborant avec le Canada pour faire avancer les choses, dans le cadre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

La présidente : Nous arrivons à la fin de notre réunion. Au nom de tous les sénateurs, j’aimerais remercier Isadore Day, chef régional de l’Ontario, d’avoir témoigné aujourd’hui et de nous avoir fait partager les fruits de sa réflexion.

(La séance est levée.)

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